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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jeudi 22 mai 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « la mise en œuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) » (Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure) :

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) :

– M. Yannick Deimat, directeur-adjoint de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Finistère

– Mme Marie-Pierre Duchemin, directrice-adjointe de l’autonomie au conseil général de la Nièvre

– M. John Houldsworth, directeur-adjoint de la maison départementale des personnes handicapées de Seine-Saint-Denis

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 22 mai 2014

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

(Présidence de Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure)

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Dans le cadre de ses travaux sur la mise en œuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a souhaité entendre des représentants de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Nous sommes donc heureux de recevoir M. Yannick Deimat, directeur-adjoint de la MDPH du Finistère, dont nous avons entendu saluer les initiatives lors d’une récente audition, Mme Marie-Pierre Duchemin, directrice-adjointe de l’autonomie au conseil général de la Nièvre, que je connais bien, puisqu’elle représente mon département, et que j’ai le plaisir d’accueillir pour la deuxième fois à l’Assemblée nationale, et M. John Houldsworth, directeur-adjoint de la MDPH de Seine-Saint-Denis. Je les remercie d’avoir accepté notre invitation.

Madame, messieurs, nous souhaitons acquérir une vision plus complète du sujet et comprendre comment vous vivez sur le terrain les réalités de l’accompagnement de la perte d’autonomie, qu’il s’agisse des personnes handicapées ou des personnes âgées. Nous avons déjà reçu un certain nombre d’organismes et de personnalités. Nous sommes curieux de connaître le bilan que vous dressez de l’action de la CNSA, à la fois sur l’animation du réseau des MDPH et sur le soutien financier à leur installation et à leur fonctionnement.

La CNSA a dix ans. Elle est devenue une institution incontournable, qui occupe une place importante et indispensable ; mais elle connaît aussi des difficultés, sa création étant finalement assez récente. C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de dresser un bilan de la mise en œuvre de ses actions.

Aux termes de la loi, la CNSA est chargée de contribuer au financement de l’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, dans le respect de l’égalité de traitement des personnes concernées sur l’ensemble du territoire. Quelle appréciation portez-vous sur la mise en œuvre de ces missions ? De quels moyens la CNSA dispose-t-elle pour y faire face ? Comment remédier aux disparités dans l’attribution de la prestation de compensation du handicap (PCH) ? Faut-il étendre les moyens et les missions de la Caisse en vue de mieux garantir l’égalité de traitement ? Selon une note récente de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), près du quart des disparités observées entre les départements dans l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) s’explique par les différences de pratiques des acteurs locaux. Quel rôle la CNSA pourrait-elle jouer dans l’harmonisation de ces dernières ?

M. Yannick Deimat, directeur-adjoint de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Finistère. Je suis heureux d’apprendre que l’on vous a dit du bien de la MDPH du Finistère…

Pour faire un bref historique, notre équipe de direction est la même depuis l’origine. La directrice et moi-même avons mis en place la MDPH et l’avons soutenue contre vents et marées. À peine constituées, les MDPH ont en effet été l’objet de grands débats sur leur construction juridique, leur autonomie ou leur mode de gouvernance. Nous avons vécu tout cela, en même temps que l’installation de la CNSA, ce qui nous permet de porter un regard rétrospectif sur cette période, sachant que plus de la moitié des directeurs de MDPH ayant participé à leur création ne sont plus en poste.

Dans le Finistère, nous avons souhaité créer une MDPH à la fois autonome et non consommatrice de crédits. Il faut entendre par là une autonomie dans la gouvernance – la MDPH n’est pas placée sous l’autorité des services du département ; il s’agit bien d’un groupement d’intérêt public (GIP). En revanche, il nous est interdit de recréer le moindre service sur lequel nous appuyer dans le cadre du fonctionnement du département. Nous parlons donc d’autonomie au sens de la loi, à savoir d’autonomie dans la gouvernance fondée sur la commission exécutive (COMEX) et la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), et de fonctionnement dans une structure autonome.

L’appui de la CNSA au moment du démarrage de la structure a été déterminant. Un vrai travail d’accompagnement a été mis en œuvre, avec l’élaboration de nombreux guides. Dès l’origine, toute une démarche de structuration de la mise en place des MDPH a été conduite. C’était d’autant plus important qu’il s’agissait à la fois d’une gouvernance et de dispositifs nouveaux. De nombreux textes n’étaient pas encore publiés lorsque nous avons démarré ; le contexte était donc difficile.

En ce qui concerne les dotations financières, nous avons bénéficié d’une « dot » de démarrage. La couverture de l’effet économique était délicate à évaluer, selon que la MDPH s’installait dans des bâtiments anciens ou dans un bâtiment neuf, achetait ou non un nouveau logiciel…

Dans cette phase de démarrage, l’apport de la CNSA a donc été important ; mais l’engagement du conseil général a été déterminant.

La phase de mise en œuvre s’est révélée plus compliquée. Les outils informatiques se sont mis en place progressivement, au fil de la publication des textes – ce qui concourt d’ailleurs à expliquer un certain nombre des difficultés de la CNSA. On a donc assisté à une course à la production d’outils techniques à mesure que les textes paraissaient, sachant que ces derniers étaient eux-mêmes sans cesse modifiés. Les éditeurs avaient à peine le temps de développer un outil pour saisir un formulaire que l’on créait un nouveau formulaire. Cette période a été marquée par la volonté de remonter très rapidement un nombre considérable d’indicateurs. Cette phase de changement – marquée aussi par des tensions au sein de la CNSA – a été plus difficile. Bref, il y a eu un problème de construction du projet.

J’en arrive à la phase actuelle. Le contexte est devenu plus rationnel ; nous sentons que les projets sont construits, menés de façon plus scientifique et plus technique ; nous percevons désormais une démarche opérationnelle et une volonté d’aboutir. En tant que vice-président de l’association des directeurs de MDPH, je ressens également une écoute nouvelle et une prise en compte de nos attentes par rapport aux limites que les postures précédentes avaient induites dans la conduite de projets.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Connaissez-vous le nombre de personnes suivies par la MDPH du Finistère et les budgets engagés aujourd’hui ?

M. Yannick Deimat. Le nombre de personnes suivies ou dossiers « actifs » est toujours compliqué à déterminer, puisque nous ignorons les décisions qui sont mises en œuvre. Dans le Finistère, nous l’évaluons à environ 80 000. Nous avons pris 43 000 décisions en 2012, et plus de 63 000 en 2013, en raison d’une opération de rattrapage.

Quant au budget de la MDPH, il s’élève à presque 5 millions d’euros.

Mme Marie-Pierre Duchemin, directrice-adjointe de l’autonomie au conseil général de la Nièvre. La Nièvre est un petit département de 219 000 habitants, avec une population vieillissante et une importante population handicapée – ce qui nous a valu une inspection de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les conditions d’attribution de l’AAH. À la suite de cette inspection et de la lecture faite par l’IGAS des missions de la CNSA, il me semble nécessaire de faire évoluer les critères nationaux concernant les personnes handicapées. À ce jour, l’attribution des financements est liée à la tranche de population des 20-59 ans, ce qui ne correspond pas à la réalité pour l’attribution du nombre de places en établissement. J’ai essayé, au regard des données, qui sont difficiles à obtenir, de la cibler plutôt sur le nombre de personnes handicapées par rapport aux places. Ces chiffres, qui ont sans doute correspondu à une réalité autrefois, ne sont plus adaptés aujourd’hui, puisque nous prenons aussi en charge des enfants handicapés et des personnes handicapées ayant plus de 60 ans.

Je rejoins M. Deimat dans son analyse de l’évolution de la CNSA, que j’ai moi-même pu percevoir. Je suis arrivée au conseil général de la Nièvre en 2006, en tant que cheffe de service. J’ai connu trois directeurs de MDPH. Depuis deux ans, la MDPH a un lien fonctionnel avec le pôle solidarité du conseil général – d’où ma présence aujourd’hui.

À l’origine, la CNSA a beaucoup accompagné les MDPH. Mais nous avons ensuite perçu un flottement, plutôt sur des aspects techniques, et davantage de distance – à une période qui a dû correspondre pour la Caisse à un diagnostic de son fonctionnement. En tout cas, nous avons beaucoup travaillé avec elle, que ce soit pour le public âgé ou pour le public handicapé. Nous avons ainsi travaillé avec les médecins de la CNSA, suite au décret du 21 août 2008 relatif au guide de remplissage de la grille nationale AGGIR, dit « new AGGIR », sur un référentiel et sur les plans d’aide afin que les équipes d’évaluation puissent avoir le même référentiel et donc assurer une égalité de traitement sur l’ensemble du département.

Le passage du logiciel ITAC à OPALES, où nous avons dû à la fois nous confronter au nouveau logiciel et fournir de nouvelles données demandées non seulement par la CNSA, mais aussi par la DREES, la caisse d’allocations familiales (CAF) ou la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), a été difficile. Nous devons fournir les mêmes données à tous ces organismes, mais pas sous le même format ! Il faut travailler sur ce point, même si j’en mesure la difficulté. Nous avons aussi beaucoup contribué au Système d’information partagé pour l’autonomie des personnes handicapées (SipaPH) ; nous avons passé des jours à coder. Les éditeurs de logiciels ont fait ce qu’ils pouvaient. Pour ce qui concerne la MDPH de la Nièvre, nous travaillons avec l’éditeur GFI. Nous avons eu un bug au début de l’année, si bien que nous n’avons pu remonter toutes les données à temps. Je souhaiterais que la CNSA se positionne comme un maître d’œuvre vis-à-vis des éditeurs. Actuellement, les MDPH se retrouvent un peu isolées lorsqu’elles doivent mettre en œuvre des évolutions.

J’attends également que la CNSA se positionne par rapport à des outils qui se développent avec les agences régionales de santé (ARS), notamment l’outil ViaTrajectoire, qui est en train de prendre une place importante. Sachant qu’il devrait être utilisé par un certain nombre de régions, il serait bon qu’il soit validé par la CNSA.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet outil ?

Mme Marie-Pierre Duchemin. ViaTrajectoire, conçu sur la base d’un logiciel utilisé dans les établissements sanitaires, a été développé par les Hospices civils de Lyon. Il s’adresse d’abord au secteur médico-social et peut être utilisé par les MDPH pour la gestion des listes d’attente. À partir de la notification, il est par exemple possible de savoir qu’une personne est entrée en établissement et service d’aide par le travail (ESAT). L’outil comporte trois entrées : une entrée pour les usagers, qui permet à chaque usager de savoir où en est sa demande, une entrée pour les établissements, pour la gestion des listes d’attente, et une entrée pour les institutionnels – MDPH, ARS, conseil général – avec des habilitations. Il peut également être utilisé pour la gestion des parcours des personnes âgées.

ViaTrajectoire devrait être utilisé par cinq ou six régions, dont la région Bourgogne. Il ne faudrait pas qu’il soit remis en cause alors que les ARS y consacrent des financements.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. La CNSA suit-elle sa mise en œuvre dans ces cinq ou six régions ?

Mme Marie-Pierre Duchemin. J’avais posé la question. Pour l’instant, la CNSA se dit extrêmement favorable au développement de cet outil, mais un pilotage national est nécessaire si nous ne voulons pas nous retrouver dans la même situation que pour ITAC et OPALES. Que se passera-t-il à l’échelle nationale si dix régions ne veulent pas du système ? En effet, celui-ci permet aussi de faire le lien avec le sanitaire. Nous en sommes aujourd’hui à bâtir les éléments du système ; la démarche est portée par l’ARS et par le groupement de coopération sanitaire (GCS) « e-santé Bourgogne ». Dans la mesure où de l’argent public est engagé, il est impératif de s’interroger sur l’avenir de cet outil.

J’aimerais également aborder l’aspect réglementaire. La CNSA élabore des recommandations et des guides de bonnes pratiques, mais ils n’ont pas de valeur juridique. Il serait souhaitable qu’elle ait le pouvoir de faire des propositions d’évolution en termes réglementaires. J’ai dressé une liste des points qu’il serait intéressant de modifier ; je pense notamment à la PCH en établissement.

Je souhaite aussi que nous parlions de l’aide sociale.

J’ai appris en lisant le rapport de l’IGAS qu’il existait une réserve nationale. Comment peut-elle être mobilisée pour l’évolution – à l’échelle nationale – non du nombre de places en ESAT, mais du nombre d’équivalents temps plein (ETP) en ESAT ? C’est une nuance importante, car cela permettrait une décongestion du secteur.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. La question de la réserve nationale a été soulevée lors de plusieurs auditions. Nous n’avons pas obtenu de réponse à ce stade, mais nous y reviendrons dans le cadre de notre rapport.

M. John Houldsworth, directeur-adjoint de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de Seine-Saint-Denis. Le cas de la Seine-Saint-Denis est assez différent de ceux du Finistère et de la Nièvre, puisqu’il s’agit d’un très gros département, qui compte plus de 1,6 million d’habitants. La MDPH, qui est l’une des plus importantes de France, connaît près de 150 000 usagers, pour un budget de fonctionnement d’environ 8,2 millions d’euros.

Je suis arrivé à la MDPH fin 2012 ; je n’ai donc pas le même recul que mes collègues sur ses débuts et le soutien que la CNSA a pu lui apporter. Mais je dirais que la MDPH de la Seine-Saint-Denis vit dans une situation d’évolution permanente, voire de crise ou de changement permanent. L’actuel directeur est le quatrième depuis les débuts de la MDPH ; le turn-over est important. La maison a dû se créer à partir de peu de chose ; elle l’a fait avec un soutien très important du département. Ensuite, il a fallu « digérer » l’héritage de la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) et de la commission départementale de l’éducation spéciale (CDES), avec des retards importants qui ont exigé une forte mobilisation entre 2008 et 2011. Enfin, nous avons dû réorganiser la MDPH et nous adapter aux nouveaux enjeux liés aux systèmes d’information, notamment la numérisation des dossiers et de leur traitement, avec des impacts organisationnels et financiers considérables. Au terme de toutes ces évolutions, nous arrivons enfin à une phase plus sereine.

Nous souhaitons aujourd’hui travailler avec la CNSA sur les systèmes d’information. À l’origine, le choix a été fait de laisser chaque MDPH gérer son système d’information, ce qui a entraîné – en tout cas en Seine-Saint-Denis – une forte dépendance à l’égard des choix techniques du département, puisque nous ne disposons pas des compétences nécessaires en interne. De même, les éditeurs ont défini des paramétrages d’outils spécifiques pour chaque MDPH, si bien que nous avons du mal à faire entendre une même voix auprès d’eux.

Il convient également de veiller aux évolutions réglementaires.

Je rejoins Mme Duchemin en ce qui concerne les remontées de données. C’est une tâche qui nous prend beaucoup de temps ; en outre, nous n’avons pas toujours de retours. Certes, la CNSA élabore une synthèse très intéressante des rapports d’activité que nous lui transmettons chaque année. Mais nous transmettons aussi des informations à l’ARS, à la CAF, à tous les services déconcentrés de l’État et au conseil général. L’automatisation des remontées de données est donc un chantier très important pour nous.

L’autre aspect qui nous préoccupe particulièrement en Seine-Saint-Denis est la coordination des différents acteurs – MDPH, conseil général, ARS, direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), DIRECCTE, Éducation nationale – qui n’ont pas toujours la même implication dans toutes les problématiques. Des outils nationaux ou des instructions nationales permettraient d’améliorer cette coordination. Je pense par exemple aux commissions départementales qui viennent d’être mises en place pour traiter des situations critiques. C’est le type d’outil dont nous avons besoin aujourd’hui.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Nous reviendrons sur le traitement des situations critiques, qui semble constituer une difficulté un peu partout. Je rappelle que M. Denis Piveteau, qui fut le premier directeur de la CNSA et que nous auditionnerons, a été chargé d’un rapport sur cette question.

Vous parlez de difficultés de coordination. Vos collègues n’ont pas évoqué ce problème ; peut-être celui-ci est-il lié à la taille du département.

M. John Houldsworth. Je pense plutôt à un problème d’adéquation entre la taille du département, l’importance des enjeux en matière sociale, médicale et médico-sociale sur son territoire, et les moyens de plus en plus limités de nos partenaires, pour qui la question du handicap, notamment l’insertion professionnelle des personnes handicapées, n’est pas nécessairement une priorité. L’histoire propre de la MDPH de Seine-Saint-Denis joue sans doute aussi un rôle. La mission de coordination est de la responsabilité de la MDPH ; mais l’évolution permanente que j’évoquais il y a un instant ne nous a pas toujours permis de remplir ce rôle. Depuis un an, nous nous investissons à nouveau dans cette mission. Nous avons encore les moyens de fonctionner, mais nous savons que sur le plan des financements, les beaux jours sont derrière nous. Nous devons donc travailler ensemble pour avoir les moyens d’agir et traiter de cas qui se révèlent de plus en plus complexes. Nous combinons de plus en plus en Seine-Saint-Denis des problématiques très lourdes en matière de santé, de handicap et d’insertion professionnelle et sociale, et nous avons besoin d’un regard pluridisciplinaire pour y répondre.

Autre point important, le suivi et l’effectivité des orientations. Nous manquons encore d’outils dans ce domaine, notamment pour évaluer les besoins – et même l’offre – sur un territoire. Là aussi, la coordination des acteurs et le soutien de la CNSA peuvent être déterminants. Aujourd’hui, nous prenons la décision d’orientation que nous jugeons bonne par rapport au besoin de compensation de l’usager ; mais nous ne savons pas si elle va être mise en œuvre, ni de quelle manière. Nous dépendons des informations de nos partenaires. C’est pourquoi la coordination avec ces derniers, mais aussi avec nos usagers, est fondamentale.

S’agissant de l’animation du réseau des MDPH par la CNSA, je rejoins ce qui a été dit par mes collègues et par différents rapports. Les relations sont d’excellente qualité et le soutien juridique et technique apporté par la CNSA est précieux pour les MDPH. Certes, il n’y a pas de tutelle ; mais la légitimité de la CNSA est telle que ses avis juridiques et ses recommandations sont globalement suivis. C’est un réel atout. Les réunions régulières organisées à tous les niveaux – directeurs de MDPH, coordinateurs d’équipes pluridisciplinaires, référents insertion professionnelle ou enfance – sont précieuses pour nous.

Bref, le seul point sur lequel nous appelons à la vigilance est la question des remontées de données et des systèmes d’information, sur laquelle la CNSA s’implique davantage aujourd’hui. Sans doute allons-nous reparler du SipaPH et de ses difficultés de mise en œuvre, à la fois pour les départements et pour la CNSA.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Ce n’est pas la première fois que nous entendons qu’il est difficile de suivre les orientations des usagers. Avez-vous l’intention d’utiliser l’outil ViaTrajectoire dans vos départements respectifs ? Avez-vous réfléchi à la manière d’améliorer votre connaissance de l’orientation des usagers ? Il existe des initiatives, mais elles sont dispersées sur le territoire. C’est une difficulté que nous travaillons à surmonter. L’association des directeurs de MDPH conduit-elle une réflexion sur ViaTrajectoire ou sur le partage d’outils communs ?

M. Yannick Deimat. La CNSA suit ce projet : l’observatoire des décisions fait partie des quatre projets qu’elle devait conduire. Le groupe chargé de le suivre, dont je fais partie, s’est déjà réuni à plusieurs reprises ; des rapports ont déjà été rédigés sur la problématique du suivi des décisions.

En fait, le projet a démarré tard. C’est bien, car cela a suscité le démarrage d’initiatives locales, à défaut de prise de conscience nationale, et cela s’est fait avec le pragmatisme du terrain. Une dizaine d’outils de suivi des décisions ont donc été développés au niveau local. Ils sont plus ou moins performants, et leurs choix d’utilisation comme leurs origines – outils d’associations, logiciels libres, outils du type ViaTrajectoire, outils couplés avec les logiciels du conseil général – sont variés. La vraie difficulté de ces outils rappelle celle qui a affecté le SipaPH. En résumé, l’échec du SipaPH est un échec de départ. Le problème n’est pas de remonter des données, mais de savoir ce qu’est une donnée et qui la renseigne. Avons-nous la possibilité, dans le modèle économique actuel, de transformer une partie de nos équipes professionnelles en statisticiens pour remonter des données qui ne sont pas exploitées fonctionnellement au quotidien dans l’intérêt de la tâche qui nous est confiée ? C’est un peu comme si l’on avait commencé par construire des autoroutes avant les routes secondaires. On a voulu automatiser les traitements, définir des dictionnaires de données. Il fallait bien sûr le faire ; mais on a voulu démarrer par là. Or, sur le terrain, on ne peut se permettre de passer vingt minutes à renseigner un dossier quand il faut déjà trois mois pour l’instruire. Il y a donc eu beaucoup d’échecs à tous les niveaux. Pour ma part, j’associe l’échec du SipaPH à celui du dossier médical personnel (DMP). Dès le début des MDPH, nous avons vécu deux échecs – qui n’ont il est vrai pas fait l’objet de publicité. Je pense au formulaire dématérialisé, « outil miracle » que la direction générale de la modernisation de l’État (DGME) de Bercy pensait finaliser en six mois. Or il lui manquait deux éléments très importants : la certitude de la personne qui fait la demande, qui aurait pu être acquise par l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire (NIR) et d’un outil informatique performant, et le certificat médical et les données médicales.

La loi nous interdit aujourd’hui de demander d’autres informations, suite au dépôt d’une demande, que celles que nous pourrions obtenir auprès de l’un de nos partenaires. Or, la MDPH étant un GIP, nous avons de multiples partenaires. Dans une interprétation stricte des textes, nous ne serions ainsi autorisés à demander à ceux qui viennent nous voir que leur nom et leur numéro de sécurité sociale ! On parle de pénurie de médecins, mais si nous pouvions accéder directement aux données des usagers par voie informatique au lieu de les renvoyer chez le médecin pour obtenir un certificat ou subir un examen complémentaire qu’ils ont déjà subi deux mois auparavant, cela nous aiderait grandement.

Cette difficulté a conduit au développement de solutions de contournement sur le terrain. Nous nous heurterons à la même difficulté avec l’outil de suivi des décisions. Il s’agit de trouver un outil qui puisse être « vendu » aux établissements. Dans le Finistère, nous avons mis en place cet outil de suivi des décisions en établissement, DELOS, avec une gestion mutualisée. Cela nous a permis d’accéder à des informations très intéressantes. Nous nous sommes ainsi aperçus qu’une personne qui faisait cinq demandes était comptabilisée cinq fois sur les listes d’attente, ou que sur certains types de demandes, plus de 20 % des personnes ayant un droit ne le mettaient jamais en œuvre, car elles faisaient la demande par précaution.

L’essentiel du travail a néanmoins été l’accompagnement sur le terrain. Pour la petite histoire, l’ARS a décidé de mettre en place un outil régional et nous a demandé de tout reprendre à zéro au moment même où nous commencions à mettre le nôtre en œuvre ! D’où la question que nous avons posée : pourquoi les ARS n’utiliseraient-elles pas toutes le même outil ? Nous en revenons à la problématique du système d’information : si nous voulons un système d’information unique, réfléchissons quand même à deux grands projets récents, censés tout régler, qui ont tourné à la catastrophe financière alors qu’ils étaient suivis par les meilleurs spécialistes de l’État. On nous demande de mettre tant de choses dans nos outils informatiques, de les partager avec tant de monde et d’y stocker tant de données que je ne crois pas qu’il soit possible de gérer tout cela à l’échelle nationale. En revanche, il faut que les outils fonctionnent et communiquent entre eux, à travers les web services. La CNSA a pris le projet en main ; il est près d’aboutir, notamment avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). S’il arrive à son terme, nous devrions pouvoir disposer demain de tous les éléments liés à la connaissance de la situation d’une personne faisant une demande dans une MDPH à travers l’outil de la CAF. Cela bénéficiera à l’usager et nous permettra d’améliorer notre réactivité sur les ruptures de droits, ainsi que la lutte contre la fraude, sachant qu’aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens techniques de savoir si une personne qui fait une demande de PCH a formulé la même demande dans un autre département.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Vous avez bien identifié les difficultés récurrentes qui sont au cœur de nos travaux et qui sont aussi l’un des sujets de prédilection de mon collègue Pierre Morange, coprésident de la MECSS.

Estimez-vous que la CNSA a aujourd’hui pris conscience de ces difficultés, qui ont fortement pénalisé le fonctionnement des MDPH, et qu’elle est prête à se donner les moyens d’en sortir ? Il est nécessaire de dépasser cette période.

Mme Marie-Pierre Duchemin. Il me semble que la CNSA a conscience que nous avons besoin d’outils de pilotage. Nous avons vraiment du mal à savoir où nous en sommes et s’il y a besoin, par exemple, de créer des places ; nous avons besoin de savoir comment se passe la gestion des files d’attente. À ce jour, nous ne disposons pas de ces indicateurs. L’ARS n’a pas de pouvoir sur les établissements, la MDPH et le conseil général non plus. Certes, nous travaillons en coordination avec eux, mais il y a encore des orientations par défaut, ce que nous ne souhaitons pas. Nous avons donc besoin de tous ces éléments.

Je pense que la CNSA a pris conscience de nos besoins, des problèmes d’interopérabilité ou de redondance de données. Compte tenu des investissements qui ont déjà été faits sur les logiciels, il faut se demander qui prendrait en charge une éventuelle évolution des systèmes d’information. La MDPH de la Nièvre est en difficulté financière. Nous avons d’ailleurs sollicité la CNSA car ces difficultés sont liées à la convention d’origine qui fait que la traçabilité des dotations de l’État n’est pas toujours assurée. Nous attendons par exemple une compensation, qui n’est pas forcément versée, pour des personnes aujourd’hui décédées.

Une réflexion doit donc être conduite sur l’aspect financier. J’ai déjà évoqué l’éventualité d’une aide financière consacrée à la modernisation des MDPH. Nous en aurions besoin pour la dématérialisation : songez que depuis 1975, aucun dossier n’a été trié, si bien que nous sommes obligés de constituer une cellule de pré-tri avant toute dématérialisation. Nous avons demandé à être aidés car nous n’avons pas les moyens financiers nécessaires. Comment ferons-nous si une évolution des systèmes d’information vient s’y ajouter ?

M. John Houldsworth. Nous avons bien conscience que la CNSA s’investit dans ces questions de systèmes d’information et de suivi des places. Néanmoins, il ne faut pas « surinvestir » dans les dispositifs nationaux. Il existe en effet un prérequis : la coordination des acteurs sur le terrain. Aujourd’hui, nous sommes dépendants, pour le suivi des décisions, de ce que les établissements nous disent. Nous devons donc nous coordonner au niveau local. Il appartient à la MDPH de convaincre les différents acteurs de la nécessité du partage des informations. En effet, il subsiste parfois des formes de défiance entre acteurs : certains suspectent les établissements de ne pas vouloir donner toutes les informations pour pouvoir continuer à choisir leurs usagers ; les établissements ne veulent pas perdre la faculté d’adapter leur accueil à leurs projets et à la population qu’ils accueillent déjà ; en-dehors de la validation des budgets et des arrêtés de prix de journée, le pouvoir de contrôle ou de tutelle sur les établissements n’est pas toujours très clair.

Ce prérequis est important pour pouvoir développer un outil informatique commun. En Seine-Saint-Denis, nous avons développé notre propre outil de suivi au niveau de la MDPH – que nous partageons le plus possible. Mais il est défaillant, au sens où il dépend des informations de nos partenaires, que nous savons incomplètes.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Concernant les établissements, j’avoue avoir été surprise lors des auditions. Je pensais que la MDPH était informée des entrées et des sorties dans les établissements ; je croyais, peut-être à tort, que la MDPH assurait un suivi des parcours des personnes accueillies en établissement. Il semble – nous l’avions d’ailleurs entendu lors de précédentes auditions – que cela ne soit pas si simple et que nous ne disposons pas de toute l’information. La question du suivi des orientations et des parcours est donc posée ; c’est je crois l’un des points sur lesquels travaille M. Denis Piveteau. Quoi qu’il en soit, j’imagine que le problème est encore plus délicat pour les personnes qui ne sont pas en établissement. Vos remarques nous sont donc précieuses et nous allons les intégrer dans notre rapport.

S’agissant de la coordination, le propre des MDPH est de couvrir des territoires différents : leurs connaissances sont donc différentes. Vous l’avez souligné, certaines maisons départementales fonctionnent mieux que d’autres. La CNSA aura le souci, sinon de généraliser, du moins de faire connaître les bonnes pratiques. Il faut, vous l’avez également souligné, conforter le pilotage de la CNSA afin qu’elle accompagne de manière plus précise les différentes situations dans les territoires.

M. John Houldsworth. Comme le souligne le rapport de M. Luc Broussy consacré à l’adaptation de la société française au vieillissement de sa population, il est important que soit assurée au plan national, entre les administrations centrales, les différentes tutelles et la CNSA, la même coordination qu’entre les différentes administrations et la CNSA au plan local, afin d’éviter des différences préjudiciables, notamment dans l’utilisation des différents outils qui ne sont pas nécessairement connus de toutes les ARS.

M. Yannick Deimat. Les nouveaux modes d’accompagnement – fluidité des parcours, polyaccueil – risquent de complexifier le fonctionnement des MDPH : il ne sera pas simple d’ajouter des acteurs dans le suivi de la décision.

Je participe également, au titre de l’Association des directeurs de MDPH, à la mission IMPACT (innover et moderniser les processus MDPH pour l’accès à la compensation sur les territoires), pilotée par le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) sur la modernisation des process des MDPH : il est nécessaire d’inscrire dans un texte et de mettre en œuvre des prérequis nationaux, seule manière de conforter les initiatives locales. La question est celle de l’identification du demandeur, puisque la mission travaille sur la simplification des démarches, du formulaire et des processus, ainsi que sur le dossier médical partagé. J’ai le sentiment que l’histoire bégaye dramatiquement. Il est désormais possible de déclarer ses revenus et de payer ses impôts sur internet – tous les contrôles sont informatisés –, mais on doit, pour une demande de passeport, remplir et imprimer le document avant de l’apporter à un guichet où il sera ressaisi. Je préfère la pratique des impôts à celle des passeports.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Quelles évolutions législatives seraient nécessaires pour les dix ans de la CNSA, l’année prochaine ?

Les dispositions contenues dans l’avant-projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, qui visent à renforcer le rôle de la CNSA et à améliorer la connaissance des coûts et des besoins, vous satisfont-elles entièrement ? D’autres dispositions sont-elles à prévoir ? Des améliorations sont-elles possibles, alors que chacun prend conscience des difficultés rencontrées par les MDPH ? Avez-vous des propositions à faire en la matière ?

M. Yannick Deimat. L’Association des directeurs de MDPH propose onze mesures de simplification qui vous seront envoyées. Il faut éviter de placer toute son énergie sur certaines décisions et d’y consacrer tout l’apport technique : ne modernisons pas de l’inutile en omettant de nous appuyer sur l’intelligence collective.

S’agissant du rôle de la CNSA, tout dépendra de l’avenir des départements. La tutelle restera-t-elle aux départements, si rien ne change, ou passera-t-elle aux GIP ou aux ARS ?

L’avant-projet de loi vise à conforter le rôle de la CNSA sur le terrain en la dotant d’un droit d’investigation auquel nous sommes favorables car il nous permettra de nous défendre de toute accusation de laxisme en matière de PCH. De nombreux directeurs sont partis après avoir subi des pressions terribles pour les obliger à revoir les plans de compensation à la baisse. Certains avaient réclamé à cor et à cri des missions d’inspection de la CNSA, dont l’expertise paraît plus légitime que celle de l’IGAS. De telles inspections seraient saines pour la démocratie car elles assureraient le respect, par tous, des règles édictées.

Les articles de l’avant-projet de loi qui traitent du système d’information m’inquiètent, surtout celui qui prévoit un système informatique « commun », si cela aboutit à la création d’un logiciel national. Pour avoir participé au comité stratégique sur le système d’information, je sais que cette perspective fait très peur aux éditeurs, qui commencent à freiner le développement de projets sur le point d’aboutir et dont nous avons besoin pour améliorer notre fonctionnement, comme ceux d’échanges avec la CAF et avec le SipaPH. La dématérialisation des procédures suscite d’énormes attentes. J’ai lancé un projet de dématérialisation de l’évaluation : il faut trouver des outils permettant de concilier le travail sur le terrain avec les remontées épidémiologiques et le suivi statistique. Je doute de l’efficacité d’un logiciel au plan national tout en en percevant déjà tous les défauts par rapport aux investissements que nous avons engagés.

Mme Marie-Pierre Duchemin. Je suis favorable, comme M. Deimat, au fait d’accorder à la CNSA un pouvoir d’investigation sur la méthodologie de travail – j’ai apprécié le travail que j’ai mené avec la Caisse dans le cadre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

J’attends de la CNSA qu’elle précise la réglementation en vue de rendre complètement équitable la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La Caisse devrait enfin comprendre ce qu’est l’aide sociale départementale, que personne ne connaît. S’agissant de la PCH en établissement, la personne, si elle est éligible, bénéficie en établissement d’un forfait de 10 %, ce qui constitue une atteinte à l’équité de traitement des bases de la compensation prévue dans la loi de 2005. Les 10 % qui sont alloués à la personne handicapée lorsqu’elle est en établissement n’étant soumis à aucun contrôle d’effectivité de l’aide, c’est comme de l’argent de poche qui lui est versé au titre de l’aide sociale. Comment parler d’égalité de traitement entre les personnes à domicile et en établissement, alors que la loi de 2005 prévoit la vérification du plan personnalisé de compensation des personnes à domicile sans leur accorder ce supplément de revenu que constituent les 10 % ? La compensation doit répondre à un besoin. La CNSA est consciente de l’existence de cette inégalité, que les conseils généraux ne souhaitaient pas couvrir, puisqu’elle est contraire à l’esprit de la loi. Le Conseil d’État n’a cependant rien trouvé à redire à une situation qui entretient la confusion entre aide sociale et PCH. J’attends donc de la CNSA qu’elle pose son regard affûté sur l’application sur le terrain de la PCH afin que l’ensemble des personnes qui la reçoivent soient traitées de manière égale.

La mise en œuvre du dédommagement pour perte de salaire des aidants familiaux peut également donner lieu à une inégalité de traitement. Il faut savoir que la PCH permet aux aidants familiaux d’être dédommagés d’une perte éventuelle de salaire, mais la « solvabilisation » est différente si l’aidant familial ne travaillait pas auparavant et n’a donc subi aucune perte de salaire.

Je reviens sur la PCH en établissement : contrairement à la loi de 2005, on a considéré qu’elle prenait la suite de l’ancienne allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) qui donnait lieu au versement des 10 % que j’ai évoqués plus haut. La CNSA doit faire porter son expertise sur ce dysfonctionnement par rapport à la loi de 2005.

M. Yannick Deimat. La loi de 2005 a été adoptée avant la crise, si bien qu’elle a fini par créer, y compris pour nos évaluateurs, des situations stigmatisantes. La prise en compte de la notion de ressources pour l’évaluation de la PCH devient difficile à vivre pour nos collègues sur le terrain. Certaines personnes handicapées refusent la PCH parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer le solde ; d’autres perdent définitivement le bénéfice de la prestation une fois que l’aide apportée par le fonds de compensation leur est supprimée, parce qu’elles ne peuvent pas payer le reste à charge. Par ailleurs, que convient-il de prendre en compte dans le calcul des ressources ? Presque rien ! Si bien que nous n’avons quasiment jamais pu appliquer la clause de réduction de la PCH.

Je tiens également à évoquer le développement des assurances pour les accidents de la vie courante. Lorsqu’un tiers est identifié, il nous est possible de récupérer l’argent, mais il n’en est pas de même lorsque nous avons affaire à des personnes qui s’assurent à titre personnel. Certaines formulations de contrat sont assimilables à de l’escroquerie, notamment quand l’assurance n’intervient qu’en complément de la PCH alors qu’elle était supposée prendre en charge le handicap à 100 %. Lorsque la prise en charge par l’assurance est complète, la personne handicapée considère que sa double indemnisation est légitime puisque c’est elle qui a fait le choix de souscrire l’assurance. Or il faut savoir que des volumes importants sont en jeu. Le conseil général du Finistère a perdu un contentieux, la justice ayant confirmé le versement de la PCH en sus de l’indemnisation par l’assurance, au motif que les dispositions relatives au versement de la PCH prévoient la soustraction de la majoration pour aide constante d’une tierce personne (MTP) mais non celle de l’indemnité versée par l’assurance.

La loi de 2005 a, par ailleurs, organisé une forme d’inégalité territoriale en autorisant les conseils généraux à déplafonner les transports. Il conviendrait également de revenir sur les aides techniques. De nombreux rapports ont souligné le coût exorbitant, en France, des prothèses auditives ou des fauteuils roulants électriques : le prix de certains fauteuils pourrait rivaliser avec celui d’une grosse berline ! Il conviendrait de prévoir des contrôles pour ajuster le tarif de vente, comme cela se pratique dans d’autres secteurs de la santé.

Mme Marie-Pierre Duchemin. Certaines prothèses auditives ayant atteint 2 500 à 3 000 euros chacune, la MDPH de la Nièvre s’est organisée avec la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et la mutualité sociale agricole (MSA) afin d’en faire baisser le coût : elles se sont mises d’accord pour demander deux devis et réétudier le recours au fonds de compensation, en faisant peser la menace de ne plus financer des prothèses aussi chères. La coordination avec les acteurs concernés a permis de faire baisser le prix de chaque prothèse à 1 800, voire 1 500 euros. C’est la proximité et la complémentarité des financements dans le cadre d’une confrontation des méthodes de travail – je pense aux maisons de l’autonomie ou aux maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer (MAIA) – qui nous ont permis d’atteindre ce résultat. Notre prochain effort doit porter sur les fauteuils roulants. Nous avons également observé une petite amélioration sur le coût de l’aménagement du logement, notamment des salles de bain. Il ne s’agit pas de financer l’achat de robinets en or !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Le projet de loi d’habilitation pour l’adoption par ordonnance des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées sera bientôt examiné en séance publique. J’ai été très intéressée par l’initiative de la Nièvre en matière de coordination avec les chambres consulaires : les artisans et la MDPH ont signé une charte « Handibat », le label « Handibat » faisant l’objet d’une recommandation nationale. Je rencontrerai de nouveau prochainement les acteurs de cette charte : il faut accompagner de telles initiatives qui permettent aux financeurs de s’y retrouver. Toutes les parties prenantes doivent étudier ensemble la question du coût de l’accessibilité.

Pouvez-vous nous faire part d’autres initiatives prises dans d’autres départements ? Il s’agit de repérer les bonnes pratiques en vue de les valoriser.

M. John Houldsworth. La Seine-Saint-Denis en est encore à l’identification des besoins. Nous nous sommes en effet rendu compte que, certains mois, plus de la moitié des PCH accordées ne sont pas mises en œuvre. Nous avons lancé une étude avec nos collègues du conseil général chargés de la mise en œuvre du droit : si nous n’avons pas encore les résultats de l’étude, nous savons d’ores et déjà que, dans de nombreux cas, le reste à charge est trop important, malgré l’aide du fonds de compensation et un montant élevé de PCH.

Nous avons également décidé de travailler sur le contrôle d’effectivité a posteriori des PCH, y compris des PCH « aménagement » et « aides techniques ». Ce travail regroupe les évaluateurs de la MDPH et le financeur qu’est le conseil général. Un tel contrôle n’est pas effectué à l’heure actuelle, où nous nous consacrons uniquement à l’évaluation du besoin et à l’ouverture des droits.

M. Yannick Deimat. La MDPH du Finistère a pris l’initiative, en matière de contrôle, de travailler avec la DIRECCTE sur les ententes illicites, en cas notamment de devis manifestement surestimés. Nous avons également travaillé sur la fraude aux cartes de stationnement avec la gendarmerie qui a mené une opération « coup de poing » : 25 % des personnes contrôlées étaient en infraction de stationnement et 5 % utilisaient la carte d’un tiers ou une carte falsifiée.

Les trois ergothérapeutes de la MDPH du Finistère ont travaillé sur la détermination du surcoût handicap des factures. Demander plusieurs devis contraint à calculer ce surcoût sur les différents devis qui ne sont pas nécessairement construits de la même façon, ce qui allonge les délais, alors que la PCH « aménagement de logement » est déjà la plus longue à instruire. Nos ergothérapeutes rencontrent deux fois par an les ergothérapeutes libéraux du département pour les conseiller en matière d’aménagement. Ils organisent par ailleurs des réunions « Handibat » avec les professionnels du secteur. La MDPH a également accordé un budget à ses ergothérapeutes afin qu’ils organisent à moindre coût un espace de simulation comprenant une salle de bain et une cuisine témoins. Des organismes de vente nous prêtent gratuitement du matériel pour effectuer des essais. Cette initiative entre dans le cadre de l’accompagnement de l’évolution du handicap. Un simulateur de logement – des cloisons mobiles pouvant recevoir des appareils – permet de sensibiliser les artisans et de tester la mobilité. Je crois cette initiative utile, même s’il nous est difficile de chiffrer les gains obtenus grâce à cette politique de sensibilisation.

M. John Houldsworth. J’ignore si la Seine-Saint-Denis aurait les moyens de se lancer dans de telles initiatives.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. La population de votre département étant plus jeune, la demande en la matière est peut-être moindre…

M. John Houldsworth. S’il y a moins de personnes âgées en Seine-Saint-Denis que dans d’autres départements, le département doit toutefois compter avec son héritage ouvrier, c'est-à-dire une population vieillissante handicapée ou victime de maladies professionnelles.

Mme Marie-Pierre Duchemin. J’aimerais aborder la question de la convergence des dispositifs de prise en charge des personnes âgées et handicapées, inscrite dans la loi de 2005 et que le CNSA a évoquée notamment dans son rapport de 2008. Pourrait-elle être inscrite dans le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, dont l’examen a été retardé ?

Je ne parle pas de la convergence des prestations, la PCH étant plus favorable – dans la Nièvre,  200 personnes de plus de 60 ans et de moins de 75 ans bénéficient de la PCH. Mais, alors que les trois maisons de l’autonomie (MDA) font actuellement l’objet d’une évaluation, la convergence devrait permettre des mutualisations – je pense notamment aux cartes d’invalidité pour chacune des deux populations – tout en favorisant des projets communs. Dans les rapports nationaux, le handicap apparaît comme un malheur qui surgit et la vieillesse comme inéluctable. Il conviendrait de changer ce regard pour, comme le prévoit l’avant-projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, permettre aux MDA, dans le cadre de la convergence, de devenir des lieux d’innovation sociale en matière notamment d’aménagement de logements, les deux publics partageant souvent des besoins identiques en la matière. Une telle démarche valoriserait les savoir-faire. Nous assistons aujourd’hui à une évolution des pratiques des professionnels qui gravitent autour des MDPH, des conseils généraux, voire de l’Éducation nationale qui, il est vrai, est un acteur plus éloigné.

M. Yannick Deimat. L’Association des directeurs de MDPH a déjà transmis sa vision de la convergence aux partenaires du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Il existe trois types de convergence : la convergence des prestations, qui est financièrement impossible, la convergence de la gouvernance et la convergence des outils, des méthodes et des procédures, notamment en matière d’information, d’évaluation et de suivi de la personne. Cet objectif, inscrit dans la loi, est cohérent.

Il ne m’appartient pas de prendre position sur la place que la société a donnée aux personnes handicapées dans le cadre de la loi de 2005 : la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui a été ratifiée par la France et par l’Union européenne, a ouvert des droits particuliers aux personnes handicapées. Un de ces droits est leur participation effective à la gouvernance des structures et des commissions qui les gèrent.

L’article 61 de l’avant-projet de loi évoque les MDA : leur évaluation sera très intéressante. De nombreux enseignements doivent être tirés du fonctionnement des MDPH : il ne faudrait pas que les MDA favorisent la diversité dans le traitement des dossiers, voire dans leur propre constitution, comme cela a pu être le cas des MDPH, dont certaines étaient virtuelles. Il conviendra de préciser le rôle respectif des MDPH et des MDA si les deux sont conservées, afin d’éviter les difficultés qui ont présidé à la constitution des MDPH.

Il faudra également clarifier et simplifier les financements. Il a été longtemps demandé que la CNSA devienne le seul et unique interlocuteur des MDPH concernant leurs dotations. Il faut savoir que la gestion des agents est aujourd’hui très compliquée. Dans le Finistère, nous n’avons plus que deux interlocuteurs au lieu de trois : c’est un progrès. Qu’en est-il des décrets d’application de la loi du 28 juillet 2011 tendant à améliorer le fonctionnement des MDPH et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, dite « loi Blanc » ? Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) qui étaient prévus pourraient être un moyen de contractualiser les relations et de clarifier les enjeux. L’affectation de crédits de la CNSA au financement des projets a été évoquée. Or, alors que nous en sommes au deuxième renouvellement de notre outil informatique, on ne nous en a financé qu’un. De plus, les attentes fonctionnelles n’ont pas cessé d’augmenter : c’est ainsi que la réforme de l’AAH nous a contraints à revoir tous les dossiers sans pour autant que nous ayons reçu de moyens supplémentaires pour traiter le courrier engendré par cette réforme. Les procédures sont parfois très complexes, comme le droit d’option avec ou sans réversibilité… On nous demande de traiter les dossiers au plus fin dans le cadre de procédures complexifiées et avec des attentes de plus en plus fortes en termes de remontée de données et de respect des échéances. Il serait certainement préférable d’entretenir des relations financières directes avec la CNSA et de les inscrire dans des CPOM. Il faut simplifier les outils.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Ces points font-ils partie des onze mesures de simplification que vous avez évoquées ?

M. Yannick Deimat. Non.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. En matière de convergence, le CNCPH travaille avec le Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) et la Conférence nationale de santé (CNS), en vue de valoriser les pratiques communes, de dédramatiser les enjeux et de calmer les inquiétudes suscitées par l’avant-projet de loi. Il convient de répondre aux interrogations qui subsistent. La CNSA doit jouer tout son rôle en la matière.

Quant à la participation des personnes handicapées, elle ne peut que faire l’objet d’un consensus – la CNSA y travaille.

Nous souhaitons également répondre à vos inquiétudes sur le système d’information commun.

Madame, messieurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix heures quarante.