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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 9 mars 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Nicolas Sansu, rapporteur

La transparence et la gestion de la dette publique

– Audition de M. Patrice RACT MADOUX, président de la CADES et de Mme Geneviève GAUTHEY, inspecteur des finances publiques.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. La mission d’évaluation et de contrôle poursuit ses travaux avec l’audition du président de la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale), M. Patrice Ract Madoux, qui est accompagné de Mme Geneviève Gauthey, inspecteur des finances publiques.

M. Patrice Ract Madoux, président de la CADES. Nous vous présentons de nombreux chiffres dans notre Powerpoint auxquels je me contenterai d’apporter quelques commentaires supplémentaires.

Il faut tout d’abord préciser qu’avec environ 339 milliards d’euros en recettes et 348 milliards en dépenses pour 2015, le budget de la Sécurité sociale est plus conséquent que le budget de l’État qui s’élevait pour la même année à 302 milliards d’euros en dépenses et à près de 229 milliards en recettes. Pour autant, en fin d’année 2016, le déficit de l’État devrait atteindre plus de 72 milliards d’euros, alors que le déficit social, que l’on qualifie toujours d’abyssal, serait d’une dizaine de milliards d’euros seulement. Il n’est donc pas incurable, à mon sens - comme je vais tenter de vous le démontrer.

Tous ces financements sont encadrés par les lois de finances, pour l’un, et les lois de financement de la sécurité sociale, pour l’autre. Les premières ne définissent que le niveau d’endettement possible pour la dette négociable de l’État à moyen et long terme – soit de 60,5 milliards d’euros en 2016. En revanche, le Parlement vote chaque année trois références pour la Sécurité sociale : l’objectif d’amortissement de la CADES, de l’ordre de 14,2 milliards d’euros en 2016, les reprises de dette auxquelles elle doit procéder dans l’année, à savoir 23,6 milliards d’euros – marquant une accélération en 2016 par rapport aux exercices précédents – et, enfin, la valeur qui préfigure les futures charges de la CADES, soit le plafond de découvert de l’ACOSS (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). Ce plafond est fixé pour 2016 à 40 milliards d’euros en début d’année et 30 milliards en fin d’année. Cela signifie que la CADES aura une reprise de dette à venir de l’ordre d’une trentaine de milliards d’euros.

Le schéma ci-dessous montre la part de la dette sociale dans la totalité de la dette publique française, dont elle constitue un des éléments au même titre que la dette des collectivités locales.

Total de la dette publique (au sens de Maastricht) : 2 103,2 milliards d’euros (1)


Dans un sens restreint, la dette sociale additionne la dette déjà reprise par la CADES et la dette à court terme que l’ACOSS continue de gérer. Il faudrait y ajouter quelques autres dettes sociales, mais que la CADES n’a pas pour mission d’amortir. Ce dispositif d’amortissement est très important car il permet de minimiser le poids de la dette publique nationale. Rapportés à un produit intérieur brut (PIB) de plus de 2 100 milliards d’euros, les 110,3 milliards d’euros de dette sociale amortis par la CADES représentent donc environ 5 points de PIB, et les 20 milliards d’euros d’intérêts économisés grâce à l’amortissement opéré par la CADES depuis sa mise en place équivalent à près de 1 point de PIB. Grâce au mécanisme d’amortissement, la dette publique française a ainsi été allégée de l’équivalent de 6 points de PIB, pour s’établir à 96 % de notre produit intérieur brut.

Le schéma suivant répond à votre question sur le processus de reprise de dette.

Processus de reprise de dette par la CADES

Il montre que la CADES travaille à partir des décisions votées par le Parlement s’agissant des montants des éventuels transferts de dette et de l’objectif d’amortissement de l’année. Depuis la loi organique de 2005, le Parlement vote aussi l’ajustement des ressources de la Caisse d’amortissement aux dettes qu’elle doit reprendre, afin de ne plus allonger sa durée de vie. La caisse emprunte ensuite sur les marchés à court terme les montants nécessaires à l’ACOSS. Sur les 23,6 milliards d’euros de reprise de dette attendus cette année, nous avons déjà versé 10 milliards ; nous aurons couvert ces besoins au milieu de l’année. Ne pouvant conserver une dette à court terme, nous devons ensuite la refinancer en émettant des emprunts qui en rallongent les délais jusqu’à la perception de nos ressources.

Le schéma suivant retrace la dette votée, reprise et amortie depuis la création de la CADES.

La dette votée, reprise et amortie après la reprise de dette à la fin de 2015

La ligne supérieure traduit le total de la dette que le Parlement a confiée à la Caisse. Depuis 2011, son montant plafonne à environ 270 milliards d’euros. Il a crû à chaque reprise votée, en 1998, 2004, 2009 et 2011. Les deux premières reprises se sont traduites par un simple rallongement de la durée de vie de la CADES, initialement fixée à 2009 et prolongée à 2014, puis à 2021. Une année, un Gouvernement avait même fait voter le principe que la CADES serait maintenue jusqu’à ce qu’elle achève sa mission… Mais dès 2005, le Parlement a voté une loi organique imposant au gouvernement d’apporter les ressources supplémentaires nécessaires à toute nouvelle reprise de dette afin de bloquer la durée de vie du dispositif. Le terme en est normalement fixé à 2025. Le schéma présenté s’arrête à 2024, anticipant une accélération de l’amortissement grâce à la baisse des taux et à la diminution des intérêts qui en découlent. Dans les conditions actuelles, la CADES a, en effet, une chance sur deux de terminer sa mission en 2024.

La ligne juste en dessous correspond aux reprises effectives de dettes. En 2011, le Parlement avait voté une reprise d’un montant de 68 milliards d’euros pour la dette de l’assurance maladie, auxquels s’ajoutaient 62 milliards d’euros pour contribuer à l’équilibre de la réforme des retraites – en principe attendu en 2018 – à raison d’un versement de 10 milliards d’euros chaque année. La CADES a assuré ces versements chaque année jusqu’en 2015 ; les 23,6 milliards votés par le Parlement pour 2016 doivent solder cette enveloppe.

Les autres lignes du schéma retracent l’évolution de la dette amortie (qui a dépassé les 110,3 milliards d’euros en 2015) et le solde à la charge de la CADES. De 126,6 milliards d’euros fin 2015, il montera à 136 milliards fin 2017. Mais il devrait, normalement, s’annuler en 2024. Ces chiffres sont résumés dans le tableau suivant.

Situations nettes comparées

La CADES est en train d’arrêter les comptes pour 2015 : le total de la dette reprise s’établira en fin d’année à 260 milliards d’euros ; le total de la ressource perçue atteindra 174 milliards ; 124,5 milliards auront été amortis ; 49,7 milliards d’euros d’intérêts auront été payés ; il restera donc 136 milliards d’euros à amortir.

S’agissant des ressources de la CADES, la plus grande partie de ses ressources lui parvient par l’intermédiaire de l’ACOSS. Quelques ressources passent par le Trésor public. Et depuis 2005, la CADES reçoit également 2,1 milliards d’euros par an du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Comme on peut le voir sur le schéma suivant, la plupart de ces ressources sont très solides et elles ont crû à chaque reprise de dette.

Évolution des ressources entre 1996 et 2016

Sa ressource dédiée est la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale). Elle est très stable et augmente avec la masse salariale. J’ai toujours raisonné en hausse de la CRDS quand il s’agissait de projeter les ressources nécessaires aux transferts de dettes, mais les gouvernements ont fait d’autres choix. La difficulté est que ces autres ressources – telles la CSG (contribution sociale généralisée) – n’ont pas été créées spécifiquement pour couvrir la dette sociale, mais ont été prises sur les ressources d’autres établissements de la Sécurité sociale, comme la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse), le FSV (Fonds de solidarité vieillesse) puis la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales). Enfin, en 2011, pour stopper la prolongation de la durée de vie de la CADES, le Gouvernement a fait modifier l’échéancier des versements du FRR en le ramenant de 2020 et 2040, à 2011 et 2024, ce qui permet le versement de 2,1 milliards d’euros par an. Entre 2011 et 2015, la CADES a également perçu une partie du prélèvement instauré sur les revenus du capital mais en 2016, celui-ci a été attribué à un autre organisme en contrepartie de quoi la Caisse reçoit une fraction plus importante de CSG. Le « panier des ressources » en a ainsi été simplifié : CRDS et CSG ont des assiettes sensiblement similaires, revenus d’activité et de remplacement constituant l’essentiel de leurs bases. Cette situation montre aussi que les ressources de la Caisse d’amortissement sont largement indexées sur l’inflation – ce qui explique pourquoi la CADES, comme le Trésor, a pu émettre un certain nombre d’emprunts indexés sur l’inflation.

S’agissant des emprunts, les émissions de la CADES en euros sont très similaires à celles du Trésor. Toutefois, à la création de la CADES en 1996, il lui avait été demandé de ne pas gêner les émissions du Trésor en empruntant dans d’autres monnaies que le franc. La Caisse d’amortissement a donc emprunté dans d’autres devises. Lors de la mise en place de l’euro, les emprunts antérieurs ont été convertis en euros mais, avec l’accord de son conseil d’administration, elle a continué à émettre dans d’autres devises pour dégager ce marché. Pour annuler le risque de change, ces devises sont immédiatement converties en euros et un contrat d’échange est conclu en même temps que l’émission de l’emprunt afin de retrouver ultérieurement les devises nécessaires pour le remboursement des investisseurs.

Nous émettons aussi dans d’autres devises que l’euro pour répondre à la demande de nos investisseurs, notamment des banques centrales asiatiques dont le portefeuille est en bonne partie constitué d’emprunts en dollars, en euros et en livres avec des règles de répartition des risques. Elles considèrent que la France est un emprunteur très sûr mais leurs achats sont limités par les émissions publiques françaises exclusivement libellées en euros par le Trésor. Elles souhaitent donc acheter des titres français, en dollars, ce que nous proposons. Ces emprunts émis en dollars peuvent parfois représenter une part substantielle de notre portefeuille (69 % des montants levés en 2015, soit 10,3 milliards d’euros) mais nous émettons aussi dans d’autres devises.

Programme de financement 2015

En période de reprise de dette, nous émettons fortement à court terme pour alimenter l’ACOSS. Pour ce faire, nous mettons en œuvre un programme de 60 milliards d’euros

Programmes à court terme

Lors des étapes les plus lourdes, entre 2000 et 2011, près de 50 milliards d’euros du portefeuille de la CADES étaient à court terme. Actuellement, seuls 6 milliards d’euros sont à court terme, répartis en trois programmes d’émission. Nos emprunts sont souvent substantiels et donc notre programme se réalise assez rapidement, comme le montre l’exécution de 2015 par ailleurs marquée par la prépondérance des émissions en dollars pour répondre à la demande.

Montant levé en 2015 (incluant les placements privés) : 14,9 milliards d’euros

Nos principaux investisseurs sont les banques centrales du monde entier, à hauteur de 41 % de notre portefeuille en 2015. Elles sont contraintes par le FMI (Fonds monétaire international) d’acheter les emprunts des grands États pour constituer leurs réserves. Cette obligation posée en 1945, assoit la force financière des pays comme les États-Unis, l’Allemagne ou la France et facilite le placement de leurs émissions. Pour le reste, on trouve tous types d’investisseurs. Quant à leur répartition géographique, l’Asie, et plus particulièrement quatre ou cinq de ces pays, représentent aujourd’hui les plus importants de nos acheteurs (48 % en 2014, 36 % en 2015). Je précise enfin que les deux-tiers de nos emprunts sont émis en euros. En tout état de cause, les autres devises étant immédiatement changées, tous nos engagements sont libellés en euros.

Répartition de l’encours de la dette au 31.12.2015 (126,6 milliards d’euros)

Quel est le coût comparé, pour l’État français, de la CADES face à l’Agence France Trésor. Le premier avantage de la CADES est d’émettre dans d’autres devises que l’euro et d’ouvrir ainsi d’autres marchés à la France. Certes, en étant moins importants, ses emprunts sont moins liquides que ceux de l’État, obligeant la CADES à verser quelques centimes de plus aux investisseurs. L’écart sur les emprunts en euros est de l’ordre de 0,4 à 0,6 point de base. Cela signifie que lorsque l’État émet un emprunt à 10 ans à un taux de 1 %, la CADES doit émettre à 1,07 ou 1,08 %. Il s’agit d’un coût supplémentaire supportable pour l’État et la CADES. Pour les emprunts en devises, une fois qu’ils sont transformés en euros, les cours sont généralement équivalents à ceux des emprunts de l’État.

Le schéma suivant retrace l’échéancier des emprunts à moyen et long terme.

Échéancier des emprunts à moyen et long terme

La CADES n’émet pas d’emprunts au-delà de 2025, puisqu’elle doit mourir à cette date. Les emprunts les plus longs sont émis pour 2025, car nous ne chargeons plus cette année-là et, pas trop, l’échéance 2024. Les emprunts sont émis principalement à échéance de 3 et 7 ans, qui correspondent à des maturités classiques.

Le taux moyen de refinancement de la CADES qui était de 5 % dans les années 2000 est descendu à 2,08 % à la fin de l’année 2015 et à 1,94 % à la fin février 2016. C’est pourquoi en 2016, la CADES ne devra verser que 2,6 milliards d’euros de taux d’intérêt. Ceux-ci auraient été de 5 ou 6 milliards d’euros, si les taux étaient restés les mêmes. L’économie réalisée sur les intérêts permet d’amortir la dette plus rapidement, à l’horizon de 2024.

Les horizons d’extinction de la dette sont, en effet, les suivants : nous avons une chance sur deux de finir notre activité en 2024, cinq chances sur cent d’y parvenir dès 2023, et au contraire, cinq chances sur cent de n’avoir pas encore terminé fin 2025. Nous nous livrons actuellement à des calculs et à des simulations de hausses et de baisses des taux d’intérêt et de l’inflation : l’hypothèse la plus probable est que nous aurons terminé en 2024 ; si la situation se dégrade fortement, ce sera en 2025 ; si elle s’améliore, en 2023.

En 2016, la CADES va reprendre 23,6 milliards d’euros de dette et nous avons l’intention d’émettre de 15 à 20 milliards d’euros d’emprunts à moyen et long terme.

Estimation des besoins de financement pour 2016

Nous avons émis pour la première fois en 2015, un emprunt en devise chinoise de 3 milliards de renmimbi sur trois ans – ce qui correspond à environ 400 millions d’euros –, le marché de cette devise apparaissant désormais suffisamment développé.

Le programme de financement pour 2016 est le suivant :

Programme de financement 2016

Le programme est réalisé actuellement à hauteur de 8,9 milliards d’euros sur les emprunts à moyen et long terme et de 6 milliards d’euros pour les emprunts à court terme.

Le texte le plus important qui régit la CADES est la loi organique de 2005, qui a solidifié son mécanisme de financement. Le graphique suivant qui retrace l’évolution des ressources de la Caisse depuis l’origine, en montre les effets.

Répartition entre amortissement et intérêts

Jusqu’en 2008, la seule ressource était la CRDS. Puis, en raison des règles posées par la loi organique, nous avons bénéficié de deux ressources supplémentaires, en 2009 (une fraction de la CSG), en 2011 (une partie du prélèvement social sur les revenus du capital et les versements annuels du FRR). Étant donné que, dans le même temps, les taux d’intérêt dans le monde étaient en baisse, il est possible désormais d’envisager un amortissement de la dette en 2024.

En ce qui concerne la question des relations de la CADES avec l’Agence française du Trésor (AFT), il faut remarquer que les activités de la Caisse sont très contrôlées par un Conseil d’administration comprenant des représentants des six ministres de tutelle et par un Comité de surveillance comportant également des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le directeur général et le directeur général adjoint de l’AFT qui sont les principaux émetteurs de dettes de l’État siègent également au Conseil d’administration. Nous arrêtons avec eux notre programme de financement annuel ; leur calendrier d’émission est public et ils sont prévenus, lorsque nous faisons nous-mêmes une émission.

Au cours des dernières années, le comité de surveillance de la CADES a été d’une grande aide, en particulier, en raison de l’action des parlementaires qui y siègent.

En 2024, l’ensemble de la dette dont le transfert a été voté par le Parlement devrait donc être amorti. Dans l’hypothèse où la CADES devrait supporter la charge de nouvelles dettes, la loi organique dispose que des ressources supplémentaires devront lui être attribuées, afin de ne pas prolonger la durée vie de la Caisse. Dans les années qui viennent, il faut donc éviter la création de nouvelles dettes, éponger la dette actuelle de 30 milliards d’euros à l’Acoss et comprendre qu’un déficit persistant de la Sécurité Sociale engendrera une nouvelle dette sociale dont le traitement sera de plus en plus compliqué.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Je tiens à vous féliciter pour votre exposé et pour les documents que vous nous avez transmis. Avez-vous réfléchi à l’hypothèse d’une situation inversée par rapport au contexte actuel, celle d’une remontée des taux d’intérêt dans les mois ou les années qui viennent ?

M. Patrice Ract-Madoux. La CADES a la chance d’être presque morte. Le risque que vous évoquez n’existe donc en fait que pour les neuf années qui viennent, d’ici 2024. À court terme, nous « pouvons tenir » encore une année. Il ne restera que 8 ans et la CADES qui sera en période d’amortissement accéléré émettra alors des emprunts de plus en plus courts. Si la courbe des taux courts reste plus basse que celle des taux longs, la situation ne devrait pas être problématique, à la différence de celle de l’État qui est endetté à 50 ans et doit assurer des financements sur des montants beaucoup plus considérables.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. La CADES est une structure de cantonnement ayant pour objet d’amortir la dette sociale et qui est rattachée à plusieurs ministères. Elle ne fonctionne pas, pour l’émission de titres comme l’Agence France Trésor : pour quelles raisons ? Par ailleurs, 40 % des titres émis sont détenus par les banques centrales des différents États. Mais qui détient vraiment la dette ? Analyser ce point est une des missions du Parlement.

Enfin, faudrait-il, selon vous, renationaliser la dette sociale, pour la rendre plus sûre ?

M. Patrice Ract-Madoux. Seuls 6 % de la dette que nous émettons sont vendus à des investisseurs français. La raison en est que la durée de maturité de cette dette, de 8 ans au plus, est incompatible avec la politique des compagnies d’assurances qui sont nos principaux acheteurs nationaux. Celles-ci ont en effet développé des politiques de garantie de taux à long terme envers leurs assurés. Pour respecter ces taux, dans la situation actuelle du marché, elles sont contraintes d’acheter des produits à très long terme, qui sont seuls à offrir des taux d’intérêt positifs.

Dans ces conditions, la CADES place sa dette soit auprès des banques centrales, soit auprès d’investisseurs de pays où les taux d’intérêt sont encore plus bas qu’en France, comme l’Allemagne. Depuis 4 à 5 ans, nous plaçons entre 15 et 20 % de notre dette auprès d’investisseurs allemands.

Techniquement, la CADES vend sa dette par syndication. Ce sont les syndicats de banques choisis par la CADES qui placent sa dette auprès des investisseurs finaux, moyennant une commission. Celle-ci varie selon le type de devise, la durée de l’emprunt et son montant. En 2015, la CADES a versé 26 millions d'euros de commissions pour 14,9 milliards d'euros d’émissions, soit un taux de commission de 0,18 %. En 2014, la CADES a versé 27 millions d'euros de commissions pour 18 milliards d'euros émis. En 2011, avec 60 millions d'euros de commission pour 31 milliards d'euros émis, le taux de commissionnement a été de 0,19 %. Depuis sa création, la CADES a versé 570 millions d'euros de commissions.

L’AFT, au contraire, travaille pour l’essentiel par adjudication. Le taux réel de l’emprunt est alors très proche de celui affiché sur le marché.

Le taux de commission versé par la CADES est équivalent à celui que versent les plus importants emprunteurs européens travaillant par syndication.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. La dette de la CADES, nous avez-vous dit, est détenue pour plus de la moitié par des résidents non européens. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Patrice Ract-Madoux. La dette de la CADES se compose d’emprunts de très fort volume proposés à des taux relativement bas. Les investisseurs qui s’y intéressent sont donc des banques centrales, des compagnies d’assurances et des fonds de pension étrangers, britanniques ou néerlandais, par exemple. Nous n’avons pas affaire à des investisseurs individuels.

Les chiffres de la répartition entre les investisseurs sont calculés au moment des émissions. En général, ceux-ci les gardent jusqu’à maturité. Nous connaissons précisément la répartition entre les investisseurs au moment où la CADES rembourse l’emprunt. Entre-temps, si les titres sont revendus, nous n’avons pas les moyens de connaître les acheteurs. Il reste que le marché secondaire se tenant essentiellement entre banques centrales, que nous ne connaissions pas les acheteurs sur le marché secondaire n’est pas inquiétant.

M. Nicolas Sansu, rapporteur, président. Comment appréciez-vous la politique de rachat de titres publics par la Banque centrale européenne ?

Par ailleurs, lorsque la CADES emprunte en devises autres que l’euro, qui paye le swap ?

M. Patrice Ract-Madoux. Lorsque nous émettons en devises, nous transformons immédiatement l’émission en euros, et nous construisons le swap inverse. Le coût du swap est intégré dans l’émission. Aujourd’hui, nous arrivons à emprunter au taux de l’eonia (Euro OverNight Index Average – taux d'intérêt interbancaire pour la zone euro à échéance de 1 jour) moins 10. Le taux de l’eonia étant à moins 30 centimes, nous empruntons ainsi à moins 40. Il faut bien admettre que la situation aujourd’hui est un peu particulière…

La politique de liquidité telle que l’ont conduite les banques centrales des États-Unis et de Grande-Bretagne avait un sens pendant la crise. Une telle politique n’est désormais plus efficiente car l’argent reste dans le système bancaire.

Par ailleurs, le fait que la dette de la CADES soit éligible au programme de rachat de la BCE fait encore baisser les taux auxquels elle émet, et rend sa dette encore moins intéressante pour les investisseurs français.

M. Jean-Claude Buisine, rapporteur. Pourrions-nous conclure de cette audition que la situation est favorable et que l’apurement de la dette sociale est en bonne voie ?

M. Patrice Ract-Madoux. Pour moi, la CADES a rempli ses objectifs. Cependant, si l’on veut mettre fin à son action, il faut cesser de créer de la dette sociale nouvelle et donc restaurer rapidement l’équilibre de la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. La tendance politique ne va-t-elle pas dans l’autre sens ?

M. Patrice Ract-Madoux. Certes. Mais c’est bien ainsi qu’il faudrait agir, avant de rééquilibrer, ensuite, le budget de la Nation.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Une amélioration des contrôles ne permettrait-elle pas, en réduisant les fraudes, le rééquilibrage des comptes sociaux ?

M. Patrice Ract-Madoux. En 2001 et 2002, du fait de la forte croissance de l’économie, les comptes de la sécurité sociale étaient revenus à l’équilibre. Il se trouve qu’on a alors laissé les dépenses sociales croître de 6 % par an. Avec l’arrêt de la croissance, les déséquilibres sont revenus. Au regard de cette évolution, les fraudes, même si elles doivent être combattues, ne sont pas l’élément essentiel du déséquilibre.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Validez-vous les estimations du montant des fraudes ?

M. Patrice Ract-Madoux. Ce point n’entre pas dans mes compétences. La CADES n’a pas le pouvoir de conduire des contrôles sur pièces et sur place. Je considère donc comme valables les chiffres publiés par l’ACOSS.

M. Charles de Courson. La dette de l’ACOSS est comprise entre 30 et 40 milliards d'euros. Aujourd’hui, la gestion de la trésorerie de l’ACOSS ne coûte-t-elle pas plus cher que si elle était transférée à la CADES ?

M. Patrice Ract-Madoux. Il faut qu’une part la plus importante possible de la dette de l’ACOSS soit transférée à la CADES. Aujourd’hui, la dette, qu’elle soit émise par la CADES ou l’ACOSS, est financée à taux négatif mais si les taux devaient remonter, nous devrions rapidement nous organiser pour emprunter à des échéances beaucoup plus longues avant la remontée des taux. La CADES est mieux à même de réagir à une telle évolution que l’ACOSS.

Par ailleurs, je souhaiterais purger l’enveloppe de 62 milliards d'euros accordés par le Parlement à la demande de l’un des gouvernements précédents dans le cadre de l’équilibre du financement du régime des retraites, de façon à ce qu’ensuite, la loi organique puisse être respectée, et que, à cette fin, le Gouvernement donne à la CADES les ressources suffisantes pour financer les éventuelles dettes nouvelles.

Enfin, nous préfinançons les reprises de dette de l’ACOSS en achetant ses billets de trésorerie.

M. Charles de Courson. Quelle partie du déficit courant de l’ACOSS financez-vous ?

M. Patrice Ract-Madoux. Nous ne finançons pas le déficit courant de l’ACOSS. Aujourd’hui, la CADES est dans un processus de refinancement d’une dette de l’ACOSS de 23,6 milliards d'euros. Cela signifie qu’au cours de l’année, elle va verser 23,6 milliards d'euros à l’ACOSS ; mais elle a déjà préfinancé ces versements par l’achat de billets de l’ACOSS, cela permettant à l’ACOSS de financer ses déficits ponctuels de trésorerie à des taux très inférieurs à ceux qu’elle obtiendrait d’autres soumissionnaires, tels que la Caisse des dépôts et consignations.

M. Charles de Courson. Selon vous, quelles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement se refuse à transférer à la CADES le solde de la dette de l’ACOSS, alors que ce transfert amènerait à augmenter les ressources de la CADES ?

M. Patrice Ract-Madoux. À mon avis la raison est unique : ne pas avoir à demander au Parlement d’appliquer la loi organique ; votée en 2005, celle-ci n’a connu sa première application qu’en 2008. Les gouvernements ont laissé s’accroître pendant trois ans le découvert de l’ACOSS avant de transférer la dette.

M. Charles de Courson. Les recettes qui vous sont affectées permettent aujourd’hui de couvrir le remboursement de la totalité des intérêts de la dette, mais pas celle de la totalité du capital ?

M. Patrice Ract-Madoux. À condition qu’il ne soit pas créé de nouvelle dette, nos ressources nous permettent d’amortir la totalité de la dette sociale, intérêts et capital, d’ici 2024.

M. Charles de Courson. Selon vous, la création de la CADES a-t-elle été une bonne initiative ?

M. Patrice Ract-Madoux. Lorsque la CADES a été créée, j’exerçais le métier d’assureur. J’avais alors interdit l’achat de titres de la CADES, considérant que la sécurité sociale ne devait pas être financée ainsi. Maintenant que la CADES existe, je trouve sensé de la gérer au mieux, en la traitant comme une caisse d’amortissement, et non pas comme une caisse de refinancement perpétuel. Cette démarche est encore fonctionnelle aujourd’hui.

M. Charles de Courson. Mais la CADES est devenue un outil de gestion perpétuelle ! On lui a transféré plusieurs fois de la dette à gérer. Il faut donc dissoudre la CADES. Sans la CADES, la dette sociale, sauf accord du Parlement, serait limitée au plafond admis pour l’ACOSS, soit 40 milliards d'euros. La CADES est devenue un mécanisme qui permet de différer les échéances inéluctables. Une obligation d’équilibre des finances de la sécurité sociale, au besoin grâce à des subventions de l’État, serait plus responsabilisant.

M. Patrice Ract-Madoux. Je crois qu’il serait plus responsabilisant d’amortir la dette existante, d’équilibrer les comptes de la Sécurité sociale et ainsi de ne plus créer de nouvelles dettes 

M. Nicolas Sansu, rapporteur, président. Monsieur le président, nous vous remercions.

——fpfp——

1 () Données INSEE, septembre 2015