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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 14 novembre 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 03

Présidence de M. Pierre Morange, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral, M. Jean-Yves Delannoy, délégué national pour le secteur de la protection sociale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), et Mme Justine Vincent, chargée d’études économiques, Mme Marie-Madeleine Pattier, administratrice de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Michel Coronas, administrateur de la Confédération générale du travail (CGT) à la CNAF, et M. Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral, MM. Patrick Brillet et Didier Aubossu, administrateurs de Force ouvrière (FO) à la CNAF

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 14 novembre 2013

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral, M. Jean-Yves Delannoy, délégué national pour le secteur de la protection sociale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), et Mme Justine Vincent, chargée d’études économiques, Mme Marie-Madeleine Pattier, administratrice de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Michel Coronas, administrateur de la Confédération générale du travail (CGT) à la CNAF, et M. Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral, MM. Patrick Brillet et Didier Aubossu, administrateurs de Force ouvrière (FO) à la CNAF.

M. le coprésident Pierre Morange. La Mission d’évaluation s’est saisie de la question du financement de la branche famille. C’est à ce titre que nous accueillons ce matin les représentants des principales organisations syndicales de salariés : Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral ; M. Jean-Yves Delannoy, délégué national pour le secteur de la protection sociale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), et Mme Justine Vincent, chargée d’études économiques ; Mme Marie Madeleine Pattier, administratrice de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ; M. Michel Coronas, administrateur de la Confédération générale du travail (CGT) à la CNAF, et M. Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral, et MM. Patrick Brillet et Didier Aubossu, administrateurs de Force ouvrière (FO) à la CNAF.

Je vous souhaite la bienvenue, mesdames et messieurs. Je vous prie d’excuser Jean-Marc Germain, coprésident, retenu en séance publique où est actuellement examiné le projet de loi de finances.

Nous avons procédé à un certain nombre d’auditions après avoir pris connaissance des deux rapports de la Cour des comptes analysant l’évolution de la branche famille et son déficit. Comment appréciez-vous l’impact des différentes réformes qui ont affecté cette branche et en quoi, selon vous, ont-elles fragilisé sa situation financière ?

Comment analysez-vous les réflexions en cours concernant l’assiette des prélèvements ? Que pensez-vous de l’éventuelle budgétisation, voire de la fiscalisation du financement de cette branche ?

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Dans le cadre de notre réflexion sur les perspectives du financement de la branche famille, il était important pour nous d’entendre sur le sujet les partenaires sociaux, garants du fonctionnement paritaire de notre système de protection sociale – nous auditionnerons dans les prochaines semaines les organisations patronales – et de connaître le point de vue de ceux qui pilotent la branche famille sur les dépenses, sur leur évolution et sur les choix opérés par les pouvoirs publics, ainsi que sur la structure et les modalités du financement de la branche.

Quel est votre jugement rétrospectif sur l’évolution de ce financement ? Quelle analyse faites-vous de sa structure actuelle et de la part prépondérante qu’y occupent encore les cotisations patronales, compte tenu du caractère universel de la politique familiale ?

Les organisations que vous représentez siègent au Haut Conseil du financement de la protection sociale (PS). Quel est votre sentiment sur les diverses pistes de réforme, en particulier sur celles que la Cour des comptes a mentionnées dans son rapport daté de mai dernier ? Lesquelles vous semblent les plus pertinentes ? Comment pourraient-elles s’articuler avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi (CICE) ?

M. le coprésident Pierre Morange. Je précise que nous avons demandé à la Cour des comptes de préciser quels seraient les prélèvements et les assiettes les plus pertinents. Si je résume à gros traits la réponse donnée dans son second rapport, il n’y aurait selon elle que peu d’avantages à modifier l’assiette du financement : la résorption du déficit de la branche passerait avant tout par la réalisation d’économies.

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Notre position étant quelquefois déformée, je commencerai par préciser la façon dont la CFDT conçoit le financement de la branche famille.

Nous sommes très attachés au maintien du caractère universel des politiques familiales, mais nous pensons qu’il n’est pas exclusif d’une contribution à une politique de redistribution, même si certains soutiennent que telle n’est pas leur vocation. Ce caractère universel permet de s’assurer le consentement de nos concitoyens à un financement qui se fait via les cotisations et l’impôt, dans la mesure où ils ont le sentiment que ces politiques pourront leur bénéficier un jour ou l’autre, mais la redistribution également est un enjeu à caractère universel, de même d’ailleurs que la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale, le soutien à l’autonomie et l’accès des femmes au marché du travail.

Pour nous, les évolutions passées du financement des politiques familiales se caractérisent surtout par leur complexité et par l’affectation de recettes non pérennes. Ainsi l’affectation de 0,28 point de contribution sociale généralisée (CSG) à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) a été compensée par des recettes budgétaires. Autre exemple plus récent : on s’est engagé auprès des employeurs à compenser l’augmentation de 0,15 point de leurs cotisations « retraite », mais nous ne savons pas d’où viendront les recettes qui seront utilisées à cette fin, si ce n’est qu’elles seront essentiellement d’origine budgétaire et nous n’avons aucune assurance quant à leur caractère pérenne. Cette compensation, tout comme le CICE, illustre le mélange de plus en plus accentué de recettes issues de cotisations et de ressources fiscales, ce qui brouille la lisibilité du dispositif et fait peser un risque d’instabilité sur les financements.

Nous pensons qu’au-delà de la branche famille, et plus largement de la politique familiale, il convient de clarifier le financement de la protection sociale dans son ensemble. Les prestations de nature assurantielle, qui se traduisent par le versement de revenus de remplacement – vieillesse, chômage, indemnités journalières en cas de maladie – devraient relever essentiellement d’un financement issu des cotisations sur les revenus du travail, puisqu’un revenu de remplacement doit avoir un lien intime avec le revenu que percevait la personne lorsqu’elle était en activité.

En revanche, les prestations à caractère plus universel – maladie, à l’exception des indemnités journalières, famille, perte d’autonomie – doivent, de ce fait, relever d’un financement plus large. En cas de perte d’autonomie par exemple, tous les citoyens devraient avoir droit à une aide, par le biais de l’allocation personnalisé d’autonomie (APA) ou par tout autre moyen. Nous espérons que cette aide sera rapidement instaurée dans le cadre d’une réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie, mais, en tout état de cause, il n’est pas normal que seuls les revenus du travail salarié financent ce risque.

S’agissant de la branche famille, la CFDT est favorable à ce qu’elle bénéficie d’une partie – mais d’une partie seulement – des cotisations patronales. Il est indéniable en effet que les entreprises bénéficient dans une certaine mesure des politiques familiales, notamment de celles qui visent à faciliter la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle et à favoriser l’accès des femmes à l’emploi, qui constituent un atout pour la compétitivité de notre pays. Dès lors, rien ne justifie que les employeurs soient totalement exonérés de leur financement.

Il existe des marges de manœuvre en matière de transfert d’un outil vers l’autre, mais nous insistons – et c’est même pour nous une condition sine qua non – pour que ces transferts se fassent dans le cadre d’un scénario global de réaménagement du financement des prestations sociales garantissant le maintien du pouvoir d’achat des salariés. Nous exprimons les plus vives réserves à l’égard des projets du patronat qui, présentés parfois de façon caricaturale, consisteraient à transférer les 5,4 points de cotisations familiales sur la fiscalité – peu importerait le support – et à laisser ainsi les salariés payer un peu plus de CSG, par exemple, tandis que l’économie réalisée permettrait d’alléger le coût du travail pour le plus grand bénéfice des employeurs. Parmi les scénarios proposés par le Haut Conseil, nous sommes donc plutôt en faveur du scénario n° 3.2 qui prévoit ce réaménagement global préservant le pouvoir d’achat des salariés.

Autre point important à nos yeux : nous souhaitons que l’affectation de l’outil fiscal utilisé pour ces transferts soit garantie à la protection sociale. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous préférons la CSG à tout autre outil, en particulier à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Nous avons cru comprendre, bien que la communication du Gouvernement ne soit pas très claire à ce sujet, que le projet de taxation de l’excédent brut d’exploitation visait aussi à faire payer aux entreprises l’exonération de 0,15 point de cotisation. Ce dispositif ne nous convient pas car il n’est pas fléché vers la protection sociale et ne garantit pas la pérennité des ressources. Nous préférons un scénario de transfert qui, même s’il est plus complexe techniquement, garantirait la pérennité du financement de la protection sociale et le pouvoir d’achat des salariés.

M. le coprésident Pierre Morange. Quel serait le volume de cotisations concernées par le transfert ?

Mme Véronique Descacq. Nous vous communiquerons l’avis que nous avons rendu au HCFPS. Nous avions retenu un scénario conduisant à une baisse de 3,2 points des cotisations patronales, compensée par une hausse de la CSG. Cependant, alors que le scénario du Haut Conseil était neutre, ou en tout cas ne prévoyait pas de changement majeur du niveau des prélèvements, nous pensons, nous, que si le transfert s’opère sur la CSG, il faudrait élargir l’assiette à d’autres revenus que ceux du travail, en premier lieu aux revenus du capital et, peut-être, à certains revenus de remplacement. Agir sur l’assiette permettrait une économie, mais l’utilisation de celle-ci doit, selon nous, faire l’objet d’un débat. Il ne va pas de soi en effet qu’elle serve intégralement et sans condition à accroître les marges des entreprises. Nous voulons pouvoir vérifier qu’elle sera affectée à la compétitivité, si cela sert l’investissement, ou au financement d’autres risques relevant de la protection sociale, comme le risque chômage. Nous savons en effet que l’assurance chômage aurait besoin de recettes nouvelles pour réduire son déficit.

Conformément à la formule « investissement productif, investissement social » que nous avons mise en avant lors de la Conférence sociale qui s’est tenue en juin dernier, nous devons donc débattre de l’affectation de cette économie afin d’éviter, comme nous le proposent de façon très caricaturale les organisations d’employeurs, qu’elle ne serve qu’à réduire le coût du travail.

Si la branche famille est déficitaire depuis plusieurs années, la raison en est simple : c’est qu’on lui a affecté la charge de payer les avantages familiaux liés à la retraite. Si nous nous réjouissons que ces avantages soient désormais fiscalisés, encore que nous aurions préféré que cette fiscalisation soit fléchée vers la branche famille, nous estimons qu’ils restent trop anti-redistributifs. Nous avons donc insisté, lors de la préparation de la réforme des retraites, pour que soit accélérée leur forfaitisation.

Nous souhaitons également, dans le cadre d’une réforme fiscale globale, poser la question de la suppression du quotient familial et du quotient conjugal qui, en dehors du fait qu’ils privent le budget de l’État de recettes, sont tout aussi anti-redistributifs, sans oublier que le quotient familial a des effets pervers sur l’emploi des femmes. Mais cette suppression ne sera possible que dans le cadre d’une réforme globale, faute de quoi elle ferait peser une charge trop lourde sur les ménages à revenus moyens.

M. Jean-Yves Delannoy, délégué national pour le secteur de la protection sociale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Nous insistons nous aussi sur le caractère universel des politiques familiales et sur leur fonction redistributive, mais le consentement à leur financement nous paraît fortement ébranlé. Notre rencontre intervient en effet dans un contexte de burn out fiscal pour les classes moyennes. Il faudra trouver des remèdes à cette situation.

Je commencerai mon propos en jetant un regard rétrospectif sur le financement de la branche famille. En septembre 2012, la CFE-CGC a été la seule organisation à voter contre l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire, non parce qu’elle s’opposait à cette mesure mais parce qu’elle refusait son financement qui, après avoir été assuré la première année par l’État, a par la suite pesé sur le quotient familial. Pour les mêmes raisons, la CFE-CGC n’a pas voté le rapport remis au Premier ministre par M. Bertrand Fragonard.

Nous nous réjouissons de l’arbitrage qui a abouti à écarter la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, qui était l’une des hypothèses de ce rapport. Le plafond du quotient familial, qui était déjà passé de 2 330 euros à 2 000 euros, a été fixé en 2013 à 1 500 euros. Cette baisse, qui atteint de plein fouet les familles, nous apparaît contraire au principe de redistribution.

Nous vous alertons d’autre part sur le fait que le déficit de la branche, qui était jusqu’alors repris par la CADES, ne l’est plus à compter de l’exercice 2012 et ne pourra dès lors que s’accumuler.

Nous sommes, nous aussi, attachés à la pérennisation des recettes de la branche famille, mais il semble que nous n’en prenions pas le chemin. Nous nous réjouissons toutefois de voir que les allocations familiales ne sont pas encore fiscalisées.

En revanche, la compensation de la baisse de 0,15 point des cotisations patronales par un transfert de TVA nous inquiète. Je rappelle à ce propos que la CFE-CGC, dans une note sur le financement de la protection sociale, proposait la création d’une cotisation sociale sur la consommation, ce qui aurait permis de taxer les produits importés.

Enfin, nous attendons, nous aussi, beaucoup des travaux du Haut Conseil du financement de la protection sociale et nous souhaitons une remise à plat du financement de la branche famille. Nous sommes prêts à y contribuer.

M. le coprésident Pierre Morange. Quelle est la position de chacune de vos organisations syndicales sur le CICE ? Plusieurs économistes que nous avons auditionnés récemment proposent de consacrer les 20 milliards d’euros engagés dans ce cadre à des exonérations de cotisations patronales. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Jean-Yves Delannoy. Nous souhaitons, à la CFE-CGC, que soit retenue la proposition de M. Louis Gallois qui tendait à porter le plafond d’éligibilité de 2,5 à 3,5 salaires minimum interprofessionnels de croissance (SMIC).

M. le rapporteur. Mais dans un rapport qui préconisait, non un crédit d’impôt, mais une baisse des cotisations, répartie dans la proportion de deux tiers à un tiers entre les cotisations patronales et les cotisations salariales…

Mme Marie-Madeleine Pattier, administratrice de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Je tiens avant tout à rappeler l’attachement de la CFTC à la gestion paritaire de la branche famille ainsi qu’à l’universalité des allocations familiales, qui ne fait toutefois pas obstacle au versement de prestations en fonction de caractéristiques propres à certaines familles.

Pour ce qui est de l’évolution du financement de la branche, j’évoquerai tout d’abord les dépenses pour constater que nous gérons de plus en plus de prestations qui ne sont pas strictement liées à la famille. Je prendrai pour exemple l’instruction des dossiers du revenu de solidarité active (RSA). Lorsque les caisses d’allocations familiales instruisaient ceux du revenu minimum d’insertion (RMI), la branche famille percevait une ressource couvrant cette charge. Depuis l’instauration du RSA, ce n’est plus le cas alors même que cette instruction demande un travail encore plus complexe.

M. le rapporteur. Vous parlez des frais de gestion ?

Mme Marie Madeleine Pattier. En effet.

M. le coprésident Pierre Morange. Cette question est très souvent évoquée. Quel est le coût de la gestion de cette prestation ? La Cour des comptes donnant la priorité à la réalisation d’économies, il serait intéressant pour la Mission d’évaluation de le connaître pour évaluer celles qui pourraient être faites sur ce poste, qui ne relève pas des missions premières de la branche.

Mme Marie-Madeleine Pattier. Je vous ferai parvenir cette information par écrit.

La branche famille assume en outre la charge de la protection juridique des majeurs, dont un grand nombre pourtant n’ont pas charge d’enfant, et celle de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). Nous avons du mal à établir un lien avec la branche famille – et nous trouvons d’ailleurs d’autant plus critiquable, dans le second cas, le transfert de 0,15 point de cotisations patronales de la branche famille à la branche vieillesse !

Pour en venir maintenant aux recettes, j’observe qu’on parle toujours de 5,4 % de cotisations patronales en oubliant qu’au fil des années, ce taux a été abaissé à 1,3 % ou à 1,6 %, selon la taille de l’entreprise, pour les salaires égaux à 1,1 SMIC. Il n’est encore que de 4,8 % quand on en arrive à 1,5 SMIC, de sorte que le taux de cotisation moyen, pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC, s’établit à 2,6 %, loin donc des 5,4 % annoncés. Nous aimerions que l’on dise les choses telles qu’elles sont, d’autant que le MEDEF sait fort bien ce que lui coûtent ces cotisations.

Nous restons attachés au financement par les cotisations patronales dans la mesure où la branche famille a pour mission de faciliter la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Si la France a l’un des meilleurs taux d’emploi des femmes, elle le doit en partie à ce dispositif et, plutôt que de réduire des recettes qui permettent aux femmes de travailler de plus en plus nombreuses, il serait préférable de tendre vers l’égalité des salaires.

La CFTC s’est toujours élevée contre les exonérations multiples et variées, qui ne sont pas compensées ou ne le sont qu’avec retard, après que la branche famille a versé les prestations correspondantes, ce qui entraîne pour elle le paiement d’agios. Et c’est précisément parce que tout nous paraît préférable à de nouvelles exonérations que nous sommes prêts à tenter l’expérience du CICE.

M. Michel Coronas, administrateur de la Confédération générale du travail (CGT) à la CNAF. Je rappelle que le taux des cotisations familiales a été par le passé bien plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Les cotisations ont fait l’objet de substantiels allégements, notamment de modulations en fonction des niveaux de salaire, comme cela vient d’être rappelé.

Il est faux de soutenir que le déficit de la branche famille serait structurel : il est dû à l’attribution d’un certain nombre de charges qui devraient normalement relever d’autres branches de la sécurité sociale, en particulier de la branche « retraites ». Dès lors, la nécessité de remettre à plat le financement de la branche perd une grande part de sa justification. Je ne nie pas pour autant qu’il y ait des choses à revoir : ainsi il est fortement question de fiscaliser la bonification de 10 % accordée aux retraités ayant élevé au moins trois enfants mais, bizarrement, c’est la branche vieillesse qui devrait bénéficier du produit de la mesure, et non la branche famille qui finançait cette majoration. Ce point mériterait d’être changé – mais c’est de la responsabilité du législateur.

Nous sommes bien sûr attachés à l’universalité des prestations familiales dans la mesure où elle est étroitement liée à l’acceptabilité de l’effort fiscal. Il faut mettre les familles au premier plan, et la première redistribution, qui est d’ailleurs à l’origine de la création de la branche, doit être orientée au profit de celles qui ont charge d’enfants : toutes les études démontrent qu’il y a une différence de niveau de vie entre elles et celles qui n’ont pas d’enfant. En revanche, il faut éviter la confusion : pour faire de la redistribution fiscale, il existe d’autres outils.

En ce qui concerne l’évolution de la branche, il nous semble qu’on s’engage progressivement dans une direction opposée au paritarisme, conduisant à transformer la CNAF en agence de l’État. En effet, la caisse est de plus en plus chargée de mettre en œuvre des politiques de l’État. Nous souhaiterions plus de clarté en la matière. Il est normal que les politiques qui relèvent de l’État bénéficient d’un financement de celui-ci, mais celles qui sont négociées entre les partenaires sociaux doivent rester dans le cadre de la branche famille de la sécurité sociale.

Nous ne contestons pas la nécessité de réformer la fiscalité des entreprises. Mais nous espérons qu’il ne s’agira pas de nouveaux allégements car ceux-ci sont déjà nombreux, qu’il s’agisse du crédit impôt recherche ou du crédit d’impôt pour la compétitivité, sur lequel nous sommes plus que réservés car il est appliqué sans discernement et sans critères de sélection. Nous sommes plutôt favorables à une modulation de cette fiscalité en fonction des richesses que les entreprises apportent réellement à l’économie nationale et à la sécurité sociale. Il conviendrait notamment d’établir une distinction entre les entreprises en fonction de la part de la valeur ajoutée qu’elles consacrent aux salaires et de leur comportement en matière d’emploi. Nous devrions être plus sélectifs dans notre gestion du régime de cotisations. Cette position est d’ailleurs corroborée par le constat de certaines pratiques d’optimisation fiscale, qui permettent aux entreprises concernées d’occulter une partie de leurs bénéfices et, ainsi, de ne pas contribuer comme elles le devraient à l’effort qui est demandé à tous.

M. Pierre-Yves Chanu, conseiller confédéral de la CGT. Nous sommes comme tous ici très attachés au maintien de l’universalité des prestations familiales et nous considérons que la meilleure façon de garantir cette universalité est de continuer à considérer la branche famille comme un élément à part entière de la sécurité sociale. Il est important de poser ce principe au vu de certains débats actuels.

Il en découle que la politique familiale a vocation à être financée par des cotisations sociales, qui sont un élément du salaire socialisé. C’est pourquoi nous avons une position très critique à l’égard d’une baisse des cotisations des employeurs accompagnée d’un transfert de la charge sur d’autres assiettes : ce serait en réalité une baisse de salaire. Pour nous, il est essentiel que la politique salariale tienne compte des coûts liés à l’éducation des enfants.

D’autres éléments plaident dans le même sens. D’une part, nous considérons que la protection sociale est un élément du développement durable dans la mesure où le bien-être des générations futures en dépend fortement. D’autre part, comme l’a rappelé Mme Descacq, les entreprises ont une responsabilité sociale à l’égard de leurs salariés, celle de contribuer à leur bien-être.

Pour toutes ces raisons, nous sommes attachés à la logique actuelle. Pour nous, la question n’est pas de faire évoluer le financement de la branche famille, mais bien plutôt d’opérer une réforme d’ensemble du financement de la sécurité sociale, réforme dont l’élément principal serait la modulation des cotisations.

Autre point important : nous devrions nous interroger sur les évolutions possibles de la CSG, en particulier de ses différentes assiettes, et éventuellement envisager, dans ce cadre, l’instauration d’une contribution sociale assise sur les revenus financiers des entreprises et dont le niveau pourrait, selon nous, être relativement élevé.

En ce qui concerne le rapport du Haut Conseil, même si ses conclusions ne nous conviennent pas, nous aurions pu être d’accord avec l’idée d’une clarification du financement, mais j’observe que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 fait exactement l’inverse. On a rarement fait pire en matière de complexité des circuits de financement que dans ce texte, qui prévoit une série de transferts de branche à branche mais surtout un transfert de TVA entre le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour un montant de près de 2 milliards d’euros. En outre, en ce qui concerne la branche famille, de très fortes incertitudes pèsent sur la façon dont sera compensée la baisse de 0,15 point de la cotisation « famille », baisse à laquelle nous sommes hostiles. Le projet de loi de financement de la protection sociale (PLFSS), de ce point de vue, va dans le mauvais sens.

Quant au CICE, nous le voyons comme un substitut à une augmentation des exonérations de cotisations sociales au-dessus du plafond actuel de 1,6 SMIC. Dans la mesure où nous sommes hostiles à ces exonérations, nous ne pouvons que nous montrer critiques à l’égard de ce crédit d’impôt qui aura pour effet d’en porter le montant de 30 à 50 milliards d’euros. D’autre part, si l’objectif était d’améliorer la compétitivité de l’industrie, on passera à côté de la cible, puisque les bénéficiaires de ce dispositif ne seront pas nécessairement les secteurs ouverts à la concurrence internationale.

Il nous semble donc que cette mesure ne va pas dans le bon sens et qu’il vaudrait bien mieux engager une réforme d’ensemble du financement de la protection sociale, dans le cadre de laquelle on traiterait cette question des exonérations – mais aussi celle des exemptions d’assiette diverses et variées, y compris en ce qui concerne l’épargne salariale.

M. Patrick Brillet, administrateur de Force ouvrière (FO) à la CNAF. Je me réjouis de la volonté qui s’exprime de garantir notre système de sécurité sociale face aux tentatives de privatisation. Nous pensons qu’il est utile notamment, dans ce contexte et pour toutes les raisons évoquées par les intervenants précédents, d’insister sur la nécessité de préserver la branche famille.

Force ouvrière considère que l’on ne peut traiter du financement de la protection sociale sans faire référence à la politique menée aussi bien au niveau national qu’au niveau européen, politique de rigueur et d’austérité qui affecte fortement les comptes des régimes sociaux, à la fois en affaiblissant leurs recettes et en accroissant leurs dépenses. Ce sujet n’est pas directement traité dans le PLFSS, mais il fait l’objet des travaux du HCFiPS, que nous entendons suivre attentivement.

Nous tenons à rappeler notre opposition au fait de lier le financement de la protection sociale à la notion de compétitivité des entreprises. Il ne peut être question pour nous de remplacer des cotisations patronales par des prélèvements sur les salaires, que ceux-ci passent par la cotisation ou, comme la CSG, par l’impôt.

En ce qui concerne le financement de la branche famille, problème central aujourd’hui, nous souhaitons que soit organisée une grande concertation pour déterminer ce qui relève de la solidarité salariale, qui doit être financée par des cotisations, et ce qui relève de la politique publique, qui doit être financée par des impôts, mais nous ne pouvons souscrire à une approche guidée par le souci d’alléger le coût du travail.

Nous l’avons souvent dit, il est possible de trouver des ressources, par exemple en supprimant les exonérations de cotisations patronales et en soumettant à cotisation des rémunérations qui en sont actuellement exemptées. Nous demandons aussi que la part non compensée des exonérations soit immédiatement déduite des allégements généraux, de sorte que les comptes de la sécurité sociale ne souffrent plus de cette forme insupportable de crédit aux entreprises.

Nous sommes favorables, bien évidemment, au maintien du caractère universel des prestations et à l’action menée en faveur de la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Le déficit que connaît cette branche – 2,8 milliards d’euros en 2013, 2,3 milliards en 2014 – a, selon nous, un caractère artificiel, dans la mesure où il résulte d’exonérations de cotisations sociales, mais aussi de transferts de charges. La branche famille doit en effet supporter des dépenses induites par le transfert de politiques publiques. Mme Pattier a donné l’exemple du RSA, mais la convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’État et la CNAF prévoit également des actions relevant de la politique de la ville ou de la lutte contre la pauvreté. Certes, la Caisse est depuis toujours un acteur important de cette lutte, mais il n’en demeure pas moins que certaines actions, comme les « 100 000 rendez-vous des droits » tendent à déborder de son champ d’activité et occasionnent des frais.

Le PLFSS pour 2014 prévoit un système de vases communicants en matière de réaffectation de recettes : le produit de divers contributions et prélèvements – CSG, prélèvements sur les paris, concours et jeux – est versé à la branche famille par l’intermédiaire de la branche maladie. Or nous considérons que nombre de ces recettes n’ont pas un caractère pérenne, ce qui risque d’aggraver encore le déficit de la branche, malgré l’optimisme manifesté au cours de la discussion du projet.

S’agissant des cotisations patronales, la diminution de 0,15 point, sur 5,4 %, des cotisations familiales payées par les entreprises, pour compenser la hausse du même ordre des cotisations vieillesse consécutive à la réforme des retraites, nous apparaît comme un transfert de cotisations patronales vers les cotisations salariales, ce que Force ouvrière ne saurait accepter.

Concernant le financement direct, nous doutions déjà de la pérennité des compensations existantes, mais nous sommes encore plus inquiets s’agissant de celles qui doivent être accordées par l’État dans les années à venir. Nous souhaitons l’ouverture d’une discussion sur ce point en attendant les conclusions du HCFiPS.

Mme Marie-Madeleine Pattier. Je précise que la CFTC est favorable à une réforme du financement, non de la seule branche famille ou même de la sécurité sociale, mais de tous les régimes de protection sociale, qu’il s’agisse du volet fiscal ou du volet cotisations. Nous avons en effet du mal à voir les effets du « choc de simplification ».

M. le coprésident Pierre Morange. Quand vous faites état, monsieur Brillet, d’un processus de privatisation rampante de la protection sociale, pensez-vous au rôle joué par les complémentaires santé en matière d’assurance maladie ou plutôt au financement de la branche famille, pour laquelle ce risque de privatisation est pourtant bien moins souvent évoqué ?

M. Patrick Brillet. Je parlais de la sécurité sociale en général, car nous sommes très attachés à son organisation actuelle. Cela étant, sur ce sujet, les propos tenus par la ministre ont permis de lever une partie des inquiétudes que nous avions exprimées.

Les cotisations patronales destinées à la branche famille représentent plus de 30 milliards d’euros. Les alléger tout en maintenant les autres exonérations de charges sociales aboutirait à faire peser une double charge sur les salariés.

Mme Véronique Descacq. Je reviens sur le dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, sur lequel nous sommes plus que réservés. Tout d’abord, il a été décidé sans concertation avec les partenaires sociaux, préjugeant ainsi des résultats du débat sur le financement de la protection sociale. Nous participions d’ailleurs à la deuxième réunion du HCFiPS lorsque nous avons vu s’afficher sur nos téléphones mobiles les dépêches d’agence annonçant la création de ce CICE. Sur le financement de la protection sociale comme sur la question du coût du travail, les partenaires sociaux n’ont ainsi pas eu leur mot à dire.

Ce qui nous gêne en outre dans ce dispositif, c’est que son application est systématique. La CFDT a toujours dit que les exonérations de charges sur les salaires devaient entraîner des contreparties. Il faut, soit n’octroyer de tels avantages aux employeurs qu’à certaines conditions, soit contrôler l’utilisation qui en est faite. Or, l’attribution du CICE n’est soumise à aucune condition.

Certes, l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 comporte une avancée dans la mesure où les représentants du personnel peuvent, via la base de données unique, exiger de l’entreprise qu’elle s’explique sur l’utilisation qu’elle fait de ces fonds publics. Mais cela reste insuffisant. Il faudrait exiger que l’argent ainsi donné aux employeurs soit effectivement consacré à l’investissement, que ce soit dans l’innovation et la recherche ou dans la qualification des salariés. Nous ne comprenons pas le choix des pouvoirs publics de prodiguer cette aide sans contrepartie.

M. le rapporteur. Notre collègue Jean-Marc Germain a déposé deux amendements, que je soutiens, destinés à modifier les modalités du CICE. L’un tend à en subordonner l’octroi à la conclusion d’un accord d’entreprise sur les conditions d’utilisation de cet avantage fiscal ; le deuxième prévoit de consacrer un sixième de l’allégement à l’abondement du droit individuel à la formation des salariés.

Mme Véronique Descacq. C’est pourquoi nous sommes opposés à toute forfaitisation des exonérations de charges, qui empêche de les soumettre à condition.

D’une façon générale, il convient de rappeler aux entreprises que la protection sociale ne représente pas un coût pour la société, mais concourt, par bien des aspects, à leur performance et à leur compétitivité.

M. le coprésident Pierre Morange. Tous ici vous avez exprimé le souci de garantir des ressources pérennes à la branche famille, comme d’ailleurs à toutes les autres branches de la sécurité sociale. Outre le fait que le CICE n’est pas ciblé sur l’investissement ou sur les secteurs économiques voués à l’exportation, que pensez-vous de l’assiette de son financement, dont on ne peut pas dire qu’elle soit d’une grande stabilité ? Je ne parle pas de la CSG ou des prélèvements sur certains produits financiers, mais des économies budgétaires attendues, qui représentent 40 % du total et qui, à ce jour, restent hypothétiques.

Mme Véronique Descacq. Nous sommes contraints de prendre acte de ces modalités, puisque nous n’avons pas été consultés. Notre souci principal n’est pas de vérifier si les recettes supposées financer le CICE sont pérennes, mais plutôt de nous demander comment les fonds publics ainsi mis à la disposition des entreprises pourraient contribuer à un projet susceptible de faire consensus au sein du pays, à savoir la mutation de notre système productif vers une économie de la performance et de la qualité. Par conséquent, nous ne contestons pas nécessairement l’utilité de ce crédit d’impôt, mais au moins ses modalités.

M. le coprésident Pierre Morange. Si je vous pose la question, c’est qu’un certain nombre d’intervenants ont souligné le caractère instable des ressources mobilisées. Il est légitime de s’en préoccuper dans le cadre d’un débat sur le financement de la branche famille, dans la mesure où celle-ci s’est vu attribuer, au cours des ans – et par des gouvernements de tous bords – des missions qui ne relèvent pas toujours de la politique familiale.

Mme Véronique Descacq. À vrai dire, nous attendons avec impatience la lettre de mission que le Premier ministre doit adresser au Haut Conseil de financement de la protection sociale, car nous considérons que ce sujet fait pleinement partie de son champ de compétence.

M. le rapporteur. Je note qu’en dépit de vos différences d’approche, vous avez tous, à des degrés divers, insisté sur l’idée que le financement de la branche famille ne pouvait être appréhendé indépendamment d’une réforme plus globale de la protection sociale.

Il existe aussi un relatif consensus pour faire du principe de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale une justification du financement par les entreprises de la branche famille – encore que certains d’entre vous jugeront sans doute l’argument secondaire, arguant que le financement de la sécurité sociale doit par essence s’appuyer sur des cotisations patronales.

D’autre part, vous aspirez tous à une clarification du système – à cet égard, le rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale est intéressant malgré la complexité de ses propositions –, tout en craignant, hormis peut-être la CGC, les effets d’un « big bang » en ce domaine. Quel serait selon vous le mécanisme de financement idéal de la branche famille ?

Enfin, plusieurs d’entre vous ont souligné le risque, en cas de budgétisation, de faire de la CNAF une agence de l’État. Ne devrait-on pourtant pas budgétiser les missions qui semblent relever des politiques assumées par ce dernier – lutte contre les exclusions, aide au logement – ou dont l’appartenance au champ de la politique familiale fait débat, comme l’accompagnement des familles les plus vulnérables ? Cette orientation est-elle pour vous un tabou, ou au contraire peut-elle constituer un moyen de clarifier le fonctionnement de la branche famille et de revivifier le paritarisme ?

Mme Véronique Descacq. En tout état de cause, nous souhaitons maintenir une part de cotisations patronales dans le financement de la branche famille – de l’ordre d’un point et demi à deux points –, afin d’éviter une déconnexion totale entre les politiques familiales et le fonctionnement des entreprises.

Mais, selon nous, l’outil idéal, c’est la CSG, parce que son assiette est large. Il me semble normal, en effet, que tous les revenus contribuent au financement de la branche.

M. le rapporteur. Réagissant au rapport du Haut Conseil, vous avez suggéré de compenser la diminution des cotisations sociales patronales au titre de la branche famille par une hausse des cotisations sociales patronales vieillesse et par une augmentation de 1,6 point de CSG sur les seuls revenus d’activité. Pourquoi cette dernière restriction – et comment serait-il possible de l’appliquer ?

M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral de la CFDT. Dans la mesure où il existe plusieurs taux de CSG, il est possible de ne faire jouer que celui qui s’applique aux salariés. Le scénario du transfert entre cotisations et contribution sociale généralisée ne concerne d’ailleurs que ces derniers. Il se traduit par une augmentation de 1,6 point de la CSG sur les salaires, par une baisse de 1,6 point de la cotisation vieillesse, par une hausse de la cotisation patronale vieillesse à hauteur de la réduction appliquée sur la branche famille, soit 3,2 %, et par un échange d’impôts et de taxes affectées entre les trois branches afin d’affecter en priorité le produit des taxes comportementales à l’assurance maladie.

Bien entendu, étendre aux autres assiettes la hausse de la CSG donnerait des marges de manœuvre qui pourraient être employées soit au profit des salariés – c’est-à-dire de l’investissement social –, soit à celui de la compétitivité des entreprises, grâce à un soutien aux investissements, à la recherche, à la formation et à l’innovation.

S’agissant de la baisse de 0,15 point des charges familiales patronales, je remarque que les ressources permettant de la compenser sont, pour les trois quarts, prélevées sur les ménages. C’est pourquoi nous y sommes opposés.

Par ailleurs, nous avons tous oublié de rappeler que la branche famille avait vocation à être excédentaire, dans la mesure où ses prestations sont en général indexées sur le coût de la vie tandis que ses ressources sont principalement assises sur la masse salariale qui, pour le moment, augmente plus vite que l’inflation. Or, depuis quelques années, à chaque fois que le budget de la branche famille s’approche de l’équilibre, on la fait replonger dans le déficit, soit en lui retirant des recettes, soit en lui attribuant des charges supplémentaires.

La situation de la CADES permet d’appuyer mon propos. Plutôt que de maintenir le transfert à la CADES des déficits de la branche famille, on pourrait réaffecter à cette dernière une partie des ressources attribuées à la caisse. Mais tout se passe comme si l’on préférait qu’il y ait déficit, parce que cela donne des arguments pour réclamer à la branche de nouvelles réductions des dépenses. Ce n’est pas une manière très honnête de procéder.

M. le coprésident Pierre Morange. Vous rejoignez ainsi les propos de M. Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille, qui affirmait qu’en raison de la dynamique démographique, le déficit actuel avait une vocation naturelle à se résorber à l’horizon 2020.

Revenons-en à la question du rapporteur sur la redéfinition du périmètre de la branche famille, pour éventuellement le limiter aux missions relevant strictement de la politique familiale. La budgétisation des missions annexes progressivement rattachées à la branche famille vous paraît-elle souhaitable à cet égard ?

M. le rapporteur. En réalité, une grande part des prestations versées par la CNAF sont déjà budgétisées. C’est le cas du RSA, notamment. Je pensais à certaines prestations versées sous conditions de ressources par la branche famille, dans le cadre de la politique de lutte contre la pauvreté, par exemple : on peut estimer qu’elles ne relèvent pas vraiment de ses missions, ou au contraire considérer que la branche famille n’a pas seulement pour but de compenser les dépenses occasionnées par la présence d’enfants, mais aussi d’opérer une redistribution verticale.

Mme Véronique Descacq. Les politiques familiales ne doivent pas nécessairement abandonner l’objectif de compenser les charges liées à la présence d’enfants. Cette compensation ne nous choque pas, même si nous estimons qu’elle devrait prendre une forme plus égalitaire car, aujourd’hui, certains instruments comme le quotient familial ou les avantages familiaux de retraite ont un caractère nettement anti-redistributif. En outre, contrairement à mon collègue, je ne pense pas qu’il soit juste de dire que les familles nombreuses sont toujours pénalisées par rapport aux familles sans enfant. Au contraire, les nouvelles niches de pauvreté concernent moins les familles nombreuses que les femmes seules élevant un ou deux enfants, par exemple. Cela tient à l’importance que représente le logement dans le patrimoine et au fait que les familles nombreuses sont plus souvent propriétaires d’un grand logement.

En résumé, la compensation de la charge représentée par l’enfant est plutôt bien assurée, voire quelquefois surévaluée selon la taille de la famille. En revanche, les politiques familiales ont laissé se développer d’insupportables niches de pauvreté. Or nous considérons que de telles politiques doivent combiner redistribution horizontale et redistribution verticale. C’est pourquoi nous avons, contrairement à d’autres, approuvé les réformes intervenues cette année, qui nous semblent préserver l’économie générale des politiques familiales tout en faisant légèrement glisser le curseur vers la redistribution verticale.

Dès lors, nous ne sommes absolument pas choqués de voir une partie des missions de la branche famille s’orienter vers la lutte contre la pauvreté, car cette dernière politique doit être largement transversale. Outre le soutien de la politique familiale, elle implique de mener des actions en matière d’accès à la santé et justifierait un changement dans les règles d’attribution des retraites, qu’il s’agisse des avantages familiaux ou des pensions de réversion. On ne peut plus, comme dans la période de l’après-guerre, gérer une telle politique « en silos ».

Je reviens sur le « financement idéal ». Le scénario proposé par le Haut Conseil a l’avantage de relever d’une approche systémique et de répondre autant à la question de la clarification du financement qu’à celle du maintien du pouvoir d’achat des salariés. Si l’on devait raisonner dans le cadre de la seule branche famille, un transfert de cotisations sur la CSG ne pourrait s’envisager que s’il s’accompagne d’une augmentation du salaire brut, afin de préserver le pouvoir d’achat. Soit on procède à une réforme systémique touchant à l’ensemble des champs de la protection sociale, soit on change la façon dont sont calculés le salaire brut et le salaire super-brut.

M. Patrick Brillet. Pour Force ouvrière, les cotisations sociales doivent conserver une place centrale dans le financement de la branche. Nous tenons d’autant plus à l’affirmer que la réduction de 0,15 point de la cotisation patronale nous semble le prélude à d’autres décisions du même genre. En outre, elle aura nécessairement des conséquences sur le montant des cotisations à la charge des salariés. Il ne saurait donc être question pour FO d’accepter cette orientation.

Cela fait longtemps que la branche famille participe à d’autres politiques publiques : on a évoqué la lutte contre la pauvreté, mais on pourrait également citer l’insertion sociale. Nous ne sommes donc pas opposés à la prise en charge par la branche de missions qui, au fond, font partie de son cœur de métier : paiement de prestations, accompagnement des familles défavorisées – monoparentales ou non –, etc. Mais la signature de la dernière convention d’objectifs et de gestion tend à mélanger les genres et à transformer la politique familiale en une politique sociale, et donc à faire du réseau des caisses d’allocations familiales une agence de l’État, un instrument de politique publique. Cela ne correspond pas à sa vocation.

La gestion du RSA a été attribuée à la CNAF en raison de son savoir-faire, de sa connaissance des publics concernés et de son réseau de guichets de proximité, ce qui pouvait parfaitement se comprendre. Le problème, c’est que la branche famille n’a pas été accompagnée dans cette démarche. De deux choses l’une : soit on s’est trompé d’acteur, soit on l’a choisi à bon escient, mais sans lui donner les moyens nécessaires pour assumer ses nouvelles missions.

Il risque d’en être de même s’agissant des politiques de lutte contre la pauvreté ou d’accès aux droits, auxquelles nous sommes bien évidemment favorables : en multipliant ainsi les responsabilités de la branche famille, on risque de l’empêcher d’accomplir sa mission.

M. Jean-Yves Delannoy. Les rythmes scolaires font partie des sujets dont la branche famille s’est saisie et qui relèvent naturellement de sa compétence. Mais nous entendons veiller strictement à ce que la réforme en cours ne revienne pas à lui attribuer une nouvelle charge non compensée. La convention d’objectifs et de gestion, en faveur de laquelle la CFE-CGC a voté, prévoit certes une augmentation des crédits du Fonds national d’action sociale, qui contribue au financement des activités périscolaires, mais il faudra prendre garde à rester dans les limites de l’enveloppe.

M. le coprésident Pierre Morange. L’un d’entre vous a-t-il cherché à évaluer ce que pourrait coûter la réforme des rythmes éducatifs ?

M. Jean-Yves Delannoy. La convention d’objectifs et de gestion prévoit une enveloppe spécifique pour financer les dépenses supplémentaires.

Mme Justine Vincent, chargée d’études économiques à la CFE-CGC. Nous approuvions les propositions de M. Louis Gallois et avons donc été déçus par la création du CICE. Le problème n’est pas tant d’avoir privilégié la formule du crédit d’impôt par rapport aux exonérations de charge, il tient plutôt au fait que ce dispositif n’est pas, comme M. Gallois le préconisait, ciblé vers l’industrie. En outre, comme tout le monde, nous regrettons que le versement de ce crédit d’impôt ne soit lié à aucune contrepartie et que son utilisation ne fasse l’objet d’aucun contrôle. Cela risque de compromettre son efficacité. Enfin, le plafond retenu – 2,5 SMIC – nous pose problème, car il est source d’effets de seuil et ne permet pas de privilégier l’industrie.

La question est donc moins de transformer le CICE en dispositif d’exonération de charges – d’autant qu’il faudrait, avant de le modifier, disposer d’un plus grand recul sur son application – que de contrôler son utilisation.

Mme Marie-Madeleine Pattier. En ce qui concerne le mode de financement idéal, nous restons très attachés, à la CFTC, au système de cotisations. Le problème est l’existence d’exonérations et la variété des taux. Sur ce point également, la simplification ne saute pas aux yeux.

Nous sommes évidemment favorables à ce que la branche famille participe à la lutte contre la pauvreté. Le problème est que chacun agit dans son coin. Ainsi, alors qu’une personne disposant d’un certain niveau de ressources pourra bénéficier à la fois des aides de la CNAF, de celles des centres communaux d’action sociale et de celles des régions, une autre, en gagnant dix euros de plus, pâtira d’un effet de seuil et sera privée de toute aide. De même, certains projets en cours sont sources d’effets de seuil radicaux.

Nous étions favorables au RSA au nom du principe « à revenus égaux, mêmes droits ». Mais comme M. Martin Hirsch l’a lui-même reconnu, plus on propose de mesures spécifiques à ses bénéficiaires, plus on rend difficile la sortie du dispositif.

Par ailleurs, je maintiens que les familles nombreuses, qu’elles soient ou non monoparentales, sont plus facilement touchées par la pauvreté. À niveau de revenu égal, la situation n’est pas la même quand il faut faire vivre deux personnes ou quand il faut en faire vivre six ou plus.

Je l’ai dit, nous sommes attachés aux cotisations. Mais nous sommes également favorables à l’outil fiscal, dès lors que celui-ci reste stable et a un sens. La lutte contre la pauvreté ne relève pas seulement de la branche famille, car celle-ci pratique l’action sociale, et non l’aide sociale. Les aides individuelles octroyées par les CAF ont un caractère ponctuel : si le problème reste entier après une ou deux interventions, il n’est plus de notre ressort. Faut-il créer une nouvelle prestation ? Nous savons bien le faire, mais beaucoup moins simplifier celles qui existent.

Il convient donc de maintenir le niveau de cotisations et éviter les transferts incessants d’une branche à une autre. À cet égard, le PLFSS pour 2014 est particulièrement difficile à décrypter.

Bien sûr, sans enfants, il ne peut y avoir d’assurance maladie, ni de retraites : c’est pour cette raison, je suppose, que le budget de la branche famille est ponctionné dès qu’il connaît un excédent, et qu’il est toujours mis à contribution pour combler les déficits des branches les plus dépensières…

M. le rapporteur. Je n’ai pas l’intention d’assurer le service après-vente du PLFSS, mais je rappelle qu’une partie des transferts opérés correspond aux recommandations contenues dans le rapport du Haut Conseil et répond à un souci de clarification. Il est vrai que l’article 15, qui organise l’ensemble de ces transferts, n’est pas d’une lecture aisée…

Mme Marie-Madeleine Pattier. En outre, nous en avons reçu le texte très tard !

M. le rapporteur. J’admets qu’il a fait l’objet de nombreuses discussions. Mais je ne voudrais pas laisser dire que ce dernier projet de loi de financement a rajouté de la complexité. Cela étant, ce n’est ni le moment ni le lieu pour avoir ce débat.

M. Michel Coronas. En ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, je souhaite appeler l’attention sur une bizarrerie juridique : un décret de 2011 autorise, au nom de la fongibilité des dépenses, la CNAF à récupérer sur le RSA des indus versés au titre d’autres allocations. Ainsi, alors même que la notion de reste à vivre est supposée avoir une valeur essentielle en matière de lutte contre la précarité – elle est notamment prise en compte en cas de saisie sur salaire ou dans les procédures de surendettement –, il est possible, dans ce cas précis, de réduire le montant du RSA touché par des personnes qui ne disposent que de cette ressource, au point de leur laisser à peine de quoi vivre. Nous avons saisi le Premier ministre et la CNAF afin que ce décret soit abrogé et qu’il soit mis un terme à cette anomalie. En matière de lutte contre pauvreté, il convient d’abord de « balayer devant sa porte ».

M. Pierre-Yves Chanu. Nous avons toujours été opposés à une budgétisation de la branche famille, dont le « cœur de métier » doit rester financé par des cotisations. En revanche, sur la question du périmètre de ses missions, le débat n’a rien de tabou. En matière de logement par exemple, la réorientation de l’aide à la personne vers l’aide à la pierre est une position constante de la CGT depuis la fin des années soixante-dix. Il y a donc matière à discussion.

Notre syndicat n’est pas hostile à l’idée d’attribuer des aides publiques aux entreprises. Mais le problème du CICE, outre l’absence de ciblage et de contrôle de son usage, est qu’il coûte cher : 20 milliards d’euros. L’étude d’impact évalue à 300 000 le nombre d’emplois dont il doit entraîner la création, ce qui porte à 70 000 euros le coût de chaque emploi créé ! Il nous paraîtrait préférable de recourir à d’autres formes d’aide publique, par exemple en dotant la Banque publique d’investissement de crédits supplémentaires ou en créant un livret d’épargne industrie.

M. le coprésident Pierre Morange. Merci, mesdames et messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. N’hésitez pas, le cas échéant, à nous faire parvenir des contributions écrites susceptibles de nourrir notre rapport.

La séance est levée à onze heures cinq.