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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 20 juin 2013

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Jean-Marc Germain et M. Pierre Morange, coprésidents

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

Présentation du rapport définitif de la Cour des comptes à la MECSS sur « le financement de la branche famille » : M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître, et M. Noël Diricq, conseiller maître

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 20 juin 2013

La séance est ouverte à dix heures trente.

(Présidence de MM. Jean-Marc Germain et Pierre Morange, coprésidents de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, accompagné de M. Michel Braunstein, conseiller maître, et de M. Noël Diricq, conseiller maître, sur le rapport définitif de la Cour des comptes sur le financement de la branche famille.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous accueillons ce matin M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Michel Braunstein, conseiller maître, et M. Noël Diricq, conseiller maître.

Je vous souhaite la bienvenue, messieurs, et vous remercie d’avoir accepté de nous présenter le rapport définitif de la Cour des comptes sur le financement de la branche famille. Vous nous direz quelles sont les hypothèses d’évolution du financement de la famille et évoquerez les neufs scénarii de transfert que vous avez étudiés.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Nous nous trouvons une nouvelle fois devant vous pour évoquer le financement de la branche famille. Après avoir dans un premier temps établi un état des lieux, nous avons, à votre demande, examiné la combinatoire entre le financement de la branche famille, la politique des allégements de charges et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), étudié un certain nombre de scenarii de transfert et envisagé l’hypothèse de la budgétisation en examinant les avantages et les inconvénients de ce scénario alternatif.

Le financement de la branche famille a connu d’importantes évolutions depuis le début des années 1990 puisqu’il se trouvait au cœur des réformes successives du financement de la protection sociale. La branche famille a été très directement concernée par la création de la contribution sociale généralisée (CSG), qui s’est traduite par d’importants transferts de financement des entreprises vers les ménages, et, dès 1993, elle a été la première touchée par la politique d’allégement de charges sociales.

Ces mesures ont entraîné la baisse de la part relative du financement direct de la branche famille par les entreprises sur une longue période – cette part est actuellement stabilisée aux environs de 64 %. La participation réelle des entreprises est inférieure à ce que les chiffres laissent apparaître. Le taux de 5,4 %, qui est maintenu, ne correspond pas à la réalité. Les entreprises du secteur privé financent la branche à hauteur de 23 milliards d’euros – en laissant de côté la participation des administrations publiques et des travailleurs indépendants. La réalité est donc plus obscure que l’apparence et c’est ce que nous avons cherché, dans un premier temps, à mettre en lumière.

À ce dispositif d’allégement des charges – qui consiste à faire varier le taux réel de la cotisation famille, selon le niveau du salaire, entre 0 et 5,4 %, ce qui l’apparente à un dispositif social – a été récemment superposé un dispositif fiscal : le CICE.

Mais ces mécanismes d’égale puissance, qui représentent l’un et l’autre près de 20 milliards d’euros, ne couvrent pas exactement les mêmes périmètres. Le premier s’applique aux salaires inférieurs à 1,6 SMIC et le second aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC, et leurs modes de financement sont très différents. La politique d’allégement des charges est financée par l’attribution à la protection sociale, à titre définitif, d’un panier de taxes et d’impôts affectés, tandis que le CICE fait l’objet d’un financement budgétaire qui sera équilibré par des économies, une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et un nouveau recours à la fiscalité environnementale.

Sous un angle purement économique, dès lors qu’il couvre expressément et spécifiquement le financement de la branche famille, nous pourrions considérer que le CICE répond à la question de la charge qui pèse sur les entreprises. Mais ce n’est qu’une hypothèse d’école puisque le CICE, à la différence du dispositif d’allégement de charges, n’est pas affecté à la prise en charge d’un type de cotisation spécifique.

La question de la suppression de toute participation directe des entreprises au financement de la branche famille doit être parfaitement éclairée au regard de la diversification accrue des objectifs de la politique familiale, en particulier celui de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Cet objectif, l’un des quatre définis par la loi de financement de la sécurité sociale comme devant être ceux de la politique familiale, mobilise de plus en plus de moyens de la part de la branche famille ainsi que des moyens budgétaires par le biais de la dépense fiscale.

Nous avons étudié les sommes que représentent les prestations qui concourent directement à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle en partant de deux hypothèses : toutes deux montrent que 10 à 15 milliards d’euros sont consacrés directement à cet objectif important pour les entreprises.

Ce point mérite une analyse approfondie car la question d’un allégement complémentaire des charges pesant sur les entreprises se pose différemment selon la manière dont il est traité, la contribution des entreprises pouvant passer par des prélèvements généraux – c’est le cas de la formation initiale – ou par le versement de cotisations affectées
– le versement transport, ou encore l’action en faveur du logement – par le biais desquelles les entreprises participent à des politiques nationales dont elles sont les bénéficiaires directes.

Nous avons donc cherché dans un premier temps à éclairer la participation des entreprises au financement de la branche famille, le nouveau contexte né de la création du CICE, et la légitimité – ou l’illégitimité – de la contribution des entreprises au financement de la branche famille au regard des objectifs de celle-ci. Dans un deuxième temps, nous avons étudié différents scénarii de transfert de l’assiette de ce financement.

Le premier scénario maintient le financement par les entreprises mais en modifie l’assiette, qui ne serait plus la masse salariale mais la valeur ajoutée. Nous avons étudié ce scénario en nous basant sur l’assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui a été substituée à la taxe professionnelle.

Le deuxième scénario transfère le financement sur la TVA, ce qui revient à le faire supporter par d’autres agents économiques que l’entreprise.

Le troisième scénario bascule le financement sur la CSG.

Le quatrième scénario prévoit le recours à la fiscalité environnementale.

Ces différentes assiettes ont en commun un certain nombre de caractéristiques. Le prélèvement de substitution doit en effet avoir une certaine dynamique, en lien avec celle des prestations, son assiette doit être assez large pour permettre un rendement élevé à faible taux et son recouvrement doit être aisé – il ne s’agit pas d’ajouter des complexités à un système social déjà très complexe.

Nous avons demandé à la direction générale du Trésor (DGT) du ministère de l’économie d’étudier différents scénarii pour ces quatre prélèvements correspondant à des transferts compris entre 6 et 23 milliards d’euros. La DGT a utilisé MESANGE (modèle économétrique de simulation et d’analyse générale de l’économie) pour parvenir à ses conclusions qui montrent qu’il n’existe pas d’« assiette miracle ».

L’élargissement des cotisations des entreprises à la totalité de la valeur ajoutée sous forme d’une cotisation additionnelle à la CVAE, ce qui a été mis en place en Italie, aurait un effet peu significatif sur l’emploi. En outre, en pesant sur l’investissement, elle pourrait dégrader à long terme la croissance potentielle de l’entreprise.

Le basculement sur la TVA, qui a été partiellement mis en œuvre en Allemagne, aurait un effet récessif sur la consommation – qui ne serait pas compensé par un recul des importations – et peu d’effets sur l’emploi.

Le transfert sur la CSG, quant à lui, pourrait avoir des effets positifs, mais ceux-ci seraient d’autant plus importants que ce transfert est ciblé sur les bas salaires.

Enfin, l’instauration d’une taxe sur l’énergie, comme cela a été fait en Suède, aurait des effets limités mais néanmoins plus favorables que le basculement sur la TVA.

Il apparaît qu’aucune de ces simulations ne permet de mettre en lumière un prélèvement de substitution qui aurait un impact significatif sur la croissance et sur l’emploi. Seule une diminution, non entièrement compensée, des cotisations à la charge des employeurs aurait un tel impact. Mais tous ces scénarii, quels qu’ils soient, exigent une maîtrise rigoureuse de la dépense et un effort méthodique d’efficience.

Quant à la budgétisation, elle permet une approche consolidée plus cohérente de la politique familiale, en particulier au regard de l’articulation des dépenses fiscales et des prestations familiales. Sur le plan technique, c’est une opération relativement simple qui ne rencontre pas d’obstacles majeurs, ni juridiques ni financiers.

En revanche, ses inconvénients ne sauraient être sous-estimés. En effet, dans la mesure où elle remet en cause le modèle de sécurité sociale hérité de 1945, qui a intégré la politique familiale dans le champ de la sécurité sociale, elle nous invite à nous poser la question du caractère limitatif des enveloppes budgétaires et de leur gestion ainsi que celle, sous-jacente, de la légitimité des partenaires sociaux dans la gouvernance d’une branche qui ne serait plus alors que l’opératrice de l’État.

Voilà les éclairages que nous avons souhaité apporter au Parlement, dans la limite de nos investigations et sans entrer dans le débat engagé par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS) concernant le réaménagement des recettes des différentes branches de la sécurité sociale en vue de faire mieux coïncider la logique, contributive ou universelle, de chacune d’entre elles, et la nature de leurs ressources. Le Haut Conseil a remis son rapport au Premier ministre il y a une dizaine de jours.

Vous trouverez en annexe de notre rapport un certain nombre de recommandations antérieures de la Cour des comptes en matière de politique familiale, sous l’angle des prestations familiales et des outils fiscaux de cette politique.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Je me réjouis de la qualité de vos analyses et de vos simulations, dont vous soulignez également les limites.

Les transferts sur la CSG sont moins pénalisants pour l’emploi à long terme, tous les économistes sont d’accord sur ce point, mais leur impact sur la consommation est moins bien maîtrisé et leurs conséquences en termes de justice sociale nous sont mal connues.

Dans la mesure où nous ne savons pas modéliser de manière satisfaisante les effets négatifs de la fiscalité écologique, il est normal que celle-ci soit perçue comme une solution plus intéressante, encore faut-il qu’elle n’ait pas d’impact sur la production.

Vous portez un jugement négatif, dans le cadre du premier scénario que vous présentez, sur le transfert intégral des cotisations famille du secteur privé sur l’assiette de la CVAE. Mais, dans le modèle MESANGE, le capital étant considéré comme totalement mobile, toucher à sa fiscalité apparaît automatiquement comme une incitation pour les entreprises à diminuer leurs investissements, ce qui a des conséquences négatives pour l’emploi, tout comme le fait de remplacer un allégement ciblé sur les bas salaires par une hausse générale du coût du travail, d’où, si on lit trop vite vos résultats, une image par trop négative de ce que pourrait produire un transfert sur l’assiette de la CVAE. Pourtant, selon certains économistes, notamment dans l’hypothèse de cotisations négatives et de la neutralisation de la mesure pour les bas salaires, le transfert sur la cotisation assise sur la valeur ajoutée pourrait avoir des effets positifs sur l’emploi. Pour éviter l’effet négatif du transfert intégral sur l’assiette de la CVAE, il pourrait être envisagé d’étendre l’allégement général de cotisations à d’autres branches de la sécurité sociale, voire aux régimes de retraite complémentaire ou à l’UNEDIC. Est-il envisageable de présenter un dérivé du premier scénario qui prendrait en compte cette remarque ?

Autre question. Comment s’extraire du modèle MESANGE ? L’administration et les différents instituts de prévision ont-ils la capacité de recourir à d’autres modèles ? MESANGE est en effet un modèle néokeynésien mais, à long terme, d’inspiration plutôt libérale. Dans ce modèle, tout ce qui nuit au capital est défavorable à l’emploi. Ce modèle présente donc des effets pervers. De nombreux économistes ont travaillé sur d’autres modèles, certes beaucoup plus difficiles à évaluer quantitativement, mais qui conduisent à des résultats très différents.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de votre rapport qui correspond parfaitement à la commande formulée par la mission. Vos simulations font apparaître qu’il n’existe pas d’« assiette miracle », ce qui nous invite à nous interroger sur les prérequis du modèle utilisé, qui s’inscrit dans une logique selon laquelle il n’y a pas d’alternative à des baisses de cotisations patronales non compensées, celles-ci n’étant concevables que dans l’hypothèse d’une diminution des prestations servies ou d’un accroissement de l’efficience. Cette position contredit les intuitions de tous les acteurs quant à l’évolution du financement de la branche famille. Je vous poserai donc la même question que Jean-Marc Germain.

Par ailleurs, le scénario de la budgétisation semble avoir votre préférence, même si vous ne le mentionnez pas clairement. En avez-vous identifié les risques, en termes d’évolution de la dépense publique ?

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale vient de remettre ses travaux au Premier ministre. Ses préconisations se présentent sous forme de trois scénarios. Un premier scénario prévoit un « échange » entre la branche famille et la branche vieillesse de cotisations à la charge des employeurs contre des impôts et taxes ; le deuxième envisage des réaffectations importantes d’impôts et taxes aujourd’hui attribués aux branches famille et maladie de façon à concentrer sur cette dernière l’ensemble des taxes à visée comportementale ; le troisième est fondé sur une augmentation de la CSG en remplacement des cotisations patronales pour la famille.

Quel regard portez-vous sur ces différents scénarii ?

M. le coprésident Pierre Morange. Je salue à mon tour la qualité du rapport que vous nous avez présenté.

L’annexe 5 de votre rapport retrace l’ensemble des préconisations de la Cour des comptes en faveur d’économies potentielles et de la rationalisation des postes de dépenses affectées à la branche famille. Vous serait-il possible d’actualiser ces préconisations en fonction des récentes décisions gouvernementales, qui conduisent en particulier à la baisse du plafond du quotient familial ?

M. Antoine Durrleman. Le modèle économique que nous avons utilisé a sa logique propre et de toute façon il n’en existait pas d’autre dans l’administration. Les laboratoires universitaires d’économie, comme ceux des écoles d’économie de Toulouse ou de Paris, disposent de modèles différents, mais nous n’avons pas eu la possibilité de les solliciter. Il est clair que ces sujets nécessitent des regards croisés et que la sensibilité des modèles à différentes hypothèses peut faire varier les conclusions.

Nous avons cherché à documenter, comme vous le souhaitiez, des exemples étrangers, mais nous avons rencontré un certain nombre de difficultés. Ces exemples font toutefois apparaître que les basculements produisent des effets, à la fois structurels et conjoncturels, mais nous n’avons pas été en mesure d’analyser ce qui résulte du basculement lui-même, de son quantum, et ce qui résulte de la conjoncture dans laquelle il a été effectué.

Lorsque nous avons abordé cette analyse, nous étions totalement « agnostiques », nous avons donc étudié les scénarii de substitution tels qu’ils nous ont été présentés. Mais la problématique du transfert sur la valeur ajoutée des entreprises, que nous connaissons depuis plus de trente ans, nous a appris qu’il faut avant tout bien connaître la nature de l’investissement à prendre en compte et définir précisément ce qu’est la valeur ajoutée. Nous avons refusé d’entrer dans ce débat sur le sexe des anges, considérant que le Parlement l’avait déjà tranché.

Pour des raisons de simplification, nous avons proposé l’instauration d’une cotisation additionnelle à la CVAE, dont l’assiette porte sur la valeur brute des investissements – mais elle pourrait aussi bien porter sur leur valeur nette, ce qui aurait peut-être abouti à un autre résultat. Mais nous n’avons pu le démontrer, notre exercice n’étant qu’un éclairage.

En matière de budgétisation, nous sommes tout aussi agnostiques. Ce que nous avons cherché à montrer, c’est que sous un angle purement technique, il n’existe pas de différence incommensurable entre le scénario de fiscalisation intégrale et celui de budgétisation. En réalité, ce n’est qu’une question de tuyau. Celui-ci peut déboucher dans une branche, sous le contrôle de l’État qui pèse fortement sur la gouvernance et les objectifs de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), ou déboucher dans le budget de l’État, à charge pour lui d’affecter les ressources à une politique publique – ce qu’est par nature la politique familiale, du fait de son caractère universel et parce qu’elle n’a plus aucun lien, depuis 1978, avec l’exercice d’une activité professionnelle. Les deux scénarii diffèrent sur le plan philosophique, mais sous l’angle financier, à quelques nuances près, ils ne sont pas réellement différents. Lorsque l’on affecte des recettes spécifiques à une branche et que la croissance des dépenses est peu dynamique, cela crée des excédents que l’on peut envisager de mobiliser, mais ce n’est pas le cas en période de déficit de la branche famille.

Inversement, le fait que l’État gère des enveloppes de prestations ne signifie nullement que ces enveloppes soient mieux tenues que si elles étaient dévolues à une branche prestataire. Il n’y a pas de différence radicale entre l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), pourtant l’une provient du budget de l’État et l’autre est une prestation familiale, et toutes deux sont versées par les caisses d’allocations familiales (CAF). Ces différences relèvent plus de la philosophie et de notre approche de la politique familiale. Dans le cas d’une fiscalisation intégrale, la question du rôle des partenaires sociaux se poserait de la même façon puisque leur présence au sein de la branche famille se justifie par le fait que son financement est assuré par des prélèvements sur la masse salariale.

Nous avons naturellement pris connaissance des scénarii du HCFi-PS. Encore une fois, sur un plan philosophique, il est assez logique de poursuivre le mouvement historique initié en 1945 et qui conduit à faire mieux concorder la nature des prélèvements et l’objectif de chacune des branches. Le chemin a été interrompu du fait de la politique d’allégement des charges qui a brouillé de manière récurrente la problématique, mais il peut sembler légitime de le reprendre pour des raisons de clarté et de cohérence propres à assurer la légitimité de la protection sociale.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. L’une des variantes du premier scénario prévoyant le transfert des cotisations sur l’assiette de la CVAE consisterait à transférer sur d’autres branches les allégements de charges sur les bas salaires, afin de neutraliser un effet très contre-productif du scénario, dû au fait que l’on remplace un allégement sur les bas salaires par un prélèvement sur une part de la valeur ajoutée qui pèse de manière proportionnelle sur l’ensemble des salaires.

M. Antoine Durrleman. Une telle simulation nécessiterait de saisir la direction générale du Trésor.

Nous avons fait au cours des dernières années un certain nombre de propositions en vue de maîtriser les dépenses de la branche famille, dont certaines ont été récemment prises en compte par les pouvoirs publics à l’occasion de la rénovation de la politique familiale annoncée par le Premier ministre.

La première de ces propositions concerne les aides à la garde des enfants. La Cour, constatant que la prestation d’accueil des jeunes enfants (PAJE) reposait sur des paramètres mal calés, ce qui a produit des dérives de coût et des effets d’aubaine, a fait des observations aux pouvoirs publics. Ceux-ci les ont pris en compte en diminuant, à compter d’avril 2014, l’aide aux ménages dont les revenus sont supérieurs à un certain plafond.

Le complément de libre choix d’activité (CLCA) provoquait un effet d’aubaine pour les familles aux revenus situés dans la tranche supérieure des revenus. La Cour a donc proposé de le recentrer sur les publics les moins aisés. Le Gouvernement vient de donner suite à cette suggestion en supprimant la majoration dont bénéficiaient les ménages les plus aisés.

Enfin, la Cour s’est intéressée l’an dernier au complément de libre choix du mode de garde en vue d’en limiter les effets d’aubaine. Nous n’avons pas étudié l’opportunité de le plafonner mais avons conclu à la nécessité de le réexaminer.

La Cour s’est également intéressée à l’articulation entre les prestations en espèces et les dépenses fiscales. Elle a eu l’occasion, à différentes reprises, de démontrer que le cumul des prestations familiales et des aides fiscales revenait à accorder des aides substantielles aux ménages à revenus élevés ainsi qu’aux ménages à revenus bas, au détriment des catégories intermédiaires.

En revanche, la Cour n’a pas analysé l’articulation entre les outils fiscaux et les outils sociaux de la politique familiale. Elle s’apprête à réaliser une enquête sur ce point et a déjà commencé à travailler sur différents points.

Le premier d’entre eux est la demi-part supplémentaire pour les parents isolés. Cet avantage fiscal bénéficie essentiellement, malgré le plafonnement mis en place, à des contribuables qui disposent de revenus élevés.

Le second point qui a appelé son attention est la demi-part supplémentaire accordée aux contribuables vivant seuls et qui ont eu des enfants. Bien que cette mesure ait déjà fait l’objet de certains ajustements, une part importante de la dépense bénéficie aux contribuables les plus aisés, puisque 22 % de la dépense est versée à 10 % de contribuables dont le revenu fiscal de référence est supérieur ou égal à 53 000 euros.

La question du quotient conjugal pour les veufs ayant eu des enfants a été examinée en 2009, mais la Cour s’interroge sur le bien-fondé de cet avantage dans la mesure où il se surajoute à la demi-part accordée aux parents isolés.

La Cour des comptes s’est également interrogée sur le supplément familial versé aux fonctionnaires. Cet avantage, que l’État employeur consent aux agents publics, représente pour les trois fonctions publiques 1,3 milliard d’euros, mais les prestations croissent avec l’indice de rémunération et le plafonnement n’intervient qu’à un niveau de salaire élevé puisqu’il est fixé au niveau de l’« échelle lettre ».

La Cour a examiné à plusieurs reprises les avantages familiaux de retraite – cette question se retrouve à l’ordre du jour à la suite du rapport de Mme Yannick Moreau. Considérant que la majoration de 10 % pour les parents de trois enfants et plus augmente avec le montant des pensions et qu’au surplus cet avantage n’est pas fiscalisé, la Cour a suggéré de le fiscaliser ou de le forfaitiser.

Enfin, constatant que les crédits d’action sociale représentent une somme importante pour la branche famille, la Cour, dans un référé de mai 2013, a appelé l’attention du Gouvernement sur la manière dont sont mobilisés les 1,5 milliard d’euros annuels de crédits d’action sociale en faveur de la jeunesse. Dès 2006, la Cour avait préconisé de cibler cet effort sur les publics et les territoires les plus fragiles avant de constater, dans une enquête réalisée en 2012, que les inégalités territoriales s’étaient considérablement accrues. Les crédits affectés au département de la Lozère sont passés de 68 euros en 2006 à 79 euros en 2011, tandis que ceux affectés au département de la Haute-Garonne passaient de 352 à 496 euros. La Cour avait suggéré de redéployer ces crédits vers les populations et les territoires les plus fragiles. Il ne faut pas oublier que, dans un certain nombre de cas, la branche famille n’est qu’un financeur d’appoint et ne pèse pas en faveur d’une politique véritablement ciblée. Dans la mesure où ce n’est pour elle qu’une mission secondaire, la CNAF n’a pas le même poids vis-à-vis de ses partenaires en matière de politique en direction de la jeunesse que lorsqu’il s’agit d’améliorer les dispositifs d’aide à la garde des jeunes enfants.

M. Gérard Bapt. La Cour avait chiffré le coût du complément de libre choix du mode de garde, mais lorsque Pascal Terrasse et moi-même avons proposé de le supprimer pour les familles disposant de ressources supérieures à un certain montant, nous avons fait l’objet de nombreuses critiques. Quelle est votre position sur ce dispositif ?

Quelles sont les économies, selon vous, que nous pourrions réaliser sur les systèmes d’information ?

M. le coprésident Pierre Morange. La MECSS a engagé un travail sur ce dernier thème. Les grands systèmes de type mainframe seront bientôt abandonnés au profit de systèmes ouverts. Reste à choisir les modalités de la mise en concurrence des acteurs : dialogue compétitif ou procédure d’appels d’offres conforme au code des marchés publics. Compte tenu du volume financier que représente l’opération, il serait sage de privilégier cette dernière procédure.

M. Antoine Durrleman. S’agissant du complément de libre choix du mode de garde, nous avions cherché à identifier le volume de la dépense que représente la suppression de l’aide aux déciles supérieurs de l’impôt sur le revenu, mais nous n’avions fait aucune proposition concernant le niveau de plafonnement ou le quantum d’économies réalisées, considérant que cela n’était pas le rôle de la Cour des comptes.

Les économies de gestion sont un sujet important en partie lié au regroupement des caisses d’allocation familiale. C’est un point que nous entendons étudier dans un avenir proche. En matière d’économies de gestion, il convient de tenir compte de la réintégration dans les caisses d’allocations familiales d’un certain nombre d’allocataires qu’elles ne prennent actuellement pas en charge. Les fonctionnaires d’État et les fonctionnaires territoriaux ont déjà basculé vers les caisses ainsi que les agents des industries électriques et gazières ; les agents de la SNCF et de la RATP basculeront dans les années qui viennent, ce qui augmentera la productivité des caisses et diminuera corrélativement les coûts de gestion.

En ce qui concerne l’informatique et les modes de gestion informatisés, nous transmettrons au Parlement avant le 30 juin l’acte de certification des comptes du régime général de la sécurité sociale. Je reconnais qu’en dépit d’importantes difficultés, la branche famille a fait un effort certain pour améliorer un certain nombre de processus.

M. le coprésident Pierre Morange. La commission des affaires sociales diligentera dans quelques mois une mission d’information sur la gestion et le fonctionnement des CAF. Celle-ci viendra compléter l’enquête que la MECSS a menée en 2004 sur le coût de gestion de la sécurité sociale.

M. le rapporteur. Le HCFi-PS indique dans son dernier rapport que les dispositifs d’exonération tels que ceux qui s’appliquent dans les zones de revitalisation rurale (ZRR) ou les zones franches urbaines (ZFU) conduisent quasiment à des emplois francs. Avez-vous le sentiment que le financement de la branche famille passe par une réforme du CICE et une mise en cohérence de ces dispositifs ?

M. Antoine Durrleman. L’évaluation a été demandée par le Parlement lui-même, mais la mesure sera réellement déployée entre 2014 et 2017. Cette évaluation devra prendre en compte non seulement le CICE lui-même mais également son articulation avec le dispositif d’allégement de charges. La Cour conseille de resituer le crédit d’impôt dans une politique globale car c’est bien un allégement de charges, financé par un effort d’économies à hauteur de la moitié des 20 milliards d’euros qu’il coûtera, à hauteur de 6 milliards par de la TVA et de 3 milliards par de la fiscalité environnementale. Il est vraisemblable que transférer une part des charges des entreprises vers la fiscalité environnementale et la TVA dopera l’effet des allégements de charges. Les modalités de substitution ne sont pas sans lien avec les conclusions des analyses du modèle MESANGE.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous vous remercions pour la pertinence de vos réponses.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.