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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Jeudi 24 mars 2016

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 29

Présidence de Mme Éva Sas, rapporteure

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique

– Audition de Mme Blanche GUILLEMOT, directrice générale de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH)

Mme Éva Sas, rapporteure. Nous recevons à présent Mme Blanche Guillemot, directrice générale de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH), accompagnée de M. Jacques Berger, directeur général adjoint. Je rappelle que l’ANAH est opérateur du PIA pour des montants importants de crédits destinés à financer l’action Rénovation thermique des logements privés.

Mme Blanche Guillemot, directrice générale de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat. En 2010, l’ANAH s’est vu confier, au titre du programme des investissements d’avenir (PIA), le pilotage du programme Habiter mieux, dédié à la lutte contre la précarité énergétique. Ce programme est né du constat que l’ensemble du parc de logements était une source importante d’émissions de gaz à effet de serre et représentait une part conséquente de la facture énergétique nationale. En effet, les deux tiers de ces logements ayant été construits avant la première réglementation thermique, ils sont très énergivores. Or, ils sont souvent habités par des personnes aux revenus modestes, voire très modestes, pour qui il est difficile d’envisager des travaux de rénovation énergétique. Le programme Habiter mieux a donc pour objectif de lutter contre la précarité énergétique en s’attaquant, non pas à la question du paiement des factures ou du coût de l’énergie, mais à l’isolation de l’habitat.

Ce programme, qui a connu une croissance régulière, est fondé sur un partenariat avec les collectivités locales qui se traduit par des contrats locaux d’engagement. Il a ainsi pour caractéristique de s’inscrire dans des politiques territoriales, grâce à l’implication des collectivités et des partenaires économiques, notamment les artisans du bâtiment, et de mener des actions de repérage des personnes les plus fragiles, en situation de précarité.

Après des débuts plutôt lents, le programme a pris son essor à partir de 2013, suite à l’annonce, le 24 mars de la même année, par le Président de la République, du Plan de rénovation énergétique de l’habitat (PREH). Dans ce cadre, en effet, à la fois le montant des subventions accordées pour la réalisation des travaux et le nombre des personnes éligibles ont considérablement augmenté, entraînant une montée en charge très importante du programme. Celui-ci connaît, depuis, un véritable succès, puisqu’en 2014 et 2015, nous avons rénové 50 000 logements par an. Fin 2015, le nombre des logements rénovés depuis le début du programme s’élevait ainsi à 150 000. Pour 2016, les ministres du logement et de l’habitat durable, et de l’écologie, ont indiqué, dans une annonce conjointe, que notre objectif, qui était initialement fixé à 50 000 logements par an, était porté à 70 000.

Mme Éva Sas, rapporteure. Ces logements sont-ils comptabilisés dans les 500 000 logements dont la rénovation avait été annoncée ?

Mme Blanche Guillemot. Oui, ils en font partie. Mais, dans le cadre de la mobilisation en faveur de la rénovation énergétique de l’habitat, le programme Habiter mieux a pour spécificité d’être ciblé sur la précarité énergétique. Ainsi nos subventions sont attribuées, sous condition de ressources, à des personnes dont l’habitat est dégradé, en vue de réaliser un gain énergétique d’au moins 25 %. Cependant, les résultats sont très largement supérieurs à cette exigence minimale, puisque les gains énergétiques moyens réalisés grâce à ces travaux sont de l’ordre de 40 %. Selon l’évaluation assez précise que nous avons pu effectuer en interrogeant un grand nombre de bénéficiaires, la subvention permet de réaliser un bouquet de travaux qui portent sur le système de chauffage, le plus souvent, mais aussi sur l’isolation des combles et des planchers ainsi que sur l’isolation par l’extérieur des menuiseries.

Au-delà de cette subvention pour travaux, nous finançons également l’accompagnement des bénéficiaires. Pour intensifier l’effort de rénovation énergétique, il est en effet nécessaire de faciliter l’accès à l’information, de conseiller les personnes sur les travaux à réaliser et les aider à mieux évaluer les gains qui peuvent être obtenus par ces travaux. L’agence cofinance donc, avec les collectivités, de l’ingénierie de projet. Des opérateurs, qui sont soit des bureaux d’études soit des acteurs associatifs, recrutés sur appel d’offre des collectivités, accompagnent les ménages : ils se rendent à leur domicile pour établir le diagnostic énergétique, les conseillent sur les devis de travaux et montent le dossier de financement. Ils fournissent ainsi un service d’accompagnement complet.

Pour les propriétaires occupants, qui sont les bénéficiaires majoritaires de ce programme, le montant moyen des travaux est de l’ordre de 18 000 euros. Mais nous aidons également des propriétaires bailleurs, car l’agence intervient dans des domaines caractéristiques : l’habitat dégradé, la requalification de centres anciens et de copropriétés dégradés. Ainsi l’ensemble de nos aides ont permis, grâce à ce programme, d’ajouter des gains énergétiques aux travaux de rénovation de l’habitat ancien dégradé qui étaient menés par l’agence.

Mme Éva Sas, rapporteure. Les 50 000 logements que vous évoquez correspondent-ils au seul programme Habiter mieux ou à l’action de l’ensemble de l’ANAH ?

Mme Blanche Guillemot. Ils relèvent uniquement du programme Habiter mieux.

Mme Éva Sas, rapporteure. D’autres programmes de l’ANAH sont donc consacrés à la rénovation thermique, mais ils ne sont pas destinés aux ménages en situation de précarité énergétique. Est-ce bien cela ?

Mme Blanche Guillemot. Nous rénovons environ 70 000 logements par an, dont 50 000 au titre du programme Habiter mieux. En fait, il s’agit des logements pour lesquels le gain énergétique est au moins de 25 % et qui bénéficient d’une prime complémentaire au titre du Fonds d’aide à la rénovation thermique financé par le PIA.

Mme Éva Sas, rapporteure. Le programme Habiter mieux n’est donc pas entièrement financé par le PIA ? Par ailleurs, quel est le caractère innovant de ces actions de rénovation thermique. Si personne ne doute de leur nécessité, leur caractère innovant et le fait qu’à ce titre, elles soient financées par le PIA ont forcément fait débat. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Blanche Guillemot. Le PIA contribue au programme Habiter mieux, mais il ne le finance pas dans sa globalité, puisque ce programme est d’abord financé par le budget de l’ANAH. Le fonds d’aide à la rénovation thermique, qui est alimenté par le PIA, complète donc les subventions de l’agence – lesquelles s’élèvent à 50 % du montant des travaux – par une prime dont le montant, initialement assez faible, a varié au cours du temps et atteint aujourd’hui 10 % du montant des travaux.

En quoi cette prime complémentaire est-elle essentielle ? Nous avons réalisé des travaux d’évaluation assez poussés pour mesurer le reste à charge supportable par les bénéficiaires du programme. Il faut en effet savoir que le montant moyen des travaux, soit 18 000 euros, représente plus d’un an de revenus pour ces bénéficiaires. L’équation se compose donc de trois facteurs : la qualité des travaux, donc le gain énergétique obtenu ; le ciblage social, voire très social, du programme et le montant des subventions publiques que l’on souhaite y consacrer. Or, tous les acteurs partagent la conviction qu’en matière de lutte contre la précarité énergétique, sans un niveau élevé d’intervention publique, on ne suscite pas les décisions de travaux. Le réglage très fin du niveau pertinent d’intervention est difficile à modéliser, mais, lorsque les subventions étaient dimensionnées de manière trop faible, comme ce fut le cas lors du lancement du programme Habiter mieux, nous n’effectuions que 6 000 à 10 000 actions par an. Dès lors qu’elles ont augmenté et que la prime a pu jouer un effet levier, nous sommes passés à 50 000 par an, et nous pouvons augmenter encore ce chiffre, de sorte que nous sommes en mesure d’atteindre notre objectif, qui est de traiter la précarité énergétique.

Par ailleurs, je sais que le caractère innovant du programme a pu faire débat. Cependant, la décision prise en 2010 de le faire porter par le PIA fut un véritable choix. Cette décision politique avait beaucoup de sens et elle en a, me semble-t-il, davantage encore aujourd’hui. En effet, si ceux qui vivent dans des villes petites et moyennes, en secteur rural ou dans les copropriétés dégradées des quartiers pauvres situés à la périphérie des grandes métropoles, qui ont des difficultés à payer leurs charges et qui sont les premiers à supporter l’augmentation des coûts de l’énergie ne peuvent bénéficier de la transition énergétique, cela pose un problème d’égalité. Par ailleurs, ce programme constitue une forme de pilier, dans la mesure où il produit, notamment dans les copropriétés, un véritable effet levier. Pour massifier la rénovation énergétique de l’habitat dans les copropriétés – un secteur assez peu mobilisé aujourd’hui – chacun cherche des modèles économiques : le tiers financement ou la mobilisation de financements bancaires appropriés. Mais, dans ces copropriétés, les gens ont des revenus différents et des visions de leur patrimoine différentes. Dès lors, le fait d’accorder une aide plus importante aux ménages aux revenus modestes permet de faciliter les prises de décision et donc de produire un véritable effet levier sur la rénovation énergétique en copropriété. Nous le constatons chaque jour dans le cadre de nos partenariats avec la SEM Énergies POSIT’IF ou le service public de l’efficacité énergétique en Picardie. Les modèles des sociétés de tiers financement fonctionnent quand les ménages modestes sont subventionnés grâce à Habiter mieux, qui, au-delà de son efficacité sur le plan social et énergétique, produit donc un véritable effet levier public-privé.

Ce programme est également innovant en ce qu’il bénéficie de financements privés des énergéticiens, puisque nous sommes le principal pourvoyeur des certificats d’économie d’énergie précarité énergétique. Enfin, il est innovant dans le partenariat local, puisque nous avons mobilisé les collectivités territoriales, qui savent qu’elles sont soutenues par la solidarité nationale et qui apportent un cofinancement.

Grâce aux fonds du PIA, nous avons conclu des partenariats avec des collectivités locales qui s’engagent, les énergéticiens – EDF, Engie et Total – qui s’investissent dans des programmes de lutte contre la précarité énergétique et nous soutenons l’économie locale puisque la quasi-totalité des chantiers de rénovation des 150 000 logements déjà réalisés l’ont été par des entreprises locales du bâtiment. J’ajoute que la plupart des changements de système de chauffage se traduisent par le choix du bois, d’où un éventuel impact du programme sur certaines filières.

Mais, en matière d’innovation, nous pourrions aller encore plus loin, et c’est le sens de propositions que nous avons faites dans le cadre de la préparation du PIA 3. Le programme Habiter mieux fonctionne bien, son efficacité est prouvée et il est en quelque sorte « inarrêtable », puisque la loi de transition énergétique dispose que la moitié des 500 000 rénovations annuelles doit concerner des ménages modestes. Nous pourrions cependant aller plus loin en produisant un effet levier dans les copropriétés, où nous devons pouvoir contribuer à la massification.

Le modèle d’accompagnement qui a été développé pour les bénéficiaires des aides de l’agence s’intègre dans les plateformes et sert de socle à l’information et à l’accompagnement au service de n’importe quel particulier, qu’il soit éligible ou non aux aides de l’agence. Ce programme a donc permis un travail de mobilisation sur le terrain, qui est un acquis très important pour la suite.

Nous pensons, avec l’ADEME notamment, que nous pourrions réaliser des économies d’échelle en agissant au niveau des quartiers. Je pense, par exemple, à l’élaboration de stratégies de mode de chauffage en commun ou de recours à des énergies renouvelables en commun dans les quartiers pavillonnaires. Nous pourrions développer ainsi une ingénierie de projets qui apportent de réels gains au plan des économies d’énergie, tout en accompagnant des ménages dont les projets immédiats sont un peu éloignés de ce type de préoccupations, grâce à des technologies « réplicables » ou à des effets d’échelle.

La notion d’innovation revêt bien entendu un aspect technologique, mais elle est également présente dans la conclusion de partenariats locaux, le financement public-privé et le gain de pouvoir d’achat et de confort pour les ménages modestes, sans parler de la crédibilité de l’action publique. Nous avons la conviction que nous avons produit là quelque chose d’assez innovant sur le plan de l’accompagnement des personnes éloignées de ces projets.

Mme Éva Sas, rapporteure. Les crédits du PIA représentent-ils bien environ 20 % du financement du programme Habiter mieux ?

M. Jacques Berger, directeur général adjoint de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat. Absolument. L’effet multiplicateur est de cinq : pour un euro de PIA, il y a environ cinq euros de travaux.

Mme Blanche Guillemot. Le programme est également consolidé avec le budget de l’agence, grâce aux recettes provenant du produit des enchères des quotas carbone, donc fondées sur des objectifs environnementaux. D’autres partenaires nous soutiennent, notamment le secteur privé et nous bénéficions d’une fiscalité affectée par l’État.

Mme Éva Sas, rapporteure. On a constaté que des crédits avaient été retirés du Fonds de soutien à la rénovation énergétique de l’habitat (FSREH), puis rebasculés vers ce fonds. Qu’en est-il exactement ?

Mme Blanche Guillemot. La dotation initiale du Fonds national d’aide à la rénovation thermique (FART) au programme Habiter mieux, décidée en 2010, était de 500 millions d’euros. En 2013, lors du lancement du programme de rénovation énergétique de l’habitat par le Président de la République, il a été décidé d’augmenter les primes du programme pour renforcer leur caractère incitatif et de créer une prime de 1 350 euros, dont la gestion a été confiée à l’Agence de services et de paiement (ASP), pour les ménages dont les revenus appartiennent à la catégorie immédiatement supérieure à celle des ménages éligibles aux aides de l’ANAH. Or, on a constaté que ce dispositif ne fonctionnait pas très bien. Comme il a été décidé concomitamment de transformer le crédit d’impôt développement durable en crédit d’impôt transition énergétique (CITE), avec un taux de défiscalisation plus intéressant, on a considéré que ce CITE beaucoup plus étendu pouvait constituer l’aide financière généraliste à destination des classes moyennes sans que cette prime supplémentaire soit nécessaire. Puisque les crédits correspondants n’avaient pas été consommés et que, de notre côté, le programme était en train de décoller, ils ont été réaffectés à l’ANAH.

Ensuite, les crédits d’autres programmes du PIA ont été systématiquement redéployés en faveur du programme Habiter mieux, dès lors que, début 2015, nous avions consommé l’intégralité de l’enveloppe initiale de 500 millions d’euros. Notre programme fait en effet partie de ceux qui, compte tenu de leur succès, ont besoin de tels redéploiements. Certains d’entre eux sont, du reste, en train d’être décidés pour financer, d’une part, l’augmentation du nombre de logements à rénover en 2016, qui passe de 50 000 à 70 000, et, d’autre part, les objectifs du programme en 2017, puisque cette année-là ne sera pas couverte par le PIA 3.

Mme Éva Sas, rapporteure. Il vous faut donc trouver une solution chaque année.

Mme Blanche Guillemot. C’est bien cela. Il est crucial, pour la continuité et la stabilité du programme, que l’on puisse, au-delà de l’annualité budgétaire de l’agence, s’inscrire dans un programme tel que le PIA, qui affiche, de manière pluriannuelle, une volonté claire de poursuivre les objectifs. La visibilité est en effet un élément important pour la mobilisation des collectivités qui cofinancent le programme et pour les opérateurs qui accompagnent les bénéficiaires.

Mme Éva Sas, rapporteure. Nous partageons votre constat sur la nécessité de faire perdurer le programme. C’est sur la nature des financements affectés à ce programme que nous nous interrogeons : doit-il s’agir de crédits budgétaires classiques ou de crédits PIA ? Parmi les programmes d’investissements d’avenir, il en est dont le caractère innovant ne fait aucun doute – je pense aux démonstrateurs d’énergie renouvelable, qui constituent des prototypes – et d’autres, notamment les programmes de rénovation thermique, sur lesquels il est permis de s’interroger. Ce questionnement est d’autant plus justifié que vous nous dites que les crédits sont consommés au fur et à mesure, et viennent donc ponctionner d’autres programmes d’investissements d’avenir dont le caractère innovant est clairement établi.

Mme Blanche Guillemot. Il ne me paraît pas justifié de parler de ponctions pour désigner des redéploiements de crédits inutilisés. Les gestionnaires et les pilotes des programmes concernés faisant le constat que l’enveloppe a sans doute été surdimensionnée au départ, le Premier ministre rend un arbitrage entre les programmes avançant à un rythme soutenu, et ceux qui prennent plus de temps : il est logique de financer en priorité ceux qui progressent le plus vite.

Par ailleurs, d’autres programmes de la transition énergétique ont pour objet la rénovation énergétique, notamment en copropriété, sans que l’on s’interroge sur leur caractère innovant. Pourquoi devrait-on se demander si Habiter mieux est innovant, alors qu’on ne se pose pas la même question au sujet des programmes visant les copropriétés, sans conditions de ressources ?

Se demander si la rénovation énergétique de l’habitat peut être soutenue par le PIA revient à s’interroger sur l’intention du législateur dans ce domaine. En l’occurrence, la loi sur la transition énergétique ayant pour objectif la rénovation énergétique de 500 000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes, il faut bien que l’outil utilisé pour atteindre cet objectif soit pérennisé, et qu’il converge avec d’autres programmes d’investissement du PIA ayant les mêmes finalités et parfois les mêmes modalités de mise en œuvre.

Mme Éva Sas, rapporteure. À quels programmes pensez-vous ?

Mme Blanche Guillemot. Par exemple, au programme Ville de demain, qui couvre un grand nombre de projets de rénovation énergétique en copropriété pour des montants très importants.

Mme Éva Sas, rapporteure. Je ne suis pas en train de dire qu’il faudrait abandonner le financement de programmes qui ne relèveraient pas du PIA. Faisant partie du comité de surveillance des investissements d’avenir, je me rappelle qu’il a été très clairement dit au départ qu’ils n’avaient pas vocation à financer des infrastructures ou des travaux d’équipement, mais seulement des innovations. Dès lors, il y a deux options : soit l’on estime nécessaire d’élargir l’objectif initial des programmes d’investissements d’avenir, soit il faut trouver d’autres modalités de financement d’actions faisant actuellement partie des PIA, mais dont le caractère innovant n’est pas évident – ce qui a pour effet de semer le doute sur le caractère innovant de l’ensemble des investissements d’avenir.

J’ajoute que le traitement des crédits des PIA présente un caractère spécifique : ces crédits sont débloqués en une seule fois et leurs éventuels redéploiements échappent en majeure partie au contrôle du Parlement, c’est-à-dire au contrôle démocratique. Cette particularité justifie elle aussi que l’on s’interroge sur l’évolution des PIA : la problématique de la débudgétisation, pour reprendre le terme employé par la Cour des comptes, doit être traitée.

Mme Blanche Guillemot. J’ai bien conscience des enjeux que vous rappelez, mais j’insiste sur le fait que le choix a été fait en 2010, dans la doctrine du PIA initial, de faire figurer la précarité énergétique au cœur des investissements d’avenir. Aujourd’hui, preuve est faite que le dispositif retenu fonctionne, grâce à l’important effet de levier produit sur les plans économique et énergétique, mais aussi sur la mobilisation partenariale locale autour de ménages en situation de précarité, dans des espaces urbains et ruraux bénéficiant par ailleurs d’investissements assez réduits.

Le PIA tel qu’il est actuellement mis en œuvre produit les effets que l’on en attendait en termes de massification de la rénovation énergétique, de construction d’une ville durable et de soutien au développement des villes moyennes éloignées des métropoles. L’effet levier joue également en matière de recours aux énergies renouvelables, notamment grâce au travail effectué en étroite collaboration avec l’ADEME – nous avons signé avec l’agence une convention de partenariat que je soumets demain au conseil d’administration de l’ANAH.

Nous avons entrepris de procéder à une évaluation assez fine de l’action de rénovation thermique, dont une deuxième partie va être livrée prochainement. Pour cela, nous avons interrogé des bénéficiaires à l’issue d’une ou deux saisons de chauffe, afin de mesurer précisément et concrètement l’impact des mesures de rénovation thermique sur leurs factures, mais aussi sur la qualité de vie dans le logement et sur l’économie locale. Nous avons déjà procédé à cette fin à une première évaluation auprès de 1 000 bénéficiaires, que nous sommes en train d’approfondir au moyen d’une deuxième évaluation – cela nous permettra de disposer de données supplémentaires à la fin du premier semestre 2016.

Le modèle économique de la rénovation énergétique est encore assez peu finalisé, et de nombreux acteurs cherchent des modèles auxquels se référer. Nous avons réussi à produire de la connaissance sur les moyens d’équilibrer les plans de financement dans ce domaine, notamment en copropriété – ce qui est le grand enjeu de demain, car Habiter mieux concerne essentiellement le logement individuel. L’ANAH met en œuvre un programme très important de redressement des copropriétés en difficulté dans les quartiers du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), où un quartier sur deux est majoritairement constitué de copropriétés.

Les enjeux en matière de rénovation énergétique sont considérables, et de ce point de vue les programmes que nous mettons en œuvre apportent des réponses intéressantes, par exemple en favorisant de nouvelles technologies – je pense notamment à celles permettant d’isoler par l’extérieur. Le développement des filières et l’expertise produite par nos programmes pourraient à mon sens être davantage mutualisés, notamment dans le cadre des lotissements et des grandes propriétés des années 1950. En résumé, le programme contribue à l’amélioration des connaissances relatives aux matériaux, aux techniques, aux méthodes, au public-cible et à l’impact économique.

Mme la rapporteure. Cela rejoint certaines des questions qui vous ont été adressées préalablement à cette réunion. Quelles sont vos relations avec les professionnels de la filière de la rénovation énergétique ? Quelles sont les perspectives de développement des techniques ou des matériaux innovants en matière d’isolation thermique ? Avez-vous suivi l’appel à projet Méthodes industrielles pour la rénovation et la construction de bâtiments sur la massification de la rénovation, lancé par l’ADEME dans le cadre de l’action Démonstrateurs pour la transition écologique et énergétique ?

Mme Blanche Guillemot. Les professionnels du bâtiment sont très souvent signataires de contrats locaux d’engagement, dans la mesure où ils participent de manière essentielle au développement du programme. La plupart du temps, une part importante de leur chiffre d’affaires est liée au développement du programme et à la réalisation des travaux par les bénéficiaires. Aujourd’hui, le bénéfice du crédit d’impôt et celui de l’éco-prêt à taux zéro sont éco-conditionnés, ce qui n’est pas le cas des aides de l’ANAH. Nous sommes en train de réfléchir avec la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) aux moyens d’évoluer sur ce point, afin que nos aides soient éco-conditionnées – je pense notamment à la qualité reconnu garant de l’environnement (RGE).

Pour ce qui est des sources d’énergie, on assiste à une forte mobilisation des opérateurs et des bureaux d’études qui accompagnent le programme afin de promouvoir les énergies renouvelables – en particulier le bois –, et des analyses très fines sont effectuées sur les raisons pouvant conduire à opter pour telle ou telle source d’énergie dans le cadre d’un programme de rénovation.

Il importe, quand nous délivrons des conseils aux particuliers, de leur expliquer ce que signifient les seuils de gain de performance énergétique de 25 % et de 40 %, et à quoi correspond le niveau de rénovation Bâtiment basse consommation (BBC). Nous travaillons sur ces questions en étroite collaboration avec l’ADEME, avec laquelle nous avons conclu une convention de partenariat portant sur des programmes d’études réalisés en commun, ou sur la formation en commun de nos réseaux.

Pour ce qui est du projet Méthodes industrielles pour la rénovation et la construction de bâtiments sur la massification de la rénovation, nous sommes en train de travailler au développement d’actions communes avec l’ADEME au sujet des zones pavillonnaires, où il est intéressant de réfléchir à des travaux réplicables et à la mise en œuvre de sources d’énergie partagées par les habitants.

Nous travaillons à la mise au point de méthodes susceptibles d’être industrialisées pour traiter les copropriétés, en particulier celles des années 1950. À cet effet, nous avons édité avec Le Moniteur un guide de la rénovation et de la réhabilitation des copropriétés construites entre 1950 et 1984, répertoriant les matériaux utilisés, les pathologies les plus fréquemment rencontrées et les moyens d’y remédier, ainsi que les méthodes à mettre en œuvre pour obtenir des gains énergétiques importants.

Mme la rapporteure. Quelles sont vos recommandations pour la rénovation thermique des logements à l’approche du PIA 3, et quels financements estimez-vous nécessaires pour atteindre les objectifs fixés ?

Mme Blanche Guillemot. Nous souhaitons que dans le cadre du PIA 3, la question de la précarité énergétique apparaisse comme un investissement prioritaire et une source d’innovations.

Ensuite, tout dépend du dimensionnement des objectifs qui nous seront fixés. Il nous semble qu’au-delà des maisons individuelles, le champ de la copropriété n’est pas suffisamment investi actuellement. Nous partons du constat que les modèles impliquant des sociétés de tiers-financement ou l’accompagnement par des plateformes fonctionnent si nous parvenons à emporter la décision des copropriétaires – et que, pour cela, les ménages les plus modestes doivent bénéficier d’un soutien public important. Nous aidons déjà les copropriétés les plus en difficulté et nous souhaitons que, dans le cadre du PIA 3, une réflexion soit menée en vue de la mise au point d’une mesure équivalente à Habiter mieux en copropriété, en étroite concertation avec tous nos partenaires.

Par ailleurs, nous menons des programmes de prévention consistant en un accompagnement à la gestion, s’adressant aux copropriétés ne se trouvant pas endettées ou durablement dégradées, mais simplement un peu fragiles et ne disposant de l’épargne nécessaire pour financer des travaux de rénovation énergétiques. Nous accompagnons déjà beaucoup de copropriétés dans ce cadre, et nous estimons que les aider à franchir le pas qui les conduirait à effectuer des travaux nécessiterait sans doute des subventions moindres que celles que nous allouons à des copropriétés très dégradées et endettées, et permettrait sans doute la massification des actions.

Enfin, nous souhaitons que le programme Habiter mieux s’inscrive davantage dans des projets de territoire. Aujourd’hui, il se déploie dans le cadre d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) portées par les collectivités. On pourrait imaginer des OPAH dédiées à la transition énergétique, plus ambitieuses dans le sens où elles ne concerneraient pas seulement la rénovation des logements, mais aussi la nature des sources d’énergie et leur éventuelle mise en commun. Effectuer une analyse à l’échelle d’un quartier constituerait la première étape en vue du déploiement de méthodes de rénovation plus standardisées et permettrait que le choix se porte plus facilement sur les sources d’énergie renouvelable.

Agir de manière plus efficace à l’échelle du territoire implique que nous travaillions en lien étroit avec l’ADEME sur l’utilisation du Fonds chaleur et la mise en œuvre de méthodes industrielles innovantes. Nous disposons de plusieurs leviers, qu’il s’agisse de l’accompagnement de l’habitant au moyen de subventions ou de la participation à des projets de territoire, que nous devons nous efforcer de combiner le plus efficacement possible afin de passer à l’échelle de territoire de projet.

Le socle d’une telle action existe, dans la mesure où le partenariat est bien installé, mais nous pouvons aller beaucoup plus loin. Notre action pourrait s’étendre aux centres anciens – que l’ANAH a vocation à requalifier –, en faisant en sorte que la transition énergétique soit au cœur des sujets pris en compte, au même titre que le patrimoine ou l’accessibilité – et aux zones pavillonnaires, car si ces zones sont partiellement prises en compte par le programme Habiter mieux, il serait beaucoup plus intéressant d’engager une réflexion à l’échelle du quartier, afin de pouvoir tirer parti de la mutualisation d’énergie et de favoriser le recours aux énergies renouvelables.

Telles sont les directions dans lesquelles nous souhaitons voir évoluer le PIA 3, et nous avons formulé des propositions en ce sens auprès de nos ministères de tutelle. Nous vous transmettrons dès que possible les résultats de notre deuxième phase d’évaluation, qui est en cours.

Mme la rapporteure. Nous vous remercions.

——fpfp——