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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 24 janvier 2013

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 09

Présidence de M. Jean-Marc Germain, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » :

– MM. Michel et Camille-Frédéric Pradel, avocats en droit social

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 24 janvier 2013

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Jean-Marc Germain, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de MM. Michel et Camille-Frédéric Pradel, avocats en droit social, sur les « arrêts de travail et les indemnités journalières ».

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui MM. Michel et Camille-Frédéric Pradel, avocats en droit social, pour évoquer les arrêts de travail.

Selon une communication de la Cour des comptes, les arrêts de travail entraînent une dépense dynamique et mal connue. Ainsi, l’indemnité journalière complémentaire versée par l’employeur n’a fait l’objet d’aucune évaluation.

Messieurs, nous souhaitons aborder aujourd’hui les aspects juridiques de la question, notamment la définition du comportement abusif, distinct de la fraude.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Nous aimerions également que vous nous apportiez des éclaircissements sur les contrôles.

M. Camille-Frédéric Pradel, avocat. Le comportement abusif peut relever de la fraude. La fraude est toujours illicite, mais elle résulte soit de l’utilisation de moyens illicites, soit de l’usage de moyens licites. C’est le cas de l’abus de droit, qui existe depuis fort longtemps en matière fiscale, et a été codifié depuis peu en matière sociale, le code de la sécurité sociale permettant aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’écarter des actes constitutifs d’un abus de droit. Un arrêt de travail de 1 000 jours pour un lumbago – situation qui n’a rien d’un cas d’école – peut-il être qualifié d’abusif ou doit-il être assimilé à de la fraude ?

Selon le doyen Cornu, « l’abus est l’usage excessif d’une prérogative ». L’excès est parfaitement défini par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) dans une circulaire de 2012 qui indique que « sont qualifiées d’activités abusives celles qui rassemblent de manière réitérée des faits caractéristiques d’une utilisation d’un bien, d’un service ou d’une prérogative outrepassant des niveaux acceptables par rapport à des références ou des comparatifs non juridiques ». Parmi les circonstances retenues, la CNAMTS cite les « prescriptions d’arrêts de travail ouvrant droit à indemnités journalières au-delà du besoin de repos du patient ».

Quant aux référentiels, qui ont été émis par la CNAMTS après avis de la Haute Autorité de santé, ils sont prévus à l’article L. 161-39 de code de la sécurité sociale qui énonce : « L’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les caisses nationales chargées de la gestion d’un régime obligatoire d’assurance maladie peuvent consulter la Haute Autorité de santé sur tout projet de référentiel de pratique médicale élaboré dans le cadre de leur mission de gestion des risques, ainsi que sur tout projet de référentiel visant à encadrer la prise en charge par l’assurance maladie d’un type particulier de soins ». Ainsi, un comportement abusif pourrait être qualifié par le biais de ces référentiels, validés par la Haute Autorité de santé. Sachant que l’abus signifie le dépassement de certaines normes et que les référentiels indiquent des durées maximales, la situation est selon moi potentiellement abusive lorsque la durée du référentiel est atteinte deux ou trois fois.

Mme la rapporteure. La situation peut-elle être qualifiée d’abusive de la part du médecin ou de la part du patient ? Les référentiels ne s’imposent pas aux prescripteurs, mais leur servent simplement d’indications.

M. Camille-Frédéric Pradel. La situation est potentiellement abusive au regard du soin délivré par le praticien, diplômé de médecine, et dont bénéficie l’assuré. Les arrêts de travail de 1 000 jours pour un lumbago sont potentiellement abusifs. Ceux de plusieurs centaines de jours pour cause de déchirure musculaire, qui sont également très fréquents, peuvent l’être.

À mon sens, le juriste ne doit pas s’interdire de s’interroger sur l’existence potentielle d’abus dans des situations où une prérogative juridique produit des effets, en l’occurrence la prescription d’un arrêt de travail. Certains juristes estiment que cette question ne peut être posée au motif qu’un soin, puisqu’il est prescrit, ne peut être abusif. C’est alors au médecin expert ou au médecin contrôleur de trancher.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Dans vos exemples, l’abus est le fait du médecin puisque c’est lui qui décide du nombre de jours d’arrêt. Quels moyens juridiques permettraient d’en juger sans contredire les principes fondamentaux du droit ?

M. Camille-Frédéric Pradel. À mon sens, le système doit respecter deux principes : d’une part, la date de consolidation doit être fixée par le service public de sécurité sociale et, d’autre part, la liberté de prescription médicale est garantie par la Constitution. À cet égard, dans une décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1990, il est indiqué que le libre choix du praticien a pour corollaire la liberté de prescription. Par conséquent, les référentiels ne doivent en aucun cas être impératifs, car rien ne peut remplacer le colloque singulier entre un médecin et son patient, mais ils pourraient être utilisés comme déclencheurs des contrôles. Actuellement, en effet, le seul critère de contrôle des dossiers est la durée de l’arrêt de travail, sans référence à la pathologie diagnostiquée et prise en charge. Cette situation aboutit à des contrôles aveugles, alors qu’un arrêt de 45 jours paraît justifié pour une fracture ouverte, mais discutable pour une angine. L’utilisation du référentiel comme déclencheur des contrôles permettrait d’uniformiser les pratiques au plan national.

Dans les faits, un arrêt de moins de 2 jours est incontrôlable puisque l’assuré dispose de 48 heures pour l’adresser à qui de droit. Comme l’a indiqué la Cour des comptes, un arrêt de travail de moins de 7 jours est également incontrôlable en raison des délais d’acheminement du courrier. En pratique, les arrêts compris entre 7 et 45 jours ne sont quasiment jamais contrôlés. En théorie, les arrêts supérieurs à 45 jours sont systématiquement contrôlés, mais je peux vous assurer que la majorité des dossiers litigieux ne le sont pas – il y a parfois des contrôles pour des arrêts de 150 ou 200 jours, mais il peut aussi n’y en avoir aucun pour des dossiers à 1 000 jours.

Mme la rapporteure. La CNAMTS a pu, grâce aux référentiels, identifier un certain nombre de médecins « hyperprescripteurs » et mettre en place un système d’entente préalable. En outre, la caisse primaire de la Marne, par exemple, cible les arrêts courts et itératifs, ce qui a permis de faire diminuer le nombre de prescriptions.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous expliquez qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la pathologie pour juger du caractère abusif d’un arrêt de travail. Mais nous savons tous qu’il est possible de faire appel à un médecin de complaisance.

La fixation de durées maximales de prescription initiale – par exemple de 300 jours pour un lumbago – serait-elle contraire à la liberté de prescription médicale, dont la valeur constitutionnelle n’a pas été, au demeurant, reconnue à ce jour ? La prescription de durées plus courtes et renouvelables ne vous semble-t-elle pas préférable à des durées longues assorties d’éventuels contrôles ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Jamais un référentiel ne pourra imposer une durée minimale, car ce serait porter atteinte au principe constitutionnel de liberté de prescription du médecin. Seul un processus de contrôle peut vérifier le bien-fondé de la durée prescrite. Certes, l’avenir est dans la dématérialisation des arrêts de travail – ce qui permettra d’ailleurs de résoudre en partie le problème du délai de 48 heures pour leur transmission. Néanmoins, le logiciel d’avis d’arrêt de travail ne devra en aucun cas encadrer la décision du médecin : il pourra éventuellement lui signaler qu’il dépasse le référentiel, mais non limiter sa liberté de prescription.

Comme vous l’avez souligné, certains médecins sont plus prescripteurs que d’autres – c’est la preuve que les arrêts de travail peuvent donner lieu à des abus. Les référentiels doivent donc guider l’action de contrôle. En effet, un service chargé du contrôle médical devrait être alerté face à une pathologie qui bénéficie de 600 jours d’arrêt au lieu des 20 jours indiqués par le référentiel. La dématérialisation devrait faciliter les contrôles, par exemple en listant les pathologies.

Il s’agit, en fait, d’un problème de moyens. Il convient de rationaliser les contrôles, car il est plus utile de se pencher sur un dossier à 45 jours pour une angine, même si l’arrêt peut être justifié dans certains cas, que pour une fracture ouverte.

En tout état de cause, la solution demeure l’expertise. Les juristes doivent comprendre qu’ils ne sont pas médecins. Comme je l’ai souligné dans un article paru dans La Semaine juridique, un certain nombre de décisions définitives du juge du fond ont constaté des situations abusives – je cite notamment le cas d’un arrêt de travail de 944 jours pour lequel le juge judiciaire a considéré de manière définitive qu’une journée aurait suffi.

Dans le cadre du contrôle, si la caisse primaire prend sa décision relative à la date de consolidation sur la base de l’avis émis par le service médical, il s’agit d’une décision de nature administrative. Si l’assuré conteste cette dernière, il peut recourir à la procédure des contestations d’ordre médical prévue à l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale. Une expertise contradictoire est alors diligentée avec le médecin traitant, le médecin de la caisse primaire et un médecin tiers. Enfin, si le litige perdure, le contentieux est renvoyé devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Dans ce cas, le code de la sécurité sociale impose au juge de nommer un expert. Ainsi, le juge pourra trancher grâce à l’avis éclairé d’un médecin. Comme vous le constatez, il faudra toujours des hommes pour procéder aux contrôles.

Mme la rapporteure. Pouvez-vous nous parler de votre activité ? Ce genre d’affaires est-il en augmentation ? Qui vous saisit ?

M. Camille-Frédéric Pradel. En tant qu’avocats, nous sommes amenés à plaider devant les juridictions sur ce type de problématique. Certains dossiers ne font jamais l’objet de contestation – c’est le cas des arrêts pour fracture ouverte, par exemple. En revanche, il peut y avoir contestation lorsque la durée de l’arrêt paraît anormalement longue au regard de la pathologie déclarée. Dans ce cas, et si le litige perdure, il doit être tranché par un juge. Nous sommes donc amenés à saisir une juridiction qui ordonnera une expertise médicale.

Mme la rapporteure. Qui fait appel à vous, les entreprises ou les salariés ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Nous défendons les deux. Les salariés peuvent contester la date de consolidation sur la base de l’article L. 141-1 du code de la sécurité sociale. Les employeurs ne bénéficient pas de cette procédure. Après qu’ils aient saisi la justice, le juge nomme un médecin expert – bien sûr soumis au secret professionnel – qui doit trancher le litige. Je pense d’ailleurs qu’il serait préférable que les employeurs et les salariés puissent bénéficier de la même procédure.

Pour les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), le médecin expert judiciaire examine les seuls aspects du dossier qui concernent les prises en charge liées à la législation concernant les maladies professionnelles, avant de trancher le litige sur le plan médical. Ensuite, le juge suit ou non l’avis du médecin expert, mais il n’y a pas de raison qu’il ne le fasse pas si cet avis est motivé.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Est-il arrivé qu’un employeur ou un salarié condamné se retourne contre le médecin ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Non. Une telle situation poserait la question de la recevabilité de la demande, sans compter qu’il n’est pas certain que le lien de causalité entre le préjudice invoqué et la prescription puisse être prouvé.

Le droit de la sécurité sociale est un droit autonome. Ainsi, en cas de refus de prise en charge d’une pathologie déclarée au titre de la législation relative aux maladies professionnelles, refus confirmé devant un tribunal des affaires de sécurité sociale, la chambre sociale de la Cour de cassation estime qu’un juge prud’homal peut considérer l’inaptitude d’un salarié comme étant d’origine professionnelle. Ainsi, même si un patient se voit refuser la prise en charge de sa dépression au titre des maladies professionnelles, celle-ci ne figurant pas dans le tableau des maladies professionnelles, le droit du travail peut considérer que la pathologie qui est à l’origine de son inaptitude est tout de même d’origine professionnelle. Les droits sont donc autonomes. Un médecin a d’ailleurs la possibilité de justifier l’arrêt maladie au titre d’une autre cause que celle qui aurait pu légitimer l’arrêt de travail au titre des AT-MP.

À ma connaissance, aucune action n’a été intentée contre des médecins, et je pense qu’il n’y en aura pas. Du reste, ce serait assez hasardeux sur le plan juridique au regard de la recevabilité et du lien de causalité, mais aussi de la protection du secret médical.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le système repose sur la liberté de prescription du médecin, mais aussi sur celle du patient qui peut suivre ou non la prescription. Que se passe-t-il si l’arrêt maladie a dû être prolongé parce que le patient n’a pas suivi la prescription médicale ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Deux cas de figure peuvent se présenter.

Soit la personne a continué à faire des sorties pendant un arrêt de travail qu’elle a transmis auprès de sa caisse et de son employeur. Dans ce cas, la sécurité sociale peut prendre des sanctions. Un arrêt de la Cour de cassation a même considéré de façon sévère qu’un membre d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui s’était rendu pendant son temps de sortie autorisé à une réunion de ce comité pouvait être sanctionné par la caisse primaire.

Soit la personne est retournée sur son lieu de travail pendant son arrêt. Dans ce cas, les choses sont très compliquées, car l’arrêt implique la suspension du contrat de travail et la réintégration du salarié après une visite auprès du médecin du travail. En outre, si l’employeur a connaissance de la prescription médicale, il ne peut accueillir le salarié au sein de l’entreprise. Dans un arrêt du 21 novembre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a condamné un employeur à payer la sanction à laquelle avait été condamnée sa salariée, le remboursement des indemnités journalières, pour s’être présentée de sa propre initiative sur son lieu de travail alors qu’elle était en arrêt maladie.

Mme la rapporteure. Que se passe-t-il si le salarié ne dépose pas son arrêt de travail ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Des salariés ne font part à personne de l’arrêt de travail dont ils bénéficient. Ce choix renvoie à leur liberté de suivre ou non la prescription médicale. Un problème se pose si l’employeur en a connaissance ou si, dans des litiges prud’homaux, le salarié indique que l’employeur savait, alors que cela n’est pas certain. Dans ce cas, il revient au juge de trancher. C’est tout l’objet du droit de la preuve.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Ainsi, le médecin ne serait jamais partie prenante des contentieux, ce qui est surprenant, car il peut se tromper. Le patient et le médecin ne sont-ils pas coresponsables ?

Mme Barbara Romagnan. Si une personne bénéficie d’un arrêt de travail, c’est parce que le médecin le lui a prescrit : il y a donc bien un lien de causalité.

M. Camille-Frédéric Pradel. Le principe de l’indépendance des rapports – patient et médecin, médecin et caisse, employeur et salarié, caisse et employeur – s’applique en notre matière. Ce principe, décrit dans la plupart des ouvrages juridiques, a été cité par la Cour de cassation et repris par la CNAMTS dans plusieurs de ses circulaires. Il me semble important de préserver cette indépendance de contentieux. Je m’explique avec un cas que j’ai eu à traiter.

Une personne atteinte d’un cancer a été prise en charge par l’assurance maladie en tant que victime de l’amiante. Or une expertise médicale a établi par la suite que le cancer du poumon n’était pas primitif. Autrement dit, la décision de prise en charge de la maladie a été jugée illégale. La personne doit-elle rembourser les indemnités qu’elle a touchées ? Grâce au principe de l’indépendance des rapports, les sommes seront mutualisées entre employeurs du même groupe et les droits du salarié seront préservés.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La cour d’appel de Douai a considéré que les salariés ont été trop indemnisés en cumulant les indemnités de la sécurité sociale et celles du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Il n’y a donc pas une totale indépendance.

M. Camille-Frédéric Pradel. En droit français, si un juge d’appel accorde une indemnité inférieure à celle accordée par le juge du premier degré, c’est la décision du juge d’appel qui doit être prise en compte. La situation de la victime est humainement très douloureuse si elle a dépensé les sommes qui lui ont été versées avant le jugement en appel. Ces affaires ne portent pas atteinte au principe d’indépendance des rapports. Le salarié pouvait de toute façon bénéficier de manière définitive de sa prise en charge.

S’agissant de l’action contre le médecin libéral ou le médecin hospitalier à l’origine de l’arrêt de travail, je persiste à penser que les choses sont très compliquées. Il faudrait que l’employeur démontre le lien de causalité entre son préjudice et le caractère non pertinent sur le plan médical de la prescription. Or le médecin peut indiquer que le jugement ne lui est pas opposable.

Mme Barbara Romagnan. Pour un salarié dont l’arrêt est jugé excessif, le lien avec la prescription du médecin est évident.

M. Camille-Frédéric Pradel. Vous évoquez l’hypothèse du salarié intentant une action contre son médecin. Or la décision de justice que j’ai citée, selon laquelle 945 jours d’arrêt de travail n’étaient pas justifiés et qu’un seul suffisait, ne porte pas atteinte aux droits du salarié, car, d’une part, le salarié n’est pas partie à l’instance et, d’autre part, le principe de l’indépendance des rapports s’applique. Il ne s’agit pas d’un litige entre le salarié et la caisse, mais d’un litige entre un employeur et la caisse. En cas de litige entre un salarié et la caisse, il faudrait que celle-ci ait décrété la consolidation et que le salarié conteste sa décision.

Mme la rapporteure. Ainsi, une fois le jugement rendu, il n’est jamais demandé au patient de rembourser les indemnités journalières qu’il a perçues ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Non, cela ne lui est pas demandé puisqu’il a bénéficié d’une prescription médicale : il n’a rien volé.

Pour en revenir aux abus, la solution serait de diligenter des contrôles et que la caisse fixe la consolidation en temps et en heures.

Le rapport d’information de la MECSS de votre collègue Dominique Tian sur la lutte contre la fraude sociale indique que les fraudes au titre des indemnités journalières s’élèvent à 23 millions d’euros chaque année, pour un budget total de 9 milliards d’euros. La proportion est infime : le système serait-il vertueux ? Les taux d’avis défavorables des médecins conseils, présentés dans la communication de la Cour des comptes, varient de 10 % à 15 % – ce qui correspond à peu près au taux des situations présentant des difficultés, preuve que la majorité des arrêts de travail est justifiée. Néanmoins, les difficultés ne résident pas dans les 1 % à 2 ‰ d’arrêts détectés par le système, qui décèle les véritables fraudes, telle que la falsification d’un arrêt de travail, mais dans la difficulté à appréhender les situations potentiellement abusives.

Concrètement, il faudrait s’attacher à la notion de pertinence médicale en différenciant le confort du soin. Le législateur ne devrait-il pas se demander si la société souhaite des arrêts prescrivant y compris du confort ou des arrêts ne prescrivant que du soin ?

Mme la rapporteure. Cela dépend de l’activité de l’assuré.

M. Camille-Frédéric Pradel. C’est le médecin qui décide en fonction de la situation particulière de l’assuré. La question à laquelle il faudrait répondre est : « La situation du patient interdit-elle le travail ? », et non : « La situation nécessite-t-elle un arrêt de travail ? »

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cette question n’est pas évidente, car le médecin peut choisir de prescrire un arrêt de travail à un salarié très fatigué ou déprimé, mais apte physiquement à venir travailler, afin que celui-ci ne sombre pas davantage et puisse reconstituer ses forces.

M. Camille-Frédéric Pradel. Dans ce cas, le service public de sécurité sociale peut diligenter un contrôle et trancher la question par le biais d’une expertise. Encore une fois, si les hommes gardent la maîtrise du système, il doit fonctionner.

Ce sont les arrêts de 1 000 jours, sur lesquels il n’y a eu aucun contrôle, qui se révèlent problématiques. De plus, les contrôles à 45 jours, qui existent pour de nombreux dossiers, sont loin d’être systématiques.

Mme la rapporteure. Certains estiment que le système de contrôle n’est pas efficace.

M. Camille-Frédéric Pradel. La question des moyens se pose, car les médecins conseils sont sans doute débordés. Il serait judicieux de mieux cibler les contrôles sur les situations les plus problématiques. Pour l’heure, ils ne sont déclenchés qu’en fonction de la longueur de l’arrêt, sans référence à la pathologie.

Mme la rapporteure. Des entreprises privées peuvent déclencher des contrôles. Qu’en pensez-vous ?

M. Camille-Frédéric Pradel. Le service public doit toujours conserver la maîtrise du coût. Il serait dangereux que, à l’avenir, les employeurs suppléent la carence de la caisse primaire et diligentent les contrôles par le biais des contre-visites médicales, en faisant appel à des sociétés privées. C’est au service public de sécurité sociale de détecter la fraude, par exemple en vérifiant si le salarié est présent à son domicile, démarche qui ne peut être confiée à une entreprise privée. Dans un jugement de 2012, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a confirmé que la contre-visite médicale doit être assurée par la caisse primaire, comme le prévoit la loi, et non par l’employeur. Sinon, ce serait une forme de privatisation du service public.

Mme la rapporteure. L’employeur déclenche le contrôle de présence à domicile quand il sait que son salarié est dans une situation abusive et que la caisse primaire n’a pas diligenté le contrôle.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Votre réponse laisse entendre que le contrôle réalisé par des entreprises privées n’est pas légal.

M. Camille-Frédéric Pradel. La loi prévoit que les employeurs peuvent faire procéder à une contre-visite médicale, mais que celle-ci permet simplement d’indiquer si l’arrêt est justifié, sans référence aux motifs de l’arrêt. Une personne peut bénéficier d’un arrêt accident du travail-maladie professionnelle et souffrir également d’une pathologie très grave : dans ce cas, l’employeur saura que l’arrêt est justifié, sans connaître la pathologie.

Selon la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, si la contre-visite médicale de l’employeur indique que l’arrêt n’est pas justifié, l’employeur peut suspendre le versement de la part complémentaire de l’indemnité journalière, mais uniquement pour la durée de l’arrêt. En pratique, l’effet est heureusement très limité. Il est normal qu’une initiative d’origine privée n’ait pas pour conséquence de supprimer définitivement la possibilité pour un salarié qui souffre d’une pathologie de bénéficier de prescriptions médicales et d’indemnités journalières.

Enfin, il est heureux que cette contre-visite n’ait pas pour conséquence de consolider la situation du salarié vis-à-vis de la caisse primaire.

Une telle initiative privée ne peut avoir des effets que dans le cadre des relations privées. Elle est donc nécessairement circonscrite – d’autant que le secret médical s’impose. La contre-visite médicale à l’initiative de l’employeur sera donc toujours limitée.

Enfin, la loi prévoit que le contrôle médical est assuré par la CNAMTS.

La solution n’est pas de se passer du service public sous prétexte qu’il présente des carences. Elle est de faire en sorte que le service public utilise les moyens dont il dispose de façon pertinente.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Merci pour vos éclaircissements.

La séance est levée à dix heures.