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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mardi 15 mars 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 20

Présidence de MM. Jean-Pierre Gorges et Nicolas Sansu, rapporteurs 

La transparence et la gestion de la dette publique

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gaël Giraud, directeur de la chaire « Énergie et prospérité » de l’École Polytechnique (X), de l’École normale supérieure (ENS) et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), et de M. Henri Sterdyniak, conseiller scientifique de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Messieurs Gaël Giraud et Henri Sterdyniak, nous vous remercions d’avoir accepté l’invitation de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC).

M. Gaël Giraud, directeur de la chaire « Énergie et prospérité » de l’École Polytechnique (X), de l’École normale supérieure (ENS) et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE). Pour répondre aux questions que vous nous avez adressées, je voudrais déjà préciser que la dette publique française a pris des proportions importantes à partir des années 1970, date à laquelle notre pays s’est inscrit dans un mouvement plus large qui a touché presque tous les pays anciennement développés et industrialisés. Ces pays, dont les États-Unis, avaient ainsi très peu de dette publique jusqu’à la fin des trente glorieuses, puis ont vu leur endettement fortement progresser au tournant des années 1970 et 1980. Cette évolution, indépendante de la nature des politiques publiques mises en œuvre, n’a pas uniquement concerné les dettes publiques, car l’endettement privé a également augmenté significativement au cours de la même période.

Que s’est-il passé dans les années 1970 pour que les secteurs public et privé se soient endettés ? La difficulté de l’approvisionnement en énergie constitue le seul facteur exogène qui apparaît à cette époque. En 1970, les États-Unis ont atteint le point culminant de leurs réserves pétrolières (le peak oil). À partir de cette date, la productivité des puits de pétrole découverts dans les années 1930, qui avaient assuré la prospérité américaine au cours des trente glorieuses, s’est mise à décliner à cause de problèmes géologiques bien connus. La productivité des puits exploités selon les techniques conventionnelles d’extraction a décliné d’année en année à partir de 2000 pour la Mer du Nord, et en 2005 pour l’ensemble de la planète. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a reconnu ce fait en 2010 même si des débats subsistent sur la réalité du peak oil si l’on prend en compte les techniques non conventionnelles d’extraction de pétrole.

À partir du deuxième choc pétrolier du début des années 1980, le monde industrialisé n’arrive plus – et n’arrivera plus – à retrouver son niveau de croissance de consommation d’énergie des trente glorieuses. Les investissements réalisés ne parvenant plus à produire suffisamment de richesses – puisque les deux tiers de la croissance du produit intérieur brut (PIB) s’expliquent par la croissance de la consommation d’énergie –, l’endettement, pour la puissance publique comme pour le secteur privé, devient nécessaire pour pallier la faiblesse du rendement des investissements.

Le Japon possède un taux d’endettement bien supérieur au nôtre – 250 % du PIB – la dette des États-Unis représentant 125 % de leur PIB. La France se situe dans la moyenne des pays de la zone euro. Cette situation résulte plus probablement de problèmes planétaires profonds que de décisions de politique publique de tel ou tel gouvernement.

La réponse politique essentielle à la question des endettements public et privé réside dans la transition énergétique, qui devra nous permettre de nous libérer du carcan des énergies fossiles, dont nous n’arrivons plus à accroître la production pour des raisons géologiques. La question de la transition énergétique semble a priori éloignée du traitement de la dette publique, mais elle en constitue en fait la condition. Le paradoxe tient au fait que pour mener la transition vers une économie décarbonée, il faut commencer par s’endetter davantage. Pourtant, telle est la direction dans laquelle nous devons avancer si nous voulons réduire le niveau d’endettement de la puissance publique et celui de la sphère privée, ce dernier s’avérant bien plus dangereux que le premier. Le problème principal de la zone euro réside dans la dette privée et non dans celle du secteur public.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Malgré le transfert de dettes privées dans l’endettement public opéré ces dernières années?

M. Gaël Giraud. Il s’agit en effet d’un problème majeur. L’Irlande était le meilleur élève de la classe en 2007 avec une dette publique qui ne dépassait pas 25 % de son PIB et la dette espagnole n’était que de 40 % du PIB. Un an plus tard, la dette irlandaise atteignait 100 % et celle de l’Espagne ne cesse de croître, à cause du transfert que vous venez d’évoquer, monsieur Sansu. Le secteur bancaire n’a pas voulu assumer ses responsabilités et a fait peser sur le contribuable le coût de ses errements lors de la constitution de la bulle des subprimes. Il ne s’agit néanmoins que d’un facteur aggravant de la raison structurelle de l’augmentation des dettes publiques et privées qu’est l’insuffisance de la production énergétique.

M. Henri Sterdyniak, conseiller scientifique de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Nous nous trouvons dans une situation très particulière due à la conjonction de dettes publiques élevées dans les pays développés avec une faiblesse des taux d’intérêt et d’inflation. Les dettes et les déficits publics contribuent à stabiliser la situation macroéconomique et ne constituent donc pas des facteurs de déséquilibre.

Comme l’a dit M. Gaël Giraud, la France ne présente aucune spécificité en la matière, et il ne sert à rien de chercher une propension française à la dépense publique ou au déficit. Les pays développés sont simplement victimes d’un déséquilibre macroéconomique important, dû au triomphe à la Pyrrhus du capitalisme financier. En effet, le capital l’a emporté sur le travail ; les marchés financiers réclament des taux de rentabilité élevés que les entreprises ne peuvent atteindre par des investissements physiques. La finance se développe dans des proportions prodigieuses et, dans le même temps, le marché des biens se trouve déséquilibré et la demande s’avère insuffisante. En outre, les inégalités de revenus croissent fortement – davantage dans les pays anglo-saxons qu’en France –, si bien que les plus pauvres ne peuvent pas consommer. Les fonds de pension, puissants dans certains pays, agissent également au détriment de la demande. Enfin, des pays connaissent des excédents en pétrole quand d’autres, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, accumulent des réserves pour financer leurs retraites futures. Au total, la demande doit être soutenue : des bulles financières et immobilières, c’est-à-dire de l’endettement privé, ont joué ce rôle, mais elles ont fini par éclater. Il ne reste donc plus que l’endettement public pour soutenir l’activité.

Le Japon et les pays anglo-saxons acceptent l’endettement public, mais ce n’est pas le cas de la zone euro ; les contraintes issues du traité de Maastricht obligent à y mener des politiques d’austérité. La zone euro souffre d’un double déséquilibre : à celui, structurel, induit par le capitalisme financier, s’ajoute en effet l’écart entre les pays du Nord qui accumulent des excédents et les pays du Sud qui ont dû conduire des politiques d’ajustement de leurs finances publiques. Le résultat est une zone en dépression dans laquelle la France se trouve, entre les deux groupes de pays : en effet, la France n’a pas accumulé d’excédents extérieurs comme l’Allemagne et n’a pas réalisé d’efforts importants de compétitivité, mais a résisté, en partie, aux politiques d’austérité du fait de sa taille. Dans la zone euro, la France est le seul pays à souffrir d’un déficit extérieur et d’un déficit public important. Réduire ce déficit obligerait à mener des politiques d’austérité qui maintiennent la zone euro dans la crise.

La situation est difficile, car il faudrait convaincre certains pays de la zone euro d’accroître leur déficit pour soulager les autres, ce qu’ils se refusent à faire, alors que sans croissance, les déficits ne se résorberont pas.

Les profits des entreprises devraient servir à investir dans la transition écologique, et les ménages disposés à consommer davantage devraient bénéficier de politiques salariales et sociales plus avantageuses. Or aucun pays n’est prêt seul à prendre de telles décisions par peur de perdre en compétitivité. Les politiques de compétitivité nuisent à l’équilibre global de l’économie mondiale. Le défi essentiel consiste à repenser l’équilibre macroéconomique de la zone euro et non à résorber la dette publique.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Peut-on expliquer l’envolée de la dette depuis les années 1970 ? Certains acteurs ont-ils gagné à cette augmentation de l’endettement ? La dette joue-t-elle un rôle dans les politiques publiques menées ? En effet, au nom de la dette, on nous demande d’accepter des mesures qui passeraient plus difficilement sans le prétexte de cette contrainte.

Quelle influence a le quantitave easing (QE) mis en œuvre aujourd’hui ? Monsieur Giraud, pourriez-vous nous présenter plus précisément vos études sur la dette ainsi que vos propositions sur les changements de maturité et d’émission de titres, et sur la renationalisation et la réinternalisation de la dette ?

M. Gaël Giraud. L’un des rôles de la dette publique consiste à stabiliser le système économique, aujourd’hui fragile. Croire que l’économie de marché s’équilibre spontanément relève d’une vision dogmatique, que de nombreux éléments théoriques et empiriques contredisent. L’État a, en réalité, en permanence un rôle contracyclique à jouer pour équilibrer le cycle interne d’une économie de marché. Si l’État refusait d’investir quand le secteur privé ne le fait pas et de relâcher la pression fiscale lorsque l’économie repart, il empêcherait l’activité économique de suivre une trajectoire équilibrée. Il n’y a pas d’économie de marché équilibrée sans intervention permanente de l’État. Cela va à l’encontre de l’idéologie selon laquelle la réduction de l’activité de l’État s’avère toujours positive, cette religion de l’économie de marché n’ayant aucun fondement théorique ou empirique.

Dans le contexte actuel de déflation, le rôle de l’État est encore plus important ; l’austérité budgétaire se révèle catastrophique, et la politique volontariste de réduction de la dette publique une très mauvaise idée. Dans une situation de déflation, la majorité des acteurs privés souffrent d’un surendettement qui les empêche d’investir, ce qui paralyse la machine économique ; l’ensemble des acteurs privés tentent donc de se désendetter en vendant leurs actifs. Or si tout le monde vend simultanément ses actifs, le prix de ceux-ci s’effondre, ce qui entraîne une baisse généralisée des prix. Si les prix baissent plus vite que la réduction de la dette nominale des agents, alors la dette réelle augmente ; par exemple, si j’ai 100 de dette et que je vends pour 10 de mes actifs, mais que le niveau général des prix baisse de 15 %, alors le poids réel de ma dette a progressé. Dans une trappe déflationniste, la dette des acteurs s’accroît si chacun cherche à se désendetter au même moment. Voilà pourquoi les politiques d’austérité imposées à la Grèce sont contre-productives ; le ratio grec de la dette publique sur le PIB ne cesse de s’élever et continuera d’augmenter tant que l’on contraindra ce pays à suivre ce chemin qui conduit à ce que la croissance du PIB restant inférieur à celle de la dette publique.

S’il est indispensable que le secteur privé se désendette pour pouvoir investir et relancer la machine économique, l’État n’a pas à mener cette politique au même moment sous peine d’aggraver la déflation et doit au contraire dépenser et investir. Lorsque l’activité économique sera repartie, l’État pourra à son tour se désendetter.

Le traité de Maastricht interdit les avances de la Banque centrale européenne (BCE) aux États, si bien que la BCE ne rachète de la dette que sur le marché secondaire, c’est-à-dire aux banques et non à l’Agence France Trésor (AFT). Il serait opportun de réviser cette disposition du traité, mais il est impossible d’obtenir un accord politique sur cette mesure aujourd’hui. Si l’on oblige les États à s’endetter auprès d’investisseurs privés, on crée en effet des gagnants, en l’occurrence les investisseurs privés. Ces derniers prêtent à la France à des taux ridiculement bas car ils doivent diversifier leurs portefeuilles, acquérir des titres de la dette publique et en acheter une partie en euros. Dans la zone euro, la totalité du sud de l’Europe est proscrite – certains pays n’ayant d’ailleurs plus accès au marché – et les autres États de la zone euro émettent peu de dettes ; les investisseurs anglo-saxons prêtent donc à des taux presque nuls à la France, non parce qu’ils croient à la vertu de sa politique en matière de finances publiques, mais parce qu’ils souhaitent détenir de la dette publique en euro émise par une économie solide.

L’assouplissement monétaire quantitatif (le QE) mené par les banques centrales américaine, européenne et japonaise – cette dernière prêtant à taux négatif –, a créé un malentendu important, celui de faire croire que les banques allaient prêter à l’économie réelle. La doctrine néoclassique standard défend l’illusion du multiplicateur monétaire, selon laquelle les banques commerciales créeront x euros qui alimenteront l’économie réelle pour chaque euro émis par la banque centrale. Cette théorie s’avère totalement fausse. Quand la banque centrale inonde le marché interbancaire de liquidités, les banques privées ne sont pas obligées de prêter aux acteurs de l’économie réelle et elles ne le feront que si une demande de crédit leur est adressée et si elles y trouvent leur intérêt. Ces deux conditions ne sont pas remplies depuis 2008, car la demande de crédit s’est effondrée à cause du surendettement du secteur privé et les bilans des banques, notamment françaises, se sont beaucoup dégradés. Il ne faut pas croire les dirigeants des banques françaises qui proclament la grande santé de leur établissement : elles sont tellement fragiles qu’elles ont peur de prêter à l’économie réelle où il existe un taux de défaut, naturel pour une économie industrialisée comme la France. Les banques mixtes qui exercent à la fois des activités de marché et de réseau préfèrent prendre part à des opérations à fort effet de levier spéculatif sur les marchés financiers, puisqu’elles disposent de l’assurance publique liée à la garantie des dépôts qui leur permet de gagner beaucoup d’argent lorsque l’opération fonctionne ou d’être sauvées par le contribuable en cas d’échec. Toutes les décisions de QE ont échoué à relancer la machine du crédit bancaire.

La BCE pourrait racheter des créances titrisées émises par les banques privées pour relancer le crédit bancaire, car elle a compris la dangerosité de la trappe déflationniste dans laquelle nous sommes enlisés et est prête à tout expédient pour encourager les banques privées à prêter à l’économie réelle. Cet instrument ne réussira pas davantage que le QE, le secteur privé n’étant plus en mesure de demander du crédit aux banques du fait de la trappe déflationniste et de l’absence totale de perspectives. Les entreprises ont besoin de carnets de commandes remplis et ce n’est pas cet outil monétaire qui stimulera l’activité.

Un pays, l’Australie, a pratiqué le QE for people en 2009 juste après la crise financière. Elle n’a pas connu de grande récession à la suite de l’utilisation de cet instrument, au contraire, cela a permis aux ménages surendettés d’être à nouveau solvables. Ce succès ne signifie pas que n’importe quel QE for people fonctionnerait dans n’importe quelle situation, mais l’on peut étudier cet exemple pour savoir s’il serait opportun de l’importer en Europe.

Le souhait de la BCE de racheter des créances titrisées des banques privées présente le danger de rééditer les erreurs commises sur la titrisation entre 2001 et 2007 et qui ont conduits à la crise des subprimes, les banques ayant prêté pour des projets qui n'avaient aucun sens – que l’on songe aux réalisations immobilières en Irlande ou en Andalousie. Si la BCE envoie le signal aux banques privées de les couvrir pour tous les prêts qu’elles émettront, elle encourage le retour de ce phénomène. La BCE devrait plutôt raisonner avec les États sur la politique industrielle – elle n’en a pas le mandat, mais nous sommes déjà entrés dans une phase non conventionnelle – et effectuer du QE en direction de secteurs fléchés, notamment, celui de la transition énergétique.

M. Henri Sterdyniak. Avant 1980, nous réussissions à spolier les rentiers car les taux d’inflation étaient supérieurs aux taux d’intérêt ; les dividendes étaient relativement faibles et les taux d’intérêt étaient inférieurs à ceux de la croissance. La révolution néolibérale a mis un terme à cette situation, et les taux d’intérêt ont atteint des niveaux très élevés entre 1980 et 2000, période au cours de laquelle les taux de croissance étaient bien plus faibles. La dette publique a augmenté et les rentiers gagnaient beaucoup d’argent grâce aux forts taux d’intérêt ; un effet de boule de neige s’est développé puisque cette situation a déprécié encore davantage la croissance, qui alimentait encore plus l’endettement.

Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont très bas, la France s’endettant à des taux négatifs jusqu’à cinq ans. Le taux d’intérêt apparent sur la dette est très bas, à 2,2 %. La rentabilité des investissements se trouve dépréciée et la dette continue à alimenter l’effet de boule de neige, car la croissance du PIB reste inférieure à 2,2 %. La croissance nominale dépassera peut-être le taux d’intérêt de la dette l’année prochaine, et les détenteurs de dette publique y perdront. Cela constituera une bonne nouvelle : par exemple, la retraite par capitalisation ne pourra pas concurrencer la retraite par répartition.

Les marchés anticipent un maintien des taux courts autour de 2 % à horizon de 20 ou 30 ans, car ils ne perçoivent aucun risque d’inflation ni de retour d’une croissance forte. À leurs yeux, la dette de la France ne présente aucun danger. Le problème ne réside donc pas dans une pénurie d’acheteurs de titres de la dette française à taux bas, mais dans le manque d’investissements physiques productifs. Il convient donc d’agir dans le domaine industriel et non financier.

Je ne crois pas au QE for people car c’est à la politique budgétaire de transférer de l’argent au peuple et non à la politique monétaire. La BCE ne peut pas distribuer l’argent qu’elle n’a pas, car elle ne peut pas présenter de bilan déséquilibré sans que la charge de ce déficit ne soit imputée aux États de la zone euro. Les Allemands n’accepteraient pas que l’on contourne ainsi les critères de Maastricht, dont il convient d’affirmer qu’ils ne correspondent pas aux besoins actuels de l’économie européenne.

Il faut relancer un modèle productif français, mais les entreprises n’investissent pas suffisamment par rapport à leurs profits. La BCE n’a pas pour fonction de pallier l’absence des entreprises, surtout qu’elle doit décider de la politique monétaire de l’ensemble de la zone euro. Elle devrait davantage garantir les dettes publiques, mais le reste de la politique économique incombe aux États. Que peut faire la France pour relancer l’investissement dans les secteurs d’avenir comme celui de la transition énergétique ? Il est nécessaire d’approfondir les réseaux entre les entreprises et les acteurs du secteur bancaire et financier comme la banque publique d’investissement, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et La banque postale, mais également les banques privées. Il y aurait lieu de conclure un pacte productif permettant de soutenir des filières d’avenir – rénovation urbaine, rénovation des logements, énergies renouvelables, transports collectifs – en aidant l’industrie française, en finançant la demande, en organisant l’offre. Il existe des circuits privilégiés pour les habitations à loyer modéré (HLM) et il convient d’en créer de nouveaux pour la transition écologique. Il y a suffisamment d’épargne en France pour financer ces actions, encore faut-il l’orienter différemment.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Le montant des dépôts d’assurance vie correspond environ à celui de la dette de l’État. Ne pourrait-on pas flécher cette épargne pour stimuler le renouveau productif. Ne serait-ce pas assimilable à la réactivation d’un circuit du Trésor ?

M. Gaël Giraud. Il y a deux options pour financer l’investissement : puiser dans des liquidités déjà existantes comme l’épargne – qui s’avère surabondante dans les pays anciennement industrialisés – ou créer de la monnaie. Ces deux actions diffèrent, puisque l’on n’augmente pas la quantité de monnaie en circulation dans le premier cas, contrairement au second.

Les banques commerciales créent de la monnaie tous les jours, ce droit leur étant délégué par l’État qui leur accorde une licence bancaire. La grande quantité d’épargne disponible pourrait nous inciter à puiser dans ces fonds plutôt que d’accroître la quantité de monnaie en circulation. J’approuve cette orientation, mais il n’est pas si simple de mobiliser l’épargne ; en effet, si les compagnies d’assurances la gèrent, le carcan prudentiel de Solvabilité II – ou Solvency II – les dissuadera de procéder à des investissements verts de long terme. Je réfléchis actuellement avec des assureurs pour assouplir le cadre de Solvabilité II et leur permettre ainsi de mobiliser l’épargne qu’ils gèrent dans les secteurs verts. En outre, l’épargne gérée par les banques migre vers les marchés financiers où la rentabilité est élevée tant que les opérations à fort effet de levier réussissent. Tant que les marchés financiers soutiendront la promesse illusoire d’investissements rapportant 5, 10 ou 15 % par an, il s’avérera difficile d’orienter l’épargne vers des investissements dans l’économie réelle qui ne rapportent pas à court terme.

Le mandat de la BCE ne l’autorise pas à intervenir dans ces domaines, mais nous avons abordé une terra incognita depuis la crise financière, et M. Mario Draghi n’hésite plus à mener une politique non conventionnelle, ce qui nous autorise à réfléchir à des actions de la BCE qui n’autorisent pas aujourd’hui les traités.

L’organisation de la zone euro repose sur l’idée d’une séparation étanche entre les politiques monétaire et budgétaire. Comme M. Henri Sterdyniak l’a dit, l’élaboration d’une politique industrielle intelligente concerne la politique budgétaire, mais on ne peut plus penser ces deux piliers de la politique économique indépendamment l’un de l’autre. La politique monétaire n’est pas neutre pour l’emploi, la croissance et les déficits publics car la quantité de monnaie injectée a un impact sur l’économie réelle. Il faudrait donc revenir sur l’indépendance de la banque centrale européenne par rapport au pouvoir politique ; la BCE n’a pas d’interlocuteur politique européen avec lequel discuter, contrairement à son homologue américaine, le manque d’un pilier politique dans la construction européenne se faisant cruellement sentir – et je suis de moins persuadé qu’il émergera un jour. Si le climat politique était différent, je plaiderais vivement pour l’instauration d’un fédéralisme européen qui permettrait la constitution d’un pouvoir politique, qui serait un interlocuteur puissant pour la BCE. Se retrouvant seule, cette dernière se tourne vers le secteur bancaire privé ; ainsi, depuis 2008, aucune décision de la BCE n’a été défavorable au secteur bancaire, y compris le rachat sur le marché secondaire de la dette publique, puisque cela a permis aux banques d’acquérir sur le marché primaire une dette publique garantie par la BCE quelle que soit la qualité de la dette. Les banques ont profité d’un immense effet d’aubaine pour réaliser des marges considérables, de l’ordre de 4 à 5 %, en achetant de la dette grecque, portugaise ou espagnole et en la revendant à un prix plus élevé à la BCE.

Les investisseurs devant diversifier leurs portefeuilles, ils ne sont pas incités à prendre en compte le risque souverain pour la France ; en revanche, ils se montrent très attentifs au risque de faillite des banques commerciales. Cela explique la tempête boursière que celles-ci ont connue pour leurs propres titres en début d’année. Les investisseurs privés internationaux ne sont pas dupes des effets d’annonce commerciaux des banques françaises et savent qu’elles ne sont pas si éloignées de la faillite ; un choc sur les actifs bancaires de l’ampleur de celui de 2008 aurait probablement raison de nos quatre champions nationaux – qui auraient fait faillite en décembre 2008 sans l’intervention massive de l’État. À la demande de M. Klaus Welle, j’ai rédigé l’année dernière un rapport pour le Parlement européen sur le coût d’un prochain krach bancaire dans la zone euro dans le contexte de la construction de l’Union bancaire européenne. J’y concluais que l’Union bancaire européenne, même en 2023, date à laquelle elle doit atteindre son régime de croisière, ne pourrait pas nous protéger d’un krach bancaire de même amplitude que celui de 2008. Dans tous les cas, les contribuables européens seraient à nouveau mis à contribution pour sauver les banques si celles-ci devaient connaître des pertes d’actifs comparables à celles enregistrées en 2008. Un krach de l’ampleur de celui de 2008 avec une Union bancaire fonctionnant à plein régime coûterait environ 1 000 milliards d’euros de PIB à la zone euro en deux ans. Le secteur privé est conscient de cette menace, ce qui explique une partie du désamour des investisseurs pour les banques françaises.

Il convient de reconstruire un mode de financement de la puissance publique en Europe qui ne passe pas par les marchés financiers.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Vous avez davantage traité la question du déficit que celle de la constitution et des risques de la dette. Vos positions s’avèrent en outre très personnelles. Monsieur Giraud, quand vous dites que la transition énergétique sauvera la France, j’ai l’impression que les choses sont un peu plus complexes que cela. Vous affirmez que tous les pays connaissent la même situation en matière d’endettement depuis l’apparition de problèmes dans le secteur des énergies carbonées, mais le cas français m’apparaît spécifique. En outre, 85 % de l’énergie consommée en France est d’origine nucléaire et, par ailleurs, les dépenses fiscales soutenant la transition énergétique sont élevées. Il faudra bien compenser la facture de 60 milliards d’euros que cette transition génère par rapport au nucléaire. D’ailleurs, Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, a annoncé vouloir prolonger la durée de vie des centrales de dix ans – décision aberrante car il faut soit les arrêter soit prolonger leur activité pendant vingt ans du fait de la nécessité d’investir 55 milliards d’euros, charge qui ne pourra pas acquitter en dix ans. Les États-Unis utilisent beaucoup d’énergies carbonées et l’Allemagne, dont la situation est meilleure que la nôtre, a décidé de revenir vers ces énergies.

La dette n’est pas uniquement liée à l’énergie, et les gouvernements français ont pris de nombreuses décisions qui ont eu un impact sur l’endettement. Un quart des dépenses sociales dans le monde sont françaises ! Le passage de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans a représenté une forte charge financière. L’abaissement de la durée légale du travail à 35 heures hebdomadaires a induit un coût annuel de 22 milliards d’euros – 12 milliards d’euros aujourd’hui – pour compenser les charges sociales. Ainsi, dans la dette française, 300 milliards d’euros découlent des 35 heures. Les réformes des retraites et des 35 heures ont généré 600 milliards de dette sur les 2 000 milliards d’euros de la dette française. La baisse de la TVA pour les restaurateurs ou la défiscalisation d’heures supplémentaires ont également contribué à notre endettement. Il est donc aisé de reconstituer la composition de la dette française.

Face à cette situation, vous nous dites qu’il suffit de mettre en œuvre la transition énergétique ! Les pays qui se portent mieux que nous, comme la Chine empruntent le chemin inverse, même si je ne dis pas qu’ils ont raison d’un point de vue environnemental.

La question qui vous est posée concerne les risques pesant sur la dette française, qu’ils aient trait à ses détenteurs ou à son taux d’intérêt. La France court-elle un danger dans ce domaine ? La constitution de la dette découle de choix politiques qui nous incombent. Vous êtes là pour éclairer la Mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion de la dette.

M. Henri Sterdyniak. La dette française n’est pas supérieure à celle du Japon, des États-Unis et du Royaume-Uni où la protection sociale est moins développée. L’âge du départ à la retraite des Américains n’a pas été fixé à 60 ans, et pourtant le problème de l’endettement s’est posé ! L’endettement ne dépend pas de telle ou telle mesure de politique économique.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Cela résulte de choix politiques qui ne sont pas l’objet de cette mission.

M. Henri Sterdyniak. Les taux d’intérêt mondiaux sont faibles du fait de déséquilibres macroéconomiques. Si la France était le seul pays à connaître un problème d’endettement, les taux d’intérêt de sa dette seraient plus élevés, ce qui n’est pas le cas, car les marchés n’imposent aucune prime de risque à notre pays. Le problème pour les pays développés est d’ordre macroéconomique.

Le scénario d’une remontée des taux implique que la BCE donne l’impulsion, ce qu’elle ne ferait que si l’inflation et la croissance revenaient. La plupart des économistes et des acteurs du marché ne prévoient pas dans les prochaines années d’augmentation de l’inflation et de la croissance qui justifierait une forte hausse des taux d’intérêt. Si cela devait advenir, ce serait une bonne nouvelle !

M. Nicolas Sansu, rapporteur. En 2016, le déficit devrait s’élever à 72 milliards d’euros ; le CICE coûtera cette année 20 milliards d’euros, mais peut-on dire que le déficit résulte de cette mesure ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Les choix de politiques publiques alimentent le déficit. La question de cette mission a trait à la détention de la dette et aux risques qui pèsent sur elle. Nous devons expliquer aux Français comment sont gérés les 2 000 milliards d’euros de dette.

Vous nous dites qu’il faut investir dans le logement social et les transports écologiques, mais je fais cela depuis quinze ans en tant que maire !

M. Gaël Giraud. Sans les intérêts de la dette, le ratio de l’endettement de la France par rapport à son PIB ne dépasserait pas 30 %.

Personne ne connaît l’identité des détenteurs de la dette. L’AFT ne réalise que des estimations sur ceux qui possèdent les titres de dette française. J’ai soulevé ce point auprès du ministère des finances et des comptes publics en 2013 car il n’est pas normal que l’administration puisse se retrancher derrière son ignorance des détenteurs de la dette. Cela fait peser un risque considérable sur l’économie française, car certains de ces investisseurs pourraient vendre leurs titres de dette sans que l’on ne puisse l’anticiper. L’AFT doit exiger des banques commerciales, notamment de BNP Paribas et de la Société générale auxquelles l’Agence a délégué la diffusion de la dette publique française, la transmission de l’identité des acheteurs des titres de la dette.

L’AFT estime que deux tiers de la dette française sont détenus par des non-résidents, alors que cette proportion n’est que d’un tiers en Italie. Au Japon, les résidents détiennent 95 % de la dette publique, si bien que le pays n’est pas menacé par les marchés alors que sa dette culmine à 250 % du PIB.

Il s’agit là d’un enjeu fondamental de souveraineté politique : pourquoi avons-nous laissé au fil des années les banques commerciales gérer la dette publique française et la vendre massivement à des non-résidents ? Cela expose notre pays aux comportements erratiques et non contrôlables de ces investisseurs.

Il faut donc imposer aux banques commerciales un quota de vente des titres de la dette à des résidents, afin de nationaliser la dette publique future.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. L’AFT nous a dit aujourd’hui que si l’on mettait en œuvre une telle mesure, plus personne n’achèterait de dette française.

M. Gaël Giraud. Sur quel fait se fonde-t-elle pour étayer une telle affirmation ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Selon l’AFT, si l’on exigeait de connaître l’identité des acheteurs des titres de la dette, plus personne ne voudrait en acquérir.

M. Gaël Giraud. Je ne dis pas qu’il faut rendre publique l’identité des acheteurs, mais l’État doit avoir accès à cette information.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Tout fichier détenu par l’État devient public en France !

M. Gaël Giraud. Vous ne connaissez pas le montant de l’impôt acquitté par les personnes que vous rencontrez ? Il ne s’agit pas d’une information publique.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Cela finit toujours par l’être.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. L’AFT et vous êtes en désaccord, et nous nous posons des questions sur ce sujet.

M. Gaël Giraud. Il n’est pas acceptable que l’on continue à émettre de la dette publique en ignorant l’identité de ses acheteurs ; c’est un problème de souveraineté nationale.

Les banques centrales étrangères des pays de la zone euro constituent une bonne partie des acheteurs non-résidents des titres de dette publique française depuis quinze ans. On aimerait en connaître l’exacte proportion, et il n’est pas normal que l’on ne sache pas le montant de dette détenu par les banques centrales allemande ou autrichienne.

Nous devons connaître l’identité des détenteurs de notre dette pour nous assurer qu’ils ne joueront pas contre nous le jour où le spread français remonterait ce qui se produira quand les taux d’intérêt mondiaux cesseront d’être négatifs. Nos finances publiques ne sont pas assez vertueuses pour séduire les marchés financiers dans un contexte autre que celui, très spécifique, d’aujourd’hui.

M. Henri Sterdyniak. Le spread ne remonterait que si les marchés pensaient que la France allait quitter la zone euro. Les gestionnaires de portefeuille arbitrent entre les rentabilités et les risques, et estiment négligeable le risque que la France quitte la zone euro. Il est donc légitime que la France ait, à une petite prime de liquidités près, le même taux d’intérêt que l’Allemagne. Le risque d’élargissement du spread s’avère faible tant qu’aucun responsable politique ne menace de quitter unilatéralement la zone l’euro.

Il n’est pas possible de demander l’identité des acheteurs des titres de notre dette ; on peut le regretter, mais cela ne se fait pas sur les marchés mondiaux. On peut inciter les Français à détenir des titres de dette publique, mais il n’est pas opportun de dissuader les investisseurs étrangers d’en détenir.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Comment éviter que les titres de notre dette contribuent à alimenter la grande lessiveuse des paradis fiscaux ?

M. Gaël Giraud. Il ne s’agit pas de révéler publiquement l’identité des détenteurs des titres de la dette publique française. Toutes les transactions commerciales internationales, à l’exception de celles de gré à gré, peuvent être connues, des chambres de compensation enregistrant l’ensemble de ces opérations. Cette publicité n’a jamais fait fuir le moindre investisseur. Je ne crois donc pas que l’établissement d’une liste faisant apparaître l’identité des acheteurs de la dette française les dissuade d’en acquérir les titres.

Il serait utile de lancer un grand emprunt national, dont il faudrait expliquer les objectifs aux Français, notamment le financement de grands projets d’avenir.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. J’approuve cette idée. Le problème de la dette française réside dans le fait qu’elle est constituée de charges de fonctionnement et non d’investissement, car notre pays n’investit plus.

M. Henri Sterdyniak. La richesse nette des administrations est supérieure à la dette. On ne sait pas si on s’est endetté pour payer des frais de fonctionnement.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Cela n’a rien à voir !

M. Henri Sterdyniak. Mais si, cela a à voir ! En France, l’État s’endette et les collectivités locales investissent. Ces dernières sont donc riches en patrimoine – piscines et crèches – et le bilan total des administrations publiques s’avère positif, même si celui de l’État est négatif. Les infrastructures physiques représentent un montant financier parmi les plus élevés au monde et se trouvent relativement en bon état. Nos routes sont en meilleur état que les autoroutes allemandes.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Elles sont payées par l’usager.

M. Henri Sterdyniak. Oui. L’État s’endette plus facilement que les collectivités locales en France.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Parce que l’État peut le faire, mais pas les collectivités.

M. Gaël Giraud. Depuis la crise financière asiatique de 1997 et 1998, la plupart des banques centrales des pays du sud sont tétanisées par le risque de fuite très rapide des capitaux dès que les taux d’intérêt remontent, surtout aux États-Unis. Si la Fed relevait ses taux comme elle l’annonce régulièrement, elle pourrait déséquilibrer profondément le Brésil. On ne peut pas reprocher aux banques centrales du sud de tenter de se protéger de la flexibilité des taux de change et de la mobilité des capitaux en accumulant de colossales réserves de change. La responsabilité de cette situation réside dans l’instabilité des marchés financiers qui a provoqué des dégâts énormes en Asie du Sud-Est. L’Europe n’a pas souffert de ces troubles et ne mesure pas la gravité du choc de 1997 pour ces économies.

On n’a peu agi sur la question des paradis fiscaux depuis 2009. La liste noire, puis grise, de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a été contournée par des accords bilatéraux entre paradis fiscaux. Ces pays ont signé douze accords de transparence comme l’Organisation l’exigeait pour quitter la liste, mais ils les ont en partie conclus entre eux. La véritable question derrière celle des paradis fiscaux a trait aux prix de transfert, cet instrument étant utilisé par des entreprises pour effectuer de l’optimisation fiscale en faisant apparaître dans leurs comptes des profits dans les paradis fiscaux qui ont, en fait, été réalisés dans les pays ayant un fort tissu industriel.

Il convient de mettre en œuvre les promesses formulées par le G20 en 2009 et d’obliger les paradis fiscaux à aligner leur régime fiscal sur celui de pays comme ceux de l’Union européenne (UE). En outre, il faut déployer le même système que celui conçu aux États-Unis, pour empêcher la concurrence fiscale entre les États de la fédération dont profitaient les entreprises pour optimiser leurs impôts. Cette règle, qui a fait disparaître le problème aux États-Unis, oblige les entreprises à déclarer le montant de leurs investissements, la valeur de leurs actifs, le nombre de leurs salariés et le niveau de leur profit. L’OCDE incite à juste titre les États à adopter cette norme de reporting. L’UE devrait se mobiliser sur ce sujet au sein du G20 où son influence pourrait porter.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Monsieur Giraud, vous avez écrit un article dans lequel vous recommandez de faire évoluer la maturité de la dette. Aujourd’hui, on emprunte majoritairement à huit ans, et vous vous prononcez pour une durée de trente ans. Pourriez-vous nous présenter vos idées dans ce domaine ?

M. Gaël Giraud. À cause du poids du service de la dette, la France est soumise à la tentation de « rouler la dette » en empruntant dans huit ans pour rembourser la dette d’aujourd’hui. La loi interdit pourtant un tel schéma de Ponzi, qui consiste à emprunter de l’argent à quelqu’un pour rembourser la dette contractée auprès d’une autre personne. Ce comportement s’avère assez inévitable lorsque l’on n’a pas les moyens de rembourser sa dette. Il faudrait analyser finement le cycle d’endettement de la France depuis une trentaine d’années ; cela montrerait très probablement que l'endettement contracté dans les années 1990 – qui nous coûte très cher aujourd’hui – nous oblige à rembourser une partie des intérêts de la dette en contractant de nouveaux emprunts. Il faut rallonger la maturité de l’endettement pour éviter cet enchaînement malsain pour les finances publiques. Cela n’atténuerait pas l’appétit des investisseurs privés pour la dette française compte tenu de leur besoin de diversifier leur portefeuille.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Il n’y aura pas d’acheteur, car les gens ne se situent pas dans le long terme.

M. Gaël Giraud. Sauf si l’on asséchait les maturités courtes.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Il faut que tout le monde le fasse alors.

M. Gaël Giraud. Il n’y a pas beaucoup d’émetteurs fiables de dette publique aujourd’hui dans la zone euro, ce qui donne une marge de manœuvre à la France.

M. Henri Sterdyniak. M. Giraud, je ne vous suis pas sur le schéma de Ponzi ; la dette française ne sera jamais remboursée parce que les dettes publiques ne sont, fort heureusement, jamais remboursées. L’objectif est de maîtriser le taux rapportant la dette publique au PIB. On rembourse chaque année la partie de la dette venant à échéance et l’on s’endette pour couvrir le nouveau déficit. L’AFT arbitre entre des taux courts négatifs – qui sont appelés à augmenter – et des taux longs qui restent faibles ; elle privilégie l’émission de titres à long terme puisque le taux n’est que de 1,65 % à trente ans.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. L’AFT nous a expliqué que cela devenait plus difficile de trouver des acheteurs pour ces titres. La France vit dans une anomalie où elle emprunte pour payer les intérêts de la dette.

M. Henri Sterdyniak. C’est normal, comment voulez-vous faire autrement ? Le déficit primaire – hors solde de la dette – s’élève à 2 % du PIB, peut-être moins actuellement. On ne peut pas dire que l’on va rembourser intégralement les 30 à 40 milliards d’euros que représentent 1,5 ou 2 % du PIB ! Pour rembourser la dette, il faut un solde primaire positif, ce que ne permet pas l’équilibre macroéconomique. Le solde primaire se trouvait à l’équilibre en 2006, mais la récession a évidemment généré un profond déséquilibre. M. Nicolas Sarkozy a essayé d’alimenter la machine économique en prenant des mesures expansionnistes, mais la crise financière a créé un déficit énorme. Le taux de prélèvements obligatoires a progressé de six points pendant les quinquennats de M. Sarkozy et de M. François Hollande pour réduire le déficit et la dette, mais le résultat économique de ces décisions s’est avéré catastrophique. La dette ne résulte pas de la politique de M. Sarkozy ou de celle de M. Hollande ; il s’agit d’une contrainte macroéconomique qui s’est imposée à l’économie française.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Non, c’est un mode de vie depuis 40 ans, mais cela relève d’un débat politique.

M. Henri Sterdyniak. Si tel était le cas, les taux d’inflation et d’intérêt seraient élevés. Or la situation est inverse aujourd’hui, et on ne connaît pas d’excès de demande.

On ne peut pas demander aux détenteurs de la dette publique de se faire connaître, car l’État saurait quand ils vendent leurs titres de dette, ce qu’ils n’accepteront jamais. On peut en revanche tenter de convaincre les résidents d’acheter les titres de notre dette, comme cela se passe au Japon. On pourrait par exemple leur exposer les risques des placements en Bourse et leur proposer des obligations à cinq ou à dix ans investies dans les collectivités locales ou la transition écologique et rapportant 3 %. Cela constituerait un placement sûr et permettrait de développer l’emploi en France.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Que pensez-vous de la prise en compte par certaines agences de notation du patrimoine des Français pour évaluer la dette publique ?

M. Gaël Giraud. Votre question renvoie au débat de fond sur la façon de rembourser une dette. M. Sterdyniak affirme que l’État ne rembourse jamais sa dette : dans ce cas, on ne regarde même pas le capital du pays puisque l’on part du présupposé selon lequel la dette ne sera pas remboursée. D’autres personnes évaluent le collatéral de la dette – c’est-à-dire le patrimoine du pays – et se rassurent lorsqu’ils constatent, comme pour la France, que le collatéral est bien supérieur à l’endettement. Entre ces deux extrêmes, il existe plusieurs conceptions du remboursement de la dette publique, ce qui explique l’hétérogénéité des points de vue des agences de notation.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Nous vous remercions d’être venus devant la MEC.

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