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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 31 janvier 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » :

– M. Franck Von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), et M. Denis Raynaud, adjoint à la sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie (OSAM) du ministère des affaires sociales et de la santé

– M. Alain Brousse, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie de Bayonne, Mme Véronique Toulouse, sous-directrice en charge de la production et de la régulation, et Mme Julie Chapron, chef du projet mission indemnités journalières

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 31 janvier 2013

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de M. Franck Von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), et de M. Denis Raynaud, adjoint à la sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie (OSAM) du ministère des affaires sociales et de la santé.

M. le coprésident Pierre Morange. Je souhaite la bienvenue à MM. Franck Von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et Denis Raynaud, adjoint à la sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie (OSAM) du ministère des affaires sociales et de la santé.

M. Franck Von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) du ministère des affaires sociales et de la santé. Je me propose de présenter rapidement l’éventail des sources et des informations dont nous disposons sur la question des indemnités journalières (IJ). Comme vous avez déjà procédé à plusieurs auditions et que vous disposez de la communication de la Cour des comptes sur ce sujet, il me sera difficile de vous faire part de nouvelles études dont la Cour, par exemple, n’aurait pas eu connaissance l’année dernière. Il me semble néanmoins utile de remettre en perspective les différentes sources et les actions qu’elles ont permis d’engager, avant d’évoquer les informations qui devraient être disponibles dans les prochaines années.

S’agissant de l’état des lieux, trois types d’interrogations sont particulièrement intéressantes : combien coûtent les indemnités journalières, qui en bénéficie et quels sont les déterminants expliquant les arrêts de travail ainsi que leur durée ?

La DREES publie chaque année des comptes de la santé mentionnant le montant des indemnités journalières versées par les régimes de base de l’assurance maladie – donc hors régimes des fonctionnaires. Le coût des arrêts de travail liés à la maladie, à la maternité et aux accidents du travail s’élève à un peu plus de 12 milliards d’euros, dont quelque 6,5 milliards d’euros pour la branche maladie.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce montant de 12 milliards d’euros est en effet bien connu, mais nous avons été frappés, lors des précédentes auditions, par l’ignorance complète à laquelle nous étions réduits s’agissant des indemnités journalières complémentaires. L’absence de données nationales en la matière nous a stupéfiés dans la mesure où elle interdit toute comptabilité fiable, tant pour l’État que pour les entreprises. Cela soulève d’ailleurs un certain nombre de questions quant à l’efficacité des dispositifs de contrôle et à leur contribution à une comptabilité agrégée de l’effort national réalisé en la matière.

M. Franck Von Lennep. En ce qui concerne les régimes de base, nous disposons pour 2012 de données, encore provisoires mais néanmoins fiables, qui font état d’une baisse du montant de 3,5 % des IJ maladie contre une augmentation d’environ 4 % par an dans les années 2009-2010 et de 1,6 % en 2011. Cette évolution s’explique par l’augmentation du nombre de chômeurs et par le ralentissement de la hausse des salaires, mais aussi par le changement du mode de calcul des indemnités, dont le montant a été réduit cependant que, selon la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), leur volume n’augmentait que très modérément.

Les montants agrégés demeurent en effet très mal connus pour les garanties complémentaires et pour la fonction publique.

Concernant cette dernière, seul le montant agrégé des congés de longue durée dans la fonction publique d’État a été publié et identifié comme tel dans les comptes. Nous ignorons ce qu’il en est de ces congés dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale. Nous ne disposons donc pas de données relatives au coût total des arrêts maladie dans les fonctions publiques même si nous avons des informations sur les effectifs concernés.

S’agissant des organismes complémentaires, nous disposons seulement du montant d’IJ versé par les organismes mutualistes et par les institutions de prévoyance, lequel se situe aux alentours de 3 milliards. Ce chiffre doit être pris toutefois avec beaucoup de précautions car nous le reconstituons à partir des données de la comptabilité nationale – autrement dit des données communiquées à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) par ces deux catégories d’organismes –, à partir desquelles nous formulons ensuite des hypothèses de retraitement qui reposent sur des enquêtes très anciennes. Nous travaillons à une actualisation qui, à partir de 2014-2015, nous permettra de disposer de chiffres plus fiables englobant les montants versés par les assureurs.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Cela ne concerne pas les indemnités versées par les employeurs.

M. Franck Von Lennep. Non, il s’agit de la part des versements que ceux-ci externalisent, dans le cadre de contrats de branche ou d’entreprise, en les confiant aux mutuelles et aux instituts de prévoyance. Nous ne disposons d’aucune information concernant les IJ versées par les entreprises elles-mêmes, dans le cadre de la loi sur la mensualisation de janvier 1978 ou de l’auto-assurance, et les perspectives d’une meilleure connaissance de ces montants sont encore lointaines.

M. le coprésident Pierre Morange. Les différents acteurs que vous venez d’évoquer se sont défaussés quant à leur responsabilité concernant ces informations. Il est tout de même assez surprenant que ni les uns ni les autres ne se soient saisis d’une question aussi stratégique.

La communication de la Cour des comptes a pointé le caractère hétérogène des régimes complémentaires en vigueur au-delà du régime de base et, donc, la grande diversité des situations individuelles ainsi que les zones d’ombre qui subsistent quant à la couverture des arrêts de travail. Si l’on étudie les assurances complémentaires, l’obscurité est même totale. Dès lors, je le répète, il est très difficile de juger de l’efficacité des dispositifs de régulation ou d’évaluation.

Vous n’avez donc été saisis d’aucune demande de la part des employeurs, de l’État, des assurances ou d’autres structures ?

M. Franck Von Lennep. Avec l’accord de l’ensemble des acteurs chargés du suivi des comptes, y compris celui des intéressés, nous nous sommes autosaisis afin d’améliorer la connaissance que nous avons des IJ versées par les organismes complémentaires. Comme nous ne disposons pas d’accès direct aux données de ces derniers, nous avons recours à l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), qui contrôle l’ensemble des organismes d’assurance. Depuis plusieurs années, lorsque les organismes complémentaires font remonter leurs données à l’ACP, ils doivent remplir un questionnaire à visée statistique qui nous est ensuite adressé. Depuis l’année dernière, nous avons commencé à examiner la partie relative aux IJ afin de connaître le nombre des bénéficiaires et les montants en jeu.

Ces données statistiques n’étant pas renseignées dans les organismes d’assurance par les mêmes personnes que celles qui sont chargées des données comptables, il nous faut les retraiter et les affiner, ce qui demande beaucoup de travail. La qualité du résultat ne nous satisfaisant pas, nous ne souhaitions pas encore le publier, mais il est vraisemblable que nous surmonterons dès cette année cette réticence afin de convaincre les assureurs complémentaires d’accorder davantage d’attention à la qualité des chiffres qu’ils nous fourniront dans les deux ou trois prochaines années. Cette qualité sera sans doute toujours moindre, par nature, que celle des données comptables et financières, mais celles-ci n’existent pas s’agissant des IJ versées pour arrêt maladie. L’ACP ne dispose d’ailleurs pas de données spécifiques à cet égard, elle n’a connaissance que d’un ensemble incluant l’invalidité et la dépendance.

La connaissance des montants versés par les entreprises supposerait l’existence de systèmes d’information identifiés comme tels au sein des entreprises. La déclaration sociale nominative (DSN) pourrait-elle permettre de distinguer dans le salaire les sommes versées lors d’un arrêt maladie ? Une organisation de ce type risque d’être très lourde et a d’autant moins de chances d’être mise en place qu’elle a pour finalité une connaissance statistique, qui importe sans doute moins que des fins de gestion.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans le cadre d’une mission de contrôle et d’évaluation, il est assez légitime de s’inquiéter de l’efficacité des dispositifs existants. Cela relève plus d’un pragmatisme de bon aloi que d’une curiosité théorique.

M. Franck Von Lennep. Certes. Mais la DREES n’est pas compétente pour organiser la transmission de ces informations par l’employeur. On pourrait certes procéder par enquêtes mais, là encore, demander aux entreprises de distinguer dans les salaires la part des IJ serait leur imposer une tâche lourde et coûteuse.

Mme la rapporteure. Cela ne correspond pas à un poste budgétaire particulier ?

M. Franck Von Lennep. Ces indemnités sont assimilées au salaire !

M. le coprésident Pierre Morange. Les identifier en tant que telles ne semble pourtant pas un objectif insensé, ni hors de portée dans le cadre d’une comptabilité analytique un peu performante et maîtrisée. Il devrait être possible de disposer au moins d’une estimation à peu près correcte.

M. Franck Von Lennep. Les compétences de la DREES relèvent du champ social, hors emploi et salaires. Nous ne sommes pas spécialistes de ce versant-là des problèmes.

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS a simplement pour vocation de rechercher un rapport coût-efficacité maximal.

Je le répète : il est un peu curieux que l’exécutif ne mandate pas un organisme comme le vôtre pour qu’il travaille à l’agrégation de l’ensemble de ces données. Le montant de 3 milliards que vous avez évoqué, qui représente tout de même le quart du coût total des arrêts de travail, laisse songeur : comment laisser subsister une telle zone d’ombre ?

Nos auditions ont montré que les sociétés de contrôle mandatées par les entreprises n’en peuvent mais et se plaignent de problèmes de communication avec les assureurs ou la CNAMTS. Personne ne connaît l’efficience des dispositifs mis en place dans le cadre du partenariat entre les services de contrôle médical des caisses et ces sociétés extérieures. La loi est-elle efficace ?

M. Franck Von Lennep. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), qui dépend du ministère de l’emploi, devrait sans doute pouvoir fournir des estimations très grossières à partir, par exemple, des données issues de l’enquête de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) menée sur la « Protection sociale complémentaire en entreprises » (PSCE), qui a été financée par la DREES et qui fait état d’un certain nombre d’éléments quant au nombre de salariés couverts
– mais non quant aux coûts.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous allons nous y intéresser.

Je vous livre un exemple très concret des difficultés que nous rencontrons. Lors d’une mission de la MECSS sur le fonctionnement interne de l’hôpital qui avait été organisée sous la précédente législature et qui avait eu quelques retentissements, nous avions demandé à la direction générale du trésor une évaluation de l’ensemble de notre patrimoine hospitalier. La réponse que nous avions obtenue nous a plongés dans un abîme de perplexité : « plusieurs milliards d’euros ». De telles approximations sont inadmissibles alors qu’il aurait suffi de demander aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) de fournir une réponse précise dans les six mois. Comment, dans ces conditions, bâtir une stratégie assurant le fonctionnement et l’investissement dans l’hôpital ?

Mme la rapporteure. À qui devons-nous donc nous adresser ?

M. Franck Von Lennep. Fournir une information dont, pour l’heure, ni les entreprises ni l’État ne disposent revient extrêmement cher. Dès lors que ces indemnités sont assimilées au salaire et que les conditions de versement de cotisations sont identiques, tant pour les employeurs publics que privés, pourquoi élaboreraient-ils des systèmes visant à identifier cette rémunération-là ?

M. le coprésident Pierre Morange. Pour un employeur, la perte d’un certain nombre d’heures de travail en raison d’arrêts maladie – dont je ne conteste pas le bien-fondé – a un coût et je l’imagine mal s’en désintéresser. Nous prenons acte qu’il n’est pas possible de procéder à une identification rigoureuse, mais nous ne pouvons que le regretter.

M. Franck Von Lennep. Les bilans sociaux des entreprises font état de l’absentéisme et du nombre de jours de travail perdus, mais toute la difficulté réside dans la détermination de leur coût. Celui-ci n’est pas davantage évalué en Allemagne et dans tous les autres pays européens où les employeurs assurent le maintien du salaire en cas d’arrêt de travail.

Mme la rapporteure. Outre la question du maintien du salaire se pose parfois celle de l’éventuel remplacement du salarié malade.

Nous avons l’impression que les employeurs demandent aux caisses primaires d’avoir une bonne connaissance des dispositifs et d’organiser des contrôles alors qu’eux-mêmes ignorent ce qui se passe dans leurs propres entreprises et ce qu’ils souhaiteraient voir se mettre en place. Nous avons le sentiment qu’ils abandonnent au service public le soin de dire ce qu’il en est.

Avez-vous des données pour les fonctions publiques ?

M. Franck Von Lennep. L’absentéisme peut être évalué dans le secteur privé à partir du nombre d’IJ versées par les caisses primaires rapporté au nombre d’actifs dans le département. Les bilans sociaux fournissent quant à eux des données par entreprise, mais sans permettre une vision consolidée.

Le rapport annuel sur l’état de la fonction publique comporte un certain nombre de données relatives aux fonctions publiques territoriale et hospitalière. Pour cette dernière, les bilans sociaux des hôpitaux sont actualisés régulièrement et remontent via la direction générale de l’offre de soins. S’agissant de la fonction publique d’État, les données dont nous disposons concernant l’absentéisme relèvent d’une enquête un peu ancienne.

M. le coprésident Pierre Morange. De quand date-elle ?

M. Franck Von Lennep. De 2003, me semble-t-il. Je rappelle que la réalisation d’une enquête est extrêmement coûteuse.

M. Michel Issindou. Les 12 milliards dont il a été question représentent le coût des IJ versées dans le secteur privé. Concerne-t-il les seules caisses du régime général ?

M. Franck Von Lennep. De l’ensemble des régimes.

M. Michel Issindou. Je suis également surpris de l’ignorance dans laquelle nous sommes. Il semble que les entreprises ne se soucient pas de comptabiliser les indemnités journalières complémentaires puisqu’elles versent de toute façon un salaire entier, mais n’existerait-il pas un moyen permettant de distinguer la part de ce salaire liée à l’arrêt de travail ? Certes, cela demande de l’énergie et du temps mais des systèmes de comptabilité relativement sophistiqués doivent permettre d’ouvrir un « sous-compte » retraçant le versement fait à un salarié en arrêt maladie. J’ignore ce que la loi peut apporter à ce propos mais il me semble utile de connaître les coûts engendrés par ces situations. Il ne s’agit pas d’en tirer des conclusions quant aux causes de l’absentéisme et de l’arrêt maladie, lesquels sont le plus souvent justifiés, mais il n’en serait pas moins intéressant de connaître les raisons pour lesquelles les salariés sont aujourd’hui plus absents. Est-ce dû aux conditions de travail ? Il est dommage que nous ne soyons pas capables d’analyser des choses aussi simples sans avoir à déployer des efforts colossaux.

Mme la rapporteure. Il doit tout de même être possible d’identifier au sein de la comptabilité de l’entreprise la part des salaires versés qui n’est pas couverte par le reversement qu’effectuent les caisses !

M. Franck Von Lennep. Je ne suis pas à même de vous apporter plus de précisions sur un sujet dont je ne suis pas spécialiste. Il conviendrait d’interroger des représentants de la DARES ou de l’INSEE.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes tous d’accord sur le constat et sur les regrets qu’il suscite. Nous essaierons d’examiner la façon d’améliorer cette situation tout en étant conscients qu’encadrer par la loi la comptabilité privée, ne serait-ce que sur ce point, serait chose délicate. Il est cependant assez curieux que des entrepreneurs soumis à la compétition internationale et bien naturellement préoccupés par le coût du travail se désintéressent des incidences financières de l’absentéisme et du recours au travail intérimaire auquel il oblige.

M. Franck Von Lennep. Des études macroéconomiques internationales montrent l’impact des arrêts de travail sur la croissance. Nous pourrions quant à nous réaliser de semblables études à partir des données dont nous disposons sur les IJ puisque je rappelle que nous connaissons l’essentiel des coûts, la part des employeurs étant minoritaire dans le montant total. Nous commençons aussi à disposer de données suffisantes pour essayer de déterminer les raisons qui expliquent les arrêts de travail.

M. le coprésident Pierre Morange. Sans me livrer à un procès d’intention, je relève que nous disposons de fort peu de renseignements sur la situation des trois fonctions publiques, les informations étant quasi inexistantes s’agissant de la fonction publique territoriale. Les contrôles organisés dans la fonction publique d’État, uniquement d’ailleurs sur les arrêts de longue durée, ont montré qu’il existait de nombreuses erreurs, ne serait-ce que dans l’enregistrement des données d’état civil des fonctionnaires, ce qui rend d’ailleurs lesdits contrôles inopérants. Il me semble donc opportun de relativiser l’importance des données dont nous disposerions dans ce secteur.

M. Franck Von Lennep. Le rapport annuel sur l’état de la fonction publique fournit le nombre moyen de jours d’arrêt par motifs. En intégrant la maladie, la longue maladie, les accidents du travail et les maladies professionnelles, ils s’élèvent à 13 jours dans la fonction publique d’État – dont 12 jours pour maladie, selon l’enquête de 2003 à laquelle j’ai fait allusion –, 20 jours dans la fonction publique territoriale – 11 jours pour maladie, 6 jours pour longue maladie, le reste relevant des accidents du travail selon le bilan social de 2009 –, et 16 jours dans la fonction publique hospitalière – 9 jours pour maladie, 4,5 jours pour longue maladie, le reste relevant là encore des accidents du travail selon les enquêtes de bilan social de 2008 de la direction générale de l’offre de soins.

M. le coprésident Pierre Morange. Mais les disparités sont importantes, notamment pour la fonction publique territoriale, selon la taille des collectivités. Les chiffres peuvent varier du simple au triple, les capacités de gestion des ressources humaines différant considérablement de l’une à l’autre.

M. Franck Von Lennep. Une publication récente consacrée aux arrêts de travail dans la fonction publique territoriale montre qu’en 2009, le nombre moyen de jours d’absence pour raisons de santé par type d’employeurs augmente en fonction de la taille des communes ou des communautés de communes.

M. le coprésident Pierre Morange. Dans mon village de 6 000 habitants, le nombre moyen de jours d’arrêt est de 11,5 jours.

M. Franck Von Lennep. Selon l’étude, il s’élève à 23 jours pour les communes qui comptent entre 5 000 et 10 000 habitants.

M. le coprésident Pierre Morange. Je savais que les fonctionnaires, chez moi, se dévouaient particulièrement à leur mission !

M. Franck Von Lennep. Certaines informations doivent sans doute être encore précisées.

L’enquête PSCE que j’ai citée montrant, par exemple, que les trois premiers jours de carence sont couverts pour 64 % des salariés, il est possible de reconstituer les sommes que cela représente pour les employeurs privés. La DREES et les autres organismes de recherche cherchent à exploiter davantage ce travail afin de mieux comprendre l’ensemble des déterminants expliquant les arrêts maladie. J’ajoute qu’il est à la disposition du public.

S’agissant, plus précisément, des déterminants, la DREES dispose d’une série d’études : l’une, qu’elle a réalisée en 2007 et qui sera actualisée ; celle de la CNAMTS, qui date à peu près de la même époque, et celle de l’IRDES, consacrée en 2012 aux disparités départementales. Cette dernière a été effectuée à partir d’un recoupement des données de consommation de soins émanant de l’assurance maladie et des données de carrière fournies par l’assurance vieillesse, ce qui est très novateur. La DREES a déjà consacré 300 000 euros à cette base IJ. En ajoutant les 400 000 euros qu’a coûté l’enquête PSCE, nous avons donc investi 700 000 euros ces dernières années afin de disposer d’instruments de connaissance sur les IJ.

M. le coprésident Pierre Morange. Notamment grâce à l’interconnexion des fichiers.

M. Franck Von Lennep. À la différence du Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), fichier nominatif, les deux fichiers concernés sont « anonymisés » mais pas de la même manière, ce qui complique les recherches pour retrouver les données d’une même personne.

Il est très difficile d’effectuer des comparaisons européennes et internationales puisque la plupart des pays sont dans une situation encore pire que la nôtre.

M. le coprésident Pierre Morange. Piètre consolation !

M. Franck Von Lennep. Cela s’explique, comme nous l’avons dit, par les contraintes de gestion interne des entreprises. La question que vous soulevez ne s’en pose pas moins partout : les Allemands, par exemple, débattent du problème de l’absentéisme.

Il convient donc, disais-je, de considérer ces comparaisons avec précaution mais il semble que la France se situe plutôt dans la moyenne. C’est dans les pays où les indemnisations sont plutôt généreuses, comme l’Allemagne ou les pays nordiques, que le nombre de jours d’arrêt maladie par salarié est le plus élevé. Il existe donc une corrélation macroéconomique entre la générosité des systèmes et le nombre de jours d’arrêt de travail, dans des pays dont la situation économique n’est pas la plus délicate. Cette corrélation pourrait être expliquée de deux façons : lorsque les indemnisations sont plus généreuses et les salaires maintenus à un niveau satisfaisant pendant plus longtemps, les salariés sont peut-être incités à s’arrêter plus longuement ; mais il est possible aussi de considérer que le fait de pouvoir s’arrêter dans les meilleures conditions et pour le temps nécessaire lorsqu’on en a besoin contribue à rendre l’économie globalement plus productive. Il n’existe pas d’études à ce sujet mais sans doute les deux explications ne sont-elles pas exclusives l’une de l’autre.

Les études dont nous disposons montrent qu’il existe également une forte corrélation entre les arrêts maladie et les conditions de travail ou le secteur d’activité. Les contrôles sont évidemment légitimes afin de vérifier que les arrêts maladie sont justifiés mais, sur un plan macroéconomique global, la situation est la suivante : soit les intéressés sont vraiment malades, soit leurs conditions de travail sont telles qu’ils éprouvent le besoin de s’arrêter.

Dans les toutes prochaines semaines, la DARES publiera une étude recoupant les données de l’enquête emploi de l’INSEE et celles de sa propre enquête « surveillance médicale des risques professionnelles » SUMER sur les risques professionnels ; elle montre une très forte corrélation entre les arrêts maladie déclarés dans la première et les conditions de travail ainsi que les risques psycho-professionnels dont fait état la seconde.

Sur le plan microéconomique, les déterminants des indemnités sont donc la générosité du système et les contrôles : il est possible en effet de considérer que plus les contrôles sont nombreux, moins les salariés sont incités à s’arrêter et plus la couverture est généreuse, plus au contraire l’incitation à s’arrêter est forte.

Sur le plan macroéconomique, les déterminants sont d’abord l’état de santé – le vieillissement de la population active a un impact sur les IJ puisque les salariés de 55 ans s’arrêtent beaucoup plus longtemps que ceux qui n’en ont que 40 –, puis le secteur d’activité et les conditions de travail.

M. le coprésident Pierre Morange. La situation économique de l’Allemagne est en effet meilleure que la nôtre, mais ce pays a accompli des efforts de rationalisation de la dépense publique et dispose peut-être aussi d’outils de contrôle et d’évaluation plus efficaces que les nôtres. Des comparaisons sont-elles possibles avec des pays qui consacrent à leur protection sociale une part de leurs dépenses publiques équivalente à la nôtre, ou qui font preuve de la même générosité ?

M. Franck Von Lennep. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’essaie à comparer la générosité des différents systèmes de couverture des arrêts de travail. Selon elle, la France se situerait très en deçà de la Suède et de l’Allemagne et à un niveau plus proche de ceux du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne. Ces comparaisons sont évidemment affectées par l’insuffisance des informations disponibles sur la gestion des arrêts de travail et la générosité y est dès lors surtout appréciée en fonction de la législation. S’agissant de la France, par exemple, nous ne sommes pas certains que les calculs prennent en compte l’ensemble des conventions collectives et des couvertures complémentaires d’entreprise et ne s’en tiennent pas à la seule générosité publique. Or, pour un salarié, que ce soit l’État ou l’entreprise qui paie, seul compte le résultat et il faudrait par conséquent prendre en considération l’ensemble des couvertures. Nous devons donc manier ces comparaisons avec beaucoup de précautions.

Mme la rapporteure. On aurait pu penser que la réduction du temps de travail contribuerait à une meilleure santé au travail ; or, selon le rapport que vous avez publié en 2007, les conditions de travail se seraient détériorées entre 1993 et 2003, y compris donc après le passage aux 35 heures. Avez-vous pris en compte, dans les comparaisons européennes auxquelles vous vous êtes livrés, cette question de la durée du temps de travail, par exemple dans son rapport avec l’espérance de vie ?

M. Denis Raynaud, adjoint à la sous-directrice de l’observation de la santé et de l’assurance maladie (OSAM) du ministère des affaires sociales et de la santé. Il est un peu délicat d’établir un lien direct entre la durée du temps de travail et la pénibilité.

M. le coprésident Pierre Morange. Il y a unanimité, quelles que soient les sensibilités politiques, pour considérer que les 35 heures se sont traduites par un effort de rationalisation du travail qui a permis un accroissement de la productivité. D’autre part, les comparaisons ont des limites : ainsi, suite aux réformes proposées par Peter Hartz, 2 millions de salariés travaillent en Allemagne pour 6 euros de l’heure et 4 à 5 millions pour 8 euros environ, mais il est vraisemblable que cet élément de pouvoir d’achat ne soit pas pris en compte lorsqu’on essaie de mesurer la générosité d’un système.

M. Denis Raynaud. Autre difficulté : notre enquête montre une aggravation de l’exposition aux risques professionnels entre 1993 et 2003, mais cette évolution ne s’explique-t-elle pas par un plus grand nombre de déclarations ?

Parmi les déterminants macroéconomiques, notre étude a révélé une corrélation entre les arrêts maladie et le risque de chômage : plus ce dernier augmente, plus les arrêts maladie diminuent.

Enfin, avec la CNAMTS, nous avons élaboré un indicateur portant sur l’intensité des contrôles qui conduit évidemment à établir une corrélation entre l’augmentation des contrôles et la diminution des arrêts.

M. Franck Von Lennep. Aiguillonnés par la communication de la Cour des comptes, nous allons nous efforcer d’améliorer en 2013 notre connaissance des facteurs qui déterminent l’arrêt de travail. En sus des travaux destinés à mieux apprécier les sommes versées par les organismes complémentaires, sur lesquels je ne reviens pas, nous actualiserons l’étude que nous avons menée sur les déterminants globaux, notamment sur l’impact des contrôles. En mettant à profit les quelques années de recul dont nous disposons, nous allons réfléchir avec la CNAMTS à la meilleure modélisation possible des contrôles en essayant d’identifier les variables les plus pertinentes : vaut-il mieux multiplier ces contrôles ou les concentrer sur les arrêts courts, par exemple ?

M. le coprésident Pierre Morange. Quel sera votre agenda ?

M. Franck Von Lennep. L’équipe chargée de cette question est actuellement très occupée par la production des comptes de la protection sociale, mais elle débutera ce travail aussitôt après.

Plusieurs études sont également prévues sur les déterminants microéconomiques. Nous utiliserons en particulier l’enquête PSCE de l’IRDES pour savoir s’il existe une corrélation entre la couverture généreuse des arrêts maladie et leur nombre. L’IRDES et d’autres organismes de recherche sont d’ailleurs prêts à mener des travaux complémentaires dès que l’INSEE aura ajouté dans la base IJ des informations sur le niveau de couverture au sein de certaines branches. On peut en effet espérer qu’il sera alors plus facile de modéliser les versements des organismes complémentaires : même si la couverture de certaines entreprises peut être meilleure que celle des branches, notre information statistique en sera améliorée.

Nous avons enfin pour objectif, d’ici à la fin de l’année, d’examiner les corrélations entre les arrêts maladie et les trajectoires professionnelles. Prendre un arrêt maladie influe-t-il ou non sur les carrières ? Ces dernières sont-elles freinées ? Les salariés sont-ils moins malades après avoir pris un arrêt maladie au bon moment ? Ce travail n’est devenu possible que parce que nous avons commencé à constituer des cohortes, qui nous permettent de déterminer si un événement a des conséquences à plus ou moins longue échéance.

J’ajoute que la DREES a recruté cette année un chargé d’études sur les IJ. Nous espérons pouvoir réaliser environ trois études chaque année, ce qui pourrait nous permettre à terme de vous répondre, monsieur le président, quant aux motivations individuelles des arrêts : les salariés sont-ils incités à en prendre pour de mauvaises raisons ou parce que leur état de santé l’exige ? Comment ces deux motivations, qui peuvent coexister, s’articulent-elles ? Comment influer sur l’une ou l’autre ? Il est clair en effet que, selon que sont en cause les conditions de travail ou la générosité de la couverture sociale, les actions à mener ne seront pas les mêmes.

Mme la rapporteure. Quelle est l’influence de la prescription médicale ?

M. le coprésident Pierre Morange. Nous nous sommes en effet souvent interrogés sur l’« hyperprescription ». Il est difficile d’estimer son impact mais c’est incontestablement un déterminant qui peut expliquer certains écarts par rapport à la moyenne, comme l’a signalé la Cour des comptes.

Les cohortes que vous avez évoquées seront-elles constituées à partir du « data mining » mis en place par les caisses primaires afin de cibler les populations susceptibles de faire légitimement l’objet d’un contrôle ?

Je signale, enfin, que sous l’égide de deux rapporteurs, MM. Michel Heinrich et Régis Juanico, le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) a travaillé à une comparaison du financement des systèmes de protection sociale en Europe afin d’en mesurer l’efficience respective.

M. Franck Von Lennep. Qu’il s’agisse de statistiques ou de la constitution de cohortes, nous essayons de repérer les différents déterminants à partir des bases de données existantes. Le « data mining » de l’assurance maladie peut permettre par exemple d’apprécier la probabilité d’un quatrième arrêt maladie venant après trois arrêts de brève durée. Mais je précise que nous sommes très attachés à l’anonymat des données que nous traitons. Cela étant, nous pouvons procéder à des échanges avec la CNAMTS sur les méthodes statistiques employées.

M. le coprésident Pierre Morange. Je vous remercie pour la précision de vos réponses.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Alain Brousse, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie de Bayonne, de Mme Véronique Toulouse, sous-directrice en charge de la production et de la régulation, et de Mme Julie Chapron, chef du projet mission indemnités journalières.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Alain Brousse, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Bayonne, Mme Véronique Toulouse, sous-directrice en charge de la production et de la régulation, et Mme Julie Chapron, chef du projet mission indemnités journalières.

Nous aimerions que vous nous présentiez, mesdames, monsieur, le fonctionnement de l’observatoire des indemnités journalières, ou observatoire IJ, expérimentation conduite par la CPAM de Bayonne et dont le succès a conduit la CNAMTS à vous déléguer une mission nationale : celle de faire des propositions pour l’optimisation de la gestion de ces indemnités.

M. Alain Brousse, directeur de la caisse primaire d’assurance maladie de Bayonne. La circonscription de la CPAM de Bayonne couvre tout le Pays Basque et le sud du département des Landes. Elle compte 300 agents et plus de 250 000 bénéficiaires.

Comme dans toutes les caisses du réseau de l’assurance maladie, le poste « arrêts de travail » de la CPAM de Bayonne était en constante augmentation depuis une dizaine d’années, avec un pic en 2008 et 2009. Cette situation nous a conduits à nous interroger sur les facteurs expliquant une telle évolution, d’autant que notre caisse participait, sous l’égide de la CNAMTS, à un programme de maîtrise et de régulation des dépenses de soins de ville. Constatant que nous étions passablement démunis en l’absence de référentiels, nous avons eu l’idée d’établir une base de données administratives et médicales gérée par une cellule médico-administrative, l’observatoire des indemnités journalières.

La nouveauté de cet instrument réside dans la constitution d’une base de données rassemblant des informations tant médicales qu’administratives et dans la création d’un outil médico-administratif d’exploitation de ces données. Il se trouve que ce parti pris a convaincu le directeur général de l’assurance maladie, si bien que cette expérimentation est à l’origine de la première mission nationale déléguée à un directeur de caisse primaire.

Si l’observatoire a été notre vitrine, l’ambition de la mission est plus vaste, puisqu’elle vise à une refonte totale du processus de gestion des indemnités journalières.

Mme Véronique Toulouse, sous-directrice en charge de la production et de la régulation de la CPAM de Bayonne. Afin que vous situiez l’objectif de cette mission et la place de l’observatoire dans la stratégie de maîtrise des dépenses d’arrêts de travail, nous avons souhaité vous présenter, sous forme de schéma, la cinématique du processus de gestion des arrêts de travail, depuis la prescription de l’arrêt de travail jusqu’à la liquidation des indemnités journalières. Vous pouvez ainsi mesurer la masse considérable d’informations mobilisées et traitées à chaque étape. Ce schéma doit également vous permettre de comprendre l’objet de la mission qui nous a été confiée : il s’agit, au-delà de la construction d’une vaste base de données médico-administratives et de l’animation de la stratégie de régulation, de penser l’ensemble du processus de gestion avec les outils de demain, ces outils de dématérialisation et d’automatisation du traitement des données devant permettre de redéployer les moyens des caisses vers le service aux assurés, le contrôle de la qualité et la lutte contre la fraude.

L’observatoire IJ est un outil qui permet de comprendre les facteurs d’évolution d’un poste de dépenses important sur le plan national, puisqu’il représente plus de 5 % des dépenses de soins de ville. Il s’agit en outre d’un poste soumis à une grande variabilité, dont les évolutions ne sont pas tout à fait modélisées.

M. Alain Brousse. Le fait que le Pays Basque se distingue très souvent des normes nationales en matière d’arrêts de travail est un des éléments qui a motivé cette expérimentation. Ainsi, alors qu’au niveau national, la croissance de ce poste est due à l’augmentation de la prescription des arrêts de longue durée, dans notre circonscription c’est le nombre des arrêts de courte durée qui explique cette dérive. Cette observation nous a fait pressentir que les causes de ce phénomène pouvaient être géolocalisées et que le rôle des médecins prescripteurs n’était pas le seul élément à considérer : il fallait aussi tenir compte de la population en cause et d’éléments comme l’âge des assurés, la catégorie socioprofessionnelle à laquelle ils appartenaient, etc. Nous avons ainsi pu constater que les dérives de ce poste n’étaient pas dues aux seuls prescripteurs, aux chasseurs de palombes, aux amateurs de bricolage ou à ceux qui se faisaient prescrire des congés d’été sous forme d’arrêts de travail ; de telles explications nous paraissaient d’ailleurs un peu limitées.

Nous considérions en outre que nos agents travaillaient « à l’aveugle » et que le circuit de l’information n’était pas celui qu’on pouvait attendre de notre modernité. Les nouveaux outils de gestion dématérialisée nous permettaient d’envisager la mise en place de toute une ingénierie, au lieu d’accumuler des actions ponctuelles.

M. le coprésident Pierre Morange. On comprend bien la philosophie qui sous-tend cette innovation, mais quel en est le résultat ?

Mme Véronique Toulouse. L’observatoire IJ est à la disposition de l’ensemble du réseau de l’assurance maladie depuis la fin de l’année 2011. Il permet à chaque caisse d’exploiter les données à sa disposition pour identifier les facteurs de dérive de ce poste de dépenses, et les segments de la population ou les professionnels de santé qui jouent le rôle le plus significatif dans son évolution. La base de données intègre des éléments permettant de segmenter les arrêts de travail en fonction des risques – accidents du travail, maladies professionnelles ou autres pathologies. D’autres éléments permettent de savoir si l’évolution du nombre des arrêts de travail est liée à l’évolution des affections de longue durée ou non ou si les arrêts de longue durée ou les arrêts de courte durée prédominent. On arrive ainsi progressivement à décomposer de façon assez fine les facteurs d’évolution.

Cette base de données permet d’analyser pour chaque axe si l’augmentation des arrêts est le résultat mécanique d’un accroissement de la population active ou de son vieillissement, ou si, une fois neutralisés ces facteurs, il demeure une augmentation dont il faut chercher l’explication ailleurs. Elle permet également de mesurer si la durée des arrêts de travail a tendance à s’allonger ou si le nombre d’arrêts de travail par assuré augmente, et de vérifier si ces évolutions sont ou non corrélées à l’âge des intéressés.

Notre base de données recense 24 variables distinctes : il s’agit des caractéristiques démo-géographiques et socioprofessionnelles des assurés en arrêt de travail, telles que leur âge, leur sexe, leur secteur d’activité, leur catégorie socioprofessionnelle ou leur lieu de résidence. Mais elle recense également les pathologies ou les motifs médicaux de leurs arrêts, ce qui constitue, ainsi que nous l’avons mentionné, une innovation, puisque c’est la première fois que l’assurance maladie associe des données administratives et des données médicales. Autre innovation, l’observatoire tient compte de la durée effective des arrêts de travail. Cette base de données contient par ailleurs des éléments éclairant le contexte de l’arrêt de travail, comme l’existence d’une hospitalisation ou d’une prescription de pharmacie, par exemple ; ou encore s’il est en lien avec une affection de longue durée, ou s’il est combiné à un arrêt maternité, etc.

M. Alain Brousse. L’observatoire distingue également entre arrêts prescrits et arrêts indemnisés.

Mme Véronique Toulouse. La nuance est importante, car si les arrêts indemnisés révèlent la dépense, l’analyse des arrêts prescrits permet de comprendre les comportements des prescripteurs ou des assurés.

M. le coprésident Pierre Morange. Avez-vous envisagé d’inclure l’existence d’une couverture complémentaire pour les assurés dans votre base de données ? Il s’agit là d’un paramètre d’analyse important, même si ce n’est pas vous qui assurez cette prise en charge.

M. Alain Brousse. Non.

M. le coprésident Pierre Morange. Le bon sens commande pourtant qu’une telle donnée soit prise en compte, d’autant que sa collecte est facilitée par les outils de gestion dématérialisée.

M. Alain Brousse. Cette proposition peut être une piste d’amélioration de l’outil.

Mme Véronique Toulouse. En nous indiquant les secteurs d’activité responsables de la dérive de cette dépense, l’exploitation de la base de données nous permet de savoir avec quels employeurs travailler pour affiner l’information, notamment en ce qui concerne l’existence d’une couverture professionnelle complémentaire.

M. Alain Brousse. Nous avons mené un tel travail auprès de la direction du site Turbomeca de Bayonne, par exemple.

Mme Véronique Toulouse. Nous allons maintenant vous proposer une démonstration du fonctionnement concret de l’observatoire.

M. Alain Brousse. Cet outil permet autant de combinaisons que le loto, et c’est pourquoi nous avons recommandé aux caisses de retenir une grille statistique propre à lui assurer la plus grande efficacité.

Mme Julie Chapron, chef du projet mission indemnités journalières de la CPAM de Bayonne. Je voudrais vous expliquer le fonctionnement de l’observatoire à travers quelques exemples. Notre base de données permet de dresser différentes typologies d’assurés, à partir d’entrées telles que le sexe : on s’aperçoit ainsi que les femmes sont plus consommatrices d’arrêts de travail. Il est possible ensuite de rechercher si certaines tranches d’âge présentent une atypie, puis de retenir le critère de la localisation géographique, et ainsi de suite. Le but est de pouvoir déterminer un plan d’action adapté à l’atypie observée.

On peut également choisir de s’intéresser au coût ou au nombre des arrêts maladie. En croisant ces informations, on constate que si le coût des arrêts maladie est plus élevé pour les assurés de plus de 50 ans, le nombre d’arrêts maladie est plus important chez les jeunes. Cette segmentation de la dépense permet de varier les actions de régulation en fonction de chaque catégorie de population, de chaque tranche d’âge, etc.

Le troisième exemple segmente les arrêts maladie selon des critères géographiques, en faisant apparaître leur répartition dans les différents cantons de notre circonscription. On peut à partir de là s’interroger sur les raisons pour lesquelles certains cantons sont plus producteurs d’arrêts de travail que d’autres.

M. Alain Brousse. Puisque vous nous demandiez quels étaient nos résultats, monsieur le président, je voudrais revenir sur l’exemple de la consommation d’arrêts maladie par les moins de 35 ans. Nous sommes parvenus à la faire chuter de 4,3 points alors qu’elle avait augmenté de 3,7 points entre 2009 et 2010, soit une économie pour notre caisse de 500 000 euros pour cette seule tranche d’âge.

Mme la rapporteure. Pour quelle raison les femmes de cette tranche d’âge sont-elles plus demandeuses d’arrêts de travail ? Est-ce lié à la maternité ?

Mme Julie Chapron. Lorsque nous avons étudié la consommation de cette tranche d’âge, nous avons exclu les arrêts prescrits peu avant ou peu après une maternité. Or l’atypie persiste en dépit de cette exclusion.

Mme la rapporteure. Ces arrêts ne peuvent-ils pas s’expliquer par la présence de jeunes enfants ?

M. le coprésident Pierre Morange. Peut-on voir dans la singularité régionale dont vous faisiez état, monsieur le directeur, l’influence de la chasse à la palombe ? Avez-vous inclus les périodes de chasse dans la base de données de l’observatoire ?

M. Alain Brousse. C’est pour couper court à ce genre d’explications que nous avons voulu établir un tel outil.

Vos questions sont pertinentes, madame la rapporteure, étant donné que les facteurs de la dépense sont multiples. Le but de l’observatoire est simplement de gagner en efficacité en tirant profit de la dématérialisation pour réunir plus rapidement davantage d’informations et d’avoir des arguments à présenter aux prescripteurs qui s’écartent de la prescription moyenne. C’est pourquoi nous n’avons pas intégré les éléments que vous évoquez, madame, même si ce sont des facteurs de dépense manifestes.

M. le coprésident Pierre Morange. Comment expliquez-vous la dérive de la dépense dans le canton « lanterne rouge » ?

Mme Julie Chapron. C’est en effet dans ce canton que des prescripteurs font l’objet d’une mise sous objectif et on sait que les prescripteurs y sont fortement contributeurs.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle est la raison de cette hyperprescription ?

Mme Julie Chapron. Si ce canton était en sous-densité médicale avant le dernier découpage de l’agence régionale de santé (ARS), ce n’est plus le cas et aujourd’hui l’atypie se maintient pourtant, ce qui justifie une action de régulation de la prescription.

M. Alain Brousse. Cet exemple illustre comment l’observatoire nous permet d’identifier les médecins à contrôler en géolocalisant l’hyperprescription, ce qui nous permet de concentrer nos efforts là où ils seront le plus utiles.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce « GPS sanitaire » présente-t-il d’autres paramètres d’explication ?

Mme Véronique Toulouse. Nous avons constaté qu’une proportion importante de la population de ce canton travaillait dans des secteurs d’activité fortement pourvoyeurs d’arrêts de travail, pour des durées atypiques, tels que l’aéronautique ou l’intérim. Cet exemple montre comment peuvent jouer des logiques de sinistralité propres à un secteur d’activité.

Mme Julie Chapron. L’observatoire permet en effet de savoir quels secteurs d’activité sont les plus pourvoyeurs d’arrêts liés à des accidents du travail, et donc coûteux. Dans notre circonscription, ce sont le secteur du travail temporaire et le sport professionnel qui contribuent le plus à l’augmentation de la dépense.

M. Alain Brousse. Le Pays Basque compte deux grands clubs de rugby dans le top 14.

Mme Véronique Toulouse. Le nombre des arrêts de travail délivrés aux sportifs de ces deux clubs est en effet un facteur clé de l’augmentation de cette dépense puisqu’ils sont à l’origine de 5 % à 6 % des arrêts de travail délivrés à la suite d’un accident du travail dans notre circonscription. Nous avons également relevé le calendrier particulier de ces arrêts, qui se terminaient souvent un vendredi, à la veille de matchs, et qui se multipliaient durant les trêves. S’il est logique que ces professionnels consomment ce type d’arrêts de travail, ces atypies révélaient une gestion abusive de leur durée par les clubs employeurs. C’est pourquoi nous nous sommes livrés à un travail pédagogique auprès de la direction et des équipes médicales de ces clubs, visant à les rappeler à leurs responsabilités.

M. le coprésident Pierre Morange. Il s’agit là d’un phénomène marginal ?

Mme Véronique Toulouse. Ces arrêts représentent 10 % du coût des indemnités journalières gérées par la caisse.

M. le coprésident Pierre Morange. Ce n’est pas négligeable en effet.

Avez-vous par ailleurs mesuré l’effet de la pratique sportive sur la consommation d’arrêts de travail dans les milieux de travail classiques ?

Mme Véronique Toulouse. Les accidents du travail contribuant à accroître ce poste de dépense, nous avons élargi notre étude au-delà des clubs sportifs professionnels. Nous avons pu constater que les secteurs d’activités les plus pourvoyeurs d’arrêts de travail étaient l’intérim, en raison certainement de leur gestion particulière de leurs salariés, ainsi que les structures d’hébergement et de prise en charge des personnes âgées et le secteur du BTP, qui présentent des sinistralités liées à des gestes et des postures particuliers. Nous avons également observé que la durée de ces arrêts de travail dépassait celle qui est indiquée par les fiches repères de la Haute Autorité de santé. Ces observations nous ont conduits à déterminer des stratégies de prévention avec les médecins prescripteurs de ces secteurs d’activité et avec la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.

Mme Julie Chapron. Les actions d’accompagnement que nous avons menées auprès des deux clubs en cause, ainsi que les contrôles effectués à la suite de ces actions, ont permis de faire diminuer de 17 % le nombre des IJ dont leurs joueurs ont bénéficié. Nous travaillons aujourd’hui sur le sujet des sportifs en fin de contrat, qui ne sont plus sous la responsabilité de l’employeur.

M. le coprésident Pierre Morange. Cet outil très précis vous a donc permis d’identifier les zones dans lesquelles les dépenses d’indemnités journalières sont susceptibles d’augmenter, soit pour des raisons socioprofessionnelles, soit du fait d’un phénomène d’« hyperprescription ». Quelles actions cette connaissance vous a-t-elle permis de mener et avec quels résultats ?

M. Alain Brousse. Alors qu’en 2007, à Bayonne, les dépenses d’indemnités journalières, tous risques confondus, avaient augmenté de 7,2 % et que cette tendance s’était maintenue au cours des deux années suivantes, elles n’ont crû que de 3,7 % en 2010 et l’évolution est restée tout aussi modérée depuis. Nous avons ainsi réalisé une économie de près d’un million d’euros, en trois ans seulement puisque nous n’avons mis en place l’observatoire qu’au deuxième semestre de 2009.

Mme Véronique Toulouse. Aujourd’hui, l’augmentation du nombre d’arrêts de travail s’établit à 3,3 % mais celle de la dépense n’est que de 2,6 % – contre 6,5 % à 7 % il y a quelques années.

M. le coprésident Pierre Morange. La rupture de tendance est très nette, en effet, et tend à démontrer l’efficacité de votre protocole d’analyse. Votre expérimentation a été suivie avec grand intérêt au niveau national et la connaissance ainsi obtenue a été diffusée sur l’ensemble du territoire français. Cependant, la France ayant tendance à accumuler les expérimentations réussies sans les systématiser, savez-vous si le dispositif que vous avez mis au point a été réellement généralisé ? Tous les observatoires sont-ils aussi efficaces que le vôtre ?

M. Alain Brousse. Cet outil n’en est qu’au stade préindustriel, mais il a été labellisé par la direction générale de l’assurance maladie et, depuis novembre 2011, l’ensemble du réseau en dispose : tous les directeurs de caisse et médecins chefs locaux en sont donc désormais équipés, étant entendu que nous leur avons aussi fourni des recommandations en vue d’orienter leurs contrôles.

L’outil a immédiatement été utilisé dans 95 % des caisses primaires, qui ont ensuite intégré les résultats obtenus à leur plan d’action local, sous l’égide des commissions de gestion du risque ; 1 128 actions ont été menées en 2012, dont 76 % en direction des assurés, des prescripteurs et des entreprises. L’analyse détaillée de ces actions de contrôle administratif, médical et médico-administratif et de leur impact sur les tendances est en cours. Les conclusions devraient être disponibles d’ici 8 à 15 jours, et nous vous les communiquerons.

Mme la rapporteure. Vous avez recruté un chef de projet – en l’espèce Mme Julie Chapron – pour piloter cet outil. Les autres caisses en ont-elles fait autant ?

M. Alain Brousse. J’ai recruté une ingénieure du fait de la complexité du sujet. Toutes les caisses ne se sont pas organisées de la même manière et ne conduisent d’ailleurs pas autant de projets de cette nature. Mais votre question m’amène à souligner un point essentiel : cet outil ne vaut que si l’ensemble des caisses et des entreprises de l’assurance maladie se dotent des compétences d’ingénierie nécessaires pour l’utiliser pleinement. Si le système ne reste utilisé qu’avec timidité par des statisticiens même de qualité, le réseau des caisses d’assurance maladie n’en obtiendra pas les résultats qu’on est en droit d’escompter. Mais la direction générale de l’assurance maladie soutient activement le déploiement de cet observatoire et, en tant que responsable d’une mission nationale, je ne resterai certainement pas inactif. Travaillant avec des directions nationales telles que la direction du service médical, j’ai bon espoir que nous parvenions à imposer cette ingénierie, à condition que tous les directeurs prennent conscience de son utilité et qu’ils investissent en conséquence.

M. le coprésident Pierre Morange. Cette prise de conscience serait encore plus facile et rapide s’il y avait injonction. Si on n’utilise pas cet outil ou qu’on se contente de l’exploiter de façon rudimentaire, ce sera de nouveau un bel exemple de gâchis d’une idée intelligente.

M. Alain Brousse. Notre organisation en réseau favorise le mode de gestion entrepreneurial que nous souhaitons mettre en place. D’ailleurs, après notre mission déléguée, une quinzaine d’autres ont été créées au cours des derniers mois.

Mme la rapporteure. Votre outil vous a-t-il permis d’identifier des problèmes de prescription à l’hôpital ? Si oui, avez-vous mené des actions auprès de ceux qui en sont responsables ?

Mme Véronique Toulouse. Si la proportion des dépenses dues aux praticiens hospitaliers est très forte sur des postes tels que les soins de kinésithérapie, les soins infirmiers ou le transport, les arrêts de travail ne représentent que 9 % de leurs prescriptions dans notre circonscription.

Tout l’intérêt de l’observatoire est de permettre un regard sur la totalité de la durée de prescription, que nous recomposons. À l’inverse des études et des statistiques dont nous disposons habituellement, notre outil permet en effet d’identifier le prescripteur qui intervient en dernier – c’est-à-dire celui qui a pris la responsabilité d’allonger la durée d’un arrêt de travail. Le praticien hospitalier ne prescrit en général que des arrêts de relativement courte durée, mais un praticien libéral prend souvent le relais : d’où l’intérêt de la distinction que nous faisons, très discriminante.

M. le coprésident Pierre Morange. Puisque cet outil est évolutif, j’insiste à nouveau pour que vous intégriez dans vos critères d’évaluation celui de la prise en charge des arrêts par les assurances complémentaires : nous avons en effet assisté à une véritable partie de ping-pong entre l’assurance maladie et ces organismes, qui se sont renvoyé la responsabilité d’évaluer le montant de la prise en charge des arrêts de travail.

Il serait également très intéressant que l’observatoire analyse les problèmes qui se posent à propos de la transmission à l’assurance maladie des données des sociétés mandatées par les entreprises pour contrôler les arrêts de travail. En effet, le contrôle exercé par les caisses primaires se concentre essentiellement sur les arrêts de travail d’une durée supérieure à 45 jours – le contrôle des arrêts de courte durée n’étant pas très rentable compte tenu de son coût en ressources humaines et de la faiblesse des économies qu’il permet. On pourrait donc mieux répartir ces contrôles et confier aux sociétés mandatées le soin de ne contrôler que les arrêts de courte durée. Cependant, les employeurs nous ont signalé que, s’il revient à ces médecins contrôleurs de communiquer leurs résultats à la caisse primaire, ils ne peuvent souvent le faire dans le délai réglementaire de 48 heures, les sociétés mandatées ne leur ayant pas transmis à temps les données nécessaires. Ces données ne sont donc pas enregistrées. Ne pourrait-on résoudre ce problème une bonne fois pour toutes en établissant un cahier des charges plus strict et plus opérationnel ? Il conviendrait aussi d’évaluer l’efficacité et l’utilité pédagogique de ce système de contrôle, grâce à une méthode d’analyse partagée, définie par l’assurance maladie. De telles mesures nous permettraient de disposer d’une connaissance beaucoup plus complète des arrêts de travail.

M. Alain Brousse. Il s’agit là d’un sujet que nous commençons à étudier. On sait dans quelles conditions et à quelles fins ce système de transmission a été organisé. Si le chaînage de l’information est prévu, le mécanisme en est quelque peu grippé. 13 cas seulement nous ont été signalés à ce jour à Bayonne par ces sociétés, ce qui est bien peu au regard de la masse des arrêts de travail que nous contrôlons et des 36 actions de contrôle administratif, médical, médico-administratif, des études en chambre et des actions d’accompagnement des entreprises qui figurent dans notre plan de contrôle. Cependant, c’est un point qu’il faudra intégrer à nos réflexions.

Les travaux de l’observatoire révèlent qu’il faut contrôler les arrêts de courte durée tout aussi bien que ceux de longue durée, sur lesquels l’assurance maladie s’est trop concentrée jusqu’à présent. Nous avons d’ailleurs découvert que la dépense induite par un patient en affection de longue durée (ALD) se rapporte à bien d’autres éléments que sa pathologie principale et, à ce titre comme à d’autres, les arrêts de courte durée méritent d’être pris en compte comme un facteur important de l’évolution de la dépense. De même, ce n’est souvent pas la maladie, mais les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) qui influent le plus sur cette évolution. Ainsi, en région Aquitaine en 2012, c’est l’AT-MP qui a constitué le facteur majeur de croissance des indemnisations, et non les arrêts de longue durée. Et à Bayonne, l’année précédente, ce sont les arrêts de courte durée qui avaient été la variable la plus préoccupante.

M. le coprésident Pierre Morange. L’analyse est radicalement différente sur le plan national !

M. Alain Brousse. Cela ne veut pas dire que le discours tenu au niveau national soit erroné : simplement, cela illustre la grande disparité des situations locales.

Mme la rapporteure. Nous avons également interrogé la caisse primaire d’assurance maladie de Champagne-Ardenne à ce sujet et elle nous a tenu le même propos que vous. Or la CNAMTS, au contraire, nous a expliqué que contrôler les arrêts de courte durée n’avait guère d’intérêt tant les masses budgétaires en cause sont faibles au regard des dépenses dues aux arrêts de longue durée.

M. Alain Brousse. Il est légitime que notre directeur général s’intéresse avant tout aux grosses masses de dépenses. Et il est vrai que l’indemnisation des arrêts de longue durée représente 80 % des dépenses, contre 20 % pour les arrêts de courte durée. J’ai pour ma part mis l’accent sur les facteurs d’évolution tendancielle.

M. le coprésident Pierre Morange. La lettre-réseau de mai 2012 traduit d’ailleurs un infléchissement de la stratégie d’analyse macroéconomique, tant du point de vue financier que du point de vue sanitaire : le paradigme initial – cibler les contrôles sur les arrêts de plus de 45 jours du fait de leur incidence sur l’outil de production et des volumes financiers concernés – y est relativisé et de nouveaux axes prioritaires de contrôle apparaissent.

Autre question qui n’est pas neutre : celle des ressources humaines affectées au contrôle. Le corps des médecins contrôleurs est vieillissant et pose des problèmes de recrutement. En outre, ces médecins, qui sont souvent affectés à des tâches administratives, consacrent une trop grande part de leur temps de travail à des fonctions d’enquête et d’études épidémiologiques qui les détournent de leur vocation d’origine. Les reconcentrer sur leur cœur de métier – le contrôle sur examen individuel plutôt que sur dossier – permettrait de renforcer l’efficacité du contrôle médical.

M. Alain Brousse. L’observatoire que nous avons mis en place et, plus largement, la mission qui m’a été confiée ont pour but de nous faire reconsidérer notre manière de prendre en charge la dépense dans un système associant des structures médicales et administratives. Pour moi, le temps consacré aux contrôles importe beaucoup moins que le fait qu’ils soient des contrôles médicaux. Cette « revendication professionnelle » nous a d’ailleurs permis de promouvoir notre outil et le fait qu’il ait été labellisé montre bien que notre souhait a été entendu. Au-delà, nous nous devons d’admettre que nous n’avons pas affaire à un simple assuré, mais à une personne porteuse d’une pathologie, et que le médecin prescripteur est confronté à des pressions sociales et sociétales. On ne peut faire abstraction du contexte.

M. le coprésident Pierre Morange. Il y a, me semble-t-il, environ 1 200 praticiens conseils en France. Lorsque je présidais le conseil de surveillance de la CNAMTS, j’avais souligné qu’une bonne moitié d’entre eux se consacraient à des fonctions administratives et statistiques, ce qui les détournait du champ médical où se trouve leur cœur de métier. C’est là une déperdition d’énergie.

M. Alain Brousse. Notre réseau est bien conscient que des progrès sont nécessaires. La dématérialisation et l’automatisation permettent de plus en plus de valeur médicale ajoutée ; elles ouvrent la possibilité de rapprocher nos organisations médicales et administratives qui, pour moi, sont inséparables : il faut associer davantage que par le passé les praticiens conseils à nos procédures et redistribuer l’activité de nos agents. Aujourd’hui, 30 % des opérations effectuées par notre caisse sont automatisées. À mesure que la machine remplacera l’homme, nos agents pourront se concentrer sur les cas complexes que notre infocentre ne peut traiter.

Dans le cadre de notre mission, nous essayons à Bayonne de repenser la qualification professionnelle en fonction d’un triptyque : une partie haute technicité, une partie maîtrise des risques et une partie relative au relationnel et à l’accompagnement. Les médecins devront s’adapter à cette évolution mais, comme leur nombre diminue, il est certain que nous avons quelques difficultés à les solliciter autant que nous le souhaiterions.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes conscients de l’effet de la dématérialisation sur la gestion des ressources humaines. Il y a quelques années, lorsque j’étais rapporteur du budget de la sécurité sociale, j’avais exigé – et obtenu à grand-peine – le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux afin de tirer les conséquences de la dématérialisation et de la télétransmission des feuilles de soins car il était apparu que les quelque 12 000 liquidatrices qui traitaient environ 25 000 feuilles de soins chaque année n’avaient plus de raison d’être. Cette mesure de gestion de la pyramide des âges a contribué à faire fortement diminuer les coûts de gestion de l’assurance maladie.

M. Alain Brousse. Les frais de gestion de la CPAM de Bayonne ne sont que de 2 %.

M. le coprésident Pierre Morange. Il y a une dizaine d’années, ces frais s’élevaient globalement à près de 6 %. J’ai donc protesté puis obtenu gain de cause, non sans peine. Même si le sujet est polémique, ce chiffre est à comparer aux coûts de gestion du secteur des assurances complémentaires – sept à huit fois supérieurs ! – qui pèsent sur le contribuable sans lui procurer aucun bénéfice. Il conviendra peut-être un jour de mieux articuler les assurances obligatoires et complémentaires afin de faire profiter les assurés d’une diminution de ces coûts de gestion. Pour mettre fin à cette iniquité de traitement, il serait tout à fait concevable de mutualiser certaines fonctions d’appui en les confiant à l’assurance obligatoire, ce qui, par définition, ne porterait pas préjudice au secteur complémentaire.

Mme la rapporteure. Quelle est votre réaction lorsqu’un employeur vous signale qu’il suspecte de fraude l’un de ses salariés ?

Mme Véronique Toulouse. Nous contrôlons ! Nous enregistrons systématiquement ces signalements et les intégrons à nos critères de ciblage des contrôles de présence à domicile du salarié. Mais il n’y a en réalité que 120 signalements par an à Bayonne, pour environ 50 000 arrêts de travail ! La moitié des arrêts de travail ainsi signalés sont contrôlés et environ 7 % des assurés signalés sont absents de leur domicile. Cette proportion est quelque peu inférieure à celle des assurés dont nous constatons l’absence lors des 600 contrôles que nous effectuons de notre propre initiative – soit 8 %.

Mme Julie Chapron. Ces salariés sont également contrôlés par le service médical de l’assurance maladie et le taux de reprise du travail consécutif à ce contrôle est identique.

Mme la rapporteure. Votre réactivité est sans doute ce qui explique le faible taux de signalement…

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions pour la précision de vos réponses et pour cette expérimentation qui mérite en effet d’être généralisée. Nous sommes impatients de recevoir d’ici une quinzaine de jours les résultats de votre évaluation.

La séance est levée à onze heures vingt.