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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mercredi 28 novembre 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 04

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident, puis de Mme Bérengère Poletti, rapporteure

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » :

– M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Julie Pougheon, adjointe au chef du bureau 2A (couverture maladie universelle et prestations de santé)

– Dr Patrick Bouet, délégué général aux relations internes du Conseil national de l’Ordre des médecins, accompagné de M. Francisco Jornet, conseiller juridique

– M. Stéphane Seiller, directeur général du Régime social des indépendants, Dr Pascal Perrot, médecin conseil national, et Mme Stéphanie Deschaume, directrice de cabinet 21

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mercredi 28 novembre 2012

La séance est ouverte à dix-sept heures.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission,
puis de Mme Bérengère Poletti, rapporteure)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Julie Pougheon, adjointe au chef du bureau 2A (couverture maladie universelle et prestations de santé).

M. le coprésident Pierre Morange. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a le plaisir d’accueillir M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Julie Pougheon, adjointe au chef du bureau 2A, couverture maladie universelle et prestations de santé, de la direction de la sécurité sociale.

Les volumes financiers consacrés aux indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail sont conséquents. En juillet 2012, la Cour des comptes a rendu sur ce thème une communication qui rappelle les montants en jeu, soit environ 6,5 milliards d’euros pour les arrêts maladie auxquels s’ajoutent 2,2 milliards d’euros au titre des accidents du travail. Elle souligne la complexité du système ainsi que la nécessité d’en simplifier certaines procédures, notamment par la dématérialisation, sujet sur lequel la MECSS revient assez fréquemment. La Cour met en évidence les disparités territoriales ainsi que des statuts, l’inégalité d’accès aux prestations sociales et la nécessité de mieux couvrir certains salariés, environ 20 % n’étant pas couverts. Une expérimentation du contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires est en cours d’expérimentation par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur les trois fonctions publiques – fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière. Sa mise en œuvre ayant été retardée, notamment pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière, il a été proposé de la prolonger.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé. La communication de la Cour des comptes analyse l’ensemble des volets de ce sujet. Pour ma part, j’aborderai trois points : les aspects macroéconomiques de la régulation de ces dépenses au regard de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), les problématiques liées à l’ouverture des droits aux indemnités journalières, à la simplification du dispositif et aux couvertures complémentaires et la question du contrôle, en évoquant à la fois le régime général et les expérimentations en cours dans les fonctions publiques.

Avec une dépense totale, au titre des indemnités journalières accidents du travail-maladies professionnelles (IJ AT-MP) et des indemnités journalières en cas de maladie (IJ maladie), légèrement inférieure à 9 milliards d’euros, le poste des arrêts de travail est suivi attentivement dans le cadre du pilotage de l’ONDAM. Il a connu des évolutions assez irrégulières au cours des cinq dernières années. La dépense a plutôt « redémarré » entre 2007 et 2009 avec un taux de croissance de 3,8 % en 2007, 5,6 % en 2008 et 5,1 % en 2009, taux assez élevés par rapport à la progression globale de l’ONDAM. Depuis 2010, une décélération est observée, avec un taux de croissance de 4,1 % en 2010, 2,1 % en 2011, la décélération étant encore plus nette en 2012. Deux facteurs expliquent cette décélération. Il s’agit tout d’abord de la mise en œuvre de plusieurs mesures d’économie touchant au taux de remplacement des indemnités journalières : calcul des indemnités journalières sur la base de 365 jours, au lieu de 360 jours précédemment, à compter de 2011, et abaissement du plafond de référence à 1,8 SMIC en 2012, cette dernière mesure ayant déjà entraîné une économie de 125 millions d’euros en 2012. La décélération s’explique également par une tendance à la diminution des volumes, très significative en 2012, puisque, sur les cinq premiers mois de l’année, la diminution du volume des arrêts de travail de moins de trois mois est de 5,2 % et l’on constate une quasi-stagnation des IJ AT-MP relatifs aux arrêts de plus de trois mois. Se conjuguent donc un « effet prix » et un « effet volume ». Il est très difficile d’expliquer la diminution des volumes mais on peut estimer que la conjoncture économique, la démographie de la population active et l’action de contrôle des caisses, tant sur les assurés que sur les professionnels prescripteurs, très sensiblement renforcée depuis le début des années 2000, ont eu un impact. Le déploiement, depuis 2011-2012, de la maîtrise médicalisée sur ces thématiques, et notamment le développement des référentiels de prescription à l’attention des prescripteurs, a vraisemblablement contribué à la maîtrise des volumes.

S’agissant de l’accès au droit aux indemnités journalières et de la simplification du dispositif, il convient évidemment d’aborder ces questions en tenant compte de la couverture fournie par le régime de base de la sécurité sociale mais aussi de la couverture complémentaire prise en charge par les employeurs. S’agissant des régimes obligatoires de base, les règles, comme le souligne la Cour des comptes, sont assez complexes en termes d’ouverture de droits puisqu’ils comportent alternativement des règles relatives à des conditions de temps de travail durant les trois mois précédant l’arrêt (règle dite « des deux cents heures ») mais aussi des règles de montant de cotisations dues au cours des six derniers mois. Ces règles sont critiquées tant parce qu’elles ne permettent pas de couvrir de manière satisfaisante, au regard des évolutions récentes du marché du travail, des périodes de travail irrégulières ou insuffisantes sur la période de référence que parce que leur articulation avec les règles de l’assurance chômage ou des arrêts maternité peut se traduire par un effet désincitatif à la reprise du travail. C’est pourquoi le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 assouplit les règles de maintien des droits pour limiter ces effets désincitatifs en permettant de percevoir des IJ maladie, même dans le cadre d’une reprise du travail après une période de chômage. S’agissant des conditions strictes de l’ouverture de droits, il convient d’être prudent car il s’agit d’une source de dépense supplémentaire potentiellement importante, notamment si l’on modifie la règle des deux cents heures de travail. Néanmoins, une réflexion sur l’adaptation des règles à la réalité de l’évolution du marché du travail est nécessaire.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous évoquiez les volumes financiers conséquents qui sont en jeu. Je rappelle cependant que l’estimation de la prise en charge par les couvertures complémentaires offertes par les entreprises fait notoirement défaut, ce qui ne permet pas d’avoir une vision suffisamment claire de la couverture réelle des salariés.

M. Thomas Fatome. À la fin de l’année 2011, nous avons mené une étude, que nous pourrons vous adresser, auprès d’une centaine de branches, couvrant près de 13 millions de salariés, pour essayer d’appréhender plus finement la nature de la couverture dont ils bénéficiaient. S’agissant de la distinction entre cadres et non-cadres soulignée par la Cour des comptes, nous avons observé que seules six branches sur une centaine opéraient une distinction selon la catégorie socio-professionnelle du salarié. Il nous semble donc que ce sujet n’est plus d’actualité. S’agissant du délai de carence, facteur important de disparité entre salariés, la moitié des branches étudiées prévoit un maintien du salaire dès le premier jour, un quart dès le quatrième jour et le dernier quart seulement à compter du huitième jour.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous fait une estimation financière, même sommaire, des montants que représente la couverture complémentaire ?

M. Thomas Fatome. Non, nous avons centré notre analyse sur le mode de couverture sans consolider les montants de prise en charge globale.

M. le coprésident Pierre Morange. Il faut impérativement que ce calcul puisse être réalisé. J’en fais tout à fait officiellement la demande. Il s’agit là en effet d’une véritable lacune.

M. Thomas Fatome. Je comprends tout à fait l’intérêt de la Représentation nationale pour ces thématiques. Néanmoins, cette évaluation implique d’approfondir la connaissance des niveaux de salaires des personnes concernées, de la nature des garanties qui leur sont proposées…

M. le coprésident Pierre Morange. Nous ne méconnaissons pas la difficulté de l’exercice mais nous avons besoin d’avoir une vision, ne serait-ce que schématique mais néanmoins globale, de l’efficacité de notre système de protection sanitaire et sociale. La participation des entreprises au titre de la prise en charge complémentaire des arrêts maladie est un élément important d’appréciation de la compétitivité de l’appareil économique français dans la compétition internationale.

M. Thomas Fatome. Nous serons, en tout état de cause, en mesure de vous transmettre l’étude précitée qui permet de mesurer l’étendue des couvertures complémentaires et l’ampleur des disparités entre branches. On observe par exemple que la plupart des branches fixent une ancienneté minimale d’un an pour bénéficier du maintien de salaire en arrêt de travail alors que d’autres branches fixent cette ancienneté minimale à six mois. S’agissant du niveau du maintien de salaire et sa durée, on observe également que les pratiques varient. Nous essayons de construire avec les partenaires sociaux une réflexion sur l’articulation entre les couvertures complémentaires d’entreprise ou de branche et la couverture du régime général de base. Ce sujet est posé mais il dépend largement des partenaires sociaux.

M. le coprésident Pierre Morange. On pourrait néanmoins envisager que la transmission de certaines données soit obligatoire.

M. Thomas Fatome. S’agissant de la réglementation, la Cour fait plusieurs propositions de simplification. À cet égard, nous soutenons très fortement la déclaration sociale nominative (DSN) qui doit structurellement permettre de simplifier la vie des salariés, des entreprises et des organismes de protection sociale en matière de liquidation des indemnités journalières.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel sera le délai pour sa mise en place, car vous connaissez aussi bien que moi le caractère difficile de la mise en œuvre des systèmes informatiques, notamment au sein de l’assurance maladie ?

M. Thomas Fatome. Il s’agit, certes, d’un projet qui va s’étaler sur plusieurs années mais dès la première étape, c’est-à-dire dès 2013, pour les entreprises volontaires, le système sera opérationnel pour les arrêts maladie et maternité.

M. le coprésident Pierre Morange. Combien d’entreprises seront volontaires ?

M. Thomas Fatome. Je ne saurais vous donner un chiffre dès à présent mais nous travaillons étroitement avec les associations professionnelles d’employeurs. Nous serons à la fin de l’année en mesure d’établir la liste des entreprises volontaires.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Quel peut être l’intérêt des entreprises à se porter volontaires ?

M. Thomas Fatome. Elles pourront avoir accès dans leur système de paie à certaines données qui doivent actuellement faire l’objet d’un échange entre l’entreprise, l’assuré et la caisse au moment de l’arrêt de travail.

Mme la rapporteure. Doivent-elles par conséquent modifier leur système informatique ?

M. Thomas Fatome. L’entreprise enverra la DSN chaque mois aux caisses, qui pourront se baser sur les données ainsi transmises au lieu de devoir les récupérer ponctuellement en cas d’arrêt de travail. Par exemple, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, la caisse compétente ne sera plus tenue, pour pouvoir calculer l’indemnité journalière, de demander au salarié une attestation de ses salaires des trois mois précédents.

M. le coprésident Pierre Morange. Si je ne m’abuse, le temps moyen de liquidation de l’indemnité journalière est de 34,5 jours. À combien espérez-vous pouvoir réduire ce délai avec la DSN ?

M. Thomas Fatome. Nous ne disposons pas d’élément de réponse à ce stade.

M. le coprésident Pierre Morange. Pourriez-vous nous communiquer une estimation ? Ainsi que la liste des entreprises concernées…

M. Thomas Fatome. Je me permets de signaler que dans ce délai des 34,5 jours, il faut imputer aussi le délai de transmission des attestations de salaire de l’employeur, délai sur lequel les caisses ont peu de prise.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons déjà entendu cette remarque au sujet de l’expérimentation menée dans la fonction publique d’État.

M. Thomas Fatome. Une proposition de la Cour des comptes nous laisse un peu perplexes, à savoir la possibilité d’utiliser les données fiscales comme référence dans le calcul de l’assiette. Elle ne nous paraît pas pertinente, dès lors qu’aujourd’hui nous disposons de données plus « actualisées », permettant de calculer l’indemnité journalière au plus près de la rémunération du salarié.

M. le coprésident Pierre Morange. La direction générale du travail nous a fait part de la difficulté qu’il y aurait à instaurer une assiette un peu trop « uniforme » au regard de l’hétérogénéité des règles conventionnelles et des éléments de détermination des revenus.

M. Thomas Fatome. Nous essayons justement de mettre en place un système qui tienne compte des derniers salaires de l’intéressé, car il est plus favorable que la prise en compte d’une assiette dont le calcul est mécaniquement décalé.

De même, la Cour propose de prendre comme référence, dans le cadre d’arrêts successifs sur une période donnée, l’arrêt précédent, au lieu d’examiner le salaire précédent. Là encore, ce n’est pas totalement pertinent.

Quoi qu’il en soit, nous poursuivrons notre réflexion dans le cadre du chantier de la DSN. L’harmonisation des périodes de référence et des types de salaires pris en compte
– bruts ou nets – doit se poursuivre, sans léser pour autant les droits des assurés.

En ce qui concerne les contrôles des professionnels de santé, nous avons évidemment travaillé avec la CNAMTS. L’objectif recherché est que cette dernière renforce le pilotage de sa politique de contrôle des professionnels prescripteurs. Elle doit utiliser toute la palette des moyens mis en place par la loi, en particulier la mise sous accord préalable des professionnels hyperprescripteurs d’arrêts de travail et la procédure de mise sous objectif quantifié, plus récente et plus souple.

Celle-ci est encadrée par la loi du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010 et un décret de mai 2011. La CNAMTS a envoyé à cet effet, en mai 2012, une « lettre-réseau » aux caisses primaires qui déploient ce dispositif et, à ce jour, 500 médecins généralistes ont été touchés par ce dispositif. Je rappelle que la procédure applicable est lourde puisqu’elle doit respecter, bien entendu, les droits de la défense. En outre, les syndicats de médecins ont protesté contre le « délit statistique » qui peut, selon eux, en résulter.

Ce dispositif doit permettre de mettre en exergue les très « gros » prescripteurs d’arrêts de travail, de vérifier que ces prescriptions sont motivées par des justificatifs médicaux bien réels et, enfin, de « dérouler » le processus de contrôle.

Parallèlement, nous mettons en œuvre une procédure à l’amiable, c’est-à-dire davantage « partagée » avec les professionnels, avec la mise en place de référentiels de prescriptions. Pratiqué par d’autres pays, ce dispositif, qui vise à donner des références en termes de pathologies et de durée d’arrêts de travail, est conçu selon une logique d’aide à la prescription et de maîtrise médicalisée des soins, selon une méthode qui a été assez efficace s’agissant des génériques.

S’agissant du contrôle des assurés, le nombre de contrôles effectués par les caisses primaires a sensiblement augmenté ces dernières années. Il s’élève, aujourd’hui, à 2,4 millions. 10 % d’entre eux portent sur les arrêts courts et 90 % sur les arrêts longs, les arrêts à partir de 45 jours faisant l’objet d’un contrôle systématique.

Quant au taux d’avis défavorables, il reste relativement stable, représentant autour de 12 % des contrôles effectués.

M. le coprésident Pierre Morange. Ces avis sont-ils suivis d’effets ?

M. Thomas Fatome. En cas d’avis défavorable émis par un médecin conseil, l’indemnité journalière cesse d’être versée et le salarié doit reprendre son travail.

Mme la rapporteure. Les contrôles sont donc concentrés sur les arrêts longs. Or n’y a-t-il pas un réel problème s’agissant des arrêts de moins de 8 jours ? Ils sont majoritaires dans la masse des arrêts de travail prescrits. Et pourtant, seuls 10 % des contrôles effectués portent sur cette masse.

M. Thomas Fatome. C’est aussi l’arrêt de travail à 45 jours qui sera coûteux dans la durée. Il est logique de cibler les cas qui présentent, du point de vue financier, les risques les plus importants. D’où le contrôle systématique de ces arrêts, qui, de fait, me semble assez pertinent.

Mme la rapporteure. Les arrêts de moins de 8 jours ne présentent-ils pas aussi un risque financier ?

M. Thomas Fatome. Les indemnités journalières de moins de 8 jours représentent 36 % des arrêts de travail mais moins de 3 % de la dépense.

M. le coprésident Pierre Morange. On comprend votre raisonnement financier, qui a effectivement sa logique. On comprend aussi l’intérêt de la DSN, qui apportera une plus grande fiabilité à la transmission des données. Mais on pourrait aussi concevoir que les arrêts de travail dont la durée est comprise entre 15 jours et 45 jours soient davantage suivis, même si cela conduit à poser la question des moyens.

M. Thomas Fatome. Plus vous baissez le curseur, plus le volume à contrôler augmente. Par ailleurs, dans une double logique de simplification de la vie des médecins et des assurés et d’accroissement des contrôles à des fins de lutte contre la fraude, le développement de la dématérialisation, avec ce nouveau service que nous appelons « l’arrêt de travail en cinq clics », constitue un progrès, car il permet aux caisses d’être plus réactives. Ce télé-service, qui permet donc d’envoyer une déclaration d’arrêt de travail dématérialisée, est mis en œuvre de manière intéressante, après un démarrage assez lent.

Pour revenir sur le ciblage, il est difficile de sélectionner les indemnités journalières courtes. Il faut surtout développer des méthodes dissuasives, par exemple avec l’examen, par les caisses, sur une période donnée, des arrêts de travail répétitifs de courte durée.

En ce qui concerne le contrôle des arrêts de travail dans la fonction publique, nous pilotons, comme vous le savez, cette expérimentation qui est progressivement déployée auprès des collectivités territoriales et des hôpitaux publics volontaires.

M. le coprésident Pierre Morange. Autant le dispositif semble opérationnel dans la fonction publique d’État – mais votre expression me laisse penser le contraire ! –, autant la situation de la fonction publique hospitalière, avec ses quelques millions d’agents, et des agents des multiples collectivités territoriales, aux ramifications denses, paraît complexe.

M. Thomas Fatome. On assiste à une montée en charge du dispositif, en rappelant que celui-ci ne concerne, dans certains départements, que les collectivités et établissements de santé volontaires.

Nous avons dû faire face, au moment de la mise en place, à des sujets techniques importants, en particulier au sein de la fonction publique d’État, où il a fallu d’abord s’assurer de la qualité des échanges d’informations entre les services gestionnaires des administrations et les caisses.

M. le coprésident Pierre Morange. En ce qui concerne cette fonction publique, il arrive, parfois, ce qui paraît surprenant, que l’on ne connaisse même pas l’adresse du fonctionnaire, donc d’un fonctionnaire de l’État. Cela laisse songeur…

M. Thomas Fatome. Je laisserai à la direction générale de l’administration et de la fonction publique le soin de vous répondre. Nous avons beaucoup travaillé avec ses services, mais nous n’avons pas fait de bilan détaillé depuis celui effectué en avril 2012. Celui-ci mettait en lumière les marges de progrès existantes, notamment en ce qui concerne le moment de la transmission, aux caisses, des informations pouvant justifier un contrôle. On doit refaire le point avec les administrations concernées en début d’année prochaine.

S’agissant des collectivités territoriales et des établissements de santé, nous n’avons pas encore réalisé de bilan détaillé de la mise en œuvre de l’expérimentation.

M. le coprésident Pierre Morange. Pour la fonction publique d’État, disposez-vous d’un chiffrage, même sommaire ?

M. Thomas Fatome. Nous disposons d’un bilan réalisé en octobre 2011, qui vous a d’ailleurs été transmis et qui montre qu’à cette période, on dénombrait 75 000 arrêts de travail, concernant 32 000 fonctionnaires, saisis par les administrations. La progression existe puisqu’au premier trimestre 2012, on comptait 21 000 arrêts de travail saisis. On pourra vous donner plus de détails sur ces saisies qui, toutefois, restent modestes.

M. le coprésident Pierre Morange. Très modestes, en effet. Je précise que la MECSS n’a pas pour ligne de conduite la chasse aux sorcières mais la recherche constante du meilleur rapport coût-efficacité au service de nos concitoyens. S’agissant des suites données aux constats d’arrêts de travail abusifs, le rapport sur l’évaluation de l’expérimentation du contrôle des arrêts de travail au sein de la fonction publique d’octobre 2011 ne citait que 16 cas sur les dizaines de milliers saisis. Quelles mesures devraient être prises pour favoriser la suspension des indemnités journalières ?

M. Thomas Fatome. Les chiffres qui ressortent de l’expérimentation sont en effet assez faibles. Cependant, ils ne traduisent pas un manque de volonté dans les suites à donner à des faits litigieux. Le problème principal, en réalité, est celui de la capacité à s’assurer de la saisie informatique, en temps voulu, des informations nécessaires au déclenchement des contrôles.

À la fin de cette année, nous devrions mettre à jour nos statistiques et nous pourrons les transmettre à la mission.

M. le coprésident Pierre Morange. Ces informations nous serons très utiles ainsi que l’estimation, que je demandais tout à l’heure, de la mise en œuvre de la journée de carence…

M. Thomas Fatome. Je ne dispose pas de remontées d’information qu’il s’agisse de la fonction publique de l’État, hospitalière ou des collectivités territoriales, concernant ce sujet. De son côté, la Fédération hospitalière de France a avancé un chiffre tendant à démontrer que la journée de carence avait eu un effet sur l’absentéisme.

Mme la rapporteure. Moins 20 % du taux d’absentéisme !

M. Thomas Fatome. C’est bien ce chiffre.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous ne disposez pas d’éléments consolidés sur ce point précis ?

Mme la rapporteure. Ce n’est pas remonté jusqu’à votre direction ?

M. Thomas Fatome. Non, car une telle estimation n’entre pas dans notre champ de compétences. Elle relève de la direction générale de l’administration et de la fonction publique ou des collectivités territoriales concernées.

M. le coprésident Pierre Morange. Je crois qu’une société d’audit s’est spécialisée dans ce recensement de type « ressources humaines ».

M. Thomas Fatome. Des cabinets de conseil publient régulièrement sur le sujet des études qui sont reprises par la presse.

M. le coprésident Pierre Morange. Que pensez-vous de l’estimation de la Cour des comptes selon laquelle la simplification des systèmes de gestion et la dématérialisation des procédures permettraient d’économiser 300 équivalents temps plein employés dans les caisses primaires sur les 5 330 affectés à ce secteur ? Par ailleurs, quelle pourrait être l’ampleur des marges de manœuvre budgétaires qui résulteraient de l’addition des mesures sur lesquelles vous travaillez et qui pourraient être utilement employées pour couvrir les « zones d’ombre » de la prise en charge des salariés ?

M. Thomas Fatome. L’ordre de grandeur de la Cour nous paraît crédible. Les diminutions d’effectifs au sein de l’assurance maladie ont été significatives, notamment du fait la mise en place des feuilles de soins électroniques (FSE) et du déploiement de la carte Vitale. Maintenant, nous sommes arrivés à des taux d’utilisation des FSE qui sont très élevés ; les gains de productivité de côté ne peuvent qu’être moins importants. Il reste cependant le levier de la dématérialisation des indemnités journalières.

S’agissant de l’aspect régulation, je rappelle que nous sommes sur une dépense de 8 milliards d’euros, presque 9 milliards d’euros aujourd’hui. Si on parvient à la faire progresser de 2 % au lieu de 5 %, cela conduit à une économie de 240 millions d’euros… Clairement, le volet « arrêts de travail » représente désormais une part significative des économies – de 500 à 600 millions d’euros – dégagées par la maîtrise médicalisée des dépenses et servant à la construction de l’ONDAM.

Dans le même temps, notre capacité à déterminer l’impact, sur la dynamique positive que nous évoquons, des différents facteurs que sont les contrôles des assurés ou des prescripteurs, le développement des référentiels ou la conjoncture économique, est limitée. Il reste que la bonne tenue de l’ONDAM 2012 sur les soins de ville et même la sous-exécution des soins de ville à hauteur de 350 millions d’euros en 2012 s’expliquent aussi, parmi d’autres éléments, par la modération de l’évolution des indemnités journalières.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelles sont les économies obtenues ?

M. Thomas Fatome. Nous calculons, avec la CNAMTS, à partir d’un tendanciel de dépenses, l’évolution des IJ au regard de l’évolution des salaires versés, de l’évolution de l’emploi et nous la comparons à l’évolution constatée pour évaluer les économies éventuellement réalisées. Nous vous transmettrons des données chiffrées précises mais, de mémoire, ces économies ont représenté entre 200 et 300 millions d’euros. Il est difficile de déterminer si ce résultat est dû directement à la maîtrise médicalisée des dépenses ou à d’autres facteurs structurels, mais nous constatons clairement un ralentissement de la dépense en 2012.

Mme la rapporteure. Pourquoi les contrats d’amélioration des pratiques individuelles (CAPI) n’intègrent-ils pas des objectifs en termes d’indemnités journalières ?

M. Thomas Fatome. Les partenaires conventionnels n’ont pas souhaité intégrer d’éléments relatifs aux arrêts de travail dans ces contrats. On peut comprendre le caractère sensible de ce sujet : les médecins sont réticents à rentrer dans une logique de rémunération en échange d’une diminution du nombre d’arrêts de travail prescrits et ils craignent que la rémunération de la performance ne soit déviée vers la recherche de la seule performance ou d’une logique de rationnement des soins.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous en sommes convaincus. La MECSS œuvre en faveur de la rationalisation de la dépense publique. En matière d’indemnités journalières, il est pertinent de mettre en œuvre une politique visant à diminuer les disparités territoriales et à permettre la diffusion des bonnes pratiques. Mais s’agissant des médecins « hyperprescripteurs », le renforcement des moyens du contrôle médical est plus efficace que des critères de performance.

Mme la rapporteure. Un indicateur pourrait être « de ne pas entrer dans la catégorie hyperprescripteur ».

M. le coprésident Pierre Morange. Le contrôle des médecins « hyperprescripteurs » relève du contrôle médical car il nécessite d’évaluer la pertinence de la prescription. Un indicateur sur « l’hyper prescription » n’est pas souhaité car cette situation est difficilement chiffrable et difficilement paramétrable. La mise en œuvre effective d’un dispositif de sanctions est certainement plus efficace que l’inscription de critères de performance dans une convention d’objectifs et de gestion. La philosophie des CAPI était la conformité à un modèle d’exercice libéral. Si la juste prescription d’un arrêt de travail en fait partie, la mise en place d’un système de bonus et de malus, dans ce cas, ne semble pas pertinente.

Mme la rapporteure. La prescription d’arrêts de travail ne peut-elle pas faire partie de ce modèle ?

M. le coprésident Pierre Morange. Le contrôle médical et le dispositif de sanctions me semblent être les meilleurs outils.

M. Thomas Fatome. Les référentiels seraient, en outre, assez délicats à déterminer. Il est difficile de chiffrer le nombre de patients par médecin. Deux politiques sont mises en œuvre dans ce domaine : d’une part, accompagner les médecins par la mise en place de référentiels dans le cadre d’un dialogue avec ceux-ci et, d’autre part, contrôler les plus gros prescripteurs, avec la mise sous objectifs quantifiés. En cas d’abus répétés, la mise sous accord préalable du médecin implique que chaque arrêt de travail prescrit par celui-ci est soumis à une autorisation du contrôle médical, ce qui est très contraignant.

Mme la rapporteure. Sur le terrain, les médecins nous font part du fait qu’ils subissent une certaine pression de leur patientèle : ils réclament parfois une plus grande intervention des médecins conseils. Certains souhaiteraient même que ces derniers prescrivent les arrêts de travail.

M. le coprésident Pierre Morange. Les référentiels médicaux et les logiciels d’aide à la prescription donnent un cadre général sur lequel s’adosse le prescripteur, notamment pour les arrêts de travail. Il faut distinguer ce sujet de la situation des médecins « hyperprescripteurs » qui ne respectent pas les règles déontologiques et l’art médical. Il faut mettre en place des moyens de contrôle certainement plus autoritaires sur l’ensemble du territoire.

M. Thomas Fatome. La mise sous accord préalable est assez efficace car elle aboutit à une baisse de 30 % de la prescription des arrêts de travail.

Mme la rapporteure. Certes, mais quand la mise sous accord préalable cesse, la prescription d’arrêt de travail augmente de nouveau.

M. Thomas Fatome. C’est effectivement parfois le cas. Il faudrait alors réitérer l’opération.

M. le coprésident Pierre Morange. La pédagogie implique parfois la répétition. La mise en place d’une journée de carence dans les entreprises publiques de transport – telles que la SNCF et la RATP – a été remise en cause par une décision de justice. Les employeurs n’ont pas fait appel de cette décision. La situation actuelle pose le problème de l’équité de traitement avec la fonction publique. Le ministère mène-t-il une réflexion sur ce sujet ?

M. Thomas Fatome. Cette problématique relève de ces entreprises publiques et des ministères de tutelle : nous ne sommes pas saisis de cette question.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, du Dr Patrick Bouet, délégué général aux relations internes du Conseil national de l’Ordre des médecins, accompagné de M. Francisco Jornet, conseiller juridique.

(Mme Bérengère Poletti remplace M. Pierre Morange à la présidence)

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Lors du débat relatif au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, a été mise en place une journée de carence dans la fonction publique. Ce dispositif a suscité de nombreuses polémiques. Compte tenu de la vigueur de ce débat, mais aussi de l’importance du budget consacré aux indemnités journalières – près de 9 milliards d’euros – dans les dépenses d’assurance maladie, la MECSS a décidé de mener une mission sur ce sujet et a saisi la Cour des comptes. Dans la communication qui nous a été transmise, la Cour constate que c’est une dépense dynamique, mal maîtrisée et mal renseignée : elle émet plusieurs propositions pour améliorer la maîtrise de ce dispositif. En tant que représentant du Conseil national de l’Ordre des médecins, principaux prescripteurs d’arrêts de travail, que pensez-vous de l’analyse et des propositions de la Cour des comptes ? Quelles réponses pouvez-vous apporter aux questions que nous vous avons au préalable envoyées ?

Dr Patrick Bouet, délégué général aux relations internes du Conseil national de l’Ordre des médecins. Nous nous prononcerons essentiellement sur les questions de déontologie. Je tiens cependant à rappeler deux points essentiels : en premier lieu, l’arrêt de travail est un élément de la prescription médicale et il ne peut être dissocié du traitement. Il fait partie de la prise en charge thérapeutique En second lieu, il convient de rappeler que l’arrêt de travail n’est pas seulement prescrit par les généralistes mais aussi par des médecins spécialistes et par des médecins en milieu hospitalier.

S’agissant des arrêts de travail proprement dits, vous nous interrogez sur la place du référentiel en matière de prescription d’arrêts de travail. Nous sommes très conscients – et nous le rappelons à nos partenaires – qu’il était nécessaire de mettre en place un processus d’amélioration des pratiques professionnelles. Nous pensons que si le référentiel n’est pas, par vocation, normatif, il est néanmoins destiné à améliorer l’ensemble de ces pratiques. La situation liée aux fiches référentielles établies par la CNAMTS est un peu différente, nous ne sommes pas en présence d’un référentiel établi par la Haute Autorité de santé mais d’un référentiel promu par l’assurance maladie et validé par la Haute Autorité de santé. Nous l’avons à l’époque rappelé au directeur général de la CNAMTS : si nous sommes prêts à accompagner cette démarche d’amélioration des pratiques, nous ne pouvons donner à ces fiches repères la même valeur qu’à un référentiel professionnel validé par l’ensemble de la profession et notamment les sociétés savantes et qui permet de disposer d’un cadre suffisamment compréhensible pour qu’il contribue à l’amélioration des pratiques. Les fiches repères, vous avez d’ailleurs pu le remarquer, donnent des règles générales sur des durées probables ou potentielles d’arrêt de travail mais rappellent immédiatement, comme nous le suggérions, la nécessité de prendre en compte les situations individuelles et les limites que le colloque singulier entre le patient et le médecin confère à ces recommandations. Le médecin peut ainsi être amené à adapter sa prescription et à prescrire des durées d’arrêt de travail sensiblement différentes de celles du référentiel.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Vous vous référez à ces référentiels validés par la Haute Autorité de santé, mais avez-vous connaissance d’autres références plus médicales ?

Dr Patrick Bouet. Nous aimerions qu’elles existent, qu’il y ait un référentiel professionnel, ce qui n’est pas le cas actuellement. La Haute Autorité de santé a simplement répondu à une demande de la CNAMTS sans établir son propre référentiel.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Chaque médecin évalue donc la nécessité d’un arrêt maladie du patient en fonction de sa propre analyse et non de ce qu’il a appris.

Dr Patrick Bouet. Le médecin agit en se fondant sur ce qu’il a appris initialement et au cours de sa carrière par la formation professionnelle, l’évaluation, les contacts avec d’autres professionnels. Cet ensemble de connaissances lui permet de fixer des règles générales qui déterminent dans quelle mesure l’arrêt de travail peut contribuer à la guérison ou à l’amélioration des signes cliniques du patient. Les fiches repères ont été pour eux l’occasion de disposer d’un certain nombre d’informations. Elles sont donc utiles de ce point de vue. L’Ordre des médecins était très attaché à ce que ces fiches présentent des durées ou des éléments estimés comme des contributions positives à la guérison du malade mais également à ce que le médecin puisse s’en écarter en fonction de sa propre appréciation. La fiche repère comprend ainsi toujours quelques alinéas qui viennent compléter les informations initiales et attirent l’attention du professionnel sur des situations qui peuvent le conduire à varier ses prescriptions.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ces situations ne sont pas seulement médicales ?

Dr Patrick Bouet. Principalement, mais le contexte environnemental ou la nature de la personne concernée et de son travail sont pris en compte.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ces situations peuvent être aussi sociales ?

Dr Patrick Bouet. L’aspect environnemental est par exemple pris en compte pour une sciatique, un travailleur sédentaire n’ayant pas les mêmes besoins qu’un travailleur de force, pour lequel la durée de travail sera plus longue. Le facteur est médical mais prend en compte l’évaluation de l’environnement professionnel et la durée de l’arrêt nécessaire pour assurer la guérison du patient. La fiche repère a clairement établi ces différences d’appréciation. La liberté de prescription du médecin, que l’on défend systématiquement, doit lui permettre d’évaluer la situation individuelle du patient et d’adapter sa prescription aux nécessités conditionnant une guérison optimale. En effet, considérer qu’une sciatique implique cinq jours d’arrêt de travail ne tient pas compte du fait que la situation professionnelle d’un employé de bureau n’est pas celle d’un cariste. Il est fondamental que la thérapeutique soit adaptée à l’usager de santé. Nous avons à l’époque rappelé au directeur de la CNAMTS notre souhait de voir respecter cette liberté de prescription, dans le cadre des processus réglementaires. Le praticien doit garder l’opportunité d’évaluer la meilleure solution thérapeutique.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Je ne pense pas que les caisses d’assurance maladie aient l’intention de réprimer la liberté de prescription du médecin. Mais ces référentiels pourraient être assortis de mise sous entente préalable si la prescription outrepassait la liberté d’appréciation offerte aux médecins, à l’image de ce qui se pratique pour certains actes de kinésithérapie.

Dr Patrick Bouet. C’est tout l’intérêt du colloque singulier entre le médecin traitant et le médecin conseil de l’assurance maladie. L’Ordre des médecins considère qu’il ne peut pas y avoir une bonne prise en charge de l’usager de santé s’il n’y a pas une totale coopération entre les professionnels qui y concourent, dont le médecin conseil. Pour autant, nous ne pouvons accepter que soit conféré un caractère normatif à une prescription qui doit être adaptée à chaque situation individuelle. Que la CNAMTS veuille se saisir de règles statistiques de bon usage pour mettre en place un certain nombre de dispositifs relève de sa responsabilité. Mais le colloque singulier entre médecin conseil et médecin prescripteur doit être maintenu pour garantir l’intérêt de l’usager de santé.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. J’entends bien que ce colloque singulier est nécessaire, mais comment expliquer les différences considérables observées en matière d’arrêt de travail entre territoires ? Ces variations de prescription entre différents départements ou différentes villes sont parfois de 1 à 4, ce qui est tout de même assez curieux.

Dr Patrick Bouet. Cela peut en effet paraître curieux, mais la diversité des territoires peut apporter un certain nombre de réponses. Ainsi, mon département, la Seine-Saint-Denis, qui comprend des populations très particulières, dans un environnement lui-même particulier, place le médecin dans une situation très différente de celle d’un confrère dans la Creuse. La lourdeur des pathologies, le retard des diagnostics, la difficulté de la mise en place d’une thérapeutique appliquée expliquent ces diversités qui peuvent à juste titre paraître étonnantes. Les situations des personnes concernées ne sont pas comparables, or ce sont des individus qui sont pris en charge. Si nous sommes vigilants sur les éventuelles dérives ou mauvaises applications dans la prescription d’arrêts de travail, il convient d’abord de prendre en compte la nature de la population prise en charge. Je ne dispose donc pas d’éléments permettant de dénoncer une dérive parce que des arrêts de travail sont prescrits quatre fois plus dans un département que dans un autre.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Les études sont un peu plus approfondies, puisqu’elles comprennent une analyse des territoires et de leurs contextes socio-professionnels et portent donc sur des territoires de nature comparable. Or de fortes différences de prescription y sont pourtant observées.

Dr Patrick Bouet. Nous n’expliquons pas ces différences mieux que vous, mais nous rappelons que l’étude des grands nombres ne supplante pas la prise en compte des situations individuelles. Nous n’utilisons pas le « délit statistique » pour juger d’une prescription déficiente. Seule l’analyse spécifique de la conduite d’un professionnel permettrait une éventuelle remarque sur sa mauvaise utilisation de son pouvoir de prescripteur.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Le Conseil de l’Ordre des médecins dispose peut-être de leviers dont ne disposent pas d’autres intervenants, vous pourriez ainsi interroger les médecins concernés par ces différences de prescription d’arrêts de travail.

Dr Patrick Bouet. L’Ordre ne peut connaître chaque professionnel du territoire. Chaque fois que nous avons souhaité établir un partenariat avec la CNAMTS, y compris pour faire respecter la loi qui fait obligation à cette dernière de nous informer des pratiques qui pourraient avoir un caractère anti-déontologique au regard des règles de prescription, nous n’avons pas obtenu de réponse. Nous ne sommes informés ni de la situation des médecins au regard de l’assurance maladie ni des dérives potentielles en matière de prescription. Les analyses statistiques ne nous sont pas fournies. Or la connaissance par l’Ordre de la situation de ses professionnels est évidemment très différente à Paris, avec 25 000 inscrits, et à Mayotte, avec 150 inscrits. Notre intervention dans un processus pédagogique plus général n’est donc pas simple.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Pouvez-vous rappeler le fondement de cette obligation d’information ?

M. Francisco Jornet, conseiller juridique du Conseil national de l’Ordre des médecins. La mesure était inscrite dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), elle est codifiée dans l’article L. 162-1-19 du code de la sécurité sociale.

Dr Patrick Bouet. Cette information devait provenir des organismes locaux de l’assurance maladie, mais rien n’interdit à la Caisse nationale de faire de même. L’idée était d’établir une relation suivie entre l’institution ordinale et l’assurance maladie. Nous ne sommes donc pas informés des doléances des employeurs ou, à l’inverse, d’assurés ou encore d’autres professionnels de santé. Nous sommes donc dans l’incapacité de mettre en œuvre des procédures de nature éventuellement disciplinaire mais surtout d’apporter notre contribution à une vision plus générale du bon usage des soins.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ces informations vous permettraient de contribuer au meilleur pilotage de ces prescriptions ?

Dr Patrick Bouet. Nous pourrions interroger nos professionnels, participer à l’élaboration de recommandations, organiser des manifestations permettant de contribuer à l’amélioration des compétences et des connaissances et rappeler la réglementation et la déontologie, comme nous l’avons fait au niveau national sur un certain nombre de sujets d’ordre général.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. La deuxième question qui vous était posée reprend la suggestion de la Cour des comptes d’intégrer dans le contrat de rémunération à la performance des médecins libéraux un objectif de respect du référentiel de prescription d’arrêt de travail. Y seriez-vous favorable ?

Dr Patrick Bouet. Nous avions émis un certain nombre de réserves sur les objectifs de performance. Nous préférons nous inscrire dans des objectifs d’amélioration de la qualité des soins distribués, comme nous l’avions rappelé à l’ensemble de nos partenaires lors de la signature de la convention et des avenants qui ont mis en place l’ensemble du dispositif. Tant que la liberté de prescription d’un professionnel et sa capacité à adapter des références à un individu, sont garanties et tant que les résultats ne signifient pas qu’il y aurait un intérêt financier pour le professionnel à respecter ces référentiels, il nous semble possible d’accompagner des dispositifs de cette nature. Mais il faut clairement, pour garantir une relation de confiance entre l’usager de santé et le médecin, que l’usager ne soit à aucun moment conduit à se demander si la prescription qui est faite par un professionnel l’est dans son intérêt ou dans celui du professionnel. Ce sont les deux remarques primordiales que nous avons défendues lors de la création des contrats. Nous pourrions accompagner un dispositif de la nature de celui qui est suggéré si nous avions la certitude que ces « exigences », de nature déontologique, sont garanties. Il ne doit pas y avoir de doute sur l’intérêt qui conduit à la prescription ni chez l’usager de santé, ni chez le prescripteur.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. J’ai pu constater en discutant de façon informelle avec des médecins de ma circonscription qu’ils préféreraient, pour certains, que les arrêts de travail soient prescrits par les médecins conseils de l’assurance maladie…

Dr Patrick Bouet. Le système actuel est un millefeuille de contraintes superposées. De référentiels en contraintes, de contraintes en contrats et de contrats en exigences de performance, les médecins sont engagés dans des processus qui rendent complexe l’exercice de leur mission et peuvent les conduire à vouloir la reporter sur d’autres.

Nous pensons, pour notre part, que la prescription d’arrêts de travail s’inscrit, fondamentalement, dans les missions du médecin, dont le cœur de métier consiste à prescrire dans l’intérêt du patient un arrêt, en vue d’obtenir une guérison. La prescription d’un arrêt de travail ne constitue pas un acte administratif, pas plus que l’établissement d’un certificat : il s’agit d’un acte médical qui se conclut par un document administratif. Nous sommes très attachés à cette conception.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Les médecins, sur le terrain, peuvent subir des pressions de la part des patients. Ils disent eux-mêmes que les référentiels peuvent alors constituer une aide.

Dr Patrick Bouet. Les référentiels servent d’appui aux médecins, pour expliquer leurs décisions dans le cadre du colloque singulier entre le patient et le professionnel de santé et lui montrer que leur prescription ne diffère pas des recommandations globales. Ils permettent également aux professionnels d’optimiser leur pratique. Mais, dans le même temps, les professionnels doivent également pouvoir s’en écarter, dans l’intérêt du patient. Ils doivent, dans tous les cas, être capables d’expliquer la raison de leur décision, tant au patient qu’au financeur ou au censeur déontologique. Le vrai problème, pour nous, réside dans les médecins qui ne sont pas capables d’expliquer leurs prescriptions.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. J’en viens à l’envoi dématérialisé des arrêts de travail. Il rencontre un faible succès auprès des médecins, puisque seuls 3 % des arrêts de travail sont télétransmis. On connaît les réserves des médecins à l’égard de ce genre de technologie, mais existe-t-il, en matière d’arrêts de travail, des difficultés particulières ? Comment expliquez-vous cette « résistance » ?

Dr Patrick Bouet. Il convient, en préalable, de rappeler – comme nous le faisons depuis le début – que l’informatisation et la dématérialisation des procédures ne sont pas forcément synonymes de simplification administrative.

La déconnection entre les processus de dématérialisation et l’utilisation croissante de logiciels métiers par les professionnels de santé constitue un frein important à la télétransmission. Dès lors qu’il est nécessaire d’ouvrir trois programmes différents, de passer d’un programme à un autre, avec des risques d’erreurs, et de prendre sur le temps médical pour remplir l’ensemble des contraintes administratives, les professionnels n’adhèrent pas ; le processus est trop complexe. Comme nous l’avions déclaré à la CNAMTS, la mise en œuvre d’une simplification administrative, d’une informatisation et d’une télétransmission suppose de s’assurer en préalable de l’homogénéité des outils utilisés, en s’appuyant sur l’outil de base que constitue le logiciel métier du professionnel de santé. Sinon, la situation est similaire à celle du dossier médical personnel (DMP) : la vie du professionnel s’en trouve plus compliquée et il estime finalement plus simple de remplir un formulaire sur support papier.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Pourtant, les médecins utilisent beaucoup la dématérialisation pour le paiement des honoraires…

Dr Patrick Bouet. Oui, car les choses sont très simples : il suffit de placer deux cartes dans des lecteurs, et de télétransmettre d’un clic en utilisant le logiciel métier.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Tel n’est donc pas le cas pour la télétransmission d’arrêts de travail ?

Dr Patrick Bouet. Ce n’est pas le cas actuellement. Il est nécessaire de se connecter au site internet ameli.fr, en parallèle de l’utilisation du logiciel métier. Le processus a été élaboré trop rapidement sans rechercher de synergies. Nous avions pourtant signalé à M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la CNAMTS, il y a de cela quelques années, que nous étions favorables à la dématérialisation, si l’outil de base du professionnel de santé, à savoir son logiciel métier, était au cœur du processus. Nous avons été entendus sur ce point pour la carte Sésame Vitale, de même que pour la télétransmission des feuilles de soins. Il ne subsiste, dans ce domaine, que de rares réticences qui relèvent de convictions individuelles. Concernant le DMP, nous avons souligné à M. Jean-Yves Robin, directeur de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP Santé), la nécessité d’intégrer la gestion de ce dossier au logiciel métier. Il est difficile de demander aux médecins, aujourd’hui surchargés, de consacrer 4 à 5 minutes à une manipulation informatique dans le cadre de consultations qui durent, en moyenne, entre 12 à 14 minutes. Il leur est beaucoup plus simple de remplir un formulaire sur support papier.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quelle est la position, sur ce point, des jeunes médecins qui débutent leur exercice ?

Dr Patrick Bouet. Elle est similaire à celle de tous les autres médecins en raison de leur formation. Le logiciel métier contient les bases médicamenteuses, l’aide à la prescription, et permet l’ouverture des dossiers médicaux et la recherche d’historiques. Se connecter à ameli.fr ou à un autre portail pour le DMP constitue un non-sens. Peut-être les jeunes médecins disposent-ils davantage de temps qu’un médecin en exercice depuis un certain nombre d’années et ont une capacité d’adaptation plus importante... Mais notre conviction est que le logiciel métier est au cœur du fonctionnement du cabinet médical. Il a déjà été difficile de convaincre les médecins sur ce sujet.

Il a fallu vingt-cinq ans pour créer des outils homogènes. Les médecins de ma génération ont connu les Amstrad et les disquettes souples, bien éloignés des outils informatiques actuels, très performants. Ces évolutions nous ont obligés à nous adapter en permanence. Dans ces conditions, si le processus proposé est compliqué, il est normal qu’il ne suscite pas d’adhésion spontanée. Il ne faut pas se tromper de démarche : le logiciel métier doit être au centre des dispositifs de dématérialisation ; il permet déjà l’utilisation de la carte Vitale et de la carte de professionnel de santé, donc l’identification du patient et du médecin. Tout doit découler de cette conjonction de deux identifications électroniques.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. J’en viens à la question du contrôle des arrêts de travail. Quelles sont vos remarques d’une manière générale ?

Dr Patrick Bouet. Nous avons communiqué, sur cette question, des documents au ministère chargé de la santé et à la CNAMTS, que nous vous transmettrons.

Nous avons pris l’initiative de rappeler un certain nombre de règles aux entreprises chargées d’assurer le contrôle médical pour les employeurs. On peut dire que cette activité n’est, aujourd’hui, pas encadrée. Les entreprises prestataires ne sont pas agréées et il n’existe pas de référentiel permettant de définir les bonnes pratiques en matière de contrôle médical à l’initiative de l’employeur.

Nous avons demandé un encadrement de nature réglementaire de cette activité et, interrogés par le ministère, avons répondu qu’un agrément s’imposait. N’obtenant pas de réponse à cette demande, nous avons interpellé l’ensemble des structures prestataires pour leur rappeler les règles déontologiques du contrôle médical : on ne peut pas faire « tout et n’importe quoi ». Nous avons d’ailleurs élaboré une charte du médecin contrôleur, que nous vous remettrons.

L’exercice du contrôle médical est, avant tout, un exercice médical. Le contrôle est un acte médical, auquel il est procédé à partir de l’examen d’un patient et des conclusions à en tirer s’agissant de la « conformité » de la prescription initiale par rapport à l’état constaté du patient. Nous avons donc dû rappeler qu’il n’était pas possible au médecin contrôleur de conclure que l’assuré n’était pas à son domicile : il peut simplement déclarer qu’il n’a pas pu examiner l’assuré. Il n’entre pas, en effet, dans ses attributions déontologiques de dire si celui-ci était présent ou absent de son domicile, d’autant que l’assuré est parfaitement libre de ne pas ouvrir sa porte – il aura, en revanche, à en supporter les conséquences. Le médecin contrôleur ne doit pas devenir un investigateur administratif.

C’est un exemple, parmi d’autres, des points traités dans notre charte du contrôle médical. Malheureusement, les choses sont, pour l’instant, toujours dans le plus grand flou.

Les caisses d’assurance maladie disposent d’agents administratifs qui procèdent aux contrôles, sur lesquels nous n’avons pas compétence.

Nous sommes obligés de constater qu’en 2012 – pas plus que lorsque nous interpellions le ministère chargé de la santé en 2007 et la CNAMTS en 2007 et 2008 –, il n’existe pas de dispositif d’agrément de l’ensemble des structures intervenant dans le contrôle médical. Nous pensons que cette situation pourrait être améliorée.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Avez-vous été consultés sur cette question ?

Dr Patrick Bouet. Nous avons été interrogés par M. Laurent Habert, du ministère chargé de la santé, en 2007, et lui avons répondu ainsi qu’à l’assurance maladie. Mais, comme souvent, le dossier n’a pas évolué. Nous avons mis en ligne, sur le site internet du Conseil national de l’Ordre des médecins, les règles déontologiques applicables au contrôle médical, actualisées en permanence : le contrôle médical est toujours un acte médical ; il doit correspondre à un réel examen médical du patient ; le médecin contrôleur ne doit pas participer à l’acte thérapeutique mais établir un constat concernant l’adéquation de la prescription, au moment précis où il exerce son contrôle.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Que se passe-t-il en cas de désaccord sur l’adéquation de la prescription ?

Dr Patrick Bouet. Le médecin contrôleur établit un rapport sur la base duquel l’employeur peut contester l’arrêt de travail. Alors que nous avons établi des liens avec les médecins conseils de l’assurance maladie qui peuvent « interpeller » les médecins traitants, nous regrettons l’absence trop fréquente de contacts professionnels entre le médecin traitant et le médecin contrôleur, afin qu’ils puissent échanger sur leurs divergences d’appréciation, comme le font, du reste, tous les experts qui s’entourent de précautions pour établir leurs rapports. Le contrôle médical n’a aucune raison d’échapper à cette pratique.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. D’où votre demande d’agrément de ces sociétés…

Dr Patrick Bouet. Cela nous semble effectivement indispensable pour garantir, sous l’autorité de l’État, la déontologie et la transparence du dispositif.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quelle est votre analyse concernant les médecins « hyperprescripteurs » d’arrêts de travail ? Comment les définissez-vous ? Avez-vous évalué leur nombre ?

Dr Patrick Bouet. Sur ce point, le Conseil national de l’Ordre des médecins est moins bien placé que la Cour des comptes qui a mené des évaluations. Nous considérons qu’il y a surprescription en cas d’actes répétitifs, non explicables, pouvant déroger aux connaissances générales de l’ensemble de la profession – comme, par exemple, 15 jours d’arrêt de travail pour une angine.

Nous sommes, en pratique, très peu saisis dans le cadre des sections des assurances sociales alors que ce sont les juridictions compétentes en la matière, de même que dans le cadre des sections disciplinaires. Les saisines sont généralement liées à la plainte d’un employeur à l’encontre d’un arrêt de travail prescrit à l’un de ses salariés ou des notes portées par le médecin sur cet arrêt – comme, par exemple, « salarié victime de harcèlement dans son entreprise ». Il faut évidemment s’entourer de précautions dans la rédaction des conclusions de la réflexion médicale : ce n’est pas parce qu’un patient a déclaré être victime d’une telle pratique que tel est le cas.

Nous sommes très peu, voire pas du tout, saisis des conséquences « statistiques » de l’activité de médecins. Il nous semblerait pourtant naturel que l’Ordre des médecins soit saisi, dans le cadre des deux juridictions compétentes, quand l’assurance maladie a connaissance de « délits statistiques », c’est-à-dire de résultats qui s’écartent fortement des médianes. L’Ordre pourrait ainsi se déterminer en connaissance de cause ; or, aujourd’hui, il ne peut pas comparer les données dont il dispose avec celles de l’assurance maladie.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Pourquoi ne le fait-il pas ?

Dr Patrick Bouet. M. Michel Legmann, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, vous répondrait que nous ne sommes pas compétents.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Oui, mais qu’en pensez-vous ?

Dr Patrick Bouet. Je pense qu’il y a une réticence à ce que la juridiction disciplinaire, ou celle des assurances sociales transforme en délit individuel un délit de nature statistique. Et qu’effectivement, comme les dossiers sont analysés individuellement, patient par patient, la nature de la réponse n’est probablement pas celle que l’assurance maladie attend du délit statistique, c’est-à-dire de la simple affirmation : « ce médecin déroge à des médianes ou à des règles statistiques que nous avons formulées ». C’est probablement la raison de la réticence de l’assurance maladie à saisir des juridictions dans lesquelles elle est représentée et a toute sa place, puisque je rappelle que la juridiction de la section des assurances sociales est composée à parité de médecins représentant l’Ordre des médecins et de médecins conseils représentant l’assurance maladie.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Qu’en est-il de la formation et de la sensibilisation des médecins au problème de la fraude ?

Dr Patrick Bouet. Nous travaillons en partenariat avec l’assurance maladie sur ce que l’on appelle les fraudes caractérisées. Mais là encore, il faudrait que nous sachions exactement, en dehors de ces fraudes caractérisées pour lesquelles il existe une convention entre l’Ordre des médecins et l’assurance maladie, quelle définition l’assurance maladie donne de la fraude. S’agit-il de l’acte répétitif d’un professionnel qui va s’éloigner des règles systématiques à son bénéfice, ou d’un processus plus large qui consiste à participer à un ensemble de mécanismes qui vont soustraire à la collectivité un certain nombre d’avantages ou permettre à des professionnels d’en bénéficier ? Nous n’avons toujours pas de réponse de la part de l’assurance maladie sur ce point, ni sur ce que l’on demande au Conseil national de l’Ordre des médecins, en dehors des cas de fraude caractérisée où nous avons pu coopérer avec le docteur Pierre Finder, responsable de la lutte contre la fraude à l’assurance maladie, par exemple sur la question d’échappements médicamenteux vers des filières organisées. Nous attendons toujours de nos partenaires un axe de définition claire sur la fraude pour rattacher les dérives éventuelles d’une prescription individuelle à un mécanisme qu’on dénommerait « fraude ».

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Trois cas ont été cités par les représentants de l’assurance maladie lors de leur audition : le cumul d’indemnités journalières avec une activité salariée, qui représente 60 % des fraudes…

Dr Patrick Bouet. Oui, mais est-ce une fraude du médecin ?

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Non, mais il peut y avoir une formation, une sensibilisation des médecins au dépistage de ce genre de fraude… Comme le médecin est prescripteur, il semblerait logique que sa vigilance soit mobilisée sur ces problématiques.

Dr Patrick Bouet. Nous remplissons notre devoir de rappel aux règles de bon usage du devoir de prescription très régulièrement à la fois sur le site du Conseil national, sur les sites des conseils départementaux de l’Ordre, dans les bulletins que nous envoyons aux professionnels, et lorsque nous échangeons avec des associations de formation ; dans tous les dispositifs, nous évoquons des sensibilisations à un ensemble de processus, mais pour l’instant, nous prêchons à partir de notre conviction et non pas en partant de faits.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Les représentants de l’assurance maladie ont également mentionné la falsification des pièces administratives. Peut-être la télétransmission permettrait-elle d’éviter ce genre de pratique ?

Dr Patrick Bouet. Oui, à condition que la carte Vitale présentée soit « fiable ».

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Le médecin peut-il demander une pièce d’identité ?

Dr Patrick Bouet. Non et cela a été très nettement spécifié dans le dispositif législatif. Nous avons clairement rappelé que la fonction première du professionnel de santé était de prodiguer des soins quelle que soit la personne qui se trouve en face de lui, et qu’il n’entrait pas dans ses attributions d’exercer un pouvoir de police et de contrôle. Il appartient au patient de lui présenter les documents adéquats ; la carte Vitale comportant une photographie constitue à cet égard une forme de sécurité, certes très relative ; mais nous n’avons pas voulu faire porter au professionnel la responsabilité du contrôle d’identité.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. A ensuite été citée l’absence légale d’entrepreneur.

Dr Patrick Bouet. Ce sont des éléments qui échappent très largement au professionnel dans son cabinet, les moyens d’investigation de ce dernier étant, ne l’oublions pas, très limités.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Absolument. Que pouvez-vous nous dire des relations entre professionnels de santé. Vous sembliez indiquer que des liens s’établissaient, par exemple, entre médecins conseils et médecins traitants ?

Dr Patrick Bouet. Assurément. Nous avons souhaité garantir l’indépendance du médecin conseil – nous pourrons vous transmettre des éléments allant dans ce sens. Nous avons voulu que l’ensemble des professionnels comprennent bien que le médecin conseil concourait, par ses missions, à la prise en charge de l’individu. Dans cette relation, qui n’est pas simple, le dialogue existe malgré tout, dès lors que l’indépendance du médecin conseil est garantie dans le cadre de sa mission. Sa signature est indispensable et il ne s’agit pas d’automatiser ou de déléguer à un tiers cette responsabilité médicale. Comme nous l’avions fait pour les CAPI, nous avons émis des réserves sur les contrats d’intéressement des médecins conseils aux résultats, afin d’avoir la certitude que leur garantie d’indépendance dans la décision était prise en compte par l’ensemble des partenaires. Le contrat de confiance naturel entre deux professionnels naît de cette certitude. Nous avons, en revanche, plus d’interrogations sur l’évolution de cette relation dans le cadre de la nouvelle organisation de la médecine du travail, la loi et la réglementation ayant évolué et modifié les conditions du recours au médecin du travail lors de la reprise d’activité. Ce recours intervient désormais après le troisième mois, alors qu’il intervenait, par le passé, au cours de la période comprise entre le vingt et unième jour et le troisième mois. Cette intervention ne constitue pas une mission de contrôle de la validité de l’arrêt mais d’un dispositif qui permet de constater que le salarié est apte à reprendre son poste. Il nous semble important de développer le dispositif qui garantit au salarié que l’intervention du médecin du travail sera bien dédiée à l’intérêt global de sa mission et qu’à ce titre, ce dernier fera bien partie du trio d’acteurs médicaux qui concourent à la sécurité du salarié ; à cet égard, la disparition de l’intervention du médecin du travail au vingt et unième jour et sa réapparition au troisième mois nous semblent en quelque sorte une régression, dans la mesure où elle élimine une partie des arrêts de travail qui peuvent créer des problèmes de réinsertion du salarié dans son entreprise. Nous avons donc attiré l’attention de nos partenaires sur ce qui nous semblait une restriction des garanties législatives que l’on pouvait apporter aux salariés.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Souhaitez-vous faire d’autres remarques ?

Dr Patrick Bouet. Ce qui est essentiel à nos yeux est la dimension relative à la « sécurité de l’usager », la garantie de l’indépendance, de l’action concordante des acteurs, et pour notre action au sein de l’Ordre, l’application des textes qui lui permettent d’accomplir pleinement sa mission.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Vous êtes donc demandeurs de plus d’informations ?

Dr Patrick Bouet. Ce sont des dispositions issues de la loi HPST qui le prévoient. Nous souhaitons qu’elles soient correctement appliquées.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Faut-il prendre un décret ?

Dr Patrick Bouet. Non, la mesure était d’application directe.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Seiller, directeur général du Régime social des indépendants, Dr Pascal Perrot, médecin conseil national, et Mme Stéphanie Deschaume, directrice de cabinet.

M. Stéphane Seiller, directeur général du Régime social des indépendants. Je vous propose de vous présenter d’abord l’économie générale de l’organisation du risque que nous couvrons au Régime social des indépendants (RSI). Je soulignerai, en premier lieu, sa particularité : le RSI couvre les artisans, commerçants et professionnels libéraux pour les prestations en nature ; mais, s’agissant des indemnités journalières, seuls les artisans et les commerçants peuvent aujourd’hui en bénéficier. Les professions libérales n’ont pas, en matière d’indemnités journalières, de système de protection sociale géré par un régime de sécurité sociale. Le RSI les couvre donc pour les prestations en nature, mais pas pour les indemnités journalières.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ont-ils des assurances spécifiques en la matière ?

M. Stéphane Seiller. Ils peuvent souscrire des assurances privées ; certains le font, d’autres non.

Par ailleurs, pour les artisans et les commerçants, le RSI gère un système d’indemnisation des arrêts de travail qui obéit à des règles particulières, différentes de celles du régime général. Le financement de ces indemnisations est assuré par des cotisations représentant 0,7 % des revenus sur lesquels elles sont assises, le régime de couverture des indemnités journalières maladie des artisans et commerçants étant uniquement et intégralement financé par ces cotisations. Selon les textes, ce régime doit être équilibré et il l’est. De plus, il convient de préciser qu’il ne s’agit que des indemnités journalières maladie, sachant qu’à la différence du régime général, il n’y a pas, pour le RSI, de risque « accidents du travail et maladies professionnelles » identifié. Toutefois, nous couvrons certainement aujourd’hui, dans le cadre des indemnités que nous versons au titre des arrêts de travail maladie, des arrêts justifiés par un état de santé résultant de ce que l’on appellerait dans le cadre du régime général un accident du travail.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Il n’y a pas d’accidents du travail ?

M. Stéphane Seiller. Il y a probablement des accidents du travail, mais il n’y a pas de couverture spécifique de ce risque. La nécessité de mettre en place un système de protection qui identifie l’accident du travail ou la maladie professionnelle pour les travailleurs indépendants artisans et commerçants est d’ailleurs débattue.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Les arrêts pour cause de maternité sont-ils, en revanche, assurés par le RSI ?

M. Stéphane Seiller. Absolument. Par ailleurs, le RSI couvre plusieurs populations : artisans, commerçants, professions libérales. Le régime des indemnités journalières couvrant les arrêts de travail est plus ancien pour les artisans puisqu’il a été créé en 1995. Pour les commerçants, il a été mis en place en 2000, les deux catégories se retrouvant depuis 2006 au sein du RSI. S’agissant de l’ouverture du droit aux indemnités journalières, les règles sont très différentes de celles du régime général dont la Cour des comptes a souligné la complexité dans sa communication. Nos règles ne sont pas plus simples, mais elles sont distinctes et obéissent à plusieurs grands principes. Tout d’abord, il faut être en activité. Il est nécessaire, de plus, d’être à jour de ses cotisations d’assurance maladie pour les prestations en nature et pour le risque indemnités journalières à chaque prescription d’arrêt ; c’est-à-dire qu’à chaque fois que la personne présente une prescription d’arrêt de travail en vue d’une prise en charge, on vérifie qu’elle a bien versé les cotisations dues au jour où la prescription a été faite, y compris en cas de prolongation de l’arrêt de travail par une nouvelle prescription. C’est évidemment une contrainte très forte pour l’ouverture du droit, et en matière de gestion…

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Surtout si la personne ne travaille plus !

M. Stéphane Seiller. Tout à fait, parce qu’il y a une perte de revenus qui peut rendre plus difficile le paiement des cotisations. Cette question pourrait être une piste d’évolution de la réglementation dans un sens de simplification, à condition que soit préservé le principe d’équilibre du risque et de maîtrise des dépenses.

Pour bénéficier de la couverture des indemnités journalières, il faut être assuré depuis au moins un an au titre de l’assurance maladie du RSI. Il faut noter également que ne peuvent bénéficier des indemnités journalières les personnes qui ont une autre activité, par exemple salariée, puisqu’on peut être travailleur indépendant et avoir une activité salariée. Si cette personne est couverte pour le risque maladie et prestations en nature par la CNAMTS, elle n’est pas couverte par le RSI.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Donc elle ne cotise pas ?

M. Stéphane Seiller. Si, elle cotise parce qu’elle a des revenus.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Elle cotise mais sans avoir de droits ?

M. Stéphane Seiller. Elle n’a pas, au titre de ce revenu de travailleur indépendant ouvert au RSI, droit à une indemnisation au titre des arrêts maladie puisqu’elle bénéficie, au titre du régime général, en tant que salarié, de la prise en charge classique. Elle cotise au RSI sans en bénéficier.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Mais un salarié qui exerce un métier en parallèle, qui est commerçant ou artisan par exemple, cotise quand même ?

M. Stéphane Seiller. Oui, pour les prestations en nature, mais cela ne lui ouvre pas droit aux indemnités journalières pour lesquelles il ne cotise pas.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Il ne cotise donc pas pour la partie indemnités journalières !

M. Stéphane Seiller. Enfin, les assurés qui bénéficient d’une pension d’invalidité, servie par le RSI, ne peuvent pas bénéficier concomitamment d’une indemnité journalière, même s’ils ont, dès lors qu’elle est possible et autorisée, une activité professionnelle en tant que travailleur indépendant. Vous constatez que les règles sont différentes de celles du régime général. Elles résultent de l’économie générale de notre dispositif, qui est un dispositif spécifique défini par un texte réglementaire, un décret pris, selon les textes législatifs qui régissent le RSI, sur la base de propositions faites par les administrateurs élus qui siègent dans les instances nationales du régime.

S’agissant de notre réglementation, le RSI pratique un délai de carence de 3 jours en cas d’hospitalisation, ce qui est comparable à celui en vigueur dans le régime général. Mais, hors les cas d’hospitalisation, et ce sont les cas les plus fréquents, le RSI a instauré un délai de carence de 7 jours. Comme dans le régime général, la personne bénéficiaire d’une prescription d’arrêt de travail doit l’envoyer sous 48 heures pour pouvoir être indemnisée. Le RSI a mis en place un dispositif spécifique qui incite les artisans et commerçants à effectivement respecter ce délai de 48 heures : la réglementation prévoit que si l’envoi de la prescription d’arrêt de travail ne se fait pas sous 48 heures, l’indemnité journalière est réduite de 4 jours à compter de la date de réception de la prescription d’arrêt de travail. Si une personne l’envoie au bout de 3 ou 5 jours au lieu de l’envoyer sous 48 heures, l’indemnisation commencera de fait à partir de la douzième journée d’arrêt de travail. Cette règle contraignante est effectivement appliquée par nos organismes. On a, de ce fait, un nombre important de recours des assurés, pour des raisons qui souvent peuvent être justifiées, devant les commissions de recours amiable des caisses, sur cette question du respect du délai de 48 heures. Ce motif représente 58 % des recours gracieux dont les commissions de recours amiable sont saisies sur les IJ maladie.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quand vous dites que l’indemnisation est réduite de 4 jours cela veut dire, que, hormis des cas d’hospitalisation, le délai de carence de 7 jours est porté à 11 jours ?

M. Stéphane Seiller. Exactement. L’indemnisation commencera au douzième jour.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Et si le non-respect du délai n’est pas de la faute de l’assuré ?

M. Stéphane Seiller. Alors la commission de recours amiable peut statuer en faveur de l’assuré s’il est de bonne foi ou s’il peut montrer qu’il était dans l’impossibilité matérielle d’envoyer sa prescription d’arrêt de travail.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Et cela concerne quelle proportion d’arrêts maladie ?

Mme Stéphanie Deschaume, directrice de cabinet. Pour un montant total de dépenses d’indemnités journalières qui est de 215 millions d’euros, tel que le directeur général l’a présenté, on refuse, pour des raisons de déclaration tardive, un montant de 14 millions d’euros.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Donc 5 % des arrêts de travail à peu près.

M. Stéphane Seiller. Ce sont 14 millions qui s’ajoutent aux 215 millions. Sachant que l’indemnité journalière moyenne s’élève à 28 et quelques euros, on peut assez facilement en déduire le nombre de journées qui ne sont pas remboursées.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ce que vous économisez en fait.

M. Stéphane Seiller. On peut le présenter de cette manière. Mais, et c’est un aspect à souligner, le régime est géré par des représentants élus d’abord, historiquement, par les artisans, puis par les commerçants. Ils assurent clairement une gestion prudente de ce risque, soucieux qu’ils sont d’éviter dérives et abus. Des règles rigoureuses en termes de pénalités sont appliquées. La tutelle, par le biais de la mission nationale de contrôle qui est amenée à examiner l’ensemble des décisions des commissions de recours amiable, nous a rappelé il y a quelques années que nous devions effectivement les respecter.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Vous versez 28 euros par jour ? Ce qui ne correspond pas aux revenus des assurés ?

M. Stéphane Seiller. C’est une moyenne. Sur la durée d’indemnisation, les règles sont comparables à celles du régime général. Une personne, qui n’est pas en affection de longue durée (ALD), a droit à 360 jours d’arrêt sur une période de trois ans. Et, si elle est en ALD, sous réserve de l’avis du médecin conseil, qui est obligatoire, elle peut bénéficier d’une indemnisation au titre de l’arrêt de travail pendant trois ans. Le montant d’indemnisation est proportionnel au revenu qui sert au calcul de la cotisation. Le revenu de référence pris en compte au RSI est celui des trois dernières années. C’est une différence par rapport aux règles du régime général dont la période de référence, plus courte, est, je crois, de trois mois. Cela est justifié par le caractère plus irrégulier des revenus des travailleurs indépendants. Un minimum est fixé par la réglementation, en référence au plafond de la sécurité sociale. La valeur minimum actuelle est de 19,93 euros. Un montant maximum de 49,82 euros est également fixé en référence au plafond de la sécurité sociale. L’indemnité journalière se situe donc entre ces deux seuils. Pour l’année 2011, le montant moyen des indemnités journalières était de 28,72 euros, le montant variant en fonction des revenus que les assurés ont dégagés et déclarés durant la période de trois ans sur laquelle s’opère ce calcul.

Je vais maintenant présenter la dynamique des dépenses et ensuite je présenterai les différentes actions de gestion du risque ou de contrôle que nous mettons en œuvre.

Le premier aspect qu’il faut avoir en tête s’agissant du RSI est la très forte croissance de la population active couverte par le régime depuis notamment l’année 2009, année de mise en place du régime de l’auto-entrepreneur. Nous avons vu la population des cotisants augmenter de 13 % par an en moyenne sur cette période. Au sein de la sécurité sociale, le RSI est le régime qui se caractérise par une croissance démographique de sa population active extrêmement forte, puisqu’on atteint des croissances à deux chiffres depuis maintenant quatre ans. Et cela ne s’arrête pas puisque sur 2012, on constate que le statut d’auto-entrepreneur continue de progresser, alors qu’on avait pu penser, j’allais dire espérer un peu, puisqu’il faut le gérer avec des moyens constants, que ce rythme se ralentisse.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Les indemnités que vous versez sont-elles fiscalisées ?

M. Stéphane Seiller. Je n’ai pas vérifié ce point-là mais je pense qu’elles le sont puisqu’à ma connaissance c’est la règle générale applicable à toutes les IJ. Il y a deux ou trois ans, le Parlement avait précisément, en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle, risque que je connais bien puisque j’ai, dans le passé, assuré la direction de cette branche au sein du régime général, établi un système spécifique de fiscalisation de ces indemnités journalières.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Je crois que c’était lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

M. Stéphane Seiller. Pour résumer, notre régime croît fortement et la population éligible aux indemnités journalières s’est élargie. Ceux qui peuvent, le cas échéant, s’ils ont un arrêt de travail, demander une indemnisation, forment une population de 1,743 million de personnes à la fin du mois de septembre 2012, dont 360 000 auto-entrepreneurs.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ces derniers cotisent-ils ?

M. Stéphane Seiller. Non. C’est un point tout à fait spécifique sur lequel on reviendra. Je n’ai pas le chiffre exact en tête, mais plus de la moitié des auto-entrepreneurs ne déclare pas de chiffres d’affaires. Au bout de deux ans sans chiffre d’affaires, ils sont radiés. Mais, durant les deux premières années, une partie des 360 000 auto-entrepreneurs éligibles peut néanmoins bénéficier, au titre des règles actuelles sur lesquelles nous attendons une évolution réglementaire, de l’indemnisation minimale, dont je vous ai indiqué le montant tout à l’heure, de 19,93 euros.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Au sein de cette population très particulière, quelle est la proportion de personnes qui font appel à l’indemnisation ?

M. Stéphane Seiller. Elle n’est pas anormale.

Mme Stéphanie Deschaume. Les auto-entrepreneurs représentent 20 % de la population éligible mais 8 % de la dépense. On constate qu’ils n’atteignent pas le niveau des travailleurs indépendants classiques. En revanche, il y a un phénomène de montée en charge sur ce nouveau statut. C’est une dépense qui évolue beaucoup. Nous ignorons à terme où se situera le niveau normal de dépenses des auto-entrepreneurs.

M. Stéphane Seiller. Des études statistiques ont été réalisées. Puisque l’on dispose maintenant d’un peu de recul sur cette population, il est possible de faire des analyses de « consommation » de soins ou d’indemnités journalières. On constate, après avoir mis en œuvre différentes précautions statistiques pour essayer de comparer des choses comparables, que la population est légèrement moins consommatrice de prestations en nature et d’indemnités journalières que la population active des travailleurs indépendants classiques. Une des raisons réside dans le fait que le travailleur indépendant sous statut d’auto-entrepreneur est plus jeune et plus actif et les actifs sont généralement en meilleure santé que les personnes plus âgées et non actives. Comme, par ailleurs, ces personnes ont acquis ce statut récemment pour créer une activité, il y a une forme de sélection. Si elles se lancent dans une création d’entreprise, elles sont probablement dans une situation de santé qui fait qu’elles consomment moins de soins et elles sont moins arrêtées. C’est, je pense, un point important. En revanche, il est vrai qu’une personne dont l’arrêt de travail est parfaitement justifié médicalement, peut, sans cotiser, bénéficier d’une indemnisation qui est modeste, à la différence du travailleur indépendant.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. On peut même dire sans revenu.

M. Stéphane Seiller. Oui, sans chiffre d’affaires donc sans revenu. La proportion des auto-entrepreneurs sans chiffre d’affaires est supérieure à 50 %. Je n’ai pas le chiffre précis mais on doit approcher les 60 %. Au bout de deux ans, depuis 2011 – puisque le statut a été créé en 2009, et je n’évoque ni les difficultés techniques que nous avons à gérer, avec nos collègues de la branche du recouvrement, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), la réglementation spécifique à ce statut, ni toutes les difficultés que nous devons aussi gérer avec l’interlocuteur social unique, sujet dont vous avez nécessairement entendu parler – nous radions, trimestre par trimestre, les personnes qui n’ont pas déclaré de chiffre d’affaires.

Je pense que c’était important de rappeler ces éléments de croissance du régime, tiré par les auto-entrepreneurs, qui ne se caractérisent pas par une « consommation » atypique. Il n’y a pas d’abus particulier que nous aurions relevé. Mais il existe un effet volume, lié à l’afflux de ces nouveaux actifs indemnisables, qui explique la progression des dépenses, qui est significative sans être très accusée. En valeur absolue sur 2011, nous avons indemnisé pour un montant de 215 millions d’euros un peu plus de 400 000 arrêts de travail prescrits pour 130 000 assurés. Évidemment, un même assuré peut voir son arrêt prolongé. Cela représente 10,5 millions de journées prescrites. Nous en indemnisons 7,5 millions. Cette dépense de 215 millions d’euros est dynamique. Elle a progressé de 1,9 % en 2011 par rapport à 2010, année qui avait elle-même connu une progression de 0,9 % des dépenses par rapport à 2009.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quelles recettes vous apportent les cotisations ?

M. Stéphane Seiller. Les cotisations représentent 0,7 % de la masse des revenus. Le régime est globalement équilibré, ce qui est sa règle de gestion.

Mme Stéphanie Deschaume. Nous sommes aujourd’hui très légèrement déficitaires de 1 million d’euros.

M. Stéphane Seiller. Cela dépend, en effet, des années. La durée moyenne des arrêts indemnisés est de 72 jours.

Mme Stéphanie Deshaume, directrice de cabinet. Nos délais de carence étant plus longs que ceux du régime général, nous comptabilisons proportionnellement davantage d’arrêts longs, ce qui explique cette durée moyenne relativement longue. En tout état de cause, la comparaison ne peut pas être faite directement entre le RSI et le régime général.

M. Stéphane Seiller. Ce sont les arrêts indemnisés. Les arrêts prescrits sont plus importants mais le régime n’en indemnise qu’une partie. La dépense a augmenté en 2011 par rapport à 2010 de 1,9 % en valeur. Cette évolution est la somme de deux évolutions différentes : d’une part, une décélération des arrêts de travail pour les personnes qui sont en ALD, soit une progression limitée à 1,9 %, et, d’autre part, une augmentation très forte des arrêts pour le reste de la population, qui atteint 8,8 % et qui est principalement justifiée par l’arrivée de ces nouveaux assurés que sont les auto-entrepreneurs. Ces derniers bénéficient plutôt d’arrêts de travail de courte durée et ne souffrent pas de pathologies justifiant une prise en charge au titre des ALD. L’effet volume lié à l’arrivée de ces nouveaux « consommateurs » est massif. Les 1,9 % de croissance globale en valeur s’expliquent par 5 points d’effet volume sur les arrêts hors ALD des auto-entrepreneurs et une consommation par personne qui a plutôt tendance à diminuer. La dynamique de dépenses est donc liée à l’extension du RSI qui est un régime qui couvre de plus en plus d’actifs. Logiquement, sans que la dépense par personne augmente – elle a plutôt tendance d’ailleurs à diminuer légèrement, de l’ordre de moins 3 % en 2011 par rapport à 2010 –, on constate un effet volume qui tire la dépense du régime vers le haut mais globalement le rythme de progression n’est pas affolant.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Les cotisations et prestations retraite des auto-entrepreneurs relèvent-elles de votre régime ? Cotisent-ils de la même manière que les autres assurés ?

M. Stéphane Seiller. Ils cotisent selon des règles spécifiques, avec un seuil de chiffre d’affaires, ce qui a effectivement pour conséquence que la majorité des auto-entrepreneurs ne cotise pas.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Ont-ils des droits ?

M. Stéphane Seiller. La personne bénéficiera de droits sans forcément cotiser, dès lors que l’équivalent du chiffre d’affaires de son activité, transformé en revenu et converti en heures de SMIC, est supérieur à 200 heures. Ce droit est pris en charge par l’État au titre de la compensation d’une exonération de cotisation.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. C’est l’État qui paye la cotisation ?

M. Stéphane Seiller. Dès que la personne a une activité qui représente 1 844 euros, soit 200 heures de SMIC par an, l’État vient compenser l’absence de cotisation jusqu’au seuil d’exonération. Le droit s’ouvre par cette compensation.

Mme Stéphanie Deschaume. Pour le dire autrement, le taux de cotisation étant moins bas pour un auto-entrepreneur, l’État vient compenser le différentiel attendu financièrement par le régime pour les revenus de 1 844 euros et plus, soit l’équivalent de 200 heures de SMIC.

M. Stéphane Seiller. Si l’on revient aux arrêts de travail, et c’est une donnée que l’on retrouve également au sein du régime général. La masse des dépenses provient des arrêts longs. J’ignore si les 45 jours d’arrêts en nombre de jours décomptés désignent les arrêts prescrits ou indemnisés. Réserve faite de cette petite incertitude qui n’est pas négligeable, puisque l’on commence à indemniser au septième jour, on constate que 58 % des personnes arrêtées ont un arrêt de moins de 45 jours mais que cela ne représente que 13 % des indemnités journalières que nous versons. En revanche, 20 % des assurés arrêtés sont arrêtés au-delà de 120 jours d’arrêts, mais cela représente 65 % des indemnités journalières versées. Les ordres de grandeur sont à peu près les mêmes au sein du régime général d’assurance maladie ou des AT-MP. C’est la règle des 80/20. La masse des arrêts est donc constituée d’arrêts courts, tandis que la masse des dépenses est faite d’arrêts longs. C’est ce qui justifie que nous orientions les contrôles d’arrêts de travail et notamment l’activité du service médical sur les arrêts longs, sans négliger néanmoins les arrêts courts.

Je vais à présent vous expliquer comment l’on passe de 10,5 millions de journées d’arrêt de travail prescrites et pour lesquelles il est demandé une liquidation des indemnités journalières à 7,5 millions de journées effectivement indemnisées par nos caisses.

Il y a, dans un premier temps, les contrôles effectués par nos systèmes informatiques. Ceux-ci vérifient les périodes d’ouverture des droits. Il faut, par exemple, avoir été affilié au moins un an au RSI. Il est également fait application de la règle qui limite la durée d’indemnisation à 360 jours sur une période de trois ans, pour les arrêts sans lien avec une affection ou des soins de longue durée. Ce premier contrôle élimine 460 000 journées de travail, soit une économie de 13,9 millions d’euros de dépense. Il y a ensuite une intervention systématique du service médical. Son activité de contrôle conduit à refuser 430 000 journées supplémentaires, ce qui correspond approximativement à 13 millions d’euros d’économies.

Il existe enfin, et c’est la part principale, d’autres contrôles, de type administratif. Ces contrôles vont faire disparaître 2,1 millions de journées, par application du délai de carence, soit 7 jours non indemnisés (sauf en cas d’hospitalisation où le délai est ramené à 3 jours), auxquels il faut ajouter, le cas échéant, 4 jours supplémentaires en cas de déclaration tardive. On vérifie par ailleurs que la personne est à jour de ses cotisations pour chaque prescription d’arrêt de travail. Ces contrôles sont effectués par nos caisses et par les organismes qui gèrent les prestations pour le compte du RSI. Notre régime connaît en effet un dispositif spécifique en ce qui concerne la maladie. Il est le seul, à ma connaissance, qui délègue la gestion du versement des prestations en nature et en espèces à des organismes conventionnés, mutuelles ou groupements d’assurance, pour le risque de base.

L’ensemble de ces contrôles amène à ce que nous ne prenions en charge que 7,5 millions de journées, pour une dépense qui est de 215 millions d’euros. Ce chiffre progresse entre 1 % et 2 % chaque année. Cette évolution s’explique là aussi surtout par un effet volume, dû essentiellement à l’arrivée des auto-entrepreneurs dans le régime.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Avez-vous beaucoup de retards de cotisations ? J’ai moi-même reçu dans ma permanence parlementaire beaucoup de dossiers concernant des retards dans le versement de l’allocation supplémentaire d’invalidité.

M. Stéphane Seiller. Sur ce sujet, nous avons rencontré deux types de difficultés. Tout d’abord, il est arrivé que, alors même que la personne avait bien payé ses cotisations, nous n’ayons pas d’état du compte à jour montrant que la personne avait droit à ses indemnités journalières.

En deuxième lieu, nous éprouvons encore des difficultés à rapatrier dans nos systèmes les données des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) démontrant qu’une personne a cotisé. Nous sommes contraints à une gestion quasi manuelle.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Combien d’agents sont-ils mobilisés pour ce faire ?

M. Stéphane Seiller. Je ne dispose pas du nombre exact mais il est de toute façon excessif. En principe, cette tâche devrait être effectuée de manière automatique par les organismes conventionnés mais, en pratique, nous sommes obligés de mobiliser des agents de nos caisses régionales, et plus précisément au moins 1 équivalent temps plein par caisse, pour aller vérifier, par un accès au système informatique des URSSAF, le SNV2, que la personne est bien à jour de ses cotisations.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Combien avez-vous de caisses exactement au total ?

M. Stéphane Seiller. Nous avons au total 30 caisses mais 2 d’entre elles sont dévolues aux professions libérales, lesquelles, je le rappelle, ne bénéficient pas des indemnités journalières.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Il y a donc un mauvais fonctionnement informatique.

M. Stéphane Seiller. Nous nous heurtons en effet à une désynchronisation des systèmes qui a été analysée par de nombreux rapports. Le dernier en date est celui de la Cour des comptes, annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Les contrôles que je viens d’évoquer sont des contrôles a priori qui vont déterminer si l’on verse ou non une indemnité journalière. Le contrôle a posteriori, quant à lui, se décompose en un volet administratif et un volet médical. Les contrôles administratifs ont notamment pour but de vérifier que la personne ne perçoit pas d’autres sources de revenus, ce qui ne la rendrait pas éligible aux indemnités journalières. Nous vérifions aussi que la personne en arrêt de travail n’est pas en train de travailler sur un chantier, dans son magasin ou dans son restaurant. Nous notifions à ce titre des indus non négligeables, auxquels s’ajoutent les sanctions administratives prévues par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, lesquelles ne sont pas non plus négligeables. Une proportion importante des gens que nous contrôlons est sanctionnée. Cela représente entre 10 et 15 % des contrôles que nous opérons. La courbe est croissante. Le montant des pénalités notifiées, en particulier, continue de croître.

Pour ce qui regarde les contrôles médicaux, je laisse la parole au docteur Pascal Perrot.

Dr Pascal Perrot, médecin conseil national. Les contrôles médicaux peuvent porter d’abord sur les arrêts de longue durée. Notre dispositif en la matière est en place depuis 2002. L’objectif est notamment la reprise du travail et la prévention de la désinsertion socio-professionnelle et, le cas échéant, l’orientation vers une prestation d’invalidité. Nous voyons les gens au bout de 120 jours, de 12 mois et de 24 mois.

En ce qui concerne les arrêts de courte durée, nous nous distinguons un peu du régime général. Nous avons contrôlé, en 2004 et 2005, les arrêts répétitifs ou de prescripteurs multiples. Sur la période 2006-2009, nous avons effectué un contrôle sur les arrêts de travail jusqu’à 45 jours des personnes âgées de 59 à 65 ans. Pour 2010-2011, nous avons vérifié les arrêts liés aux lombalgies communes, mais cela ne s’est pas révélé très concluant. En 2012, nous avons opté pour un contrôle à 30 jours des situations susceptibles de s’inscrire davantage dans un contexte social que médical. Nous nous sommes penchés sur les assurés radiés en maintien de droits, les auto-entrepreneurs et les bénéficiaires du cumul emploi-retraite. En ce qui concerne les auto-entrepreneurs, nous avons assez peu d’arrêts de travail à 30 jours, et ils sont plutôt justifiés.

Je signalerai par ailleurs une nouveauté survenue en 2012, consistant en l’intégration des référentiels de la Haute Autorité de santé relatifs aux durées indicatives d’arrêt. Ce sont des repères indicatifs qui ont également été déployés dans le régime général.

En termes de résultats, pour l’année 2011, plus de 12 % des assurés en arrêt de travail sont convoqués à la caisse régionale. Cela représente une part importante du travail des médecins conseils au quotidien. Sur ces 12 % qui sont convoqués, 54 % sont en arrêt de longue durée. Sur ces arrêts de longue durée, un avis défavorable est donné pour 15 % des assurés. Pour 8 % des assurés, l’arrêt de travail se termine normalement mais il n’est pas prolongé. 6 % des assurés sont basculés vers le dispositif d’invalidité.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quelle proportion les arrêts de travail représentent-ils par rapport aux personnes en activité ?

M. Stéphane Seiller. 1,7 million de personnes sont éligibles pour une population qui perçoit des indemnités d’environ 100 000 personnes par an. Cela représente 7,5 % en termes de personnes et 5,9 % en termes de dépense.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Il s’agit en tout cas d’une population qui évite le plus possible les arrêts de travail, sous peine de voir leur affaire ne plus tourner. Combien de contrôles effectuez-vous chaque année ?

M. Stéphane Seiller. Nous effectuons 14 000 contrôles par an pour une centaine de médecins conseils dont ce n’est pas au demeurant la seule activité.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quelles relations y a-t-il entre les médecins conseils du RSI et les médecins traitants ?

Dr Pascal Perrot. Leur activité n’est pas strictement superposable. La moitié de l’activité des médecins conseils est réservée à ce qu’on appelle les avis individuels. Cela étant dit, il y a beaucoup d’échanges avec les médecins traitants concernant les arrêts de travail. Tel est en tout cas le sens des remontées qui me parviennent du réseau. Il y a également beaucoup d’échanges concernant les protocoles de soins. Globalement, il y a très peu de contestations.

M. Stéphane Seiller. Je précise que le docteur Perrot n’a rejoint le RSI qu’il y a un an environ. Il était auparavant médecin conseil régional au sein du régime général.

Il me semble que nous avons largement détaillé ce risque. Je souhaite maintenant en venir à certains points qui mériteraient, selon nous, des évolutions.

Tout d’abord, je rappelle que des personnes peuvent, alors qu’elles ne cotisent pas, bénéficier d’une indemnité journalière minimale d’un montant d’environ 20 euros. Il s’agit principalement des auto-entrepreneurs. Le Gouvernement précédent avait préparé, à la demande des élus du régime, la rédaction d’un décret pour traiter cette question. Ce texte n’a toutefois pas pu être signé avant le changement de majorité. Ce projet de décret est aujourd’hui en suspens. Le ministère, que nous avons contacté, nous a indiqué que ce projet serait pris en compte à l’issue des travaux de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales sur le statut d’auto-entrepreneur.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Quel était le contenu de ce projet de décret ?

M. Stéphane Seiller. Il avait pour objet de rendre proportionnelle l’indemnité journalière aux revenus sur lesquels la personne a cotisé.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Dans cette hypothèse, si l’on ne gagne rien, on ne bénéficie pas d’indemnités journalières.

Mme Stéphanie Deschaume. Le système envisagé par le décret est fondé sur une notion de proportionnalité en fonction du revenu ainsi que sur une assiette de cotisations. Les travailleurs indépendants classiques cotisent à un niveau minimal correspondant à une indemnité journalière de 19 euros. L’auto-entrepreneur cotise, quant à lui, sur son chiffre d’affaires. Si le chiffre d’affaires est égal à zéro, il n’y a ni cotisations ni, par conséquent, de versement d’indemnités journalières.

M. Stéphane Seiller. Tel était en tout cas le sens du projet soumis à l’avis du conseil d’administration de la caisse nationale avant l’été.

Par ailleurs, dans le prolongement d’une saisine de la Commission européenne répercutée par l’État, nous avons réfléchi aux moyens de permettre aux conjoints collaborateurs, qui sont essentiellement des femmes, de bénéficier des indemnités journalières, sous réserve bien entendu de cotiser. Cette prestation n’est aujourd’hui pas ouverte au RSI. Sont ici en jeu les principes de parité entre hommes et femmes et d’égalité de traitement. Les administrateurs ont proposé à nos deux instances, celle des commerçants et celle des artisans, un système financé permettant au conjoint collaborateur, sur la base d’une cotisation minimale d’une centaine d’euros par an, de percevoir une indemnité journalière minimale d’une vingtaine d’euros. Pour les indemnités journalières maladie, nous proposons d’aller vers un système simple. Nous pensons que nous ne prenons pas de risque particulier à ouvrir ce droit. Sa mise en œuvre effective nécessite la publication d’un décret.

Nous avons également l’intention de développer ce qui a été mis en place au sein du régime général dans un premier temps par la branche accidents du travail, puis par la branche maladie, c’est-à-dire des actions pour remédier au problème tenant à la spirale négative dans laquelle certaines personnes en arrêt de travail peuvent entrer. Ces personnes, notamment lorsqu’elles sont en arrêt de longue durée, peuvent pâtir de l’éloignement du travail et de la solitude. Plus leur arrêt de travail se prolonge, plus leur situation psychologique se détériore, et plus ensuite la reprise du travail est incertaine et difficile. En l’état actuel de la réglementation, la personne doit rester chez elle, en convalescence et n’a pas le droit d’exercer une autre activité. Cette obligation fait même l’objet de contrôles. Or, on peut penser que, dans un certain nombre de cas, il serait dans l’intérêt de la personne de se remettre progressivement dans une perspective de retour au travail.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Il y a quand même le principe du mi-temps thérapeutique qui existe déjà.

M. Stéphane Seiller. Dans le cas que vous évoquez, l’arrêt est terminé et il s’agit d’une modalité de reprise du travail. Je vise quant à moi une personne qui ne peut pas physiquement reprendre son travail. Certaines personnes subissent des accidents lourds et ne peuvent parfois plus exercer le même travail qu’auparavant. Ce que nous souhaitons, c’est que la personne soit accompagnée, qu’elle puisse sortir de chez elle afin, par exemple, d’effectuer un stage en entreprise. La législation applicable au régime général a d’ailleurs évolué sur ce point, en 2010 et en 2011, puisqu’elle permet désormais l’accomplissement d’actions de remobilisation pendant le temps de l’arrêt de travail. En revanche, dans le RSI, dans le cadre du décret en vigueur, l’exercice de toute autre activité demeure pour l’instant interdit. Nous allons proposer une évolution des règles comparable à celle qu’a connue le régime général.

Enfin, mon dernier point concerne une règle particulièrement contraignante et stricte que nous devons appliquer. Cette règle exige que, pour pouvoir bénéficier d’une prestation, la personne soit à jour de ses cotisations au moment de l’arrêt de travail. Cette exigence devrait, à notre sens, être assouplie. On pourrait, à titre d’exemple, s’assurer seulement au début de l’arrêt de travail que la personne est à jour de ses cotisations, mais non à chaque renouvellement. Cela étant dit, il faudra convaincre de l’opportunité de ce changement nos administrateurs, qui sont particulièrement soucieux de la bonne gestion de notre régime.

Mme Bérengère Poletti, présidente et rapporteure. Mon ultime question consistera à vous demander si vous avez observé des différences géographiques du point de vue des indemnités journalières. Y a-t-il des départements qui en consomment plus que d’autres ? Dans le régime général, c’est le cas.

M. Stéphane Seiller. C’est probable. Au sein du RSI, cela doit s’expliquer d’abord par la nature des activités exercées, même s’il peut aussi y avoir peut-être des différences plus socio-culturelles.

La séance est levée à vingt heures vingt.