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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 20 décembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 07

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » :

– M. Yann Bourgueil, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, et M. Mohamed Ali ben Halima, responsable du projet Hygie

– M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie et des finances, accompagné de MM. Rémi Favier et Frédéric Gaven, chargés de mission à la délégation nationale à la lutte contre la fraude

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 20 décembre 2012

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Yann Bourgueil, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, et M. Mohamed Ali ben Halima, responsable du projet Hygie.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Le rapport que la Cour des comptes a établi à notre demande fait ressortir que les indemnités journalières (IJ) entraînent une dépense dynamique, assez peu connue, mal maîtrisée, variant selon les pathologies et les territoires. Nous souhaitons acquérir une meilleure connaissance du sujet, et c’est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Nous souhaiterions en particulier savoir si vous avez une connaissance de l’étendue de la couverture offerte aux salariés en la matière, régime complémentaire compris.

M. Yann Bourgueil, directeur de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé. L’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) est un centre de recherche en économie de la santé sur les services de santé, en grande partie financé par l’assurance maladie, et qui aborde ces questions par le biais de l’analyse de données.

Nous nous intéressons au rapport santé-travail sous l’angle de la couverture complémentaire d’entreprises. Nous utilisons, notamment, les enquêtes nationales qui ont été menées sur le sujet en 2003 et en 2009 – et qui seront reprises en 2013. Ces enquêtes, dont l’objectif est de comprendre comment se déploie la couverture complémentaire des salariés, apportent certains éléments d’information sur les modalités de prise en charge des délais de carence et d’indemnisation des personnes, selon les entreprises. Elles s’insèrent dans une thématique générale, qui est un objet de recherche traditionnel à l’IRDES et qui peut être formulée par la question suivante : comment, compte tenu de la couverture complémentaire qui concerne 94 % de la population, soit de manière individuelle, soit de manière collective, soit grâce à la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC), nos concitoyens accèdent-ils – ou renoncent-ils – aux soins ?

Par ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère chargé de la santé a investi en 2005 dans la construction d’une base de données, la base Hygie. Or, un des métiers traditionnels de l’IRDES est d’apparier et de rapprocher des bases de données : données médicales et données de consommation d’assurance maladie, données d’enquêtes en population générale et données de consommation de l’assurance maladie, etc. Dans une de nos expérimentations, par exemple, nous rapprochons, pour calculer des restes à charge, données des organismes complémentaires, données d’enquêtes et données de l’assurance maladie.

En l’occurrence, avec la base Hygie, il s’agissait de rapprocher des données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) avec des données fournies par l’assurance maladie, l’objectif étant d’obtenir de l’information individuelle. La CNAV possède, en effet, des données très intéressantes sur les carrières des salariés du privé, ce qui nous procure de l’information sur les entreprises, sur l’âge d’entrée sur le marché du travail et sur l’ensemble de la carrière. Du côté de l’assurance maladie, nous récupérons de l’information sur la consommation de soins. Le fait qu’il s’agisse de « microdonnées », donc d’informations individuelles, permet de réaliser des analyses plus fines.

Construire une base de données comme celle de la CNAV et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a pris cinq ans – il faut passer par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), résoudre des problèmes techniques et informatiques et rapprocher des institutions. Nous n’avons donc commencé à produire les premiers résultats qu’en 2010. Mais un programme de travail est en train de se mettre en place, en partenariat avec l’assurance maladie, la DREES, la CNAV et d’autres utilisateurs. Mohamed Ali ben Halima, qui est responsable de ce dispositif, vous en parlera de manière plus précises.

Nous nous intéressons aussi au rapport santé-travail dans la mesure où le vieillissement va de pair avec l’allongement de la durée de vie au travail. Il nous semble important, en tant que chercheurs, d’évaluer les effets des politiques publiques, de connaître l’état de santé des salariés et leur comportement selon leur état de santé tout au long de leur carrière.

Mme la rapporteure. Vous ne visez que le secteur privé ?

M. Yann Bourgueil. Les régimes sociaux des fonctionnaires sont gérés à part. Ces derniers ne sont donc présents ni dans le régime général, ni dans les fichiers de la CNAMTS.

Mme la rapporteure. Disposez-vous d’une estimation de la partie complémentaire de la couverture des indemnités journalières payée par les entreprises ?

M. le coprésident Pierre Morange. Aucune des personnes auditionnées à ce jour n’a su évaluer le volume financier consacré à la part complémentaire versée par l’employeur pour les IJ.

M. Yann Bourgueil. Nous n’avons pas non plus d’informations sur cette question. Mais nous sommes en train de construire des systèmes d’information pour y parvenir.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans quel délai serez-vous à même fournir une première estimation ?

M. Mohamed Ali ben Halima, responsable du projet Hygie. C’est un projet que nous sommes en train de mener avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il est très difficile d’estimer le montant global de la part prise en charge par l’entreprise, pour deux raisons. D’abord, les conventions collectives varient selon le secteur d’activité et la catégorie socioprofessionnelle (CSP) des individus. Ensuite, l’information dont nous avons besoin sera obtenue à partir de la base Hygie, à propos de laquelle il faut rappeler qu’il a fallu presque cinq ans pour la construire. L’appel d’offres de la DREES date de 2005 et sa première utilisation, à partir des données de 2005, date de 2010. L’IRDES, en suivant presque les mêmes individus, a pu construire un panel allant de 2005 à 2008. Notre objectif est de continuer ainsi jusqu’à 2014, pour en obtenir un panel allant de 2005 à 2012.

La lecture de l’ensemble des conventions collectives pour l’ensemble des entreprises qui existent dans notre base Hygie représente un travail énorme, auquel nous avons déjà commencé à nous atteler : d’après le ministère du travail, 7 millions de salariés sont couverts par 11 conventions collectives. Il faut construire une base avec les différentes variables de prise en charge pour les arrêts maladie : le délai de carence de trois jours, de sept jours, de dix jours puisque ce délai diffère suivant les conventions, les taux maximum ou minimum suivant la catégorie socioprofessionnelle, etc. Ce travail difficile demandera, à mon avis, quatre ou cinq mois.

La base Hygie contient le montant du remboursement par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Lorsque nous disposerons des informations par numéro figurant au système d’identification du répertoire des entreprises (SIREN) et par CSP, nous pourrons estimer, par rapport au salaire de l’individu récupéré à partir des fichiers de la CNAV, le montant d’IJ payé par l’entreprise. Mais actuellement, nous n’avons pas le moyen de chiffrer exactement le montant d’IJ versé par les complémentaires.

M. Yann Bourgueil. C’est devenu un véritable enjeu de recherche et de politique publique. Mais cette préoccupation est assez récente.

M. le coprésident Pierre Morange. Il est stupéfiant de constater que personne n’ait défriché ce sujet. Le manque de coordination des multiples organismes qui interviennent en la matière aboutit à une contre-productivité assez hallucinante !

M. Yann Bourgueil. En France, il existe de nombreuses bases de données, mais celles-ci ne sont pas rapprochées. Elles sont gérées par des institutions qui, elles-mêmes, ne se rapprochent pas.

M. le coprésident Pierre Morange. Pourtant, cela ne devrait pas poser de problèmes techniques ou technologiques.

Mme la rapporteure. Les obstacles ne sont pas techniques, mais institutionnels.

M. Mohamed Ali ben Halima. Nous avons rencontré ces difficultés d’ordre institutionnel au moment de la construction de la base Hygie, ce qui explique en partie la durée de sa mise en œuvre.

Mme la rapporteure. Les blocages étaient-ils surtout le fait de la CNIL ?

M. Yann Bourgueil. Non.

Il faut d’abord demander aux différentes institutions, qui, le plus souvent, gèrent de la donnée pour des logiques de remboursement et des logiques comptables, de nous consacrer du temps et des ressources.

M. Mohamed Ali ben Halima. La CNAV établit pour nous un premier échantillonnage représentant un million de sa population globale, soit des salariés du secteur privé appartenant à une classe d’âge de 22 à 70 ans. Déjà, en 2005, elle avait envoyé le NIR, le numéro d’inscription au répertoire INSEE, à la CNAMTS.

À l’IRDES, nous réceptionnons les données de la CNAMTS et de la CNAV et nous essayons d’apparier les données de carrière avec les données de consommation médicale d’assurance maladie.

Le premier objectif du projet est de monter un système d’information sur les indemnités journalières. Nous avons donc toutes les informations sur les IJ. Mais nous avons aussi des informations sur les bénéficiaires, leurs caractéristiques individuelles et leur consommation médicale agrégée, sur les affections de longue durée (ALD), les accidents du travail et les maladies professionnelles.

La base Hygie est un projet très innovant, qui permet de regrouper des données de carrières très riches, depuis l’âge d’entrée sur le marché du travail jusqu’à l’âge de la retraite. Nous pouvons ainsi suivre le choc provoqué sur le parcours professionnel par des arrêts maladie ou des problèmes de santé comme une ALD. Nous avons ainsi lancé, sur trois ans, une étude sur l’impact du cancer sur le parcours professionnel et sur le marché du travail, qui sera financée par l’Institut national du cancer (INCa) et l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC). Nous projetons d’étudier les déterminants des accidents du travail, des accidents professionnels et des indemnités journalières.

Sur les indemnités journalières et leur durée, nous avons produit en 2010 un premier travail, à partir des données 2005. Ce travail est très intéressant, mais il présente certaines limites. D’abord, il ne porte que sur l’année 2005. Ensuite, nous ne disposons pas de suffisamment d’informations sur la partie « entreprises » et donc sur la prise en charge du délai de carence, qui constitue un élément majeur dans la détermination individuelle de la prise d’arrêt maladie. Voilà pourquoi nous avons décidé, cette année, d’enrichir cette base avec d’autres appariements de bases administratives, comme celle des déclarations annuelles des données sociales (DADS) qui permettent d’identifier certaines caractéristiques de l’entreprise, comme sa taille, et surtout les mouvements de main-d’œuvre au sein de l’entreprise. On pourra ainsi étudier comment l’entreprise, pendant les périodes de crise économique, s’efforce d’établir un équilibre financier entre la gestion de la main-d’œuvre et le coût social des arrêts maladie. Des études intéressantes ont été publiées sur le sujet, surtout dans les pays du Nord, comme la Suède où, pendant les périodes de crise, certaines entreprises ont pu utiliser les arrêts maladie comme un moyen de dissimulation du chômage. Jusqu’à présent, en France, il n’était pas possible d’identifier la relation entre mouvements de main-d’œuvre, crise économique et arrêts maladie.

M. Yann Bourgueil. Cette base de données n’a pas vocation à être la propriété de l’IRDES. Nous faisons ce travail d’appariement et nous menons par ailleurs une activité de recherche à partir de ce travail. Cette base de données est aussi livrée à la CNAV, à la CNAMTS et à la DREES, qui ont chacune leur propre logique d’étude. Nous sommes d’ailleurs en train de construire le programme de travail avec la CNAMTS, qui travaille de façon naturelle et historique avec nous.

L’intérêt de cette base de données est non seulement qu’elle apparie des données qui n’étaient pas reliées à l’échelon individuel, mais qu’elle le fait aussi dans le temps. Cela nous permet de mener des études de causalité et de dire que tel ou tel facteur va déclencher telle ou telle augmentation d’IJ.

Il existe par ailleurs un comité d’exploitation de cette base, dans lequel sont représentés les différents partenaires, car ce n’est pas parce que l’on construit des bases de données que les gens vont s’en servir. Cela signifie qu’il faut, ensuite, que les institutions consacrent des moyens à son exploitation.

Des enrichissements sont prévus. Aujourd’hui, la base Hygie a des limites s’agissant des données médicales. L’information dont nous disposons pour caractériser la maladie ou l’état de santé est produite par les données de la CNAMTS : soit la dépense de santé, qui peut être considérée comme une approximation de l’état de santé ; soit l’indication d’une ALD, qui ne concerne pas tous les malades. Nous devrons sans doute travailler ultérieurement avec l’assurance maladie sur les moyens d’obtenir davantage d’informations sur l’état de santé.

Mme la rapporteure. Actuellement, vos analyses ne tiennent pas compte des conventions collectives, qui ont sans doute un impact important. Comment se fait-il que vous ne les ayez pas prises en compte dès le début ?

M. Mohamed Ali ben Halima. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il a fallu cinq ans à l’IRDES pour construire cette base de données. C’est en avançant dans notre travail que nous avons pris conscience des manques d’information, côté entreprises, ou au niveau individuel, côté médical. Voilà pourquoi, en partenariat avec l’INSEE nous avons décidé, à partir de cette année, d’enrichir cette base – étant donné que ce projet va se poursuivre jusqu’en 2014.

M. Yann Bourgueil. La mise en base de données de ces conventions collectives représente un travail lourd et fastidieux : il faut déchiffrer les conventions collectives, puis les rattacher au numéro de SIREN de l’entreprise. Nous avions construit la base Hygie avec la CNAMTS, la CNAV, la DREES. Il nous fallait un autre partenaire, en l’occurrence l’INSEE, qui possède ces données.

M. Mohamed Ali ben Halima. En 2004-2005, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail a déchiffré l’ensemble des conventions collectives pour une enquête qui lui était propre, mais elle ne s’est pas intéressée aux arrêts maladie ni à la partie complémentaire de leur couverture. Voilà pourquoi nous ne disposons pas de l’information correspondante et pourquoi nous sommes maintenant obligés de refaire le travail. Certes, sur le délai de carence et sa prise en charge, il n’y a que deux pages dans une convention collective. Mais il nous faut reprendre l’ensemble de ces conventions. Nous espérons qu’à la fin de 2013, nous pourrons produire des résultats sur la prise des arrêts maladie, à partir d’un panel allant de 2005 jusqu’à 2009, en étudiant la dynamique des arrêts et en prenant en compte l’information sur la partie complémentaire payée par l’entreprise.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous une idée de la proportion des demandes d’indemnités journalières qui sont adressées à l’assurance maladie alors qu’elles relèvent des accidents du travail ? Avez-vous fait une étude sur ce sujet ?

M. Yann Bourgueil. Vous pourriez solliciter à ce propos une jeune femme de l’IRDES, qui vient de terminer une thèse en économie de la santé sur ce sujet.

M. le coprésident Pierre Morange. Elle pourrait au moins nous transmettre sa note de synthèse.

M. Yann Bourgueil. Je vais lui dire de s’adresser à vous. Sa thèse visait à vérifier l’application du principe du casseur/payeur aux accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP). Sa conclusion était qu’un niveau de cotisation élevé contribuait à la baisse des accidents.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous évalué l’efficience des entreprises mandatées par les employeurs pour effectuer des opérations de contrôle, en complément du contrôle médical de l’assurance maladie ?

M. Yann Bourgueil. Non. Nous ne nous sommes pas intéressés à l’efficience des politiques de contrôle.

M. Mohamed Ali ben Halima. Nous n’avons pas non plus d’informations sur les arrêts maladie contrôlés.

Mme la rapporteure. Pourtant, les politiques de contrôle peuvent expliquer les différences relevées entre les départements. De fait, certaines caisses qui diligentent des contrôles fréquents obtiennent des résultats.

M. Mohamed Ali ben Halima. C’est une des conclusions de notre étude, menée en 2005, sur la disparité départementale des arrêts maladie – dont le volume peut varier de un à cinq selon les départements.

Nous avons en effet relevé trois variables à l’origine de ces disparités départementales : premièrement, le taux d’arrêts de travail contrôlés pour 1 000 IJ, qui explique presque 31 % de cette variance départementale ; deuxièmement, la densité de médecins généralistes, qui l’explique pour 28 % – élément à prendre avec un peu de précaution ; enfin, l’âge d’entrée sur le marché du travail, pour 23 %.

Nous avons mené notre analyse à partir d’un modèle assez complexe, qui prend en compte l’ensemble de ces variables, car nous disposons dans notre base Hygie des caractéristiques socioéconomiques de la population, des caractéristiques de l’établissement et de celles du contexte économique départemental. Nous avons ensuite tenté de chiffrer le poids de chaque variable dans cette variance départementale pour apporter de l’information utilisable pour les politiques publiques, l’objectif étant de savoir sur quelle variable il faut agir pour réduire la disparité entre les départements.

M. le coprésident Pierre Morange. Le premier paramètre est celui de l’efficience du contrôle. Un manque d’efficience est-il lié à une carence des effectifs des médecins contrôleurs dans certains départements ou simplement au fait que la doctrine du contrôle ne serait pas partagée sur l’ensemble du territoire de la République, pour des raisons culturelles ou philosophiques ? Certains assimilent encore la lutte contre la fraude à une « chasse aux pauvres ».

M. Yann Bourgueil. Dans ce modèle, nous avons utilisé un taux de contrôle de 1 000 IJ par département. Cette donnée nous a été fournie par la CNAMTS, laquelle nous a d’ailleurs fait remarquer qu’elle était très compliquée à interpréter. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas pu faire une analyse très fine de cette question.

Votre propos me paraît assez juste. La pratique médicale étant soumise à une très grande variabilité, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement de la pratique des médecins conseils. En outre, nous ne captons peut-être pas tous les paramètres et certaines réalités mériteraient sans doute d’être appréhendées de l’intérieur. Par exemple, dans le rapport qu’elle vous a adressé, la Cour des comptes fait état des IJ qui sont accordées par les hôpitaux après une opération. Or, pour avoir travaillé dans les hôpitaux, j’ai remarqué qu’on accordait systématiquement tant de jours d’arrêts maladie après telle opération, sans que personne ne se pose de questions sur cette façon de faire.

Il y a là tout un champ que nous n’étudions pas en tant que tel parce que nous ne sommes pas entrés dans l’analyse de la pratique des contrôles de l’assurance maladie, ni même dans celle de la pratique des médecins, laquelle est manifestement, elle aussi, hétérogène.

M. le coprésident Pierre Morange. Le deuxième paramètre est celui de la densité du corps médical. Certes, une offre plus importante aboutit à une production d’actes plus importante. Mais avez-vous adopté une approche plus discriminante en intégrant le fait que la densité médicale peut être liée à des caractéristiques territoriales ? Dans certains départements, notamment sur la Côte-d’Azur, la moyenne d’âge est légèrement supérieure à la moyenne nationale.

M. Mohamed Ali ben Halima. Dans notre modèle, nous avons pris en compte la densité médicale pour 1 000 habitants – information que nous avons récupérée à partir de la base de données Éco-Santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Il serait pourtant pertinent de prendre en compte le critère que j’évoquais, car cela permettrait de relativiser la multiplicité de l’offre par rapport à la spécificité de la demande.

M. Yann Bourgueil. Il ressort de notre étude que l’âge de la population contribue à la disparité entre les départements. Par ailleurs, il est logique de penser que lorsqu’il y a davantage de médecins, il soit plus facile d’accéder aux arrêts maladie. On peut faire aussi l’hypothèse selon laquelle, dans certains endroits, on n’en donne pas assez. Or il est utile d’obtenir un arrêt maladie quand on en a besoin.

Mme la rapporteure. Quand on en cherche vraiment, on en trouve !

M. Yann Bourgueil. Obtenir un arrêt maladie peut devenir un problème dans quelque temps.

On peut considérer qu’il y a une demande induite naturelle et une demande induite liée à l’hyperdensité médicale. Je pense qu’à une époque où la démographie médicale était très importante, les médecins avaient tendance à mieux répondre aux demandes de leurs patients, par crainte de perdre ceux-ci ou par crainte de la « concurrence ».

M. le coprésident Pierre Morange. Entre la réalité et le perçu, il y a toujours une grande différence.

M. Yann Bourgueil. Certains médecins ont reconnu que le fait de refuser des arrêts maladie n’éloignait pas les patients.

Mme la rapporteure. On peut toujours aller voir un autre médecin, connu pour donner des arrêts maladie, sans quitter pour autant le sien.

M. Mohamed Ali ben Halima. La CNAMTS est en train de monter un fichier descriptif sur le nombre d’arrêts maladie par pathologie.

La base Hygie révèle que presque 90 % des durées d’arrêts maladie sont inférieures à trois mois et donc que 10 ou 11 % d’entre elles sont supérieures à trois mois, ce qui correspond à peu près aux chiffres annoncés par la CNAMTS. En outre, 85 % des patients qui ont eu un arrêt de travail inférieur à trois mois vont jusqu’au quatrième jour de l’arrêt – et cela avant le changement de la loi sur le délai de carence.

Selon moi, se pose un problème mécanique de contrôle. Pour le moment, le salarié a le droit de déclarer son arrêt maladie après 48 heures de la prise d’arrêt maladie. Le temps que cette déclaration arrive à la CNAMTS et que l’on puisse étudier son cas plus précisément, le salarié est déjà retourné au travail. Je pense – et il me semble que cette remarque a été faite par la Cour des comptes – qu’il faudrait améliorer le système de transmission de l’arrêt maladie et passer à un système informatique plus sophistiqué qui ferait prendre conscience à certains salariés qu’un contrôle est susceptible d’être diligenté même à partir des deux premiers jours.

Mme la rapporteure. Il n’y a pas que ce problème mécanique. Il y a aussi la volonté, de la part des caisses, de privilégier le contrôle des arrêts longs, dans la mesure où c’est là qu’il y a les plus grosses économies à faire. Ce n’est pas la politique de la Mutualité sociale agricole (MSA) qui procède à des contrôles dès qu’un employeur l’appelle pour lui faire part de ses soupçons, même pour des arrêts courts. Et 20 % de ces contrôles sont positifs. La stratégie des caisses a donc son importance.

M. Mohamed Ali ben Halima. Dans le système actuel, les arrêts courts sont difficilement contrôlables.

M. le coprésident Pierre Morange. L’assurance maladie part du fait que 80 % du volume financier concernent des arrêts de plus de 45 jours. Sans compter que la population à contrôler est peu nombreuse.

Il est surprenant que les sociétés de contrôle mandatées par les entreprises ne communiquent pas avec la structure de référence, c’est-à-dire avec le contrôle médical, ce qui rend le système totalement inefficient. Par ailleurs, les entreprises ne sont pas elles-mêmes capables de préciser le volume financier qu’elles consacrent à ce type de contrôle. Cela dit, si les employeurs continuent à s’adresser à ces sociétés, c’est qu’ils y voient un certain intérêt.

Mme la rapporteure. Avez-vous des éléments de comparaison avec les autres pays européens ?

M. Mohamed Ali ben Halima. Par exemple, en Allemagne, la moyenne du nombre de jours d’arrêts maladie était en 2010 de 8,5 jours, contre 9 jours en France. Mais le système de prise en charge de l’assurance maladie est très différent du nôtre.

Nous disposons d’un tableau qui présente les délais de carence dans les différents pays européens : en Belgique et en Suède, ce délai est d’un jour ; au Luxembourg, aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne, il n’y a pas de délai de carence ; en Grèce, en Espagne, en France, en Irlande et en Italie, il atteint trois jours ; en Autriche, au Portugal et au Royaume-Uni, il est aussi de trois jours. En résumé, pour les pays du Sud, le délai de carence est en général de trois jours, et pour les pays du Nord, la prise en charge est presque totale.

M. le coprésident Pierre Morange. Mais quelle est la hauteur de cette prise en charge ?

M. Mohamed Ali ben Halima. En Allemagne, la prise en charge est de 70 % du salaire par les caisses d’assurance maladie. Il est possible – mais non obligatoire – que l’entreprise complète. Le système de conventions que nous connaissons en France n’existe qu’en Italie.

M. Yann Bourgueil. En Alsace et en Moselle, il n’y a pas de délai de carence. Le droit impose aux entreprises une prise en charge totale. D’ailleurs, un de nos objectifs est de comparer les arrêts des salariés en Alsace et en Moselle à ceux des salariés qui ont une convention collective. Pour cela, il faut que nous disposions de l’information sur la subrogation, c’est-à-dire sur la prise en charge du délai de carence par les employeurs. En effet, s’il y a un délai de carence, celui-ci est largement pris en charge – même de façon hétérogène – par les régimes de prévoyance que les entreprises cofinancent. La réalité est donc beaucoup plus complexe, et assez mal connue.

M. Mohamed Ali ben Halima. Au Luxembourg, la prise en charge est de 100 % du salaire, en Suède de 80 % et au Royaume-Uni, c’est un régime forfaitaire, différent selon les entreprises et les secteurs.

L’année prochaine, nous souhaitons mener une étude sur les salariés d’Alsace-Moselle partis travailler dans d’autres départements. Nous cherchons à savoir si, en changeant de régime d’assurance maladie, ils ont modifié leur comportement en matière de prise d’arrêts maladie. On peut en effet se demander si un système généreux encourage, ou n’encourage pas, les individus à prendre davantage d’arrêts maladie. En Alsace-Moselle, les arrêts maladie courts sont peut-être plus fréquents, mais la fréquence des arrêts longs est bien plus faible par rapport au reste de la population.

M. le coprésident Pierre Morange. La modification du système de protection sanitaire et sociale et l’apparition d’un nombre non négligeable de travailleurs pauvres en Allemagne ont-elles eu un impact sur la moyenne annuelle des jours d’arrêts maladie que vous nous avez donnée ?

M. Yann Bourgueil. Sur toutes ces questions-là, nous n’avons pas d’approches comparatives. La DREES pourrait vous répondre plus facilement. Elle a en effet tenu l’année dernière un séminaire portant sur la comparaison de l’ensemble des politiques sociales en France et en Allemagne.

M. le coprésident Pierre Morange. Merci pour ces informations. Nous serons attentifs à vos productions et aux propositions que vous pourriez nous faire.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie et des finances, accompagné de MM. Rémi Favier et Frédéric Gaven, chargés de mission à la délégation nationale à la lutte contre la fraude.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous accueillons monsieur Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie et des finances, accompagné de messieurs Rémi Favier et Frédéric Gaven, chargés de mission à la Délégation nationale à la lutte contre la fraude.

La MECSS s’intéresse actuellement à la prise en charge des arrêts de travail. Le rapport d’étape que la Cour des comptes nous a fourni en juillet 2012 a révélé la complexité et l’hétérogénéité du système actuel, qu’il conviendrait d’améliorer. Nous souhaiterions connaître votre analyse sur ce système et ses dérives. Comment évaluez-vous les fraudes aux arrêts de travail ?

M. Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude au ministère de l’économie et des finances. Le dispositif de lutte contre la fraude aux finances publiques a été réformé entre 2007 et 2012. En 2008, a été constituée, sous l’autorité du Comité national de lutte contre la fraude (CNLF), présidé par le Premier ministre ou, en son absence, par le ministre chargé du budget, la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), que j’ai l’honneur de diriger et qui s’occupe directement de tous les sujets liés à la fraude, qu’elle soit fiscale, douanière ou sociale – touchant les organismes de sécurité sociale (OSS) ou les organismes de protection sociale (OPS), comme Pôle emploi.

La DNLF est donc un organisme transversal qui, pour ne pas faire double emploi avec d’autres services, n’a aucun rôle opérationnel mais sollicite l’ensemble des acteurs de la lutte contre la fraude ainsi que l’ensemble des corps de contrôle luttant contre le travail illégal. Elle doit abattre les cloisons entre ces opérateurs pour leur permettre d’échanger leurs informations en toute confiance, sans s’abriter derrière le secret professionnel. Cela se fait dans le cadre de directives nationales qui, chaque année, renouvellent les priorités.

La DNLF a créé des comités départementaux anti-fraude (CODAF), coprésidés par le préfet et le procureur de la République, qui réunissent tous les mois – voire plus souvent lorsque le procureur le souhaite – la douzaine d’organismes compétents au niveau local en matière de lutte contre la fraude : fisc, douanes, URSSAF, inspection du travail, etc. C’est l’occasion de faire remonter au niveau national certains éléments relatifs aux différents types de fraudes et à des préjudices importants qui peuvent survenir au niveau local.

Ce réseau est animé par deux chargés de mission, basés à Paris mais qui se déplacent dans les départements. Il permet de nouer des contacts et d’apporter des éclairages juridiques, techniques, informatiques, etc.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. À quelle époque de l’année définissez-vous ces directives nationales ?

M. Benoît Parlos. J’envoie ces directives de contrôle nationales à la fin de l’année. Elles comportent un volet local, mais certains sujets d’ampleur nationale – par exemple les transports sanitaires ou les trafics de métaux –, qui ont des implications fiscales, douanières ou économiques, méritent d’être étudiés de très près. Toutes les actions sont mises en œuvre par le plan annuel de lutte contre la fraude, dont nous préparons l’édition 2013.

Mme la rapporteure. Si je comprends bien, vous établissez ce plan en fonction de ce que vous constatez pendant l’année et en fonction des remontées du terrain qui vous ont alerté sur tel ou tel élément préoccupant.

M. Benoît Parlos. Ce plan est préparé à partir des contributions des uns et des autres. Une fois que les priorités ont été établies, il constitue une feuille de route tant au niveau national qu’au niveau local. Mais il est exact que nous procédons en fonction des demandes. Il peut y avoir une demande de l’évolution de la législation, par exemple.

M. le coprésident Pierre Morange. Les CODAF sont-ils opérationnels et efficaces sur l’ensemble du territoire ?

M. Benoît Parlos. Je ne connais pas de réseau national qui soit opérationnel à 100 %. Afin de permettre aux acteurs d’organiser échanges d’informations et opérations conjointes, il importe de ne pas imposer un cadre trop rigide. Nous essayons de corriger les trop fortes disparités en faisant le point dans chaque département. Ainsi, en 2012, nous nous sommes déplacés une trentaine de fois dans ce dessein.

M. le coprésident Pierre Morange. Cette éventuelle disparité est-elle culturelle, liée aux territoires, aux hommes ?

M. Benoît Parlos. Après toute création de structure, une période d’adaptation est nécessaire. Sans doute, nous devons nous améliorer, mais nous partons de très loin. Sans renoncer à nos exigences, nous avons dû adopter une stratégie ouverte pour obtenir l’adhésion des différents acteurs au niveau local. De fait, aujourd’hui, les taux d’opérations de contrôle conjointes – par exemple entre l’URSSAF et la direction générale des finances publiques (DGFIP) sur les chantiers de BTP – sont bien plus importants qu’il y a quatre ou cinq ans.

M. le coprésident Pierre Morange. La fraude peut être fiscale ou sociale. Les trois quarts des quelque 20 milliards d’euros de fraude sociale – d’après les estimations de la Cour des comptes – sont liés à une fraude aux prélèvements et le dernier quart provient de la fraude aux prestations. D’autre part, le Gouvernement a érigé la lutte contre la fraude fiscale en pierre angulaire de son action. Or les deux types de fraude sont liés, l’une ne va pas sans l’autre, enquêter sur l’une permet de détecter l’autre. Toutefois, la Cour des comptes a souligné que les caisses primaires avaient du mal à accéder aux données de l’URSSAF et de Pôle emploi pour cibler leur contrôle. Parallèlement, dans le cadre des logiques d’interconnexion de fichiers, la MECSS ne cesse de préconiser l’automaticité des échanges d’informations.

M. Benoît Parlos. Nous entrons là dans le vif du sujet, s’agissant des arrêts de travail et des IJ. En ce qui concerne les croisements de fichiers, nous pouvons évoquer un début d’automaticité des échanges entre Pôle emploi et la CNAMTS. Tous les mois, Pôle emploi envoie à la CNAMTS les fichiers des chômeurs pour établir leurs droits en matière d’indemnités journalières et de maladie, ce qui leur permet de détecter des fraudes – cumuls entre le chômage et un emploi, récidives sur des fausses déclarations de salaires, « kit ASSEDIC ».

Ainsi, des filets de sécurité existent, mais ils servent peu. Par exemple, les CPAM n’utilisent guère les déclarations préalables à l’embauche (DPAE) ou les DADS qui informent sur les salaires. Il faudrait donc davantage recourir aux outils existants. Qu’ils soient ou non automatisés, des progrès sont nécessaires en ce domaine.

Par ailleurs, nous nous intéressons aux entreprises dites « éphémères » et étudions les possibilités que le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) peut nous offrir en matière de lutte contre la fraude – ce qui n’est pas spécifique aux IJ.

M. Rémi Favier, chargé de mission à la DNLF. Si l’on se réfère aux informations de l’URSSAF, il existe déjà aujourd’hui deux premiers filets de sécurité : les CPAM ont la possibilité de consulter les DPAE depuis 2008 et, depuis 2010, de reconstituer les carrières à partir des DADS. Elles pourraient utiliser ces fichiers pour exploiter de manière plus élaborée les informations qu’elles reçoivent. Ce premier niveau de contrôle permettrait de lutter contre la falsification de certains documents ou contre les entreprises éphémères. Si les moyens qui existent sont sous-utilisés, c’est parce que les organismes n’ont pas toujours eu le temps de faire tout ce qu’ils pouvaient faire.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous pourrons insister auprès de l’exécutif et des organismes assurantiels afin que ces derniers s’approprient les moyens qui sont à leur disposition, notamment au travers d’une logique plus industrielle, par le biais de processus automatiques d’échanges d’informations.

Mme la rapporteure. Pouvez-vous citer un exemple de cette utilisation des fichiers dans la lutte contre les fraudes aux indemnités journalières ?

M. Rémi Favier. Il existe différents types de fraude. Lorsqu’une personne modifie son salaire pour percevoir davantage d’indemnités journalières ou fait état d’une entreprise qui n’existe pas, la consultation des DADS permet de découvrir la réalité : on sait si l’entreprise existe, si elle a effectué une DADS, si les salaires perçus correspondent à ceux mentionnés dans la demande d’IJ. Ces vérifications très simples peuvent être effectuées en rapprochant les fichiers. Elles pourraient même être automatisées.

Avec la DPAE, on peut savoir si le salarié a bien été embauché par l’entreprise. En effet, si son embauche est récente, la DADS, qui est annuelle, n’aura pas encore été transmise. Mais la DPAE fournit déjà un indice sur la réalité de l’embauche.

Mme la rapporteure. La Cour des comptes explique que les fraudes aux IJ ne sont pas très importantes. Est-ce en raison d’une mauvaise connaissance ou d’une mauvaise utilisation des outils existants ? À moins que l’on constate beaucoup d’abus, mais peu de fraudes ?

M. Benoît Parlos. Il est ici question de fraudes administratives et non de fraudes médicales. La Cour des comptes se fonde sur une étude de la CNAMTS, qui faisait en effet apparaître des montants peu significatifs. Mais ce n’était qu’une ébauche, destinée à mesurer et à prouver une méthode statistique, aboutissant à des résultats globaux à partir de prélèvements d’échantillons aléatoires. Il est difficile de se prononcer aujourd’hui sur le niveau de fraude au travers de cette étude, qui ne prenait en compte qu’une partie du champ. L’amélioration de la méthode permettra d’affiner les résultats.

Mme la rapporteure. Les explications de la Cour des comptes ne recouvrent-elles pas forcément la réalité ?

M. Frédéric Gaven, chargé de mission à la DNLF. La Cour des comptes ne constate pas l’absence de fraudes, mais que l’étude administrative qui a été réalisée aboutit à la conclusion que les fraudes sont très faibles. Certains domaines ont été un peu moins explorés que d’autres, et mériteraient de retenir l’attention des caisses. Comme nous ne disposons que de cette première étude, nous manquons d’éléments d’appréciation.

Mme la rapporteure. Les caisses n’utilisent pas les outils qui leur permettraient de détecter les fraudes. Ces outils sont-ils faciles à manier ?

M. Rémi Favier. Ils sont assez simples à utiliser, même pour une personne qui n’est pas spécialiste. Cela dit, en matière d’automatisation, des projets de fond importants sont en cours. Ainsi, la déclaration sociale nominative (DSN) devrait conduire à modifier la méthode de déclaration des salaires. Les organismes ont du mal à améliorer leur gestion à court terme en sachant que, d’ici à quatre ou cinq ans, certains projets de long terme auront complètement changé leur mode de fonctionnement.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre des fraudes à grande échelle, a-t-on estimé, ne serait-ce que de façon schématique, le montant des détournements de fonds publics à vocation sanitaire ? A-t-on procédé à une ventilation qui aurait permis d’apprécier les fraudes aux IJ ? Il était malaisé, dites-vous, de se rendre compte des fraudes à partir des études qui ont été menées jusqu’à présent. Votre connaissance de ces piratages informatiques vous permet-elle d’évaluer l’importance des volumes financiers en jeu ?

M. Benoît Parlos. Il est évident qu’il existe un décalage entre la perception qualitative des fraudes en question, qui est très spectaculaire – qu’il s’agisse de cas individuels ou de processus collectifs – et le montant estimé. Mais, encore une fois, il est très difficile d’apprécier ce montant, parce qu’on est dans le domaine de l’occulte.

Les grandes fraudes sont le fait d’une chaîne de personnes qui élaborent toute une série d’opérations pour obtenir des indemnités indues. Nous n’en avons pas connu récemment en matière d’IJ. Mais dans le passé, elles se sont produites avec les fameux « kits ASSEDIC ».

Il serait important de pouvoir répercuter auprès des organismes de protection sociale certaines informations recueillies dans le cadre d’une action menée par les CODAF, par exemple en cas de travail dissimulé. Ainsi, lorsqu’il apparaît qu’un salarié ayant fait l’objet de travail dissimulé et ayant touché des prestations sociales est complice et non victime, il serait utile de pouvoir enregistrer cette donnée et de s’assurer que l’information parvienne aux organismes de sécurité sociale. Nous nous permettons donc de vous suggérer de prendre une disposition législative allant dans ce sens.

Il serait également important de faire en sorte que les indemnités journalières soient connues dans le RNCPS, non pas à l’issue d’un délai de trente jours, mais dans un délai de quinze jours.

M. Rémi Favier. Aujourd’hui, il est prévu que le RNCPS ne comporte que les arrêts de travail et indemnités journalières de plus de 15 jours. Une partie des arrêts courts n’y figurent donc pas. Il serait utile d’enrichir le RNCPS de telles données, qu’elles proviennent de la MSA ou du régime général. Mais je reconnais que cela ne relève pas du domaine législatif. Une circulaire suffirait.

M. Benoît Parlos. En matière de fraude sociale à grande échelle, on constate un phénomène singulier, qui n’est d’ailleurs pas spécifique aux indemnités journalières : les délinquants de droit commun cherchent souvent à percevoir des prestations sociales.

M. le coprésident Pierre Morange. D’où ma remarque sur l’articulation entre fraude fiscale et fraude sociale.

M. Benoît Parlos. Dans la mesure où ils tirent des revenus substantiels de leurs activités délictueuses – trafic de drogue ou autre –, les délinquants sont peu intéressés par les allocations telles que le revenu de solidarité active (RSA). En revanche, ils sont très attachés au remboursement des dépenses de santé.

Par ailleurs, plus le temps passe, plus l’indu versé par les organismes de sécurité sociale est élevé. Quand ils découvrent ces fraudes ou en sont informés, les organismes de sécurité sociale peuvent désormais suspendre le versement de l’ensemble des prestations, depuis l’adoption, l’année dernière, de l’amendement présenté par M. Dominique Tian.

Ce type de fraude nous est souvent signalé par les CODAF. Nous en faisons état dans notre « flash info ». La presse quotidienne régionale s’en fait également l’écho.

Certaines fraudes portent en outre sur des actes médicaux fictifs et bénéficient de la complicité des professionnels de santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Il est essentiel, pour lutter contre ces pratiques, que les échanges d’informations soient réalisés de manière automatique.

M. Rémi Favier. Les fraudes à grande échelle sont détectées de deux manières : soit dans le cadre d’activités de renseignement, soit à l’occasion de contrôles effectués sur des dossiers individuels, lorsqu’un organisme découvre des anomalies qui se répètent et procède à des recoupements avec d’autres organismes. Les CODAF sont très utiles de ce point de vue : ils permettent aux contrôleurs de différents organismes de partager l’information. Comme le succès d’une enquête de police, la détection des fraudes à grande échelle dépend, pour une part, de la qualité des recherches menées et, pour une autre, de la chance.

M. Benoît Parlos. Comme le relève la Cour des comptes, l’exploration des données ou data mining est un outil performant pour détecter les fraudes à grande échelle. Après un long processus d’échanges avec la CNIL, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) y recourt désormais régulièrement et enregistre des résultats probants : elle a multiplié son taux de détection des fraudes par 1,5. Si cette expérience n’est pas entièrement transposable à la branche maladie, il conviendrait néanmoins d’encourager la CNAMTS – dont les premières expérimentations en la matière se sont révélées décevantes – à développer le data mining.

La MSA, la DGFIP et la direction générale des douanes et des droits indirects s’y intéressent également de près.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS travaille aussi sur le financement de la politique familiale en France. C’est un enjeu tant pour les finances publiques – nous y consacrons 50 milliards d’euros par an si l’on retient un périmètre restreint, 100 si l’on inclut la dépense fiscale – que pour la compétitivité de notre économie.

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, le législateur a modifié les critères d’éligibilité à certaines prestations familiales. En particulier, il appartient désormais à l’assuré d’apporter la preuve de son isolement économique. Cette disposition a-t-elle pu être utilisée dans le cadre de la lutte contre la fraude ou les abus ?

M. Benoît Parlos. C’est en effet un changement radical. Nous ne disposons pas encore d’éléments à ce sujet. Il conviendrait d’interroger la direction de la sécurité sociale.

M. Frédéric Gaven. Nous disposons de peu d’études précises sur la fraude sociale à grande échelle. Néanmoins, la CPAM de l’Aube a mené une expérimentation intéressante, mentionnée par la Cour des comptes : elle a effectué des visites au domicile des salariés en arrêt de travail pendant les heures de présence obligatoire et s’est ainsi rendu compte que 26 % des personnes contrôlées étaient absentes.

M. le coprésident Pierre Morange. Qui vous a fourni ce chiffre ? Nous avons auditionné la semaine dernière des organismes de contrôle qui sont mandatés par les entreprises pour procéder à des contre-visites médicales : ils se sont plaints de l’absence de communication avec les CPAM, qui rejettent souvent les résultats des contre-visites, soit parce qu’ils ne sont pas transmis par les médecins contrôleurs eux-mêmes, soit parce qu’ils le sont après le délai légal de 48 heures.

M. Frédéric Gaven. Ce chiffre est cité dans son rapport par la Cour des comptes, qui mentionne les chiffres de la CPAM de l’Aube à l'origine des contrôles.

Mme la rapporteure. Ces contrôles ont-ils porté sur des arrêts de travail de courte ou de longue durée ?

M. le coprésident Pierre Morange. Nous auditionnerons prochainement les responsables de l’assurance maladie dans la région Champagne-Ardenne et les interrogerons à ce sujet.

M. Frédéric Gaven. Nous avons constaté, comme la Cour des comptes, l’absence de chiffre bien établi concernant la fraude administrative. Selon l’unique étude réalisée, elle serait très faible. Cependant, à notre connaissance, la CNAMTS ne dispose pas de données agrégées au niveau national.

M. Benoît Parlos. C’est un problème de collecte des données et d’organisation administrative.

En revanche, la CNAMTS dispose d’outils performants et de chiffres fiables en ce qui concerne les arrêts de travail de longue durée – au-delà de 45 jours, d’une part, et de 6 mois, d’autre part. Néanmoins, les contrôles réalisés en la matière sont de nature non pas administrative, mais médicale.

M. Frédéric Gaven. Les CPAM réalisent environ 2 millions de contrôles médicaux par an – 2,3 millions en 2011 – et les données agrégées par la CNAMTS sont en effet très précises. Il est dommage qu’elle ne dispose pas de chiffres analogues pour la fraude administrative.

M. le coprésident Pierre Morange. Pourtant, la fraude administrative peut être caractérisée de manière beaucoup plus objective que la fraude ou les abus relatifs à l’état de santé des salariés.

M. Benoît Parlos. C’est pourquoi nous nous sommes toujours interdits d’inclure dans le champ de la fraude les questions relevant du domaine médical. Nous n’aurions d’ailleurs aucune légitimité pour le faire.

Cependant, cela ne disqualifie en rien les nombreux contrôles médicaux réalisés par les CPAM.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle évaluation faites-vous des systèmes informatiques ? Peut-on espérer réaliser des contrôles efficaces sans outils de traitement de l’information performants ?

M. Rémi Favier. Tous les informaticiens souhaiteraient évidemment disposer de systèmes neufs et de machines plus puissantes, notamment dans la branche maladie, qui traite un nombre très important de dossiers de remboursement.

Les enjeux dans le domaine informatique sont importants. Certains problèmes techniques – par exemple les échanges d’informations sécurisés – sont aujourd’hui réglés. La difficulté consiste à déterminer de manière rationnelle les aspects sur lesquels nous devrions faire porter en priorité nos efforts. Il convient désormais de mener de front la simplification des procédures pour les usagers et la sécurisation de ces procédures. La recherche des fraudes est une opération longue. Il est préférable de sécuriser les procédures de manière à réduire les fraudes, voire à les rendre impossibles.

M. le coprésident Pierre Morange. Que conviendrait-il d’améliorer en priorité ?

M. Rémi Favier. Au-delà des projets en cours, il serait très utile de pouvoir mieux confronter les déclarations sociales faites par les entreprises, d’une part, et les droits ouverts aux assurés, d’autre part. Nous éprouvons encore des difficultés en la matière. La DSN permettra, certes, des évolutions, mais elle ne sera généralisée que dans quelques années…

M. le coprésident Pierre Morange. Elle ne le sera peut-être pas avant trois à cinq ans.

M. Rémi Favier. Ces sujets figurent dans les conventions d’objectifs et de gestion de la sécurité sociale. Il conviendrait de progresser plus rapidement, sans attendre l’introduction de la DSN.

M. Benoît Parlos. Plusieurs organismes sont confrontés à de réelles difficultés informatiques : saturation des systèmes, passage de certains paliers techniques, changements de cap dans la conduite des projets, etc. Certains d’entre eux, telle la direction déléguée aux opérations de la CNAMTS, soulèvent la question des moyens.

Outre le RNCPS, de nombreux projets ont été menés à bien ces dernières années, par exemple l’instauration de la déclaration unique de revenus dans la branche famille.

Actuellement, chacune des quatre caisses nationales est en train de créer son propre fichier des fraudeurs. Trois des quatre fichiers ont déjà été validés par la CNIL. La MSA va également développer le sien. C’est un progrès important.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous une estimation du nombre de personnes qui figurent dans ces fichiers ?

M. Rémi Favier. Chaque fichier devrait comporter à terme quelques dizaines de milliers de noms. À ce stade, la CNAF en compte plus de 8 000 par an. L’outil permet de détecter les fraudeurs récidivistes et de les signaler aux autres organismes sociaux.

M. Benoît Parlos. Néanmoins, il n’y a pas, à ce stade, d’interconnexion entre les quatre fichiers. Cela n’entrerait pas dans le cadre des autorisations délivrées par la CNIL.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie, monsieur le délégué national, messieurs, de votre contribution à nos travaux.

La séance est levée à onze heures trente.