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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 3 février 2016

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 3

Présidence de Mme Eva Sas, rapporteure

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique

– Audition de M. François MOISAN, Directeur exécutif de la Stratégie, de la recherche et de l'International, directeur scientifique et de Mme Fantine LEFEVRE, Directrice des Investissements d'avenir, à l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

Mme Eva Sas, rapporteure. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), principal opérateur du programme d’investissements d’avenir (PIA) pour la transition écologique, gère à ce titre 3,3 milliards d’euros. 2,13 milliards au titre du programme Démonstrateurs de la transition énergétique et écologique, et 1,15 milliard pour le programme Véhicule et transport du futur. Comment l’Agence s’est-elle organisée pour intervenir à une telle échelle, inédite pour elle ? Quelle stratégie a-t-elle adoptée ? Cette dernière a-t-elle connu des inflexions depuis 2010 ? Quels succès et échecs a-t-elle rencontrés dans la gestion, pour le compte du Commissariat général à l’investissement (CGI), des programmes d’investissements d’avenir ?

Nous avons lancé une mission d’évaluation et de contrôle pour comprendre non seulement les raisons de la sous-consommation chronique des crédits, mais aussi les modalités de gestion des PIA et la manière d’adapter ces programmes pour qu’ils correspondent au mieux aux besoins du secteur.

M. François Moisan, directeur exécutif de la stratégie, de la recherche et de l’international à l’ADEME. En 2010, l’ADEME a été désignée comme opérateur du PIA 1 pour quatre actions : l’économie circulaire, les énergies décarbonées, les réseaux électriques intelligents (aujourd’hui rassemblées dans le programme Démonstrateurs de la transition énergétique et écologique) et les Véhicules du futur. Ayant déjà une activité de recherche et développement (R&D), l’Agence disposait pour partie des compétences et de l’organisation nécessaires à l’expertise économique des projets concernés. En revanche, la mise en place de dispositifs impliquant des retours financiers vers l’État était une nouveauté, même si nous avions eu par le passé quelques expériences d’avances remboursables. Nous avons donc été conduits à créer en interne une direction spécifique aux investissements d’avenir, à la tête de laquelle Fantine Lefèvre se trouve actuellement, et à recruter des compétences financières pour gérer les négociations avec les entreprises.

La direction des investissements d’avenir comprend une petite trentaine de personnes qui pilotent le dispositif, assurent le dialogue avec le CGI, préparent les comités de pilotage et les groupes techniques, et sont chargés de la contractualisation avec les entreprises. Les autres directions opérationnelles de l’ADEME ont des compétences techniques : la direction exécutive des programmes comprend les services techniques dotés de compétences sectorielles – transport et mobilité, bâtiment ou valorisation des déchets. Ces experts étaient déjà présents à l’Agence et ont vu leur nombre accru avec la montée en charge du PIA. La nouveauté pour l’ADEME a donc consisté à acquérir des compétences en matière de plans d’affaires.

Le PIA a t-il eu un effet d’éviction sur les actions passées de l’ADEME ? En 2008, l’Agence a proposé d’intervenir sur des démonstrateurs par le biais d’un fonds pour réaliser des expérimentations industrielles à échelle significative. Ce Fonds démonstrateur de recherche, dont le budget initial s’est élevé à 350 millions d’euros, était principalement destiné à des industriels, en lien avec des laboratoires publics. Nous avons lancé des appels à manifestation d’intérêt dans différentes filières – captage et stockage du CO2, biocarburants de deuxième génération, véhicules et autres.

En 2010, après la mission Juppé-Rocard, l’Agence est devenue opérateur du programme d’investissements d’avenir. Comme nous n’avions dépensé que 179 millions d’euros du Fonds démonstrateur, le Gouvernement a décidé que les crédits du PIA viendraient en remplacement du solde de ce fonds. D’ailleurs, les conventions qui ont été signées dans le cadre du PIA 1 se situaient dans la ligne des expérimentations de ce fonds. Il y avait toutefois une différence importante entre les deux dispositifs : le fonds démonstrateur n’intervenait que par des subventions sans retour vers l’État, ce qui lui permettait de financer des projets de long terme dont les marchés n’étaient pas forcément visibles à court ou moyen terme ; le PIA, s’appuyant sur un dispositif de retour vers l’État dans pratiquement tous les projets, s’est trouvé orienté vers des projets de plus court terme puisqu’il fallait pouvoir identifier des marchés sur lesquels asseoir les avances remboursables. Cela étant, nous avons pu financer de nombreux projets grâce au PIA.

Actuellement, le montant des PIA 1 et 2 gérés par l’agence s’élève à 3,1 milliards d’euros. En effet, à la fin de l’année 2015, le CGI a notifié à l’ADEME un redéploiement des crédits du PIA 2 de 160 millions d’euros, sans l’informer de leur destination. En fait, différents redéploiements ont eu lieu depuis 2010.

Nous avons deux programmes en cours : Démonstrateurs pour la transition énergétique et écologique (DTEE) et Véhicule et transport du futur, qui sont financées par deux catégories de crédits : des subventions et avances remboursables, qui sont des aides d’État au sens européen du terme, et des interventions en capital. Depuis le début du PIA, la part des avances remboursables est plus importante que celle des subventions. Quant aux interventions en capital, elles sont de deux types : l’un est destiné aux PME et géré par un fonds Écotechnologie (Ecotech) placé à la banque publique d’investissement, BPIfrance, l’autre passe par des sociétés de projet gérées directement par l’ADEME.

Dans le cadre du programme DTEE, nous avons lancé des appels à projets sur des thématiques telles que l’efficacité énergétique dans le bâtiment et l’industrie, les filières d’énergies renouvelables, les vecteurs énergétiques, les réseaux électriques intelligents, ainsi que sur l’eau et la biodiversité, deux thématiques nouvelles dans le PIA 2 pour lesquelles l’ADEME n’avait pas de compétence technique. Le programme Véhicule et transport du futur couvre tous les modes de transport, à l’exception de l’aéronautique, aussi bien les véhicules routiers, hybrides et électriques, que les transports ferroviaires et navires du futur. Il comprend également des appels à projets qui ne sont pas principalement technologiques : dans le domaine de la mobilité et de la logistique, par exemple, ce sont plutôt des modes d’organisation innovants qui sont expérimentés.

Nous finançons des projets de maturité moyenne ou élevée, pour des montants relativement importants : leur coût médian est de 4,5 millions d’euros et leur coût moyen, de 14 millions d’euros ; 80 % des projets représentent 30 % des montants engagés. Ces projets concernent des démonstrateurs de recherche, des expérimentations dans la recherche industrielle et le développement expérimental, et des expérimentations préindustrielles, en termes d’offre, de marché et d’organisation.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il nous a été, indiqué lors des auditions précédentes, que la maille des projets était peut-être trop importante pour que certains porteurs de projet puissent se porter candidats. Vos chiffres confirment le fait que vous financez des projets de grande taille ; ce choix vous paraît-il adapté au secteur ? Cela n’explique-t-il pas en partie le faible nombre de projets déposés ?

M. François Moisan. Les seuils qui figurent dans les appels à projets que nous publions, et qui sont décidés par le comité de pilotage et le CGI, sont en général compris entre 1 et 3 millions d’euros, la logique étant qu’il existe d’autres guichets susceptibles d’accompagner des projets de plus faible montant. La plupart des appels à projets prévoient la possibilité de déroger à ces seuils.

Quant au fait que certains projets n’aient pas été déposés, il peut aussi s’expliquer par les mécanismes d’aide, notamment l’avance remboursable, et la capacité des entreprises à répondre à nos critères de sélection, en particulier le caractère innovant du projet, qui constitue pour nous l’incitativité de l’aide que nous devons toujours être capables de justifier auprès de la Commission européenne.

Mme Fantine Lefèvre, directrice des investissements d’avenir à l’ADEME. La taille des projets suppose, il est vrai, des capacités financières adaptées, reflétant les niveaux d’investissement demandés dans les réponses aux appels à projets. Pour les entreprises qui n’ont pas osé se lancer, soit par crainte injustifiée, soit parce que le niveau des projets était trop élevé, nous avons ouvert en 2015 d’autres appels à projets dédiés aux PME, intitulés initiatives PME, prévoyant des seuils beaucoup plus bas. Nous accordons des subventions pures, à hauteur de 200 000 euros, pour des projets supérieurs à 200 000 ou 400 000 euros selon les secteurs. Il est certain que ces projets-là sont peu consommateurs de crédits au regard de notre enveloppe globale. Mais nous considérons cet outil spécifique comme une première marche permettant à des entreprises de développer des projets innovants pour ensuite s’orienter vers des appels à projets classiques pour des projets plus structurants et plus ambitieux, mettant en jeu des seuils d’investissement plus importants et d’autres partenaires. Nous avons ainsi essayé d’enrichir notre offre pour toucher davantage les PME.

M. François Moisan. Se posait, en fait, le double problème du nombre global de projets et de la part des PME dans les réponses aux appels à projets. Il est vrai qu’avec un seuil allant de 1 à 3 millions d’euros, le porteur du consortium est plutôt une grande entreprise associant d’autres entreprises, parmi lesquelles de nombreuses PME. C’est pourquoi, il y a un an, le CGI et le comité de pilotage nous ont demandé d’expérimenter ces initiatives PME, d’abord dans le domaine des véhicules et cela a très bien marché.

Mme Fantine Lefèvre. Sur deux sessions, nous avons eu une soixantaine de lauréats dans le seul domaine des transports.

M. François Moisan. C’est bien, en effet, que ces appels à projets de petits montants répondaient à un besoin. Il n’en reste pas moins que même soixante projets à 200 000 euros n’ont qu’un faible impact sur les crédits consommés. Néanmoins, les procédures ont été très intéressantes pour nous et nos prises de décision ont été plus rapides qu’habituellement.

Mme Fantine Lefèvre. Trois sessions d’initiative PME ont eu lieu l’année dernière : deux pour les transports, une pour la biodiversité. En 2016, cinq sessions sont ouvertes, qui se clôtureront entre le 15 février et la fin du mois de mars. Nous verrons si, sur les autres thématiques couvertes, l’intérêt des PME se confirme.

M. François Moisan. Depuis 2010, 299 projets ont été soutenus. Chaque projet réunissant plusieurs partenaires, cela représente 953 conventions et un fort effet d’entraînement. L’effet multiplicateur, soit le ratio entre les aides du PIA et le coût des projets, est d’environ 2,8. À ce jour, ont été engagés 1,132 milliard d’euros sous forme d’aides d’État et 378 millions d’euros sous forme de capital dans le cadre d’interventions gérées par l’ADEME.

Mme Fantine Lefèvre. D’après les informations dont je dispose, l’effet de levier serait plus important sur ces programmes gérés par l’ADEME que sur les autres programmes du PIA.

M. François Moisan. Les entreprises sont les principales destinataires du dispositif : elles reçoivent 85 % des montants attribués ; près de la moitié sont des PME. Les montants d’aide sont significatifs : ils s’élèvent, pour les projets bénéficiant d’avances remboursables, à 2,5 millions d’euros en moyenne par partenaire, dont 26 % de subventions.

Je précise que tous les appels à projets relèvent du soutien à l’innovation et ont pour bénéficiaires des entreprises. Si des laboratoires publics peuvent être associés au projet, le consortium ainsi créé doit être dirigé par une entreprise. Seul fait exception à cette règle l’appel à projets pour le soutien aux infrastructures de recharge des véhicules électriques, qui est destiné à mailler le territoire de bornes de recharge sur la voie publique. Les bénéficiaires sont des collectivités et des groupements de collectivités présentant un plan d’équipement : leur sont uniquement versées des subventions, non des avances remboursables. Un budget d’environ 50 millions d’euros avait été identifié pour soutenir ces équipements qui ne sont pas innovants ; à ce stade, nous avons dépensé à peu près 60 millions d’euros.

Pour en revenir à la répartition des montants engagés par type d’acteur, les grandes entreprises ont eu moins de subventions que d’avances remboursables. Elles ont également bénéficié d’interventions en capital par l’intermédiaire de sociétés de projet. Pour les PME et les ETI, la part des subventions est légèrement plus importante.

Nous recourons à deux modes de financement. L’un, sous forme d’aide d’État, implique l’intéressement systématique de l’État au succès du projet par le biais d’aides partiellement remboursables. Les subventions vont, elles, en priorité aux organismes de recherche. Le financement se fait dans le cadre d’appels à projets et ces aides sont soumises à l’encadrement des aides d’État par l’Union européenne. L’autre mode de financement passe par des interventions en capital systématiquement minoritaires. La règle est celle d’un co-financement privé selon une logique d’investisseur avisé, avec une perspective de rentabilité pour l’État – sans quoi l’intervention serait requalifiée d’aide d’État.

Nous procédons à deux types d’intervention en fonds propres. Au profit des PME, nous intervenons par l’intermédiaire du fonds Écotechnologie, créé en 2011 par CDC entreprises et désormais géré par BPIfrance. En dehors des appels à projets, les PME qui manquent de fonds propres pour se développer peuvent s’adresser à l’ADEME pour qu’elle procède à l’expertise technique de leur plan de développement. Lorsque l’expertise est positive, nous proposons au comité de pilotage d’orienter le projet vers le fonds Écotechnologie. S’il en est d’accord, c’est alors la BPI qui prend la suite du dossier et qui procède à l’opération de prise de participation. Le montant des investissements ou tickets du fonds s’élève de 1 à 10 millions d’euros, classiquement plutôt de 2 à 5 millions, pour des durées moyennes de quatre à six ans. Depuis 2010, le fonds Écotechnologie a pris neuf participations. Il a été doté de 150 millions d’euros et ses dépenses sont actuellement de l’ordre de 30 millions d’euros.

Mme Eva Sas, rapporteure. Lorsque vous orientez les entreprises vers la BPI, le projet fait-il l’objet d’une seconde expertise ?

M. François Moisan. Pas une expertise technique mais une expertise financière, pour ce qui est des prises de participation du fonds Écotechnologie dans les PME et les sociétés non cotées.

En revanche, l’ADEME procède à la fois à une expertise technique et à une expertise financière lorsqu’elle intervient en fonds propres sous forme de société de projet auprès de grands groupes, notamment en créant des Special Purpose Vehicle (SPV) – c’est-à-dire des joint ventures. Nous prenons une participation en capital dans ces joint ventures, à hauteur de 30 à 50 %, et intervenons pour le compte de l’État ; le fonds Écotechnologie, lui, intervient directement dans le capital de la PME. À titre d’exemple, Alstom, après avoir développé les nacelles des éoliennes offshore Haliade 150 de 6 mégawatts, a eu besoin de capitaux pour passer à la phase industrielle. Nous avons donc créé avec Alstom une filiale, la SPV Alstom Offshore France, pour construire à Saint-Nazaire une usine d’assemblage de ces nacelles, dans laquelle l’ADEME a pris une participation. Nous avons également pris une participation pour la construction d’une usine de recyclage de titane et, plus récemment, avec Alstom transport, pour le TGV du futur.

J’en viens au cadre conventionnel. Les conventions passées entre l’État et l’ADEME ont été signées en décembre 2014 pour les deux programmes. Elles indiquent la dotation budgétaire dont dispose l’Agence ; les modes et instances de décision et de gouvernance ; le rôle des ministères, du CGI, des comités de pilotage et du comité d’investissement en ce qui concerne les prises de participations ; les moyens et retours sur investissement de l’opérateur.

Entre parenthèses, en 2010, lorsque nous avons mis en place les appels à manifestation d’intérêt, nous accompagnions les industriels dans le montage de projets qui n’étaient pas encore mûrs. Nous procédions à une instruction technique approfondie de ces projets et une commission nationale des aides, composée de personnalités qualifiées, rendait un avis en amont du comité de pilotage. Les procédures n’étaient pas encore rodées, de sorte que les délais de prise de décision et de contractualisation étaient longs. Cet état de fait ayant été pointé du doigt, le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique (SGMAP) nous a accompagnés pendant toute l’année 2014 de façon à identifier toutes les marges de progrès, ce qui supposait aussi qu’évolue la gouvernance de l’ensemble du dispositif. Nous avons ensuite intégré dans les conventions qui ont été signées à la fin de l’année 2014 les évolutions qui avaient été décidées au deuxième semestre de cette année-là. Nous sommes notamment passés des appels à manifestation d’intérêt aux appels à projets. Par conséquent, nous ne recevons plus désormais de projets incomplets. Nous essayons de rencontrer les porteurs de projet en amont du dépôt de leur candidature de façon à ne pas leur faire perdre de temps pendant la phase d’instruction.

Nous avons beaucoup simplifié nos procédures grâce au travail accompli avec le SGMAP. Ces éléments figurent maintenant dans les conventions du PIA 2, dans lesquelles ont également été intégrés des critères d’éco-conditionnalité. A priori, le PIA 2 s’est appuyé dès son lancement sur cette logique d’éco-conditionnalité et l’ADEME était par définition concernée, puisqu’elle agit dans le champ de la transition écologique et énergétique. Cela étant, le ministère de l’écologie et le Commissariat général au développement durable (CGDD) ont souhaité que nous ayons une procédure d’analyse de l’impact des projets.

Autre évolution du PIA 2 par rapport au PIA 1 : le montant des frais de gestion éligibles à remboursement – qui, aux termes de la convention passée entre l’ADEME et l’État, peuvent être liés à l’expertise de l’ADEME, à d’éventuels contentieux ou aux études – est désormais plafonné à 0,25 % par an jusqu’en 2017 et à 0,15 % par an au-delà. Différence notable également, en 2010, les seuls frais éligibles étaient ceux que je viens de citer. À partir du PIA 2, le CGI a intégré, dans le remboursement à l’ADEME de ses frais de gestion, vingt-cinq équivalents temps plein (ETPT). Auparavant, les personnels qui étaient dédiés aux investissements d’avenir à l’ADEME étaient rémunérés sur la subvention budgétaire de l’établissement. Nous avions certes bénéficié d’un relèvement du plafond d’emplois en 2010-2011, mais ensuite, l’ADEME a restitué ces emplois. Quant à nos frais de gestion, ils correspondent aux frais d’expertise externe à l’ADEME.

Mme Fantine Lefèvre. Nos frais de gestion couvrent à la fois les salaires des vingt-cinq ETPT et les frais externes ponctuels facturés par des consultants.

M. François Moisan. Par rapport aux questions écrites que vous nous avez adressées, il importe que je lève une ambiguïté : dans les conventions qui ont été signées, il a toujours été stipulé la nécessité d’une expertise externe, complémentaire à celle de l’ADEME. Si bien que, pour chaque projet, nous faisons appel à un ou deux experts externes – même si l’ADEME a une expertise technique importante. L’avis des experts externes est communiqué au comité de pilotage.

Mme Eva Sas, rapporteure. Cela est-il exigé par le CGI ?

M. François Moisan. Par le CGI, les ministères et parfois par nous-mêmes. Il est des domaines, tels que les déchets, où nous avons une expertise qui n’existe pas forcément ailleurs. Dans d’autres domaines très pointus, notre expertise peut être complétée par une expertise externe. Et puis, il y a des domaines dans lesquels nous ne sommes pas du tout compétents, tels l’eau et la biodiversité. Nous avons alors également recours à cette expertise externe.

J’en viens aux évolutions de la dotation de l’agence depuis le PIA 1. Lors du premier PIA, la dotation était de 1 milliard d’euros pour le programme Véhicule et transport du futur et de 1,850 milliard pour les DTEE. Ce second programme se compose de trois actions : l’une en faveur des réseaux électriques intelligents, une autre en faveur de l’économie circulaire et une dernière sur les énergies décarbonées et la chimie verte. Des redéploiements de crédits ont été opérés en faveur du fonds Ecotech, à hauteur de 150 millions d’euros, et aussi en faveur d’autres opérateurs ou d’autres actions du PIA, en dehors de notre périmètre. Pour 2015, le redéploiement a été de 110 millions d’euros sur le programme Véhicule et transport du futur et de 50 millions d’euros sur le programme DTEE. Au total, sur les PIA 1 et 2, la dotation s’élevait, au 31 décembre 2015, à 1,01 milliard pour le programme Véhicule et transport du futur et à 1,96 milliard pour le programme DTEE.

Mme Eva Sas, rapporteure. Comment ces redéploiements vous sont-ils présentés ?

M. François Moisan. Ils procèdent de décisions du Premier ministre. Il est vrai qu’en attendant la montée en puissance du dispositif, notre dotation a pu paraître d’un montant très important. Je suis mal placé pour interpréter l’évolution des priorités de l’État au cours des cinq dernières années, mais je suppose que ces redéploiements visaient à un rééquilibrage de ces priorités.

Mme Eva Sas, rapporteure. Au Gouvernement, il nous a souvent été répondu que les redéploiements s’expliquaient par une sous-consommation des crédits, dont le montant ne semblait pas, de fait, répondre à un besoin.

M. François Moisan. L’état de nos dotations actuelles est de 1,9 milliard sur le programme DTEE et de 1 milliard sur le programme Véhicule et transport du futur, soit 2,9 milliards d’euros au total. Nous avons engagé 299 projets pour un montant de 1,5 milliard d’euros. Des projets déposés à l’ADEME sont en cours d’instruction, qui représentent 176 millions d’euros : ayant déjà été présélectionnés par l’Agence, le comité de pilotage et le CGI, ils ont de fortes chances d’aboutir. Enfin, 22 appels à projets sont actuellement ouverts, pour un montant de 452 millions d’euros sur le programme DTEE et de 968 millions sur le programme Véhicule et transport du futur. J’ignore à partir de quel moment on peut considérer qu’il y a sous-consommation des crédits.

Mme Fantine Lefèvre. Le PIA était un nouvel outil, tant pour l’État que pour ses bénéficiaires. Nos process ayant pu ralentir nos engagements budgétaires au cours des premières années du PIA 1, nous avons fourni un effort important pour les simplifier. Aujourd’hui, en 2016, nous avons 22 appels à projets ouverts, dont certains le sont jusqu’au début de l’année 2017, soit trois à quatre fois plus qu’au tout début du PIA. Il ne faut donc pas prendre la photographie de nos engagements budgétaires à l’heure actuelle mais tenir compte des perspectives de ces appels à projets très capitalistiques, du type fermes pilotes hydroliennes. Nous espérons que ces appels susciteront des dépôts de dossier par les entreprises françaises et que les lignes budgétaires correspondantes seront consommées. Pour nous, les perspectives pour 2016-2017 sont très encourageantes au regard du nombre et des thématiques des appels à projets ouverts.

Mme Eva Sas, rapporteure. Vous avez donc l’impression que le 1,4 milliard d’euros restant sera nécessaire pour les deux dernières années du PIA.

M. François Moisan. Nous sommes dans l’incertitude. Nous avons lancé de nombreux appels à projets, mais nous ne sommes maîtres ni du nombre de candidatures ni du rythme de dépôt des dossiers.

Vous parliez de sous-consommation des crédits. Il est vrai qu’il était prévu au départ, dans les conventions et les documents budgétaires, que nous dépensions chaque année à peu près un cinquième de la dotation initiale. Le temps nécessaire à la montée en régime des appels à projets a donc fait apparaître une sous-consommation des crédits au cours des premières années du PIA.

Mme Fantine Lefèvre. À l’issue d’un travail interministériel, nous avons proposé de nouvelles thématiques, telles que les routes du futur, pour lesquelles l’élaboration des projets demande du temps. Nous en verrons les résultats en 2016.

Parallèlement, nous avons engagé un très gros effort de promotion de ces appels à projets via l’ensemble de l’écosystème de l’innovation : nous nous appuyons sur les pôles de compétitivité et sur les fédérations professionnelles pour présenter nos appels à projets aux entreprises. Nous sommes à leur contact pour faire de la pédagogie sur les thèmes couverts par ces appels à projets et les modalités d’intervention proposées.

M. François Moisan. L’intervention en fonds propres, nouvelle pour nous, nous paraît un instrument très important dans le contexte actuel – dans le cadre du PIA 2 voire du PIA 3. Cela apporte des liquidités aux entreprises, qui en ont besoin. Un grand groupe disposant de la trésorerie nécessaire pour financer une recherche ne sera guère intéressé par l’avance remboursable – qui n’est pas un prêt puisqu’il n’y pas de remboursement en cas d’échec – mais qui est soumise à intérêts sur le capital à restituer par l’entreprise en cas de succès. On peut penser que certaines entreprises ont boudé le dispositif mais en réalité, elles ont été pragmatiques.

Mme Eva Sas, rapporteure. Les avances remboursables ont présenté pour elles des contraintes de dossier sans intérêt financier ?

M. François Moisan. Tout à fait. Nous avons notamment des relations très étroites avec Bouygues, mais cette entreprise n’a guère d’intérêt à solliciter une avance remboursable.

Mme Éva Sas, rapporteure. Mais c’est vous qui faites le choix d’accorder des subventions ou des avances remboursables ?

M. François Moisan. Non. Parmi les crédits qui nous sont alloués, une part est dédiée aux subventions, l’autre aux avances remboursables. Ensuite, le CGI, les ministères et le comité de pilotage souhaitent que nous accordions des avances remboursables dans le cadre de chaque projet, à l’exception des initiatives PME.

Mme Eva Sas, rapporteure. La proportion d’avances remboursables est fixée par le CGI au départ ?

M. François Moisan. Il y a entre 20 et 30 % maximum de subventions dans chaque projet. L’avance remboursable étant un dispositif plus complexe que la subvention, même si nous en avons simplifié les modalités de façon à limiter le temps de négociation avec l’entreprise, nous l’avons assujettie à des seuils. Par exemple, pour des projets de 1 million d’euros, avec un taux d’aide de 40 %, l’aide sera de 400 000 euros. Dans ce cas, elle prendra la forme non pas d’avances remboursables, mais de subventions. Souvent, dans les consortiums qui répondent aux appels à projets, il y a une ou deux grandes entreprises qui bénéficient d’avances remboursables et des PME, ainsi parfois qu’un ou deux laboratoires publics, qui reçoivent des subventions.

Mme Eva Sas, rapporteure. Pourquoi les avances remboursables vous paraissent-elles moins adaptées dans le secteur de la transition écologique que dans d’autres secteurs ?

M. François Moisan. Il y a, dans le champ de la transition écologique et énergétique, une très grande variété de filières industrielles et de types d’entreprises. Les avances remboursables fonctionnent bien dans certaines filières, moins bien dans d’autres, comme le bâtiment, pour des raisons liées au code des marchés publics. Si le maître d’ouvrage est public, ce n’est pas la collectivité que nous finançons mais le maître d’œuvre. Or il est difficile d’articuler un projet innovant avec l’appel d’offre d’une collectivité, car tant qu’une entreprise n’a pas obtenu le marché public qu’elle vise, on ne peut identifier de projet. Et si elle l’a obtenu, c’est sur la base d’un appel d’offre ne comportant pas d’innovation. Je cite ce cas pour illustrer les difficultés spécifiques à certains secteurs. Maintenant, je ne pense pas que les avances remboursables soient particulièrement inadaptées au domaine de la transition écologique et énergétique, car celui-ci recouvre des secteurs industriels très différenciés. Il me semble qu’il y a des avances remboursables dans l’aéronautique, mais ce secteur est assez différent du nôtre.

Vous nous avez demandé par écrit de vous fournir, pour chaque action, les montants engagés et le décaissé en instruction. Nous vous donnerons tous ces chiffres. Certaines filières du programme DTTE ont bénéficié de financements très importants, par exemple les énergies marines. Nous avons voulu aller du démonstrateur jusqu’à la dernière phase avant le marché, aussi avons-nous financé deux gros projets de ferme hydrolienne à hauteur de 50 millions d’euros chacun. L’accompagnement de l’investissement jusqu’à ce stade est une spécificité française, même si d’autres pays se sont impliqués dans des projets de ce type. Dans le PIA, c’est certainement une des filières qui a émergé avec des acteurs français, Alstom et DCNS en l’occurrence. Par contraste, le secteur du bâtiment n’a mobilisé que 5 % des crédits. Ensuite, il conviendrait de faire un bilan des engagements du programme par filière.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il est intéressant de constater que très peu de crédits ont été engagés dans le bâtiment, en dépit des enjeux de rénovation thermique et d’économies d’énergie.

M. François Moisan. C’est parce que nous visons uniquement des projets innovants.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il y a énormément d’innovations à apporter en matière d’efficacité énergétique.

M. François Moisan. Si nous avons rencontré des difficultés au début, il y a désormais dans le secteur du bâtiment des appels à projets qui fonctionnent bien, mais pour des montants peu élevés parce que nous ne finançons pas le bâtiment lui-même. Les chantiers de rénovation ayant encore un caractère artisanal, notre objectif actuel est de parvenir à une industrialisation des méthodes de construction et de rénovation, ce qui n’est guère coûteux, et non pas de réaliser des bâtiments à énergie positive puisqu’ils existent déjà. Nous finançons aussi quelques projets de matériaux de construction innovants. Nous avons vu récemment des projets très intéressants, mais les choses ont mis plus de temps à démarrer.

S’agissant du programme Véhicule et transport du futur, la route prend une part importante des engagements de crédits, mais c’est également le cas du ferroviaire, avec le TGV du futur.

Mme Fantine Lefèvre. Les appels à projets sont élaborés en interministériel, sur la base de feuilles de route et de notes d’opportunité rédigées par l’ADEME ou en partenariat avec l’ensemble des ministères concernés. Parfois, des propositions émanent des ministères en fonction des politiques publiques portées. Nous vérifions, avant de créer un outil spécifique, si les outils existants suffisent, auquel cas nous faisons des efforts de pédagogie pour expliquer où ils se trouvent. Dernièrement, nous avons élaboré une cartographie de la thématique du froid pour répondre aux attentes du ministère de l’écologie en la matière. L’une des forces de l’ADEME en tant qu’opérateur est de pouvoir s’appuyer sur sa propre expertise et sur sa vision des marchés. Il est donc plus facile pour nous de déterminer vers quelles thématiques il est nécessaire de s’orienter.

Mme Eva Sas, rapporteure. Pour déterminer les besoins des entreprises, vous appuyez-vous sur votre expérience des précédents appels à projets ?

Mme Fantine Lefèvre. Nous avons en interne une expertise qui nous permet de déterminer sur quelles technologies et sur quels marchés la France doit absolument se positionner au regard des perspectives de développement, et où est l’intérêt des acteurs français.

M. François Moisan. Avant les PIA et la mise en place du fonds démonstrateur, l’ADEME intervenait en soutien à la recherche et développement (R&D), en aval de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et, en continu, sur des projets de recherche en fonction de leur maturité, à des niveaux de qualification entre la recherche fondamentale et le marché. Le niveau 1 correspond à de la recherche très fondamentale et le niveau 9, au marché. Le PIA intervient aux niveaux 7 à 9 tandis que l’ANR intervient aux niveaux 1 à 3. Notre budget de, de l’ordre de 30 millions d’euros par an, nous permet de financer des recherches partenariales ou l’acquisition de connaissances, par exemple sur les problèmes de pollution, avec des entreprises et des laboratoires publics dans le cadre de projets situés plus en amont de ceux du PIA. C’est cette activité de recherche qui nous confère une connaissance des technologies et des entreprises.

Au moment du lancement du PIA et du fonds démonstrateur, nous avons rassemblé sur chaque thématique des experts externes. Par exemple, sur les réseaux électriques intelligents, qui étaient encore peu connus en 2008, nous avons sollicité les opérateurs de réseaux et les industriels – STMicroelectonics, Schneider électrique, Alstom –pour travailler ensemble sur leur vision du déploiement des réseaux électriques intelligents à l’horizon de 2050. Cette démarche nous permet d’identifier les verrous au déploiement d’une technologie et donc les aspects sur lesquels focaliser nos appels à projets. La note d’opportunité, elle, évalue s’il est opportun pour l’État d’intervenir, compte tenu de la situation des entreprises françaises de la filière : certaines ont pris un retard irrattrapable, d’autres apparaissent comme des champions qu’il serait opportun d’aider dans la compétition internationale.

Mme Eva Sas, rapporteure. Le CGI nous a, à ce propos, expliqué qu’il n’était pas opportun d’investir dans la production photovoltaïque dans la mesure où il n’y a pas de fabrication française.

M. François Moisan. Nous avons lancé des appels à projets dans la filière photovoltaïque, mais nous avons fini par intervenir, non pas dans la fabrication de cellules et de modules mais, en aval, dans leur intégration à différents dispositifs, et en amont, dans la fabrication du silicium. Un industriel qui ne ferait que de la fabrication de cellules et modules aurait, en effet, beaucoup de mal à trouver une place sur le marché, en France comme en Europe. En revanche, dans la filière du grand éolien, l’intervention se justifie. D’une part, parce que le pourtour maritime de la France est l’un des plus grands au monde et, d’autre part, parce que les industriels se sont positionnés sur ces technologies. C’est donc toujours en prenant en compte à la fois les enjeux de politique publique et les perspectives de marché en France ainsi que la dynamique de la compétition mondiale qu’on peut apprécier le bien-fondé d’une intervention de l’État. Ainsi, dans le domaine du captage et du stockage du CO2, les applications ne se feront pas tellement en France.

Mme Eva Sas, rapporteure. Existe-t-il des opportunités pour l’industrie française dans le domaine de l’efficacité énergétique, notamment en matière d’électroménager ?

M. François Moisan. Très peu d’industriels français font de la recherche en électroménager actuellement. Nous avons eu des projets en matière d’éclairage.

Mme Eva Sas, rapporteure. Qu’en est-il du chauffage ?

M. François Moisan. Dans la filière du chauffage, nous avons eu des projets de réseaux de chaleur innovants, mais peu de projets de dispositifs de stockage.

Mme Fantine Lefèvre. Dans les réseaux électriques intelligents, certaines combinaisons intègrent le chauffage.

M. François Moisan. De notre point de vue, la France se situe au premier plan mondial, avec le Japon, dans la filière des smart grids ou réseaux électriques intelligents. Nous avons expérimenté de nombreux démonstrateurs. J’entends souvent dire que la France est en retard dans le déploiement des compteurs intelligents. C’est peut-être vrai par rapport à d’autres pays qui les ont développés massivement, mais avec les expérimentations d’effacement de la demande et d’adaptation de la production d’énergie renouvelable à la demande que nous avons conduites dans différents démonstrateurs, la France dispose d’acquis techniques, et tant les grands groupes que les PME sont très bien placés au niveau international. C’est l’un des secteurs où l’action que nous avons pu conduire est une vraie réussite.

Mme Fantine Lefèvre. Pour améliorer nos process, nous avons simplifié et homogénéisé le contenu des dossiers à remplir, leurs modalités de dépôt et d’instruction et les modalités de contractualisation avec les bénéficiaires. Notre rythme est désormais bien cadencé et nous nous fixons un délai de trois mois entre la date de dépôt d’un dossier et la contractualisation. Deux instances interviennent dans l’instruction des dossiers. Un groupe de travail composé d’experts des ministères commence par examiner les dossiers, nous pose des questions. Après quoi, ces experts participent à une réunion d’expertise que nous tenons avec les bénéficiaires. Le groupe de travail propose alors au comité de pilotage une décision de financement ou de non-financement. Puis le comité de pilotage se détermine, et c’est le Premier ministre qui prend la décision. Notre travail de simplification a eu pour résultat une très forte diminution de nos délais d’instruction, de prise de décision et de contractualisation. Et nous cherchons constamment à optimiser nos process.

M. François Moisan. Nous tenons systématiquement le délai de trois mois entre la date de dépôt des dossiers et la décision de financement des projets. Reste encore la contractualisation, mais nos délais d’instruction ont, là aussi, été considérablement réduits.

Mme Fantine Lefèvre. Pour nous décider, nous nous appuyons essentiellement sur des critères d’innovation, de marché, de capacité financière des entreprises et de commercialisation des solutions proposées : nous ne finançons pas de projets innovants n’ayant pas de débouchés commerciaux, puisque la perspective est d’obtenir des retours financiers pour l’État.

Mme Eva Sas, rapporteure. Si seule la moitié de l’enveloppe de crédits a été consommée au bout de cinq ans, n’est-ce pas aussi parce que dans ce domaine, la rentabilité est plus difficile à trouver qu’ailleurs ?

M. François Moisan. Il y a a priori des incertitudes de marché. Les résultats peu élevés du Fonds Ecotech l’illustrent bien : mis en place pour faire émerger des PME et les accompagner dans leur développement, ce fonds n’a fait que neuf prises de participations en cinq ans. Cela dit, il doit de surcroît appliquer les règles prudentielles de la BPI.

L’ADEME est intervenue dans Alstom Offshore France pour la fabrication d’éoliennes offshore parce que, en tant qu’opérateur de la transition énergétique et écologique, elle a une vision du déploiement potentiel des filières que n’ont pas les banques. Nous constatons, par exemple, une évolution des coûts du photovoltaïque telle que cette technologie va être installée partout de façon importante, alors qu’il y a trois ou quatre ans, investir dans ce secteur paraissait encore très risqué. Cela explique que, contrairement au numérique, notre domaine nécessite des interventions de plus longue haleine.

Dans la filière de l’éolien offshore, les éoliennes de 6 mégawatts que nous avons développées avec Alstom ont vocation à répondre à des appels d’offre de la Commission de régulation de l’énergie ou dans d’autres pays. Notre accompagnement consiste en une intervention en capital dans la société, qui a répondu à un appel d’offre lié au projet Merkur Offshore, en Allemagne, et qui va exploiter ces éoliennes pour la première fois dans des conditions commerciales. À ce stade, le risque n’est plus vraiment technologique, mais les banquiers restent très réticents à accompagner un tel projet innovant alors qu’il existe d’autres technologies plus mûres. C’est pourquoi il nous paraît justifié que l’État accompagne les industriels au-delà de la recherche et développement. Nous y réfléchissons actuellement dans la perspective du PIA 3 car, selon nous, il ne s’agit pas seulement d’apporter un soutien à une entreprise à un moment donné, il faut pouvoir l’accompagner dans le temps.

Mme Eva Sas, rapporteure. S’agissant des outils de financement, le CGI a évoqué la notion de partage du risque pour les marchés sur lesquels le risque est plus important et la rentabilité incertaine. Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?

M. François Moisan. Il ne coule pas de source pour l’État d’intervenir en aval de la R&D. Dans le cadre du projet Merkur Offshore, en prenant une participation, ce n’est pas un risque technologique que nous couvrons mais un risque lié à une première exploitation commerciale, vis-à-vis duquel les investisseurs classiques se montrent réticents. Il me semble légitime et intéressant que nous puissions aller jusque-là si l’on veut que ces technologies se déploient, y compris au niveau international. Cela ne veut pas dire qu’il faille le faire systématiquement dans toutes les filières et partout. Il convient de déterminer à quels endroits il serait justifié que l’État intervienne de façon continue. Après, il est vrai qu’il existe des tarifs d’achat de l’énergie renouvelable. Normalement, si ces technologies n’étaient pas innovantes, elles devraient être finançables par l’emprunt et les fonds propres des entreprises, mais ce n’est pas toujours le cas.

Mme Fantine Lefèvre. En quelques mots, les critères d’éco-conditionnalité sont définis sur la base d’une méthode élaborée par le Commissariat général au développement durable et connue de l’ensemble des ministères avec lesquels nous travaillons. Ces critères ne posent guère de difficultés d’application à ce stade.

S’agissant de l’évaluation des interventions de l’État dans le cadre du PIA, deux démarches complémentaires vont être lancées : une analyse économétrique des effets du régime d’aide et une évaluation ex post des résultats. La première, réalisée à la demande de la Commission européenne, comparera deux échantillons de référence, l’un de bénéficiaires du PIA, l’autre de non-bénéficiaires. La seconde analysera, bénéficiaire par bénéficiaire, les résultats en termes de chiffre d’affaires, d’évolution des effectifs et autres éléments permettant d’évaluer l’impact du PIA sur l’entreprise dans le cadre du développement de son projet. Les projets durant plusieurs années, peu d’entre eux sont terminés ; les retours financiers et le remboursement des avances remboursables commencent cette année, et nous en avons peu. Nous avons un objectif de 50 % de remboursements des avances remboursables mais il est bien trop tôt, à ce stade, pour avoir des statistiques, car les projets sont encore en cours.

M. François Moisan. Nous avons des doutes quant à la pertinence d’une approche économétrique dans des secteurs comme l’automobile, qui compte deux constructeurs et trois équipementiers, ou le secteur naval. Mais cette analyse économétrique nous ayant été demandée par la Commission européenne lorsque nous avons renouvelé notre système d’aides, nous nous exécuterons. Parallèlement, nous allons tester cette année une méthode d’évaluation ex post.

Un point est très important pour nous dans le dispositif des avances remboursables. Comme nous avons été conduits à mettre les industriels en compétition sur leurs perspectives de marché et leur plan d’affaires, nous avons une certaine visibilité, à l’horizon de 2020, de l’activité en termes de chiffre d’affaires et des emplois attendus. C’est pour nous une source d’informations, même si on peut la critiquer.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il vous faut pouvoir vérifier si leurs hypothèses se réalisent.

M. François Moisan. Nous essayons de voir si elles sont réalistes dans le cadre de la négociation financière. De fait, à cette occasion, nous avons une appréciation des perspectives des entreprises, que nous n’avons pas lorsque nous accordons des subventions à la recherche.

Mme Eva Sas, rapporteure. Si vous deviez adapter des outils du PIA aux besoins spécifiques de ce secteur, quelles orientations pourriez-vous dégager ?

M. François Moisan. D’abord, il faut de la persévérance et de la continuité. Dans le cadre des 22 appels à projets, beaucoup de dossiers sont encore à venir. Il faut laisser des temps de respiration aux industriels. Il y a deux ans, certains n’avaient plus d’ingénieurs à mettre sur les projets ; ils sont revenus nous voir plus tard.

Ensuite, il faut veiller au continuum du processus. Nous avons d’abord lancé le fonds Ecotech, qui était censé couvrir une certaine phase de développement des PME mais qui, se référant à une thèse d’investissement très prudentielle, ne répondait pas forcément aux ambitions de la transition écologique et énergétique. Il y a eu aussi des SPV qui peuvent accompagner des entreprises au plus proche du marché. Or il nous semble qu’il y a des trous dans la raquette entre l’amorçage et les différentes étapes de développement des projets. Avec les initiatives PME, nous avons constaté l’intérêt de nombreuses petites entreprises, que nous n’avions pas vues au départ et qui pourraient être très prometteuses pourvu qu’on accepte de prendre le risque de les accompagner en fonds propres. Pour avoir travaillé sur les scénarios de la transition énergétique avant le vote de la loi du 17 août 2015, nous avons identifié des filières et des technologies qui devraient se développer en France et au profit desquelles il est légitime que l’État prenne des risques.

Mme Eva Sas, rapporteure. À quelles filières pensez-vous en particulier ?

M. François Moisan. Outre l’éolien, il y a les réseaux électriques intelligents dont on a notamment testé les plans d’affaires. La difficulté actuelle pour les opérateurs du secteur est de déterminer comment sera répartie la valeur ajoutée créée grâce à l’effacement de la demande des consommateurs.

Les démonstrateurs que nous finançons actuellement ont montré que chez les ménages équipés de chauffage et chauffe-eau électriques, l’effacement obtenu pourrait être de l’ordre d’un kilowatt de puissance sur les six à neuf kilowatts de leur abonnement, soit au moins 10 % de la puissance appelée. Avec la pénétration croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique, l’adéquation entre l’offre et la demande d’énergie pourra être obtenue, soit par le stockage de ces énergies dans des stations de pompage – mais cette solution est encore chère –, soit par l’effacement, qui permet de flexibiliser la demande et qui est moins coûteux. Ce procédé est déjà utilisé pour les chauffe-eau électriques, qui se rechargent la nuit, au déclenchement d’un signal tarifaire, mais, compte tenu du nombre important de ménages qui se chauffent à l’électricité, on peut aller beaucoup plus loin dans l’effacement. Il peut aider à accroître la part des énergies renouvelables variables dans le mix énergétique sans que l’on ait besoin de recourir à des stockages coûteux avant que cette part n’atteigne des taux de pénétration de l’ordre de 40 %.

Les réseaux électriques intelligents forment une filière qui répond à des besoins en France et dans laquelle nous pouvons aller encore plus loin puisqu’elle compte de nombreuses entreprises. En son sein va notamment se développer un nouveau métier, celui d’agrégateur, sur lequel se positionnent des industriels comme Veolia, dont l’objet est d’agréger les millions de ménages et entreprises tertiaires dont la demande va être effacée. La valorisation de cet effacement sur un marché est l’un des thèmes de recherche sur les réseaux électriques intelligents.

Dans presque toutes les filières, il reste des choses à faire. La phase commerciale, en aval du développement, nous semble un élément important, car les appels d’offre et les mécanismes d’achat ne sont pas dimensionnés en fonction du volume des dépenses d’investissement de capital (CAPEX) ni de la nécessité d’endettement des porteurs de projet. En outre, les banques n’accompagnent pas les projets trop innovants.

Mme Eva Sas, rapporteure. Quel outil financier serait, selon vous, adapté pour remplir le rôle du chaînon manquant avant qu’un projet ne devienne rentable ?

M. François Moisan. Certains dispositifs, tels les fonds d’amorçage, existent déjà, qui permettent d’accompagner des start-up, à l’instar des initiatives PME. Nous discutons avec le CGI pour déterminer quels seraient ceux dont la thèse d’investissement serait la plus adaptée aux acteurs du système.

Mme Eva Sas, rapporteure. Il conviendrait donc d’adapter les outils existants.

M. François Moisan. En tout cas, ceux dont la thèse d’investissement est très prudentielle et inadaptée aux acteurs du secteur.

Mme Fantine Lefèvre. Il nous semble notamment qu’il n’y a pas, à ce jour, assez d’acteurs suffisamment diversifiés dans le domaine du capital-risque. Un monopole dans cette activité ne laisse place qu’à une seule thèse d’investissement, ce qui risque d’évincer les projets les plus risqués. Il ne s’agit pas de prendre des risques démesurés dans la prise de participation à certaines entreprises, mais de mieux qualifier le risque au regard des spécificités de chacune des filières, ce qui demande une connaissance fine des marchés et une expertise technique. Notre réflexion sur le capital-risque, c’est qu’il doit être diversifié pour mieux couvrir l’ensemble des besoins.

Mme Eva Sas, rapporteure. Que pensez-vous de l’action de la BPI dans ce secteur ?

M. François Moisan. Dans le cadre du fonds Écotechnologie, la BPI a une thèse d’investissement très prudentielle. Et je pense qu’elle considère avoir rempli sa mission puisque certaines des sociétés dans lesquelles elle a investi sont maintenant cotées en bourse. La logique de ce fonds consiste effectivement à réussir l’investissement financier et à avoir un retour sur investissement. Telle est aussi la logique de l’investisseur avisé.

Toutefois, un investisseur avisé, s’il est dans les mêmes conditions qu’un investisseur privé – sinon ses investissements seraient requalifiés comme aides d’État –, peut prendre plus ou moins de risques. Encore une fois, de notre point de vue, la BPI applique une règle très prudentielle. Nous considérons plutôt que ses interventions relèvent de la politique industrielle, l’objectif étant que la BPI prenne des risques pour que des entreprises françaises soient présentes dans un secteur donné, non pas au détriment des retours financiers mais en apportant des nuances à sa thèse d’investissement. Si l’on n’a pas d’ambition de politique publique, que l’on soutienne du numérique, des biotechnologies ou des écotechnologies, on peut considérer que ce seront les opérations innovantes les plus sûres qui émergeront en France. Mais à l’ADEME, nous estimons qu’il faut viser les objectifs de la transition énergétique, qui découlent de la COP21 et qui, de toute façon, à terme, s’imposeront à nous. Nous savons que certaines technologies ont leur chance d’être développées. Le risque à prendre n’est donc pas forcément du même ordre mais reste avisé. Cela dit, le caractère avisé des uns n’est peut-être pas tout à fait le même que celui des autres.

Mme Fantine Lefèvre. Pour résumer, il importe d’assurer un continuum entre modes de financement, en mettant l’accent sur les fonds propres, le capital-risque et le soutien au premier de série. Mais tous les projets ne répondent pas à un seul outil, et il faut aussi proposer des subventions et des avances remboursables. Le continuum doit être assuré sur l’ensemble des filières que nous avons déjà pu aider. Certaines entreprises qui, dans un premier temps, auront eu besoin de fonds d’amorçage, nécessiteront, en grandissant, un soutien de financement au fur et à mesure de la maturation de leurs projets. Voilà ce que nous recherchons : assurer à la fois la diversité des modes de financement et ce continuum au service des entreprises qui rentrent dans la transition écologique et énergétique.

Mme Eva Sas, rapporteure. Je vous remercie beaucoup pour vos interventions.

——fpfp——