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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 23 mars 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean Launay, rapporteur

La formation continue et la gestion des carrières dans la haute fonction publique

– Audition du Capitaine de vaisseau Marc VÉRAN, chef du pôle information, en charge de la politique des hauts potentiels des armées, du Colonel François-Marie GOUGEON, chargé de la politique du haut encadrement militaire et de Mme Claudine ANDRIANASOLO, directrice de projet encadrement supérieur et cadres dirigeants au ministère de la défense (SGA/DRH)

M. le rapporteur Jean Launay, président. Madame, messieurs, nous vous remercions de nous avoir rejoints pour participer à nos travaux. Monsieur Marc Véran, nous avons été ensemble auditeurs de la 65e promotion de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Parmi les instituts rattachés aux différents ministères, la formation continue offerte par l’IHEDN fait, à mon avis, partie des plus abouties car son placement auprès du Premier ministre lui donne de la force et de la lisibilité. Lors de la session que j’ai suivie, les militaires représentaient un tiers des effectifs, et les notions de haut potentiel d’avenir et de vivier étaient déjà évoquées.

Capitaine de vaisseau Marc Véran, chef du pôle information, en charge de la politique des hauts potentiels des armées. C’est un honneur pour nous de pouvoir vous éclairer sur la formation continue et la sélection des élites militaires, mais aussi civiles, au ministère de la défense.

Les armées ont une tradition ancienne de formation continue, dont la seule finalité est de permettre le succès en opération, celle-ci ayant pour dimension particulière la possibilité d’y mourir. Nous entretenons et adaptons un système lié à cette singularité, et tenons compte du milieu et d’une certaine homogénéité dans le recrutement. Nous avons mis en place une sélection continue exigeante, qui va du terrain des opérations aux postes en administration centrale où les militaires se retrouvent tous un jour. La mobilité interministérielle est faible, la mobilité extérieure restant anecdotique et conçue dans le cadre de parcours très particuliers.

Il faut 25 ans et de nombreuses épreuves de sélection pour former un commandant de sous-marin nucléaire ; dans ma promotion de l’école navale, dix militaires se sont inscrits dans cette filière et seuls deux sont devenus commandants d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE). Cette formation a un coût, et l’on ne doit pas échouer ne serait-ce qu’à cause de la charge financière représentée par un SNLE.

Les armées sont engagées dans un processus de transformation lourde qui se poursuit actuellement dans des chantiers dirigés par l’inspection des armées et par des mandats transverses lancés en 2014 par le chef d’état-major des armées (CEMA) auprès de la direction du renseignement militaire supérieur. On cherche à optimiser, à rationaliser et à trouver des synergies multiples. L’IHEDN poursuit sa mutation. L’institut perdra deux postes en 2016, deux autres en 2017, et verra sa subvention pour charge de service public réduite. L’idée est de trouver des ressources ailleurs et de se concentrer. Plusieurs autres audits sont réalisés sur le haut encadrement militaire, l’encadrement militaire supérieur et les officiers généraux.

Toutes les organisations publiques et privées assurent un module de formation pour les cadres dirigeants visant à détecter et à valoriser les talents. La cartographie de ces formations s’enrichit chaque jour, avec par exemple, l’Institut des hautes études de l’entreprise (IHEE) et le Centre des hautes études du ministère de l'intérieur (CHEMI) qui a repris le modèle du Centre des hautes études militaires (CHEM).

Le 8 mars dernier s’est tenue la réunion annuelle de l’Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes sous la présidence du ministre, au cours de laquelle a été rappelée la volonté de poursuivre la féminisation de l’encadrement supérieur dirigeant. Une femme se trouve d’ailleurs au CHEM actuellement. Les femmes n’ont été admises aux postes d’officiers à l’école navale qu’en 1993, si bien que les premières d’entre elles arriveront bientôt au CHEM, que l’on intègre autour de 45 ans.

Vus du CEMA et des chefs d’état-major militaire, les enjeux s’avèrent multiples et conditionnés par la singularité militaire. Ils tiennent aux exigences du métier et à la volonté de disposer du meilleur officier pour chaque poste, ce qui a conduit à déployer une logique de parcours, d’assimilation des compétences et de détection des hauts potentiels jusqu’au poste d’officier général. Il faut disposer à chaque étape d’une carrière des officiers formés au juste besoin, c’est-à-dire au niveau des responsabilités qu’ils vont exercer ; on ne demande en effet pas le même recul ni la même hauteur de vue à un jeune officier sur un bateau qu’à un colonel. Chacun est évalué dans son poste et reçoit l’instruction nécessaire par strate.

Les cadres dirigeants militaires doivent avoir des aptitudes de manager et sont préparés pour assumer demain leur responsabilité de commandement en état-major ou en administration centrale. On introduit la notion de haut potentiel, le leadership étant important, car l’on souhaite disposer de commandants sachant prendre des décisions.

Nous nous assurons de l’adéquation du haut encadrement militaire – colonels, capitaines de vaisseau et officiers généraux – avec les besoins futurs établis par un exercice de prospective ; en outre, nous veillons à leur reconnaissance au sein de l’institution militaire.

Comme il faut pouvoir agir très vite et s’adapter à la mobilité et à la plasticité du contexte, la politique des hauts potentiels des armées est directement placée sous l’égide du CEMA. Rénovée en 2009, 2014 et 2015, le CEMA fixe les ambitions de cette politique dans un souci d’efficience et de subsidiarité. Le dispositif, unique et commun aux trois armées, repose sur des grands principes et deux niveaux d’action complémentaires. En raison de la mobilité existant au ministère de la défense, le dispositif doit s’intégrer à celui des cadres dirigeants de l’État.

Nous insistons également sur le renforcement de l’interopérabilité avec nos alliés, sur l’enrichissement des expériences étrangères et sur l’intégration d’officiers des pays avec lesquels nous conduisons des opérations. Nous veillons aussi à assurer l’égalité des chances selon les mérites de chacun, homme ou femme.

Les enjeux du CEMA sont déclinés dans un document de politique des hauts potentiels et des très hauts potentiels qui date du 17 décembre 2015.

La formation continue des officiers repose sur les principes de parcours qualifiant, de logique d’emploi et de potentiel à développer au juste besoin. La formation militaire de premier degré concerne des postes technico-tactiques – chef de section, commandant de petit bâtiment ou chef de service sur un petit bateau – et se trouve dispensée par des écoles techniques pendant les dix à douze premières années de la carrière. Ensuite a lieu l’école de guerre – ou ses équivalents – dont on suit l’enseignement pendant un an ; elle prépare à des grands commandements ou à des postes en état-major, elle permet de développer une hauteur de vue et ouvre vers les premiers postes en interarmées. Enfin, pour le haut encadrement militaire, il y a l’enseignement militaire de troisième degré (EMS 3).

À chacune de ces étapes, la formation et la performance dans l’emploi à l’issue de l’enseignement sont évaluées et suivies sous diverses formes – notation, entretiens de carrière et collège de classement des officiers. Ce dispositif, globalement commun à chaque armée, suit une logique de milieu.

La politique des hauts potentiels ne se déploie qu’à partir de l’école de guerre, moment où est délivré le premier signal officiel interarmées pour les 300 militaires qui la suivent chaque année, à un âge compris entre 33 à 35 ans. Les officiers détectés à cette occasion feront l’objet d’un suivi particulier, effectué, conformément au principe de subsidiarité, au niveau des directions des ressources humaines des chefs d’état-major d’armée. On évalue et classe ces officiers avant de les orienter entre huit domaines de parcours différents, dont le nucléaire, les systèmes d’information, le renseignement, les opérations, le soutien et les ressources humaines. En sortant de l’école de guerre, les officiers occupent un poste qui leur donne une première dominante de carrière, en particulier s’ils appartiennent à la catégorie des hauts potentiels. Le CEMA n’effectue pas de suivi nominatif, mais s’assure que le flux de ces officiers à haut potentiel permette de pourvoir à terme les postes de chef des huit domaines.

Au passage au grade de colonel, effectué en moyenne à l’âge de 42 ans, une nouvelle étape se met en œuvre à partir de l’analyse des postes d’officiers généraux à pourvoir. Elle permettra de distinguer les officiers à très haut potentiel de ceux à haut potentiel. La centaine de très hauts potentiels pourra prétendre aux dix postes sommitaux des armées : le CEMA, le major général des armées, les trois chefs d’état-major d’armée, les trois majors généraux d’armée, le poste commandant suprême allié Transformation de l’OTAN (SACT) et le chef d’état-major particulier du président de la République. Le CEMA et les chefs d’état-major des armées suivent nominativement ces très hauts potentiels ; les autres restent dans le vivier des officiers à haut potentiel et dans une logique de parcours, et ont la perspective d’occuper un poste d’officier général dans leur domaine de compétence. Il y a perméabilité entre les deux catégories, un officier pouvant se révéler quand un autre pourrait devenir moins performant.

Les officiers à haut potentiel sont suivis nominativement dans des comités d’armée présidés par le chef d’état-major d’armée. De mon côté, j’anime au CEMA le comité des hauts potentiels des armées qui s’assure du volume et de la qualité des officiers généraux disponibles. Les officiers à très haut potentiel sont suivis individuellement par les chefs d’état-major d’armée dans un comité spécial présidé par le CEMA avec le directeur du service du commissariat des armées (SCA). Ils font l’objet d’évaluations croisées et à 360 degrés – par leurs pairs, leurs supérieurs et leurs subordonnés – et suivent des parcours particuliers. On analyse leur cursus passé et futur, et l’on regarde ce qui leur manque pour assumer totalement leurs futures fonctions. L’effectif est modeste (cent officiers), comme le sont les flux puisque chaque armée ne peut pas y faire entrer plus de cinq officiers par an.

La sélection pour le CHEM et l’IHEDN est effectuée par le comité des officiers à haut potentiel des armées, présidé par le CEMA. Les officiers étrangers présents au CHEM appartiennent également à la catégorie des officiers à haut potentiel dans leur pays, leur intégration étant visée par le cabinet du ministre puis transmise au Premier ministre. Le CHEM et l’IHEDN sont les structures privilégiées pour la formation des officiers généraux et de l’élite militaire. Il n’y a que 19 places pour les officiers français au CHEM, mais le parcours vers le généralat peut également reposer sur d’autres formations supérieures de l’enseignement militaire 2 (EMS 2). Celles-ci, pouvant être nationales, sont conçues dans le cadre d’une logique de préparation à l’emploi ou d’acculturation. Ainsi, l’IHEDN armement et économie de défense est destiné aux officiers pouvant être employés dans le domaine capacitaire. Le CHEMI accueille des officiers à qui l’on souhaite donner une meilleure connaissance des équilibres des différentes composantes sécuritaires du territoire national. Le CHEM a noué des partenariats avec des structures internationales comme le National Defense University (NDU) américain, le Royal College of Defence Studies (RCDS) britannique, qui se situent au niveau du CHEM, et, à un niveau inférieur, le NATO Defence College et les équivalents italien et allemand du CHEM. Enfin, il existe des formations à l’emploi ou d’acculturation à un pays pour les officiers prenant un poste d’attaché de défense à l’étranger.

Nos officiers à haut potentiel sont employés aux postes clefs du ministère de la défense ou des armées. Les postes offerts aux colonels et aux capitaines de vaisseau, répertoriés dans un catalogue évalué chaque année et refondé régulièrement, revêtent une importance majeure. Après les deux ou trois postes effectués à l’issue du CHEM, on étudie en priorité la candidature de ces officiers pour l’accès au généralat. Il est logique que ces officiers ayant bénéficié de parcours et de formations particuliers aient accès prioritairement à une échelle de solde dite B, qui traduit les responsabilités qu’ils occupent.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Ce système est-il infaillible ou connaît-il quelques échecs ?

Capitaine de vaisseau Marc Véran. Le système de sélection est infaillible, mais pas les hommes. Des personnes peuvent vouloir arrêter pour convenances personnelles ou parce qu’elles ne suivent pas le rythme. En revanche, les officiers sont examinés pendant 25 ans entre l’entrée dans l’armée autour de 20 ans et l’admission au CHEM. Au cours de cette période, ils ont tous exercé des fonctions de commandement et d’état-major, si bien que la sélection s’appuie sur des éléments solides qui rendent le système vertueux. Les rares défaillances que l’on constate sont généralement imputables à des raisons personnelles.

Quel que soit le niveau de la formation de l’EMS, des officiers étrangers participent à nos sessions. Cela s’avère nécessaire, car ils se trouvent en opération à nos côtés, et nous devons renforcer notre aptitude à coopérer et à nous comprendre, et développer l’interopérabilité de nos processus ; en outre, on s’enrichit toujours au contact d’expériences différentes. Rencontrer un commandant issu d’un pays membre du G5 Sahel et spécialiste de la lutte contre le terrorisme est important. Ces échanges s’inscrivent également dans une logique d’influence des savoir-faire et de la technologie français.

Notre politique de gestion a fait ses preuves depuis 2009. Personnalisée au niveau du CEMA ou à celui des chefs d’état-major d’armée, elle repose sur une logique de parcours qui s’enrichit progressivement. La féminisation se développe et connaîtra une accélération à partir de 2017, car les premières femmes sorties de l’école navale arriveront à l’âge d’occuper les postes supérieurs.

Mme Claudine Andrianasolo directrice de projet encadrement supérieur et cadres dirigeants au ministère de la défense (SGA/DRH). Une circulaire du 10 février 2010 a instauré les fondements d’un management des agents exerçant les fonctions de haut encadrement. Son objectif était de constituer des viviers pour préparer les mouvements de nomination à ces postes. Ceux-ci ne font pas l’objet d’une définition normative, mais sont concernés les postes de directeurs d’administration centrale, de préfets, d’ambassadeurs et de recteurs. La question de la définition des postes militaires du plus haut encadrement s’est posée. Nous avons participé à des travaux interministériels, placés sous l’égide du secrétariat général du Gouvernement (SGG), au cours desquels nous avons rencontré des entreprises publiques et privées pour nous inspirer des bonnes pratiques ; au ministère de la défense, nous avons bénéficié des travaux portant sur les très hauts et les hauts potentiels. Le processus interministériel avait abouti à la définition d’un profil commun des compétences managériales, d’une démarche de détection et d’identification des hauts potentiels dans l’ensemble des ministères, et d’une grille des compétences managériales riche de quinze critères. Nous avons appliqué les résultats de cette démarche aux personnels civils et aux militaires du ministère de la défense.

Au sein de celui-ci, le secrétaire général pour l’administration (SGA) pilote ces travaux depuis 2010, en étroite relation avec l’état-major des armées, la délégation générale pour l’armement (DGA), le contrôle général des armées (CGA) et l’ensemble de l’administration. La mission de l’encadrement supérieur et des cadres dirigeants, dont j’ai la responsabilité, constitue le bras armé de cette entreprise. En 2011, nous avons dressé la liste des cadres dirigeants du ministère, qui couvre une centaine d’emplois de haut encadrement militaire et civil, dont les postes d’administration centrale et de haut encadrement militaire. Nous avons développé un vivier ministériel, en vue de proposer sa validation au SGG pour qu’il intègre celui des futurs cadres dirigeants de l’État. Dans la conduite de ces travaux, nous avons respecté la grille interministérielle d’appréciation des qualités managériales et attaché une importance particulière à des revues de cadres croisées. Chaque entité du ministère – l’état-major des armées, la DGA, le CGA, le SGA – effectue sa propre revue des cadres, à partir de laquelle une réunion de synthèse permet d’échanger les propositions sur le fondement de critères communs, ceux-ci étant indispensables puisque des officiers travaillent au SGA et des administrateurs civils se trouvent en poste au sein de la DGA ou des états-majors des armées. Enfin, troisième étape, une revue de carrière, présidée par le directeur de cabinet du ministre ou son adjoint, est organisée pour arrêter le vivier d’une centaine de cadres par an.

Depuis 2012, une formation spécifique, le cycle interministériel au management de l’État, organisé par l’École nationale d’administration (ENA), a été déployée pour une soixantaine d’auditeurs parmi les cinq à six cents membres du vivier. En 2015, on a instauré une évaluation des cadres entrant dans le vivier et on a élargi l’accès au cycle interministériel au management de l’État à l’ensemble des nouveaux entrants dans le vivier, afin de favoriser la cohésion et de bénéficier d’une unité de formation.

La mission de l’encadrement supérieur gère la population des administrateurs civils, qui s’élève à un peu moins de 250 fonctionnaires, avec une démarche et des outils accompagnant les parcours. Nous conduisons des entretiens réguliers avec l’ensemble des administrateurs civils du ministère, notamment aux moments clefs de la carrière comme la mobilité statutaire et l’accès aux emplois fonctionnels. Nous avons également instauré, dès avant 2010, un comité des parcours professionnels de l’encadrement supérieur, chargé, autour de l’ensemble des employeurs du ministère, de traiter les sujets de l’encadrement supérieur civil et de faire partager les plans de relève des emplois et des cadres.

En 2009, nous avons expérimenté l’évaluation d’orientation à 360 degrés et nous avons pérennisé cet exercice l’année suivante ; conduits par les inspecteurs civils, ces rendez-vous consistent en l’audition des supérieurs, des partenaires et des subordonnés. Il ne s’agit pas d’un bilan de compétences, mais d’une évaluation de moyen terme des aptitudes techniques, managériales et relationnelles des administrateurs civils. Le coaching bénéficie depuis 2011 aux cadres civils et militaires de la sphère du SGA, et l’on développe cet outil d’accompagnement au développement professionnel et personnel.

La loi imposait en 2013 et en 2014 de nommer 20 % de femmes dans le haut encadrement civil et militaire, et le ministère de la défense a respecté cette obligation ; depuis 2015, les femmes doivent représenter 30 % des nouvelles nominations, objectif dépassé par notre ministère.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Madame Andrianasolo, pourriez-vous nous faire parvenir la grille des compétences managériales ?

Mme Claudine Andrianasolo. Je vous la remettrai bien entendu.

Capitaine de vaisseau Marc Véran. Les rendez-vous d’évaluation de carrière existent depuis dix ans dans toutes les armées, ce système rodé fonctionnant parfaitement. Juste avant l’entrée au CHEM, l’assessment center – terme qui recouvre une évaluation d’une journée qui repose sur des mises en situation et un questionnaire particulier – est externalisé. Cette étape confirme ou infirme des traits de caractère et permet de corriger des défauts ou d’atténuer certaines tendances, afin que les officiers puissent exercer des postes d’administration centrale, dont le travail diverge de celui d’un commandement de bateau ou de régiment où l’on est le primus inter pares vers lequel les autres se tournent en cas de problème.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Nous avons prévu dans notre travail d’étudier les enjeux interministériels : les processus que vous avez développés donnent-ils déjà des résultats ? Y a-t-il des exemples de passage de vos cadres à haut potentiel dans d’autres ministères ?

Claudine Andrianasolo. Oui. Nous disposons depuis 2012 d’un système d’information, accessible à chaque ministère, sur les cadres dirigeants faisant partie du vivier interministériel. Il permet de connaître les curriculum vitae (CV) et les compétences de chacun de ces cadres. Parmi eux, un directeur d’administration centrale du ministère de la défense, contrôleur général des armées, est devenu secrétaire général du ministère de la justice.

M. le rapporteur Jean Launay, président. On peut supposer que les cadres civils seront plus nombreux à bénéficier des passerelles interministérielles. Les militaires des trois armes, après être passés par le CHEM, prendraient peut-être un risque pour leur carrière à s’inscrire dans une telle démarche. Cette intuition est-elle juste ?

Colonel François-Marie Gougeon, chargé de la politique du haut encadrement militaire. Les officiers généraux des armées sont effectivement peu représentés dans la mobilité interministérielle, du fait notamment de la brièveté de la carrière d’officier général, la limite d’âge étant fixée à 59 ans après avoir été repoussée de deux ans en 2010. La durée moyenne des périodes d’officier général s’élève à cinq ans, la durée maximale ne pouvant pas dépasser neuf ans, puisque les plus jeunes arrivent dans ce grade à 50 ans. Au moment où ils peuvent postuler à une mobilité interministérielle, leur employeur potentiel ne pourra plus le compter dans son équipe que pendant un ou deux ans. En outre, les flux d’officiers généraux sont dimensionnés en fonction du besoin des armées avec assez peu de marge ; une armée pourrait manquer de ressources pour pourvoir un poste en proposant un officier général à un emploi de direction d’administration centrale. Par ailleurs, du fait de la singularité de leur parcours, les officiers généraux ne sont pas connus en interministériel. Enfin, on ne peut pas encore mesurer tous les effets de la politique des cadres dirigeants de l’État, car elle continue de monter en puissance et n’est pas encore stabilisée.

Cette mobilité ne concerne pas que les officiers généraux, puisque des officiers des armées servent en interministériel dans le dispositif de mobilité extérieure qui s’inscrit dans la construction des parcours. Elle intervient après l’école de guerre et permet à des officiers de prendre un poste au ministère de l’intérieur – le flux s’intensifiant du fait de la situation sur le territoire national –, mais également à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) du ministère de la fonction publique et au ministère des finances. Ces officiers sont sélectionnés dans le cadre d’un parcours qualifiant et à une étape de leur carrière, en général celle de commandant lieutenant-colonel, pour acquérir un complément d’expertise dans un domaine particulier.

Mme Claudine Andrianasolo. La carrière est en effet courte pour les corps des officiers des armes.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Va-t-on reculer l’âge limite, aujourd’hui fixé à 59 ans ?

Colonel François-Marie Gougeon. Pas à ma connaissance. La dernière évolution a été décidée sous la pression du recul de l’âge de départ à la retraite – si bien que les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets – mais il n’y a pas de volonté de repousser la limite d’âge ou de rajeunir le critère d’âge d’accès au généralat, aujourd’hui fixé à 50 ans. Toute année gagnée se traduirait par la mise à l’écart d’un certain nombre, alors que la cible pour les effectifs d’officiers généraux a diminué de 15 % en cinq ans, ce qui s’avère significatif si l’on prend également en compte l’effet retraite et celui du recul de la limite d’âge. La sélectivité d’accès au généralat se renforce et le taux d’entrée dans ce grade ne dépasse pas 25 % ; si on l’augmentait davantage, elle deviendrait difficilement supportable.

Mme Claudine Andrianasolo. L’âge légal de départ en retraite des ingénieurs de l’armement, des commissaires des armées et des membres du corps du CGA est plus élevé, si bien que ces agents sont plus à même d’effectuer des mobilités externes dans des postes de cadre dirigeant.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Pour autant, se priver d’agents âgés de 57 ans et demi, en pleine possession de leurs moyens, et disposant d’une riche expérience s’apparente à du gâchis en termes de ressources humaines, et je me suis d’ailleurs entretenu de ce sujet avec le général Pierre de Villiers.

Colonel François-Marie Gougeon. La Cour des comptes dressait le même constat dans son rapport sur les officiers généraux et déplorait que l’État se prive d’une ressource de gens formés, compétents et expérimentés. Elle recommandait que l’on propose des débouchés à après leur départ en deuxième section.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Quels pourraient être ces débouchés permettant d’allonger l’employabilité et de faire évoluer le système, tout en conservant sa mécanique ?

Colonel François-Marie Gougeon. Un certain nombre d’officiers sont systématiquement proposés pour rejoindre un grand corps – Cour des comptes, Conseil d’État et inspections générales –, mais ces mouvements restent encore marginaux et ne font pas, à ma connaissance, l’objet d’une politique délibérée.

Capitaine de vaisseau Marc Véran. Ce transfert des officiers généraux dans les grands corps reste relativement anecdotique. La durée d’emploi d’un agent à très haut potentiel devenant officier général à 50 ans ne peut excéder neuf ans, alors que sa formation et son expérience de terrain sont très riches. On ne parle là que du corps des officiers des armes, puisque les contrôleurs et les commissaires ont des limites d’âge plus élevées. Les officiers généraux peuvent cependant, aux termes de la loi, être prolongés, mais il s’agit d’une entorse au régime.

Si on maintenait les officiers généraux dans le statut militaire à 59 ans, on bloquerait les pyramides de carrière car le nombre d’officiers généraux est contingenté, même si on l’ajuste à la marge chaque année. Les armées fonctionnent selon une logique de flux et non de stock, qui ne peut fonctionner que si les plus âgés quittent leur poste. Il convient néanmoins d’explorer toutes les bonnes pistes, parce qu’un officier général de 59 ans qui a occupé le poste de CEMA dispose de bien plus que d’une expérience.

Mme Claudine Andrianasolo. Les cadres dirigeants de l'État partant en retraite, comme les officiers généraux à 59 ans, restent dans le système d'information pendant au moins trois ans ; il est ainsi possible qu'un autre département ministériel fasse appel à l'un d'entre eux, surtout s'il possède une compétence rare et stratégique.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Pourrait-on transposer le modèle militaire de formation continue des cadres dirigeants – école de guerre et CHEM couplé avec l'IHEDN – au reste de la haute fonction publique, comme nous l’ont suggéré plusieurs personnes auditionnées ?

Mme Claudine Andrianasolo. Après la sortie de l’ENA, la formation continue des administrateurs civils dépend de la politique de chaque ministère. Au sein du ministère de la défense, un centre de formation au management de la défense, géré par la direction des ressources humaines, dispense aux cadres militaires et civils des cycles de management gradués qui consistent en des parcours pour les jeunes managers, les cadres confirmés et les grands décideurs. Ces étapes graduelles d'accompagnement au management offrent une formation continue dans des domaines thématiques de l'administration. L'encadrement supérieur peut suivre des sessions de formation spécialisée, comme celles du cycle des hautes études économiques ou des hautes études européennes. Le coût de ces enseignements nous oblige à cibler le public qui y a accès.

L’ENA propose également des cycles de formation continue sur des sujets relatifs à la haute administration publique, mais il n'y a pas de formation obligatoire dans un cadre interministériel. Au centre de formation de la défense, nos cadres civils et militaires doivent en revanche suivre les formations au management.

Capitaine de vaisseau Marc Véran. Ce que l'on attend des cadres dirigeants de l'État s'apparente à ce que l'on attend des cadres militaires, et on calibre la formation dans un triple objectif : l'emploi, le parcours et le leadership. Quelle que soit la place que l'on occupe dans la hiérarchie, il faut savoir décider.

Colonel François-Marie Gougeon. Notre dispositif est homogène, notre population appartenant au même ministère, et nous bénéficions d'une unité de temps, de lieu, de mode de gestion et de statut. Cela facilite la résolution des problèmes. On constate néanmoins dans les comités des parcours professionnels, que les moyens de sélection, de gestion et de formation se rapprochent énormément, les entretiens réguliers, les évaluations extérieures, les appréciations, les classements et les échanges avec les officiers supérieurs et généraux devenant des pratiques communes.

La mobilité interministérielle bute pour le moment sur une divergence entre le ministère chargé de la fonction publique et celui de la défense au sujet de l’équivalence entre les grades militaires et ceux de la fonction publique ; ce désaccord empêche l'application au ministère de la défense de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique. Cette question est débattue en interministériel entre le ministère de l'intérieur – la gendarmerie conservant son statut militaire –, le ministère de la défense et les services du Premier ministre. Un accord faciliterait la mobilité interministérielle.

M. le rapporteur Jean Launay, président. Nous vous remercions d’avoir partagé votre expérience et vos analyses avec la Mission d'évaluation et de contrôle.

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