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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 21 mars 2013

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, sur « les arrêts de travail et les indemnités journalières » :

– M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braustein, conseiller maître, président de section, et Mme Myriam Métais, rapporteure

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 21 mars 2013

La séance est ouverte à dix heures dix.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braustein, conseiller maître, président de section, et Mme Myriam Métais, rapporteure.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braustein, conseiller maître, président de section, et Mme Myriam Métais, rapporteure.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. La mission s’est étonnée de ne pouvoir obtenir le montant des indemnités journalières (IJ) complémentaires versées par les entreprises : nos interlocuteurs se sont déclarés dans l’impossibilité de l’évaluer ! La Cour des comptes a-t-elle, sinon une idée de ce coût, du moins des suggestions sur la façon dont nous pourrions nous y prendre pour le mesurer ?

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Nous avons été aussi surpris que vous, et nous nous sommes heurtés à la même absence de consolidation financière. Le nombre de jours de carence variant selon les branches et selon les catégories de salariés, cette évaluation implique d’avoir accès à l’ensemble des conventions collectives mais la direction générale du travail, qui collecte celles-ci, ne les exploite pas et n’effectue aucun suivi de leur application, de sorte qu’elle ne peut fournir aucune estimation. La difficulté est d’ailleurs la même, comme nous l’avons constaté, en matière de formation professionnelle et de formation des personnes en situation de handicap.

Nous avons été très intéressés par une donnée que vous a fournie la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) lors de son audition. Selon son directeur, le montant des IJ versées par les organismes mutualistes et les institutions de prévoyance – hors sociétés d’assurances donc – se situerait « aux alentours de 3 milliards d’euros ». Ce montant est considérable puisqu’il représente 50 % de ce qui est pris en charge par le régime général de sécurité sociale. Nous avons d’ailleurs le sentiment que la DREES n’est pas totalement convaincue de la valeur de cette estimation, mais avons noté avec intérêt qu’elle allait lancer une enquête plus complète et que l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) avait également décidé de se pencher sur le sujet, en exploitant sa base IJ. Tout se passe comme si l’enquête de la MECSS suscitait un désir d’améliorer la connaissance de cette prise en charge complémentaire. Ce travail de « ré-ingénierie » et d’analyse ne donnera sans doute pas de résultats immédiats mais, dans les deux ans qui viennent, nous disposerons d’informations plus précises sur la couverture assurée par les institutions de prévoyance au sens large, étant entendu que l’auto-assurance des entreprises restera, elle, une donnée difficile à appréhender, notamment parce qu’elle n’entre pas dans le champ des conventions collectives.

La population active qui n’est pas couverte reste une zone d’ombre absolue, ce sujet n’ayant fait l’objet d’aucune évaluation. On peut simplement penser que, comme en matière de formation professionnelle, il s’agit des plus précaires…

M. le coprésident Pierre Morange. Le même constat vaudrait pour le dernier accord national interprofessionnel, sur la sécurisation de l’emploi : la négociation collective bénéficie surtout à ceux qui sont insérés dans l’emploi.

Pour revenir à l’enveloppe financière consacrée à la couverture complémentaire des IJ, la MECSS a été très frappée de constater l’insuffisance des données détenues non seulement par les services de l’État, mais aussi par les employeurs ! Ces derniers sont incapables de colliger des informations qui, par définition, se trouvent dans leur bilan financier, et renvoient même aux services de l’État la responsabilité de cette insuffisance !

M. Antoine Durrleman. Aucune étude d’impact n’a été réalisée, ni par les services de l’État, ni par les employeurs.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous avons été sidérés de constater que le MEDEF lui-même n’a pas été en mesure de nous fournir l’information ! Il a fait valoir que le sujet relevait des accords collectifs et qu’il était donc difficile d’évaluer l’engagement global des entreprises.

M. Antoine Durrleman. De la même manière, aucune analyse n’a été réalisée au niveau des fédérations professionnelles, cosignataires des conventions. Je doute même que l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), pourtant la mieux outillée, dispose de données très précises.

Quant aux entreprises, concernées au premier chef, les contre-visites médicales leur permettent de gérer la part complémentaire des IJ, ce qui les satisfait globalement. Que le lien soit déficient entre la contre-visite et l’IJ de base ne semble pas les préoccuper, à lire ce que vous ont dit leurs représentants, bien qu’il en résulte une perte en ligne considérable.

M. le coprésident Pierre Morange. Ils n’étaient pas capables de mesurer leur propre engagement financier en tant qu’employeurs, ni de mesurer l’efficience des sociétés prestataires qu’ils mandatent eux-mêmes pour réaliser ces contre-visites. C’était surréaliste !

Mme la rapporteure. Ils semblaient renvoyer la responsabilité des dysfonctionnements sur les caisses. Ils n’ont engagé aucune analyse de leur propre engagement, ce qui est très étonnant.

M. le coprésident Pierre Morange. Cela étant, la généralisation du logiciel mis au point par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), l’observatoire local des IJ, de Bayonne, devrait permettre une meilleure connaissance des mécanismes de la prise en charge complémentaire et une actualisation des données.

Mme la rapporteure. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) donne la priorité au contrôle des arrêts les plus longs, alors que les deux caisses ayant mené des expérimentations, Bayonne et la Marne, que nous avons auditionnées, ont une approche totalement inverse.

M. Antoine Durrleman. Nous avons également observé ce décalage, mais il présente plutôt des avantages selon nous. Les sites expérimentateurs, qui ont pris à bras-le-corps ces problèmes, ont finalement une gestion du risque assez fine et bien adaptée aux particularités de leur territoire, et ils ont obtenu des résultats. Nous avons en effet noté avec intérêt une augmentation de 16 % en un an des subrogations dans la Marne, s’agissant de la liquidation des IJ, ainsi qu’une progression de la transmission des arrêts de travail dématérialisés. La CNAMTS, elle, fixe ses priorités en matière de contrôle en fonction des masses financières en jeu mais cette stratégie nous semble s’articuler de façon intéressante avec l’action de terrain des caisses locales.

Ainsi les lignes commencent à bouger. Ce n’est certes pas vrai sur tous les fronts : la réflexion sur l’intégration d’un indicateur sur le respect de référentiels dans la rémunération à la performance des médecins, par exemple, n’est visiblement pas encore assez avancée pour être prise en compte dans le dialogue conventionnel entre l’assurance maladie et les médecins et, même si les fiches repères de l’assurance maladie avaient été proposées par la Haute Autorité de santé (HAS), nous ne sommes pas totalement convaincus que cela aurait suffi pour emporter l’adhésion du Conseil national de l’Ordre des médecins. Il apparaît, à la lecture des comptes rendus de vos auditions, que les différentes parties prenantes se sont senties, pour reprendre une expression du directeur de la DREES, « aiguillonnées », poussées les unes à améliorer leur connaissance du sujet, les autres à avoir une gestion plus fine du risque.

Il nous a semblé en revanche que l’administration restait quelque peu en arrière, en particulier sur un point qui nous paraît stratégique, la simplification de la réglementation, que la CNAMTS réclame à juste titre depuis longtemps et que la Cour juge absolument nécessaire, pour des raisons d’efficience. Malheureusement, actuellement, nous avons le sentiment que la déclaration sociale nominative (DSN) est considérée comme une panacée : quand elle sera mise en place, l’action deviendra la sœur du rêve ! Pour notre part, nous sommes plutôt dubitatifs et nous avons donc fait des propositions d’harmonisation, de simplification et d’ajustement. On a estimé que nous travaillions à contre-emploi sur certaines propositions, notamment sur celle qui consisterait, dans le cas des arrêts de travail itératifs, à stabiliser temporairement la base salariale au lieu de prendre en considération des variations à la hausse ou à la baisse qui, finalement, s’annulent.

Nous avons également noté une grande prudence de l’administration sur la question de l’harmonisation de l’assiette du salaire de référence servant à calculer l’indemnisation des différentes catégories d’IJ. Une harmonisation de l’assiette sur la base du salaire brut, comme nous le proposons dans notre communication, conduirait à une simplification importante, quitte à moduler le taux de remplacement, car elle garantirait une base de calcul homogène. Autre avantage, cette harmonisation permettrait de s’interroger sur le maintien ou non d’une niche sociale : contrairement aux IJ maladie et maternité, les IJ accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) ne sont pas soumises à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ; il est compréhensible de ne pas vouloir faire peser ce prélèvement sur les salariés victimes d’un accident du travail mais, du coup, cette exonération est à la charge des ménages. Il serait plus logique d’intégrer ce montant dans les cotisations payées par les entreprises. Mais je reconnais que ce sujet est très sensible.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous avez relevé dans votre communication que 20 % à 30 % des salariés ne bénéficient d’aucune couverture des indemnités journalières. Quelles mesures suggérez-vous pour y remédier ?

M. Antoine Durrleman. Il s’agit pour une bonne part d’une population « de flux », un certain nombre de ces salariés bénéficiant ensuite de dispositifs comme la loi de 1978 sur la mensualisation, instaurant des IJ complémentaires versées par les entreprises.

La comparaison des différents régimes de prise en charge des arrêts maladie en Europe est instructive. Dans les pays d’Europe du Nord, il n’y a que peu ou pratiquement pas de jours de carence : ainsi, en Allemagne, les salariés bénéficient d’une couverture après quatre semaines seulement de présence dans l’entreprise. En France, les délais de prise en charge sont beaucoup plus longs parce qu’on se réfère à la situation qui prévalait dans les années soixante sur le marché du travail – les salariés faisaient souvent toute leur carrière dans la même entreprise. Alors que la précarisation de l’emploi s’est accrue, que les salariés sont aussi devenus plus mobiles, rien n’a changé. Sans doute faut-il y voir un effet de la négociation collective à la française qui, comme vous l’avez dit, néglige trop les personnes en dehors du dispositif.

Mme la rapporteure. Cela signifie-t-il que la proportion de salariés ne bénéficiant pas des IJ est plus importante en France que dans les autres pays européens ?

M. Antoine Durrleman. Oui, compte tenu des délais de carence. L’écart est très net avec l’Allemagne mais, pour être plus précis, je dirai que notre pays occupe une position intermédiaire entre les deux régimes extrêmes : celui de l’Europe du Nord et celui l’Europe du Sud.

La négociation sociale s’intéresse en effet surtout aux personnes en contrat à durée indéterminée (CDI), alors que la population qui entre dans l’emploi et qui n’y reste pas nécessairement longtemps est très mal prise en compte. On peut cependant noter une amélioration récente avec les progrès apportés par la notion de portabilité des droits, appliquée par exemple à la formation professionnelle dans le cadre du DIF, le droit individuel à la formation.

M. le coprésident Pierre Morange. Sur la proportion de 20 % à 30 % de salariés non couverts, vous n’avez donc pas d’information complémentaire ?

M. Antoine Durrleman. Non, nous avons fait état dans notre communication de toutes les informations disponibles et nous ne voyons pas, en l’état, d’où nous pourrions tirer une meilleure connaissance de cette population. Encore une fois, je ne puis qu’insister sur le délai d’un an d’ancienneté, exigé depuis la loi de 1978 sur la mensualisation pour bénéficier de la couverture complémentaire des arrêts maladie, contre quatre semaines en Allemagne. Mais il faudrait aussi s’intéresser aux personnes qui travaillent moins de 200 heures par trimestre ou moins de 800 heures dans l’année : quelles conséquences aurait, par exemple, le passage à 175 heures ? Pour l’instant, nous ne disposons pas de simulation alors même que les emplois à temps très partiel se sont multipliés. La population concernée a donc considérablement augmenté par rapport à l’après-guerre et aux années soixante et soixante-dix, mais la réglementation, elle, est restée globalement identique. Cette question nous renvoie à la nécessité d’une réflexion plus générale, sur les priorités à imprimer à notre protection sociale dans un contexte économique et financier difficile.

Mme la rapporteure. On pourrait imaginer que la suppression de la journée de carence pour les fonctionnaires, décision assez controversée annoncée récemment par la ministre de la fonction publique, ait pour contrepartie la systématisation des contrôles des congés maladie des fonctionnaires. Une telle mesure est-elle envisageable et quel en serait le coût ?

M. Antoine Durrleman. Nous avons été très déçus des résultats de l’expérimentation du contrôle des congés maladie des trois fonctions publiques par la CNAMTS. Non seulement elle a été lancée avec retard, mais les avis d’arrêts de travail dans la fonction publique d’État étaient transmis aux médecins conseils quand il n’était plus temps pour ceux-ci d’intervenir ! En tout état de cause, sachant qu’ils ne sont que 1 700, une systématisation des contrôles se heurterait à un problème d’effectifs…

M. le coprésident Pierre Morange. Combien de médecins contrôleurs sont effectivement présents sur le terrain ?

Mme Myriam Métais, rapporteure de la Cour des comptes. Sur 2 000 médecins au total, 1 700 sont sur le terrain.

M. le coprésident Pierre Morange. J’avais cru comprendre qu’une bonne moitié était affectée à des tâches administratives. Si c’est le cas, les capacités d’intervention sur le terrain sont fortement amputées.

M. Antoine Durrleman. Si nous nous en remettons aux indications concordantes fournies par la caisse de la Marne et par le directeur régional du service médical de l’Île-de-France, ce serait un quart des médecins conseils qui se consacrerait effectivement au contrôle, soit environ 400 pour tout le territoire et pour l’ensemble des salariés du secteur privé. Comment imaginer étendre leur compétence aux trois fonctions publiques ? Le champ retenu pour l’expérimentation – plus de quarante-cinq jours d’arrêt maladie ou quatrième arrêt itératif – nous a paru intéressant, mais la généralisation du dispositif reviendrait à donner un coup d’épée dans l’eau si l’on ne réglait pas la question des moyens et celle de l’accélération des délais de transmission.

M. le coprésident Pierre Morange. Je déduis de votre propos que les trois quarts des médecins conseils ne sont pas affectés au cœur du métier de contrôleur, mais à des tâches administratives ou, par exemple, à des enquêtes épidémiologiques qui pourraient être confiées aux organismes de recherche. On en est ainsi réduit à gérer la pénurie, ce qui condamne à terme le dispositif.

S’agissant de la fonction publique, on suspecte une certaine mauvaise volonté pour ce qui est des délais, mais aussi de l’enregistrement des données d’état civil des fonctionnaires, qui n’a même pas été faite correctement…

M. Michel Braunstein, conseiller maître, président de section à la Cour des comptes. Si on souhaite généraliser le dispositif, il faudrait que les procédures de congé de longue durée et de longue maladie dans la fonction publique relèvent uniquement de l’assurance maladie, y compris pour le contentieux. Rien ne serait pire qu’un partage des responsabilités.

M. le coprésident Pierre Morange. Compte tenu, d’une part, des priorités que s’assigne la CNAMTS et, d’autre part, de la pression des employeurs confrontés à des arrêts itératifs qui désorganisent la production, ne pourrait-on imaginer une complémentarité entre l’assurance maladie et les sociétés de contre-visites mandatées par les entreprises ? Ces sociétés pourraient assurer un contrôle administratif élémentaire, ne serait-ce que vérifier la présence physique de l’assuré à son domicile, travail que ne peut pas prendre en charge l’assurance maladie de façon opérationnelle pour les arrêts courts.

M. Michel Braunstein. Le déploiement de l’applicatif DIADEME – dématérialisation et indexation automatique des documents et des messages électroniques – au niveau des caisses constitue une solution pour améliorer le ciblage, notamment pour le contrôle des arrêts itératifs. Il permettra aux caisses qui l’utilisent d’ores et déjà d’être beaucoup plus réactives, ne serait-ce que grâce à l’envoi d’un courrier avertissant l’assuré d’un passage possible du médecin contrôleur. Cet outil a vocation à être généralisé et produira des effets à terme.

Mme Myriam Métais. C’est avant tout le développement de l’arrêt de travail dématérialisé qui permettra une meilleure réactivité et un meilleur ciblage.

Pour la fonction publique, le fait que les agents n’envoient pas leurs arrêts à l’assurance maladie constitue un frein à la réactivité en matière de contrôles. De fait, l’expérimentation a bloqué sur la mise en place d’un « circuit parallèle » des congés maladie.

M. Antoine Durrleman. L’expérimentation a au moins eu pour mérite de permettre d’identifier certains obstacles. La généralisation du contrôle des congés maladie des fonctionnaires suppose de modifier les règles de la fonction publique régissant la transmission des arrêts de travail, actuellement envoyés au seul employeur public, ainsi que d’autres points – congés de longue durée, mi-temps thérapeutiques… Mais, pour ceux-ci, il faudrait toucher au statut de la fonction publique, entreprise dont nous mesurons bien la difficulté !

Mme la rapporteure. Les agents de la fonction publique pouvant être soumis à des contre-visites médicales, pourquoi la transmission des arrêts de travail aux caisses ne pourrait-elle pas être rendue obligatoire ?

M. Antoine Durrleman. Elle peut bien évidemment l’être, à condition de prendre les mesures réglementaires nécessaires – sans se limiter à la fonction publique d’État.

M. le coprésident Pierre Morange. Lidentification du prescripteur hospitalier devrait également être obligatoire, de même que la dématérialisation de la transmission des arrêts de travail, venant après celle des feuilles de soins.

M. Michel Braunstein. Ce point est assez facile à régler. Par contre, celui des mi-temps thérapeutiques et des congés de longue durée l’est beaucoup moins : il fait partie d’un « socle » !

Mme la rapporteure. On pourrait commencer par le plus simple.

M. Michel Braunstein. Il ne serait pas idéal de procéder par modifications partielles.

M. Antoine Durrleman. Nous avons été très déçus, je le répète, par les résultats de l’expérimentation du contrôle de la fonction publique dont la mise en place a manifestement été très compliquée dans les trois fonctions publiques, même si les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers l’ont menée sur la base d’un vrai volontariat. Pour ce qui est de l’État, il s’agissait d’un volontariat assez contraint et les choses se sont organisées dans une sage lenteur…

M. le coprésident Pierre Morange. La moyenne des arrêts de travail dans la fonction publique territoriale est de 22 jours par an – et même de 29 jours chez les agents des conseils régionaux –, contre 14 jours chez les salariés du régime général. Et je fais abstraction des particularismes régionaux – ou saisonniers.

M. Antoine Durrleman. Il y a indubitablement matière à contrôles, mais il ne faut pas négliger la prévention. Dans le secteur hospitalier, une partie des arrêts de travail est liée à une réelle pénibilité, à laquelle les directions ne sont pas assez attentives. D’ailleurs, une vraie gestion des ressources humaines peine à s’imposer dans les administrations en général : l’on y trouve encore plus de directeurs du personnel, se limitant à la gestion des carrières et des emplois, que de directeurs des ressources humaines dignes de ce nom ! D’autre part, dans la fonction publique d’État, les médecins de prévention sont trop rares, d’autant que les obligations en la matière sont moindres que pour la médecine du travail dans le secteur privé, et, dans la fonction publique hospitalière, le faible niveau des rémunérations rend extraordinairement difficile le recrutement de médecins du travail, eux aussi en nombre insuffisant : l’écart est trop grand avec les salaires proposés par les services de santé interentreprises. Même si l’on s’efforce d’améliorer les conditions de travail, il existe donc une marge de progrès considérable en matière de prévention.

Pour résumer, il faudrait, en amont, renforcer les actions de prévention en s’appuyant sur une analyse très fine des situations et, en aval, mener des actions de contrôle et de régulation, les deux étant également nécessaires. À ces deux égards, je pense que, dans un certain nombre de cas, la sphère publique a pris du retard.

Cela étant, de façon générale, nous avons la conviction qu’un mouvement s’est amorcé, le sentiment se répandant qu’une gestion plus fine et mieux ciblée est possible. Les caisses de la Marne, de l’Aube et de Bayonne ont démontré qu’un travail de fond sur les territoires produit des résultats. Sans prétendre que ce mouvement à lui seul est à l’origine de l’infléchissement du volume des indemnités journalières constaté en 2012 – la crise et le chômage y participent aussi pour quelque chose –, nous pensons qu’il y a contribué. Il reste à le généraliser : les gains à en attendre sont considérables. Nous avons ainsi évalué à 300 équivalents temps plein, au minimum, les économies à attendre d’une modernisation de la gestion des IJ.

M. Michel Braunstein. Avez-vous choisi d’auditionner la caisse de la Marne parce qu’elle se montre « bonne élève » ou pour une autre raison ?

Mme la rapporteure. Parce qu’elle est expérimentatrice. Mais sans doute n’avait-elle pas été désignée pour expérimenter par hasard…

M. Michel Braunstein. Elle a en tout cas obtenu des résultats remarquables : au début de janvier dernier, un quart des médecins du département prescrivaient des arrêts de travail dématérialisés.

Mme la rapporteure. Il faut dire que la directrice de cette caisse a pris les choses à bras-le-corps !

M. Antoine Durrleman. Nous avons jugé très intéressant que la DREES veuille retravailler avec l’IRDES sur les déterminants de la dépense, sujet un peu délaissé ces dernières années : cette réflexion devrait être d’une très grande utilité pour la gestion même de la dépense.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous pouvons certainement, sans céder à la complaisance, y voir un effet de notre travail commun. Comme cela a déjà été le cas pour la fraude sociale et pour le fonctionnement interne de l’hôpital, cette collaboration permet d’avancer sur des sujets a priori controversés, voire sulfureux, en contribuant à un débat apaisé, débarrassé de tout caractère idéologique pour se concentrer sur l’essentiel : le meilleur rapport coût-efficacité dans l’utilisation de l’argent public.

Mme la rapporteure. Qu’en est-il des prescripteurs ?

M. Antoine Durrleman. Une action portant sur les seuls hyperprescripteurs aurait forcément des résultats limités. Il faut donc s’intéresser aussi aux « gros » prescripteurs en s’appuyant sur les référentiels de l’assurance maladie : cela ne peut que contribuer à revaloriser la fonction du médecin traitant et faciliter une rémunération à la performance fondée sur des indicateurs d’arrêts de travail par patientèle.

M. Michel Braunstein. Le nombre moyen d’indemnités journalières prescrites par médecin va de 1 000 pour le troisième décile – en fait le premier regroupant des praticiens à temps complet – à 8 000 pour le dixième décile : un tel écart est étonnant.

M. le coprésident Pierre Morange. Le référentiel validé par la CNAMTS et la HAS est-il totalement intégré dans les logiciels d’aide à la prescription (LAP) ? Une sorte de guichet unique pour l’accès à l’information me paraît en effet indispensable, le temps médical étant contraint.

Mme Myriam Métais. Le référentiel figure dans l’applicatif « l’avis d’arrêt de travail en cinq clics » qui est disponible sur un portail de la CNAMTS. Cet outil est critiqué par les médecins, qui ne l’utilisent pas et qui ont demandé l’intégration des arrêts de travail dans les logiciels métiers. La CNAMTS a travaillé en ce sens au cours de l’année 2012 avec quelques-uns des principaux éditeurs, mais elle n’a pas le pouvoir de les contraindre…

M. Michel Braunstein. Le fait que le nombre de ces éditeurs diminue est peut-être de nature à faciliter les choses !

La variation de l’IJ payée entre le premier arrêt, le deuxième, le troisième et le quatrième arrêt de travail est sans aucun doute très marginale, de sorte qu’on ne gagne à peu près rien à toujours chercher à prendre pour base le salaire le plus récent. Nous aurions pu le démontrer en nous appuyant sur des exemples d’assurés, travail que nous n’avons pas fait. Par contre, je pense que la caisse de la Marne pourrait, sur la base d’échantillons, justifier votre demande de simplification sur ce point, afin de dissiper la « perplexité » dont a fait état la direction de la sécurité sociale (DSS).

M. Antoine Durrleman. Le mot « perplexité » est faible : elle était « tous freins serrés » ! Elle pense que ce serait coûteux. Nous y voyons, nous, la source d’un gain de productivité considérable pour les caisses.

M. le coprésident Pierre Morange. Auriez-vous d’autres propositions de simplification ?

M. Antoine Durrleman. Nous n’en avons pas d’autres que celles qui figurent dans notre communication, la priorité devant selon nous aller à l’harmonisation des assiettes des salaires de référence pour calculer la prise en charge des différentes sortes d’indemnités journalières, compte tenu de la complexité qu’impose la gestion du système actuel.

M. le coprésident Pierre Morange. Madame, messieurs, nous vous remercions de ces précisions.

La séance est levée à onze heures quinze.