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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 13 décembre 2012

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 06

Présidence de M. Jean-Marc Germain et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales, et M. Hervé Drouet, directeur

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » :

– Mme Michèle Laporte, directrice générale de Medicat-Partner, et M. Christophe Toulemonde, directeur de Securex Medical Services

– Dr Bernard Schmitt, directeur régional du service médical d’Île-de-France, et Dr Aïda Jolivet, médecin conseil chef de service responsable du pôle contrôle des prestations et relations avec les assurés, Dr François-Xavier Brouck, médecin conseil chef de service responsable de l’échelon local du service médical de Paris, et Dr Pascale Peyre-Costa, médecin conseil chef de service responsable de l’échelon local du service médical de l’Essonne

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 13 décembre 2012

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de MM. Jean-Marc Germain et Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales, et M. Hervé Drouet, directeur, sur le financement de la branche famille.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et M. Hervé Drouet, directeur, accompagnés de Mme Patricia Chantin, chargée des relations avec le Parlement.

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a remis fin octobre au Premier ministre une note dressant un état des lieux du financement de la protection sociale en France. Sa présidente, Mme Mireille Elbaum, que nous avons auditionnée la semaine dernière, nous a fait part du calendrier à venir : une première étape au mois de mai verra le recensement des prestations contributives et non contributives, et pour les premières l’analyse de leur caractère redistributif ; une deuxième étape en novembre apportera des projections cohérentes à moyen et long termes. La MECSS, pour sa part, devra présenter les moyens permettant d’assurer la stabilité du prélèvement afin de couvrir les besoins des familles, de rendre celui-ci non pénalisant pour la compétitivité de notre pays, et enfin de garantir sa cohérence avec la nature des prestations.

Nos auditions précédentes ont mis en évidence un déficit structurel de la branche famille, mais un excédent à l’horizon 2020, ainsi qu’une évolution du financement de cette dernière vers la fiscalité.

Enfin, la question de la gouvernance se heurte à celle relative à la compétitivité, les partenaires sociaux ayant réaffirmé à maintes reprises leur attachement aux prélèvements sur les revenus du travail.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le prolongement de son rapport d’étape, la Cour des comptes nous remettra un rapport définitif au mois d’avril. Si cette dernière note « un financement brouillé et fragilisé » de la branche famille, M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, prédit un retour à l’équilibre financier vers 2017-2018 et un excédent à l’horizon 2025.

Nous aimerions vous entendre sur la gouvernance, sur les systèmes informatiques, ainsi que sur les marges de manœuvre budgétaires au regard de la rationalisation indispensable de la dépense publique, sachant en particulier, comme l’a souligné M. Bertrand Fragonard, « qu’un enfant sur cinq vit dans une famille pauvre » dans notre pays aujourd’hui.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. La MECSS souhaite connaître la position de la CNAF sur le financement de la branche famille : ses évolutions récentes, ses éléments de fragilité, mais aussi la piste évoquée consistant à faire porter la politique familiale par le budget de l’État. Enfin, nous pourrions aborder l’épineuse question de la certification des comptes de la branche famille.

M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). La branche famille de la sécurité sociale trouve son origine dans le versement d’un sursalaire aux travailleurs ayant des charges de famille. Le but originel des prestations familiales est de garantir, aux couples avec des enfants à charge, un niveau de vie identique à celui des couples sans enfant.

Durant les quarante premières années de son existence, le budget de la branche famille était équilibré, voire excédentaire grâce à la revalorisation des recettes assises sur les salaires et l’indexation des prestations familiales sur les prix. Ces excédents ont permis de revaloriser des prestations, et même d’en créer de nouvelles – la dernière en date étant la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). Les dépenses pouvaient alors être supérieures aux recettes, car l’équilibre financier était rétabli à moyen terme. Au final, la branche famille affichait sur la durée un solde nul.

Dans la mesure où elle était excédentaire, la branche famille a contribué par la suite au financement d’autres branches de la sécurité sociale qui, elles, étaient déficitaires. C’est ainsi qu’elle a financé une succession de dépenses nouvelles et, en premier lieu, celles du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pour le financement de la majoration de pensions pour enfants, d’abord à hauteur de 50 %, puis de 70 %, et enfin à 100 % lorsqu’elle est revenue à l’équilibre. Ainsi, le déficit de 2,6 milliards d’euros de la branche famille correspond au montant qui était à la charge du FSV.

En définitive, si la branche famille n’avait pas connu une progression de ces transferts vers d’autres branches, elle serait encore à l’équilibre. Dans ce contexte, la question fondamentale est de savoir ce que doit financer la branche famille et quels sont ses objectifs. En effet, si elle fait des efforts pour être à l’équilibre, va-t-on lui demander des efforts supplémentaires ? Le financement de la majoration de pensions pour enfants se comprend, mais la branche devra-t-elle contribuer, par exemple, à l’assurance maladie des grands-parents ?

Actuellement, les deux tiers des ressources de la branche proviennent des cotisations assises sur les salaires, le taux de cotisation patronal étant de 5,4 %. Cette construction a un sens pour le conseil d’administration, même si les organisations patronales mettent en avant le poids que représentent les cotisations sociales pour les entreprises et donc sur la compétitivité. Après la tentative de TVA sociale, un autre dispositif devrait être créé. Mais lequel ?

La part d’impôt dans le financement de la branche famille se justifie par le caractère universel des allocations familiales. D’où la légitimité de l’apport de la contribution sociale généralisée (CSG). Toutefois, la branche a vu la part de CSG dont elle était bénéficiaire amputée au bénéfice de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). En compensation, la CNAF a bénéficié de nouvelles taxes. Au final, où est la lisibilité ? Si les pouvoirs publics assignaient des objectifs clairs à la branche famille, en évitant des changements incessants de financement, celle-ci pourrait construire un système pérenne et revenir à l’équilibre.

Aujourd’hui, la branche famille se caractérise par son universalité et son unicité, même si certaines entreprises telles que les industries électriques et gazières, la SNCF et la RATP, dont le taux de cotisation est inférieur au droit commun, continuent à gérer les prestations de leurs bénéficiaires. Cela dit, le taux de cotisation des premières passera de 5,2 % à 5,4 % au 1er janvier 2013.

Un des objectifs de la branche famille est de favoriser une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Pour autant, les foyers dont les revenus sont très élevés ont-ils réellement besoin de 120 euros tous les mois au titre des allocations familiales ? La branche famille doit-elle privilégier les familles pauvres, sachant qu’il existe des prestations sous condition de ressources ? Au sein du conseil d’administration de la CNAF, certaines organisations syndicales de salariés prônent une action sociale concentrant les aides sur les familles les plus vulnérables, d’autres préconisent de conserver le caractère universel de la branche. Ces questions méritent d’être posées au regard de la fixation des orientations et du financement de la branche famille.

Pour notre part, nous souhaitions la création d’un conseil d’orientation des politiques familiales, qui aurait permis avec l’ensemble des acteurs – parlementaires, associations familiales, etc. – de définir les orientations de la politique familiale. Finalement, c’est un Haut Conseil de la famille qui a été installé, dont l’action est davantage axée sur la dimension financière.

Dans ce contexte, le conseil d’administration de la CNAF prend acte des évolutions. Certes, nous avons accueilli favorablement la revalorisation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire (ARS), car cette dépense de 386 millions d’euros est destinée à améliorer la situation des familles. Néanmoins, son versement à l’ensemble des familles concernées est-il la bonne solution ? Ne conviendrait-il pas d’adapter les sommes versées au coût réel de la scolarité, qui diffère entre un jeune scolarisé dans un lycée professionnel par rapport à un élève de primaire qui va à l’école de son quartier et pour lequel les parents ont moins de frais en termes de déplacements, de restauration scolaire et d’hébergement ? En la matière, nous souhaiterions être associés aux orientations qui sont prises plutôt qu’être mis devant le fait accompli.

La compétitivité des entreprises sera améliorée, nous dit-on, si les cotisations assises sur les salaires, qui représentent 66 % des recettes de la branche famille, sont supprimées. N’oublions pas néanmoins que les petites entreprises bénéficient d’ores et déjà d’une exonération, compensée par l’État. Aussi la suppression du principe des cotisations, et donc la suppression des compensations d’exonérations par l’État, aura-t-elle pour conséquence de faire supporter par les familles – probablement par la CSG ou d’autres taxes – ce que les entreprises ne payent plus. Pour la CNAF, le fait que les entreprises soient parties prenantes dans le financement de la branche famille à tout son sens. En effet, au travers des prestations financières et des aides à la parentalité, en particulier en matière d’accueil des jeunes enfants, la politique familiale permet aux salariés de concilier vie professionnelle et vie familiale.

Enfin, dans son rapport d’étape de novembre 2012, la Cour des comptes parle d’un « financement brouillé » de la branche famille. Pour ma part, je dirai qu’il est plutôt obscur au vu des éléments que je viens de souligner.

M. Hervé Drouet, directeur de la CNAF. Dans son rapport, la Cour des comptes souligne une fragilisation des équilibres financiers de la branche en raison, d’une part, du brouillage de sa structure de financement et, d’autre part, de l’accélération du rythme de progression des charges. Notre analyse n’est pas tout à fait celle-là. Selon M. Bertrand Fragonard lui-même, président du Haut Conseil de la famille, le mécanisme d’équilibre joue à long terme dès lors que la dynamique des dépenses est liée aux évolutions démographiques, même si les aides sont concentrées sur les enfants de moins trois ans. En effet, les recettes étant indexées sur la richesse nationale et les prestations sur l’inflation, le différentiel entre le rythme naturel de progression des charges et le rythme naturel de progression des dépenses permet à la branche famille de rester structurellement excédentaire à dépenses constantes. En réalité, ce qui pèse sur le solde de la branche aujourd’hui, c’est l’affaissement des recettes dû à la crise économique, mais surtout l’affectation de dépenses nouvelles en vertu des choix des pouvoirs publics, qui ne correspondent pas forcément aux priorités qu’aurait souhaitées le conseil d’administration de la CNAF pour la branche.

Depuis l’origine, la politique familiale de notre pays est caractérisée par une grande continuité. Selon nous, elle doit s’appuyer sur un financement stable pour pouvoir s’inscrire dans la durée et jouer sur la structuration des comportements – le choix d’avoir un enfant est un choix structurant dans un modèle de vie.

Une des caractéristiques de la sécurité sociale est de bénéficier de recettes affectées : historiquement les cotisations, auxquelles s’est ajoutée en 1991 pour la branche famille la CSG, ressource très dynamique assise majoritairement sur les revenus d’activité. Or cette force de notre modèle de financement est mise à mal par le développement d’une fiscalisation forte mais fragmentée de la branche au travers d’une multiplication de recettes d’appoint peu lisibles et, surtout, dépendantes d’assiettes assez fragiles, dont certaines ont même vocation à disparaître. Il en résulte qu’il faut se reposer chaque année la question de la réaffectation de nouvelles recettes. Cette situation est préoccupante au regard de la stabilité nécessaire au financement de la branche famille.

C’est la raison pour laquelle la pertinence de l’éternel débat sur le financement de la politique familiale par le budget de l’État m’échappe. En effet, si l’on considère que cette politique doit être conduite dans la durée et bénéficier de financements pérennes et suffisamment dynamiques, son financement par dotations budgétaires impliquerait chaque année un débat et un vote en loi de finances sur le montant des ressources de la branche famille, ce qui conduirait à les fragiliser. Pour la CNAF, comme pour la direction de la sécurité sociale (DSS), qui partage notre analyse, l’affectation de recettes est plus sécurisante pour le financement de la politique familiale, mais également plus responsabilisante pour les opérateurs en termes de pilotage.

M. le coprésident Pierre Morange. La Cour des comptes ayant évoqué les systèmes d’information de la sécurité sociale dans son rapport de septembre 2012, pouvez-vous nous parlez du vôtre ?

M. Hervé Drouet. Les règles d’indexation, le ciblage et l’éligibilité des dépenses relèvent de décisions politiques. Il incombe ensuite aux caisses d’allocations familiales (CAF) d’appliquer au mieux la réglementation au titre de l’accès aux droits, tout en s’attachant à maîtriser les risques financiers attachés à la gestion de masses financières considérables, qui s’élèvent à 76 milliards d’euros.

M. le coprésident Pierre Morange. Votre qualité de gestionnaire ne vous interdit pas, certes, de mener des réflexions stratégiques. Néanmoins, dans une logique de rationalisation et d’optimisation de la dépense publique, quels moyens pourraient constituer des marges de manœuvre supplémentaires dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) ?

Au regard de l’extrême complexité de notre système de protection sociale, la Cour des comptes a souligné la nécessité pour la branche famille d’améliorer les systèmes d’information par la dématérialisation des processus, afin d’assurer un versement des prestations à la hauteur définie par la Représentation nationale. Pourriez-vous nous parler du système d’information dénommé « mainframe », qui date des années quatre-vingt. Quel en est le coût annuel pour la branche famille ?

M. Hervé Drouet. Il faut distinguer plusieurs sujets : le traitement des prestations par les agents liquidateurs, les démarches des usagers en lien avec les autres services publics et l’obtention d’informations de la branche famille par nos partenaires.

Le rapport de la Cour des comptes constate que la branche famille dispose d’un système d’information qui répond aux finalités qui lui sont assignées et qui a su évoluer dans des délais rapides pour ce qui concerne des prestations récentes. Ainsi, le revenu de solidarité active (RSA) a été mis en place dans des délais record : la loi a été votée en décembre 2008 et les premiers paiements sont intervenus le 5 juillet 2009. Je pense que très peu de grandes organisations sont capables de déployer un projet informatique de cette ampleur.

La départementalisation du réseau des CAF a été parfaitement maîtrisée, alors que tous les domaines applicatifs ont été fusionnés – bases allocataires, bases comptables, bases logistiques.

Nous développons des fonctionnalités sur internet, en particulier avec « caf.fr », ce qui nous a amenés à réécrire les deux tiers de notre applicatif principal de traitement des prestations, dénommé « Cristal ». Ainsi, notre applicatif unique nous permet de traiter l’ensemble des prestations, mais il est extrêmement lourd dans la mesure où il incorpore 17 000 règles de gestion pour 19 prestations, la plupart sous condition de ressources, à destination de 11 millions d’allocataires et 30 millions d’ayants droit. D’ailleurs, en dépit de leur lourdeur au regard du nombre d’allocataires et de la complexité des prestations gérées, la performance des systèmes d’information de la sécurité sociale est indéniable dans la mesure où aucun incident majeur ne les a affectés jusqu’à présent.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est le coût annuel du système d’information pour la branche famille ?

M. Hervé Drouet. Compte tenu de notre charge de travail, en très forte croissance du fait de la fragilisation des allocataires par la crise économique, nous avons besoin d’un système productif permettant aux techniciens conseils d’exécuter les tâches le plus rapidement possible et avec le maximum de fiabilité au regard de la maîtrise des risques financiers.

Pour être productif aujourd’hui, il faut être capable de dématérialiser le traitement à la source, c’est-à-dire de récupérer directement une donnée certifiée auprès de nos partenaires – comme nous le faisons avec la direction générale des finances publiques (DGFIP) pour les ressources et avec IDEAL (intégration des demandes d’aides au logement), instrument de demande d’aide au logement en ligne mis à la disposition des gros bailleurs –, mais aussi d’offrir des téléprocédures aux allocataires, ce que nous faisons avec le site « caf.fr ».

Conformément aux règles de droit, nous avons besoin d’informations de nature différente pour calculer une prestation. Or nous ne pouvons jamais collecter des informations exhaustives auprès d’un tiers professionnel, comme l’assurance maladie peut le faire avec SESAM-Vitale. Nous devons toujours les collecter directement auprès de l’allocataire. Or ces informations ne sont pas toujours dématérialisables – le papier ou le contact physique est encore nécessaire – et, surtout, elles peuvent donner lieu à des corrections. Ce problème de maîtrise des risques est propre à la branche famille.

Enfin, la gestion de l’ensemble des organismes de sécurité sociale et des différentes parties prenantes doit également être optimisée. C’est toute la problématique du répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) et des plateformes d’échanges que nous avons montées avec les départements pour le RSA.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous nous confirmez que la CNAF est désormais interconnectée avec les départements pour le RSA ?

M. Hervé Drouet. Oui.

M. le coprésident Pierre Morange. Et pour l’ensemble des prestations sociales des différentes collectivités territoriales ?

M. Hervé Drouet. Non.

Le fichier commun des organismes de protection sociale nous permet, à partir des identités certifiées, de vérifier les prestations touchées par chaque allocataire et ensuite, dans une logique de portail, de consulter le système du gestionnaire pour obtenir les données relatives au compte de l’allocataire.

De plus, nous avons mis en place avec les départements une plateforme d’échanges relative aux données de gestion du RSA : ceux-ci se connectent sur un extranet et récupèrent toutes les informations nécessaires à leur propre gestion.

Enfin, notre dispositif CAFPRO permet à des professionnels extérieurs de se connecter sur notre système pour faire des requêtes individuelles. Cette habilitation est ouverte à tout professionnel de collectivité. Par contre, les croisements de fichiers des collectivités locales ne sont pour l’instant pas possibles.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS ne nie pas la complexité du système de la CNAF, qui a su faire preuve d’une capacité d’adaptation remarquable s’agissant du RSA. Ce qu’elle veut connaître, c’est le coût du système actuel. En outre, des réflexions sont-elles menées sur les systèmes alternatifs, dits « systèmes ouverts », jugés par certains moins onéreux ?

M. Hervé Drouet. Dans son dernier rapport, la Cour des comptes a critiqué l’organisation territoriale de nos systèmes d’information. Ces critiques sont déjà prises en compte au travers de projets visant à regrouper les centres de production sur les différents domaines applicatifs. Cette gestion des personnels nous permet de déployer des techniciens attachés à la production vers des fonctions de conception, de développement et d’accompagnement de projet. Ce travail de concentration de nos filières de production devra être soutenu dans le cadre de la prochaine convention d’objectifs et de gestion.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Monsieur le directeur, vous n’avez toujours pas répondu à la question du coût !

M. Hervé Drouet. La branche famille utilise la technologie mainframe, avec deux filières centrales pour deux opérateurs, Bull et IBM. Ce choix remonte à la mise en place du dispositif Cristal, c’est-à-dire à la fin des années quatre-vingt-dix. Auparavant, les systèmes d’information étaient régionaux. Cette nationalisation de l’informatique sur la base de la technologie mainframe a été réalisée dans les autres univers publics. Nous avons lancé une réflexion pour évoluer vers l’open source afin d’optimiser la production.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel est le coût de mainframe pour la branche famille ?

M. Hervé Drouet. Je vous communiquerai ultérieurement le plan d’équipement informatique…

M. le coprésident Pierre Morange. Une trentaine de millions d’euros, comme je l’ai entendu dire ?

M. Hervé Drouet. C’est à peu près cela.

M. le coprésident Pierre Morange. Pour les systèmes ouverts, le montant serait-il du même ordre ou bien moindre ?

M. Hervé Drouet. Les systèmes ouverts sont beaucoup moins coûteux puisque ce ne sont pas des systèmes propriétaires. Les expertises devront en affiner le montant au regard de la problématique du basculement d’un système vers un autre.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce montant sera-t-il deux fois moindre, six fois moindre… ?

M. Hervé Drouet. Cela dépendra des options retenues. L’expertise n’est pas achevée.

M. le coprésident Pierre Morange. Lancerez-vous une procédure de dialogue compétitif ?

M. Hervé Drouet. Oui.

M. le coprésident Pierre Morange. Et pourquoi un dialogue compétitif plutôt qu’un appel d’offres ?

M. Hervé Drouet. La décision n’est pas encore prise. Ces sujets seront traités dans le cadre de la prochaine COG. Nous expertisons actuellement les différentes options possibles pour lancer ensuite un appel au marché dans les meilleures conditions.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans quels délais ?

M. Hervé Drouet. D’ici à la prochaine COG, qui devrait être finalisée au premier trimestre de l’année prochaine.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS souhaiterait que vous lui communiquiez par écrit le coût du système d’information de la CNAF.

M. le rapporteur. La budgétisation des recettes de la branche famille risquerait, selon vous, de fragiliser ces dernières. Pensez-vous que ce serait le cas pour les allocations logement et le RSA ?

M. Jean-Louis Deroussen. Le RSA est cofinancé par les départements et l’État et versé par les CAF. Ces dernières sont-elles de simples guichets ou peuvent-elles se voir confier le soin d’accompagner le versement ? La question se pose.

M. le rapporteur. Je peux le comprendre pour les prestations sous condition de ressources, mais plus difficilement pour les allocations familiales.

M. Jean-Louis Deroussen. Je pense à tous les services complémentaires liés au versement des prestations, sachant que la famille doit être envisagée dans sa globalité. En effet, il n’est pas nécessaire d’être pauvre pour être en situation de rupture familiale ou pour avoir besoin d’un service d’accueil du jeune enfant. Le versement d’un minimum social ou d’une prestation familiale devrait être accompagné d’une offre de services. Cette dimension de l’accompagnement va au-delà du simple versement financier.

Mme Isabelle Le Callennec. Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que les priorités des pouvoirs publics ne sont pas forcément celles que vous auriez retenues. Quelles seraient vos priorités ?

De plus en plus de prestations sont accordées sous condition de ressources. S’agit-il d’une tendance lourde due aux effets de la crise et à l’augmentation de la pauvreté ? Peut-on imaginer que toutes les prestations seront, à terme, versées sous condition de ressources ?

M. Jean-Louis Deroussen. Le conseil d’administration de la CNAF dans son ensemble est très attaché au caractère universel des allocations familiales.

Par contre, nous aurions souhaité débattre dans le cadre d’une réflexion approfondie sur l’allocation de rentrée scolaire, afin que les besoins soient mieux ciblés en fonction de la situation des familles et du type de scolarité.

De la même manière, il ne serait pas inintéressant de réfléchir à une meilleure solvabilisation en matière d’allocations logement, sachant que le coût pour se loger diffère considérablement entre Paris et la province, et d’aides au logement pour les étudiants, qui sont versées quelles que soient les ressources des parents.

Bref, profitons de la connaissance du terrain acquise par les administrateurs des CAF pour rendre plus efficiente la fourniture de nos prestations.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Messieurs, je vous remercie.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Michèle Laporte, directrice générale de Medicat-Partner, et de M. Christophe Toulemonde, directeur de Securex Medical Services, sur les arrêts de travail et les indemnités journalières.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous souhaite, madame, monsieur, la bienvenue.

La MECSS a décidé d’évaluer le dispositif des indemnités journalières versées en cas de maladie et d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Selon la communication de la Cour des comptes, la dépense réalisée à ce titre par le régime général et les régimes spéciaux a augmenté de 47 % entre 2000 et 2010 et s’élève aujourd’hui à près de 10 milliards d’euros. Le système – cadre réglementaire, calcul des montants – est caractérisé, en outre, par sa complexité. Enfin, de fortes disparités ont été constatées : d’une part, environ 20 % de la population concernée ne serait pas couverte par une couverture complémentaire, voire par l’assurance maladie ; d’autre part, le recours au dispositif varie considérablement d’un territoire à l’autre et en fonction du statut des salariés, certains écarts à la moyenne paraissant difficiles à expliquer.

Nous avons souhaité vous auditionner à l’initiative de Mme la rapporteure. Comment évaluez-vous la prestation que vous fournissez aux entreprises et le bénéfice qu’elles en retirent ? Vos contrôles ont-ils un rôle pédagogique ? Quelles en sont les conséquences ?

Par ailleurs, avez-vous une idée des sommes en jeu ? Au cours des auditions que nous avons menées, nous avons été surpris que les employeurs – qui vous mandatent – peinent à préciser les montants qu’ils consacrent aux indemnités journalières complémentaires.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, nous avons dû identifier des économies ou des ressources nouvelles. Le Gouvernement a alors proposé d’instituer un jour de carence dans la fonction publique. Il avait également envisagé de porter de trois à quatre jours le délai de carence dans le secteur privé. On se souvient des vives polémiques que ces idées ont suscitées. La MECSS a alors demandé à la Cour des comptes un rapport d’évaluation du dispositif des indemnités journalières : il en ressort que celui-ci est mal connu et mal maîtrisé, alors même qu’il s’agit d’une dépense dynamique. Au fil des auditions, nous avons été surpris de constater que les employeurs, pourtant conscients du problème, ne cherchent pas à mieux connaître la situation et paraissent se reposer sur vous ou sur la sécurité sociale.

Pouvez-vous nous présenter votre activité et nous faire part de vos difficultés et de vos propositions ?

Mme Michèle Laporte, directrice générale de Medicat-Partner. Un employeur tenu de payer des indemnités journalières complémentaires est en droit, au même titre que la sécurité sociale, de vérifier qu’un arrêt de travail est justifié.

Le contrôle médical s’est développé dans les années 1960 sur la base des conventions collectives conclues dans le secteur automobile, puis s’est généralisé progressivement après l’adoption de la loi relative à la mensualisation du 19 janvier 1978. Nos sociétés, Securex et Medicat-Partner, effectuent aujourd’hui, à elles deux, environ 50 000 des 70 000 contrôles réalisés chaque année en France.

Il est établi que le contrôle médical est efficace, même s’il doit être accompagné d’autres outils de gestion des ressources humaines. Nous sommes capables d’organiser des contre-visites médicales avec souplesse et rapidité.

Les fraudes concernent essentiellement les arrêts de travail de courte durée. Or le contrôle de la sécurité sociale porte, en grande majorité, sur les arrêts de travail dont la durée excède 45 jours. C’est absurde ! Autant dire que ce contrôle n’existe pas.

Mme la rapporteure. Les responsables de la sécurité sociale que nous avons auditionnés précisent qu’ils se concentrent sur la part la plus importante de la dépense.

Mme Michèle Laporte. Ce raisonnement de nature financière est compréhensible. Mais il s’agit alors non pas de contrôle médical, mais de contrôles d’ordre administratif. La sécurité sociale réalise très peu de contre-visites médicales réellement efficaces.

En outre, sous la pression de la sécurité sociale, les médecins prescrivent désormais des arrêts non plus de 5, mais de 3 jours ouvrables, ce qui correspond au délai de carence dans le secteur privé. Dès lors, ces arrêts de travail ne coûtent plus rien à la sécurité sociale, mais demeurent entièrement à la charge des employeurs.

Mme la rapporteure. Il convient de distinguer la fraude et les comportements abusifs. Dans le cas des abus, l’arrêt de travail prescrit par le médecin est justifié. En outre, les abus coûtent plus cher à la collectivité que la fraude.

Mme Michèle Laporte. Je comprends la distinction, mais cela ne fait guère de différence à nos yeux : une absence prolongée qui n’est plus justifiée par une pathologie constitue également une fraude, même si l’arrêt de travail initial était légitime.

À l’issue des contre-visites médicales réalisées par nos médecins contrôleurs, il apparaît que seuls 53 % des arrêts maladies sont justifiés et que 47 % des salariés contrôlés – soit près de un sur deux, ce qui est considérable – sont en situation de fraude, pour diverses raisons : arrêt de travail non justifié ; refus du contrôle ; absence du salarié aux heures de présence obligatoire au domicile ; adresse introuvable. Dans ces trois derniers cas, l’examen médical ne peut avoir lieu. Je précise que 6 % des salariés contrôlés cachent leur véritable adresse ; ce sont d’ailleurs souvent des « professionnels », qui fraudent également pour obtenir d’autres prestations sociales.

Quant aux médecins, plusieurs d’entre eux se sont fait une spécialité de prescrire des arrêts de travail, ce qui peut être une manière de tirer leur épingle du jeu dans les zones urbaines où la concurrence est importante. C’est une réalité bien connue, que la Cour des comptes dénonce également : certains médecins prescrivent dix fois plus d’arrêts de travail que les autres.

Mme la rapporteure. Comment s’organisent vos relations de travail avec les entreprises, d’une part, et avec les médecins conseils de la sécurité sociale, d’autre part ? Comment réagissent les entreprises lorsqu’elles reçoivent les résultats de vos contre-visites ?

Mme Michèle Laporte. Nos relations avec les employeurs sont simples et transparentes. Lorsqu’ils nous sollicitent pour contrôler un salarié, ils nous fournissent les informations qui figurent sur la feuille d’arrêt maladie du salarié : son adresse de visite, le début de l’arrêt, les éventuelles prolongations, le nom du médecin traitant.

Le médecin contrôleur ne peut en aucun cas être celui qui a prescrit l’arrêt de travail, ni connaître le salarié à quelque titre que ce soit. Il s’agit la plupart du temps d’un généraliste, plus rarement d’un spécialiste, avec lequel nous avons signé une convention, dans laquelle il s’engage à suivre le protocole que nous lui imposons. Les médecins contrôleurs demeurent totalement indépendants : ils sont libres de refuser une mission ; nous ne leur versons pas de salaire. Ils se rémunèrent par des honoraires – de deux à trois fois le prix d’une consultation normale – et des frais de déplacement.

M. Christophe Toulemonde, directeur de Securex Medical Services. Il y a un tarif de référence, mais les honoraires peuvent varier : les médecins contrôleurs ont un certain pouvoir de négociation, notamment dans les déserts médicaux ou pendant les périodes où beaucoup de leurs confrères sont absents, comme au mois d’août.

Je précise que l’indépendance des médecins contrôleurs est la condition sine qua non de notre activité de contrôle médical.

Mme Isabelle Le Callennec. Ces médecins contrôlent donc des prescriptions faites par leurs collègues. Sont-ils nombreux à accepter d’accomplir ce travail à l’échelle d’une région donnée ?

Mme Michèle Laporte. Le principe est simple : lorsque nous réalisons des contrôles, quelques jours après la prescription d’un arrêt de travail, nous nous prononçons sur la situation médicale du salarié au jour du contrôle. Il n’est jamais établi qu’un arrêt de travail n’était pas justifié : il est vérifié s’il l’est encore.

Mme Isabelle Le Callennec. Les médecins éprouvent des difficultés croissantes à se rendre au domicile des malades. Le contrôle ne tend-il pas à devenir un métier à part ? Les prescriptions des médecins qui exercent cette activité ne peuvent-elles pas être elles-mêmes contrôlées ? Comment les conseils départementaux de l’Ordre des médecins réagissent-ils ?

Mme Michèle Laporte. Les conseils de l’Ordre tendent à défendre les médecins, même si tous ne réagissent pas de la même manière : certains acceptent le principe des contre-visites médicales ; d’autres y sont totalement opposés et vont jusqu’à diffuser de fausses informations auprès du corps médical. Ils prétendent ainsi que les médecins contrôleurs ne seraient pas autorisés à juger de la durée d’un arrêt de travail, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation l’a validé. En 30 ans, le décret d’application sur la contre-visite médicale de la loi du 19 janvier 1978 n’a jamais été publié, mais la jurisprudence de la Cour de cassation a pallié ce manque.

Quant aux médecins auxquels nous faisons appel, certains apprécient l’activité de contrôle parce qu’elle apporte un changement à leur travail quotidien en cabinet ; d’autres parce qu’ils estiment qu’elle permet plus de justice. Cependant, dans les zones rurales où les médecins se font rares, il nous est très difficile de trouver des contrôleurs. Ce sont, à mon sens, des zones de non-droit.

M. Christophe Toulemonde. Il est très facile, en France, d’obtenir un arrêt de travail. De nombreux médecins sont parfaitement au fait des pratiques de « gestion de clientèle » : ils ont conscience que, s’ils ne délivrent pas l’arrêt de travail que leur réclame un patient, celui-ci finira par l’obtenir d’un confrère. Certains médecins contrôleurs souhaitent combattre un système dont ils se sentent prisonniers ; d’autres s’achètent peut-être une conduite…

Mme Michèle Laporte. Pour un salarié qui souhaite obtenir un arrêt de travail, il est facile de s’adresser à un second médecin, d’autant que la consultation est remboursée par la sécurité sociale. Quant au dispositif des médecins référents, il n’est pas pertinent, de ce point de vue.

Pour en revenir aux relations avec nos clients, nous réalisons le contrôle dans le respect de la légalité et de la déontologie médicale et leur en adressons le résultat, dès que nous l’avons reçu du médecin contrôleur : soit l’arrêt de travail est médicalement justifié – constat qui peut être assorti d’une recommandation de reprise anticipée –, soit il ne l’est pas, soit le salarié était absent, ce qui représente plus de 30 % des cas. Ces absences dissimulent bien souvent du travail illégal, contre lequel nous sommes impuissants.

Mme la rapporteure. Quand une entreprise apprend que vous n’avez pas pu réaliser un examen médical, elle est en droit de suspendre le versement des indemnités journalières complémentaires. Combien le font ?

Mme Michèle Laporte. À mon avis, la quasi-totalité. Dans les années 1990, elles hésitaient encore et utilisaient plutôt le contrôle médical comme une mise en garde. Aujourd’hui, dès lors qu’un salarié s’est soustrait implicitement à un contrôle, elles n’ont plus guère d’état d’âme.

Souvent, les employeurs procèdent à des contrôles ciblés à la demande des collègues du salarié arrêté, parce qu’ils doivent suppléer à son absence et connaissent éventuellement la véritable raison de son arrêt. Il ressortait d’une enquête menée par la société Securex que plus des trois quarts des salariés souhaitaient que leur employeur renforce les contrôles sur les arrêts de travail dans leur entreprise.

M. Christophe Toulemonde. Je confirme ces chiffres, que nous avions publiés. Avant de porter atteinte aux intérêts de l’employeur ou de l’actionnaire, l’absentéisme nuit aux collaborateurs de l’entreprise eux-mêmes. Les salariés en arrêt de travail pour de courtes durées sont rarement remplacés. Dès lors, la charge de travail se reporte sur leurs collègues, ce qui augmente les risques d’accident du travail.

De manière schématique, on peut estimer que 5 % des salariés sont des « professionnels » qui connaissent bien le dispositif et se font arrêter pour des pathologies dont la réalité est difficile à établir – troubles musculo-squelettiques, dépression. Environ 15 % de salariés influençables recourent à des arrêts de travail abusifs dès lors que d’autres collègues en bénéficient sans être sanctionnés ni par l’employeur ni par la sécurité sociale. Ces derniers y recourent plutôt pour des motifs personnels et ponctuels – garde d’enfant par exemple – que pour travailler illégalement.

Cependant, la grande majorité des salariés travaillent consciencieusement et sont les victimes de l’absentéisme. Cela nous motive dans notre travail quotidien et justifie le recours de plus en plus fréquent des employeurs à nos services. Un employeur qui pratique des contrôles fait un geste fort à l’attention de ses collaborateurs. Si la sécurité sociale réalisait, de son côté, de véritables contrôles, elle agirait dans l’intérêt des salariés.

Mme la rapporteure. Quelle est la situation dans la fonction publique ?

Mme Michèle Laporte. Au préalable, je signale que, en Alsace, une législation ancienne empêche les entreprises de suspendre le paiement des indemnités journalières complémentaires en cas de fraude. Il est scandaleux que l’Alsace constitue ainsi une enclave juridique. Cela crée des difficultés en particulier aux entreprises qui disposent d’implantations à la fois en Alsace et dans d’autres régions de France.

Les contrôles dans la fonction publique représentent environ un quart de notre activité. Nous avons parmi nos clients plusieurs ministères, des agences de Pôle emploi, des URSSAF, des collectivités territoriales, mais aussi des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Par ailleurs, les CPAM nous adressent les employeurs qui les sollicitent pour des contrôles, ce qui prouve bien qu’elles n’en réalisent guère elles-mêmes.

Le taux d’absentéisme, qui est calculé à partir du nombre de jours d’absence par rapport au nombre de jours travaillés, s’élève à un peu plus de 5,5 % dans le secteur privé, à plus de 10 % dans la fonction publique d’État et à près de 14 % dans les collectivités territoriales.

M. Christophe Toulemonde. La durée moyenne d’absence pour des raisons de santé s’établit à 9 jours par an et par salarié dans le secteur privé, contre 22,6 jours dans la fonction publique d’État et 24,1 jours dans la fonction publique hospitalière.

Mme la rapporteure. Lorsque vous communiquez vos résultats aux employeurs publics, les conséquences sur le traitement des agents sont-elles les mêmes que dans le secteur privé ?

Mme Michèle Laporte. La législation est très contraignante dans la fonction publique. Nous devons obligatoirement avoir recours à des médecins dits « agréés » qui n’ont d’autre obligation que celles d’avoir prêté serment depuis au moins 3 ans et de résider dans la ville concernée depuis au moins 1 an : ils obtiennent l’agrément de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales sur simple demande. Ces médecins avaient pris certaines habitudes : ils convoquaient le salarié par courrier – ce qui faisait perdre 48 heures – et se révélaient très complaisants à leur égard. Nous exigeons désormais qu’ils se déplacent au domicile du salarié pendant les heures de présence obligatoire et qu’ils nous rendent compte, sous 48 heures.

Notre force, je l’ai mentionné, réside dans notre souplesse et notre rapidité : nous parvenons à réaliser les contre-visites médicales le jour même de la demande de l’employeur, voire dans la demi-journée, ce que ne peut réaliser la sécurité sociale.

Nous ne procédons en rien à un quelconque « flicage ». Les médecins contrôleurs n’hésitent jamais à dire clairement qu’un arrêt de travail est médicalement justifié. La tendance est d’ailleurs plutôt inverse : sous la pression d’un conseil départemental de l’Ordre ou face à un salarié menaçant, ils hésitent parfois à indiquer que l’arrêt de travail n’est pas justifié. C’est un métier à risques : certains ont été agressés ; d’autres pris en otage.

Mme Isabelle Le Callennec. Je n’ai en effet pas connaissance de cas de salariés qui aient reçu la visite de médecins conseils de la sécurité sociale pendant leur arrêt de travail. La probabilité que cela se produise pour des arrêts de travail de courte durée paraît très faible.

Mme Michèle Laporte. Elle n’existe pas. Les salariés contrôlés sont ceux qui sont atteints de pathologies lourdes, ce qui ne saurait suffire à faire un contrôle efficace.

Mme Isabelle Le Callennec. Vous avez indiqué que 70 000 contrôles étaient réalisés en France chaque année. Combien dénombre-t-on au total d’arrêts de travail par an ?

M. Christophe Toulemonde. Probablement des millions…

En Belgique, 140 000 contrôles sont effectués chaque année. Le potentiel de développement des contre-visites médicales est donc considérable en France.

Mme la rapporteure. Sans doute certaines entreprises hésitent-elles encore à franchir le pas. Néanmoins, elles disposent, avec la suspension des indemnités journalières complémentaires, d’un outil dissuasif. J’en reviens à ma question précédente : existe-t-il un levier analogue dans la fonction publique ?

Mme Michèle Laporte. Les employeurs publics sont soumis à une réglementation contraignante et disposent de moyens limités. Ils ne peuvent agir que lorsque l’examen médical a pu avoir lieu et que l’arrêt de travail n’est pas justifié. Une autre solution réside dans le constat de l’absence du salarié une seconde fois, après qu’il ait été dûment prévenu.

Dans la fonction publique comme dans le secteur privé, il conviendrait que la sécurité sociale suspende le versement des indemnités journalières dès lors qu’il est établi que le salarié était absent pendant les heures de présence obligatoire. En cas d’erreur, il serait toujours possible de les rétablir. Cette mesure serait très efficace et permettrait de réaliser des économies.

M. Christophe Toulemonde. Elle inciterait en outre les entreprises à demander davantage de contrôles. Aujourd’hui, nos clients sont découragés par l’inaction de la sécurité sociale. Pire, ils reçoivent des courriers des caisses primaires qui indiquent qu’elles vont maintenir le versement des indemnités journalières au motif que le médecin contrôleur mandaté par l’entreprise « a émis un avis sans examiner l’assuré ». Or le médecin s’est borné à constater que le salarié était absent pendant les heures de présence obligatoire.

Je précise, à cet égard, que les cas d’absence du domicile pour urgence médicale avérée sont rares. Or, les salariés qui connaissent bien le système prétextent une visite chez le médecin. Même si une jurisprudence récente les oblige désormais à fournir des éléments de justification, beaucoup d’entreprises reculent face à cet argument.

Les employeurs reçoivent également des courriers des caisses primaires leur indiquant que nous n’avons pas transmis les résultats sous 48 heures et en infèrent que nous n’accomplirions pas correctement notre travail…

Mme Michèle Laporte. J’ai précisé aux médecins chefs des services médicaux des CPAM que nous envoyions le lundi les résultats des contrôlés réalisés le vendredi. Les caisses continuent néanmoins à adresser de tels courriers aux employeurs. La disposition – ancienne – qui a institué ce délai de 48 heures doit être revue.

J’ai toujours incité les employeurs à transmettre les résultats aux caisses de sécurité sociale, pour qu’elles puissent éventuellement suspendre le versement des indemnités journalières. En 25 ans de métier, je n’ai constaté aucun résultat.

Par ailleurs, la loi précise que les résultats doivent être envoyés aux caisses par les médecins contrôleurs eux-mêmes. Ces derniers n’étant pas toujours fiables sur ce point, nous le faisons souvent à leur place. Cela ne devrait occasionner aucune difficulté, puisqu’il s’agit, non pas de données médicales, mais d’une information d’ordre administratif – l’arrêt de travail est justifié ou ne l’est pas. Certaines caisses demandent que les médecins contrôleurs accompagnent leur envoi de la documentation médicale appropriée. Cependant, ils réaliseraient alors non plus de simples contrôles, mais fourniraient une forme d’expertise, pour laquelle il conviendrait de les rémunérer. J’ajoute que les médecins conseils et les médecins généralistes – les premiers contrôlent les seconds – n’ont pas nécessairement de bonnes relations. En définitive, la loi n’est pas appliquée.

Dans un souci d’efficacité, il conviendrait que les résultats soient envoyés aux caisses par les sociétés de contre-visites médicales. Pour ma part, je fournis toujours le nom et les coordonnées des médecins contrôleurs. Les médecins conseils peuvent donc les contacter pour demander telle ou telle précision. De plus, j’ai développé, à mes frais, un logiciel qui me permet d’adresser les résultats aux caisses primaires en même temps qu’aux employeurs. Cet effort s’est révélé inutile : une partie des caisses m’ont répondu que l’information était confidentielle et ne pouvait pas circuler par message électronique ; d’autres exigent désormais que les données soient cryptées. À ce jour, seules deux caisses régionales se sont mises en mesure de recevoir nos résultats.

En réalité, les caisses ne veulent pas recevoir les résultats de nos contrôles pour ne pas avoir à les traiter. Il conviendrait de sensibiliser les directeurs de caisse et les médecins chefs des services médicaux afin qu’ils encouragent leurs collaborateurs à travailler avec nous. Je rencontre depuis 25 ans l’ensemble des interlocuteurs compétents – directeurs de caisses, médecins conseils, conseils de l’Ordre, médecins du travail –, en vain.

M. Christophe Toulemonde. Je me suis également rendu dans les CPAM. Tout dépend du bon vouloir d’un médecin conseil ou d’un secrétaire général de caisse. Nous parvenons à travailler en bonne intelligence avec certaines caisses. Une quinzaine d’entre elles ont ainsi accepté que nous leur envoyions nos résultats par messagerie électronique. Cependant, elles se placent ainsi hors du cadre légal. Toutes les autres caisses se réfugient derrière cet argument : les résultats doivent être transmis non pas par les organismes de contrôle, mais par les médecins contrôleurs.

Mme Michèle Laporte. Il est arrivé que des caisses jettent à la poubelle les résultats que leur avaient transmis des employeurs. Cela ne contribue pas à améliorer nos relations. Nous ne pouvons que le regretter.

M. Christophe Toulemonde. Nous encourageons en effet les employeurs à transmettre les résultats aux caisses. Mais on leur répond également que c’est aux médecins contrôleurs de le faire.

Mme Michèle Laporte. La législation doit être améliorée sur ce point.

Mme la rapporteure. Nous avons auditionné des responsables de caisses de sécurité sociale la semaine dernière. Il semble que la Mutualité sociale agricole (MSA) mène une politique active pour détecter les abus.

Mme Michèle Laporte. La MSA, pourtant dépourvue de service médical, constitue en effet une exception.

Mme Isabelle Le Callennec. Avez-vous pu mesurer les économies réalisées, grâce à vos contrôles, par les employeurs, d’une part, et par l’assurance maladie, d’autre part ?

Mme Michèle Laporte. Il nous est difficile de mesurer les économies que nos contrôles permettent de réaliser. Il est cependant évident que nous pourrions en faire bien davantage !

Il conviendrait, tout d’abord, que nous, organismes de contrôle, soyons saisis le plus rapidement possible. Il faudrait, ensuite, en cas de fraude, que non seulement l’employeur suspende le versement des indemnités journalières complémentaires, mais que la sécurité sociale fasse de même avec les indemnités journalières, dès la demi-journée qui suit le contrôle. Nous pourrions ainsi faire cesser le paiement de 90 % du salaire des fraudeurs.

Nous passons, en France, notre temps à légiférer, sans réel souci d’efficacité. Certes, les indemnités journalières ne représentent pas une part essentielle du déficit de la sécurité sociale. Cependant, les abus ont un coût social payé par chacun d’entre nous.

Mme la rapporteure. J’en conviens volontiers : il est d’autant plus difficile à nos concitoyens d’accepter les efforts que nous leur demandons si nous ne faisons pas le nécessaire pour lutter contre la fraude.

Êtes-vous affiliés à des organisations telles que la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ou le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ? Ne pensez-vous pas qu’ils pourraient, avec votre aide, approfondir leur connaissance de la problématique des arrêts de travail et devenir une véritable force de proposition en la matière ?

Mme Michèle Laporte. J’étais auparavant affiliée à la CGPME et le suis désormais au MEDEF. Il est vrai qu’ils ne maîtrisent pas ce sujet, que nous sommes les seuls à bien connaître. À cet égard, je regrette que la dernière loi ait été adoptée sans que nous ayons été consultés. Je suis prête à contribuer à vos travaux.

M. Christophe Toulemonde. Pour revenir à la question des économies, nous avons l’habitude de citer les chiffres suivants : une diminution de 1 point du taux d’absentéisme dans une entreprise lui fait économiser 1 % de masse salariale.

Il est en revanche difficile de mesurer l’impact – sans toute très important – des contrôles sur les autres salariés. En effet, l’absence de contrôle à la demande de l’employeur et le maintien des indemnités journalières par la sécurité sociale incitent ces derniers à recourir aux arrêts de travail de manière abusive.

M. le coprésident Pierre Morange. Le montant des indemnités journalières versées par la sécurité sociale est estimé à quelque 10 milliards d’euros : 6,3 milliards au titre de la maladie ; 2 au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles ; 1,2 à la charge des régimes spéciaux.

S’agissant des entreprises, pouvez-vous évaluer les économies que la suspension du paiement des indemnités complémentaires leur permet de réaliser ?

Mme Michèle Laporte. C’est difficile. Il faudrait que la sécurité sociale fournisse le nombre total d’arrêts de travail prescrits chaque année – qui croît de manière régulière depuis 30 ans – et que l’on calcule un ratio, ce qui permettrait de réaliser que le volume des contrôles – 70 000 par an – est dérisoire. Il conviendrait également de tenir compte de la durée des arrêts de travail.

M. Christophe Toulemonde. C’est en effet très difficile à estimer. Les entreprises se livrent sans doute à leurs propres calculs.

Mme Michèle Laporte. Quoi qu’il en soit, sans les difficultés que nous avons relevées, nous pourrions contrôler beaucoup plus de salariés et de manière plus efficace.

Mme Isabelle Le Callennec. Vos clients ne sont-ils pas essentiellement des grandes entreprises ? Le coût des contrôles n’est-il pas trop élevé pour les petites et moyennes entreprises (PME) ?

Mme Michèle Laporte. Tous les types d’entreprises – de l’artisan qui emploie un unique salarié à la multinationale – recourent à nos services. Certaines PME font un raisonnement erroné : elles estiment que le contrôle médical est onéreux, alors que c’est l’absentéisme. Une contre-visite médicale coûte de 100 à 120 euros, la moitié de cette somme étant reversée au médecin contrôleur.

Mme Isabelle Le Callennec. Cela peut paraître cher à l’employeur quand le médecin contrôleur conclut que l’arrêt de travail est justifié…

Mme Michèle Laporte. Les employeurs souhaiteraient évidemment que la totalité des contrôles leur donne raison. Or, dans la moitié des cas, l’arrêt de travail est justifié par une pathologie, ce qui démontre l’objectivité des médecins contrôleurs.

D’une manière générale, le système actuel est déresponsabilisant et conduit à ce que des personnes véritablement malades ne puissent plus se soigner comme il convient parce que d’autres profitent abusivement du système.

Il serait juste d’imposer trois jours de carence dans la fonction publique, comme dans le secteur privé.

M. Christophe Toulemonde. Un grand établissement public parisien de transport souterrain a tenté, en janvier 2012, d’imposer un jour de carence à ses employés. Face aux mouvements sociaux que la réforme a suscités et à la suite de l’annulation par le juge administratif du dispositif, elle l’a supprimé dès le mois de juin et a versé les compléments de salaire qu’elle n’avait logiquement pas versés au cours des 6 mois précédents.

Bien que cela se traduise mécaniquement par une diminution de nos contrôles, je suis très favorable à l’instauration de un ou plusieurs jours de carence dans la fonction publique.

Mme la rapporteure. J’en reviens toujours à cette question : comment les employeurs publics réagissent-ils lorsqu’ils reçoivent des résultats leur prouvant qu’il y a des abus ?

Mme Michèle Laporte. Je peux vous citer un exemple : une grande ville de l’ouest de la France avait fait appel à nos services pour contrôler ses employés. Le médecin contrôleur que nous avions sollicité n’hésitait pas à constater que l’arrêt de travail n’était pas justifié lorsque tel était le cas. Compte tenu de l’opposition que cela a suscitée, la municipalité nous a demandé de ne plus lui adresser de résultats négatifs. Dans ces conditions, je me pose la question de l’utilité des contrôles ? Sans doute permettent-ils de maintenir une certaine pression, sans avoir à suspendre le versement des indemnités…

M. Christophe Toulemonde. Cela sert aussi à montrer à l’extérieur qu’on réalise des contrôles, même si le résultat n’en est pas exploité ou, pire, fixé à l’avance.

Si les médecins conseils de la sécurité sociale faisaient confiance à leurs collègues généralistes qui réalisent des contrôles, cela changerait tout.

Mme Michèle Laporte. Vous avez souhaité connaître nos propositions.

En cas de fraude, je le répète, il conviendrait que la sécurité sociale suspende le versement des indemnités journalières dès réception de nos résultats, sans attendre une éventuelle contestation du salarié. Dans l’hypothèse où ce dernier fournirait une justification valable, le versement des indemnités serait rétabli.

En outre, les différents cas que j’ai mentionnés – adresse fausse ou manquante, absence du salarié pendant les heures de présence obligatoires, refus du contrôle – devraient être considérés comme de la fraude, au même titre que l’arrêt médical non justifié.

M. Christophe Toulemonde. Lorsque le salarié est absent de son domicile pour une raison valable, l’employeur pourrait rétablir également le paiement des indemnités complémentaires.

Mme Michèle Laporte. Il conviendrait également de modifier la législation ou les directives de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Il est nécessaire, d’une part, de revenir sur le délai de 48 heures – nous sommes capables de transmettre les résultats très rapidement, sauf le week-end. Les caisses doivent cesser, d’autre part, de considérer que les médecins contrôleurs donnent un avis sans avoir pu réaliser d’examen médical lorsqu’ils se bornent à constater l’absence du salarié. Nous ne leur transmettons d’ailleurs plus toujours ce type de résultats puisqu’elles ne donnent pas suite. Nous sommes las de voir nos clients recevoir de leur part les lettres types que nous avons évoquées et qui laissent penser que nous n’exécutons pas notre tâche.

Enfin, il conviendrait de modifier la législation pour permettre à l’employeur ou à l’organisme de contrôle de transmettre directement les résultats aux CPAM, qui seraient tenues de les accepter.

L’état d’esprit actuel des CPAM est une source de difficulté. Les directeurs de caisse et les médecins chefs des services médicaux devraient inciter leurs collaborateurs à travailler en bonne intelligence avec nous, de manière à réaliser des économies et à réduire les charges des entreprises.

Mme la rapporteure. De votre côté, vous pourriez mobiliser davantage vos organisations professionnelles et améliorer sensiblement la connaissance qu’elles ont de la problématique des arrêts de travail. Sans doute avez-vous là une carte à jouer.

M. Christophe Toulemonde. Nous travaillons avec les organisations professionnelles. J’interviens avec elles auprès de leurs adhérents. Elles sont à l’origine d’environ 15 000 des 40 000 contrôles que réalise ma société chaque année, soit plus d’un tiers de son activité. Il est vrai qu’elles connaissent peu le sujet, alors qu’elles ont un rôle évident à jouer.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions, madame, monsieur, pour toutes les informations que vous nous avez fournies.

La MECSS procède enfin à l’audition, ouverte à la presse, du Dr Bernard Schmitt, directeur régional du service médical d’Île-de-France, et du Dr Aïda Jolivet, médecin conseil chef de service responsable du pôle contrôle des prestations et relations avec les assurés, du Dr François-Xavier Brouck, médecin conseil chef de service responsable de l’échelon local du service médical de Paris, et du Dr Pascale Peyre-Costa, médecin conseil chef de service responsable de l’échelon local du service médical de l’Essonne, sur les arrêts de travail et les indemnités journalières.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre de nos travaux relatifs à l’évaluation du système de contrôle des indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail, nous avons le plaisir de recevoir maintenant le Dr Bernard Schmitt, directeur régional du service médical d’Île-de-France, qu’accompagnent trois médecins conseil chefs de service au sein de la même direction. Dans sa communication de juillet 2012, la Cour des comptes, soulignant la complexité du dispositif, a recommandé une rationalisation du dispositif visant à simplifier les procédures, faire disparaître les zones d’ombre qui subsistent dans la prise en charge des arrêts de travail et mettre fin aux disparités territoriales et statutaires. D’autre part, la CNAMTS procède à une expérimentation du contrôle des arrêts de travail des fonctionnaires pour les trois fonctions publiques ; la durée de cette expérimentation a été prorogée de deux ans, sa mise en œuvre ayant connu un retard important. Enfin, les représentants de deux sociétés prestataires de contre-visites médicales que nous venons d’entendre ont insisté sur ce qu’ils estiment être des difficultés de communication avec les services de contrôle de la CNAMTS. Sur toutes ces questions, nous aimerions connaître votre avis.

Dr Bernard Schmitt, directeur régional du service médical d’Île-de-France. Au sein de la CNAMTS, la direction régionale du service médical d’Île-de-France (DRSM) est chargée du contrôle des prestations, au nombre desquelles figurent les indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail. Elle compte 1 600 salariés dont 190 médecins en équivalent temps plein (ETP). Ils sont répartis sur 50 sites dans les 8 départements franciliens. Outre son activité traditionnelle de contrôle des prestations, la DRSM a pour mission les relations – renforcées par la nouvelle convention médicale – avec les professionnels de santé et une activité soutenue de suivi contentieux. 120 médecins se consacrent au contrôle des prestations, les autres se répartissant pour moitié entre nos deux autres missions. Chaque échelon local est dirigé par un médecin conseil chef de service ; tous sont membres, à mes côtés, du comité directeur de la direction régionale, cadre de l’élaboration collégiale de toutes les stratégies. Les indemnités journalières font partie des sujets que nous évoquons, ensemble, tous les 15 jours.

En Île-de-France, le régime général couvre une population de quelque 11,8 millions de personnes dont 4,6 millions d’actifs et les dépenses relatives aux indemnités journalières se sont élevées à 1,63 milliard d’euros en 2011. Nous sommes pleinement conscients de la responsabilité qui nous incombe en matière de contrôle. Aussi bien, 37 des 190 médecins de la DRSM d’Île-de-France sont affectés au contrôle des indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail pour maladie. En 2011, ils ont rendu 245 000 avis – dont 12 % d’avis défavorables – qui représentent 18 % des contrôles relatifs aux indemnités journalières et couvrent 82 % de la dépense. Les contrôles portent principalement sur les arrêts de travail de plus de 45 jours.

Aux avis ainsi rendus s’ajoutent chaque année 500 000 avis relatifs aux affections de longue durée – les ALD – ; ils portent d’une part sur les « entrées » en ALD, d’autre part sur les renouvellements, qui ont lieu tous les 5 ans. Près d’un million d’avis sont rendus chaque année par la DRSM d’Île-de-France. Nos médecins exercent un métier difficile, et ces avis donnent prétexte chaque année à 30 agressions physiques et verbales.

Il existe une forte coordination, à deux niveaux, entre la DRSM d’Île-de-France et les CPAM. Au niveau régional, dans le cadre de la gestion du risque, je rencontre tous les mois les 8 directeurs des caisses primaires au sein du comité directeur. Au niveau local, nos responsables de service sont en contact permanent avec les directions des caisses primaires et font partie des instances de pilotage de la gestion du risque, qui intègrent les « observatoires indemnités journalières » installés dans tous les services médicaux. Les rencontres répondent au reproche de coordination insuffisante avec les caisses primaires qui nous a été fait.

Les Dr Aïda Jolivet, François-Xavier Brouck et Pascale Peyre-Costa vous détailleront la stratégie générale de la CNAMTS, déclinée en direction des assurés, des professionnels de santé et des entreprises.

Dr Aïda Jolivet, médecin conseil chef de service responsable du pôle contrôle des prestations et relations avec les assurés du service médical d’Île-de-France. Notre stratégie de contrôle des indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail correspond aux directives nationales définies en 2012, qui structurent notre action. De ce fait, comme l’a indiqué le Dr Bernard Schmitt, notre première priorité concerne les arrêts de travail supérieurs à 45 jours : en Île-de-France, ils représentent, je le rappelle, 18 % des contrôles et 82 % de la dépense. Nous nous attachons à repérer rapidement les salariés potentiellement aptes à reprendre le travail avant que les difficultés ne deviennent inextricables ; nous avons créé à cette fin des outils qui nous permettent d’optimiser et de médicaliser au maximum les décisions en ciblant les patients de manière pertinente, et nous nous attachons, en cas de contrôle avec examen, à accompagner les assurés pour prévenir la désinsertion professionnelle. Conformément aux directives nationales, qui visent à ne pas prolonger l’arrêt de travail au-delà de la durée médicalement souhaitable, notre deuxième priorité porte sur les arrêts de travail de longue durée, la stabilisation précoce et le suivi des arrêts de travail. Nous contrôlons aussi les arrêts de travail de courte durée mais, comme l’a indiqué notre directeur, ce risque ne fait pas partie de nos priorités.

Dr François-Xavier Brouck, médecin conseil chef de service responsable de l’échelon local du service médical de Paris. Nos relations avec les médecins ont lieu pour l’essentiel dans le cadre du colloque singulier entre le médecin conseil et le médecin traitant, notamment si l’on envisage une difficulté lors de la reprise du travail. Nous intervenons également auprès des médecins traitants par un accompagnement prévu dans le cadre conventionnel. Désormais, les médecins conseils rencontrent chaque année, de manière systématique, tous les médecins traitants du département qui, dans la grande majorité, sont des généralistes ; à Paris, on dénombre 8 900 médecins, dont 1 700 généralistes. La prescription des indemnités journalières n’est pas incluse dans les indicateurs qui déterminent la rémunération des médecins sur objectifs de santé publique dans le cadre des contrats de performance, mais le sujet est très fréquemment abordé pendant ces entretiens. Il peut l’être aussi lorsque nous intervenons dans le cadre de formations médicales continues. C’est l’occasion pour nos confrères de nous faire part des difficultés qu’ils éprouvent lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés quotidiennes, comme le choix, par exemple, d’une mise en invalidité ou d’un temps partiel thérapeutique qu’ils ne maîtrisent pas toujours parfaitement.

Avec les médecins dits « hyperprescripteurs », nous privilégions pour commencer des entretiens d’alerte visant à les informer de leur situation. De nombreux échanges de courriers ont lieu, mais nous souhaitons rencontrer certains d’entre eux pour les sensibiliser à la question et traiter de leur pratique quotidienne, qui varie selon le profil de leur patientèle – on imagine aisément qu’elle n’est pas la même selon que l’on est installé à l’Ouest ou au Nord-Est de Paris.

Sur le plan juridique enfin, deux dispositifs contraignants peuvent être mis en œuvre : la mise sous objectifs quantifiés, introduite récemment dans le code de la sécurité sociale, qui présente des premiers résultats prometteurs et la mise sous accord préalable, qui est une procédure plus ancienne.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Qu’en est-il des médecins hospitaliers ?

Dr François-Xavier Brouck. J’évoquais en effet nos relations avec les médecins libéraux, mais des arrêts de travail sont aussi prescrits par les établissements hospitaliers – en nombre de jours, cela représente un tiers de ces prescriptions à Paris. Il s’agit d’une situation particulière à la ville de Paris, où les établissements hospitaliers abritent des centres de santé qui sont à l’origine de quelque 25 % du total des indemnités journalières prescrites. La difficulté réside dans l’impossibilité d’identifier les médecins prescripteurs dans les centres de santé.

Mme la rapporteure. Considérez-vous les centres de santé comme des hyperprescripteurs ?

Dr François-Xavier Brouck. Absolument pas : le nombre d’indemnités globales prescrites est corrélé à la patientèle reçue. Mais, alors que nous souhaiterions accompagner leur activité, nous ne connaissons pas l’identité de tous les médecins qui y travaillent. Cependant, dans le cadre de la maîtrise médicalisée de la dépense de santé à l’hôpital, nous avons déjà sensibilisé les prescripteurs d’arrêts de travail depuis plusieurs années. Avec la CPAM de Paris, nous avons engagé un processus visant à rencontrer les médecins des centres de santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Un projet d’individualisation des médecins prescripteurs des centres de santé avait été initié il y a deux ans, avec l’objectif d’harmoniser les pratiques. Avez-vous progressé sur ce sujet majeur ?

Dr François-Xavier Brouck. Nous sommes dépendants de l’évolution de la réglementation ; à ce jour, nous ne disposons que des données globales pour chaque établissement de santé. Nous sommes engagés dans une démarche de sensibilisation des directeurs des centres de santé.

Dr Bernard Schmitt. Une expérimentation de facturation individuelle des établissements de santé est en cours à la CPAM d’Amiens depuis un an environ. Dans les autres régions, on ne constate pas de progrès.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est certainement l’une des préconisations que nous devrons faire. Dans un autre domaine, qu’en est-il des expérimentations relatives au contrôle des arrêts de travail dans la fonction publique d’État ? La Cour des comptes souligne que, pour beaucoup, ces contrôles n’ont pu être effectués, soit en raison de la transmission tardive des avis qui étaient échus, soit à cause de la communication d’adresses erronées. Cela laisse perplexe.

Dr François-Xavier Brouck. Les expérimentations diffèrent selon les régions. À Paris, elle a porté sur les services centraux, principalement ceux du ministère de l’économie et des finances : l’INSEE, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la direction des douanes. Nous avons ainsi un interlocuteur unique et proche, avec lequel nous avons immédiatement envisagé un travail commun.

M. le coprésident Pierre Morange. Cela signifie-t-il que les choses sont plus difficiles avec les autres ministères ?

Dr François-Xavier Brouck. Je ne puis évoquer que ce sur quoi je suis en mesure de témoigner.

Dr Bernard Schmitt. Il n’y a pas d’autre expérimentation que celle-là.

Dr François-Xavier Brouck. À Paris, depuis que l’expérimentation a débuté en octobre 2010, les contrôles ont porté sur 874 fonctionnaires, avec un taux de reprise du travail de 1,5 % par rapport aux signalements – ce qui est un peu plus faible que pour le reste de la population contrôlée – et de 3,5 % si l’on prend en considération les fonctionnaires contrôlables. En effet, tous n’habitent pas l’Île-de-France, et il ne nous est pas possible de convoquer ceux qui dépendent du ministère mais qui habitent l’Eure, la Loire-Atlantique, la région Centre, voire les Antilles. Pour ne citer qu’un exemple, les écoles des Mines dépendent des services du ministère des finances, mais elles sont sises en plusieurs villes de province. Nous avons donc convoqué les assurés qui pouvaient l’être. Nous avons constaté, au début de l’expérimentation, la situation que vous avez décrite – des arrêts de travail signalés à terme échu – mais elle a été largement corrigée par le décret du 7 mai 2012 et elle ne s’est plus reproduite à Paris.

Nous sommes amenés à recevoir les patients fonctionnaires sans disposer d’éléments complémentaires sur leur état de santé. Au début de l’expérimentation, nous n’avions même pas la possibilité de joindre le médecin traitant ; nous ne disposions ni de l’avis d’arrêt de travail ni des données de consommation de ces patients – sauf s’ils habitent Paris et, atteints d’une pathologie grave, ils sont exonérés du ticket modérateur. Une autre difficulté tient à ce que le médecin conseil rencontre le patient une fois seulement, alors même que, l’arrêt de travail étant prescrit pour une durée supérieure à 45 jours, on peut s’attendre à certaines difficultés au moment de la reprise. Lorsqu’il s’agit d’assurés du régime général, il arrive que le médecin conseil ne prenne pas sa décision immédiatement, et souhaite revoir le patient. Dans le cadre de l’expérimentation, nous n’avons pas cette possibilité.

Mme la rapporteure. Pourquoi ?

Dr François-Xavier Brouck. La méthodologie retenue pour l’expérimentation ne concerne que les arrêts de travail itératifs – l’organisme envoie un courrier au fonctionnaire lorsque trois arrêts de travail d’une durée inférieure à 15 jours lui ont été prescrits en moins d’un an, et il est convoqué lors du quatrième arrêt de travail – et les arrêts de travail de plus de 45 jours. Mais il est prévu que nous rendions des avis ponctuels sur un signalement unique : nous ne suivons pas les arrêts de travail des fonctionnaires comme nous le faisons pour les assurés du régime général.

Dr Pascale Peyre-Costa, médecin conseil chef de service responsable de l’échelon local du service médical de l’Essonne. S’agissant des relations avec les employeurs, je commencerai par évoquer les relations que nous avons avec les salariés en arrêt de travail depuis plus de 45 jours et le dispositif que nous avons mis au point en Île-de-France pour prévenir la désinsertion professionnelle. Les études montrent qu’une personne sur deux en arrêt de travail depuis plus de 6 mois ne reprendra pas un emploi, et que la proportion passe à 70 % pour les salariés arrêtés pendant plus de 1 an. Aussi la CNAMTS a-t-elle défini une stratégie de prévention, pour laquelle j’ai été chef de projet en Île-de-France. Le service médical s’attache à dépister l’assuré en arrêt de travail prolongé en fonction de son profil médicalisé de consommation, tel qu’il ressort des remboursements effectués par la CPAM. Un questionnaire lui est alors adressé, qui nous permet de connaître son métier ; ensuite, le médecin conseil, le médecin traitant et le médecin du travail s’entretiennent de son cas. Les textes nous autorisent à procéder de la sorte si nous avons l’accord de l’assuré, car le maintien d’un salarié dans l’emploi suppose qu’il soit lui-même acteur. Plus on anticipe, plus vite on permet le déclenchement des visites de pré-reprise qui permettent à la médecine du travail de définir les problèmes spécifiques à l’assuré et d’intervenir par le biais des plateformes de maintien dans l’emploi.

La procédure est maintenant opérationnelle ; pour arriver à ce résultat, il nous a fallu parvenir à communiquer entre nous. Aussi des réunions ont-elles eu lieu, avec les services de santé au travail, avec les médecins traitants et avec leurs syndicats. Aujourd’hui, en cas de difficulté, dans chaque département francilien comme dans le reste de la France, les médecins du travail peuvent nous joindre par téléphone et par le biais de boîtes à lettres électroniques – que nous avons pour objectif de sécuriser pour permettre l’échange d’éléments médicaux. Désormais, tout médecin traitant et tout médecin du travail qui veut contacter un médecin conseil pour prévenir une perte d’emploi a les moyens de le faire. Surtout, le dialogue s’est créé avec l’acteur principal qu’est l’assuré. À ce dialogue participent assistantes sociales et caisses primaires, ce qui nous permet de signaler toute difficulté décelée qui pourrait entraver la reprise du travail.

M. le coprésident Pierre Morange. C’est donc une organisation complexe dans laquelle interviennent de nombreux partenaires. À ce propos, nous venons justement d’auditionner les représentants de sociétés mandatées par les employeurs pour effectuer des contre-visites médicales auprès de salariés en arrêt maladie. Or, que le contrôle soit de nature purement administrative – si le médecin se borne à constater que l’assuré n’est pas présent aux heures de présence obligatoires – ou qu’il consiste en un véritable examen médical, son résultat semble rarement pris en compte par les caisses, soit parce qu’elles reçoivent le rapport au-delà du délai prévu, soit parce qu’il a été transmis par l’entreprise ayant réclamé la contre-visite, et non par le médecin qui l’a effectuée. C’est une source d’incompréhension – pour ne pas dire d’irritation – pour les sociétés concernées. N’y aurait-il pas moyen de surmonter ce manque de coordination, qui compromet la qualité du contrôle des arrêts maladie ?

S’agissant des indemnités journalières complémentaires, versées par les employeurs, nous avons été surpris, en recevant les représentants des entreprises, de constater qu’ils sont incapables d’en évaluer le volume financier. Les sommes en jeu ne sont pourtant pas négligeables, sachant que l’employeur est amené à verser entre 20 % et 50 % du salaire en complément des indemnités journalières payées par la sécurité sociale. Ce montant n’est pas sans incidence sur le coût du travail et donc sur la compétitivité des entreprises françaises, sujet d’une brûlante actualité. Il serait donc utile de pouvoir disposer de plus de données. En outre, un contrôle plus efficient des arrêts de travail contribuerait peut-être à accroître les marges de manœuvre financières nécessaires pour améliorer le sort des catégories de salariés qui ne bénéficient pas de la protection des indemnités journalières complémentaires.

La MECSS a une seule et unique obsession : contribuer à optimiser le rapport coût/efficacité des mesures approuvées par la Représentation nationale. Le processus a été long, mais l’idée commence à pénétrer les esprits que les gestionnaires du risque – dont vous êtes – ne doivent pas rester dans une logique de payeur aveugle. Nous devons donc rechercher un moyen de rationaliser les contrôles.

Vous vous concentrez sur les arrêts de travail de plus de 45 jours, parce qu’ils représentent environ 80 % de la dépense totale des indemnités journalières. Dans la mesure où vous ne disposez pas des moyens de contrôler l’ensemble des arrêts, cette volonté de hiérarchiser les priorités est compréhensible. On peut en effet penser qu’un contrôle plus poussé des arrêts d’une durée inférieure à 45 jours représenterait un gaspillage d’énergie compte tenu des bénéfices qui en résulteraient.

Pour autant, ne pourrait-on pas envisager que, par une contractualisation entre le service médical de l’assurance maladie et les sociétés prestataires de contre-visites médicales, ces dernières puissent effectuer, selon une méthodologie définie par un strict cahier des charges, le contrôle des arrêts de travail de courte durée ?

Dr Bernard Schmitt. Il convient de distinguer les signalements adressés par les employeurs – que nous exploitons systématiquement – et les contre-visites médicales organisées à leur initiative.

S’agissant des arrêts de courte durée, nous ne sommes pas du tout hostiles à l’idée de les contrôler, même si cela peut en effet poser un problème de moyens. En revanche, nous sommes réticents à un contrôle qui ne soit pas ciblé, dont le rendement est catastrophique et décourageant. Si vous mobilisez un médecin conseil pendant une matinée et que vous convoquez dix patients, seulement cinq viendront, dont quatre seront vraiment malades. Quant au dernier, il sera sans doute remis au travail, mais il aurait de toute façon repris son activité le lundi suivant. C’est pourquoi nous préférons éviter d’effectuer un contrôle sur les arrêts de courte durée sans un ciblage médicalisé au préalable. La difficulté provient de l’absence de données à moins de sept jours, nous ignorons même que le patient est en arrêt maladie. En revanche, quand nous disposons d’éléments médicaux, nous sommes en mesure de contrôler. C’est le cas, notamment, s’agissant des arrêts itératifs que nous signalent les caisses.

M. le coprésident Pierre Morange. La question n’est pas de contester la pertinence de votre stratégie. Mais il existe des sociétés spécialisées dans la contre-visite médicale, dont le rôle est complémentaire du vôtre. Ne pourrait-on pas faire en sorte que leurs avis vous soient automatiquement communiqués, sachant que vous resteriez seuls responsables des suites à en donner ? Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où chacun ignore l’autre, ce qui est regrettable. L’essentiel est de faire disparaître les zones d’ombre du contrôle médical.

Dr Bernard Schmitt. Nous n’avons pas forcément connaissance des critiques exprimées à notre encontre. Mais il est vrai que les résultats des contre-visites médicales des employeurs ne sont pratiquement pas utilisés, car nous en recevons très peu.

M. le coprésident Pierre Morange. Justement, les personnes que nous venons d’auditionner affirment qu’elles les transmettent systématiquement. Il ne s’agit pas de polémiquer…

Dr Pascale Peyre-Costa. … mais de trouver une solution.

M. le coprésident Pierre Morange. Exactement. Pour l’instant, chacun se renvoie la responsabilité d’une situation qui, à l’évidence, n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi nous souhaitons que les représentants du service du contrôle médical de l’assurance maladie et ceux des sociétés spécialisées dans les contre-visites médicales se rencontrent et parviennent à élaborer une procédure permettant la collaboration, si possible avant la remise de notre rapport.

Dr Pascale Peyre-Costa. Il faut également tenir compte des réalités locales. De janvier à novembre 2012, le nombre de contrôles effectués à l’initiative de l’employeur, en application de l’article 90 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, n’a été que de 437 pour toute la région Île-de-France – soit une quantité très faible. Et sur ce total, 70 % des avis obtenus par les services du contrôle médical se sont révélés inexploitables, car non-recevables, soit parce qu’ils étaient parvenus au-delà du délai de 48 heures, soit parce qu’ils n’étaient pas accompagnés de l’examen médical réalisé par le médecin contrôleur.

Ce chiffre est à mettre en relation avec les 1 500 courriers reçus d’employeurs suspectant un de leurs salariés de bénéficier d’un arrêt de travail non justifié. Nous leur répondons systématiquement, par écrit, après que le médecin conseil a examiné le dossier de l’assuré concerné. Souvent, il s’agit de personnes que nous connaissons déjà, soit parce que la durée de leur arrêt de travail a été prolongée, soit parce que nous avons été amenés à les rencontrer ou parce que ce sont des patients atteints d’une affection de longue durée. Bien entendu, si cela s’avère nécessaire, nous les convoquons et nous leur prescrivons une reprise du travail. Mais il faut savoir que pour une grande partie d’entre eux, l’arrêt de travail est justifié.

Cela étant, nous nous efforçons de développer les échanges avec les employeurs. Nous organisons des matinées à leur intention, nous participons à des réunions avec le MEDEF, et des lignes téléphoniques leur sont dédiées par les caisses primaires d’assurance maladie. Il est nécessaire que toutes les parties – à commencer par les organismes privés de contrôle médical – puisse se retrouver autour d’une table.

M. le coprésident Pierre Morange. En effet. D’autant que les responsables que nous venons d’auditionner ont évoqué 70 000 contre-visites par an, dont la moitié conduiraient à un avis défavorable. Le temps manque pour interpréter ces chiffres, mais il importe, je le répète, qu’une réunion soit organisée entre les responsables du contrôle médical effectué au titre de l’assurance maladie obligatoire et ces sociétés spécialisées. Cela permettra non seulement de comprendre pourquoi les données sont divergentes, mais aussi de proposer des solutions pragmatiques, opérationnelles, pour améliorer l’efficacité du contrôle.

Nous souhaitions aborder un autre sujet, celui des indemnités journalières versées au titre de la maladie pour des arrêts consécutifs à des accidents du travail. Peut-on estimer le coût de cette pratique – laquelle relève d’un détournement de la loi – qui conduit à faire prendre en charge certaines pathologies par d’autres branches assurantielles ? Les services de contrôle médical ont-ils recueilli des éléments d’information sur cette question ?

Dr Pascale Peyre-Costa. La question a justement été abordée, lors de la « matinée employeurs » que nous avons organisée en Essonne le 4 décembre dernier, de la distinction entre le risque « accidents du travail et maladies professionnelles » et le risque « assurance maladie ». Nos médecins ont bénéficié d’une remarquable formation sur le sujet, dispensée à Lille, et ont donc la capacité de parfaitement faire la part des choses. Une des missions confiées au médecin conseil, lorsqu’il gère le suivi d’un arrêt de travail, est d’identifier le moment où un accident du travail est clos, où il est possible de basculer sur le risque « maladie », parce qu’une maladie, contractée avant l’accident du travail, « évolue pour son propre compte ».

M. le coprésident Pierre Morange. Vous évoquez le cas de figure dans lequel l’accident du travail a été dûment enregistré. Mais il peut être également dissimulé afin d’en transférer la prise en charge sur l’assurance maladie.

Dr Pascale Peyre-Costa. Vous entendez les cas de fraude.

M. le coprésident Pierre Morange. Est-il possible d’évaluer leurs conséquences financières ?

Dr François-Xavier Brouck. Il arrive en effet que dans le cadre du suivi d’un arrêt de travail, le médecin conseil diagnostique une pathologie relevant plutôt de la maladie professionnelle.

S’agissant de l’accident du travail, la difficulté ne vient pas seulement de l’imputabilité des faits mais aussi de leur matérialité, compte tenu de la place grandissante tenue par les risques psychosociaux. Prenons l’exemple d’un assuré mis en arrêt maladie en raison d’une dépression survenue à la suite d’un conflit avec son patron : dans une telle situation, relativement courante, le médecin conseil n’est pas en mesure de juger les faits, auxquels il n’a pas assisté ; il ne peut que procéder à un constat d’ordre médical.

Cela étant, lors du suivi d’un arrêt de travail, le rôle du médecin conseil est de signaler au patient, le cas échéant, que la pathologie dont il souffre relève d’une maladie professionnelle et peut donc faire l’objet d’une déclaration à ce titre – du moins si elle répond à certaines conditions administratives et médicales, relatives par exemple à la durée d’exposition au risque. Le médecin conseil oriente l’assuré, mais ne peut se substituer au patient pour effectuer la déclaration. Il ne lui appartient pas non plus d’effectuer le certificat de première constatation médicale : pour ce faire, l’assuré devra se tourner vers son médecin traitant.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous invite à nous transmettre par écrit toute information complémentaire que vous jugeriez utile, ainsi que toute proposition d’amélioration susceptible de faire l’objet d’une disposition législative, réglementaire ou, de façon plus souple, d’un accord conventionnel. Je pense notamment à la prise en compte du résultat des contre-visites ou à la possibilité d’identifier les médecins prescripteurs des centres hospitaliers. De même que la loi de la République doit s’appliquer à tous, le contrôle médical doit concerner aussi bien la médecine hospitalière que la médecine ambulatoire.

La séance est levée à douze heures vingt.