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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 16 janvier 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 05

Présidence de M. Jean-Marc Germain, coprésident

– Audition, ouverte à la presse, sur « le financement de la branche famille » :

– Mme Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi

– M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et M. Daniel Lenoir, directeur

– M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), et M. Christian Pineau, chef du service des affaires sociales de l’Union professionnelle artisanale (UPA) 16

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 16 janvier 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Jean-Marc Germain, coprésident de la mission)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi (CEE).

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Notre sujet est d’une actualité brûlante. Le Président de la République a fixé un cap assez clair : la disparition des cotisations patronales de la branche famille de la sécurité sociale. Quid, dans cette perspective, du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) ? La direction indiquée, conforme aux conclusions de la Cour des comptes, est celle d’une simplification radicale donc d’une éventuelle disparition de ce dispositif. Quid dès lors d’éventuelles contreparties – auxquelles tient la gauche.

Nous serons heureux de vous entendre sur ces questions, madame Eydoux, l’une des spécificités du Centre d’études de l’emploi (CEE) étant précisément sa capacité à anticiper.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Nous avions demandé à la Cour des comptes de réfléchir aux assiettes alternatives à la masse salariale : taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution sociale généralisée (CSG), fiscalité écologique, valeur ajoutée des entreprises… La question se pose à nouveau de l’impact sur l’emploi de la suppression, envisagée par le Président de la République, des cotisations sociales à la charge des employeurs.

Vous êtes-vous posé la question de savoir ce que pourrait donner un financement de la branche famille par les entreprises, mais qui ne serait plus assis sur la masse salariale ?

Enfin, les exonérations de cotisations patronales, dans le passé, ont fait l’objet de contreparties, notamment en termes de création d’emplois – je pense au passage aux trente-cinq heures. Quel regard portez-vous sur ces mécanismes ?

Mme Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi. Ma présentation s’intitule : « Cotisations familiales, faut-il les supprimer pour créer des emplois ? » Je m’appuierai ici surtout sur un texte d’Antoine Math publié à la fin de l’année 2013 dans la Revue de droit sanitaire et social.

Les charges ou cotisations patronales mettraient les entreprises en difficulté face à la concurrence mondiale, les empêchant de recruter une main-d’œuvre trop chère. On a déjà accordé des avantages aux entreprises, parfois assortis de contreparties – vous avez évoqué les trente-cinq heures –, parfois non – ce fut le cas du CICE créé en 2013 et qui équivaut à une baisse des cotisations sociales sous forme de réduction d’impôts de l’ordre de 20 milliards d’euros pour 2014. Il est donc aujourd’hui question de supprimer les cotisations sociales des employeurs qui financent à hauteur des deux tiers la branche famille – à savoir 35 milliards d’euros à l’horizon 2017 en incluant le CICE –, ce qui représenterait in fine 15 milliards d’euros d’économies ou 15 milliards d’euros à trouver.

Cela se traduit par une perte de légitimité de la cotisation – ainsi Michel Sapin estime qu’il n’y a pas de raison que les cotisations sociales des employeurs financent la branche famille. L’idée est que la baisse du coût du travail pourrait jouer le rôle d’une dévaluation monétaire impossible au sein de la zone euro, stimulant par ce biais la création d’emplois. Il conviendra, dans cette optique, de comparer la France et l’Allemagne dont le modèle est très souvent cité pour avoir si bien rebondi après la crise de 2009, l’emploi ayant très bien résisté.

J’examinerai d’abord, d’un point de vue théorique, la question de la baisse des cotisations sociales des employeurs destinée à stimuler l’emploi. On s’interrogera ensuite sur le fait de savoir si cette baisse est favorable à l’emploi et quelles leçons on peut tirer des évaluations. Un troisième point sera consacré au principe d’une contribution des employeurs au financement de la politique familiale. Puis il s’agira de savoir si les employeurs sont écrasés par les charges patronales. Enfin on se demandera ce qui se passera si l’on supprime les cotisations sociales des employeurs ?

Les arguments favorables à la baisse des cotisations sociales des employeurs destinée à stimuler l’emploi sont surtout économiques et sans doute plus fragiles qu’il n’y paraît. On peut les résumer en un syllogisme – libéral en l’occurrence – dont les prémisses seraient les suivantes : les cotisations sociales employeur pèsent sur le coût du travail ; or celui-ci nuit à la compétitivité coût ou à la compétitivité prix des entreprises, et nuit donc à l’emploi, la baisse du coût du travail réduisant le coût de la main-d’œuvre et permettant aux employeurs de recruter davantage. Conclusion : il faut diminuer les cotisations sociales des employeurs pour abaisser le coût du travail et accroître la compétitivité des entreprises et créer des emplois.

Ces arguments sous-tendant une politique de l’offre sont discutables. On sait, depuis longtemps, que les liens sont lâches entre les cotisations sociales des employeurs et le coût du travail, de même qu’entre le coût du travail et la compétitivité des entreprises – la Commission européenne a démontré que les performances commerciales des pays européens entre 1997 et 2007 ne dépendaient pas de l’évolution des coûts unitaires du travail dans l’industrie. Les liens sont lâches, enfin, entre le coût du travail et l’emploi.

On sait, depuis les années 1990, que le taux des cotisations sociales des employeurs n’est pas un déterminant significatif du coût du travail, comme l’a montré en 2008 une étude d’Yves Chassard et Jean-Louis Dayan menée pour le CEE dans les trente pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Selon les auteurs, « si le financement de la protection sociale engendre un handicap compétitif, ce n’est donc que pour les bas salaires et dans des proportions limitées ».

Les cotisations sociales employeur ont un lien également lâche avec la compétitivité. En effet, la compétitivité prix des entreprises ne dépend pas du seul coût du travail. Une étude, au chiffrage controversé, de Laurent Cordonnier et d’autres membres du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSÉ), montre que le coût du capital pèse de plus en plus lourd dans le coût total, les auteurs évoquant à ce sujet le surcoût du capital imputable aux dérives des normes de rendement financier imposées aux entreprises. Ils estiment ce surcoût à 95 milliards d’euros en 2011, soit la moitié de la formation brute de capital fixe (qui sert à l’investissement productif) et 15 % du coût du travail. Dans son article précité, Antoine Math relève que ces 95 milliards d’euros représentent près de trois fois les cotisations sociales employeur pour la branche famille et la totalité des mêmes cotisations pour les branches famille et maladie réunies.

La compétitivité prix dépend aussi et surtout d’autres facteurs que les seuls coûts : la qualité des produits, l’innovation, l’adaptation à la demande. Si l’on compare la France et l’Allemagne, les faibles performances de la première en matière de compétitivité sont essentiellement liées à des facteurs de compétitivité hors coûts.

L’absence de lien univoque entre coût du travail et emploi se retrouve même dans la théorie économique. Dans une perspective néoclassique, libérale, la baisse des salaires et des cotisations stimule la demande de travail des entreprises et, éventuellement, l’offre de travail des travailleurs diminuera, car ils ne voudront pas travailler à bas prix. Dans une perspective keynésienne, à l’inverse, une hausse des salaires, lorsqu’elle stimule la demande et notamment la consommation, peut avoir des effets positifs sur la production et sur l’emploi. Selon la théorie néokeynésienne des salaires d’efficience, une hausse des salaires peut améliorer la productivité des salariés, plus motivés.

La baisse des cotisations sociales employeur peut donner l’apparence d’une synthèse entre ces courants en permettant d’abaisser le coût du travail, donc de stimuler la demande de travail des entreprises, dans une perspective libérale, sans forcément diminuer les salaires et donc sans peser sur la demande – quoique tout dépende de l’impact d’une telle mesure sur les prestations familiales, par exemple.

Deuxième point de cette présentation : quelle est la leçon des évaluations, après vingt ans d’exonérations de cotisations sociales employeur sur les bas et moyens salaires ? Dès 1993 en effet, un dispositif prévoyait l’exonération totale des cotisations d’allocations familiales jusqu’à 1,1 salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), et une exonération de moitié entre 1,1 et 1,2 SMIC. Une série de réformes, dont le « dispositif Fillon » à partir de 2003, ont ensuite eu tendance à élargir ces exonérations à d’autres cotisations, allant jusqu’à des salaires inférieurs à 1,6 SMIC.

Les évaluations du « dispositif Fillon » ont donné des résultats contrastés. Certaines estiment qu’il a créé entre 400 000 et 800 000 emplois en cinq ans, mais elles ne tiennent pas compte des effets induits, comme la nécessité de compenser la baisse des recettes et l’éventualité d’une réaction de nos partenaires commerciaux.

Selon la simulation macroéconomique réalisée pour l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) par Éric Heyer et Mathieu Plane en 2012, le nombre d’emplois créés en cinq ans est d’environ 500 000. Il convient néanmoins, selon eux, de relativiser ce chiffre, puisqu’il ne tient pas compte du financement du dispositif. Si la baisse des recettes de cotisations est financée par des recettes supplémentaires, selon le mode de financement, il va falloir revoir à la baisse le nombre d’emplois créés pour aboutir au chiffre de 250 000 à 300 000 emplois en cinq ans. Dans l’hypothèse d’une réaction de partenaires commerciaux qui adopteraient un dispositif similaire, on tombe à une fourchette de 70 000 à 170 000 emplois créés.

L’estimation de l’OFCE, qui fait autorité, tourne autour de 300 000 emplois créés.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Il n’y a pas d’impact « Fillon » proprement dit – il faut prendre en compte plusieurs dispositifs successifs : « Balladur », « Juppé », les trente-cinq heures… L’estimation que vous citez fait l’hypothèse de la suppression de l’allégement jusqu’à 1,6 SMIC, n’est-ce pas ?

Mme Anne Eydoux. Il s’agit plutôt de l’ordre de grandeur estimé des emplois que ces réductions ont pu créer.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Mais comment intègre-t-on les trente-cinq heures, assorties de vraies contreparties, dans cette évaluation ? Ces chiffres tiennent-ils compte des trente-cinq heures ou non ?

Mme Anne Eydoux. Non.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Si l’on supprimait l’allégement « Fillon »
– soit 20 milliards d’euros –, combien perdrions-nous d’emplois ?

Mme Anne Eydoux. Selon l’étude de Brigitte Roguet et Bruno Garoche, publiée en 2013 sous l’égide de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), en 2010, les allégements de cotisations sur les bas salaires représentaient environ 22 milliards d’euros auxquels on peut ajouter les 4,5 milliards d’euros d’exonérations pour les heures supplémentaires. Aussi, pour quelque 300 000 emplois créés en cinq ans, le dispositif a coûté très cher : plus de un point de produit intérieur brut (PIB) de dépenses publiques engagées. Antoine Math estime que chaque emploi créé ou sauvegardé coûterait chaque année au moins 75 000 euros. Cela pour des emplois, note-t-il, à bas salaires, de qualité incertaine et mis à la disposition des entreprises privées plutôt qu’au service de l’intérêt général – ils coûtent plus cher que des emplois de fonctionnaires.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Les emplois payés au SMIC, charges comprises, coûtent environ 20 000 euros, n’est-ce pas ?

Mme Anne Eydoux. Je pense qu’Antoine Math a ramené les 22 milliards d’euros aux 300 000 emplois créés. Les allégements de cotisations tiennent compte de la hausse des taux de marge des entreprises. Antoine Math a pris au mot la logique de baisse des coûts pour créer des emplois.

M. le rapporteur. Il rapporte deux éléments différents : le coût global des allégements de cotisations rapporté aux créations d’emplois. Il n’y a pas que 300 000 emplois qui sont concernés par ces allégements.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cela signifie que, si l’aide publique de 20 milliards d’euros représente 75 000 euros par emploi créé, non seulement elle finance 100 % de l’emploi créé, soit 20 000 euros, mais elle permet aux entreprises de bénéficier du reste, soit 55 000 euros par emploi.

Mme Anne Eydoux. Que peut-on attendre de la suppression des cotisations familiales ? Pas grand-chose en termes de création d’emplois parce que les bas salaires sont déjà exonérés. Les nouvelles baisses vont donc concerner des salaires plus élevés avec des effets incertains et limités en matière de création d’emplois. En termes de coût, une telle mesure représente 15 milliards d’euros si l’on intègre le CICE.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La presse rapportait ce matin que, comme les allégements de charges se calculent avant impôt sur les sociétés, le gain net de l’opération sera plutôt de l’ordre de 10 milliards d’euros, voire un peu moins. On transforme en effet le CICE, calculé après impôt sur les sociétés, en une baisse des charges qui augmentera les bénéfices et donc le produit de l’impôt sur les sociétés.

M. le rapporteur. L’argument est le suivant : la suppression des cotisations patronales pour la branche famille va potentiellement augmenter l’assiette et donc le rendement de l’impôt sur les sociétés. La baisse globale du coût du travail ne sera donc pas de 15 milliards d’euros puisqu’il faudra les amputer du montant de l’augmentation de l’impôt sur les sociétés.

Mme Anne Eydoux. C’est peu par rapport aux 170 milliards d’euros de cotisations payés par les employeurs et même une goutte d’eau dans la somme des coûts de production des entreprises.

On a donc affaire à une politique de l’offre qui va renforcer les marges des entreprises plutôt qu’à une politique susceptible de créer un choc de compétitivité.

Parmi les arguments invoqués pour la suppression des cotisations sociales patronales, on relèvera celui, politique, de la cohérence du financement de la branche famille, selon lequel les prestations familiales ne sont pas réservées aux salariés, mais sont universelles et doivent donc être financées par l’impôt – est-il légitime, pour reprendre les termes de Michel Sapin, de faire financer la branche famille par les employeurs ? Selon un second argument, patronal, les entreprises françaises seraient écrasées par les charges – notamment familiales – comparativement à leurs voisines.

La théorie économique classique à la Ricardo, mais aussi, surtout, marxiste, s’est exprimée sur le premier point. Sur la reproduction de la force de travail, comme les théories classiques, le marxisme considère que le salaire permet d’assurer l’entretien et la reproduction du travailleur et de sa famille. Marx parle de la force de travail. Si on actualise cette théorie
– comme le fait la CGT –, on peut dire que la cotisation employeur est un élément du salaire et qu’elle permet une socialisation de la reproduction de la force de travail, notamment par la politique familiale. De ce point de vue, il est bien légitime que les employeurs contribuent au financement de la politique familiale. Ils ont en effet intérêt à disposer d’une main-d’œuvre abondante, jeune, éduquée, intérêt à la reproduction de la force de travail. Ils tirent bénéfice d’une forte fécondité, que la société investisse dans l’éducation et la formation des futurs travailleurs, bénéfice qui va bien au-delà du financement des politiques de conciliation entre travail et famille de leurs salariés.

Antoine Math s’est demandé si les employeurs contribuaient trop à la politique familiale. Les cotisations sociales employeur représentent bien 35 milliards d’euros, à savoir près des deux tiers des dépenses de la branche famille ; mais les dépenses d’éducation des enfants ne se limitent pas à ce chiffre : l’investissement de la nation en faveur des familles va bien au-delà – Antoine Math évoque 120 milliards d’euros en 2008, soit près de 6 % du PIB (selon le Haut Conseil de la famille). Dans cette perspective, les entreprises ne contribuent plus que pour un dixième à la politique familiale. Si l’on tient compte de l’ensemble des dépenses de consommation finale imputables à la production et à l’éducation des enfants, on arrive à 14 % du PIB. Si l’on valorise les soins procurés aux enfants au sein de la famille – il s’agit des tâches parentales –, on atteint 23 % du PIB. La contribution des employeurs à la reproduction sociale est donc en réalité bien moindre que les deux tiers susmentionnés. Antoine Math en conclut que cette contribution n’est pas excessive.

Pour ce qui est du second argument, en vertu duquel les entreprises seraient écrasées de charges en France, Antoine Math montre que l’évolution de la part des cotisations sociales employeur dans la valeur ajoutée n’a cessé de diminuer : elle était de 19 % dans les années 1980, 17,5 % dans les années 1990, pour tomber à 15,6 % en 2008 avant de remonter à 16,6 % en 2012. Le raisonnement reste valable si l’on ajoute les impôts payés par les sociétés. Aussi, conclut Antoine Math, en dépit du discours dominant, les entreprises ont été largement favorisées par les évolutions récentes. La baisse des cotisations sociales des employeurs peut difficilement se justifier par l’argument d’une pression fiscale trop élevée.

Venons-en à la comparaison entre les systèmes français et allemand. Les deux relèvent d’une logique bismarckienne : la cotisation contribue pour beaucoup au financement de la protection sociale même si l’on assiste, dans les deux pays, à une tendance à la fiscalisation.

Une note du Trésor montre un moindre effort de dépenses de protection sociale par rapport au PIB en Allemagne : 31 % contre 33 % en France. Le financement par cotisation rapporté au PIB est un peu inférieur outre-Rhin. Les cotisations sociales seraient, selon cette note, moins lourdes en Allemagne, mais les indicateurs fournis ne permettent pas de l’affirmer. J’ai en revanche trouvé que le taux de cotisation des entreprises en Allemagne, de 19 %, serait un peu plus élevé qu’en France, mais je n’en suis pas sûre.

Reste que si les taux de cotisation dans les deux pays sont comparables, la grande différence est qu’ils sont beaucoup plus progressifs en France : pour les salaires avoisinant le SMIC, ils sont très faibles, bien inférieurs à ce qu’ils sont en Allemagne. Pour les salaires plus élevés, en revanche, du fait de la progressivité, les taux sont plus élevés en France. Autre différence : il n’y a pas de cotisation famille en Allemagne parmi les cotisations sociales employeur, mais des cotisations maladie, vieillesse…

En outre, la politique familiale de l’Allemagne est bien différente et constitue un vrai point noir pour ce pays. Même si les structures collectives se sont développées depuis les années 1990 et surtout 2000, les jeunes enfants leur sont nettement moins confiés qu’en France. Dans la partie occidentale de l’Allemagne, on considère qu’il est bon pour l’enfant que sa mère reste avec lui à la maison. Aussi de nombreuses mères diplômées ont-elles renoncé à la maternité. On peut donc difficilement prendre exemple sur la politique familiale allemande et sur son financement, d’autant que la démographie y est en berne et que, s’il y a moins de chômage des jeunes qu’ici, c’est parce qu’il y a moins de jeunes. En outre, le financement du risque vieillesse et des retraites pose des problèmes d’une autre ampleur que ceux constatés en France.

La compétitivité allemande vient-elle de moindres cotisations sociales employeur ? Les coûts du travail ne sont pas l’explication puisqu’ils sont plus élevés en Allemagne, notamment dans les industries exportatrices et en particulier pour les biens d’équipement. C’est donc la compétitivité hors coût qu’il faut considérer. Guillaume Duval montre bien que, pendant la crise, les exportations se sont effondrées avant de rebondir. Il faut également tenir compte des retombées positives de la réunification allemande qui a ouvert les marchés de l’Europe de l’Est à l’Allemagne, laquelle a aussi misé sur des industries qui correspondent à la demande mondiale, comme le secteur des biens d’équipement pour les pays émergents.

Comment, ensuite, expliquer les récentes performances de l’Allemagne en matière d’emploi alors que, dans les années 2000, elle était considérée comme l’homme malade de l’Europe à cause d’un taux de chômage élevé, le PIB chutant même en 2009 de manière plus marquée qu’en France ? Si l’emploi a très bien résisté outre-Rhin, le chômage partiel y a augmenté plus fortement, contribuant à soutenir l’emploi industriel masculin. L’autre face du miracle de l’emploi est l’explosion des « mini-jobs » après les « réformes Schröder ». On compte environ 7,5 millions de ces emplois, essentiellement féminins et présents surtout dans les services, rémunérés à moins de 450 euros par mois. Ils ne sont pas exonérés de cotisations sociales des employeurs, mais de cotisations salariales, alors que la France a bien plus misé sur la baisse des cotisations sociales des employeurs.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. On évoque souvent en ce moment le taux de marge, de 28 % en France, minimum historique, mais de 42 % en Allemagne. J’ai entendu dire que ces chiffres étaient largement erronés parce qu’ils comparaient des choux et des carottes. Avez-vous sur ce point des données corrigées des variations idéologiques ?

Mme Anne Eydoux. Je n’en ai pas et préfère donc ne pas commenter.

J’en viens aux trente-cinq heures. Il a fallu attendre 2005 pour disposer d’un bilan : mitigé sur les conditions de travail, il est plutôt favorable en termes de création d’emplois.

La France a très bien résisté, notamment en matière d’emploi, au ralentissement des années 2000 qui n’a pas donné lieu à une récession, alors que ce fut le cas en Allemagne. Il est possible que les trente-cinq heures aient joué un rôle en la matière. Si l’Allemagne a si bien résisté à la crise de 2008, selon l’économiste du travail Steffen Lehndorff, ce n’est pas grâce aux « réformes Schröder », mais à ce qui restait du modèle allemand : la cogestion, la flexibilité interne qui a permis d’éviter le licenciement des salariés par le biais du chômage partiel. Or les trente-cinq heures sont aussi un dispositif de flexibilité interne : on agit sur le temps de travail pour préserver l’emploi.

L’histoire montre que le financement de la branche famille par la cotisation donne des marges de manœuvre ; il a permis une socialisation de la reproduction sociale, mais aussi ce que Gøsta Esping-Andersen appelle une « démarchandisation du travail », c’est-à-dire le fait de soustraire les travailleurs à la concurrence sur le marché dans leurs moyens de survie. Avec une branche famille largement financée par la cotisation, nous avons un budget relativement autonome par rapport à celui de l’État, et peut-être, donc, à certains moments, protégé des coupes. Surtout, à partir des années 1950, ce financement par la cotisation a permis de dégager des excédents, sauf dans les périodes de crise, comme en 2008-2013, et lorsque des dépenses familiales nouvelles ont été engagées, comme avec la montée en charge de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) au début des années 2000. Cette série d’excédents a permis soit de financer d’autres besoins sociaux, maladie ou vieillesse, soit de financer de nouvelles dépenses familiales.

En outre, puisque les prestations familiales sont indexées sur les prix alors que les cotisations évoluent avec la masse salariale, le pouvoir d’achat des prestations familiales a baissé par rapport à l’évolution des salaires. Comment compenser aujourd’hui la baisse des cotisations sociales des employeurs ? Depuis les années 2000, la branche famille est déficitaire du fait de dépenses combinées à une hausse de la natalité. Certaines coupes dans les prestations n’ont pas suffi dans un contexte de crise et on peut penser qu’à législation constante les dépenses devraient croître.

Comment envisager l’avenir du financement de la branche famille ? La suppression des cotisations sociales des employeurs fait suite à une baisse de la CSG affectée à cette branche. Allons-nous passer à des impôts et taxes affectés ? Ces prélèvements sont d’une autre nature et, souvent, ne sont pas pérennes. Si les financements sont fragilisés, s’ils se réduisent, va-t-il falloir couper dans les prestations familiales ? Le débat sur la mise sous conditions de ressources des allocations familiales est peut-être annonciateur. Reste que la politique familiale française est un de nos points forts si, de nouveau, on établit une comparaison avec l’Allemagne.

L’idée que les cotisations sociales employeur pour la branche famille n’ont plus de raison d’être n’a pas de fondement économique solide. Il n’y a pas de raisons d’éliminer toute contribution des entreprises à la reproduction sociale. La baisse du coût du travail et, a fortiori, celle des cotisations sociales famille ne peuvent tenir lieu de politique industrielle et de politique de compétitivité. La suppression de ces cotisations soulève donc davantage de problèmes qu’elle n’en résout : elle fragilise le financement de la branche famille ; les impôts et taxes affectés destinés à compenser les baisses de ces cotisations sont soumis aux décisions de l’État et à la conjoncture – or nous nous trouvons dans un contexte qu’il faut bien qualifier de rigueur budgétaire sinon d’austérité –, davantage que les prélèvements assis sur les salaires. L’inscription de la branche famille dans le budget de l’État, déjà envisagée par plusieurs rapports, pose problème ; selon Antoine Math, « elle viendrait altérer la capacité de la branche à dégager des ressources autonomes, pérennes et dynamiques, ce que sont les cotisations sociales employeur et la CSG, qui ont permis dans le passé d’opposer une meilleure résistance face à la concurrence des autres besoins sociaux et aux difficultés budgétaires de l’État ».

M. le rapporteur. Nous vous remercions pour la qualité de votre présentation et pour les arguments stimulants que vous avez livrés à notre réflexion.

Je reprends ma question initiale : le statu quo serait-il à vos yeux préférable ? N’y aurait-il aucun effet dépressif, défavorable, au financement des entreprises assis sur la seule masse salariale ? Avez-vous des hypothèses quant à des assiettes alternatives : cotisation sur la valeur ajoutée, TVA, CSG, financement sur une fiscalité écologique gouvernementale ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Quelles seraient selon vous les contreparties les plus efficaces en matière d’emploi, puisque le Président de la République, tout en engageant la France dans cette voie, a insisté sur cette notion dont il faut préciser toutefois le contenu ? Avec les trente-cinq heures, c’était relativement simple : un critère objectif pouvait être appliqué à toutes les entreprises.

Mme Anne Eydoux. Je n’ai pas étudié l’hypothèse d’assiettes alternatives. On peut y réfléchir, mais, je l’ai dit, les liens sont lâches entre cotisations sociales des employeurs et coût du travail et entre coût du travail et compétitivité des entreprises. En matière de politique économique, on ferait bien de se référer au principe suivant : à chaque objectif, un instrument. Or l’allégement des cotisations sociales des employeurs n’est pas le bon instrument pour créer des emplois et pour stimuler la compétitivité de l’industrie française. On peut réfléchir à ces questions d’assiette, reste que la politique engagée aura des effets marginaux.

M. le rapporteur. Vous soutenez que l’allégement, la suppression des cotisations n’est pas la bonne solution ; vous parlez d’effets marginaux ; vous considérez donc que le statu quo, c’est-à-dire le financement à hauteur des deux tiers de la branche famille par une cotisation des employeurs de 5,25 %, serait satisfaisant ?

Mme Anne Eydoux. Je suis d’accord avec Antoine Math sur ce point. Pour ce qui est du financement et des réformes de la branche famille, il vaut mieux cibler des objectifs liés aux prestations familiales et aux politiques familiales.

Pour le reste, en effet, dans le cadre des trente-cinq heures, aux termes de la loi, la baisse du coût du travail était la contrepartie de la baisse du temps de travail. Ici, les cotisations sociales des employeurs vont être supprimées pour tous, mais des contreparties vont-elles être demandées aux employeurs et, dans l’affirmative, lesquelles ? Pouvons-nous les obliger à créer des emplois ? Je l’ignore.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. On pourrait exiger, de manière analogue aux trente-cinq heures, un accord de branche et un accord d’entreprise aux termes desquels les partenaires sociaux définiraient les contreparties : embauche de dix personnes, d’un commercial pour l’aide à l’exportation, investissement dans une nouvelle machine qui permettra à terme la création de nouveaux emplois... Et, si aucun accord d’entreprise n’est signé, il n’y aurait pas de suppression de la cotisation famille, comme c’est le cas pour les accords d’égalité professionnelle ou pour les contrats de génération : s’il n’y a pas d’accord, est prévue une pénalité pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.

Dès lors qu’on supprime la cotisation et qu’il n’est plus question d’exonération, doit-on se priver de la capacité d’imposer des contreparties ? Ensuite, quel contenu leur donner pour éviter l’évaporation que vous avez signalée ? Ainsi avait-on précisé que le CICE ne devait pas servir à baisser les salaires, augmenter les dividendes ou la rémunération des dirigeants, mais à investir dans la recherche, l’innovation et la formation. Or le maillon faible du système est l’absence de sanction si ces affectations ne sont pas respectées.

Mme Anne Eydoux. Le maillon faible sera peut-être ici le même : on peut imaginer des négociations pour définir les contreparties à apporter à la suppression des cotisations sociales des employeurs, mais rien n’empêche que, dans le cadre de ces négociations, on fasse passer pour contrepartie des investissements qui auraient de toute façon été réalisés, des emplois qui auraient de toute façon été créés… La logique des accords d’égalité professionnelle est intéressante, car elle rend visibles les inégalités, mais, si l’on prend le contenu des accords en termes d’inégalités de salaires, qui est souvent un point d’achoppement, le contenu est bien mince. La négociation n’est pas forcément mauvaise, inutile en elle-même, puisqu’elle aurait en l’occurrence l’avantage de rendre visibles ces contreparties, mais il ne faut pas penser qu’elles s’en trouveraient nécessairement renforcées.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Nous vous remercions pour votre contribution.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et de M. Daniel Lenoir, directeur général.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. L’objet de notre mission d’évaluation est devenu d’une actualité on ne peut plus brûlante depuis l’annonce par le Président de la République de la suppression de la part patronale des cotisations familiales. Même si la MECSS a l’habitude de conduire des évaluations de long terme, nous considérons que le Parlement doit participer au débat public, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de nous pencher sur une question dont nous nous doutions qu’elle ferait l’actualité.

L’annonce présidentielle bouscule quelque peu le cadre de notre réflexion, puisque le champ de nos travaux était beaucoup plus large et portait sur les questions d’assiette, de gouvernance ou de légitimité de la dépense. Cette mesure ambitieuse faisait partie de notre champ de réflexion, la Cour des comptes ayant déjà envisagé ce scénario. Le Président de la République a laissé entendre que la solution de la suppression de la part patronale des cotisations familiales accompagnée de la suppression du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) avait sa préférence, tout en se disant ouvert à la discussion. Celle-ci impliquera les organisations patronales et syndicales ainsi que les collectivités locales ; le Parlement y sera associé. Le Président de la République a également souhaité que la question des contreparties fasse l’objet d’un « grand compromis social » – ce sont ses termes.

Nous aimerions savoir comment vous réagissez à ces annonces. Une telle mesure vous ferait nécessairement dépendre d’autres sources de financement : avez-vous des préférences en la matière ? Aurait-elle un impact sur la gouvernance de la branche famille ?

M. Jérôme Guedj, rapporteur. Nous sommes en effet très désireux de connaître votre réaction à l’annonce du Président de la République, puisque vous êtes les gestionnaires de ces ressources qui sont appelées à disparaître. Il ne s’agit pas de recommencer le débat théorique sur la légitimité du financement de la branche famille par les entreprises – je rappelle à ce propos que la Cour des comptes a estimé que, les prestations de la branche famille visant à permettre la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, la contribution des entreprises à son financement à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros serait justifiée.

C’est sur l’avenir que nous comptons vous interroger aujourd’hui. Quel serait selon vous le financement alternatif idéal ? Une fiscalisation plus poussée du financement de la branche vous semble-t-elle souhaitable ? Quelles incidences aura ce changement du mode de financement sur la gouvernance de la branche famille ? Craignez-vous une ressource moins dynamique, susceptible de mettre en péril le maintien du niveau des prestations ? Il ne faut pas oublier que l’année qui vient de s’écouler a vu la baisse du plafond du quotient familial et la perte de 0,15 point de la cotisation patronale sur les retraites.

Avez-vous le sentiment que la suppression de la part patronale peut être compensée par des économies sur les dépenses de la branche famille ? Pour reprendre des termes utilisés par le Président de la République, ces dépenses souffrent-elles d’excès, d’abus ou de redondances dont la suppression permettrait de compenser au moins en partie le coût de la mesure annoncée ? J’ai conscience du caractère quelque peu provocateur de cette dernière question !

M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales. Il faut bien reconnaître que les annonces du Président de la République nous ont un peu pris de court et que cette audition, prévue de longue date, acquiert de ce fait une autre dimension. Quand un budget se trouve amputé de 60 % de ces recettes, cela pose nécessairement de nombreuses questions.

Il est vrai qu’un tel scénario était dans l’air. Voilà déjà quelques années que les entreprises contestent la légitimité de leur participation au financement de la branche famille, alors que, à l’origine de la sécurité sociale, elles demandaient que la dimension familiale de la vie de leurs salariés soit prise en compte.

Cette annonce intervient en outre à un moment où les conditions de l’équilibre budgétaire de la branche sont bouleversées par les efforts d’économie qui nous ont déjà été demandés, puisque nous devons accélérer le rythme de réduction du déficit de la branche. À cela s’ajoute la perte de 0,15 point de cotisations patronales transféré vers le financement de la branche vieillesse. À ce propos, le débat reste ouvert quant à la légitimité de transférer à la branche famille une charge relevant initialement du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), aggravant de ce fait les difficultés financières de la branche.

S’il existait des recettes idéales, je pense qu’on les aurait déjà trouvées ! Au vu de la créativité qui a été déployée pour compenser, par le biais de l’affectation du produit de taxes sur les véhicules de société, sur les paris en ligne ou sur les jeux télévisés, la perte de la part de CSG qui a été transférée à la Caisse d’amortissement de la dette sociale et du 0,15 point de cotisations patronales, je ne doute pas qu’on saura trouver des dispositifs compensatoires. Quant à savoir s’il s’agit d’un mode de financement idéal, c’est une autre question.

L’intérêt du mode de financement actuel, assuré à hauteur de près de 80 % par la CSG et des prélèvements assis sur les revenus du travail, c’est son dynamisme, qui équilibre celui de nos dépenses, la revalorisation des recettes venant compenser l’évolution du coût de la vie. Ce dynamisme fait défaut à une dotation budgétaire. C’est pourquoi nous souhaiterions qu’un véritable débat soit engagé sur les moyens à mettre en œuvre pour retrouver des recettes dynamiques, via notamment la CSG, puisque celle-ci a été conçue à l’origine pour contribuer au financement de la sécurité sociale.

Nous ne pouvons que nous interroger, quand on nous annonce d’un côté que le budget de la branche sera amputé de 60 % de ses recettes, tout en assurant de l’autre que le niveau des prestations sera maintenu – Mme Marisol Touraine l’a encore répété hier lors de ses vœux aux forces vives. Nous avons du mal à convaincre nos allocataires que de tels miracles sont possibles. Il est vrai que 10 milliards par an, cela ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval !

La solution de la fiscalisation du financement de la branche a déjà été débattue, pour être généralement écartée. Si le Premier ministre a demandé au Haut Conseil du financement de la protection sociale de réfléchir sur l’opportunité de continuer à asseoir le financement de la branche famille sur les revenus du travail, il lui demande aussi de réfléchir aux moyens de maintenir un haut niveau de protection sociale. Voilà une équation quelque peu complexe.

On voit bien, par ailleurs, qu’un financement assuré exclusivement par dotation budgétaire serait susceptible de remettre en cause la légitimité d’une gestion paritaire de la protection sociale. En tout état de cause, l’intérêt d’une gestion de la branche par toutes les parties prenantes me paraît indéniable en ce qu’elle lui permet de bénéficier de l’éclairage, tant des bénéficiaires des prestations que des entreprises. Comme vous l’avez rappelé, la Cour des comptes a mesuré le retour sur investissement de la cotisation patronale à la branche famille. Des prestations comme les aides à la garde d’enfant ou au logement, par exemple, assurent aux salariés les conditions de travail les plus favorables possibles.

M. Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF. Il va de soi que le regard du directeur général, qui est chargé d’ordonnancer la dépense, diffère de celui du président du conseil d’administration.

Tout le monde sait que le montant des économies que la branche famille est susceptible de réaliser ne suffira pas à couvrir la perte de recettes attendue, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la ministre a dit très clairement hier soir qu’elle serait intégralement compensée, comme l’a été la perte de 0,15 point de cotisation patronale. Voyons cependant ce qui peut être fait en matière de réduction des dépenses, puisque le Président de la République a également évoqué cette piste.

Les prestations légales constituant l’essentiel des charges de la branche, un plan d’économies suppose nécessairement leur moindre revalorisation : c’est mathématique, d’autant que l’amélioration de l’accès aux droits est un des objectifs que nous assigne la convention d’objectifs et de gestion (COG) qui nous lie à l’État, ce qui signifie une augmentation du nombre des prestations distribuées.

Dès ma prise de fonctions, j’ai fait de la lutte contre les abus et les fraudes aux prestations une de mes priorités, non pas tant en raison de leur coût financier, comme je l’ai encore répété la semaine dernière devant votre commission des affaires sociales, que parce que toute fraude, aussi minime soit-elle, est un « coup de canif » dans le principe de solidarité et nuit gravement au consentement à la solidarité. Grâce à une amélioration considérable de nos capacités de détection, nous avons augmenté le montant des fraudes détectées de 20 % entre 2011 et 2012, pour parvenir à 120 millions d’euros. À mon avis, il est possible d’atteindre, voire de dépasser l’objectif de 100 millions d’euros supplémentaires fixé par la COG, le montant estimé des fraudes étant de l’ordre de 700 millions d’euros. Mais, quand bien même ces objectifs seraient atteints, ces montants ne sont pas à la mesure de l’enjeu.

Quant aux indus, ils représentent un coût de 2 milliards au total, dont nous récupérons une grande partie. Le nombre de ceux qui trouvent leur origine dans des erreurs internes est appelé à diminuer, la gestion de la branche ayant beaucoup progressé. Mais la plupart sont générés par la réglementation elle-même. J’avais proposé à ce propos que le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) se penche sur la question de la date d’effet des droits. J’espère que cette question sera examinée par le CIMAP qui doit se réunir en juin. Reste que, là encore, les marges d’économie sont faibles à l’échelle des milliards d’euros dont la perte devra être compensée.

On ne peut pas non plus rogner beaucoup les dépenses d’action sociale, surtout que la COG nous fixe des objectifs ambitieux en la matière, qui sont des objectifs de politique publique. De telles politiques ne recèlent pas des gisements d’économies comme il en existe dans la branche maladie, où on sait qu’il y a des dépenses inutiles. Il s’agit là de dépenses nécessaires. Je voudrais vous en citer trois exemples.

On connaît l’ampleur des besoins en matière d’accueil de la petite enfance, qui souffre d’immenses inégalités territoriales et sociales, et l’essentiel des 2 milliards d’euros supplémentaires prévus par la COG sera affecté au financement des dispositifs d’accueil de la petite enfance. On ne peut pas rogner sur cette dépense sans remettre en cause cette politique. En dépit de tous nos efforts pour maintenir un niveau de prestation suffisant, on sait que le reste à charge est important, notamment pour les familles les plus modestes.

Autre exemple, la CNAF finance des dispositifs d’accompagnement de la réforme des rythmes scolaires sur la partie « activités périscolaires ». Il ne nous est déjà pas possible de satisfaire à toutes les demandes des communes, notamment pour des raisons financières.

La COG nous fixe également des objectifs ambitieux en matière d’aide à la parentalité, via notamment la médiation familiale. Dans le même temps, l’État se désengage de cette action en supprimant les crédits du programme 106 qui y étaient affectés, contraignant la branche famille à prendre le relais. On sait que les besoins sont considérables, ce dispositif apprécié étant paradoxalement beaucoup moins développé dans notre pays que dans les autres pays européens. Dans le cadre de la préparation du projet de loi « famille » Mme Bertinotti, ministre déléguée à la famille, nous a fait savoir sa volonté de généraliser ce dispositif. Tout cela a un coût.

Ces exemples vous permettent de mesurer qu’on ne peut pas réaliser d’économies significatives sur les fonds destinés à l’action sociale, qui représentent désormais 10 % des dépenses de la branche famille.

Il reste les frais de gestion. Notre COG impose à la branche famille de réaliser des efforts de productivité et d’efficience. Cela se traduit notamment par le non-remplacement de départs en retraite dans les caisses, alors que celles-ci subissent une demande croissante des allocataires du fait de l’augmentation de la précarité. Cet engagement sera tenu, mais on ne pourra aller plus loin que si le chantier de la simplification avance très vite. En tout état de cause, le coût total des frais de gestion représentant moins de 2 milliards d’euros, le montant des économies réalisables est faible.

S’agissant des ressources, je n’ai pas à m’exprimer sur la pertinence de tel ou tel prélèvement. Ce qui me semble important, c’est d’assurer à la branche famille un financement stable et lisible. De ce point de vue, je préfère nettement la solution des ressources affectées plutôt que celle de la dotation budgétaire, soumise au principe d’annualité.

Supprimer la part patronale des cotisations familiales n’exonère pas d’une réflexion sur la forme que pourrait prendre la participation des entreprises au financement de la branche famille, eu égard aux effets bénéfiques de l’action de celle-ci pour la vie économique et des entreprises, que la Cour des comptes évalue entre 12 et 14 milliards d’euros. Ce principe de mutualisation des bénéfices ne nuit pas à la compétitivité, au contraire.

Je pense, comme Jean-Louis Deroussen, que la branche famille doit bénéficier d’une ressource dynamique. Surtout, le mode de financement de la branche doit avoir du sens, car, comme le consentement à l’impôt, le consentement à la solidarité suppose que le citoyen comprenne pour quoi il paie. Affecter le produit d’une taxe sur l’alcool à l’assurance maladie, cela a du sens : on accepte de contribuer aux dépenses qu’entraîne notre consommation. Selon ce principe, l’affectation de la CSG à la branche famille se justifie, car elle a un rapport direct avec la famille, ce qui n’est pas le cas de la taxe sur les véhicules de société. C’est une question de démocratie : le prélèvement doit favoriser le consentement à la solidarité.

S’agissant de la gouvernance de la branche famille, il me semble important de maintenir à la tête des caisses un conseil d’administration paritaire, afin de permettre aux parties prenantes dans chaque département, échelon des politiques sociales, de participer à la gestion de ces politiques : c’est ce qui donne du poids et de la pertinence aux politiques des CAF. Il est très important par exemple que les schémas territoriaux prévus en matière de développement des structures d’accueil de la petite enfance puissent être élaborés en concertation avec l’ensemble des parties prenantes.

M. le rapporteur. M. Jean-Louis Rey, directeur de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), nous a indiqué lors de son audition que la recette idéale pour la trésorerie de la sécurité sociale était régulière, prévisible et stable. Il a ajouté que deux assiettes étaient susceptibles d’assurer des recettes dynamiques : la masse salariale et la consommation. Il considère en revanche qu’il faut éviter une ressource assise sur les entreprises, le rendement de l’impôt sur les sociétés (IS) étant trop erratique. Auditionné l’année dernière, M. Drouet, le prédécesseur de M. Lenoir, avait, comme vous, jugé la fiscalisation risquée et dit sa préférence pour des recettes affectées. Une fois qu’on a dit ça, que fait-on ? Une augmentation de la CSG serait contraire à l’engagement du Président de la République de ne pas compenser la suppression des cotisations patronales par une augmentation de la seule fiscalité des ménages. Sachant que vos ressources proviennent de la CSG pour 10 milliards d’euros environ, des cotisations pour 34 milliards d’euros et de divers impôts et taxes affectées pour un peu moins de 10 milliards d’euros, quel mode de financement préféreriez-vous au regard de ces exigences de régularité, de prévisibilité et de stabilité, et si possible de légitimité ?

M. Jean-Louis Deroussen. C’est précisément le problème : si l’on supprime la contribution des entreprises au financement de la branche, la seule solution alternative de financement est d’augmenter la part des ménages, soit par une augmentation de la CSG, ce qui signifie une baisse de la rémunération nette des salariés, soit par une augmentation de la TVA. Or on affirme que les ménages ne seront pas pénalisés et que les prestations seront préservées. C’est pourquoi nous nous interrogeons.

On nous dit qu’il s’agit d’augmenter la compétitivité des entreprises, ces 30 milliards d’allégements de charges devant permettre, si l’on en croit le président du MEDEF, de créer 1 million d’emplois sur cinq ans. Dans l’hypothèse d’un salaire annuel de 30 000 euros, on retrouve les 30 milliards d’euros. Finalement, on demande aux salariés de payer eux-mêmes leur salaire !

Ce que nous souhaitons, c’est une contribution au financement de la politique familiale qui ait du sens pour les familles, mais aussi pour les entreprises. Le « retour sur investissement » significatif dont celles-ci bénéficient, selon l’évaluation de la Cour des comptes, justifie qu’elles continuent à participer au financement de cette politique.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Puisqu’il s’agit, non pas d’augmenter ni de créer des prélèvements, mais d’affecter des prélèvements existants, d’où viendrait cet accroissement de la part de la CSG dans le financement de la branche famille, sinon du FSV ou de la branche maladie ? Cela n’aurait pas beaucoup de sens.

S’agissant de recettes fiscales, vous avez souligné la volatilité de l’IS. Quant aux autres impôts assis sur la production, ils sont plutôt affectés aux collectivités locales, par le biais de la cotisation sur la valeur ajoutée ou de la taxe professionnelle. Reste la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, pour ne retenir que les prélèvements dont le rendement est à la hauteur de l’enjeu. On peut aussi imaginer un mixte de ces prélèvements.

M. Daniel Lenoir. Je ne crois pas que le sujet du financement de la branche famille puisse être dissocié d’une réflexion sur le financement de la protection sociale dans son ensemble, et c’est d’ailleurs la mission que le Premier ministre a assignée au Haut Conseil du financement de la protection sociale. Il est impossible d’affecter un seul prélèvement à ce financement, mais une clarification du mode de financement des branches me semble urgente : il est pour le moins discutable de faire financer les pensions de retraite par la branche famille.

Du strict point de vue de la branche famille, il faut maintenir une contribution des entreprises, même si elle n’est pas assise sur les salaires. Celles-ci doivent en effet contribuer au financement d’une politique dont elles tirent bénéfice, qu’il s’agisse du dynamisme démographique de notre pays ou de la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Le reste du financement sera nécessairement assuré par des prélèvements sur les ménages. Quant à l’arbitrage entre la CSG et la TVA, il dépendra également du mode de financement des autres branches. Pour ma part, je ne suis pas par principe opposé à une diminution de la part de la CSG affectée à la branche maladie et une affectation systématique des contributions comportementales à cette branche, parce qu’elle aurait du sens. Cela dit, je suis incapable, à la place où je suis, de voir quels flux entre ces vases communicants seraient susceptibles d’assurer l’équilibre financier des branches, car c’est bien l’objectif.

M. le rapporteur. En un mot, vous êtes dans l’expectative. Je suppose que ce n’était pas le scénario que vous envisagiez ?

M. Jean-Louis Deroussen. Non. Nous nous attendions certes à une diminution de la cotisation des entreprises, mais pas à sa suppression brutale.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le Président de la République a laissé le débat ouvert et la consultation annoncée de l’ensemble des parties prenantes me semble de bonne méthode. Je vous remercie.

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède enfin à l’audition, ouverte à la presse, de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), et de M. Christian Pineau, chef du service des affaires sociales de l’Union professionnelle artisanale (UPA), accompagné de Mme Caroline Duc, chargée des relations avec le Parlement.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Cette audition est particulièrement d’actualité. La MECSS, qui a pour habitude de s’affranchir de l’agenda parlementaire, s’est intéressée à dessein à la question du financement de la branche famille, convaincue qu’elle se poserait au cours du quinquennat. Déjà le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a été l’occasion d’une réflexion sur le sujet et, plus généralement, sur la protection sociale. Les perspectives tracées par le Président de la République donnent au sujet un relief particulier, mais n’enlèvent rien à notre questionnement, qui est désormais plus cadré.

La suppression des cotisations familiales à la charge des entreprises, voulue par le Président de la République, s’inscrit dans un débat plus vaste sur la baisse des charges associant les représentants des employeurs et des salariés, les collectivités territoriales et le Parlement. Le Président de la République a dit sa préférence pour cette voie, mais il n’a pas fermé la porte à d’autres solutions. Si le maintien du CICE devait être demandé de manière unanime, cette option pourrait être étudiée, tout en sachant que l’on ne peut à la fois supprimer les cotisations familiales et maintenir le CICE.

Le Président a également ouvert un débat nouveau sur les contreparties, avec l’annonce de la mise en place d’un observatoire des contreparties.

Nous souhaiterions donc connaître vos réflexions sur le financement de la branche famille, mais aussi vos réactions au cadre nouveau proposé par le Président de la République.

M. Jérôme Guedj, rapporteur. La nature de cette audition a changé – c’est un euphémisme – depuis la conférence de presse du Président de la République.

La réflexion de la MECSS poursuit deux objectifs : l’établissement d’un état des lieux et la définition de projets alternatifs, si tant est que la situation actuelle l’exige. Dans cette perspective, nous avons saisi la Cour des comptes, qui a remis son rapport en juin dernier, afin qu’elle évalue l’impact des cotisations familiales à la charge des entreprises et les scénarios alternatifs.

Je souhaiterais vous interroger sur quatre points : dès lors que les prestations familiales revêtent désormais un caractère universel et ne sont plus conditionnées par l’activité professionnelle, le financement par des cotisations patronales de la branche famille ne serait plus justifié. En réponse à cet argument régulièrement avancé par les organisations patronales, la Cour des comptes fait valoir que, sur les 55 milliards d’euros que représentent les prestations servies par la branche famille, 12 à 14 milliards contribuent à la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Compte tenu du lien subsistant entre activité et prestations familiales, une partie de ces dernières pourrait donc légitimement être financée par les entreprises. Le Président a cependant tranché cette question en annonçant la suppression des cotisations. Quel est votre avis sur ce point ?

Comment envisagez-vous la mise en œuvre de la suppression des cotisations familiales ? Quel en sera l’impact économique en termes de création d’emplois ?

Quelles peuvent être, selon vous, les modalités des contreparties ?

Quel sort doit-on réserver au CICE ? Deux options s’offrent à nous : maintenir le CICE et l’accompagner d’une baisse des cotisations patronales de 10 milliards d’euros ou abandonner le CICE et supprimer intégralement les cotisations familiales.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). Cette audition est d’une particulière acuité au lendemain des annonces du Président de la République. Je rappelle que la CGPME, comme l’ensemble des confédérations patronales interprofessionnelles, milite de longue date pour qu’une partie au moins des cotisations patronales d’allocations familiales soit remplacée par une autre ressource, notamment la TVA. Cette position ancienne repose sur deux éléments qui diffèrent des propositions du Président : l’abaissement, et non la suppression, des cotisations pour les entreprises, d’une part, et le financement par une autre ressource, et non par des économies, d’autre part. Nous l’avons défendue fin 2011 dans un texte dont l’ambition, plus vaste, était une baisse globale des cotisations patronales et de certaines cotisations salariales.

Mais les choses ont changé depuis, avant même les annonces du Président de la République. Ainsi la hausse de la TVA que nous prônions pour financer la baisse des cotisations patronales d’allocations familiales a-t-elle été préemptée pour réduire le déficit et financer une partie du CICE. En outre, les prélèvements sur les ménages et les entreprises ont augmenté depuis dix-huit mois.

Le Président de la République semble faire le choix clair d’une suppression intégrale des cotisations patronales d’allocations familiales d’ici à 2017. Nous en prenons acte, car cela va dans le sens de ce que nous souhaitions. Nous nous interrogeons néanmoins sur la manière dont cette suppression des 5,25 points de cotisations – et non 5,40 comme l’affirment certains – sera financée. Le Président a dit qu’elle serait compensée par des économies sur le budget de l’État, sans alourdir les prélèvements sur les ménages. Cette solution serait souhaitable, mais on peut douter qu’elle intervienne d’ici à 2017. Un doute existe également sur le calendrier, en particulier sur le terme de la réforme : est-ce la fin de l’année 2017 ou l’élection présidentielle ? Notre principale interrogation porte sur la capacité à dégager les économies nécessaires pour financer la baisse des cotisations patronales même si nous accueillons favorablement l’intention affichée.

Nous avons compris que, dans l’esprit du Président de la République, la baisse des charges de 30 milliards d’euros inclut le CICE : elle se décompose en 20 milliards pour le CICE en année pleine et 10 milliards supplémentaires. Quant à l’idée de transformer le CICE en allégement de charges, si elle est certainement la meilleure sur le plan théorique, je m’interroge sur sa faisabilité technique. En effet, le CICE est un crédit d’impôt qui porte sur les salaires de 1 à 2,5 SMIC tandis que les cotisations familiales portent sur tous les salaires. En choisissant cette voie, vous risquez de vous heurter, outre les difficultés techniques, à des problèmes de cohérence et de compréhension de la part des entreprises.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Une manière très simple de procéder consiste à supprimer à la fois le CICE et les cotisations familiales. Êtes-vous favorables à cette solution ou privilégiez-vous le maintien du CICE accompagné d’un allégement des cotisations patronales d’allocations familiales à hauteur de 10 milliards ?

M. le rapporteur. Il faut se souvenir que les emplois ciblés ne sont pas les mêmes selon l’option choisie. En effet, les salaires jusqu’à 1,6 SMIC sont exonérés de cotisations familiales au travers d’un mécanisme dégressif, tandis que l’exonération de charges prévue par le CICE porte sur les salaires jusqu’à 2,5 SMIC. La Cour des comptes souligne à cet égard que l’articulation entre le CICE, l’« allégement Fillon » et d’autres exonérations ciblées peut avoir pour effet un subventionnement du salaire net, au-delà même des cotisations patronales.

M. Georges Tissié. Nous souhaitons le maintien de l’allégement général de charges dont la portée n’est significative que jusqu’à 1,3 SMIC en raison de sa forte dégressivité. La suppression de l’« allégement Fillon » changerait considérablement la donne, convenez-en. En résumé, les interrogations ne manquent pas.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Ce que j’ai compris, c’est que 10 milliards supplémentaires de baisses des charges seront financés par des économies sur les dépenses de l’État. Pour le reste, le débat est ouvert et les questions sont nombreuses. Doit-on maintenir les deux systèmes ? Comment articuler la suppression des cotisations familiales avec l’« allégement Fillon » pour la partie qui peut être considérée comme affectée à la branche famille ? Le Président de la République n’a pas voulu trancher, laissant place à la négociation. Mais, si vous supprimez la partie de l’« allégement Fillon » correspondant à la branche famille et le CICE, le surcroît d’allégement de charges profiterait aux plus hauts salaires, supérieurs à 2,5 SMIC, comme l’a dit Jérôme Guedj. Nous souhaitons avoir des éclaircissements de votre part sur ces questions.

Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Je m’associe aux propos de M. Tissié. Le MEDEF était partisan d’une baisse des charges pesant sur le coût du travail avec un système de « double hélice », c’est-à-dire une baisse de la part patronale et de la part salariale. Mais le contexte a évolué, M. Tissié l’a rappelé, à la faveur des hausses de charges, de la CSG, etc.

Vous engagez un débat sur l’affectation des 10 milliards de baisses de charges supplémentaires, alors que nous souhaitons discuter de l’ampleur de la baisse. C’est en effet une nécessité absolue, comme le prouve la comparaison avec nos voisins, au premier rang desquels figure notre principal concurrent, l’Allemagne. Les dépenses de protection sociale représentent 33,1 % du PIB en France, ce qui fait de notre pays le champion d’Europe. Quant à la part des cotisations pesant sur le travail, elle est de 30 % en France, contre 23 % en Allemagne. Pour restaurer la compétitivité des entreprises françaises, le président Gattaz l’a dit, il faut donc réduire les charges pesant sur les entreprises, à hauteur de 50 milliards au titre de la protection sociale et 50 milliards au titre de la fiscalité. Il n’est pas sérieux de s’enfermer dès maintenant dans un débat sur l’articulation entre le CICE et la baisse annoncée par le Président de la République. L’ampleur de la baisse devra nécessairement être supérieure aux 10 milliards d’euros annoncés. L’ambition affichée par le MEDEF de créer 1 million d’emplois a besoin, pour se réaliser, d’un mouvement d’ampleur de baisse des charges.

Nous nous réjouissons que le Président de la République partage notre analyse sur la nécessité d’une baisse du coût du travail et d’une simplification de la vie des entreprises. Il reste néanmoins à préciser l’ampleur des baisses de charges, les contreparties attendues et le calendrier.

Nous sommes membres du Haut Conseil du financement de la protection sociale qui étudie diverses hypothèses et scénarios. Nous ne savons pas encore ce qui sortira de ses travaux.

Compte tenu des économies déjà programmées dans le cadre du retour à l’équilibre des finances publiques et de l’ampleur souhaitable de la baisse, il nous paraissait plus simple de procéder à un transfert des cotisations familiales vers la TVA. Nous ne renonçons pas à cette perspective.

L’ampleur de la baisse de charges doit être significative pour avoir les effets escomptés sur la compétitivité des entreprises et sur l’emploi.

Je n’entrerai pas dans le débat sur la mise en œuvre des annonces du Président de la République, car tout dépendra de l’ampleur de la baisse et du calendrier.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous dites que la baisse des charges est insuffisante, mais nous faisons plus en trois ans – 30 milliards d’euros – que sur les vingt dernières années – 20 milliards depuis les « allégements Balladur ». Quant au calendrier, il est connu : la baisse sera de 20 milliards d’euros en 2015 et de 30 milliards en 2017. Sur le volume, les choses sont donc cadrées.

Mme Valérie Corman. Oui, mais ce volume n’est pas à la hauteur des enjeux.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La plupart des entreprises ne bénéficieront des premiers effets du CICE qu’à partir du mois de mai. Elles peuvent évaluer leurs charges jusqu’en 2017 en s’appuyant sur le montant prévu pour la suppression des cotisations familiales. Le cadre est donc connu.

En revanche, il n’est pas neutre de passer du CICE à un allégement de charges, car l’aide ne s’adresse pas aux mêmes entreprises et ne porte pas sur les mêmes salaires. Ce problème est particulièrement aigu pour les commerçants et les artisans ainsi que les secteurs qui emploient de nombreux salariés au SMIC.

Malgré tout, les incertitudes sont aujourd’hui moins nombreuses qu’il y a trois ou quatre jours.

Mme Valérie Corman. La comparaison avec l’Allemagne demeure un élément du débat.

Le caractère universel des prestations familiales me semble un argument valable pour justifier la demande des organisations patronales. Nous ne nions pas que la politique familiale a un effet sur l’emploi des femmes. La France a la chance d’avoir un fort taux d’emploi des femmes qualifiées et, dans le même temps, un bon taux de natalité, même s’il a tendance à baisser. Il ne faut pas renoncer à la politique familiale au risque, comme en Allemagne, de voir les femmes diplômées choisir entre enfants et travail au profit de ce dernier. La politique familiale est essentielle, mais il n’y a pas de raison que les entreprises la financent par une cotisation alors qu’elles paient aussi des impôts.

M. Georges Tissié. Je ne suis pas sûr que la majorité de nos adhérents aient saisi la problématique de l’ampleur des allégements de charges et de leur mise en œuvre : pour nous qui sommes plongés dans ces questions, les éléments du débat ne sont déjà pas clairs ; ils le sont encore moins pour les chefs d’entreprises de moins de cinquante salariés…

Mme Valérie Corman. En effet, les petites entreprises n’ont pas encore mesuré l’impact du CICE.

Pour le MEDEF, il faut à la fois maintenir le CICE et baisser de 30 milliards les cotisations familiales, pour parvenir à un abaissement de charges total de 50 milliards d’euros.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. M. Gattaz parle de 100 milliards.

Mme Valérie Corman. Oui, car il faut ajouter la baisse de la fiscalité, à hauteur de 50 milliards. Ces chiffres sont inspirés de la comparaison avec l’Allemagne.

Vous parlez d’emploi, mais il faut d’abord restaurer la compétitivité des entreprises, ce qui ne peut pas se faire sans des mesures d’ampleur. Le MEDEF promet une action vigoureuse pour créer 1 million d’emplois, mais il a besoin pour cela de mesures fortes de baisse du coût du travail.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Vous dites qu’il faut 100 milliards de baisse de charges diverses sur les entreprises pour que ces dernières créent 1 million d’emplois. Cela signifie qu’un emploi privé coûte 100 000 euros, là où un emploi public en coûte 30 000, soit trois fois moins. Que répondez-vous à ceux qui plaident en faveur d’un autre équilibre entre emploi public et emploi privé ?

Mme Valérie Corman. Ce raisonnement fait abstraction d’une chose essentielle : l’efficience de notre système de protection sociale, qui est aujourd’hui très coûteux.

Le Président de la République l’a dit, la baisse des dépenses doit être l’une de nos priorités. Le niveau des dépenses de protection sociale – 33,1 % du PIB – est inquiétant. Selon les projections du Haut Conseil du financement de la protection sociale, à législation constante et dans l’hypothèse la plus optimiste, la poursuite de cette tendance conduit à recreuser le déficit et à placer la dette à un niveau qui n’est pas supportable. Il est indispensable de diminuer les dépenses et d’améliorer l’efficience de notre système de protection sociale. À un certain niveau de dépense, il n’existe plus de bonne assiette. Nous devons réussir à nous rapprocher de la moyenne européenne de pourcentage de PIB pour la protection sociale.

M. Christian Pineau, chef du service des affaires sociales de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Mon intervention s’inscrira dans la continuité des deux précédentes, puisque nous avons, sur ce sujet au moins, une communauté de vues avec nos amis du MEDEF et de la CGPME.

Depuis des années, nous formulons les mêmes revendications et les mêmes demandes en nous appuyant sur les mêmes arguments : nous les aurions réitérés aujourd’hui à l’identique si cette audition s’était déroulée avant la conférence de presse du Président de la République. C’est un fait, depuis le mardi 14 janvier, la situation a un peu évolué. Nous avons écouté avec attention les annonces du Président de la République relatives à la suppression des cotisations familiales à la charge des entreprises en vue d’enclencher une baisse du coût du travail. Toutefois, cette suppression n’est malheureusement prévue qu’à l’horizon de 2017, ce qui est un peu loin.

Nous avons également pris acte de la volonté du Président de la République de financer cette baisse des charges sociales par une baisse de la dépense publique et non pas par un accroissement de la pression fiscale pesant sur les ménages, ce qui aurait nui à leur pouvoir d’achat et donc à l’activité économique des entreprises : n’oublions pas que les ménages sont les premiers clients des entreprises de l’artisanat et du commerce de proximité.

Ces annonces présidentielles nécessitent des clarifications en termes de calendrier et de méthode, d’autant que deux scénarios sont identifiés, si l’on reste sur un volume de 30 milliards d’euros d’allégements de charges : soit le CICE est maintenu et son montant
– 20 milliards – est cumulé avec une baisse des cotisations familiales à hauteur de 10 milliards, soit le CICE est supprimé. Comme les travailleurs indépendants n’entrent pas dans le champ du CICE, si celui-ci est maintenu, il conviendra de l’élargir aux travailleurs indépendants afin qu’ils puissent bénéficier eux aussi de l’abaissement des charges afin de leur permettre de se développer et donc de créer des emplois. Si le CICE est supprimé, demeure la question de la période courant jusqu’à 2017, durant laquelle nous demandons que le CICE s’ouvre aux travailleurs indépendants : c’est à cette seule condition que l’ensemble des entreprises profitera pleinement des annonces du Président de la République. Actuellement, la situation des travailleurs indépendants est pénalisante.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Quelle solution aurait votre préférence ? Le crédit d’impôt ou la baisse des cotisations ?

M. Christian Pineau. Peu importe la mécanique choisie : l’objectif doit être d’atteindre un allégement de 30 milliards d’euros des charges pesant sur les entreprises afin d’abaisser le coût du travail et de leur permettre de créer encore plus d’emplois grâce au développement de leur activité économique. Je rappelle que les entreprises que je représente sont déjà reconnues comme créatrices d’emplois.

Certes, les cotisations patronales aux allocations familiales ont déjà été réduites : toutefois, le passage de 5,40 % à 5,25 % ne s’est pas traduit par un allégement des charges puisqu’il n’avait pour objet que de compenser la hausse des cotisations d’assurance vieillesse. La question du financement de la branche famille s’inscrit dans une réflexion plus générale sur le financement de la protection sociale, ce que rappelle la lettre de saisine que le Premier ministre a adressée à la présidente du Haut Conseil du financement de la protection sociale : il faut clarifier l’ensemble des financements des branches.

S’agissant de la branche famille, nous soulignons depuis des années l’inadéquation entre son financement, encore assis pour les deux tiers sur les revenus d’activités, et la logique d’universalisation des droits qui est la sienne.

Toutefois, à la question de savoir si, les cotisations patronales à la branche famille étant supprimées, il serait encore légitime pour les entreprises de continuer de s’occuper de la politique familiale, je répondrais oui. En effet, la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée est un sujet de préoccupation quotidien, surtout pour les petites entreprises. Le fait que la vie privée des salariés puisse être en totale articulation avec leur vie professionnelle est capital pour des entreprises qui ont un lien très étroit avec leurs salariés – c’est le cas de celles que je représente, qui n’ont qu’un ou deux salariés. Ce n’est donc pas parce que les entreprises ne participeraient plus au financement de la branche famille que, pour autant, elles n’auraient plus intérêt à accompagner, voire à gérer la politique familiale en continuant de siéger au sein des organismes de gestion de la branche famille.

M. Georges Tissié. S’il s’avérait que la baisse nette se limitait finalement à 10 milliards d’euros, ce serait pour nous une grande déception. Les effets de la mesure s’en trouveraient évidemment limités, car une telle réduction ne serait pas suffisamment incitative à la création d’emplois.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Au 31 décembre 2017, la baisse sera concrètement, pour les entreprises, de 30 milliards par rapport au 1er janvier 2014 : comment pouvez-vous affirmer qu’une telle baisse sera insuffisante pour créer des emplois ? Si tel était le cas, il conviendrait de faire d’autres choix. N’oublions pas que notre réflexion actuelle ne porte pas sur le delta entre les 20 milliards du CICE et l’objectif des 30 milliards d’allégement de charges, puisque, le CICE commençant à peine en ce début d’année 2014 à entrer en application dans les grandes entreprises, et assez peu dans les petites, ses bénéfices ne sont pas encore effectifs. Notre réflexion porte donc bien sur 30 milliards de baisses concrètes des charges des entreprises sur trois exercices budgétaires. Je tiens à rappeler que, sur les vingt dernières années, ces baisses n’ont atteint que 20 milliards, les mesures accompagnant les trente-cinq heures comprises. Cette baisse de 30 milliards ne saurait donc avoir qu’un effet massif, qui justifie la question des contreparties concrètes.

Quels engagements pouvez-vous prendre en matière de contreparties ? J’avais défendu – sans succès, il est vrai – l’idée de conditionner l’octroi du CICE à des accords de branche ou d’entreprise. Une telle démarche me semble préférable à la fixation de critères qui ne sont pas nécessairement adaptés à toutes les entreprises.

Envisagez-vous de prendre des mesures opérationnelles ?

Mme Valérie Corman. Les baisses n’atteindront pas 30 milliards nets, car nous assistons à des augmentations de charges, je pense notamment aux mesures relatives à la pénibilité qui coûteront 2 à 2,5 milliards ou à l’augmentation du forfait social.

S’agissant des contreparties, c’est en termes d’impact sur la compétitivité des allégements de charges qu’il faut raisonner. Ces mesures permettront-elles de restaurer la compétitivité des entreprises ? Il est impossible d’avancer des objectifs chiffrés, c’est-à-dire de traduire mécaniquement par exemple 1 milliard de baisses des cotisations en un nombre déterminé de créations d’emplois. La restauration de la compétitivité des entreprises aura, certes, un impact positif en matière de créations d’emplois – c’est l’objectif du MEDEF –, mais cette restauration passe avant tout par la capacité à innover et à investir. N’attendez pas de moi que je vous donne un objectif chiffré.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Sans parler d’objectif chiffré, comment envisagez-vous de concrétiser l’idée même de contreparties ?

Mme Valérie Corman. Nous demandons nous-mêmes des précisions en la matière. Nous ne saurions en tout cas prendre aucun engagement chiffré.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La deuxième loi sur les trente-cinq heures devait se traduire par des objectifs fixés et vérifiés par les partenaires sociaux eux-mêmes : ce type de mécanisme vous paraît-il envisageable ?

Mme Valérie Corman. Il n’a jamais fait ses preuves.

Nous ne disposons pas des précisions suffisantes pour évaluer l’impact du dispositif. Les entreprises françaises sont dans une situation très inquiétante – un diagnostic que le Président de la République partage lui-même. Le nombre des créations d’entreprises diminue, tandis que celui des défaillances augmente. Le chômage est à un niveau élevé. Il faut mener une action proportionnelle à la gravité de la situation.

M. Georges Tissié. Nous attendons en effet que le Gouvernement précise son schéma sur le « comment », pour reprendre votre mot, monsieur le président. En tout état de cause, nous ne pouvons formuler aucun objectif chiffré de créations d’emplois par branche professionnelle et encore moins par entreprise. C’est une vision mécanique de l’économie qui ne fonctionne pas. C’est pourquoi nous sommes réticents à donner ne serait-ce qu’un objectif global de créations d’emplois.

Il faut tout de même rappeler que, en 2012 et 2013, la France a perdu entre 160 000 et 170 000 emplois nets – le chiffre de l’INSEE risque même d’être plus élevé encore. Nous partons donc de très loin.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La création de 1 million d’emplois grâce au pacte de responsabilité a été évoquée.

M. Georges Tissié. Nous n’avons jamais donné un tel chiffre.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Ces six derniers mois ont vu des créations nettes d’emplois.

M. Georges Tissié. Non. L’emploi subit toujours des pertes nettes.

Je tiens à insister particulièrement sur le point suivant : le système des allégements de charges doit être lisible, significatif et stable. Or – le gouvernement actuel n’est pas le seul à pouvoir être critiqué sur le sujet – les systèmes d’allégements ont été rarement lisibles, ils ont été souvent peu significatifs et, surtout, ils n’ont jamais été stables. Or la stabilité des systèmes, à trois, voire cinq ans, est essentielle pour les TPE-PME.

M. le rapporteur. C’est un argument pour le maintien du CICE.

Le Président de la République a évoqué, outre les créations d’emplois, différentes autres contreparties possibles, notamment en termes de revalorisation du salaire net, de qualité au travail, d’emploi des seniors ou des jeunes. Qu’en pensez-vous ?

La suppression des cotisations familiales patronales représente 1 000 euros par an pour un salarié payé 1 500 euros nets par mois et 1 900 euros par an pour un salarié payé 2 300 euros nets par mois. Estimez-vous ces montants suffisamment significatifs pour avoir un impact sur la compétitivité des entreprises ? En effet, rapporté au coût total du travail
– 700 milliards d’euros, dont 180 milliards de cotisations patronales –, un allégement de 10 milliards d’euros peut sembler très modeste. Il convient par ailleurs de rappeler que le coût du travail n’entre pas seul dans le coût de production : la compétitivité dépend aussi du coût de l’énergie ou de celui du capital. L’effort pour financer une mesure qui vous paraît aussi peu significative n’est-il finalement pas plus important que le bénéfice attendu pour les entreprises qui ont, vous l’avez rappelé, besoin de remplir leurs carnets de commandes ? La baisse, si elle se traduit par un prélèvement sur les ménages, pourrait, elle aussi, avoir un impact. Vous dites que seule une baisse de 100 milliards d’euros permet de créer un choc de compétitivité. Dans ces conditions, une mesure à 10 milliards vaut-elle le coup ? Ne vaudrait-il pas mieux consacrer cette somme à autre chose ?

Avez-vous enfin des préférences en termes de financements alternatifs pour la branche famille ? Quelles ressources conviendrait-il de substituer aux cotisations patronales ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. La question est celle des ressources affectées : faut-il se tourner vers l’État ou la sécurité sociale ?

Mme Valérie Corman. Recourir à la TVA nous semblerait la mesure la plus cohérente avec une politique de l’offre, car c’est celle qui aurait le moins d’effet récessif. Telle est notre proposition.

La question du financement de la branche famille ne saurait toutefois être traitée indépendamment de celle de l’ensemble du financement de la protection sociale, qui doit être cohérent. Il convient de financer le système assuranciel via les cotisations – je pense notamment à l’assurance vieillesse – et de financer par de la CSG et de l’impôt affecté la branche famille qui relève d’une logique universelle. Continuer à ne s’occuper que du financement de la branche famille aura pour seul effet de perpétuer l’inquiétude sur la pérennité de son financement.

Toute ressource fiscale peut donc être envisagée, à condition qu’elle soit cohérente avec le dispositif d’ensemble du financement de la protection sociale.

M. Georges Tissié. Il n’est pas possible de raisonner par morceaux, y compris pour les recettes de la branche famille.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. J’imagine volontiers que, à quelques semaines de la conclusion de trois années de travaux du Haut Conseil du financement de la protection sociale, vous devez commencer à avoir une petite idée sur la question, même si les annonces du Président de la République ont quelque peu modifié la donne, sans la bouleverser néanmoins.

M. Christian Pineau. Il m’est d’autant moins possible de vous répondre précisément sur la question des taxes ou impôts qui doivent être affectés à la branche famille en cas de suppression des cotisations patronales que ce débat, comme vous l’avez rappelé, s’inscrit dans une réflexion plus large, conduite au sein du Haut Conseil du financement de la protection sociale. Cette instance ayant été créée précisément pour mener cette réflexion, laissons-la aller à son terme. Du reste, ses conclusions ne feront pas nécessairement consensus. En effet, si tous les membres du Haut Conseil ont le même objectif – pérenniser le financement de la branche famille –, tous ne sont pas d’accord sur la manière d’y arriver.

La seule chose que je puisse vous dire pour le moment est que, si nous avons vu passer de nombreux rapports sur le financement de la protection sociale, nous n’avons toujours pas trouvé l’assiette miracle. Sachez en tout cas que les débats, encore en cours au sein du Haut Conseil et qui ne portent pas que sur le financement de la branche famille, sont de qualité.

Quant aux contreparties, nous avons besoin de précisions sur le calendrier et la méthode. N’attendez pas d’engagements immédiats de notre part sur le sujet. Des discussions doivent être menées avec le Premier ministre et les ministres concernés. Je ne doute pas que, au terme de ces échanges, nous parviendrons à faire des annonces.

M. le rapporteur. La suppression des cotisations familiales à la charge des entreprises pourrait se traduire, en l’absence de contreparties, par une augmentation des bénéfices des entreprises : celles-ci financeront alors elles-mêmes une partie de l’allégement grâce à l’accroissement du rendement de l’impôt sur les sociétés.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Pouvez-vous chiffrer ce mécanisme ?

M. Georges Tissié. Je n’irai pas jusqu’à le chiffrer, mais Mme Corman a raison, l’allégement n’atteindrait pas les 10 milliards. La question est vraiment complexe.

Mme Valérie Corman. Et demande à être encore travaillée !

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le Parlement devra se prononcer.

M. Georges Tissié. Le fera-t-il sur un texte de principe ou sur le détail du dispositif ?

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Le Parlement se prononcera sur le détail, c’est sa mission, puisqu’il lui appartient de voter la trajectoire budgétaire dans son ensemble et l’évolution de la fiscalité des entreprises et des ménages en particulier.

Auparavant, il devra accorder – ou refuser – sa confiance au Gouvernement sur le fondement du discours du Premier ministre, qui donnera, à cette occasion, les précisions nécessaires sur la mise en place du dispositif annoncé par le Président de la République.

M. le rapporteur. Assurément, le support juridique sera le projet de loi de finances pour 2015 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

M. le coprésident Jean-Marc Germain. Sans oublier la loi de programmation des finances publiques, qui obéit à une logique pluriannuelle.

Mesdames et messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à douze heures quarante.