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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mardi 15 mars 2016

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure, et de Mme Eva Sas, rapporteure

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Odile RENAUD-BASSO, directrice générale adjointe du groupe Caisse des Dépôts, M. Philippe PRADIER, chef du service développement durable, Mme Christel SANGUINÈDE, secrétaire générale de la mission PIA

Mme Eva Sas, rapporteure. Nous poursuivons les travaux de la mission en recevant des représentants de la Caisse des dépôts. Cette audition doit nous permettre de mieux cerner sa contribution à la transition écologique dans le domaine des projets urbains, principalement par l’action « Ville durable », et sous la forme de partenariats avec des collectivités territoriales.

Mme Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe du groupe Caisse des dépôts. La Caisse des dépôts est en effet très impliquée dans la mise en œuvre des actions du PIA au titre de la transition énergétique et écologique ainsi qu’au titre du développement urbain. Cette activité de gestion du PIA s’inscrit dans une stratégie plus globale de la Caisse qui développe des actions propres en faveur de la transition écologique, soit par des investissements directs, soit par des prêts. Cet objectif est l’une des quatre grandes transitions que soutient la Caisse des dépôts avec la transition numérique, la transition territoriale et la transition démographique. Il représente donc un de nos axes majeurs d’intervention.

En 2010, l’État nous a confié la gestion de la convention relative à l’action « Ville de demain » du PIA. Nous intervenons dès lors comme opérateur de l’État. Pour instruire les projets et gérer les financements, nous avons mis en place une gouvernance spécifique, avec une équipe dédiée au sein de notre Direction de l’investissement et du développement local. Cette organisation assure la séparation entre les activités conduites pour notre propre compte et celles menées pour le compte de l’État.

La mission PIA pilote l’ensemble des actions mises en œuvre par la Caisse des dépôts en tant qu’opérateur mandaté par l’État pour gérer un certain nombre de programmes. Elle en a ainsi une vision horizontale et transversale et organise l’ensemble des relations avec le commissariat général à l’investissement (CGI).

Mme Eva Sas, rapporteure. Vous avez donc une équipe dédiée à l’instar d’autres opérateurs des PIA. Combien de personnes compte-t-elle ?

Mme Odile Renaud-Basso. La mission PIA, en tant que telle, réunit une dizaine de personnes qui s’occupent de l’ensemble du pilotage des actions : négociation et suivi des conventions, questions relatives aux facturations, préparation des budgets, coordination de la relation avec le CGI etc. Mais l’instruction des programmes dont la Caisse des dépôts a la charge mobilise quarante-cinq équivalents-temps plein au sein des différentes directions. Ils assurent la mise en œuvre opérationnelle des programmes en instruisant les projets, en assurant la relation avec les porteurs de projets et les élus au niveau territorial… Environ cinquante-cinq personnes gèrent ainsi des actions dont le budget total s’élève à 8 milliards d’euros sur les 12 milliards du PIA. Les rôles de la Caisse peuvent varier selon la nature des actions concernées : il s’agit parfois seulement de gestion administrative et financière ; dans d’autres cas elle a une responsabilité d’instruction, d’identification de projets…

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Cette somme inclut-elle les fonds mobilisés pour le plan « Ville durable » de 2008 ?

Mme Odile Renaud-Basso. Ce plan ne s’est traduit que par une intervention de l’État lui-même.

Philippe Pradier, chef du service Développement durable de la Caisse des dépôts. Indépendamment de ces fonds, la Caisse des dépôts avait aussi engagé des fonds propres sur des projets urbains.

Mme Odile Renaud-Basso. Je précise que l’instruction des projets mobilise l’équipe de la Direction de l’investissement et du développement local, mais aussi nos directions régionales sur le terrain. Ces dernières examinent les projets, sont au contact avec les élus pour promouvoir l’action et les financements du PIA. Elles jouent un rôle important dans ces expertises.

Après une évaluation réalisée en 2015, nous avons récemment renforcé les compétences des comités opérationnels de financement régionaux pour émettre un avis sur l’ensemble des demandes, s’assurer de la mise en œuvre au niveau territorial des décisions du comité de pilotage national et avoir une capacité d’engagement – en deçà d’un certain seuil. Ces comités peuvent mobiliser eux-mêmes jusqu’à 1 million d’euros pour les subventions d’investissement et 100 000 euros pour les subventions d’ingénierie.

La gouvernance spécifique du PIA s’appuie aussi sur un comité de pilotage national « Ville de demain », dans lequel la Caisse des dépôts dispose de deux représentants aux côtés des deux représentants du CGI et d’un représentant de l’ADEME. Ce comité national a un rôle central en matière de décision ; il émet collégialement un avis. Cependant, comme c’est la règle, le dernier mot sur l’adoption finale des projets financés par le PIA revient au CGI.

Le programme « Ville de demain » est doté – après plusieurs redéploiements – de 668 millions d’euros, qui se décomposent en une enveloppe de 503 millions d’euros de subventions et une autre de 165 millions de prises de participation. L’engagement de la première enveloppe est le plus avancé à ce jour : sur 554 millions d’euros déjà engagés au total, 471 millions d’euros sont mobilisés à titre de subvention et 61 millions d’euros de fonds propres ; le reste concerne des frais d’études et de gestion. Les bénéficiaires en sont essentiellement des collectivités territoriales (pour plus de 330 millions d’euros) ; on décompte quelques acteurs privés – des entreprises – (58 millions d’euros) et des acteurs publics de la ville, tels des établissements publics (96 millions d’euros).

Le fonds était initialement doté de 1 milliard d’euros – décomposé en 400 millions d’euros de fonds propres et 600 millions d’euros de subventions. Mais il a fait l’objet de plusieurs redéploiements successifs. En premier lieu, parce qu’au fur et à mesure des appels à projets, il est apparu que l’enveloppe des prises de participation était peu mobilisée. Une partie a donc servi à recapitaliser la BPI (banque publique d’investissement), à hauteur de 150 millions d’euros. Une partie de l’enveloppe de subventions a également été redéployée pour financer le Pacte pour la compétitivité et l’emploi et d’autres actions du PIA.

Il faut aussi observer que l’action « Ville de demain » a mis un certain temps à monter en puissance. La mobilisation des partenaires et l’identification des projets potentiels se sont faites assez lentement. Mais on constate aujourd’hui que la mobilisation des partenaires locaux a porté ses fruits et que les enveloppes sont déjà en bonne partie engagées. Le programme a connu deux grandes phases : la première, qui s’est étendue de 2010 à 2014, était centrée sur les 19 éco-cités sélectionnées en 2008. Ce qui signifie que les projets éligibles ne relevaient que de ces sites. En 2015, l’action a été élargie à toutes les métropoles, ainsi qu’aux entreprises qui innovent en faveur de la ville durable, avec l’ouverture d’une enveloppe de 320 millions d’euros. 31 territoires, dont 13 en Île-de-France, ont pu bénéficier de cette seconde tranche. Elle a vraisemblablement contribué à accélérer et élargir la diffusion du programme.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ? Plusieurs années se sont écoulées depuis le lancement du programme, voire depuis 2008 où les villes ont commencé à investir cette thématique, sans que les résultats ne me semblent très spectaculaires sur le terrain.

Philippe Pradier. Le programme « Ville de demain » s’applique à une trentaine de sites qui recouvrent de très grands projets urbains, pouvant couvrir plusieurs centaines d’hectares. En prenant seulement une moyenne hypothétique de 100 hectares, multipliée par 30, ces projets atteindraient, selon des calculs rapides, un budget total de 45 à 50 milliards d’euros. Or, nous ne disposons que de 450 millions d’euros, après soustraction des fonds affectés aux transports en commun en sites propres. Notre contribution ne représente donc qu’environ 1 % des projets d’ensemble. Cela explique leur moindre visibilité. Pour autant, à l’instar de l’avis écrit par les évaluateurs en 2014, je suis persuadé que ce programme a un effet d’entraînement, d’impulsion et de démonstration pour des projets qui n’auraient pas vu le jour sans ce soutien.

Dans le domaine du bâti, l’objectif initial du programme était de financer des bâtiments qui, idéalement, seraient à énergie positive, utiliseraient des matériaux bio-sourcés etc. Nous n’avons pas toujours pu réunir l’ensemble des performances attendues. Néanmoins, chaque projet a su additionner plusieurs objectifs. À Strasbourg, par exemple, un bâtiment financé grâce au programme a été construit sur des pieux qui ont été, par ailleurs, utilisés pour produire de la chaleur par géothermie. Il y a cinq ans, seules une ou deux opérations similaires avaient été réalisées en France – comme la ZAC Étoile – et plus fréquemment en Allemagne. De même à Strasbourg, le fonds a pu aider d’intéressantes petites opérations d’auto-promotion, dont l’une d’entre elles est adossée à une coopérative HLM. Ces interventions ont plutôt porté sur l’organisation et la maîtrise d’ouvrage. Le fonds a aussi financé, ou va financer, des groupes scolaires à énergie positive à Montpellier et à Bordeaux.

Les actions financées dans le domaine de la mobilité sont également très nombreuses : s’agissant de l’information partagée en temps réel avec les voyageurs, de nouveaux systèmes de billettique. À Nantes, un système de paiement par carte a été mis en place. Il fonctionne un peu comme le Pass Navigo francilien, mais le paiement s’effectue a posteriori, en fonction des trajets réels avec un système de minima et de maxima pour ne pas pénaliser ceux qui ont besoin de se déplacer souvent, tout en faisant contribuer tout le monde, y compris ceux qui voyagent peu.

Dans le domaine de l’énergie, les projets fondés sur les énergies renouvelables (biomasse, solaire, géothermie…) se multiplient. Par exemple à Grenoble, le fonds a récemment engagé le financement d’un réseau à basse pression qui alimentera tout le quartier de la nouvelle ZAC Flaubert. L’innovation réside dans l’utilisation de capteurs solaires thermiques et dans le fait que la chaleur n’est pas simplement envoyée sur le bâtiment où elle est produite, mais est mutualisée. Un système de stockage de la chaleur par matériaux à changement de phase est également créé. Ce seront des premières en France, voire en Europe.

Environ 150 projets bénéficient ou vont bénéficier d’un soutien du fonds « Ville de demain ». Son spectre d’intervention est très large, notamment pour la seconde tranche. Il peut concerner presque toutes les composantes de la ville : le bâti, la mobilité, l’énergie, mais aussi tout ce qui a trait à la nature en ville. À Nantes, il a récemment soutenu l’organisation d’un réseau de fermes urbaines. Elles existaient déjà mais étaient progressivement gagnées par l’urbanisation. Elles seront remises en activité avec le développement du maraîchage, de la vente de proximité, des circuits courts de commercialisation, des ateliers pédagogiques pour les enfants… Ce fonds peut également financer des projets en faveur de la biodiversité. La digitalisation de la ville est aussi essentielle.

Mme Eva Sas, rapporteure. J’entends que vous choisissez des actions pilotes inédites en France voire en Europe. Vous retenez bien comme critère d’éligibilité le caractère innovant, démonstrateur et pilote des projets ? Il existe un débat, même au sein du comité de surveillance des investissements d’avenir, sur le fait que certains projets financent plutôt des infrastructures, alors que ce n’est pas la vocation des PIA.

Mme Odile Renaud-Basso. On voit bien que d’autres PIA sont moins attachés à cette condition d’innovation, au risque de se substituer à des dépenses budgétaires. Mais dans le cas du programme « Ville de demain », si les projets retenus ne sont pas toujours des premières, ils sont toujours très novateurs, soit sur le plan technique, soit sur celui des usages, soit sur celui du modèle économique. Ils contiennent tous un élément nouveau par rapport aux instruments classiques d’intervention. C’est aussi une des raisons de leurs dimensions plus modestes : ils relèvent davantage des démonstrateurs, que d’une logique de développement massif sur un territoire d’un type d’action ou de gestion. Cela explique aussi leur caractère foisonnant : nos opérations sont de nature très diverses, même si elles interviennent dans des secteurs bien identifiés.

Un de nos enjeux majeurs est précisément d’arriver à faire connaître ces expériences et de voir comment on peut les dupliquer ailleurs ou les déployer à plus grande échelle quand elles ont un impact très positif sur l’environnement, la gestion urbaine ou autre.

Mme Eva Sas, rapporteure. Le financement de cette phase de généralisation après les premières démonstrations est-il prévu dans le cadre du PIA ?

Mme Odile Renaud-Basso. Cette phase n’est pas intégrée au programme. À ce jour, n’est envisagée pour la troisième phase du PIA que la prolongation du programme « Ville de demain » afin d’en faire bénéficier des collectivités ayant monté ou montant des actions qui n’ont pas pu s’inscrire dans les appels à projets des premiers PIA. On ne parle pas de généralisation. Il s’agit toujours d’approches innovantes.

Si le PIA n’a pas prévu de financement massif pour développer les expériences intéressantes, la Caisse des dépôts s’efforce de faire connaître les exemples positifs aux collectivités territoriales avec lesquelles elle travaille déjà en partenariat et étudie les projets d’investissement qui pourraient être portés dans un autre cadre. La difficulté vient du modèle économique. Les projets financés sont largement portés par des subventions. Or, la Caisse des dépôts ne peut soutenir des investissements massifs par des subventions. Il faut donc trouver un autre mode de financement, plus auto-portant, que ce soit par l’investissement des collectivités elles-mêmes, ou par la prise de participation en fonds propres...

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Je m’interroge sur votre intervention au regard de celles des collectivités locales, qui doivent intervenir, avec leurs propres outils ou en partenariat, de la manière la plus durable possible. Il me semble, qu’au départ, les interventions du PIA étaient focalisées sur des actions d’excellence, permettant de faire un bond en matière de qualité de vie des habitants ou de rupture technologique.

Compte tenu de la pénurie que nous connaissons aujourd’hui en matière de finances publiques, l’attitude des collectivités peut être ambiguë. Êtes-vous très vigilants sur la qualité des projets qui vous sont présentés ? Vous concentrez-vous sur des projets d’excellence ou faites-vous du saupoudrage ou du complément de financement ?

Mme Cristel Sanguinède. Nous avons effectivement conservé cette exigence, notamment pour les projets de la deuxième tranche. Nous avons engagé 150 millions d’euros pour une demande de financement voisine de 600 millions d’euros. Notre lecture a donc été réellement sélective. L’apport du PIA réside peut-être aujourd’hui aussi dans un mode de gouvernance locale ou dans le développement des partenariats public/privé. Nous conservons, pour la sélection des projets, une vigilance particulière sur les bonnes pratiques, notamment sur les innovations d’usage et avons animé dans cet esprit des journées de partages avec des intervenants locaux (porteurs de projets, directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement…).

M. Philippe Pradier. Nous sommes très attentifs aux ordres de grandeur des coûts des projets qui nous sont présentés et tenons compte, pour les sélectionner, de l’état des finances publiques ou des marchés, immobilier ou de services urbains. Mais, dans les faits, nous avons plus de problèmes de tri par rapport aux technologies innovantes que d’abandon pour des raisons de coûts.

Mme Odile Renaud-Basso. Le fait d’avoir, pour le PIA, des ressources et des mécanismes d’appels à projets incite au développement de projets. L’ampleur des financements mis en place a ainsi sûrement un effet incitatif. En tout cas, nous ne finançons pas ce que l’État financerait de toute façon.

M. Philippe Pradier. Même si les collectivités territoriales s’intéressent depuis plusieurs années à ces questions, le programme Ville de demain adossé à la démarche Eco-cité axée sur les stratégies urbaines, a permis de développer un travail en réseau des collectivités. La capitalisation sur l’expérimentation est diffusée, ce qui crée de l’information réciproque entre collectivités. Celles-ci nous encouragent d’ailleurs à animer ce réseau. Nous n’avons ainsi pas nécessairement les financements, mais pouvons contribuer au transfert d’expériences. Il y a là une source de savoir-faire qui répond aux demandes des collectivités territoriales.

Mme Cristel Sanguinède. Je voudrais ajouter un point sur les infrastructures. Ville de demain a été utilisé dès le départ pour financer un appel à projets antérieur sur les transports en commun en site propre.

Mme Eva Sas, rapporteure. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les programmes territoriaux intégrés pour la transition énergétique ?

Mme Odile Renaud-Basso. Ces programmes ont visé à compléter le panel développé dans le cadre du PIA Ville durable. Ils comportaient au départ deux volets : des projets novateurs structurants portés par des EPCI et retenant une stratégie énergétique pour cinq ans, et la consolidation de filières locales industrielles et artisanales vectrices de la transition énergétique. Pour ce double niveau d’intervention, était prévu un montant total de 75 millions d’euros, soit 35 millions d’euros de subventions pour les territoires à énergie positive et 40 millions d’euros pour des prêts accordés à des entreprises développant des projets innovants cohérents avec la stratégie énergétique des territoires.

Avant même d’être mise en œuvre, cette stratégie a évolué : les subventions ont été redéployées sur d’autres programmes. Est resté l’aspect « financement des entreprises » qui a été ouvert à toutes les entreprises à énergie positive et, non seulement, aux trente territoires initialement prévus. Nous avons fait un premier appel à projets auprès des entreprises et obtenu 28 réponses ; 7 projets étaient éligibles au dispositif, mais aucun d’entre eux n’a abouti. Nous avons ensuite relancé un nouveau cahier des charges fin 2015, prévoyant une extension de la période maximale de financement de 10 à 14 ans, l’application des critères INSEE et non plus ceux, moins larges, de l’Union européenne pour la définition des PME et enfin quelques modifications en matière de garanties.

Mme Cristel Sanguinède. Cet appel à projets a un caractère permanent. Nous avons à ce jour enregistré plusieurs dépôts de projets offrant un meilleur degré d’éligibilité que ceux du premier cahier des charges.

Mme Eva Sas, rapporteure. Le programme total était donc de 75 millions d’euros. Quel montant était consacré aux territoires à énergie positive ?

Mme Cristel Sanguinède. 35 millions d’euros étaient destinés à une dizaine de territoires lauréats de l’appel à projets, donc avec un fort taux de sélectivité. Les prêts s’adressaient à des entreprises implantées dans un cercle plus large de 30 territoires. L’action de la Caisse avait du sens, du fait de son caractère territorial. Avec la suppression des subventions aux collectivités et l’ouverture des prêts aux entreprises sur l’ensemble du territoire, l’action est plus difficilement visible et elle a eu du mal à trouver un public, du fait notamment du faible niveau des taux d’intérêt sur le marché. Les 35 millions d’euros destinés aux collectivités ont été alloués à d’autres actions du PIA.

Mme Odile Renaud-Basso. Les actions de prêts-PIA connaissent souvent des difficultés, comme cela a été le cas, par exemple, pour les prêts au numérique, qui n’ont pas été mobilisés. Les entreprises peuvent être attirées, sinon par le niveau des taux d’intérêt du moins par la durée des prêts proposés.

Mme Eva Sas, rapporteure. Comment se sont financés les territoires à énergie positive ? Ce programme a-t-il été annulé, parce qu’existaient d’autres sources de financement ? Ou manquait-on de moyens pour d’autres programmes du PIA ?

Mme Cristel Sanguinède. Les 35 millions d’euros ont été versés à une action gérée par l’ANAH, donc dans la même sphère d’utilisation. Cette action a toujours été compliquée en termes de portage et la somme de 35 millions d’euros consacrée à dix territoires n’était d’ailleurs pas nécessairement adaptée.

Mme Eva Sas, rapporteure. Pouvez-vous nous donner des informations sur le fonds d’amorçage qui a été créé récemment ?

Mme Cristel Sanguinède. Dans le cadre de l’enveloppe des prises de participation du fonds Ville de demain, une réflexion a été menée avec BPI-France sur la mise en place d’un nouveau fonds pour financer un certain nombre de besoins non couverts. Ce fonds de financement a été créé fin 2015 et doté d’un montant de 50 millions d’euros. Plusieurs dossiers donneront très prochainement lieu à des engagements. Nous veillons à ce que l’action des PME et des start-up dans lesquelles investira ce fonds soit en conformité avec le programme Ville de demain.

Mme Eva Sas, rapporteure. Cette mission d’évaluation et de contrôle a été créée à la suite de l’observation de redéploiements importants des programmes d’investissements d’avenir transition écologique vers d’autres programmes. On a aussi constaté au fil des auditions, des difficultés liées à l’adoption de priorités budgétaires autres que la transition écologique et une lenteur dans l’engagement et la montée en charge des dispositifs. Dans l’optique de la préparation du PIA 3, quelle est votre appréciation sur les programmes que vous avez menés ? Sont-ils aujourd’hui adaptés aux besoins des acteurs, en l’occurrence des collectivités locales ? Que faudrait-il faire évoluer pour qu’ils aient un effet levier plus important et qu’un plus grand nombre de projets utiles soit financés ?

Mme Odile Renaud-Basso. La première difficulté d’utilisation des ressources sur ces programmes porte sur les 400 millions d’euros d’investissements en fonds propres. Il est difficile de trouver des projets qui justifient un investissement en capital et qui aient une rentabilité suffisante. Il faut investir soit dans des entreprises, soit dans sociétés de projets et le montage de ce type d’opération s’est avéré assez compliqué. L’essentiel des redéploiements a donc porté sur la partie investissements en fonds propres.

Mme Eva Sas, rapporteure. Dans ce cas, on aurait pu les redéployer sous forme de subventions.

Mme Odile Renaud-Basso. L’impact sur le déficit budgétaire n’est pas le même selon qu’il s’agit d’intervention en fonds propre ou pas. Ces arbitrages relèvent du Gouvernement. En règle générale, les redéploiements s’opèrent en gardant la même nature de crédits.

Les contraintes sur le PIA 3 seront les mêmes. Le PIA 3 s’élève à 10 milliards d’euros dont 4 milliards de fonds propres, 4 milliards de subventions et le reste en dotations décennales. La partie subvention, la plus facilement mobilisable pour des projets locaux innovants, sera assez contrainte.

Il a été assez difficile de faire en sorte que les appels à projets suscitent un flux de projets dans un contexte où les actions et les axes privilégiés étaient définis de manière assez floue. Mais aujourd’hui, on a beaucoup d’exemples d’actions réussies qui ont suscité un véritable intérêt et une réelle dynamique au niveau des collectivités territoriales. D’où le souhait de la Caisse de profiter de cette dynamique et de maintenir un PIA 3 sur ces mêmes thématiques, souhait largement partagé par le CGI.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Quels sont vos rapports avec les pôles de compétitivité qui pourraient être pourvoyeurs d’affaires dans les thématiques qui nous intéressent (ville, mobilité, habitat durable) ? Avez-vous été alimentés par certains de ces pôles ?

M. Philippe Pradier. Certains pôles ont effectivement participé auprès des collectivités territoriales ou d’acteurs privés à la définition de projets dans plusieurs écocités ou sur plusieurs sites, mais, en qualité de gestionnaire du programme, nous n’avons pas de relations directes avec les pôles pour, par exemple, les financer. Ils ont toutefois pu faire partie de groupes projets présentant des actions à financer.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Ces pôles auraient dû être les premiers apporteurs de projets. Ils sont aptes à structurer soit des professions, soit des thématiques.

M. Philippe Pradier. Ils ont pu intervenir sur la mobilité ou sur la surveillance climatique par exemple, mais dans le cadre d’actions menées par les collectivités territoriales, souvent des actions de recherche et développement. On peut aussi être amené à rencontrer les pôles de compétitivité au cours des revues annuelles de projets menées avec les différentes entités présentant les projets à financer.

Mme Eva Sas, rapporteure. Ma première question porte sur ce qu’il faudrait améliorer, prolonger ou modifier. Vous nous dites qu’après une phase de montée en charge, on a atteint un régime de croisière, en tout cas sur le programme Ville de demain, mais que vous avez toujours des difficultés à trouver des projets dans lesquels investir en fonds propres. Or, la proportion fonds propres/subventions ne devrait pas évoluer. Il y a là une contradiction : vous nous dites à la fois qu’il faut prolonger le dispositif et vous démontrez le caractère innovant des projets que vous accompagnez, mais dans le même temps vous indiquez que le problème de la sous-consommation des fonds propres va demeurer.

Ma deuxième question portera sur le volet écoconditionnalité du PIA. Vous gérez à la Caisse des dépôts une partie non négligeable de l’ensemble des investissements d’avenir et pas seulement ceux portant sur la transition écologique. Comment voyez-vous l’application de cette écoconditionnalité ? Des critères ont-ils été mis en place ? Sont-ils normés, utiles et suivis ?

Mme Christel Sanguinède. En matière d’écoconditionnalité, je peux vous donner des exemples d’actions que la Caisse gère pour le compte de l’État, notamment dans le cadre du programme Ville de demain. L’ecoconditionnalité est alors constitutive de l’action et ne peut faire l’objet d’un critère car elle en constitue l’ADN. Il en va de même des projets territoriaux intégrés et des actions relevant du Fonds éco technologie géré par BPI France, auquel a souscrit la Caisse, et qui porte une partie des investissements de l’Ademe.

Sur d’autres actions, l’écoconditionalité n’est pas un critère mais a été l’objet d’une vigilance particulière. Par exemple, l’économie sociale et solidaire a fait l’objet d’un appel à projets où l’économie circulaire était un des secteurs visés.

Par contre, dans le secteur de la formation professionnelle, l’écoconditionalité n’est pas mise en œuvre et ne fait pas partie des critères retenus. On a toutefois vu un certain nombre de projets liés à la formation sur les métiers de demain en faveur de l’écologie.

Pour les fonds de prise de participation indirecte, que ce soit le Fonds national d’amorçage ou le Fonds capital risque développement, un quart des fonds sont investis dans des actions ayant pour objet la transition énergétique, mais sans critère d’écoconditionnalité. Les actions y participent sans que cela soit un objectif défini au départ.

Dans le cadre du PIA 2, on a vu des projets territoriaux intégrés où l’écoconditionnalité était complètement incluse. Dans un second temps, d’autres actions sont apparues très éloignées de l’écoconditionnalité, comme par exemple dans le secteur des nanotechnologies ou des programmes en faveur de la modernisation de l’action publique et de la transition numérique de l’État.

Sur l’action Partenariat pour la formation, certains projets ont un lien avec la transition énergétique, mais ce n’était pas leur objectif premier.

La dernière action du PIA 2, French tech, porte sur le soutien aux écosystèmes numériques. Là non plus l’écoconditionnalité n’est pas la priorité. L’objectif premier est de faire éclore des écosystèmes avec des incubateurs et des start-up. Certains néanmoins travaillent en faveur de la transition énergétique.

Mme Odile Renaud-Basso. Pour ces actions, il n’y avait pas de sous-objectif relatif à l’écoconditionnalité.

Mme Christel Sanguinède. Sur le PIA 2, on peut distinguer deux paquets d’actions, le premier très orienté transition écologique et le second qui en est totalement éloigné.

Mme Eva Sas, rapporteure. L’objectif de l’écoconditionnalité ne porte pas sur les programmes de transition écologique dont elle est effectivement constitutive. Son intérêt est d’introduire pour les autres programmes, des contraintes et des objectifs de transition écologique. Des objectifs d’économie d’énergie peuvent ainsi être fixés aux actions portant sur le développement du numérique, par exemple, qui est un des premiers secteurs consommateurs d’énergie.

On constate à travers vos propos que cela reste un peu flou. Il n’y a pas de systématisation ni de pensée réfléchie sur la signification d’une grille d’écoconditionnalité pour l’innovation en France.

Mme Odile Renaud-Basso. Une typologie a été faite avec le CGI qui distinguait les actions dédiées « transition énergétique » et celles qui pouvaient contribuer à la transition énergétique sans être ainsi ciblées. Nous avons deux actions stricto sensu dédiées à la transition énergétique ; pour les autres on ne peut pas dire qu’elles y contribuent. Il n’a pas été appliqué aux actions nanotechnologie, action publique, Bio Tech, de critères additionnels portant sur la transition énergétique. Il aurait fallu procéder à un découpage des actions pour appliquer sur une partie d’entre elles le critère l’écoconditionnalité et nous n’avons pas réussi à le faire.

Mme Christel Sanguinède. Il faut rappeler que le cahier des charges doit convenir à l’ensemble des ministères qui sont partie prenante et au CGI. Il n’est pas évident de trouver un terrain d’accord et d’ajouter un critère assez novateur.

Mme Eva Sas, rapporteure. Cela fait longtemps que l’on sait que le secteur des nouvelles technologies est fortement consommateur d’énergie. L’écoconditionnalité est censée introduire des critères supplémentaires dans la sélection des projets. Nous cherchons à en mesurer la traduction concrète.

Mme Christel Sanguinède. Il faut distinguer entre les actions intrinsèquement dédiées à la transition énergétique, celles qui pouvaient y contribuer et celles qui en sont éloignées. Je n’ai pas le souvenir que toutes les actions du PIA 2 devaient répondre à un critère d’écoconditionnalité

M. Philippe Pradier. Je voudrais revenir sur la question des fonds propres. On a tiré les enseignements de leur sous-consommation dans la première tranche du PIA Ville de demain et on peut, pour l’avenir, imaginer de desserrer l’équation du modèle économique.

Côté dépenses, pour un projet donné – et c’est ce qu’on a commencé à faire dans le cadre de la deuxième tranche du PIA – il faut être un peu moins exigeant en matière de critères car on s’est rendu compte que cumuler sur un même projet un très haut degré d’innovation et une performance largement supérieure à la réglementation et à la pratique courante, générait des surcoûts qu’aucun modèle économique ne pouvait absorber. Il faut desserrer ces contraintes tout en gardant bien sûr une longueur d’avance par rapport à la production courante qui se fait dans notre pays.

Côté recettes, on peut agir sur le marché auquel s’adressent ces projets en visant des sites particulièrement porteurs en termes de croissance économique et de marché immobilier. Les prises de participation réussies dans l’immobilier portent sur des villes comme Marseille et Strasbourg, dont les marchés leur permettent d’absorber des projets onéreux et complexes.

La troisième piste à explorer dans le cadre du programme Ville de demain consisterait à s’adresser plus directement aux entreprises et acteurs privés. Jusqu’à présent les fonds propres étaient dédiés uniquement à des structures de projets. S’il est très compliqué dans le système fermé d’un projet d’absorber les surcoûts d’innovation, cela peut être plus facile d’absorber ce surcoût à l’échelle d’une entreprise, qui peut étendre sa zone géographique d’influence et connaître une forte croissance. C’est ce que nous essayons de faire dans le cadre de l’action Ville de demain. Nous n’avons pas encore beaucoup de prospects mais nous avons deux ans d’engagement devant nous. Nous espérons pouvoir intervenir dans les entreprises, peut-être pas dans celles du type start-up ou PME comme le fait BPI France, mais plutôt du côté des opérateurs qui ont un lien marqué avec les territoires.

Mme Odile Renaud-Basso. Si on veut poursuivre l’action Ville de demain, il faudra lui dédier une partie des subventions. La ressource est rare et si on ne met que des fonds propres, on restreindra le champ des projets par rapport à ce qu’on peut faire aujourd’hui. Des arbitrages devront être faits.

Mme Eva Sas, rapporteure. Vos principaux interlocuteurs étant les collectivités territoriales, je ne suis pas étonnée que le financement par des fonds propres ne soit pas adapté.

Mme Sophie Rohfritsch, rapporteure. Les collectivités territoriales réfléchissent de plus en plus à des partenariats public/privé. Ce sont les acteurs privés qui prennent le relais des très grands projets innovants.

M. Philippe Pradier. Les projets en prise de participation ont certes été présentés par des collectivités territoriales, mais pour chacun d’entre eux la négociation et le montage se sont déroulés avec un acteur privé. À Strasbourg par exemple, on est en train de finaliser un projet de tour de logements à énergie positive – la première en France – avec un acteur privé qui est un promoteur local. À Marseille, on étudie un projet de boucle à eau de mer qui consiste à fournir de la chaleur ou du froid selon les saisons en utilisant les différences de température entre la terre et la mer. On espère monter ce projet de l’ordre de 50 millions d’euros en prise de participation avec une filiale d’EDF.

Mme Eva Sas, rapporteure. Je vous remercie beaucoup pour vos interventions.

——fpfp——