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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mardi 9 février 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Nicolas Sansu, rapporteur

La transparence et la gestion de la dette publique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Renaud Duplay, sous-directeur, première sous-direction de la Direction du budget, et de Mme Cécile Maysonnave, adjointe au chef de bureau, Bureau des lois de finances.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Le 20 janvier 2016, la commission des Finances a décidé la création d’une mission d’évaluation et de contrôle sur la transparence et la gestion de la dette publique – dont je rappelle qu’elle s’élevait à la fin du troisième trimestre 2015 à 2 103 milliards d’euros. Comme il est d’usage, la MEC associe majorité et opposition afin de rechercher des propositions consensuelles. Pour vous entendre, nous sommes donc trois rapporteurs : Jean-Claude Buisine, du Groupe Socialiste, républicain et citoyen, Jean-Pierre Gorges, du groupe Les Républicains, et moi-même, qui appartiens au Front de gauche.

Cette mission d’évaluation et de contrôle fait suite à un travail que j’avais mené l’année dernière en tant que rapporteur d’une proposition de résolution européenne relative aux dettes souveraines des États de la zone euro.

M. Renaud Duplay, sous-directeur de la première sous-direction de la Direction du budget. Je voudrais d’abord replacer notre intervention dans son contexte institutionnel. Le directeur général de l’Agence France Trésor (AFT), Anthony Requin, devait initialement participer à cette audition, mais les agendas des uns et des autres ont rendu impossible sa présence aujourd’hui. Le sujet de la dette intéresse évidemment la direction du budget, et nous sommes impliqués dans un certain nombre de processus. Mais nous nous sommes peut-être ceux qui, au sein du ministère des finances, sont les moins savants sur les questions de dette. Nous ne nous occupons pas, en effet, de la politique d’émission, de la gestion et du contrôle de la charge de la dette.

Nous serons donc sans doute amenés à renvoyer certaines questions vers le directeur général de l’AFT, ce dont je vous prie par avance de m’excuser.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Aujourd’hui, notre pays est en déficit structurel depuis quarante ans, et nous ne pouvons plus rembourser la dette accumulée. Ce que nous voulons comprendre, c’est comment cette dette s’est constituée, année après année, et ce qui l’alimente. Je compare souvent la dette au cholestérol : il y a le bon et le mauvais cholestérol ; de la même façon, une dette née d’investissements que l’on peut rembourser, ce n’est pas grave.

Cette somme globale de 2 103 milliards comprend la dette de l’État, la dette des collectivités territoriales, la dette de la Sécurité sociale. Mais les collectivités territoriales remboursent, elles, leurs dettes. Il faut donc éviter les amalgames.

Nous voulons aussi comprendre comment la dette est gérée, ce qu’elle nous coûte et surtout qui la détient : les événements grecs nous ont bien montré que c’est celui qui détient la dette qui fait la loi dans un pays.

Nous souhaitons faire des recommandations et alerter les responsables – ce n’est pas une histoire de gauche ou de droite : les alternances ont été nombreuses en quarante ans, mais la dette a continué de croître. C’est un sujet qui ne devra pas échapper au débat politique de 2017 car à ce rythme, en 2020, nous aurons atteint un point de non-retour.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Y a-t-il, à votre sens, des raisons de maintenir à l’article L. 228-2 du code du commerce qui opère une distinction entre les émetteurs d’action et les émetteurs d’obligation, en ce qui concerne les informations qu’ils peuvent obtenir du dépositaire central ?

M. Renaud Duplay. Sur ces points, je vais malheureusement vous décevoir car ces questions relèvent de l’AFT. C’est elle, en effet, qui gère les actifs, et pourra donc notamment vous apporter des éléments sur les détenteurs de la dette.

Au sein du ministère des finances, la direction du budget est chargée de coordonner la préparation du budget de l’État. C’est un processus par essence interministériel, puisque chaque ministère – à différents niveaux, avec l’arbitrage in fine du Premier ministre – discute des moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques. Nous sommes donc les principaux artisans de ce document et de ses quelques milliers de pages d’annexes.

La charge de l’intérêt de la dette est l’une des lignes de dépenses les plus importantes de l’État : elle représente un peu moins de 50 milliards d’euros chaque année, en diminution d’ailleurs grâce aux bas niveau des taux d’intérêt.

La direction du budget s’attache donc à assurer une bonne budgétisation de cette ligne. L’AFT, gestionnaire de la dette, est en quelque sorte l’équivalent d’un ministère – la relation de négociation n’est évidemment pas la même qu’avec d’autres ministères, puisque la charge de la dette s’impose à nous. L’AFT cherche à en optimiser le coût et les travaux menés au cours des dernières années ont largement contribué à la maîtrise du coût de la dette que l’on peut constater aujourd’hui.

Inversement, la direction du budget apporte à l’AFT le montant du déficit budgétaire, qui constitue un élément essentiel de la définition du programme de financement de l’État. Ce programme est en effet construit en fonction principalement des dettes à refinancer et des nouvelles dettes malheureusement nécessaires pour financer le déficit budgétaire. Il y a donc une sorte de boucle de rétroaction : nos travaux de budgétisation produisent un déficit budgétaire, et l’AFT nous communique le montant prévisible de la charge de la dette.

L’AFT est donc le gestionnaire de la dette. Ses responsables décident de la stratégie de financement et d’émission. Ils sont les mieux à même d’évaluer l’évolution probable de la charge de la dette, car ils sont bons connaisseurs des conditions envisageables de financement.

Nous interagissons également sur la question de la mutualisation des trésoreries : la direction du budget, en tant que tête de réseau d’un ensemble d’organismes, assure le dépôt de l’ensemble des liquidités des établissements publics auprès du Trésor, afin de faciliter le financement de l’État par l’AFT.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Quel est aujourd’hui le risque d’une dérive des coûts de la dette ? J’imagine que la direction du budget établit des prévisions, et même des simulations : il serait intéressant que nous disposions de ces documents.

Combien coûte le fonctionnement de ce « ministère de la dette » qu’est l’AFT ? Dans certains pays, la gestion de la dette est complètement externalisée, dans d’autres elle est complètement internalisée ; nous sommes dans une sorte d’entre-deux, si je comprends bien : quel est le budget de l’Agence, et comment évolue-t-il ? La gestion de la dette coûte-t-elle de plus en plus cher ?

Nous vous transmettrons sans doute des questions très précises par écrit, sur le coût des salaires de l’AFT, et par exemple d’éventuels allers-retours avec le secteur bancaire, par exemple. Nous aimerions en effet comprendre aussi comment la direction du budget travaille sur le budget de l’AFT.

M. Renaud Duplay. L’Agence France Trésor est un service du ministère des finances, inclus dans la direction générale du Trésor. Je ne dispose pas ici du niveau précis des effectifs, mais c’est une petite structure : c’est plutôt une structure d’état-major, qui pilote la stratégie de la dette, en lien avec des conseils. J’essaierai d’obtenir ces données et de vous les communiquer, mai le coût humain de la gestion de la dette par l’AFT est très faible.

Il ne faut pas oublier le réseau du Trésor, réseau d’une grande efficacité qui dépend de la direction générale des finances publiques (DGFiP). L’ensemble des comptables publics déposent en effet leurs liquidités auprès du Trésor – c’est une obligation légale. Ce réseau a un coût, bien sûr, mais il a bien d’autres fonctions : en particulier, il recouvre l’impôt et tient la comptabilité des collectivités territoriales. J’insiste ici sur son importance comme réseau centralisateur d’une trésorerie qui permet à l’AFT d’effectuer son métier d’optimisation de l’actif : nous n’avons pas de trésoreries dormantes, qui augmenteraient notre endettement brut et donc le coût du financement de la dette. Nous ne sommes pas dans la situation des pays, nombreux, où les trésoreries, souvent déposées dans le réseau des banques primaires – ce qui peut être une méthode pour soutenir le commerce –, sont très fragmentées. Cette concentration est facteur d’efficacité, et la gestion de la trésorerie par l’AFT se veut active. Ayant moi-même exercé le métier de conseiller des pays étrangers sur leur gestion financière, je peux vous assurer que le monde nous envie ce dispositif associant le réseau du Trésor et l’AFT.

L’AFT est donc un service du ministère, avec lequel nous construisons le projet de loi de finances. Notre relation n’est pas la même qu’avec d’autres ministères – si vous me permettez l’expression – dépensiers.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. La dette globale de 2 103 milliards d’euros que nous citions tout à l’heure est répartie entre dette de l’État, dette des collectivités territoriales et dette de la Sécurité sociale. La trésorerie est effectivement centralisée, mais chacun gère son endettement comme il l’entend. Cela pose d’ailleurs un problème aux collectivités territoriales dans leurs relations avec les banquiers : ceux-ci ne comprennent pas que l’on leur demande des prêts sans déposer d’argent auprès d’eux – c’est pourtant ainsi qu’ils gagnent de l’argent… Vous bénéficiez donc de la trésorerie, mais ce n’est pas le cas des collectivités territoriales, dont pourtant les comptes sont en équilibre – et qui payent leurs dettes.

Les frais financiers sont d’environ 46 milliards pour cette année. Mais quelle est, dans ces intérêts, la part imputable à la dette de l’État ? Pouvez-vous d’ailleurs nous confirmer, pour cette dette proprement dite, le chiffre de 1 600 milliards ?

Il est important pour nous d’évaluer précisément le coût de l’argent. Quand la charge de la dette diminue, on a l’impression que la dette diminue, et que ce n’est pas grave d’être en déficit, mais c’est faux ! L’encours de capital continue d’augmenter. C’est le piège de la dette : un retournement pourrait nous coûter 15 ou 20 milliards.

Quelle est la fragilité de cette dette ? Qui détient aujourd’hui la dette de la France ? La dette des collectivités territoriales est très bien connue, chaque collectivité a ses interlocuteurs ; il me semble que ce n’est pas le cas de la dette de l’État.

M. Renaud Duplay. Je suis à nouveau désolé de vous renvoyer à l’AFT qui saura notamment vous exposer qui détient notre dette. Ce sont d’ailleurs des données en partie publiques. La dette de l’État s’élève en effet à 1 600 milliards d’euros environ. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) fournit de nombreuses données, en comptabilité nationale : dette des administrations publiques confondues, ce qui comprend la dette de l’État, mais aussi d’autres, celle de l’UNEDIC, par exemple. On y trouve un niveau de charge d’intérêt qui sera l’intérêt consolidé des administrations publiques. Je souligne la distinction entre comptabilité budgétaire et comptabilité nationale. Celle-ci ne tient pas compte exactement des mêmes faits générateurs ; elle ne comptabilise pas non plus tous les flux de cash, certains sont lissés dans le temps. Les normes variant, les données varient également.

S’agissant des dépôts des collectivités territoriales auprès du Trésor, c’est une sorte de contrepartie de l’avance de trésorerie consentie par l’État sur la fiscalité locale : celle-ci est recouvrée, je le rappelle, par les services de l’État, en fin d’année mais les sommes sont mises à disposition des collectivités territoriales, sur la base de prévisions, dès le mois de janvier, par douzièmes provisoires. Il y a donc une obligation de dépôt par les collectivités territoriales, mais celle-ci trouve sa contrepartie dans l’obligation de moyens de l’État. Vous vous interrogerez peut-être sur l’équilibre de cette relation, mais en tout cas elle n’est pas à sens unique.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Comment évoluent les dépenses et les recettes de l’État depuis 2002 ? Pouvez-vous distinguer, au sein des recettes, ce qui relève notamment de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés, de la TVA… ?

M. Renaud Duplay. Nous pourrons vous faire parvenir ces données, qui sont évidemment publiques, puisqu’elles figurent dans les lois de règlement.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Il faudrait à mon sens aller plus loin. Notre système est à la dérive depuis quarante ans, remontons jusqu’à 1974, dernière année où notre budget a été à l’équilibre ! L’année 2002, c’est une date électorale.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. C’est aussi une date qui a un sens d’un point de vue économique.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. La date de 1974 me paraît également préférable. En 2002, il n’y a déjà plus de rémunération excessive des détenteurs de la dette. Il y a eu des années, en revanche, où certains ont gagné énormément d’argent – un rapport sénatorial de 1998 avait bien souligné ce phénomène, relevé aussi par Gilles Carrez dans son rapport de 2010. Nous touchons là à ce que l’on appelle la « dette illégitime ». Il est donc important de connaître, année par année, le montant de la dette, mais aussi la rémunération des détenteurs de cette dette.

Certaines études estiment à 600 milliards d’euros la dette que l’on aurait pu éviter si les taux d’intérêt n’avaient pas été excessifs. C’est une question cruciale.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. C’est à partir d’une loi votée sous Georges Pompidou que la France a financé son endettement par le recours aux marchés, plutôt que grâce à sa banque centrale. Aujourd’hui, les banques privées vendent de l’argent à l’État… Or ce sont des intermédiaires qui coûtent très cher. Il faut le mettre en évidence ! Ne pourrions-nous acheter l’argent un peu moins cher à la banque centrale ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. En effet, en 1973, on change de modèle. Quelles sont les conséquences de cette dérégulation sur la rémunération des détenteurs de la dette ? Nous voulons comprendre comme cette « boule de neige » des déficits excessifs s’est construite : pour cela, il nous faut une analyse sur le temps long. Il y a certes des déficits excessifs, mais ils ont, j’en suis persuadé, été amplifiés par des mécanismes financiers.

Tout cela est d’autant plus compliqué qu’aujourd’hui, la France place parfois sa dette à des taux d’intérêt négatifs – qui ne peuvent pas durer.

J’avais abordé ces questions dans mon rapport sur la proposition de résolution européenne que j’ai cité, mais ce n’était pas facile, puisque l’Agence France Trésor n’avait pas voulu venir devant nous… Cette fois, elle viendra.

M. Renaud Duplay. Je vous propose de formuler vos demandes par écrit, afin que leur champ et leur portée soient parfaitement précisés.

S’agissant de la politique monétaire, elle relève de la direction du Trésor, voire de la Banque de France.

S’agissant des données budgétaires, je me permets d’insister sur l’importance d’utiliser des données statistiques, c’est-à-dire conçues pour être comparables sur la longue durée, et qui englobent le périmètre le plus large. Nous pouvons également fournir des données budgétaires, mais celles-ci seront méthodologiquement plus hétérogènes : en particulier, ce qui relève de l’État, des collectivités territoriales, des comptes sociaux évolue au cours du temps. Des décisions politiques – la décentralisation, mais aussi les allégements de charges sociales compensées par l’État, par exemple – font évoluer les périmètres. La seule lecture des budgets successifs peut donc être difficile, et poser des problèmes d’interprétation. J’insiste enfin sur la rupture représentée, en termes de présentation du budget, par l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Les changements de périmètre peuvent avoir des conséquences importantes pour les politiques publiques. Ainsi, les collectivités territoriales payent leur dette, et si les dépenses étaient plus fortement régionales, elles seraient naturellement couvertes, puisque les régions ont l’obligation de présenter des comptes équilibrés – contrairement à l’État, qui vit en déficit depuis quarante ans. La dette de l’État est devenue pour tous les politiques une variable d’ajustement : tous les programmes politiques présentés lors d’une élection présidentielle sont financés par de la dette !

Il serait bon de pouvoir relier, sur quarante ans, des événements politiques comme la décentralisation à l’évolution de la dette. Les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales varient en effet de façon importante, et cela peut avoir des conséquences sur la dette.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Il nous faudra en effet être attentifs aux variations des périmètres. Je note, mon cher collègue, que la décentralisation n’a pas fait diminuer la dette de l’État, bien au contraire.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Par ailleurs, les critères de Maastricht sont importants, mais ne pourrait-on pas les assouplir ? Ainsi, la France a des dépenses de défense plus élevées que la plupart de ses partenaires : ne pourrait-on pas faire sortir ces sommes du total pris en compte pour calculer si elle rentre dans les clous des fameux critères ?

M. Renaud Duplay. Les questions que vous abordez sont politiques, et je ne me permettrai pas de me prononcer sur le fond.

La dette existe. Il est bien difficile de l’attribuer à telle politique publique, à telle décision précise, de dire ce qui précisément est à l’origine de tel montant de dette, même si c’est une question bien compréhensible.

S’agissant des dépenses de défense, je souligne que le coût des opérations extérieures (OPEX) est finalement assez marginal, autour d’un milliard d’euros, c’est-à-dire 0,05 point de PIB. Il faut donc mettre ces dépenses en regard d’autres que nos partenaires pourraient à leur tour vouloir faire sortir de la comptabilité au sens de Maastricht – le coût de l’accueil des migrants, par exemple. Chaque pays a ses propres politiques publiques : subies ou choisies, il revient à la représentation nationale d’en décider.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Quel est le regard de la direction du budget sur la gestion de la dette ? Y a-t-il en la matière un point de non-retour ?

M. Renaud Duplay. Je vais à nouveau vous décevoir.

La question du point de non-retour a été abordée par de très nombreux économistes. Je n’ai pas d’expertise précise sur ce sujet. C’est de toute façon quelque chose de difficile à définir, et à évaluer : si un tel point de non-retour existe, il résulte à coup sûr de facteurs multiples, et non du seul niveau d’endettement. Ainsi, l’endettement du Japon est très élevé, mais ce pays se finance sans problème. Les États-Unis disposent bien d’un plafond légal de dette, mais ils le relèvent très régulièrement…

Quant au jugement sur la gestion, il ne m’appartient pas de me prononcer sur la qualité de la gestion de l’AFT. Il me semble, encore une fois, que c’est un système plutôt envié par nos principaux partenaires.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Vous défendez vos collègues, c’est la moindre des choses.

Nous aimerions également que vous récapituliez, année par année, les recettes fiscales. En effet, si l’on vote une loi que l’on appellerait par exemple « travail, emploi, pouvoir d’achat » (TEPA), et que l’on diminue les impôts des plus riches, cela gonfle-t-il la dette ? Si l’on se prive de recettes fiscales, la dette augmente… Il y a des déficits excessifs, mais il y a des déficits qui sont parfois organisés, de manière volontaire ou involontaire. C’est aussi un phénomène que j’avais constaté en travaillant sur les dettes souveraines. Nous aimerions ainsi faire apparaître les différents mécanismes de construction de la dette.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Ce que nous voulons, c’est mettre en évidence les événements importants : la progression de la dette depuis quarante ans n’est pas linéaire. Il faut aussi faire la part du structurel et du conjoncturel, ce qui n’est pas simple.

Bien sûr, un pays comme la France – dont les ménages détiennent quelque 4 500 milliards d’actifs financiers – pourrait sans problème supporter une dette de 1 600 milliards. Le problème, c’est que l’on ne rembourse plus : jusqu’où cela peut-il durer ? Il faut que les politiques prennent de vraies décisions. Or tous les programmes politiques promettent des baisses d’impôt… Ici même, dans cette salle, les mêmes proposent d’un côté de diminuer la TVA et de l’autre de faire baisser la dépense publique de 100 milliards !

Peut-on marquer les moments forts où la dérive s’amplifie ? Notre situation ne tombe pas du ciel. Les seuls responsables, ce sont les politiques.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Combien la France a-t-elle payé d’intérêts, et combien a-t-elle remboursé de principal depuis 1974 ? Quelle est la part des intérêts dans la composition de la dette publique actuelle ? Pourriez-vous mettre ces chiffres en parallèle avec la croissance de la dette publique depuis 1974 ?

M. Renaud Duplay. Ce sont là des questions de politique budgétaire : il faudrait les poser à M. le ministre, car elles vont bien au-delà de ma mission.

Je peux néanmoins apporter quelques éléments méthodologiques pour votre projet d’associer la progression de la dette à des actions politiques, c’est-à-dire faire le départ entre ce qui relève de décisions et ce qui relève de la conjoncture. Quand, en 2009, la récession survient, on s’attend naturellement à ce que les recettes plongent tandis que certaines dépenses, notamment des dépenses sociales, qui sont des stabilisateurs automatiques, augmentent. Dès lors, le déficit augmente et la dette également. Mais la dette peut également augmenter sous l’effet d’autres facteurs : reprises de dettes, par exemple. Certains pays confrontés à une crise de la dette – le Portugal ou la Grèce – n’avaient pas seulement des déficits excessifs : ils avaient aussi des dettes qui sont réapparues et ont dû être reconsolidées dans leur dette publique. Ce qui était soutenable a alors cessé de l’être.

L’analyse que vous appelez de vos vœux se heurtera à tous les problèmes de périmètre que j’évoquais : il est extrêmement délicat de distinguer, ne serait-ce que d’une exécution à l’autre, les effets de données économiques – croissance, chômage, prix du pétrole… –, de décisions politiques – telle ou telle variation de la législation fiscale, évolution des effectifs et des rémunérations de la fonction publique, investissements de transport ou programmes d’armement… – et d’événements exogènes ponctuels – catastrophes naturelles…

Des travaux européens sont menés pour essayer de mesurer un déficit structurel, qui serait isolé de l’effet d’événements ponctuels. Cette construction d’une donnée statistique permettrait d’évaluer l’effort structurel de chaque pays : les politiques contribuent-elles à diminuer, ou au contraire à renforcer, le déficit structurel ?

J’invite surtout à une grande prudence sur l’interprétation des données brutes d’exécution budgétaire. Il est bien difficile de faire le départ entre ce qui relève de la politique d’un gouvernement et de ce qui relève de facteurs exogènes. Il y a de plus des problèmes classiques d’effets retours : ainsi, un stimulus provoque de la croissance et améliore les recettes. Il s’agit donc d’un débat général sur la politique budgétaire.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Nous allons vous poser des questions par écrit. Mais nous vous avions fait parvenir un questionnaire, et la question des intérêts versés depuis 1974 y figurait ; or ce n’est pas une question de politique budgétaire ! C’est le résultat d’un calcul. Nous aimerions ne pas ressortir de cette audition sans aucune donnée chiffrée.

M. Renaud Duplay. Je peux vous donner un chiffre, mais sous toutes réserves.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Nous aurons au moins un ordre d’idées…

M. Renaud Duplay. La France aurait versé un peu plus de 1 200 milliards d’euros en intérêts entre 1975 et 2014, toutes administrations publiques confondues. Je pense qu’il s’agit de données courantes.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Il nous faudra reprendre les calculs pour avoir des euros constants.

J’aimerais aussi revenir sur les rémunérations, dans le passé. Nous sommes aujourd’hui encore, globalement, bien au-delà de l’inflation, ou du livret A. Mais certaines années, la rémunération a été trois, voire quatre points supérieure à l’inflation.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Des gens se sont enrichis, cela ne fait aucun doute. Et certaines décisions, prises avant 1974, doivent peut-être être remises en cause. Ce sont des décisions politiques…

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Madame, monsieur, merci. Nous vous transmettrons des questions écrites, et nous souhaitons recevoir des réponses précises.

——fpfp——