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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mercredi 24 septembre 2014

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 30

Présidence de M. Alain Claeys, président

– Audition, ouverte à la presse, de M.Roger Genet, directeur général de la recherche et de l’innovation au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de M. Pierre Valla, adjoint au directeur général.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Dans le cadre de ses travaux sur la gestion des programmes d’investissement d’avenir relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur, la mission d’information et de contrôle de la commission des finances reçoit M. Roger Genet, directeur général de la recherche et de l’innovation (DGRI) au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Monsieur le directeur général, merci d’avoir répondu à notre invitation. Le rôle du ministère chargé de la recherche est en effet essentiel dans la gestion des programmes d’investissement d’avenir (PIA) puisque c’est lui qui préside les comités de pilotage de chaque action conduite au titre des PIA. Nous sommes donc très désireux de recueillir le fruit de votre expérience et vos réflexions sur la conduite de ces actions.

Au-delà de la gestion des PIA dans la durée, la MEC s’intéresse aussi à la cohérence des financements de la recherche entre programmes d’investissements d’avenir et crédits budgétaires, à l’influence des PIA sur les dispositifs de valorisation de la recherche et aux éventuelles modifications, par rapport à la procédure suivie pour les PIA1, que l’expérience pourrait suggérer pour les PIA2.

Elle s’intéresse aussi aux conditions dans lesquelles les dotations non consommables pourront être versées aux initiatives d’excellence (Idex) après la fin du PIA. En particulier, le ministère a-t-il réfléchi à des conditions spécifiques qui pourraient encadrer la dépense de ces dotations ?

M. Roger Genet, directeur général de la recherche et de l’innovation au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le PIA apporte des moyens extrabudgétaires très importants à la recherche dans une période critique, où nous avons besoin de faire évoluer notre système.

Ces investissements sont caractérisés par une multiplicité de dispositifs, destinés à favoriser le regroupement des opérateurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, le développement de la valorisation, la promotion d’une recherche d’excellence, et à doter les investissements de taille intermédiaire pour lesquels les financements de base ne sont pas toujours suffisants. Ils représentent 11 milliards d’euros sur une dizaine d’années pour le périmètre enseignement supérieur et recherche, dont 4 milliards en intérêts de dotations non consommables et 7 milliards en « cash », soit 1 milliard d’euros par an en moyenne d’argent frais.

Cette dotation de 1 milliard d’euros représente plus de 5 % de la dépense de recherche annuelle des administrations (DIRDA), estimées à 16 milliards d’euros en 2011, c’est-à-dire plus que l’effort supplémentaire consenti par l’Allemagne entre 2006 et 2010 par rapport à son budget consolidé. Il faut que les acteurs de la recherche en soient bien conscients.

Les effets de ces investissements sont contrastés. Certains renforcent la structuration des dispositifs ; je pense aux Initiatives d’excellence (Idex), qui permettent de faire émerger des initiatives au meilleur niveau international, d’aider aux regroupements au niveau d’un territoire et de renforcer la structuration des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, ou aux laboratoires d’excellence (Labex), qui ont donné beaucoup de flexibilité aux équipes pour lancer des appels à projet et attirer des chercheurs réputés.

Il en va différemment pour d’autres outils comme les équipements d’excellence (Equipex), où les fonds apportés ne couvrent pas l’intégralité des besoins, laissant à la charge des budgets de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES) et des opérateurs une dépense de fonctionnement importante. Si les programmes sélectionnés sont d’un très bon niveau et suivent les recommandations du rapport Juppé-Rocard, notre ministère appelle, afin d’assurer leur pérennité, à une meilleure définition des axes stratégiques, permettant de les réorienter de manière à ce qu’ils soient mieux réappropriés par les acteurs de la recherche, qui devront les financer sur le moyen et le long terme et les intégrer dans leurs politiques et leurs contrats d’objectifs et de performance (COP).

Les financements apportés par le PIA ne couvrent pas non plus toujours la durée de vie du projet financé. Ainsi, le PIA n’a apporté de financement que sur 5 ans à certaines cohortes qui supposent un suivi longitudinal sur 30 ans. De même, les projets de recherche en biologie-santé ont permis de faire émerger des infrastructures de haut niveau et utiles, dans le domaine du séquençage par exemple, mais avec un financement qui n’est assuré que pour une durée limitée. Or il sera difficile, dans la situation dans laquelle se trouve notre pays, de dégager sur les budgets de base de la MIRES les moyens de garantir la pérennité de ces infrastructures.

Il faut donc une meilleure complémentarité entre la politique à long terme menée au travers du financement de la MIRES et les incitations portées par le PIA. Les financements supplémentaires ne doivent pas être un facteur de déstructuration.

Il faut tenir compte de ce retour d’expérience que nous avons du PIA1 pour que le PIA2 soit vraiment un outil de renforcement de la structuration, notamment, de ce qui a déjà été financé dans le cadre du PIA 1.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Lorsque les investissements d’avenir ont été mis en place, il y avait une volonté interministérielle de faire « bouger les lignes ». Il aurait peut-être été plus difficile d’arriver à ce résultat avec des financements budgétaires. Avez-vous commencé à organiser une concertation pour permettre la meilleure complémentarité que vous appelez de vos vœux entre financements du PIA et financements budgétaires ?

M. Roger Genet. La politique des Idex, qui consistait à faire émerger des pôles d’enseignement supérieur et de recherche au meilleur niveau international, trouve tout à fait son prolongement dans la loi du 22 juillet 2013 avec la mise en place des politiques et des contrats de sites. Les politiques de sites, celles des Idex, des ISITE et des Labex, favorisent un dialogue entre tous les acteurs de l’écosystème enseignement supérieur–formation–recherche–innovation (écoles, universités, organismes nationaux, sociétés d’accélération du transfert de technologie (SATT), instituts de recherche technologique (IRT), pôles de compétitivité, collectivités locales et État) sur un territoire et donnent des moyens pour créer une politique scientifique territoriale cohérente, à partir d’une mise en commun des diagnostics des forces et des faiblesses. La politique de sites a prolongé l’initiative prise par le ministère dans les années 2007-2008 pour établir un diagnostic et une stratégie territoriaux, qui soient un outil de dialogue entre la région et l’État et de mise en œuvre entre les acteurs.

En revanche, nous avons à progresser sur le financement des priorités en matière de recherche – et nous le faisons. S’appuyer en 2009 sur les travaux de la commission Juppé-Rocard pour essayer d’établir des priorités dans les axes de développement scientifique devant être financés par le PIA a été utile. Cependant, cela ne s’est pas fait en concertation avec les différents ministères qui touchent à la recherche, qu’il s’agisse de ceux de la recherche, de l’industrie ou de l’agriculture, de la défense ou de la santé. Il est essentiel que ce soit le cas.

La loi du 22 juillet 2013 a institué une stratégie nationale de recherche, avec un conseil stratégique de la recherche conseillant le Gouvernement, en s’appuyant sur le ministère de la recherche, au travers de la DGRI qui est chargée de coordonner son élaboration. Nous avons à cette fin mis en place depuis décembre dernier un comité opérationnel, qui réunit, d’un côté, les directeurs d’administration centrale des huit ministères porteurs de politiques de recherche – avec notamment ceux de la défense, de la santé, de l’agriculture, de l’écologie ou de la culture –, le commissariat général à l’investissement (CGI), le commissariat général à la stratégie et à la prospective, la délégation à l’intelligence économique, et, de l’autre, les présidents d’alliances, le président de la Conférence des présidents d’université, celui de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, le CNRS, le CEA, l’ANR, le CNES, deux représentants des pôles de compétitivité et deux représentants des industriels. Nous avons ainsi créé un outil de dialogue entre les attentes en matière de politique de recherche et les opérateurs de recherche qui permette au ministère chargé de la recherche non pas d’imposer sa vision, mais de coordonner l’action des acteurs de la recherche de façon à ce que la France ait non pas plusieurs mais une politique de recherche, qui réponde aux attentes de l’ensemble des acteurs publics.

Nous avons bâti sur cette base les travaux préparatoires à la stratégie nationale de recherche, dont l’objectif est de proposer au Gouvernement quelques priorités. Il n’y a pas de raison que ce dispositif, dont des équivalents ont été mis en place en Allemagne ou au Japon, ne fonctionne pas. Il permet de réfléchir aux priorités offrant un levier fort au développement économique ou social du pays. On peut espérer que la partie d’investissements exceptionnels alimentant la politique de recherche en vue d’un tel développement s’appuie à l’avenir sur cette concertation interministérielle dans la durée, et non, seulement, sur un groupe d’experts réunis à un moment donné – ce qui peut entraîner, dans certains cas, la déresponsabilisation des services de l’État.

Par exemple, la France est dotée d’un outil, étroitement lié à notre industrie – et très utilisé par nos industriels –, dont peu de pays européens disposent : notre flotte océanographique, qui a été un des fleurons de notre recherche. Cet outil nécessite un budget de 600 millions d’euros, amortissable sur 30 ans. Cela signifie que, pour pérenniser cette flotte, il nous faudrait être en mesure de provisionner 20 millions d’euros par an pour assurer le renouvellement et la jouvence de ses bâtiments. Le financement de la flotte s’est toujours effectué par abondement exceptionnel des crédits de la MIRES. Aujourd’hui, ces financements exceptionnels passent entièrement dans le PIA, et pas par les programmes budgétaires. Il sera donc très difficile de financer le maintien de la flotte océanographique si le PIA se limite à sélectionner des appels à projet lancés selon la méthode « bottom-up » à partir des propositions des laboratoires. Il faut qu’il y ait une cohérence entre nos politiques scientifiques, ce que l’on inscrit dans les contrats d’objectifs de nos opérateurs et les financements, qui ne peuvent se limiter à être incitatifs.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. La mobilisation du PIA2 pour des actions de ce type signifierait-elle que le PIA se substitue à des budgets récurrents ?

M. Roger Genet. Cela peut être parfois la position du CGI. Cela dit le ministère n’a pas profité d’opérations du PIA pour effectuer des débudgétisations ou des transferts de financement. En revanche, le financement récurrent de la MIRES permet d’assurer le fonctionnement, mais non les investissements des grandes infrastructures de recherche. Quand on a choisi de faire le synchrotron SOLEIL au début des années 2000, les moyens financiers nécessaires étaient tels qu’ils ne pouvaient être financé par celui de la MIRES.

De même, nous avons un accord avec une nouvelle organisation internationale en Suède destiné à gérer le programme ESS – European Spallation Source – dont le budget global d’investissement est d’1,843 milliard d’euros. La part de la France, qui représente 8 % du budget de construction, ne peut être couverte par la subvention : celle-ci permet seulement aujourd’hui d’assurer la phase d’exploitation qui sera financée par nos opérateurs. Il serait probablement de bonne gestion d’introduire dans le budget de la MIRES une enveloppe correspondant à des investissements à moyen et long terme ; mais ce n’est pas ainsi que sont construits nos budgets : ils permettent seulement d’assurer le fonctionnement des opérateurs, pas de financer des investissements à quinze ou vingt ans.

Autrement dit, soit nos crédits budgétaires nous permettent, grâce à l’introduction dans notre budget de provisions – comme dans le cas du parc nucléaire –, d’assurer le maintien en activité des infrastructures existantes et de contribuer à des opérations exceptionnelles permettant de préparer la science pour les quinze ou vingt années à venir, soit les financements correspondants sont pris en charge autrement. Si le PIA, en privilégiant uniquement des programmes nouveaux issus d’une sélection de projets, ne prend pas en compte la nécessité de financer une vision à moyen et long terme, nous passerons à côté de tout un pan de financement indispensable pour notre recherche.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Est-ce un constat partagé ?

M. Roger Genet. Pas entièrement. Au CGI, certains considèrent que les moyens budgétaires pour ce type de financement doivent relever des crédits du ministère.

Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de discussions d’ensemble sur les priorités stratégiques en matière de recherche. Cela peut donner l’impression que les financements du PIA ne concernaient que des opérations choisies et n’avaient pas à se substituer à ce qui était considéré comme relevant de la politique des ministères. Cependant, on perdait de vue que la politique des ministères avait des contraintes ou était financée de telle façon qu’elle ne pouvait prendre en compte les opérations de financement à moyen et long terme. Il nous faut avoir des discussions interministérielles étroites pour éviter des politiques séparées. Le comité opérationnel sur la recherche, dont le CGI est désormais membre, y tend. Je rappelle que le CSTP japonais réunit tous les mois autour du Premier ministre les ministres en charge de l’industrie, de l’éducation et de la recherche, ce qui permet une véritable approche interministérielle, absolument nécessaire, du financement de la recherche.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Les responsables de nos grands organismes de recherche et les présidents d’université que nous avons auditionnés nous ont dit que si les investissements d’avenir constituaient une dynamique formidable, les financements consentis par le PIA ne permettent pas de couvrir l’ensemble des coûts des projets qu’ils soutiennent. Partagez-vous ce point de vue et que préconisez-vous ?

M. Roger Genet. Nous sommes tout à fait d’accord avec ce point de vue. L’idée initiale du PIA était bien d’orienter les budgets de base grâce à l’effet de levier généré. Mais la question est de savoir si nos établissements, eu égard à leurs budgets, sont capables de suivre : ils doivent tenir compte de leurs contraintes de gestion ! Certains considèrent que le ministère serait dans l’immobilisme ; la ministre veut au contraire faire évoluer le système. On ne peut le faire en ignorant les contraintes qui s’imposent à lui, et en tout premier lieu les contraintes financières.

Je rappelle que la France est en retard en matière de coûts complets. Nous devons avoir une vision d’ensemble de ceux-ci pour toutes nos opérations, et ce même si les financements ne couvrent pas la totalité de leurs coûts. Nous demandons depuis longtemps à nos opérateurs d’être capables d’établir leurs coûts complets.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Comment expliquez-vous ce retard ?

M. Roger Genet. Cela tient à nos outils de gestion. Certes les systèmes de gestion des universités, qui étaient en retard, progressent. Mais, pour autant, aujourd’hui, les grands établissements de recherche ne disposent pas tous d’une comptabilité analytique. Il faudrait arriver à ce que ce soit le cas. Cette « vérité des prix » permettrait un meilleur équilibre de nos financements.

En outre, le ministère s’est efforcé d’obtenir une simplification de la comptabilité et des financements au niveau européen pour une meilleure prise en compte des coûts indirects, et ce de façon forfaitaire. Désormais, pour un laboratoire public, l’Europe paie 100 % des coûts directs et 25 % en plus forfaitairement au titre des coûts indirects (overheads). Cette amélioration de la prise en compte des coûts indirects est salutaire et il n’y a pas de raison qu’ayant défendu cette position au niveau européen, la France ne fasse pas de même au niveau national.

Je rappelle que les coûts indirects sont estimés en moyenne à un montant compris entre 25 % et 35 % des coûts directs. Il faudrait donc que l’on puisse couvrir au moins l’équivalent de 25 % des coûts directs. Le rééquilibrage nécessaire opéré en 2013 entre les financements sur projets de l’ANR et ceux des laboratoires a conduit à diminuer les premiers. Or même s’il est difficile en même temps de réduire les budgets de l’ANR et d’augmenter le préciput, la ministre y réfléchit. Nous sommes en train de travailler pour aménager le système de préciput et mieux prendre en compte les coûts indirects. Pour le financement des projets ANR, on verse 11 % de préciput à l’hébergeur – sachant que cette notion n’est pas toujours très claire – et 4 % pour les coûts de gestion. Il faudrait accroitre les montants destinés à couvrir les coûts indirects, mais aussi que les unités aient bien conscience qu’on leur verse de l’argent pour cela, et qu’elles soient responsabilisées.

Les projets financés dans le cadre du PIA prévoyaient 4 % de frais de gestion. La ministre a souhaité qu’ils soient portés à 8 %. Le CGI a accepté, mais cela ne concerne que les Idex et les Labex : pour les Equipex, l’investissement étant directement gagé sur des infrastructures, on ne pouvait augmenter les coûts de gestion.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Ce que vous décrivez pour le PIA sera-t-il transposé sur la partie des financements sur projets de l’ANR ?

M. Roger Genet. Oui. La ministre a demandé que nous réfléchissions sans attendre à une évolution du système de couverture des coûts indirects de l’ANR, de façon à créer un meilleur équilibre. Les équipes demandent plus de flexibilité dans l’utilisation des fonds et que soient rendues éligibles à l’ANR les dépenses de fonctionnement liées à des coûts indirects : par exemple, l’augmentation du nombre de contrats à durée déterminée (CDD) provoquée par le succès à des appels à projet conduit les établissements à régler des frais proportionnels au nombre de contractuels pour couvrir l’assurance chômage, ce qui constitue des charges supplémentaires non couvertes. Nous devons aussi donner aux équipes la liberté d’apprécier la réalité des coûts indirects qu’elles ont à couvrir. Nous souhaitons enfin aussi simplifier le système : il ne faut pas accroître les justificatifs à fournir. Dans le système national, où toute dépense est justifiée à l’euro près, ce n’est pas facile. Il faut veiller à ce que l’évolution de la réglementation ne fasse pas perdre du temps inutilement aux équipes.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Les outils qui ont été mis en place à travers les investissements d’avenir pour la valorisation de la recherche, sont-ils compatibles avec les dispositifs existants ? Je sens parfois des incompréhensions à cet égard.

M. Roger Genet. Quand on fait évoluer un système, il faut une phase d’explication et d’accompagnement du changement. Le ministère sait qu’il lui faut prendre en mains le changement et accompagner les opérateurs dans le processus. Il est normal, quand on modifie la programmation de l’ANR ou le nombre et la nature des acteurs de la valorisation, qu’il y ait des interrogations et que des adaptations soient nécessaires.

En revanche, les évolutions introduites sont indispensables. Car si le rapport de 2006 sur la valorisation rappelait que nous avions quelques champions – le CEA et l’institut Pasteur –, il constatait surtout une carence flagrante de notre système, notamment à l’université, que ce soit en termes d’outils, de structures, de compétences – sur la gestion de la propriété intellectuelle ou le transfert – et même de culture, et ce alors même que la loi Allègre du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche avait intégré la valorisation parmi les missions des chercheurs, démarche renforcée par la loi de programme pour la recherche du 28 avril 2006.

Au travers du PIA, le Gouvernement a institué plusieurs outils qui répondent chacun à des besoins particuliers. Des financements très élevés ont été trouvés. Peut-être n’a-t-on pas pris le temps d’expérimenter suffisamment ces outils : nous avons en effet dû opérer une mise en œuvre rapide. Il faudra donc évaluer le système, sans attendre dix ans, pour vérifier qu’il est opérationnel.

La mise en place des SATT, qui ont l’avantage d’être régionales, a permis de réaliser un maillage du territoire. Les SATT ne sont pas parties de rien. Elles se sont inspirées notamment de Bretagne Valorisation, située dans une région ne bénéficiant pas des grands acteurs que j’ai mentionnés, et qui s’est prise en mains pour réfléchir à la meilleure façon de structurer sa valorisation, en partant de l’Université européenne de Bretagne (UEB) et en fédérant les organismes nationaux implantés sur le territoire. La différence entre les SATT et Bretagne Valorisation, c’est qu’au-delà de la compétence de gestion de la propriété intellectuelle, on les a dotées d’un milliard d’euros de fonds d’émergence pour financer notamment la création de start-up.

Cela dit, cette politique, très utile, doit aussi bénéficier aux acteurs nationaux disposant de compétences en matière de valorisation : les expériences du CEA à Grenoble montrent qu’il faut adapter le système. Mais celui-ci va se réguler.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Le fonctionnement des SATT semble un peu inégal.

M. Roger Genet. En effet, et la compétence également, car le vivier de recrutement était lui aussi inégal. En outre, le poids et la situation des acteurs étaient différents d’un territoire à l’autre. En particulier, les grands acteurs nationaux ayant mis en place un politique de valorisation – comme l’Inserm avec Inserm Transfert – n’étaient pas présents sur tous les territoires. Ce n’est pas un hasard si les deux régions ayant la dépense de recherche la plus forte, à savoir Rhône-Alpes et l’Île-de-France, avec Paris-Saclay, sont celles qui ont mis le plus de temps à trouver un modèle économique pour leurs SATT, alors que dans les autres régions, il a été plus facile de se structurer.

Sur les 13 SATT créées, deux ont un modèle particulier : Grenoble avec GIFT, qui a néanmoins réussi à regrouper tous les acteurs, et Saclay. S’il y a eu des discussions un peu âpres, tenant aussi aux personnes, entre les structures préexistantes et les SATT, comme ce fut le cas en Île-de-France avec Inserm Transfert, cela est en train de se régulariser.

On a sans doute eu tort de vouloir au départ imposer un modèle unique. On voit bien que des adaptations sont nécessaires aujourd’hui. Les SATT vont travailler soit en recevant une délégation de gestion de la propriété intellectuelle, soit dans un cadre de mutualisation des moyens pour prospecter dans les laboratoires en cohérence avec les organismes de valorisation des grands organismes nationaux ; la subsidiarité est en train de mettre en place. Bien sûr, les universités sont totalement impliquées.

La SATT a en outre un rôle d’acculturation des acteurs à la gestion de la propriété intellectuelle. Il est donc essentiel que, dans chaque regroupement au sein d’un territoire, dans chaque site, il y ait une compétence de valorisation.

Nous avons aussi lancé cette année une étude dans trois régions pilotes - Aquitaine, Languedoc-Roussillon et Île-de-France – pour voir comment mieux articuler les incubateurs et les SATT. Cette articulation dépendra des particularités de chaque territoire. Si, en Aquitaine et dans le Languedoc-Roussillon, notre travail montre que les acteurs souhaitent un fort rapprochement de l’incubateur avec la SATT, en Île-de-France, c’est plus compliqué car la politique de site est plus complexe. Mais je pense qu’à Saclay, on pourra opérer ce rapprochement.

En moins de deux ans, le modèle économique des SATT est en train de se formaliser. La dynamique a donc été très forte.

M. Patrick Hetzel. Le calendrier a-t-il été respecté ?

M. Roger Genet. Oui, sur les premières phases des SATT. Même si la contractualisation – comme celle des autres outils du PIA –, a été compliquée, on est dans les temps. Il y a eu du retard dans les régions que j’ai mentionnées, car les acteurs y sont forts et pluriels, ce qui supposait qu’ils se mettent d’accord sur un modèle économique. Mais avoir pris six mois ou un an de plus n’a pas beaucoup d’importance au regard de l’ensemble du processus.

Les SATT sont des instruments viables et utiles. Elles auront une mission élargie par rapport au dogme initial – la ministre l’a d’ailleurs toujours souhaité – de même qu’une plus grande souplesse dans leur mise en œuvre. Il est d’autant plus légitime que les collectivités locales, notamment les régions, soient représentées au sein des SATT qu’elles contribuent largement au financement des incubateurs. Si elles peuvent déjà être observatrices dans les conseils d’administration des SATT, il faudrait qu’elles y prennent un rôle plus large.

La question se pose en revanche de savoir si les SATT seront autofinancées d’ici dix ans. L’innovation le permettra-t-elle ? Certaines SATT trouveront sans doute assez rapidement cet équilibre. Inserm Transfert, qui a été créée en 2005-2006, a été équilibrée financièrement pour la première fois en 2012. Pour d’autres, ce sera sans doute plus long.

L’appropriation par les acteurs est une clé. Si l’État a aujourd’hui une minorité de blocage de 30 %, il ne faut pas que sa présence empêche cette appropriation. Les SATT vivront si ces sociétés anonymes sont considérées comme des filiales communes des membres fondateurs et si ceux-ci les reprennent à leur compte et équilibrent leur budget. L’État n’est là que pour accompagner le développement et vérifier la bonne utilisation des fonds.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Comment l’État peut-il s’assurer d’une cohérence nationale des transferts de technologie ? Qu’avez-vous mis en place pour permettre un pilotage national en la matière ?

M. Roger Genet. Cela aurait été un comble de mettre en place une SATT nationale avec des implantations régionales à l’heure de l’autonomie des universités, des politiques de sites et de la décentralisation.

Par ailleurs, la dynamique des territoires varie selon, notamment, la nature des pôles de compétitivité, des écoles, des universités ou des organismes. Cette diversité ne serait pas compatible avec une SATT unique.

Il n’empêche que toutes les missions prévues doivent être remplies, et l’État doit y veiller. Je rappelle que le ministère détient, avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque publique d’investissement (BPI), 30 % des droits de vote des SATT. L’État est représenté au conseil d’administration de chaque SATT par un représentant de la DGRI et un représentant de l’administration en région. La cohérence est assurée au niveau national dans le cadre de la relation que la DGRI entretient avec les présidents de SATT, qui sont en train de se structurer en association. Elle l’est également, au niveau territorial, par les délégués régionaux à la recherche et à la technologie, qui sont nos relais en région et qui portent la voix de l’État dans les conseils d’administration. La cohérence résulte donc simplement de l’exercice de la tutelle, avec des acteurs qui sont des sociétés anonymes.

Le CEA a déclaré qu’il fallait que le dispositif soit souple et adaptable. C’est tout à fait notre point de vue. Il faut en effet que la SATT soit la filiale de valorisation commune des acteurs et que ceux-ci, en fonction de leur diversité, lui demandent de mettre en œuvre leur politique.

Parmi les difficultés mentionnées par le CEA figurent celle des grappes de brevets et le fait d’avoir sur différents sites des brevets corrélés qui ne font sens que s’ils sont valorisés ensemble. On peut progresser grâce aux filiales de valorisation des organismes nationaux, en les utilisant comme relais pour la valorisation des grappes de brevets. Des discussions sont en cours avec France Brevets, à la suite d’une convention que cet organisme a signée avec les SATT en juillet 2012, dans laquelle il s’engage à reprendre la propriété intellectuelle portée par plusieurs SATT pour une action de valorisation dédiée.

Par ailleurs, les consortiums de valorisation thématiques (CVT) des alliances sont très utiles car ils permettent aux opérateurs de recherche regroupés par grandes alliances thématiques d’avoir une action de type cartographique sur les marchés et les compétences, au service des SATT. Nul n’est mieux placé que les acteurs de la recherche pour voir ce qui peut être le mieux valorisé.

Les CVT fonctionnent de façon différente en fonction des besoins. L’alliance Allistène, dans le domaine du numérique, a surtout des actions en matière de formation des chercheurs à la valorisation, notamment sur le droit d’auteur, alors que les CVT d’Aviesan ou d’AllEnvi sont plutôt tournés vers des cartographies des domaines de valorisation stratégique, un peu à l’image du bureau marketing du CEA. Le financement des CVT, qui est restreint, est très utile. Jusqu’ici, aucun organisme autre que le CEA n’avait la capacité de faire ce type d’études.

Sur les SATT, nous avons lancé cette année la première phase d’évaluation à trois ans, avec l’obligation de remplir certains indicateurs, insérés dans leur contrat d’origine, sur la base desquels sera décidée la deuxième tranche de financement. Cinq SATT créées en décembre 2012 ont été retenues en premier : Conectus, Sud-est, Île-de-France, Lutech et Toulouse. Le résultat de leur évaluation sera disponible en décembre 2014.

S’agissant des CVT, ils font l’objet d’une « revue » régulière de la direction générale de la recherche et l’innovation. Le financement n’a en effet été attribué que pour deux ans.

Quant au rôle du comité de pilotage, et à celui de chacun de ses participants, il s’est beaucoup clarifié. Sur les actions relatives aux IRT et aux SATT, il est présidé par moi-même, il réunit la BPI, la CDC, la direction générale des entreprises (DGE) ainsi que le CGI, et propose de grandes orientations au Premier ministre, sachant que nous essayons toujours d’aboutir à un consensus ; quand un sujet n’est pas assez mûr, on le réexamine jusqu’à ce qu’on y parvienne. Dans 95 % des cas, le CGI a relayé auprès du Premier ministre une position conforme à ce que le comité de pilotage avait proposé par consensus.

Nous avons aussi mis en place un comité de suivi. Je rappelle que l’ANR est l’opérateur du programme.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Qu’en est-il des instituts de transition énergétique (ITE), ex-IEED ?

M. Roger Genet. Le rôle de pilote a été donné en la matière à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui a joué le même rôle que nous, même s’il a fallu un peu plus de temps pour instruire les projets. Il est vrai que le CGI n’avait pas la même vision de la structure juridique de ces organismes – on peut d’ailleurs en discuter, les IRT et les ITE étant très comparables – ce qui a créé une certaine lourdeur des phases d’instruction.

Contrairement au souhait de notre ministère, et alors que tout le monde convenait qu’on avait trop de structures et que le système était complexe et illisible, il a finalement été décidé de conférer la personnalité morale aux IRT et aux ITE. Cela a beaucoup compliqué les choses, notamment en termes d’aides d’État : il a fallu réaliser des expertises approfondies au regard de la réglementation européenne et de la propriété intellectuelle.

Le retour d’expérience du PIA1 nous montre encore une fois qu’une caporalisation du système n’est pas souhaitable et qu’il faut laisser de la souplesse aux opérateurs dans la mise en œuvre, même si nous devons avoir un regard acéré sur leurs propositions.

Le second enseignement est qu’il faut un pilotage clair de l’instruction, depuis l’élaboration du cahier des charges jusqu’au suivi de sa mise en œuvre. Il convient d’éviter les instructions parallèles, qui sont parfois sources de divergences.

Il faut cependant concéder que, pour répondre à la demande politique, le cahier des charges de ces objets nouveaux a été rédigé dans un temps très court ; il a fallu préciser l’analyse juridique en même temps.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. C’était pourtant le rôle du comité de pilotage de s’assurer de cette cohérence.

M. Roger Genet. Même s’il y a bien eu concertation entre les départements ministériels concernés au moment de l’élaboration du cahier des charges des appels d’offres de chacun de ces outils, des avis pas toujours convergents ont pu être donnés aux porteurs de projets – qui les ont sollicités – pendant la phase de montage des projets.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Qu’en est-il du traitement des dotations non consommables ?

M. Pierre Valla, adjoint au directeur général de la recherche et de l’innovation. Il est variable suivant les actions. Pour certaines, notamment les Idex, il est prévu qu’en cas de passage réussi des différentes évaluations, ces dotations seront allouées de façon définitive aux porteurs du projet.

S’agissant d’un éventuel encadrement à terme de l’usage de ces dotations, faut-il faire confiance aux acteurs ou introduire une réglementation encore plus tatillonne que l’actuelle ?

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Vous plaidez donc en faveur de la simplification administrative !

M. Roger Genet. Et de la responsabilisation des acteurs… On est dans un système où on ne fait pas suffisamment confiance aux acteurs, même quand ce sont des opérateurs publics et que leurs dirigeants ont été nommés pour mettre en œuvre les missions qui leur sont confiées par l’État.

M. Pierre Valla. Le modèle retenu en la matière est le financement dont bénéficient les universités américaines grâce aux fondations. Si les donateurs peuvent en l’espèce livrer des indications sur les modalités d’emploi, ils n’exercent pas de contrôle au cas par cas des décisions d’achat ou de lancement de missions.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Je vous remercie.