Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la mission d’évaluation et de contrôle

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Mercredi 30 mars 2016

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 36

Présidence de Mme Éva Sas, rapporteure

Les programmes d’investissements d’avenir (PIA) finançant la transition écologique

– Audition de représentants des commissions du développement durable des organisations patronales : M. François-Nicolas Boquet, directeur Environnement et Énergie de l’Association française des entreprises privées (AFEP), Mme Aliette Quint, directrice des affaires publiques d’Air Liquide et M. Rémy Nicolle, directeur des partenariats, M. Michel Dechelotte, directeur des Affaires Institutionnelles du groupe Safran et M. Christian Picollet, directeur des Programmes et Stratégie R&T

Mme Eva Sas, rapporteure. Madame, Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre sollicitation. Votre contribution aux travaux de la mission permettra de connaître le point de vue de grandes entreprises qui ont répondu à des appels à projets financés par les PIA. Je rappellerai que l’objectif de la mission est d’évaluer la mesure dans laquelle les PIA répondent aux besoins des entreprises qui contribuent à la transition écologique et de formuler des recommandations en vue de l’utilisation du PIA 3.

M. François-Nicolas Boquet, directeur Environnement et Énergie de l’AFEP. L’Association française des entreprises privées regroupe les 120 principaux grands groupes français privés de tous les secteurs d’activité. Pour l’AFEP, la promotion de solutions innovantes est essentielle au développement de notre économie sachant que l’innovation s’entend au sens technique, mais aussi organisationnel et social. Sur ces trois volets, nous avons besoin de bâtir des écosystèmes favorables à l’innovation avec l’ensemble des acteurs : grandes entreprises, PME, collectivités locales, acteurs académiques et sociaux, ONG environnementales. Ce sont les emplois de demain qui se jouent à travers la mise en place de ces processus et le travail sur les interfaces de compétences entre tous ces différents acteurs constitue un véritable enjeu. De ce point de vue, la stimulation des interactions entre acteurs qui a été créée par les PIA s’est avérée très positive.

Récemment, l’AFEP a travaillé sur l’appel à projets « Démonstrateurs industriels pour la ville durable », distinct des PIA et lancé conjointement par le ministère de l’environnement et le ministère du logement qui a pour objectif d’établir une forte composante d’innovation, à la fois technique et organisationnelle, pour des projets urbains. Dans le cadre de cette initiative, le fonctionnement, en mode projet, entre les trois acteurs – les entreprises regroupées en consortiums, les collectivités territoriales commanditaires de solutions nouvelles, les pouvoirs publics jouant un rôle de catalyseur avec une démarche interministérielle – a été une forte valeur ajoutée. Les PIA n’insistent, sans doute, pas assez dur le rôle d’intégrateur des pouvoirs publics, rôle pour lequel il y a encore des marges de progression.

Cette logique de chef de projet va aussi être mise en place dans le cadre de l’innovation sur l’économie circulaire avec les « engagements pour la croissance verte ». Parallèlement à l’engagement des entreprises, nous demandons l’appui des pouvoirs publics, toujours en mode projet, pour soutenir l’innovation, la mettre en œuvre, puis la déployer jusqu’à sa réalisation commerciale.

Sur les questions de développement durable et particulièrement de changement climatique, nous sommes dans un « momentum » autour des résultats de la COP 21. Sur certaines zones du monde qui n’ont pas encore de contrainte carbone, l’effort a été centré sur le développement d’offres de solutions technologiques et organisationnelles alternatives à une société carbonée. C’est en fonction de la découverte de ces solutions que se mettront en place les contraintes bas carbone. En revanche, au niveau communautaire s’est développée la croyance que la seule introduction d’une contrainte carbone pourrait faire naitre l’offre d’une économie bas carbone. On s’aperçoit aujourd’hui que tel n’est pas le cas. Les deux logiques doivent être développées de manière simultanée et un rééquilibrage aux niveaux français et européen doit être trouvé.

Le rôle de la puissance publique à travers une politique volontariste de stimulation de l’offre est fondamental pour l’émergence de solutions. Pour respecter les objectifs de l’Europe et de la France en matière de changement climatique, il faut éviter que nous nous retrouvions dans l’obligation d’avoir recours à des technologies non inventées en Europe, achetées auprès d’Etats qui n’ont pas de contrainte carbone mais qui ont su développer des solutions.

Mme Aliette Quint, directrice des affaires publiques et de la réglementation à Air Liquide. Je travaille particulièrement pour l’entité énergies propres, c’est-à-dire le secteur des carburants alternatifs, notamment de l’hydrogène-énergie, du biométhane, ou des solutions pour le transport réfrigéré.

Je commencerai par un point de présentation du groupe Air Liquide et de son engagement dans le PIA : une société de 16 milliards de chiffre d’affaires en 2015, présente dans 80 pays ; 60 % de nos applications contribuent à préserver l’environnement et la santé. Notre innovation est essentiellement tournée vers ces applications, ce qui représente en France de l’ordre de 15 à 20 % du chiffre d’affaires. 70 % de nos dépenses d’innovation se font en France grâce à la politique volontariste de l’Etat français dans ce domaine. L’année dernière le groupe a annoncé 100 millions d’investissements pour l’innovation en France.

En ce qui concerne notre participation aux PIA. Air Liquide est membre fondateur de deux instituts pour la transition énergétique (ITE) : le PS2E (Paris-Saclay Efficacité énergétique) pour lequel nous avons été coordinateurs du montage du projet et l’IPVF, l’institut photovoltaïque d’Ile de France.

Nous sommes aussi membre fondateur d’un Institut de recherche technologique (IRT) M2P et nous sommes associés à l’IRT System X.

Nous avons aussi bénéficié du PIA pour le projet Cryocap qui vise la capture de de CO2 sur notre usine de production d’hydrogène à Port-Jérôme. Nous avons réalisé la première brique technologique dans le monde de capture du CO 2, ce qui a permis l’augmentation de l’efficacité énergétique de l’usine elle-même.

Nous avons, enfin, participé à un certain nombre d’appels à projets de l’ADEME pour produire de l’hydrogène renouvelable ou à partir de biomasse mais qui se sont soldés par des échecs.

M. Rémy Nicolle, directeur des partenariats d’Air Liquide. J’ai participé au montage des instituts PS2E et IPVF, puis à leur démarrage et leur suivi dans le cadre de la participation d’Air Liquide à leur gouvernance. Ils répondent à notre volonté de participer à des projets nationaux ambitieux de recherche de nouvelles formes d’innovation basées sur des écosystèmes, avec des partenaires recherchés et retenus sur des critères d’excellence. Ces deux instituts ont pour ambition de devenir des instituts de renommée mondiale et d’être dans les trois meilleurs instituts de recherche au monde. Air Liquide s’est impliqué de manière forte en investissant directement des moyens humains et financiers qui ont été abondés par le PIA.

M. Michel Dechelotte, directeur des affaires institutionnelles du groupe Safran. Le groupe Safran est un groupe de haute technologie dans le secteur de l’aéronautique, de la défense et de la sécurité. Il résulte de la fusion il y a dix ans du groupe SNECMA et du groupe SAGEM. Son chiffre d’affaires s’est élevé à 17,5 milliards d’euros en 2015. Nous avons 70 000 salariés dont 41 000 en France et il n’y aucune raison de penser que cette proportion changera. 90 % de la recherche et de l’innovation se réalise en France. Les différents dispositifs de soutien de l’État, au premier rang desquels figure le crédit impôt recherche mais aussi les PIA, constituent des facteurs absolument décisifs pour que le « cœur du cœur » de la recherche et les emplois hautement qualifiés qui l’accompagnent restent en France. 85 % de notre chiffre d’affaires est, en revanche, réalisé à l’exportation.

S’agissant du PIA, nous avons été précurseurs avec le Conseil pour la recherche de l’aéronautique civile (CORAC) qui a fédéré les efforts de la filière aéronautique en France afin d’éviter les doublons et de mutualiser les programmes de recherche. Deux principaux donneurs d’ordre, Airbus et Safran, mais aussi l’ensemble de la filière et de la supply chain sont concernés par la recherche dans le secteur de l’aéronautique.

Cette combinaison du PIA avec la structure d’intégration de recherche ont abouti à l’établissement d’une feuille de route pour notre secteur particulièrement harmonieuse. Nous sommes très positifs sur l’utilisation des PIA pour capitaliser sur l’effort de concertation de la recherche au sein de notre filière. Les PIA correspondent précisément au sens des engagements très forts de réduction des émissions de gaz à effet de serre – CO2 ou oxyde d’azote – que nous avons pris au titre de la COP21. Le transport aérien s’est engagé à stabiliser la production de gaz à effet de serre d’ici 2020 et de diminuer de 50 % d’ici 2050 leur volume d’émission. Ces objectifs ne pourront être atteints qu’avec des recherches extrêmement innovantes allant de la configuration des avions en passant par la mise au point de nouveaux carburants, les biocarburants, même si la perspective est lointaine. Nous sommes donc très satisfaits du mécanisme des PIA qui s’intègre parfaitement à notre action concertée dans le cadre du CORAC.

M. Christian Picollet, directeur des Programmes et Stratégie R&T de Safran. Pour développer une technologie sur un avion, il faut entre 15 et 20 ans. Notre industrie est donc caractérisée par la longueur de ces cycles et sa performance suppose des efforts constants et continus sur un certain nombre de solutions. Le groupe Safran développe essentiellement sa recherche et sa technologie sur les bas niveaux de TRL (Technology Readiness Level) qui correspondent à la recherche en amont. Les TRL de 0 à 4 portent sur la recherche en amont (niveaux 0 à 2 : recherche académique ; niveaux 2 à 4 : recherche exploratoire), les niveaux 4 à 6 portent sur les produits, les niveaux 6 à 9 sur l’intégration des produits sur les avions. Un chiffre élevé de TRL correspond à une sortie rapide sur le marché.

Nous avons inauguré notre centre de recherche Corporate en janvier 2015. Il traduit l’effort du groupe Safran en matière de recherche technologique amont en concentrant sur le site de Paris Saclay une équipe de 300 chercheurs recrutés pour partie à l’extérieur et pour partie à l’intérieur du groupe. Ce centre concentre et sanctuarise les efforts de recherche sur les très bas niveaux de TRL.

Parallèlement à cet effort réalisé en 2015, nous sommes acteurs de la filière aéronautique dans le cadre du CORAC, présidé par le secrétaire d’Etat aux transports. Ce Conseil a comme mission l’élaboration des feuilles de route de la recherche dans le domaine de l’aéronautique civile. Ce sont ces feuilles de route qui nous permettront d’atteindre nos objectifs et qui font l’objet d’appel à projets dans le cadre du PIA.

Elles correspondent parfaitement à l’effort de l’Europe en matière de recherche dans le cadre du programme Horizon 2020. Elles permettent de s’assurer de l’absence de doublon entre les fonds d’origine européenne et ceux qui proviennent de la France.

Les technologies qui nous permettront d’atteindre les objectifs et les engagements pris pour la filière aéronautique dans le cadre de la COP21, mais surtout auprès des organismes internationaux, ne sont pas encore connues et nécessitent donc un effort de recherche important et continu. Le PIA constitue un signal fort donné par l’État pour que la filière aéronautique continue ses efforts et tienne ses objectifs.

Des risques importants existent pour le développement de ces technologies et des échecs sont prévisibles. Le fait qu’il existe avec le PIA un cadre permettant de regrouper de manière collaborative la recherche académique, les grands groupes et les PME offre cependant la possibilité d’un travail serein.

Parmi les projets que le CORAC a mis en place dans le cadre du PIA et auxquels le groupe Safran participe, on peut citer le programme GENOME ou « gestion optimisée de l’énergie ». Il faut rappeler, en effet, que les aéronefs modernes consomment beaucoup d’énergie, qu’il s’agisse d’énergie propulsive ou non ; cette énergie est indispensable pour la cabine, les passagers, aussi bien que pour l’alimentation des calculateurs de vols. Il y a là un véritable enjeu car cette énergie est fournie par les moteurs et donc par le kérosène. Il s’avère essentiel d’optimiser la gestion des sources d’énergie, sans mettre en péril les objectifs de sécurité et en réduisant les émissions. Ces actions ont été mises en place dans le cadre du PIA 1 dont l’exécution se poursuit aujourd’hui.

Toutes les sources d’énergie sont concernées, notamment l’hydrogène qui peut être employé dans les aéronefs ; du fait qu’il constitue un gaz explosif, son embarquement nécessite toutefois la mise en place d’un écosystème adapté. Pour la gestion de l’énergie, toutes les technologies embarquées sont également concernées, ce qui impose une analyse de la configuration des avions, qu’il s’agisse des ailes, des moteurs, des matériaux ou de l’électronique.

Deux autres programmes ont été financés par le PIA, l’un sur l’avion composite, l’autre sur la propulsion ; pour toutes ces actions, il existe une collaboration du groupe SAFRAN, au sommet de l’écosystème de la propulsion avec les PME et avec la recherche académique.

Le deuxième chantier porte sur la digitalisation des usines, le fait que l’on vise une certaine optimisation, pour améliorer les cadences, réduire la consommation des entrants et améliorer ainsi la compétitivité de la filière, sachant que l’aéronautique est un secteur exportateur.

Enfin, le groupe SAFRAN est membre de certains IRT, pour l’une de ses activités de base que sont les matériaux, les métalliques et les composites. Le groupe est membre fondateur de l’IRTM2P (Institut transfilière matériaux-métallurgie-procédés), dont le siège est à Metz et qui concerne les secteurs de l’automobile, de la sidérurgie et de l’aéronautique. Le groupe SAFRAN est également membre-fondateur de l’IRT Antoine de Saint Exupéry de Toulouse, qui a une antenne à Bordeaux et qui se consacre aux matériaux composite céramique. Le groupe est aussi membre associé de l’IRT de Paris-Saclay, vouée à l’ingénierie numérique des systèmes. Il est aussi utilisateur de l’IRT Jules Verne qui concentre ses travaux sur les composites froids. Il est membre, enfin, de l’ITE basé à Satory spécialisé dans les technologies de transport, l’aéronautique et l’automobile.

M. François-Nicolas Bocquet. Plusieurs grandes problématiques se posent, s’agissant de l’utilisation des PIA. Comment faire correspondre, tout d’abord, les objectifs du PIA, qui veut intégrer des perspectives de long terme, avec l’existence d’outils de court terme et qui ne sont pas forcément destinés à des prises de risques ? Il faut mentionner ensuite la rigidité des instituts ad hoc qui ont été conçus avant le lancement des projets, ce qui a ralenti la mise en œuvre de ces derniers. L’obligation de partage de la propriété intellectuelle prévue notamment pour les IRT ou les ITE, n’est-elle pas un frein à la mise en place d’accords généraux ? Enfin, la logique du PIA est plutôt de rapprocher l’innovation des industries manufacturières afin de porter des produits sur les marchés ; elle n’accorde peut-être pas suffisamment d’aides aux clients précoces pour la promotion de ces innovations.

Les règles du PIA ne sont-elles, par ailleurs, pas trop contraignantes par rapport à la concurrence avec des pays situés hors de l’Union européenne, où il existe une plus grande liberté pour accompagner les produits en amont ?

Mme Eva Sas, rapporteure. Quel est votre avis sur les différents outils proposés en matière de financement – subventions, avances remboursables – et sur la répartition entre modes de financement ? Avez-vous, par ailleurs, des recommandations à présenter pour le PIA 3, si celui-ci devait être mis en place ? Quelle est enfin, d’une manière générale, la valeur ajoutée du PIA ?

Mme Aliette Quint. Il est certain que le PIA a aidé aussi bien Air Liquide que Safran à investir en France et à y maintenir des projets. Le PIA a permis et, ce point doit continuer à être encouragé, de rapprocher les différents acteurs autour d’une feuille de route. Les grands groupes, Safran, Total, Air liquide ont pu, par exemple, travailler ensemble, mais ont eu aussi l’obligation de s’ouvrir à des PME, ce qui a été très positif. La valeur ajoutée du PIA, c’est ainsi l’innovation ouverte, en même temps qu’un levier de financement public.

M. Rémy Nicolle. Je voudrais insister sur l’importance de la souplesse des mécanismes, car nous avons beaucoup appris en constituant les instituts. Il faut garder cette vision initiale de souplesse et éviter des institutions figées. Cette recommandation vaut en particulier pour le PIA 3, cette préoccupation doit permettre d’attirer des compétences et de les démultiplier. J’insiste aussi sur l’intérêt de la confrontation des points de vue, qui a pu déboucher sur de nombreux projets ; une dynamique s’observe d’ailleurs aujourd’hui dans la communauté scientifique sur ce point.

En ce qui concerne les formes de financement, nous souhaitons que la part principale soit donnée à des subventions versées de façon durable, étant donné que l’on est en présence d’instituts complexes et que la recherche doit être soutenue, dans la durée, sous toutes ses formes.

M. Rémy Nicolle. Pour le PIA 3, il faudra chercher à renforcer les instituts qui existent, leur donner plus de moyens et parfois élargir leur spectre. Je pensais notamment à l’Institut Védécom où il est nécessaire d’introduire la mobilité hydrogène. Cela rejoint la feuille de route de l’institut, mais il faudra pouvoir également tirer parti des opportunités qui émergent au cours de la vie de l’institut pour lui donner plus de chances de succès et construire sur l’excellence.

Mme Aliette Quint. Pour terminer sur les problématiques de financement, nous avons une difficulté quant à l’objet des financements. Nous avons eu le sentiment - au-delà même des instituts, d’une façon très générale sur le PIA - que celui-ci était surtout adapté pour financer l’industrie manufacturière, c’est-à-dire l’industrialisation de produits fabriqués en série avec un retour sur investissement attendu à relativement court terme. Mais le PIA n’est pas adapté à un financement d’investissements de long terme dans des moyens de production type électricité, énergie, circulation des fluides, et notamment dans les carburants alternatifs. En tout cas, nous voyons, et c’est ce que nous dit régulièrement le CGI, qu’aujourd’hui le PIA n’est pas adapté au financement des déploiements d’infrastructures en phase pré-commerciale. Nous pouvons l’entendre, mais le problème est qu’il n’y a pas d’alternative nationale seulement des financements européens.

Mme Éva Sas, rapporteure. Parce qu’il ne devait justement pas y avoir dans les objets du PIA le développement des infrastructures. Donc ici il ne s’agit pas d’une question d’outils mais d’une question de destination et d’objectifs du PIA.

Mme Aliette Quint. Exactement. C’est une question d’objectifs.

Mme Éva Sas, rapporteure. Cela dit, étant donné que l’on finance les bornes de recharge électrique… c’est visiblement évolutif.

Mme Aliette Quint. Oui mais pas pour tout ; il semble y avoir deux poids deux mesures. C’est l’une de nos recommandations pour le PIA 3 : si nous voulons avoir une certaine transition énergétique dans la mobilité de demain, il va falloir porter des déploiements d’infrastructures – que ce soit pour le bio méthane ou l’hydrogène – et il va falloir accompagner ces déploiements d’une façon ou d’une autre. Il s’agit d’un message que l’on souhaitait faire passer.

Nous ne sommes pas opposés aux avances remboursables car dans certains cas cela est justifié, mais elles ont peu de sens pour des technologies qui sont extrêmement risquées comme c’est le cas pour l’hydrogène-énergie.

M. Christian Picollet. Le PIA a été un formidable outil pour échanger sur les problématiques d’écosystème autour de projets pour lesquels nous ne l’aurions pas fait, tous ensemble, avec un objectif calendaire. Cela a permis de faire émerger des projets avec des objectifs clairs. La notion de feuille de route est très importante car elle a un effet de jalonnement. On peut se dire que la feuille de route peut être contrebalancée par l’effet du bourgeonnement d’idées de type start-up qui est peut-être propre aux aspects numériques, mais pour la transition énergétique ces feuilles de route sont indispensables ; pour des technologies qui soient durables il est nécessaire d’avoir du temps. S’il y a recommandation à formuler, ce serait celle ne pas abandonner les feuilles de route et la structuration de filières qui soient globales pour avoir un dispositif durable dans le temps.

Dans ce cadre-là, eu égard aux risques que l’on prend, la subvention est un bon outil. Elle permet le ressourcement scientifique au niveau des différents instituts, parce que l’on peut alors admettre un taux d’échec que l’on ne pourrait pas financer par des avances remboursables. C’est important de le mentionner, si on se compare aux « catapultes » britanniques ou au Fraunhofer allemand, institut spécialisé dans la recherche en sciences appliquées : le Fraunhofer bénéficie d’une dotation étatique qui permet le ressourcement scientifique et qui lui garantit son succès.

Concernant l’éclosion des écosystèmes et les PME, il y a un autre point auquel il faudra veiller, c’est celui de l’articulation entre les appels à projets des PIA, les IRT ou ITE et les pôles de compétitivité, qui doivent bien s’emboîter pour favoriser des écosystèmes qui permettront de gagner en compétitivité. Ces écosystèmes qui sont très utiles pour les PME me semble-t-il et elles sont indispensables au succès de l’ensemble.

Mme Aliette Quint. Je reviens sur la question des financements de long terme. Pour la création des instituts il y a des jalons à trois ans, c’est-à-dire que la dotation est normalement étagée sur huit à dix ans. Or, lors des premières discussions du plan d’affaires de l’institut PS2E, il a été demandé un taux de rentabilité extrêmement rapide. Ce qui signifie que l’Etat est un investisseur avisé et l’idée n’est pas d’investir à fonds perdus de façon massive, mais il faut faire attention à rester dans le temps long. Par exemple, la rentabilité de l’hydrogène-énergie dans lequel nous investissons, n’est pas visible avant dix ans. Nous savons qu’elle arrivera car nous sommes dans un monde qui change et qu’il va falloir décarbonner la mobilité, mais cela va prendre dix ans avant que les stations ne soient rentables. Pour Safran c’est peut-être rapide, pour nous c’est un peu long. Notre message, dans le cadre du PIA, est plutôt de renforcer les instituts qui existent et les projets qui se mettent en place et ne pas y mettre fin parce qu’on n’en voit pas les résultats immédiatement.

Quant aux avances remboursables et les subventions, je ne voudrais pas que l’on soit caricatural. Pour le déploiement des infrastructures nécessaires à l’amorçage, il va falloir des subventions mais elles ne sont pas forcément la panacée. Si il y avait des mécanismes de garantie de l’État, cela pourrait permette d’attirer des investisseurs privés. Nous avons des mécanismes que nous avons essayé de mettre en place, notamment avec CDC Climat, qui permettent d’attirer le secteur bancaire privé dans le déploiement d’infrastructures de carburant alternatif que ce soit hydrogène, bio méthane, électricité ou bornes de recharge.

M. Michel Dechelotte. Je voudrais dire que nous sommes extrêmement laudatifs sur le PIA mais que celui-ci est un peu victime de son succès puisque nous avons cru comprendre que, selon certains rapports, il a pu être utilisé comme un substitut aux crédits budgétaires classiques qui sont peu abondant. Nous comptons sur la représentation nationale pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de détournement de procédure ou d’objet du PIA et qu’il garde ses objectifs d’origine. En particulier, concernant l’aéronautique, la question de l’utilisation du PIA pour financer des avances remboursables destinées à l’A350 d’Airbus ressemble à un mélange de genre que nous ne souhaitons pas voir se répéter. Ceci a pu malheureusement jeter une ombre sur un dispositif qui est par ailleurs extrêmement utile.

M. Christian Picollet. Le fait que les instituts doivent être autofinancés à terme par les revenus de la propriété intellectuelle a, au début, freiné l’intégration des acteurs académiques ou des industriels dans ces instituts. Force est de constater qu’il est peu probable que les IRT ou ITE soient autofinancés à terme par le revenu des licences. Cela a deux conséquences, il faut penser au ressourcement scientifique qui est la source même du dynamisme de la recherche et, deuxièmement, de la souplesse est apparue dans le montage des projets entre les premiers instituts qui étaient un peu rigides sur cette question et d’autres instituts qui ont été plus souples en créant des consortiums projet par projet sur la propriété intellectuelle. Cela a permis de générer des projets et de permettre leur montage. Il faut être réaliste, personne n’a envie de spolier l’autre de sa propriété intellectuelle, du moins ce n’est pas l’intention du Groupe Safran, mais par contre, il faut une certaine souplesse pour que les académiques comme les industriels et les PME se mobilisent et aient confiance dans la rétribution qu’ils pourront obtenir de ces projets. Un peu de souplesse dans les règles relatives à la propriété intellectuelle, serait une recommandation que l’on pourrait souhaiter au titre des PIA et des IRT et ITE, s’il y a une évolution de ces instituts.

M. Rémy Nicolle. Effectivement, plutôt que d’essayer de trouver des compromis infinis et parfois dogmatiques sur la propriété intellectuelle entre tous les intervenants, ma recommandation serait de prévoir un cadre souple et de le préciser dans les projets qui ainsi deviennent concrets. Chacun trouvera alors sa place assez naturellement, parce que nous avons des attentes qui sont différentes et complémentaires. Pour les ITE, cela est peut-être plus facile à définir au gré des projets mais ce n’est pas toujours le cas.

M. Christian Picollet. Cette recommandation de souplesse est importante car lors de négociation de contrats de propriété intellectuelle avec certains organismes de recherche cela a pu être très long et a freiné la mise en place de projets. La négociation peut prendre un ou deux ans alors que l’objectif est d’aller vite. Il faut donc un certain pragmatisme et permettre cette souplesse qui facilitera le montage des projets.

Mme Éva Sas, rapporteure. Il me reste à vous remercier pour ces éclairages.

——fpfp——