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Commission des affaires sociales

Commission des affaires sociales

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Mardi 3 juin 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 18

Présidence de Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure

– Auditions, ouvertes à la presse, sur « la mise en œuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) » (Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure) :

– Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales, membres du conseil de la CNSA :

– Mme Martine Déchamp représentant la Confédération française démocratique du travail (CFDT)

– M. Patrice Malleron représentant la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

– Mme Sylviane Spique représentant la Confédération générale du travail (CGT)

– M. Jean-Marc Bilquez représentant la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO)

– M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et M. Christian Espagno, directeur associé

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Mardi 3 juin 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure)

La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède d’abord à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Martine Déchamp représentant la Confédération française démocratique du travail (CFDT), M. Patrice Malleron représentant la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Mme Sylviane Spique représentant la Confédération générale du travail (CGT) et M. Jean-Marc Bilquez représentant la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO).

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Nous voudrions dresser un bilan du fonctionnement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) après dix années d’existence. Estimez-vous que les objectifs fixés par la loi ont été atteints ? La gestion de cet organisme vous paraît-elle adaptée ? Comment voyez-vous l’articulation de la CNSA avec les autres acteurs du secteur médico-social ? Certaines faiblesses ont maintes fois été relevées comme l’inadaptation des systèmes d’information ou les limites de la compensation individuelle du handicap ou de la perte d’autonomie, liées à des grilles d’évaluation en partie obsolètes. En tant que membres du conseil de la CNSA, nous aimerions avoir votre réaction sur ces différentes questions.

Mme Sylviane Spique représentant la Confédération générale du travail (CGT). Je ne siège que depuis deux ans au conseil de la CNSA et je n’ai donc pas assez de recul pour dresser un véritable bilan. On peut dire néanmoins que la CNSA a répondu aux objectifs assignés par le législateur.

Le conseil a un double rôle : c’est un organe de débat et de réflexion sur la compensation du handicap et de la dépendance, qui regroupe l’ensemble des parties prenantes, mais c’est aussi un organe de gouvernance qui fixe des orientations budgétaires et répartit des crédits.

On peut toutefois déplorer que plus de 80 % du budget de la CNSA soit défini dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale.

La CNSA ne fait que répartir les crédits mais elle n’a pas de mission de pilotage. Elle ne peut pas assurer de suivi de l’utilisation des crédits. Les acteurs-clés restent les agences régionales de santé (ARS) et, en deuxième niveau, les conseils généraux, qui mènent des politiques très disparates sur ces sujets.

La CNSA a déploré durant plusieurs années une sous-consommation des crédits dont elle ne pouvait se rendre compte que plusieurs mois après leur utilisation. Cette réalité est paradoxale étant donné l’importance des réserves financières au niveau national.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Ce paradoxe est bien connu et a été analysé. La situation s’est améliorée ces dernières années.

Mme Sylviane Spique. C’est vrai que la situation est meilleure, mais attendre huit années avant de constater que les réserves financières étaient surdimensionnées est tout de même problématique compte tenu de l’importance des besoins non satisfaits. De plus, ce sont des décisions ministérielles qui viennent affecter les réserves et non la CNSA qui n’a aucun pouvoir décisionnaire en la matière.

Concernant les systèmes d’information, les défauts dénoncés notamment par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s’expliquent aisément par la dispersion des acteurs qui ont chacun mené leur propre politique d’équipement informatique. Là encore, la CNSA n’est pas un véritable pilote, elle subit ce dysfonctionnement et ne peut guère accélérer les réformes d’harmonisation nécessaires.

Les prestations et aides accordées sont trop disparates sur le territoire. Les tarifs de l’allocation personnalisée pour l’autonomie (APA) pour une heure d’aide à domicile vont de 16,9 à 21,5 euros. Les tarifs les plus bas ne couvrent pas le prix de revient de l’intervention d’un professionnel. Les personnes âgées doivent soit compléter ce montant sur leurs ressources personnelles soit accepter une réduction de la durée des interventions pour l’aide à domicile. On en arrive à des restrictions difficilement gérables, comme limiter à une demi-heure l’intervention d’un professionnel pour coucher une personne âgée. Bien souvent, il est impossible de respecter cet horaire en raison du degré de dépendance. De même, pour un même état de santé, les aides attribuées sont très variables selon les départements.

La CGT aurait préféré la création d’un cinquième risque de la sécurité sociale pour garantir à tous une véritable égalité quel que soit le territoire de résidence. Les grilles d’appréciation de la dépendance ou du handicap sont totalement obsolètes, notamment pour les personnes âgées handicapées. Ces grilles laissent trop de place aux appréciations subjectives et conduisent à de véritables disparités de traitement pour des états de dépendance comparables.

Mme Martine Déchamp représentant la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Le conseil de la CNSA n’est pas un conseil d’administration, car ses pouvoirs de gestion sont très limités.

La CNSA a été créée par la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées comme un opérateur national pour assurer l’égalité de traitement de tous les handicaps. Elle devait jouer un rôle d’animation, apporter une capacité d’expertise et répartir les financements destinés aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées. La CNSA a atteint ses objectifs et assure une véritable médiation entre les acteurs nationaux et les politiques locales. La gouvernance actuelle est positive. On peut cependant regretter le poids trop lourd de l’État au sein du conseil.

La CFDT ne demande plus la création d’un cinquième risque mais voudrait améliorer le pilotage de la CNSA.

Le financement soulève des difficultés très complexes. On constate une sous-consommation des crédits pour les établissements de personnes âgées alors que, pour les établissements pour personnes handicapées, la situation est inversée et on déplore une surconsommation. L’égalité de traitement est mal assurée du fait de la disparité des politiques menées par les conseils généraux.

La réforme territoriale à venir suscite de multiples interrogations car il est indispensable de garder une présence administrative de proximité pour les questions médico-sociales.

Concernant les systèmes d’information, il est urgent de les rendre plus performants et d’œuvrer à leur harmonisation. Il s’agit d’un travail colossal qui a débuté mais dont on ne ressentira les effets que progressivement tellement la tâche est immense. L’objectif recherché est de disposer d’informations fiables au niveau national pour mieux déterminer les besoins non pourvus. Il est difficile aujourd’hui d’apprécier s’il faut encore créer des places en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Nous estimons très positif que l’avant-projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement prévoit la création d’un portail unique recensant l’ensemble des équipements d’accueil et d’hébergement.

La grille AGGIR (autonomie gérontologie groupe iso-ressources) devrait être modifiée pour mieux appréhender le degré de dépendance, qui reste complexe à évaluer et qui doit tenir compte de l’environnement humain et matériel de la personne. Afin d’améliorer la prévention, les caisses de retraite cherchent à définir des critères permettant d’apprécier les pertes d’autonomie plus légères (GIR 5 et 6).

On peut déplorer que certains établissements restent sous-occupés car le reste à charge est trop important. On comprend mal l’importance des réserves, évaluées à près de 400 millions d’euros en 2013, alors que, dans le même temps, des projets de création de places d’hébergement se heurtent à des refus de la part de certaines ARS.

Pour conclure sur une note optimiste, il faut se féliciter de la décision du 15 avril dernier accordant 10 millions d’euros pour le financement de foyers logement dans l’attente de plus profonds changements qui seront votés dans le cadre du futur projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. S’agissant de la question des places en EHPAD, le vrai sujet est l’évaluation des besoins, car, comme vous l’avez souligné, certains établissements ne sont pas pleins. Certes, ceci s’explique par l’importance du reste à charge pour les familles, mais aussi par des besoins différents. M. Denis Piveteau mène une étude sur les situations critiques. Il convient de se référer à la notion de parcours, certaines personnes âgées n’ayant pas la nécessité d’être accueillies à temps complet dans des établissements.

La question de l’organisation des différentes structures sur un territoire et celle du cloisonnement entre le secteur sanitaire et médico-social se posent.

Avez-vous connaissance d’expérimentations qui pourraient être des solutions ?

M. Jean-Marc Bilquez, représentant la Confédération générale du travail (CGT). Je partage l’ensemble des réflexions de mes collègues, notamment sur la grille AGGIR. Je souhaiterais insister sur le renforcement de la gouvernance de la CNSA qui me semble essentiel.

Tout d’abord, je veux insister sur le bilan positif du fonctionnement de la CNSA. Le tandem composé du directeur Denis Piveteau et du président Alain Cordier a remarquablement bien fonctionné et la gouvernance de cette époque était très intéressante, même s’il est encore trop tôt pour juger la nouvelle présidence de Mme Paulette Guinchard.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Elle avait d’ailleurs participé aux travaux préparatoires lors de la création de la CNSA.

M. Jean-Marc Bilquez. La gouvernance de la CNSA est marquée par une certaine ambiguïté. En effet, le conseil n’est pas un conseil d’administration et ne dispose pas des mêmes pouvoirs que ceux des organismes de la sécurité sociale comme la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) ou la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). J’en veux pour preuve trois exemples.

En premier lieu, le nombre de voix dont dispose l’État au sein du conseil est prépondérant : 37 voix, sans compter celles des trois personnalités qualifiées, désignées par l’État, sur 83 voix. Je plaide donc pour que l’État ne participe plus à ce conseil. La tutelle est puissante et un commissaire du gouvernement y siégeant suffirait.

En deuxième lieu, le conseil n’a pas de rôle budgétaire et n’est pas associé à la présentation des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, la CNSA a continué à fonctionner malgré la vacance du poste du président Alain Cordier pendant de nombreux mois avant la nomination de M. Francis Idrac.

Il faut donner plus de poids à ce conseil.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Je vous invite à prendre connaissance des nombreux rapports sur ce sujet. Si la CNSA a pu fonctionner, c’est que la vacance n’a pas duré trop longtemps.

M. Jean-Marc Bilquez. Le conseil de la CNSA est faible en raison de sa composition et de la prépondérance des voix accordées à l’État. Un vote mettant en minorité l’État secourait la tutelle. Ce cas de figure est déjà arrivé par deux fois, au prix d’alliances politiques et de rassemblements très larges.

Quant au rôle du CNSA, la création des ARS a induit un filtre entre les départements et la CNSA, ce qui l’empêche d’approcher le terrain.

La prochaine réforme territoriale, avec l’évolution des compétences des conseils généraux, qui pourrait avoir pour conséquence que des missions soient remplies par des structures différentes selon les départements, risque de susciter des difficultés et des différences de traitements selon les territoires, notamment dans le financement de l’APA ou de la prestation de compensation du handicap (PCH).

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Je tiens à souligner que les débats sur cette question n’ont pas débuté. La question de la proximité est importante.

S’agissant du rôle du conseil et de ses moyens, que pensez-vous de la création d’un Haut Conseil de l’âge ?

M. Jean-Marc Bilquez. Je ne participe pas à la gestion de ce dossier, il m’est donc difficile de me prononcer. Je tiens seulement à souligner que si ce Haut Conseil est créé, le conseil ne devra pas être dessaisi de son rôle de réflexion.

S’agissant des places en EHPAD, la difficulté provient plus de leur coût et de leur accès que d’un manque de places, même si dans certaines parties du territoire des tensions existent. Je note que ce sujet ne figure pas dans l’avant-projet de loi.

M. Patrice Malleron représentant la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Je partage les réflexions sur la gouvernance et la question des votes. La CNSA est une institution nécessaire qui permet une écoute mutuelle et des débats intéressants. S’agissant des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), il convient d’intégrer tous types de handicaps, d’où cette notion de maison de l’autonomie. L’évaluation des besoins de la personne dépendante, que ce soit celle de la personne handicapée ou âgée, devrait être réalisée par une instance autonome et non par le département qui est le financeur. Je milite pour un renforcement des ARS et pour l’existence d’un budget unique du financeur, quelle que soit la nature du besoin à prendre en charge.

Les MDPH ont besoin de se restructurer. Les places doivent être attribuées selon les besoins des personnes et non selon la disponibilité d’accueil des établissements.

Enfin, l’accueil en EHPAD de la personne handicapée vieillissante n’est pas adapté.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Ce phénomène soulève en effet la question des moyens en personnel et de la formation des équipes à ce type de situation.

M. Patrice Malleron. Le premier point est la nécessité de développer la prévention. Ensuite, la professionnalisation de ces personnels est nécessaire, surtout dans le cas des personnes âgées maintenues à domicile. C’est pourquoi, il convient de reconnaître la formation dans les grilles de salaire.

Il existe une inégalité dans le reste à charge des EHPAD selon les territoires, c’est pourquoi il serait nécessaire d’instituer un guichet unique au niveau du financement.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Le texte qui sera présenté marquera un changement d’approche et permettra de poser la question du handicap. Sur la question du reste à charge, je vous invite à relire le rapport de Mme Paulette Guinchard, réalisé en 2007 dans le cadre de la MECSS, qui reste d’actualité.

Mme Martine Déchamp. Le dispositif de prise en charge est plus éclaté et moins structuré pour les personnes âgées que pour les personnes handicapées. Mme Michèle Delaunay a grandement contribué à la dénomination du Conseil de l’âge et nous trouvons cette appellation constructive. La CFDT est favorable au renforcement du rôle de la CNSA par la loi, notamment par une meilleure coordination des financeurs. La contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA) est due par les retraités depuis le 1er avril 2013 : il y a donc une certaine impatience de leur part de savoir comment cette taxe va financer la dépendance et il serait souhaitable que la loi soit votée avant la fin de l’année.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. La question de la convergence entre ces deux secteurs se pose aujourd’hui. La notion de parcours des personnes tout au long de leur vie permettra ce rapprochement.

M. Patrice Malleron. Le nom de « conseil de l’âge » me pose problème car il est bien ici question de perte d’autonomie. Or celle-ci n’est pas toujours proportionnelle à l’âge. Il faut être très attentif à la sémantique.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Ce nom a pour objectif de rappeler que les différentes étapes de la vie, et donc l’âge, nécessitent une prise en charge particulière. Cependant, la sémantique est effectivement importante. Je tenais aussi à rappeler que le projet de loi relatif à la santé publique contiendra des mesures relatives à la politique de prévention en faveur des personnes âgées car la logique préventive est aussi essentielle pour éviter le développement de certaines fragilités chez les personnes âgées.

M. Jean-Marc Bilquez. Je confirme l’impatience des personnes retraitées de connaître l’utilisation qui sera faite de la CASA.

Mme Sylviane Spique. Notre organisation était opposée à la mise en place de cette contribution : on ne peut accepter qu’une contribution soit créée pour financer une action qui n’existe pas encore.

La MECSS procède ensuite à l’audition, ouverte à la presse, de M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), et M. Christian Espagno, directeur associé.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure.  Nous portons une attention particulière aux moyens dont dispose la CNSA pour remplir les missions qui lui ont été assignées lors de sa création. Plusieurs rapports ont montré l’importance de son rôle, tout en soulignant certains points sur lesquels des améliorations apparaissent nécessaires, notamment pour ce qui concerne l’égalité de traitement entre les territoires.

Dix années se sont écoulées depuis la création de la CNSA. C’est peu, mais c’est suffisant pour dresser un premier bilan. Quels vous semblent être les principaux apports de la Caisse ?

Pouvez-vous nous présenter les travaux que vous conduisez en collaboration avec la CNSA afin de promouvoir la performance dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS), et plus particulièrement la construction d’un tableau de bord partagé (TBP) qui doit permettre d’établir des comparaisons entre établissements ?

Les directeurs de maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), que nous avons auditionnés le 22 mai, nous ont fait part du manque d’outils de pilotage et d’indicateurs, notamment concernant le suivi des places en établissement. Vos travaux peuvent-ils apporter des réponses à ces difficultés ?

Je vous laisse la parole afin de vous présenter et de répondre à ces premières questions.

M. Christian Espagno, directeur associé de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP). Chirurgien de formation, j’ai exercé pendant trente-cinq ans en neurochirurgie, d’abord en centre hospitalier universitaire, puis dans un établissement privé de la région toulousaine. J’ai ensuite été amené à diriger ce dernier pendant sept ans, ce qui m’a permis d’adopter le point de vue d’un responsable d’établissement. J’ai enfin intégré l’ANAP en octobre 2011.

M. Christian Anastasy, directeur général de l’ANAP. Je dirige l’ANAP depuis sa création, le 1er avril 2009. Auparavant, j’ai été directeur d’hôpital, d’abord dans le secteur public, puis dans le privé commercial et dans celui des établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC). Pendant cette longue période, j’ai observé, dirigé, réorganisé des établissements sanitaires et médico-sociaux. En matière sanitaire, j’ai travaillé aussi bien dans le champ de la médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) que dans celui de la psychiatrie. Avec un parcours aussi diversifié, j’ai naturellement été conduit à envisager de faire carrière à l’ANAP.

Au sujet de la CNSA, je me dois de rappeler que nous n’avons pas avec cette institution des relations égalitaires, puisque la Caisse occupe un siège à notre conseil d’administration. La gouvernance de l’ANAP est par ailleurs œcuménique : outre l’État, représenté par cinq directions d’administration centrale – la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et celle de la cohésion sociale (DGCS) ; la direction de la sécurité sociale ; la direction du budget ; le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales –, siègent également à ce conseil notre financeur principal, l’assurance maladie, ainsi que notre financeur secondaire, la CNSA – qui apporte 3 % de notre budget de 30 millions d’euros –, ainsi que l’ensemble des fédérations du secteur sanitaire et médico-social : la Fédération hospitalière de France (FHF), la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (FEHAP), la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD), l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC) et le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA).

Comme l’ensemble des administrateurs, la CNSA participe à la définition du programme de travail de l’Agence, établi chaque année. L’ANAP hiérarchise les commandes en fonction de ses compétences – ainsi, les problèmes de qualité seront plutôt renvoyés à la Haute Autorité de santé (HAS) ou à l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) – et de l’effet escompté sur les 3 000 établissements sanitaires et les 30 000 établissements et services médico-sociaux (ESMS).

Dès l’origine, la CNSA nous avait demandé de réfléchir aux moyens de mieux apprécier la performance des ESMS, qui occupent un champ très vaste. En effet, si, dans certains domaines, on mesure assez bien la lourdeur de la prise en charge – c’est le cas s’agissant des personnes âgées, grâce aux grilles AGGIR (autonomie gérontologie groupe iso-ressources) et PATHOS –, les indicateurs sont inexistants pour les personnes handicapées.

J’en viens aux travaux que l’Agence, conformément aux commandes de la CNSA, a réalisés pour ces établissements, et que l’on peut regrouper en quatre grands domaines.

Notre première préoccupation était de savoir de quoi nous parlions. Nous avons donc cherché à acquérir une meilleure connaissance du secteur médico-social, en réalisant un inventaire de ses 30 000 établissements. Le résultat est un guide coédité avec la CNSA – Le secteur médico-social, comprendre pour agir mieux –, qui est devenu un document de référence. Il n’est, en effet, pas évident, pour les fonctionnaires amenés à gérer les établissements de ce secteur, de s’y retrouver parmi les SAVS (services d’accompagnement à la vie sociale), les SAMSAH (services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés), les SSIAD (services de soins infirmiers à domicile) et autres SAD (services à domicile). Ce document est d’ailleurs le plus téléchargé parmi tous ceux que propose actuellement l’ANAP, avant nos recommandations en matière de chirurgie ambulatoire, ce qui prouve qu’il répond à un besoin.

Un deuxième volet de nos travaux a concerné les systèmes d’information. Vous avez cité le tableau de bord partagé : l’élaboration de cet outil, prévu pour être un moyen simple de diffuser des indicateurs, induisait, en effet, une réflexion sur les systèmes d’information dans le secteur médico-social et sur ce que les spécialistes appellent « l’urbanisation des systèmes d’information » : l’objectif était de faciliter la transmission d’indicateurs en tout point du territoire, leur diffusion homogène et leur comparaison.

Un des aspects principaux de la demande de la CNSA concernait les indicateurs à retenir pour comprendre comment fonctionne le secteur. Nous sommes partis de l’idée simple qu’il n’y a pas d’équité sans transparence. Comme je l’ai dit, on peut mesurer, grâce aux grilles existantes, le degré de prise en charge d’une personne âgée selon qu’elle relève du GIR 5 ou du GIR 1, mais il n’en est pas de même pour les personnes handicapées. En outre, nous ne connaissons pas la relation entre les personnes et la consommation de ressources qu’elles induisent. Nous avons donc cherché à construire un tableau de bord simple permettant d’introduire plus de transparence dans la consommation de ressources entre établissements de niveaux plus ou moins comparables, afin de parvenir progressivement à réguler les moyens en fonction de l’ampleur de la prise en charge.

Il nous a fallu du temps – deux ans – pour accomplir ce travail, parce que nous avons procédé par consensus d’experts. Des personnes choisies par les fédérations représentées à notre conseil d’administration, par la CNSA, par le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales se sont réunies dans un lieu assez convivial, où chacun pouvait s’exprimer, afin qu’un consensus se construise sur l’architecture globale du tableau de bord, puis sur des indicateurs.

En définitive, le tableau de bord comprend quatre axes fonctionnels – les prestations de soins, les ressources humaines et matérielles, les finances, les objectifs selon les structures, c’est-à-dire le projet de soins, de vie ou thérapeutique –, que permettent d’observer quarante-trois indicateurs.

Il a été décidé de ne pas réaliser ce tableau de bord à des fins de tarification, mais de dialogue de gestion. Un établissement sera d’autant plus enclin à échanger des informations avec d’autres établissements et avec sa tutelle qu’il sait que cette dernière ne va pas s’en servir pour lui opposer des mesures tarifaires coercitives. Le dialogue de gestion permet d’évaluer le type de population prise en charge, le projet de soins et l’utilisation des moyens disponibles.

L’élaboration du tableau a impliqué entre quatre-vingt et cent personnes. Nous avons travaillé avec trois agences régionales de santé et deux départements volontaires, avec des représentants de l’ANESM, de la DGCS, de la CNSA, de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et d’autres. Pour chaque axe fonctionnel, nous avons retenu des indicateurs de dialogue et des indicateurs d’analyse et de pilotage interne. Dans la première catégorie, pour ce qui concerne les prestations de soins, figurent, par exemple, le score moyen de dépendance GMP (GIR moyen pondéré) ou le taux de personnes en dérogation ou hors autorisation, et dans la deuxième, le profil des personnes accompagnées. S’agissant des ressources humaines, on citera la répartition des effectifs par fonction
– nombre d’aides-soignants dans chaque établissement, taux d’absentéisme. En matière de finances, on peut donner l’exemple de la répartition des recettes par groupe sur la section exploitation. Pour ce qui concerne les objectifs, l’indicateur d’analyse est l’échelle de maturité du système d’information.

Pour parvenir à structurer les systèmes d’information, il était nécessaire de proposer un projet fédérateur, un but qui inciterait tout le monde à transmettre des informations. Nous avons donc beaucoup insisté, notamment auprès de la DGCS, pour que le tableau de bord soit un instrument de dialogue de gestion et pas du tout un instrument de tarification.

Il pourrait néanmoins le devenir dans un second temps. Dans le secteur sanitaire, on a mis vingt ans à créer le programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI), et il a fallu encore vingt ans, le temps que chacun ait pris l’habitude d’utiliser ce système, pour fixer des tarifs liés à des groupes homogènes de malades, ce qui a donné naissance à la tarification à l’activité (T2A). Il en est de même dans le secteur médico-social : il faut d’abord une acclimatation. L’idée d’une adéquation entre les actes et les ressources doit d’abord être assimilée, et les professionnels concernés doivent s’habituer à se confronter les uns aux autres ; c’est seulement ensuite, sur la base d’indicateurs transparents et acceptés par la communauté, que l’on pourra en venir à la tarification.

Une fois élaboré, le tableau de bord a été testé in situ dans 500 établissements répartis sur cinq régions et dix-huit départements, avant d’être étendu à près de 800 établissements. Cela peut paraître peu au regard d’un total de 30 000 établissements, mais cela constituait un volume suffisant pour qu’une généralisation du système apparaisse pertinente.

Ce travail a été entamé à la fin de l’année 2009 ; le tableau de bord a été mis au point au cours des années 2010 et 2011, et son utilisation généralisée en 2012 et 2013. Aujourd’hui, nous en sommes à la dernière étape ; nous nous sommes engagés à transférer toutes les informations – trucs et astuces divers, bases de données, logiciels de traitement des données – à l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH). Certes, celle-ci n’a pas, a priori, vocation à prendre en charge un tel système, mais il n’est pas du ressort de l’ANAP de gérer une base de données volumineuse. Plutôt que de passer un marché avec une société de services informatiques, nous avons préféré nous adresser à une agence publique afin d’assurer la pérennité des données recueillies.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. L’usage du tableau de bord partagé devait être généralisé au cours de l’année 2014, mais il semble que l’ATIH rencontre des difficultés liées à sa charge de travail. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Christian Anastasy. Je ne dispose pas d’informations précises, mais je suppose que la gestion en routine d’un outil de cette nature nécessiterait des moyens supplémentaires.

L’ATIH emploie entre 120 et 130 personnes habituées à gérer des systèmes d’information complexes : il était donc naturel de se tourner vers elle, d’autant que les organismes susceptibles de s’occuper du TBP n’étaient guère légion. L’ANAP, je le répète, n’a pas les moyens de prendre en charge une base de données de cette ampleur. Quant à la CNSA, elle aurait dû créer une équipe spécialisée, ce qui paraissait compliqué. Notre choix était donc logique. Cela étant, il faut sans doute renforcer les moyens de l’ATIH, mais surtout en étendre le champ de compétences au secteur médico-social et non plus seulement hospitalier. Cette solution fait consensus, mais le décret qui doit modifier les compétences de l’Agence n’est toujours pas paru.

Cela n’empêche pas l’ANAP et l’ATIH de travailler de concert à une généralisation, dès 2015, du tableau de bord partagé à toutes les régions de France. Non seulement l’outil est suffisamment robuste, mais nous avons réussi à faire admettre qu’il n’est pas un instrument coercitif – seulement un outil de dialogue de gestion. La directrice générale de la cohésion sociale l’a d’ailleurs rappelé, et les fédérations partagent ce point de vue. Dès lors, il importe que le décret paraisse rapidement afin que l’ATIH ait toute légitimité pour gérer le tableau de bord partagé.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Les auditions précédentes ont montré que le défaut de connaissance du secteur médico-social et la faiblesse des systèmes d’information étaient des problèmes sur lesquels tout le monde se heurtait. À vous entendre, avant de pouvoir les résoudre, il était indispensable d’organiser un dialogue et de construire une culture commune afin de parvenir à un consensus et de surmonter les réticences. Désormais, les conditions semblent réunies pour mieux connaître ce secteur.

M. Christian Anastasy. On ne gagne pas de temps à vouloir aller trop vite. Prendre le temps de faire les choses est un des principes qui guident l’action de l’ANAP, d’autant que l’on ne peut pas imposer les choses en tordant le bras des acteurs. L’État cherche souvent à agir vite parce que les titulaires du pouvoir sont éphémères et souhaitent laisser leur empreinte. Mais une action publique exige du temps, non seulement pour être élaborée par les pouvoirs publics, mais aussi pour que les personnes concernées puissent se l’approprier. Le Conseil d’État a classé l’ANAP parmi les agences qui « exercent l’État autrement ». J’aime cette définition : nous accomplissons, en effet, une action publique au service de l’État, mais de façon différente, sans recourir au décret ou à l’injonction comminatoire. Nous sommes au contact des acteurs de terrain, que nous connaissons bien – tous les professionnels de l’ANAP ont exercé auparavant dans des établissements sanitaires ou médico-sociaux –, et nous essayons de bâtir avec eux un système efficace, respectueux des orientations définies par les pouvoirs publics, mais tenant compte également des réticences des personnes concernées. Dans un contexte marqué par le rejet des discours institutionnels, quelle que soit leur origine, et s’agissant d’un secteur aussi atomisé, une telle attitude me paraît indispensable pour mener des politiques publiques susceptibles de faire consensus.

Reste qu’une fois le tableau de bord élaboré, il faut l’alimenter, ce qui n’est pas toujours simple.

M. Christian Espagno. Cela demande, en effet, un certain temps, dans la mesure où le niveau de maturité des systèmes d’information du secteur est faible. Nous avons ainsi constaté que, dans plus des deux tiers des 800 établissements constituant l’échantillon, le tableau de bord devait être rempli à la main faute d’un système d’information adéquat. Un autre avantage de ce projet a donc été de faire prendre conscience à l’ensemble des structures médico-sociales de la nécessité de se doter d’un équipement informatique minimal, si possible harmonisé et communiquant, ainsi que de méthodes de gestion plus modernes.

M. Christian Anastasy. Nous avons choisi comme méthode d’aller à la rencontre des professionnels – par exemple, l’Association des amis et parents de personnes handicapées mentales (ADAPEI) de la Loire, à Saint-Étienne –, afin de connaître l’infrastructure réseau mise en place et les résultats obtenus. Ensuite, nous publions le retour d’expérience, en ligne et sous forme imprimée, afin de le mettre à la disposition des acteurs. De tels documents n’ont, bien sûr, pas force de loi, mais ils peuvent servir de référence pour d’autres structures moins avancées. Pour élaborer un système d’information, il est toujours plus facile de s’inspirer d’exemples existants que de partir de zéro. Comment l’ADAPEI de la Gironde ou l’Institut Le Val Mandé procèdent-ils ? Comment Korian a-t-il mis au point le dossier résident informatisé ? Comment les établissements Médica de Paris et d’Aix-en-Provence ont-ils élaboré un système d’information centralisé ? Les professionnels du secteur peuvent se référer à ces expériences et s’en inspirer, quitte à les adapter.

Le tableau de bord partagé donne un objectif à atteindre en matière de système d’information dans un secteur où de tels systèmes sont très peu développés. Une maison de retraite, on le sait, dispose d’un budget réduit. L’ordinateur qui y est utilisé peut être celui avec lequel la directrice de l’établissement tient la comptabilité de son mari artisan. Cela se passe ainsi dans la vraie vie. Quand il n’existe qu’un poste pour un établissement de quatre-vingts lits, la notion d’urbanisation des systèmes d’information apparaît bien exotique. Dans un tel contexte, on ne peut qu’être bien accueilli quand on propose une application dédiée, voire une aide pour s’équiper du matériel adéquat. D’autant que le tableau de bord est également partagé par les autres structures d’un même groupe : tous les établissements de l’ADAPEI, par exemple, bénéficieront du même outil, ce qui les habituera à se parangonner entre eux. Il en résultera une émulation entre les professionnels.

Dans ce processus, la CNSA a toujours joué un rôle facilitant. Ses représentants ont participé aux groupes de travail et ont fortement contribué à l’élaboration du tableau de bord. Ils ont, par ailleurs, soutenu la méthode consistant à faire intervenir les pairs. En outre, la caisse nous a apporté une autorité dont nous ne disposions pas nous-mêmes, d’autant que le secteur médico-social était plutôt réservé à l’égard de la notion de performance. Je l’ai souvent entendu lors des premiers congrès auxquels j’ai participé : « Nous ne faisons pas de performance, nous construisons des projets de vie au service des gens. » De telles réticences sont compréhensibles. Il nous a donc fallu convaincre nos interlocuteurs que la performance des systèmes d’information et la qualité des informations transmises étaient sources de transparence et donc d’équité.

On sait bien, en effet, que les dotations sont moins favorables qu’autrefois, notamment pour ce qui concerne les personnes handicapées. C’est d’autant plus vrai que la moitié des départements de France connaissent des difficultés avec leur budget de l’aide sociale. Dès lors, les établissements les plus récents ont tendance à être moins bien dotés. Mais avant de corriger les écarts, il faut les mesurer. Cela, les acteurs l’ont plutôt bien compris.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Comment avez-vous choisi les établissements participant à l’expérience ?

M. Christian Anastasy. Ils étaient volontaires.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Je suppose que lorsque les établissements concernés font partie d’un grand réseau comme l’UNAPEI, leur pratique n’est pas sans effets sur les autres établissements du réseau.

M. Christian Anastasy. En effet, d’autant que certaines fédérations avaient déjà avancé dans cette réflexion. Par exemple, la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles (FEGAPEI) disposait, dès 2009, d’un système d’information performant mais qui n’était utilisé que par une partie des adhérents. Voyant qu’une agence nationale, appuyée par la CNSA, les agences régionales de santé (ARS) et les conseils généraux, intervenait pour rendre ces instruments plus transparents et plus ouverts, les grandes fédérations ont très vite suivi le mouvement. C’est d’ailleurs leur intérêt de disposer d’une vision panoramique de l’activité des établissements de leur réseau. Elles ont contribué à la propagation et à la diffusion du tableau de bord ; à ma connaissance, aucune d’entre elles ne s’est opposée au processus.

Notre but est le même que celui de l’État : répartir les moyens de façon équitable. Mais pour cela, il faut se donner du temps, respecter les acteurs, leur culture, leur histoire. Tous ne s’entendent pas entre eux ; certains ont une sensibilité religieuse, d’autres sont laïcs. Dans ce climat très sensible, il était nécessaire d’établir un dialogue et d’associer les personnes concernées à nos travaux. En adoptant une attitude trop volontariste, en voulant faire trop vite, on se serait mis tout le monde à dos, si bien que le projet de tableau de bord, initialement proposé par M. Hervé Droal à la CNSA, aurait probablement connu l’échec. Notre rôle a donc été de créer du consensus. Or, si les notions de comparaison et de performance étaient difficilement acceptables, l’idée d’équité dans la répartition des enveloppes, elle, pouvait faire consensus.

Dans le secteur hospitalier, nous avons élaboré un outil, « Hospi-diag », désormais très utilisé, et qui répondait à des besoins similaires : c’est un instrument de dialogue de gestion partagé par l’ensemble des acteurs et destiné à améliorer la transparence et l’équité. De telles démarches paraissent indispensables si nous voulons que soit mieux appréciée l’action d’institutions qui consomment d’importantes ressources publiques.

Outre la recherche d’une meilleure connaissance du secteur et l’aide à la structuration des systèmes d’information, nos travaux ont concerné l’approche territoriale. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), mais aussi la politique actuelle, conduisent à apprécier les problématiques de prise en charge des personnes non pas par établissement, mais par parcours de soins. Un patient peut, en effet, fréquenter la médecine de ville puis alterner entre un établissement hospitalier et un établissement médico-social ; il est souvent amené à croiser différents producteurs de services de santé, de soins et d’hébergement.

C’est pourquoi notre réflexion s’est articulée autour de trois axes : les territoires, les établissements, les personnes. Comment mieux prendre en compte les parcours sur un territoire, en s’appuyant sur les schémas régionaux d’organisation des soins (SROS) ? Comment promouvoir la mutualisation entre établissements et l’externalisation des services, notamment par le biais du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) ? S’agissant des personnes, on parle toujours de leur parcours, mais on ne leur demande jamais leur avis. Il nous paraît donc nécessaire de travailler davantage avec les associations de patients. Par exemple, il ne sert à rien d’organiser une consultation avancée pluridisciplinaire dans une ville si les gens ont l’habitude de faire leur marché ailleurs.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Vos travaux vous permettent-ils d’identifier les modes de coopération qui fonctionnent le mieux, ceux qui pourraient être érigés en modèles ?

Par ailleurs, où en est le projet PAERPA (personnes âgées en risque de perte d’autonomie), expérimenté dans neuf ARS, et qui doit permettre d’évaluer les différents modes d’allocation des ressources nécessaires à la prise en charge des personnes ? Quel est votre rôle dans ce dispositif ?

M. Christian Espagno. Le tableau de bord partagé comprend un socle commun d’indicateurs valables pour tous les établissements, et des indicateurs plus spécifiques adaptés à tel ou tel type de structure. Nous espérons que sa diffusion – nous avons l’ambition d’étendre son usage à 4 000 nouveaux établissements avant la fin de l’année – permettra d’avoir, au moins sur une partie des territoires, une meilleure connaissance de la situation actuelle de l’offre.

Nous avons pu observer que l’organisation du secteur médico-social n’était pas toujours adaptée aux besoins des patients. Nous avons donc lancé des études et entrepris des expérimentations sur la transformation d’établissements psychiatriques en établissements médico-sociaux. Le retour d’expérience fera l’objet d’un document publié à la rentrée.

Nous réfléchissons, par ailleurs, aux moyens d’étendre l’expérimentation relative à la coopération entre établissements sanitaires, qui est actuellement menée dans trois régions, aux coopérations entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social. On sait, en effet, que l’un des problèmes auxquels sont confrontés les premiers est le manque de « débouchés », ou du moins de fluidité, dans le parcours des patients vers le secteur médico-social.

S’agissant du projet PAERPA, le diagnostic territorial est terminé dans cinq territoires, et il est en cours dans les quatre autres. Nous devrions établir avant la fin de l’année une cartographie plus exploitable des parcours des personnes âgées. Toutefois, compte tenu des moyens importants, tant humains que financiers, qu’exige l’établissement du diagnostic territorial au sein des ARS, la généralisation de l’expérience à un plus grand nombre de territoires pourrait poser problème.

M. Christian Anastasy. Le secteur médico-social est très atomisé : les 30 000 établissements sont assez bien répartis géographiquement, mais la plupart sont des petites structures. Dans ces conditions, il ne sera pas facile de développer les coopérations. Pour autant, les modèles vont s’imposer d’eux-mêmes, chacun des acteurs n’ayant pas les moyens de développer, à lui seul, un système d’information ou un mode de management pertinent. Certes, les établissements appartenant à un réseau peuvent bénéficier de l’aide de leur fédération pour gérer leurs effectifs, leurs achats et leur système d’information. Mais s’agissant des plus isolés, il est indispensable de les inciter à la coopération. Il faut commencer par le plus simple, c’est-à-dire par l’harmonisation des systèmes d’information – et à cet égard, le tableau de bord partagé joue un rôle fédérateur. Mais il faut aussi mettre en commun les achats et la gestion des ressources logistiques, financières ou humaines.

La gestion des ressources humaines n’est pas plus simple dans un petit établissement de quarante places que dans une structure qui en comprend dix fois plus. En revanche, il sera plus difficile pour une petite structure de recruter un directeur des ressources humaines expérimenté : non seulement les candidats potentiels auront des prétentions salariales trop élevées, mais un tel poste serait en deçà de leurs ambitions. Pour recruter des personnes compétentes, il faut leur proposer un défi à leur dimension. Et cela vaut également pour la construction d’un système d’information. C’est ainsi que nous parvenons progressivement à convaincre les établissements de s’intéresser à la coopération.

Pour les ARS et les conseils généraux, le CPOM représente d’ailleurs un moyen d’inciter les établissements à coopérer entre eux. On ne peut pas, en effet, envisager le recrutement d’un directeur des ressources humaines ou d’un directeur financier pour chaque structure de soixante lits.

Parmi les domaines dans lesquels la coopération fonctionne, on peut citer les transports. M. Christian Espagno a déjà eu l’occasion d’évoquer devant la MECSS la question des transports sanitaires, mais dans le secteur médico-social, d’importants efforts doivent également être consentis, notamment en direction des personnes handicapées. Il est compliqué, par exemple, de faire admettre dans un cabinet dentaire une personne déficiente psychique que la douleur peut rendre agressive ; elle risque de se voir mal accueillie par le personnel soignant. Dans de telles situations, et même en administrant des calmants, seuls les actes courts sont tolérables, ce qui induit des transports plus nombreux que pour les autres patients.

Les professionnels du secteur prennent toutefois conscience – et le tableau de bord partagé a joué un rôle dans cette évolution – de la nécessité, pour éviter de consommer trop de ressources, de développer la mutualisation et l’externalisation.

Notre quatrième et dernier sujet d’étude concerne l’immobilier. Lors de sa création, on a beaucoup reproché à l’ANAP d’être une agence exclusivement sanitaire, parce qu’elle résulte du regroupement de trois entités issues de ce secteur, le groupement pour la modernisation du système d’information hospitalier (GMSIH), la mission nationale d’appui à l’investissement hospitalier (MAINH) et la mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers (MEAH). En réalité, sur certains sujets comme l’immobilier, notre expertise a été très utile pour analyser la situation du secteur médico-social. L’immobilier est, en effet, le deuxième poste de dépenses dans les établissements concernés et un élément important du reste à charge pour les familles. Le problème se pose moins pour les maisons de retraite situées dans des régions où le prix du foncier est peu élevé, mais il est aigu dans des régions telles que l’Île-de-France. Des grands groupes comme Korian réfléchissent d’ailleurs aux moyens de réduire les coûts liés à l’immobilier, en construisant en bois ou en optimisant les surfaces.

Il était d’autant plus important de se saisir du problème que le patrimoine du secteur médico-social est vieillissant. Le secteur hospitalier a bénéficié de plans d’investissements
– Hôpital 2007, Hôpital 2012 –, qui lui ont permis de rénover une grande partie de son patrimoine, si bien que son parc immobilier, dans le public comme dans le privé, a une moyenne d’âge relativement faible, de l’ordre de quinze ans. Mais le secteur médico-social comprend de nombreuses structures associatives qui ont hérité de demeures familiales ou historiques, voire de châteaux, dont l’entretien est souvent réduit au minimum. La moyenne d’âge du patrimoine immobilier y est plus proche des quarante ans. Or ce patrimoine est important : il représente environ 15 millions de mètres carrés – contre 60 millions dans le secteur sanitaire. Il nous a donc paru nécessaire d’en réaliser l’inventaire, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Une fois de plus, nous réalisons ce travail en partenariat avec la CNSA.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Combien de temps vous faudra-t-il ?

M. Christian Anastasy. Nous avons commencé en 2013, et nous nous donnons pour objectif de finir en 2015.

Lorsque nous connaîtrons l’étendue du patrimoine, il nous faudra mesurer les besoins en investissements, savoir combien de mètres carrés supplémentaires il faut construire, et selon quelles normes. À cet égard, l’application de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi « Grenelle II », risque de condamner les établissements à une double peine : comme les bâtiments, faute d’isolation performante, consomment beaucoup d’énergie, non seulement ce poste représente une part importante de leur budget, mais ils risquent de devoir payer une taxe supplémentaire.

Dans d’autres pays, comme l’Italie ou l’Allemagne, de gros efforts sont consentis en ce domaine, en privilégiant notamment l’isolation extérieure. En France, on fait preuve d’inertie, au prétexte que l’isolation thermique coûte cher et ne permet pas, à court terme, de réaliser des économies importantes. En outre, les obligations en ce domaine ne s’appliqueront pas avant 2020.

Pour mesurer les besoins en investissements, nous avons créé un référentiel, l’Observatoire des surfaces et coûts immobiliers en établissements de santé (OSCIMES), qui permet à une fédération, une association, un gestionnaire privé ou une collectivité publique de se faire une meilleure idée, avant de lancer un appel d’offres, du coût de la construction dans le secteur médico-social.

Nous sommes également sur le point de finir nos travaux sur les coûts d’exploitation, notamment en matière de maintenance et de renouvellement. En effet, les conseils généraux étant tentés de réduire les frais de maintenance au maximum, les bâtiments, faute d’entretien, deviennent très dégradés. On a connu ce phénomène dans le secteur hospitalier : il a rendu nécessaires les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012. Nous tentons, avec la CNSA, de lancer l’alerte sur ce sujet, mais les sommes en jeu font peur à tout le monde. Il est pourtant nécessaire d’aborder le problème.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Si nous ne respectons pas les obligations prévues par la loi dite « Grenelle II », nous risquons de voir se répéter ce qui s’est passé en matière de mise en accessibilité des bâtiments aux personnes en situation de handicap : alors que, selon la loi du 11 février 2005, les aménagements nécessaires devaient être effectués avant 2015, la plupart des institutions concernées ne sont pas prêtes, si bien que nous allons devoir programmer de nouvelles échéances.

Je suis frappée par cette incapacité de notre pays à prendre en compte les exigences de maintenance, d’entretien et d’adaptation aux évolutions. Il en résulte un patrimoine dégradé au point que certains établissements sont menacés de fermeture. Le sujet mériterait presque qu’un rapport lui soit exclusivement consacré, d’autant qu’il a des conséquences sur le reste à charge pour les familles. À cet égard, le rapport d’information remis par Mme Paulette Guinchard est, sept ans après, toujours d’actualité. Le travail que vous menez avec le concours de la CNSA sera donc fort utile. Faute de prendre le problème à bras-le-corps, nous risquons de connaître des lendemains difficiles.

M. Christian Espagno. Un volet de nos travaux consacré à l’immobilier consiste à évaluer comment les tarifs d’hébergement pourraient mieux traduire les coûts d’investissements et de maintenance. À l’heure actuelle, la relation entre les deux n’est pas toujours évidente.

M. Christian Anastasy. Vous m’avez interrogé sur nos relations avec l’ANESM. Le directeur de cette agence est membre de notre conseil scientifique, si bien que nos deux institutions ont des échanges réguliers. En revanche, nous n’effectuons pas de travaux avec le conseil scientifique de la CNSA, mais nous ne sommes pas hostiles, bien au contraire, à l’idée d’organiser des réunions communes et de mutualiser les réflexions des deux instances.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, présidente et rapporteure. Je vous remercie, messieurs, de votre contribution à nos travaux. Vous avez même ouvert de nouvelles pistes qui mériteraient des auditions supplémentaires. J’ai le sentiment, à vous entendre, que les choses avancent : le secteur est mieux connu et l’information plus transparente. Je suis d’accord avec vous, il est essentiel que chacun s’approprie les nouvelles façons de travailler. À cet égard, vous avez choisi la bonne méthode en privilégiant le dialogue.

Pour autant, il reste des progrès à accomplir dans la connaissance du système. La transparence est le maître mot : c’est la condition de l’équité.

La séance est levée à douze heures quarante.