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Mission d’information sur les immigrés âgés

Jeudi 31 janvier 2013

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 3

Présidence de M. Denis Jacquat,

Auditions, ouvertes à la presse, de

– Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé)

– M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), et de M. Michel Aubouin, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) au ministère de l’intérieur 11

– M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), chef du service des politiques sociales et médico-sociales au ministère des affaires sociales et de la santé 21

– Présences en réunion

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

La mission d’information entend Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé).

M. le président Denis Jacquat. Mme Naïma Charaï préside le conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), placée sous la tutelle du ministère chargé de la ville, assisté par le secrétariat général du Comité interministériel des villes. L’agence met en œuvre les politiques définies par l’État dans le domaine de la politique de la ville, de la prévention de la délinquance et de la prévention des discriminations. Elle agit au plus près du terrain, grâce à ses délégués, aux préfets et à son réseau territorial, en soutenant et en mobilisant les collectivités territoriales, les associations et les entreprises. Parmi ses champs d’action figurent l’éducation, l’emploi et le développement économique, l’habitat et le cadre de vie, la santé, l’accès aux soins et à la culture.

Les immigrés âgés sont concernés alternativement ou simultanément par la politique d’intégration, de cohésion sociale, et par la politique de la ville, quand ils résident dans les quartiers qui en relèvent. Les liens entre politique de la ville et politique d’intégration sont anciens, puisque l’ACSé est l’héritière du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), lui-même issu du Fonds d’action sociale (FAS) pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leur famille, créé en 1958.

Avant d’être nommée à ses fonctions actuelles, Mme Charaï a été administratrice suppléante de l’ACSé au titre de l’Association des régions de France. Son engagement associatif est ancien.

Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé). Je vous remercie de votre invitation. Je suis heureuse de participer à cette mission d’information dont le sujet me tient particulièrement à cœur, compte tenu de mon parcours associatif et militant.

Même si, du fait de la création, en 2007, du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, les actions que nous menions en faveur des vieux migrants ont en partie disparu de notre champ d’action, nous poursuivons cependant certaines initiatives en leur faveur.

Avant le début de l’immigration familiale, en 1974, les immigrés étaient considérés comme une main-d’œuvre jeune, isolée, sans ascendants ni conjoints, et destinée à retourner dans son pays d’origine. Ce n’est que dans le courant des années quatre-vingt-dix que certains historiens, chercheurs et associations, appuyés par le FASILD, se sont penchés sur la mémoire et la transmission intergénérationnelle, et qu’ils ont commencé à rendre compte des conditions de vie des vieux migrants dans les foyers de travailleurs. Le constat est sévère. Après des années de travail harassant, les vieux migrants meurent seuls, en silence, dans l’indifférence générale que la société dite « d’accueil » réserve aux personnes âgées, a fortiori quand elles sont immigrées.

En 1999, le dernier recensement général de la population par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dénombrait 537 000 étrangers de plus de soixante ans, dont 100 716 vivant seuls, le plus souvent chez eux. Ces 57 478 femmes et 43 238 hommes viennent en majorité d’un État membre de l’Union européenne. Si l’on y ajoute les étrangers ayant acquis la nationalité française, on compte 1 037 000 immigrés de plus de soixante ans, dont 510 000 hommes et 527 000 femmes. Algériens, Marocains et Tunisiens représentent près de 30 % de la population immigrée de plus de soixante ans résidant en France et 86 % de la population étrangère âgée vivant dans un foyer de travailleurs immigrés. En somme, les vieux migrants ne sont pas uniquement des hommes, ils ne vivent pas tous dans un foyer et ne sont pas majoritairement maghrébins.

Leur espérance de vie est inférieure de dix ans à celle du reste de la population. Même si cette inégalité ne leur est pas spécifique, au sens où elle touche plus généralement les populations précaires, force est d’observer que les immigrés âgés représentent une part importante des catégories les moins favorisées.

À l’interrogation persistante qui sous-tend le débat sur la prise en charge des immigrés vieillissants – faut-il les diriger vers les structures de droit commun destinées à tous les résidents ou concevoir pour eux des instances spécifiques ? –, l’ACSé répond en affirmant la nécessité de les intégrer au sein des structures relevant du droit commun des personnes âgées, et d’adapter les services mis à leur disposition, notamment en matière d’aide à domicile.

Cependant, compte tenu de la faiblesse de cette prise en charge dans le cadre des institutions de droit commun, et lorsqu’il s’agit d’un travail en milieu ouvert – permanences sociales, lieux de rencontre, soutien aux réseaux dits « communautaires » –, l’ACSé n’exclut pas du champ de ses interventions l’élaboration d’une offre dédiée, en raison de la spécificité de l’accompagnement et de la prise en charge des immigrés âgés. Nous privilégions même cet axe d’intervention, compte tenu des difficultés que rencontrent les immigrés vieillissants pour accéder à leurs droits : droit à la santé, à un logement digne, à la retraite et aux allocations complémentaires des ressources.

On peut sérier les obstacles ou les retards spécifiques à l’accès aux droits. Les uns relèvent des restrictions législatives qui conditionnent la prise en charge à l’appartenance à la citoyenneté française. D’autres relèvent des pratiques administratives différenciées que mettent en œuvre les institutions publiques et privées confrontées à des publics perçus à tort ou à raison comme étrangers. D’autres sont imputables à un manque de ressources des intéressés, qu’il provienne d’un problème linguistique, d’une méconnaissance de la réglementation ou de certaines représentations. Plus largement, l’ACSé évite la segmentation entre les publics concernés au profit de la définition d’axes stratégiques privilégiant les différentes thématiques : logement, formation, accès aux droits, à l’action sociale et à la culture.

Il faut affiner la connaissance de la réalité comme des besoins des populations immigrées vieillissantes et isolées, notamment dans leur composante féminine. Si l’on dispose de certaines informations à ce sujet, on pèche aussi par ignorance, faute de pouvoir recenser les immigrés, en particuliers isolés et vivant en habitat diffus. Des études ou diagnostics précédemment cofinancés par le FASILD, notamment à l’échelon régional ou local, restent toutefois de précieux outils. Leurs méthodes innovantes ont souligné la féminisation du vieillissement des immigrés et défini des stratégies territoriales adaptées. Il convient de développer ces études – recherches, actions, diagnostics – qui contribuent à une prise de conscience de l’ensemble des partenaires impliqués, même si, comme le remarque le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2002, elles demeurent plus orientées vers la réflexion que vers une action inscrite dans une véritable politique.

Mieux connaître les migrants âgés permettrait de prendre en compte certains traumatismes liés à l’exil : culpabilité d’avoir quitté le pays et la famille, honte de ne pas pouvoir revenir dans le pays d’origine quand on n’a pas accompli la mission sociale pour laquelle on l’avait quitté, impression de non-utilité.

Le déficit d’accès aux droits dont souffrent les immigrés âgés s’explique par trois causes. Certaines difficultés relèvent directement des textes de loi qui régissent le statut et les conditions de circulation des étrangers en France, et créent des effets pénalisants pour les migrants âgés. D’autres tiennent aux modalités d’application de la loi, au guichet, particulièrement en ce qui concerne les allocations de ressources, prestations contributives et non contributives. L’arbitraire prévaut dans l’interprétation des critères ouvrant droit au bénéfice d’une allocation, notamment quand ceux-ci ne font pas l’objet d’une définition réglementaire. Les dernières difficultés tiennent à la complexité du système des différentes prestations. Le manque d’information concerne non seulement des immigrés vieillissants, dont certains sont illettrés, mais également des agents des administrations chargés de gérer ces prestations.

Régularité du séjour et effectivité de la présence sur le territoire sont les deux premières conditions de l’accès aux droits sociaux des étrangers en France. La règle s’applique aussi aux pensions de retraite, aux compléments à la part contributive, c’est-à-dire aux majorations et allocations supplémentaires qui forment le minimum vieillesse et l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA). Tous sont soumis à des conditions d’âge, de ressources et de résidence en France. Cependant, dans la plupart des cas, les critères d’appréciation de la résidence restent factuels, sans décret d’application, donc difficiles à apprécier par les services gestionnaires.

La question des ressources est centrale pour la population immigrée, notamment isolée, dont une partie de la famille continue de résider au pays. Beaucoup de retraités s’installent dans un va-et-vient entre le pays d’accueil et le pays d’origine : s’ils ont une femme et des enfants au pays, ils doivent revenir en France pour conserver leur part de prestations complémentaires.

L’ACSé assume un rôle de vigie qui correspond à sa mission de lutte contre les discriminations. Elle développe aussi un dispositif de sensibilisation et de formation pour aider les acteurs de l’intégration à prendre en compte la situation économique, sociale, juridique et culturelle des immigrés vieillissants. Il concerne notamment les professionnels des services médico-sociaux et gérontologiques, les agents des caisses régionales et départementales de retraite et de l’assurance maladie, les personnels des services d’aide à domicile. Dans ce domaine, les services des conseils généraux sont nos interlocuteurs privilégiés. Nous avons créé un observatoire de l’accès au droit des immigrés vieillissants, ainsi que des programmes destinés à former des acteurs médico-sociaux à la spécificité du travail avec ce public. Nous avons aussi réalisé des guides pratiques à l’accueil des immigrés vieillissants pour les personnels et gestionnaires d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de foyers de travailleurs migrants (FTM) et de résidences sociales.

Des modalités d’intervention plus spécifiques sont mises en place pour favoriser l’accès aux soins et à la sécurité sociale. Bien que l’accès des immigrés vieillissants à la sécurité sociale soit aussi difficile qu’aux autres droits sociaux, la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU), en facilitant l’affiliation, a changé la donne. Il faut poursuivre cette dynamique, tout en veillant à la bonne application des dispositifs destinés à ce public fragilisé.

Au vieillissement précoce commun à toutes les populations précaires, s’ajoutent la souffrance du déracinement et une maladie fréquente chez les personnes âgées : la démence sénile. L’état de connaissance de la prise en charge des troubles et maladies psychiques des immigrés vieillissants étant très insuffisante, on doit se fixer pour principe d’améliorer la prise en charge de la souffrance psychique, notamment en l’absence de famille. Au vieillissement prématuré s’ajoute l’apparition plus précoce de la dépendance, phénomène appelé à s’amplifier. Dès à présent, il convient de favoriser la prise en charge en EHPAD d’immigrés vieillissants ne pouvant plus rester isolés. Nous devons également poursuivre notre partenariat avec les agences régionales de santé (ARS) en matière de prévention et de prise en charge de la dépendance.

Nous soutenons également le droit à un logement digne et le maintien à domicile, qui relève de la compétence du ministère de l’intérieur sur la politique d’intégration, en lien avec la politique de la ville. Comme le souligne l’IGAS, dans le résumé des conclusions de sa mission, « pour des raisons économiques […], mais aussi culturelles, les immigrés vieillissants sont peu présents dans les institutions pour personnes âgées. Ils restent ancrés dans leurs lieux de vie traditionnels : le foyer, l’hôtel, le meublé […] On sait pourtant l’importance d’un logement décent pour permettre l’accès des fonctions de soutien à domicile […] Si on veut mettre en œuvre les dispositifs de maintien à domicile, l’adaptation du logement des immigrés isolés est une nécessité. À ce titre, tout ce qui concourt à l’amélioration de leur habitat doit être tenté ou poursuivi : il faut donc donner une nouvelle impulsion à la réalisation du plan quinquennal, poursuivre l’éradication de l’habitat indigne, prendre appui sur le programme expérimental “pensions de famille” ».

Le maintien à domicile peut être favorisé par l’adaptation du bâti des FTM et par le développement, particulièrement dans les FTM et les résidences sociales, des interventions de tous les services de droit commun. Il faut aussi s’assurer que les allers-retours entre la France et le pays d’origine se déroulent dans de bonnes conditions, et apporter des solutions durables de logement aux immigrés âgés et isolés, qui vivent en hôtel meublé, voire dans l’habitat diffus insalubre. À titre expérimental, on pourrait implanter sur un même site une résidence sociale qui logerait des immigrés vieillissants et un établissement d’hébergement de petite dimension pour personnes âgées dépendantes, qui recevrait en priorité les hôtes de la résidence ayant perdu leur autonomie.

Jusqu’à présent, en matière d’amélioration et d’adaptation des conditions de logement des immigrés vieillissants, la mobilisation institutionnelle a essentiellement porté sur les FTM, mais l’ACSé doit contribuer à développer un programme d’intervention pour un égal accès à la diversité des formules de location ou de propriété.

Pour justifier les difficultés de prise en charge des migrants par les structures et services gérontologiques, on invoque souvent les spécificités culturelles et cultuelles, partant du principe que les immigrés vieillissants sont très attachés à leurs racines grâce auxquelles ils ressentent encore une appartenance au pays d’origine. Au-delà de ce postulat, il faut souligner le caractère toujours singulier des parcours individuels. Les lieux de vie – FTM, hôtel ou meublé –, qui constituent pour les acteurs de la gérontologie des habitats inhabituels et difficiles à appréhender, s’expliquent par la nature du projet migratoire qui, par définition, devait être transitoire et non pas inscrit dans la durée.

Dans cette perspective, on peut agir sur deux aspects.

Le premier concerne la réhabilitation et l’adaptation du bâti. Il permettrait de faciliter la vie des personnes âgées dans des structures aussi spécifiques que les FTM. Des aménagements techniques – ascenseurs ou rampes d’accès – peuvent améliorer l’accessibilité aux lieux. On peut aussi adapter les espaces et équipements collectifs, équiper les sanitaires privatifs, aménager spécifiquement les chambres en les dotant non seulement d’alarmes, mais d’un mobilier confortable, pourvu de dossiers, d’accoudoirs, etc.

Le second aspect concerne la gestion adaptée et l’accompagnement des résidents. Outre la gestion classique d’un habitat collectif, le logeur doit assumer tant une fonction de veille pour repérer les situations nécessitant des interventions spécifiques qu’une fonction d’accompagnement. Cette dernière suppose de recourir aux aides et dispositifs existants tels que le maintien à domicile, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), les services de soins infirmiers à domicile, mais également la mise à disposition ou l’organisation d’activités ou d’animations sociales et culturelles. Celles-ci aident les personnes vieillissantes à ne pas se couper de leur environnement externe. Les actions menées à l’extérieur des structures sont à privilégier.

Hormis les investissements lourds et les opérations de réhabilitation du bâti, l’ACSé peut soutenir toute action permettant aux immigrés vieillissants de vivre dans un logement décent, sans limiter ses interventions aux seuls FTM. Elle accompagne la poursuite du plan de traitement des FTM pour favoriser leur évolution en résidences sociales, en veillant tout particulièrement aux adaptations réservées à ce public. Elle agit en direction des bailleurs privés et publics ainsi qu’auprès des collectivités territoriales pour qu’ils inscrivent la question du vieillissement des migrants parmi leurs priorités et y apportent leur contribution. Elle soutient divers organismes tels que Pour loger, l’Association des femmes africaines du Val-d’Oise, l’Espace Solidarité Habitat de la Fondation Abbé Pierre, les agences immobilières à vocation sociale et la Fédération des compagnons bâtisseurs.

Le maintien à domicile, offre un bon exemple des paramètres à prendre en compte pour élaborer une réponse adaptée aux contraintes financières, aux besoins et aux attentes des vieux migrants (aide-ménagère, soins, portage des repas). Nos actions en la matière, sur un champ partagé avec le ministère de l’intérieur, se sont heurtées jusqu’ici à trois obstacles principaux. Le premier tient à la rémunération de la prestation. En deuxième lieu, les services traditionnels de maintien à domicile (comme la prestation d’aide-ménagère) supposent que la personne occupe un véritable logement et non un lieu d’hébergement collectif comme le foyer. Le troisième obstacle tient au déficit de formation des personnels des services d’aide à domicile. Comme l’IGAS, l’ACSé recommande de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et d’adapter à leurs besoins les modalités d’intervention des services d’aide à domicile.

L’amélioration de l’accès à la retraite, aux prestations et plus généralement au droit est une compétence partagée entre la politique de la ville et le ministère de l’intérieur, chargé de la politique d’intégration. Outre les difficultés liées au statut d’étranger, l’ouverture des droits à la retraite se heurte à de nombreux obstacles dont les premiers sont relatifs à l’état civil des personnes et à la reconstitution des carrières. Les variations de retranscription des noms et les changements de patronymes compliquent singulièrement la constitution des dossiers. En outre, la reconstitution de carrière nécessite des documents concernant des périodes de travail souvent très morcelées sur l’ensemble du territoire, que l’employeur n’a pas toujours déclarées.

En 2002, l’IGAS disait du minimum vieillesse qu’il constitue « un des dispositifs de solidarité dont les mécanismes sont les plus hermétiques pour l’usager (confusion entre les différentes prestations du minimum vieillesse et avec le minimum contributif, application du plafond de ressources...). Les procédures d’information des caisses ne sont pas à la hauteur de cette complexité [...] Surtout, les modes d’information devraient être adaptés au public concerné ».

Soucieuse de permettre l’accès aux soins et à la sécurité sociale, ainsi que le maintien dans un logement digne, l’ACSé soutient les services d’aide à domicile et distribue une information de proximité, notamment dans les centres locaux d’information et de coordination (CLIC). Elle favorise aussi le développement des lieux d’accueil et d’information, tout comme les modalités d’accompagnement spécifiques des immigrés vieillissants par des associations généralistes ou communautaires. Enfin, à l’échelon départemental, elle mobilise les services des conseils généraux qui ont compétence sur ces interventions.

Les questions complexes liées au droit des étrangers, comme l’ouverture de droits ou les contentieux qui y sont liés, demeurent un thème sensible dans lequel se sont spécialisées plusieurs associations têtes de réseau : le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et le Comité médical pour les exilés (COMEDE). Ces associations organisent des séances d’information collective ou des permanences juridiques et sociales d’accueil, d’information et d’accompagnement des immigrés vieillissants dans leurs démarches. Elles élaborent aussi à leur intention des guides et outils d’information.

Notre action vise aussi à rompre l’isolement des immigrés vieillissants, à consolider le lien intergénérationnel et à favoriser leur participation à la vie sociale comme leur reconnaissance par la société dite d’accueil. Sans nier l’importance du traitement social du vieillissement des immigrés, rappelons qu’un traitement citoyen doit toujours prévaloir. Vieillir, ce devenir constitutif de la condition humaine, n’est pas seulement le problème sanitaire et social auquel on a tendance à le réduire. C’est aussi et surtout un destin social et culturel.

Pour la plupart des travailleurs immigrés âgés, la vie a été assumée comme une parenthèse pour ne pas perdre le lien ni la raison de la migration, pour continuer à entretenir la légitimité de l’exil, majoritairement rapportée au travail. Quand vient la retraite, l’immigration perd son sens. Sa légitimité première disparaît, comme sa motivation initiale : le retour au pays. En bout de course, il faut poser la question pénible, mais inévitable, de la présence en France, corrélée à celle de l’échec ou non du projet de vie.

Accompagner le vieillissement d’une telle population n’a pas de sens si l’on ne prend pas en considération les conditions à réunir pour que bien vieillir en France ne soit pas un vain mot. Si les lieux de sociabilité permettent de rompre l’isolement, un logement à la périphérie et des liens familiaux distendus renforcent la relégation dans la solitude. Pour remédier à ces situations de détresse, l’ACSé se réserve le droit de soutenir les initiatives visant à ouvrir des lieux de sociabilité tels que les cafés sociaux, comme celui créé à Toulon par l’Association des Tunisiens de France (ATF) ou Ayyem Zamen (Au nom de la mémoire), implanté à Paris, dans le XXe arrondissement.

Valoriser les apports historiques des anciens et favoriser le lien intergénérationnel permet aussi aux jeunes descendants de migrants en situation difficile de mobiliser des ressources propres à leur histoire et à celle de leurs ancêtres et de leur famille. La reconnaissance des immigrés vieillissants passe par les travaux sur la mémoire, structurant le lien social et le rapport à soi, où prend source la question de l’identité – individuelle et collective – et du lien à la culture du pays d’origine et du pays d’accueil.

Le rôle dévolu à l’action sociale et culturelle au sein de l’ACSé est essentiel, tant la culture est productrice de lien, notamment entre les générations. La valorisation des cultures d’origine permet aux plus âgés de jouer le rôle essentiel de transmission de mémoire, et d’assumer avec les plus jeunes un passé et une identité trop souvent niés.

Encore faut-il, pour que ces références puissent être appropriées, revendiquées, adoptées par les jeunes, qu’elles ne soient pas vécues comme honteuses ou frappées d’indignité, et qu’on ne réduise pas les valeurs et savoirs ainsi transmis à des stéréotypes négatifs, tentation récurrente qui affecte l’histoire des immigrés. Certains d’entre eux sont même conduits à intérioriser ces stéréotypes ou à les revendiquer en les accentuant. L’ACSé cherche à favoriser la transmission de l’histoire familiale et culturelle, dans une perspective de recomposition et de refondation, et non de reproduction normative figée, que l’expérience du déplacement et du temps n’aurait pas transformée.

Les interventions qui visent à instituer ou à restituer une mémoire collective, comprenant par exemple la participation des anciens combattants aux luttes héroïques, doivent être poursuivies, en même temps que le travail sur les blessures de l’héritage colonial, auquel nous renvoient les migrants âgés, témoins du siècle passé. Il faut aussi restaurer la transmission de la mémoire familiale, lorsque celle-ci, fragilisée par l’exil, s’est enfermée dans un silence déstructurant pour les descendants.

La mémoire des habitants fait l’objet d’interventions qui encouragent le dialogue entre générations ou entre populations d’origines diverses. Les actions qui développent l’expression, le recueil et la valorisation des mémoires dynamisent l’émergence de la parole dans une perspective citoyenne et patrimoniale. Pour rendre visibles l’histoire et la mémoire des habitants, l’ACSé finance des ateliers d’écriture, de création, de transmission et le développement de sites internet destinés à recenser les témoignages et les récits. Ces actions permettent, entre autres, de travailler sur la prise de conscience de la société d’accueil et l’histoire des territoires et de leurs habitants.

La transmission de l’histoire et de la mémoire des vieux migrants, qu’ils soient d’anciens combattants ou d’anciens travailleurs, est essentielle : il serait désolant d’oublier leurs parcours.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Comment s’articulent la politique de la ville et celle de l’intégration ? Pour les immigrés ayant vieilli en France, dont beaucoup vivent dans des quartiers relevant de la politique de la ville, quelles ont été les conséquences des réformes engagées à partir de 2008 et des politiques d’intégration centrées sur les primo-arrivants ? Comment prendre en compte la présence de personnes arrivées il y a longtemps, dont l’insertion sociale reste incertaine ?

Quelles actions avez-vous engagées pour faciliter l’accès des vieux immigrés aux dispositifs sociaux de droit commun ? Peut-on aller plus loin ?

Dans les territoires relevant de la politique de la ville, où il est déjà difficile de trouver des médecins généralistes, comment mettre en place des soins de proximité dont les immigrés âgés ont besoin ?

À quelle hauteur financez-vous les actions destinées à valoriser l’histoire des immigrés âgés ? Utilisez-vous l’ensemble des crédits dont vous disposez à cette fin ?

Mme Hélène Geoffroy. Qu’est-ce qui caractérise la situation des femmes âgées et immigrées, généralement venues au titre du regroupement familial ? Sont-elles moins isolées du fait de la présence de leurs enfants ? Quelles actions avez-vous menées ou souhaitez-vous développer à leur égard ?

L’accès à la retraite est-il le seul facteur qui conditionne le retour au pays ou l’installation en France ?

Comment se construit l’histoire professionnelle des immigrés ? Se sont-ils pleinement insérés dans le monde du travail, par exemple à travers l’action syndicale ?

M. Philippe Vitel. En quoi l’action de l’Association des Tunisiens de France, à Toulon, est-elle originale ? Son modèle est-il exportable ?

M. le président Denis Jacquat. Les immigrés âgés résident souvent là où ils ont vécu durant leur période professionnelle, c’est-à-dire généralement dans des foyers. Ceux-ci peuvent être réhabilités, mais, compte tenu des coûts, des nuisances et de la longueur des travaux, ne vaut-il pas mieux prévoir d’autres résidences, EHPAD ou foyers spécifiques, qui permettraient aux intéressés de rester entre eux et de parler leur langue ?

Pour faciliter l’accès des immigrés à leurs droits, notamment à la retraite, nous avions créé à Metz un CLIC dans le principal quartier sensible, en recrutant, grâce aux emplois jeunes, du personnel parlant les langues les plus usitées : les langues du Maghreb et le turc.

M. Philippe Vitel. On sait combien il est difficile de reconstruire des parcours professionnels très divers. Peut-être faudrait-il proposer des pistes dans ce domaine.

Mme Naïma Charaï. La création, en 2007, du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire a eu pour effet de retirer au ministère de la ville une partie de la politique de l’intégration, ce qui a introduit une rupture de notre action en faveur des vieux migrants. L’ACSé souhaite pourtant poursuivre les initiatives de ce type menées dans les départements et les régions.

Le Premier ministre devrait recevoir demain un rapport consacré à la refondation des politiques d’intégration, dont l’auteur, M. Thierry Tuot, m’a auditionnée. Je n’ai pas encore eu accès à ce document, qui formule des propositions relatives aux politiques d’intégration et de la ville. Peut-être faut-il recréer un lien entre elles, car il n’est pas possible d’agir à long terme en les séparant. L’accueil aux primo-arrivants ne résout pas les problèmes qui se posent dans la durée.

Depuis ma nomination, je constate une forte attente de la part des nouvelles générations. Elles souhaitent que le droit commun améliore la situation de leurs parents ou de leurs grands-parents, qui les ont inscrites dans l’histoire de France, et que le nouveau Gouvernement et les assemblées envoient un signe positif aux vieux migrants.

Visitant récemment, à la demande du Président de la République, un foyer ADOMA situé à Colombes, j’ai mesuré les difficultés d’accès aux soins et à la santé que rencontrent les populations vieillissantes. Dans certains quartiers, on ne peut que constater l’indigence des services publics. Quand les acteurs de l’accompagnement social appellent les services d’urgence ou SOS Médecins, ils n’arrivent pas à faire venir des médecins en soirée, alors qu’une personne âgée qui fait un malaise doit être prise en charge le plus vite possible. Nous appelons votre attention sur ce sujet, bien qu’il ne relève pas de notre champ de compétences.

Des programmes de réhabilitation menés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sont en cours, mais il faut les intensifier. Selon les acteurs des foyers Adoma, trois personnes migrantes meurent par jour. À Colombes, j’ai rencontré un ancien ouvrier de l’industrie automobile qui dispose de sept mètres carrés, après avoir passé sa vie dans les campements et les bidonvilles de Nanterre. Il faut accélérer les réhabilitations si l’on veut que les immigrés âgés terminent leur vie dignement.

Il n’existe pas d’étude spécifique sur la situation des femmes immigrées âgées. Les statistiques manquent pour retracer leur parcours. Selon les conclusions du « rapport Tuot » et la suite que lui donneront le Gouvernement et le Parlement, nous formulerons des propositions les concernant, mais des interventions visant à faire respecter leurs droits sont déjà menées dans les quartiers, au titre de la politique de la ville.

Vous m’avez demandé ce qui motive le retour au pays. Dans ce domaine, chacun a un parcours singulier. Ce sont souvent les ressources et les conditions de leur maintien qui conditionnent le séjour en France, mais les hommes et les femmes qui ont contribué à l’essor de notre pays y sont généralement attachés. Pourquoi ne pas leur faciliter l’acquisition de la nationalité française ?

Nous soutenons depuis des années les cafés sociaux, formidables outils de socialisation et de lien intergénérationnel, qu’il faudrait multiplier sur le territoire national. Dans ces lieux, des acteurs qui connaissent bien les migrants prennent en compte leur spécificité et leur histoire.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Le café social du XXe arrondissement tente de mener des actions intergénérationnelles, par exemple en emmenant l’été dans les bois les jeunes et leurs aînés. Ceux-ci apprécient cette compagnie, car ils n’ont pas toujours des petits-enfants. Reste que les jeunes ne se sentent pas toujours concernés par ces initiatives.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, et je souhaite bonne chance à l’ACSé.

Puis, la mission d’information entend M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), M. Michel Aubouin, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) au ministère de l’intérieur, et M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI).

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons aujourd’hui M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), accompagné de M. Michel Aubouin et de M. Pierre-Yves Rebérioux.

Monsieur Derepas, vous avez pour mission de faciliter l’intégration des immigrés en situation légale en favorisant leur insertion sociale et professionnelle. À ce titre, vous êtes le responsable du programme budgétaire 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et veillez à la bonne utilisation des financements du Fonds européen d’intégration (FEI) des ressortissants de pays tiers. Vous avez été nommé secrétaire général à l’immigration et à l’intégration le 8 novembre 2012.

Monsieur Michel Aubouin, vous êtes à la tête de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’intérieur, chargée de concevoir et de mettre en œuvre la politique publique d’intégration des populations immigrées et d’accès à la nationalité française, et dont l’action porte notamment sur l’apprentissage par les immigrés de la langue française et des valeurs de la République, ainsi que sur l’accès à l’activité professionnelle. La DAIC s’intéresse également aux étrangers confrontés à des difficultés spécifiques, tels que les femmes, les migrants âgés – sujet qui nous préoccupe plus particulièrement aujourd’hui – et les réfugiés. Elle participe aussi à l’élaboration des règles en matière d’acquisition et de retrait de la nationalité française pour les étrangers adultes.

Monsieur Pierre-Yves Rebérioux, que la mission d’information entendra également à l’occasion d’une prochaine audition, est, depuis juillet 2001, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI), laquelle a pour mission de mener des actions en faveur du logement des personnes immigrées.

M. Luc Derepas, secrétaire général à l’immigration et à l’intégration. En réponse à la demande de la mission d’information, je présenterai les principales questions relatives aux personnes âgées immigrées présentes en France. Quelle est cette population ? Quels problèmes particuliers rencontre-t-elle ? Quelles sont les actions que nous avons déjà menées et celles que, le cas échéant, il reste à développer ?

Pour l’INSEE, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger. Le terme inclut donc à la fois les étrangers restés étrangers et vivant en France et les étrangers naturalisés français et vivant en France.

Les personnes immigrées âgées de plus de soixante-cinq ans vivant en France sont au nombre de 890 000, dont 25 % ont plus de quatre-vingts ans et 350 000 sont issues de pays tiers à l’Union européenne.

Sur ces 350 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans et nées dans un pays tiers à l’Union européenne, 140 000 sont devenues françaises et 210 000 ont conservé leur nationalité étrangère ; 205 000 sont des hommes et 145 000 des femmes.

Sur les 210 000 personnes ayant conservé une nationalité étrangère, on considère que 60 000 à 80 000 sont isolées, vivant seules dans un appartement de droit commun ou dans un foyer de travailleurs migrants. Les chiffres relatifs à ces foyers varient selon qu’ils proviennent de l’INSEE ou des gestionnaires des foyers, car cette catégorie de personnes est mal appréhendée par les outils statistiques : alors que l’INSEE dénombre environ 20 000 hommes, les gestionnaires de foyers en comptent 35 000. Nous n’avons pu, quant à nous, préciser davantage ces chiffres.

Une très grande majorité des 210 000 personnes restées de nationalité étrangère et vivant en France – 70 %, soit environ 150 000 – est originaire des pays du Maghreb.

C’est d’abord dans le domaine de la santé que ces personnes rencontrent des difficultés. Leur état de santé est en effet plus dégradé que celui de la moyenne des Français, ce qui est souvent lié aux conditions de travail qu’elles ont connues. Paradoxalement, les personnes âgées immigrées recourent moins que la moyenne des personnes âgées au système de santé, en raison d’une méconnaissance des dispositifs existants ainsi que d’une certaine inhibition.

Elles ont par ailleurs des revenus très faibles, généralement inférieurs à la moyenne des personnes âgées, ce qui est lié au faible niveau de leurs conditions d’emploi et de rémunération antérieures et à des difficultés d’ordre administratif dans l’accès aux droits dont elles pourraient bénéficier au titre des régimes de retraite. Cette difficulté d’accès aux droits est une thématique caractéristique de cette population, sur laquelle nous reviendrons.

En troisième lieu, il semble qu’elles aient une moins bonne maîtrise de la langue française que l’ensemble de la population immigrée, sans doute parce qu’elles n’ont pas bénéficié, à leur arrivée en France, des dispositifs d’acquisition de la langue qui ont été mis en place au cours des dernières années.

Elles se caractérisent enfin par un isolement qui n’est pas seulement personnel, mais également citoyen. Elles éprouvent de grandes difficultés à maîtriser les procédures administratives permettant d’obtenir des droits dans de nombreux domaines, tels que la santé, l’aide sociale ou l’aide au logement. S’ajoute à cela, pour ceux qui ont fait le choix de vivre en France sans leur famille, un assez fort isolement social.

Ces difficultés identifiées par divers rapports et études ont peu à peu été prises en compte par le SGII pour développer, à l’intention de ces personnes, en liaison avec divers partenaires, des politiques spécifiques dont les orientations principales sont les suivantes.

Le premier principe consiste, pour l’administration chargée d’assurer la bonne intégration des personnes immigrées qui, par choix ou par contrainte, vieillissent en France et y demeureront pour la plupart jusqu’à leur décès, à les accompagner sur ce parcours en évitant autant que possible la dégradation de leur situation.

Le deuxième principe consiste à recourir le moins possible à des dispositifs spécifiques, afin d’éviter la stigmatisation ou la mise en avant de ces personnes. Il s’est donc agi, sans créer de droits supplémentaires, d’utiliser autant que possible les politiques de droit commun pour permettre aux personnes âgées immigrées de jouir de l’ensemble des droits dont bénéficient les personnes âgées vivant en France.

Il ne suffit pas pour cela de déclarer que le droit commun est applicable : il faut développer les instruments permettant aux divers acteurs concernés de prendre en compte la situation particulière de ces personnes. La DAIC, que dirige Michel Aubouin, a mené au cours des deux dernières années un travail interministériel associant notamment aux administrations centrales et aux services déconcentrés les collectivités territoriales, les agences régionales de santé, les organismes de sécurité sociale, les gestionnaires de foyers et le monde associatif, afin de mobiliser davantage l’action de ces partenaires au bénéfice des personnes âgées immigrées. Un groupe de travail a été créé et s’est réuni une dizaine de fois entre 2010 et 2012 pour identifier les problèmes, définir les actions et s’assurer que les partenaires concernés les mettent en œuvre.

La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), par exemple, a engagé à l’échelle régionale des expérimentations visant à développer l’information et l’accompagnement de certains publics précaires en focalisant l’attention sur les personnes âgées immigrées. Il s’agissait d’aller davantage à la rencontre de ces personnes pour faciliter leur accès aux droits et dispositifs existants.

Le groupe de travail a également permis d’intégrer dans le plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées mis en place par la CNAV la prise en compte des difficultés particulières rencontrées par les personnes âgées immigrées.

La CNAV a par ailleurs passé avec d’autres acteurs du secteur, notamment l’Union des professionnels de l’hébergement social et Adoma, des conventions-cadres renforçant l’intervention des services d’aide à domicile au sein des structures pour mieux accompagner ces personnes.

La thématique relative aux personnes âgées immigrées a en outre été inscrite dans les programmes régionaux d’intégration des personnes immigrées (PRIPI), qui, pour la plupart, contiennent désormais des actions spécifiques visant à assurer l’accès aux droits sociaux, aux soins et à la santé, au maintien à domicile et à un logement plus conforme aux normes communément acceptées.

Sur le plan budgétaire, une partie des moyens dont nous disposons a été intégrée par l’intermédiaire du programme 104, géré par la DAIC, et des fonds européens dont nous assurons la gestion en faveur d’actions propres aux personnes âgées immigrées. Depuis 2010, 7 à 10 millions d’euros en moyenne sont ainsi consacrés chaque année à ce public. Nous pourrons vous présenter plus en détail, si vous le souhaitez, les actions ainsi financées.

Les dispositifs existants et la situation des personnes immigrées âgées peuvent être améliorés. Notre département de statistique travaille ainsi, en collaboration avec l’INSEE, à une meilleure appréhension statistique de la situation de ces personnes. Par ailleurs, les conclusions de votre mission d’information seront très importantes pour orienter la poursuite du travail interministériel que nous avons engagé. Nous continuerons en outre à intégrer dans les PRIPI la thématique des personnes âgées immigrées et à y consacrer, en fonction de l’évolution des crédits, le montant nécessaire.

Certains sujets suscitent cependant des interrogations. Tout d’abord, la situation du logement est très préoccupante et le plan d’action engagé pour améliorer les modalités de logement, notamment en foyer de travailleurs migrants, a pris du retard. Des évolutions budgétaires seraient nécessaires pour mener à bien ce plan – ce point sera évoqué prochainement lors de l’audition de M. Pierre-Yves Rebérioux.

Le deuxième point sur lequel des progrès sont possibles est l’accès aux droits. En effet, les personnes âgées immigrées rencontrent des difficultés pour accéder aux dispositifs de droit commun et une action beaucoup plus résolue devra être engagée avec les partenaires susceptibles de faciliter cet accès, afin de créer des dispositifs proactifs permettant d’aller à la rencontre de ces personnes et de leur indiquer comment bénéficier des dispositifs existants. Les trois acteurs principaux sont les conseils généraux, les caisses d’assurance maladie et les caisses d’assurance vieillesse.

Le troisième point qui soulève des interrogations concerne les droits sociaux non contributifs susceptibles d’être ouverts aux personnes immigrées âgées, mais exigeant que celles-ci justifient d’une durée minimale de résidence en France – durée variable selon les dispositifs, mais en moyenne de six mois. Les personnes qui ont choisi de vieillir en France sans renoncer pour autant à faire des allers et retours entre la France et leur pays d’origine peuvent ne pas respecter la règle de durée minimale de résidence qui ouvre le droit à certaines allocations non contributives et se trouver obligées de rester en France pour bénéficier de ces droits alors qu’elles souhaiteraient passer plus de temps dans leur pays d’origine. Le législateur a voulu créer un régime spécifique permettant de résoudre une partie de ces difficultés en instaurant une allocation différentielle destinée aux personnes justifiant d’un certain nombre d’années de résidence en France et remplissant certaines autres conditions, même si elles résident majoritairement à l’étranger.

L’élaboration des décrets d’application de cette loi a cependant rencontré des difficultés juridiques liées pour l’essentiel au droit communautaire. Un règlement européen récemment modifié exige en effet de prendre en compte, pour le versement de certaines prestations non contributives, le temps passé dans un autre État membre de l’Union européenne au même titre que le temps passé en France. Attribuer l’allocation au titre d’une certaine durée passée en France supposerait donc d’ouvrir aussi ce droit pour une durée cumulée identique passée dans l’ensemble de l’Union européenne, ce qui élargirait considérablement le nombre des bénéficiaires et aurait un impact budgétaire très important. Nos collègues de la direction de la sécurité sociale pourront vous fournir des précisions supplémentaires sur ce point : bien qu’il s’agisse de prestations non contributives, ce sont les règlements sur la sécurité sociale qui ont créé ce mécanisme d’équivalence au sein de l’Union européenne. Cet obstacle a retardé la mise en place d’un dispositif conçu initialement pour éviter de contraindre des personnes vivant majoritairement à l’étranger à demeurer en France uniquement pour pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.

J’évoquerai enfin un type particulier de titre de séjour : la carte de séjour portant la mention « retraité », créée afin de rendre plus fluides les allers et retours entre la France et le pays d’origine et de permettre à ses titulaires de demeurer majoritairement dans leur pays d’origine sans pour autant les accabler de procédures à leur retour en France. Cette carte est en quelque sorte le pendant de la carte de résident : alors que cette dernière a une durée de dix ans et que son titulaire en perd le bénéfice s’il réside plus de trois ans hors de France, la carte de séjour « retraité » permet de vivre à l’étranger sans limitation de durée et de faire des allers et retours sans autre condition. Il s’agit donc d’une sorte de visa permanent pour la France.

Cette carte a cependant pour effet de rompre le lien avec l’assurance maladie pour les personnes de nationalité française ou pour les titulaires d’une carte de résident. Ces derniers bénéficient de plein droit de toutes les prestations de l’assurance maladie en fonction de leur statut, alors que les titulaires de la carte de séjour « retraité » ne peuvent bénéficier d’une prise en charge que pour les soins d’urgence, et non pour les soins de droit commun. De fait, ces personnes ayant choisi de résider majoritairement à l’étranger, elles devraient être prises en charge par les systèmes de santé des pays concernés. Ce dispositif a pu se révéler très dissuasif : le nombre de cartes de séjour « retraité » distribuées depuis l’origine du dispositif est estimé à 14 000 et on observe en tendance une diminution assez nette, année après année, avec 1 100 titres délivrés en 2011 et 700 en 2012. Cette tendance est également attribuée au fait que la majorité des personnes âgées immigrées fait aujourd’hui le choix de vivre en France et n’envisage plus de rentrer, comme la génération précédente, dans son pays d’origine.

M. Michel Aubouin, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC). Je compléterai les propos de monsieur Derepas par une appréciation plus qualitative, en particulier à propos du cheminement que nous avons accompli au cours des dernières années sur la question des personnes âgées immigrées.

La DAIC a redécouvert sous un autre angle, depuis moins de trois ans, la thématique des personnes âgées que portait déjà la direction des populations et des migrations, direction du ministère des affaires sociales dont elle est héritière. Cette question était traditionnellement abordée par le biais du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants et axée sur la figure ancienne du travailleur migrant arrivé en France durant la période de l’immigration professionnelle – entre 1950 et 1973 – et résidant dans des foyers de travailleurs migrants, parfois depuis des décennies, où il vieillit dans des conditions souvent indignes après avoir longtemps travaillé en France. Cette conception est particulièrement illustrée par la figure des chibanis, anciens travailleurs de sexe masculin venus des pays du Maghreb, qui sont encore 200 000 environ en France.

Au cours des travaux des PRIPI sont remontés du terrain deux types de figure de personnes âgées immigrées.

Le premier, qui représente une partie importante de ces anciens travailleurs, ne vit pas dans des foyers, mais dans un habitat de centre ville souvent dégradé
– hôtels meublés, hôtels sociaux ou logement social de fait –, dans des conditions plus indignes que dans les foyers de travailleurs migrants. Il est fortement concentré dans le sud de la France, notamment à Marseille, à Montpellier ou à Béziers, sans doute pour faciliter les allées et venues entre la France et les pays du sud de la Méditerranée.

L’autre figure, assez largement occultée, est celle de la veuve, réalité sociale encore plus difficile. Ces femmes, arrivées en France dans le cadre du regroupement familial, c’est-à-dire après 1974, et souvent beaucoup plus jeunes que leurs maris, sont devenues veuves sur notre territoire sans avoir eu la possibilité de s’y intégrer complètement. Elles ne vivent pas dans les foyers de travailleurs migrants, mais dans un habitat dégradé, parfois dans des conditions d’une extrême précarité.

Nous nous sommes attachés à mieux connaître et accompagner ces populations, qui représentent quelques dizaines de milliers de personnes.

Nous avons également constaté que subsistait l’idée fausse – qui avait pourtant parfois fondé des décisions – selon laquelle les personnes âgées immigrées n’aspiraient qu’à retourner dans leur pays d’origine. Cette idée est démentie par toutes les études de terrain. Certes, sur près de 3 millions de travailleurs entrés en France entre 1950 et 1974, une grande partie a regagné son pays, mais les 500 000 qui sont restés en France l’ont fait volontairement, et pas seulement pour des raisons de « confort ». La plupart de ceux que nous rencontrons n’émettent nullement le désir de repartir dans un pays que, depuis quarante ou cinquante ans, ils ne connaissent plus que par les séjours qu’ils y ont faits chaque année ou tous les deux ans, et cela même si leur famille y est restée. Qu’ils l’aient ou non choisi, ils entendent conserver jusqu’à leur fin ce mode de vie. Il importe de prendre en compte les personnes immigrées qui font la navette chaque année, sans leur imposer ni de rester en France ni de retourner dans leur pays d’origine dès lors qu’elles ne le souhaitent pas.

M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées. Je me contenterai, dans l’attente de mon audition prévue pour la semaine prochaine, de souligner l’intersection forte qui existe entre le monde des foyers et la question de la navette. Ce sont là des questions que je suis depuis plusieurs années.

M. le rapporteur. De quels instruments de mesure et d’évaluation des besoins liés au vieillissement des immigrés disposez-vous ?

Quels sont les moyens mobilisés en direction des immigrés âgés dans les programmes relevant de votre ministère, tout particulièrement au titre du programme 104 ? En complément des moyens engagés par le ministère, qu’en est-il des projets financés par le FEI des ressortissants de pays tiers, dont le programme pluriannuel s’achève précisément en 2013 ? Quelles sont les priorités envisagées pour la reconduction de ce programme ?

Quelle est la proportion des personnes ayant eu accès à la nationalité française ? Quelles sont les principales voies d’accès à la nationalité ? Quelle est la durée moyenne de séjour avant naturalisation ? Quelle est la part de personnes possédant une double nationalité ?

Il a été constaté que la durée moyenne de séjour pour obtenir la naturalisation par décret était de 17,5 ans pour les immigrés d’Afrique, de 15 ans pour les immigrés d’Asie et de 13,6 ans pour les immigrés d’Amérique. Pouvez-vous expliquer cette différence – qui peut atteindre quatre années – d’un continent à l’autre ?

Pourriez-vous également indiquer, par ordre de lien avec les pays d’origine, la part d’immigrés vivant en France depuis plus de vingt ans qui ont été rejoints par leur famille dans le cadre du regroupement familial depuis 1974 ? La demande a-t-elle été forte ou s’agit-il d’une minorité des personnes immigrées en France ?

Enfin, disposez-vous d’une statistique sur la part des immigrés souhaitant être enterrés dans leur pays d’origine ? Il semblerait que ce soit le cas pour une part significative de ces personnes – suffisamment en tout cas pour qu’Adoma envisage de proposer des services de ce type ?

Mme Hélène Geoffroy. Les demandes de cartes de séjour portant la mention « retraité » ont fortement diminué l’année dernière, passant de 1 100 à 700. Comment l’expliquez-vous ? La carte a-t-elle été créée dans l’idée que la plupart des personnes concernées allaient rentrer dans leurs pays d’origine, ce que la réalité a démenti, rendant le dispositif moins pertinent ? Hormis la question des soins, d’autres droits sont-ils également supprimés ?

La navette dont vous avez parlé se mesure-t-elle qualitativement, c’est-à-dire en relation avec les pays ou les continents d’origine, en fonction de comportements géographiques différents et de la présence, ou non, d’une famille sur place ?

Comment les PRIPI, qui dépendent des services de l’État, s’articulent-ils avec l’action des collectivités territoriales, notamment des départements et des communes ?

Mme Kheira Bouziane. Sans doute est-il prématuré de dresser le bilan des PRIPI, mais il n’en est pas moins souhaitable de connaître les résultats du dispositif des agents de développement local pour l’intégration (ADLI), mis en place en 1996, et l’évolution des moyens qui lui ont été accordés.

M. Pouria Amirshahi. Dispose-t-on de données relatives à la présence en France d’enfants d’immigrés âgés ? On présente généralement ces derniers comme des personnes isolées. On évoque davantage les liens de famille qu’ils ont conservés à l’étranger que ceux qu’ils ont en France.

M. le président Denis Jacquat. Pouvez-vous nous fournir des indications sur les éventuels projets européens ainsi que sur la situation des veuves ? Avez-vous identifié des besoins particuliers concernant les femmes ?

Le nombre de souhaits de retour dans le pays d’origine traduit-il des différences selon les pays et les continents ?

Les séjours en France métropolitaine correspondent souvent à des besoins de soins médicaux. Expliquent-ils les demandes de carte de séjour portant la mention « retraité » ?

M. Luc Derepas. Le département des statistiques du SGII opère, en liaison avec l’INSEE, des analyses spécifiques aux populations d’immigrés âgés, à partir du recensement général, qui constitue notre principale source d’information. À titre complémentaire, nous intégrons les données établies au niveau européen, notamment sur les conditions de vie, qui permettent des comparaisons avec les autres pays européens. Nous utilisons également les résultats de l’enquête Emploi, de l’enquête Trajectoires et origines, menée par l’Institut national d’études démographiques (INED), ou de l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants (ELIPA). Nous pourrions enfin envisager de mener nous-mêmes des enquêtes sur la population des immigrés âgés. Si, en 2003, l’INSEE et la CNAV ont étudié conjointement les modalités de passage des immigrés à la retraite, aucune enquête de ce type n’est en cours pour l’instant.

Nous ne disposons pas de données sur les souhaits des immigrés pour leur enterrement, car la question se traite principalement dans l’intimité des familles et ne fait pas l’objet d’un cadre juridique général. Peut-être faudrait-il y songer pour l’avenir afin de définir au moins quelques règles de base visant notamment à éviter des comportements indécents de la part de certains prestataires. La direction générale des collectivités territoriales (DGCL) suit cette question au niveau de l’administration centrale et pourrait examiner ses déclinaisons locales et particulières.

La diminution du nombre de demandes de cartes de séjour « retraité » s’explique mal. On peut cependant faire valoir que les personnes les plus âgées s’orientent souvent vers une fin de vie en France. Dans ce cas, la carte de résident est beaucoup plus avantageuse, limitant simplement à trois ans la durée de résidence à l’étranger. Par ailleurs, l’attribution de la carte de retraité fait perdre les droits à la couverture santé. Il en va différemment de la couverture des autres risques sociaux qui, le plus souvent, comporte une exigence de durée de résidence en France, généralement de six mois, mais variable selon les différentes catégories d’allocations : elle atteint huit mois pour l’aide personnalisée au logement (APL) et neuf mois pour le revenu de solidarité active (RSA) comme pour l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Dans ces conditions, la carte de séjour retraité peut avoir pour effet indirect de priver les intéressés de certains droits sociaux.

M. Michel Aubouin. Les crédits du SGII proviennent de deux sources : d’une part le programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », du ministère de l’intérieur, d’autre part le FEI.

Le premier, fixé pour trois ans, se décline à la fois au plan national et au plan régional, à travers les PRIPI dont les crédits sont déconcentrés au niveau du préfet de région. Pour les seules personnes âgées immigrées, les crédits correspondants ont été, en 2012, consommés à hauteur de 8 millions d’euros, dont 5,6 millions au titre des actions nationales et le reste au titre des actions locales.

Ces actions, très variées, concernent le financement des associations qui accompagnent ces personnes pour faire valoir leurs droits, la gestion de centres de santé prenant en compte les particularités des immigrés ou la problématique du logement.

Cette année, le FEI représente 14 millions d’euros pour la France et devrait être stabilisé.

Nous allons procéder à une évaluation des PRIPI pour la période 2010-2012 et nous lançons une nouvelle génération de PRIPI couvrant la période 2013-2015. La précédente évaluation avait relevé la difficile articulation avec les actions menées par les collectivités territoriales. Les nouveaux PRIPI en tiendront compte et associeront mieux les différents intervenants publics.

Il est souvent difficile de repérer les difficultés des immigrés âgés, qui forment généralement une population discrète peu encline à s’adresser d’elle-même aux services sociaux.

Sur les 2,5 millions d’immigrés venus en France entre 1945 et 1973, 422 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans y vivent encore. Quelque 200 000 ont demandé la nationalité française : elles avaient bénéficié du regroupement familial et leurs enfants, nés sur le territoire national, étaient français.

Parmi les immigrés âgés de nationalité étrangère, on compte environ 100 000 personnes isolées.

Le mouvement de naturalisation des plus de soixante-cinq ans continue et a concerné l’an dernier  490 Algériens,  258 Marocains et  104 Tunisiens. Viennent ensuite les Cambodgiens.

M. le président Denis Jacquat. Nous avons accueilli, en Moselle, de nombreux réfugiés du Sud-Est asiatique – Laotiens, Vietnamiens, Cambodgiens. Ces derniers, qui avaient fui un régime particulièrement dur, n’avaient aucun espoir de retourner chez eux. Ils prenaient donc très vite la nationalité de leur pays d’accueil.

M. Sergio Coronado. Je peux le confirmer, étant arrivé en France avec ma famille en 1982 : dans le foyer de France Terre d’asile, à Créteil, nous avons vu de nombreux Cambodgiens, qui savaient que les communautés traditionnelles, rurales et montagnardes, dont ils étaient issus, avaient beaucoup changé en cinq ou six ans et qu’ils auraient le plus grand mal à se réinstaller dans leur pays d’origine.

M. Michel Aubouin. Pour les personnes acquérant la nationalité française à un âge avancé, la durée moyenne de séjour en France avant l’accès à la nationalité était extrêmement longue : quarante et un ans pour les Tunisiens, trente-six ans pour les Algériens et trente-quatre ans pour les Marocains, alors qu’elle est de seize ans pour tous les ressortissants étrangers confondus.

M. le rapporteur. Les inégalités de durée d’attente de la naturalisation sont en effet préoccupantes.

M. Michel Aubouin. La durée de résidence de droit commun pour accéder à la nationalité française est de cinq ans (avant le dépôt de la demande). En pratique, les demandeurs ne déposent leur dossier qu’au bout de quinze ans. Mais ceux qui n’entendent pas revenir dans leur pays d’origine la demandent plus rapidement.

M. le président Denis Jacquat. La longueur des délais s’explique parfois par les lenteurs du pays d’origine à fournir certains documents.

M. Michel Aubouin. Les immigrés demandant à être naturalisés rencontrent généralement trois types de difficultés : l’application de l’article 21-16 du code civil qui fixe les conditions de résidence, et donc celle des attaches familiales de la personne en France, ce qui constitue un obstacle pour les hommes dont, par exemple, l’épouse réside à l’étranger ; celle de l’article 21-24 du code civil sur la condition de langue, car les personnes concernées parlent souvent très mal le français ; enfin la fourniture de documents administratifs ou d’état civil par le pays d’origine.

M. le rapporteur. La circulaire du 16 octobre 2012 a-t-elle eu un impact sur les démarches à effectuer ? Prend-on en compte le fait qu’un grand nombre de ces personnes, arrivées jeunes en France, n’a pas bénéficié de l’aide de réseaux associatifs, notamment pour faciliter l’alphabétisation ?

M. Michel Aubouin. La circulaire a dispensé les postulants à la naturalisation âgés de plus de soixante-cinq ans de produire l’attestation délivrée par un organisme certificateur ou un organisme de formation labellisé « français langue d’intégration ».

Nous nous efforçons aujourd’hui, en liaison avec diverses associations, de monter des opérations d’accompagnement des personnes désirant devenir françaises.

Depuis la loi de 1889 sur l’accès à la nationalité française, la France n’interdit pas les doubles nationalités, puisqu’elle les méconnaît. Nous ne disposons donc pas de statistiques sur le sujet, mais nous savons que la grande majorité des Marocains conservent leur nationalité, et probablement une part importante des Algériens. Certaines personnes craignent, à tort, que l’obtention de la nationalité française n’entraîne la déchéance de leur nationalité d’origine.

Mme Kheira Bouziane. Les ADLI ont été mis en place en 1996. Quel bilan peut-on aujourd’hui tirer de leur action ?

M. Philippe Vitel. Les immigrés hommes parviennent à peu près à s’exprimer convenablement en français, mais ce n’est pas toujours le cas pour leur veuve. L’action des associations est donc primordiale. En tenez-vous compte ? Quels sont les moyens disponibles ?

M. Michel Aubouin. La question des veuves n’est apparue que tardivement et les actions en leur faveur sont en cours de développement. Il s’agit le plus souvent de personnes très motivées qui, prises en charge, réalisent rapidement des progrès considérables. Il convient d’abord de les repérer et d’aider les structures qui les accompagnent.

Les ADLI sont aujourd’hui une trentaine et traitent largement des personnes âgées, particulièrement dans le sud de la France. Financés par le programme 104 ou par le FEI, ils amplifient utilement notre action et celle des collectivités territoriales.

M. Pierre-Yves Rebérioux. Les navettes expliquent largement les écarts statistiques portant sur les immigrés isolés, principalement les hommes, dont les familles résident souvent de l’autre côté de la Méditerranée. Les veuves, dont les enfants sont en France, retournent moins souvent et pour moins longtemps dans leur pays d’origine. A contrario, 30 à 50 % des hommes isolés résidents des foyers, des hôtels meublés et de l’habitat privé indigne résident très longuement chaque année de l’autre côté de la méditerranée ; cette part est la plus élevée en période de ramadan. Selon le recensement général, qui appréhende mal cette réalité, on compterait environ 60 000 personnes isolées ; en se fondant sur les sources internes aux foyers de travailleurs migrants, elles sont probablement plutôt entre 80 000 et 100 000.

La pratique de la navette est différente entre, d’une part les Maghrébins, qui reviennent parfois chez eux deux ou trois fois par an, et les Subsahariens, principalement de l’ethnie Soninké, très peu Bambara, qui viennent de la région de Kayes, au nord-ouest du Mali, aux confins du Sénégal et de la Mauritanie. En raison des difficultés du voyage – qui s’apparente parfois à une véritable expédition –, ces derniers effectuent des séjours moins fréquents, mais nettement plus longs. La pratique de la navette nécessite dans tous les cas une bonne santé : le voyage jusqu’à Agadir dans un car au confort sommaire est éprouvant pour un octogénaire…

Les immigrés retraités isolés continuent d’envoyer chaque mois de l’argent à leur famille car c’est le sens qu’ils ont donné à leur migration. Devenus retraités, ils rendent également plus souvent visite à leur famille que lorsqu’ils travaillaient. Cela crée une difficulté supplémentaire pour l’accès à certaines prestations médico-sociales liées au vieillissement – séjour en établissement d’hébergement pour personnes âgées (EHPA), voire en EHPAD –, car ils ne peuvent alors conserver que 10 % de leurs ressources, ou 90 euros au maximum. Pour eux, recourir au secteur médico-social reviendrait à renoncer à envoyer de l’argent au pays d’origine, l’acte qui précisément justifie le mode de vie qui est le leur depuis quarante ans.

La mise en œuvre de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) se heurte à des blocages résultant du texte de loi lui-même, et non de ses décrets d’application.

M. le président Denis Jacquat. Messieurs, nous vous remercions pour tous ces éclaircissements.

Enfin, la mission d’information entend M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), chef du service des politiques sociales et médico-sociales, au ministère des affaires sociales et de la santé.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la cohésion sociale, chef du service des politiques sociales et médico-sociales au ministère des affaires sociales et de la santé.

La DGCS est, au sein des ministères sociaux, chargée de la conception, du pilotage et de l’évaluation des politiques publiques de solidarité, de développement social et de promotion de l’égalité favorisant la cohésion sociale. Elle est compétente en matière de politique familiale, d’autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées, d’égalité entre les femmes et les hommes et de promotion des droits des femmes, de prévention et de lutte contre les exclusions, et d’insertion des personnes en situation de précarité.

Nos premiers travaux ont montré que les personnes immigrées âgées des pays tiers à l’Union européenne éprouvaient des difficultés particulières d’accès aux dispositifs de droit commun d’aide sociale ou de prise en charge de la dépendance. Ce constat ressort notamment d’un rapport de l’IGAS de 2002 sur la situation des immigrés vieillissants, ainsi que d’un avis du Haut Conseil à l’intégration (HCI) de 2005 sur les travailleurs immigrés âgés.

Vous pourrez nous présenter les mesures mises en œuvre depuis lors et nous indiquer la façon dont les politiques de cohésion sociale, en lien avec les politiques d’intégration et de la ville, peuvent améliorer l’insertion sociale et favoriser l’autonomie des immigrés des pays tiers à l’Union européenne, dont 800 000 sont âgés de plus de cinquante-cinq ans et 350 000 de plus de soixante-cinq ans.

M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale de la direction générale de la cohésion sociale. L’action de la DGCS ne s’adresse pas directement au public spécifique que constituent les personnes âgées immigrées, mais le concerne à plusieurs titres. Après un rappel de ce que la DGCS – ainsi que l’ancienne direction générale des affaires sociales (DGAS) – et les services chargés de l’immigration ont réalisé au cours de ces dernières années, je mettrai l’accent sur quelques sujets en particulier. La DGCS intervient dans le domaine d’hébergement des personnes immigrées âgées, car la transformation des foyers pour travailleurs migrants en résidences sociales fait appel à des dispositifs de financement qui relèvent de notre compétence. Nous avons été à l’initiative de travaux qui analysent la façon dont certains schémas gérontologiques départementaux prennent en compte la spécificité de la population immigrée. Participant à la gestion des minima sociaux aux côtés des groupements de coopération sociale (GCS), la DGCS a son mot à dire sur la question de l’accès aux droits et aux prestations, tout comme sur la situation des femmes immigrées âgées. Sans méconnaître le secteur de la sécurité sociale, nous sommes moins compétents en matière d’accès aux retraites ou aux dispositifs réservés aux personnes âgées. Enfin, certaines mesures récemment décidées dans le cadre du Comité interministériel de lutte contre les exclusions (CILE), sans être destinées aux personnes immigrées et âgées en particulier, peuvent contribuer à améliorer leur situation.

Notre collaboration avec les services de la DAIC du ministère de l’intérieur s’est développée au fil du temps, la préparation conjointe d’un comité interministériel pour l’intégration, en 2011, en ayant constitué un moment particulièrement fort. Si ce comité ne s’est finalement pas tenu, le travail réalisé à cette occasion par la DGCS, la DAIC, les services de la sécurité sociale et d’autres administrations vient irriguer nos actions actuelles. Un groupe de travail s’était ainsi penché sur l’accès aux soins, à la santé et à la prévention des populations immigrées, une attention particulière ayant été portée aux résidences sociales et aux difficultés d’accès aux prestations sociales. Il en est ressorti que, au-delà des obstacles techniques, juridiques ou réglementaires, l’essentiel des problèmes relevaient d’un énorme déficit d’information, et de la difficulté d’adapter le message aux besoins particuliers des vieux travailleurs migrants et des femmes immigrées âgées, souvent veuves et isolées.

Nous avons également pris connaissance des statistiques sur les conditions d’accès des immigrés âgés à la retraite et à la complémentaire santé, recueillies par la division des affaires communautaires de la direction de la sécurité sociale (DSS), ainsi que des conclusions d’une enquête sur le vieillissement des immigrés que la CNAV avait conduite avec l’INSEE.

Ces travaux nous ont permis de repérer les expériences menées sur le terrain. Le département de l’Hérault s’est ainsi inspiré d’une étude de l’Observatoire régional de santé (ORS) du Languedoc-Roussillon pour mettre en réseau des services de droit commun et intégrer dans le schéma gérontologique départemental la question des personnes âgées immigrées. Des opérations intéressantes ont également été conduites dans la région Midi-Pyrénées, en lien avec la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) : le Centre d’initiative et de ressources régionales autour du vieillissement des populations immigrées (CIRRVI) a mené des actions de formation, d’analyse des besoins et d’accompagnement qui ont contribué à l’élaboration du nouveau PRIPI, qui inclut la question de la santé et du logement. Sans procéder d’une directive donnée par le haut, ces travaux préparatoires se sont ainsi appuyés sur des expériences locales qu’il est important de connaître.

La collaboration avec la DAIC se traduit également par notre participation aux travaux de la CILPI, qui concernent la transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales. Enfin, même si ce projet n’a pas abouti, nous avions mis au point ensemble quelques propositions portant sur les besoins spécifiques des immigrés âgés dans les foyers, sur les actions sociales qu’il conviendrait de conduire en matière d’accueil – en articulation, à l’échelon local, avec les centres communaux d’action sociale (CCAS) –, ainsi que sur l’information et l’accès aux droits et aux dispositifs sanitaires. L’ensemble de ces travaux a été réalisé entre 2010 et 2011.

Depuis de nombreuses années, les foyers de travailleurs migrants peuvent être transformés en résidences sociales. Ils doivent pour cela répondre à des normes de construction, mais surtout présenter un projet social qui leur permette de bénéficier de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), à laquelle nous consacrons actuellement 11 millions d’euros par an au titre du programme budgétaire 177. À la date du dernier recensement, fin 2012, on comptait 238 foyers pour travailleurs migrants transformés en résidences sociales
– soit un parc de 33 000 places –, dont 183 bénéficiaient de l’AGLS. Cette aide – qui s’adresse à l’ensemble des résidences sociales – n’a pas été revalorisée depuis 2006, mais un renforcement a été annoncé lors la dernière réunion du CILE. Plusieurs mesures nouvelles encore en discussion devraient nous permettre, en 2013, 2014 et 2015, de poursuivre l’effort en faveur des résidences sociales, et donc des foyers de travailleurs migrants qui ont pris cette qualification, dont 30 à 40 % des résidents ont plus de soixante ans.

Comment agir face au vieillissement des personnes immigrées résidant dans les foyers ? Parmi les pistes envisagées, celle des structures spécifiques réservées aux immigrés âgés a recueilli des avis partagés. L’étude que nous avons fait conduire sur cette question montre qu’il est indispensable, lorsqu’un foyer pour travailleurs migrants transformé en résidence sociale comporte une proportion importante de personnes âgées, de lui permettre de s’adapter à ce public, en termes d’architecture, de mobilier, d’animation et d’appui ; en revanche, il ne paraît pas souhaitable de créer des structures coupées du droit commun. Nous estimons préférable d’aider le développement et l’aménagement des foyers, tout en les mettant en contact avec les services de gérontologie et les structures d’accueil pour personnes âgées de droit commun qui, le jour venu, pourront accueillir les immigrés devenus dépendants. Aussi croyons-nous davantage à la mise en réseau et au passage progressif de relais qu’à la création d’EHPAD réservés aux personnes immigrées. Les choix ne sont cependant pas encore faits, et je tâcherai de porter à votre connaissance les préconisations des travaux et études qui nous ont amenés à ces conclusions.

Il y a quatre ans, un questionnaire diffusé aux comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA) nous a permis de les interroger sur les difficultés des immigrés vieillissants et les actions menées à leur intention. Au moment de l’enquête, une dizaine de départements avaient réalisé des schémas gérontologiques intégrant la question des personnes âgées immigrées en matière d’habitat, d’intervention à domicile, d’articulation avec les EHPAD, d’accompagnement dans les démarches, d’actions d’information, de partenariats avec les services de gérontologie, de prévention et d’accès aux soins. Au-delà de ces thématiques figurant dans les schémas – qui ne représentent que des projets –, la liste des réalisations qui en ont résulté figure également dans le rapport.

S’agissant de l’accès aux droits, s’il faut saluer les initiatives existantes – comme la réalisation d’un guide sur l’accès à la retraite –, peu d’efforts ont été faits pour rendre l’information accessible et compréhensible par des publics qui n’y sont pas préparés. Les annonces faites par le Gouvernement dans le cadre du CILE sur l’action à conduire pour lutter contre le phénomène du non-recours aux droits laissent entrevoir une solution possible : au lieu d’attendre que les personnes les plus en difficulté aillent vers les services compétents, il faut au contraire aller vers ces demandeurs confrontés aux problèmes culturels et à l’isolement, à l’instar des femmes étrangères âgées.

Les dispositifs de la DGCS s’adressent en premier lieu aux étrangers en situation irrégulière, qui représentent un véritable défi pour les structures d’hébergement – notamment d’urgence –, à cause du droit inconditionnel à l’hébergement ; la question des Roms nous mobilise également. L’analyse que nous avons menée il y a deux ou trois ans, au moment du débat sur l’accès aux droits des étrangers, nous a pourtant permis de prendre conscience que des personnes en situation régulière, présentes depuis longtemps sur le territoire, peuvent elles aussi se trouver confrontées à des difficultés, souvent techniques. L’accès à l’ASPA est ainsi soumis à la condition de résidence régulière, six mois par an, qui n’est pas sans poser problème aux personnes âgées immigrées dont certaines effectuent des allers-retours fréquents entre la France et le pays d’origine. Pour l’heure, aucun changement n’est toutefois envisagé.

Accueillant en son sein le service des droits des femmes, la DGCS suit avec attention les difficultés très particulières des immigrées âgées, et si un comité interministériel ou un ensemble de mesures sur les immigrés devaient voir le jour, nous appuierions cette question auprès de la DAIC. Afin de ne pas empiéter sur les responsabilités des services chargés de l’immigration, nous préférons pourtant aborder ce problème en amont, car une action précoce peut éviter qu’une femme immigrée ne se retrouve, en vieillissant, dans une situation de précarité et d’isolement qui l’empêcherait de faire valoir ses droits. Le travail que notre direction mène sur les droits des femmes porte sur les questions d’accès à l’emploi, de lutte contre la violence et d’égalité entre les hommes et les femmes. Ces mesures visent les générations encore jeunes, et non les personnes âgées installées dans la difficulté.

Au-delà des 11 millions d’euros que nous versons, au titre de l’AGLS, aux résidences sociales, la DGCS distribue d’autres subventions. Le programme budgétaire 137, consacré aux droits des femmes, n’inclut pas de financement dédié aux femmes immigrées âgées ; le programme 177 ne prévoit pas non plus, au plan national, de fléchage vers les associations d’aide aux immigrés, ce type de subventions étant pris en charge par le ministère de l’intérieur. En revanche, dans le cadre d’une convention pluriannuelle, nous apportons une aide à l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), importante tête de réseau en matière d’accueil.

Il faut enfin mentionner les mesures du CILE annoncées au mois de janvier ; sans être toutes directement destinées aux personnes immigrées – ce n’était pas l’objet du plan quinquennal –, elles les concernent amplement. L’action en faveur de l’accès aux droits et la lutte contre le non-recours se traduiront notamment par des indicateurs qui figureront dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) qui nous lient à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Le développement d’une offre de logement adapté et le renforcement de l’AGLS, annoncés par le Premier ministre, concerneront une bonne partie des résidences sociales accueillant des personnes immigrées âgées. Enfin, lorsque le projet de mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées (MONALISA), lancé par les Petits Frères des pauvres, recevra le concours de l’État, dans le cadre du plan porté par Mme Michèle Delaunay, la question des personnes immigrées y trouvera assurément sa place.

M. le rapporteur. Une grande partie des immigrés âgés habitent des territoires qualifiés de zones prioritaires. Comment encourager, dans ces quartiers, la création d’activités de soins aux populations vieillissantes et parfois dépendantes ? Avez-vous des relations avec le secteur de l’économie sociale et solidaire qui se spécialise dans ce type de services ?

L’entrée dans la dépendance de cette population est-elle précoce, à cause d’une activité professionnelle souvent pénible ou d’un recours limité aux soins médicaux ?

La prise en compte de la question des immigrés par certains schémas gérontologiques est liée aux spécificités locales, et notamment à la présence, sur le territoire concerné, des populations immigrées. Quel rôle jouent, à votre avis, les CLIC gérontologiques ?

En matière d’accès aux droits, comment mieux prendre en compte les besoins des immigrés âgés dans leur relation avec les différents organismes sociaux ? Les rapports distants que cette population entretient avec les services de sécurité sociale ne sont pas étrangers à ses problèmes d’accès aux soins médicaux.

Enfin, les conditions de résidence auxquels sont soumis certains droits sociaux non contributifs – tels que le RSA ou l’ASPA – vous semblent-t-elles adaptées, et les modalités de contrôle, satisfaisantes, tant du point de vue de l’application des règles que du respect des droits des personnes immigrées ?

Mme Hélène Geoffroy. Pourquoi la réflexion qui avait été menée sur l’accueil des immigrés âgés n’a-t-elle pas abouti ? L’aménagement d’un accueil adapté à ce public a-t-il rencontré des lenteurs ou des freins ?

S’agissant des EHPAD, vos propos semblent dessiner deux écoles de pensée : hébergement des personnes âgées au sein des foyers – transformés – où elles ont longtemps vécu, ou bien inscription dans le droit commun existant. Quelles sont leurs limites respectives ?

M. le président Denis Jacquat. Disposez-vous, sur la question des immigrés âgés, de points de comparaison à l’échelle européenne ?

M. Philippe Didier-Courbin. Monsieur Bachelay, la DGCS n’ayant pas la maîtrise des dispositifs d’accès aux soins, nous agissons par le biais des liens privilégiés que nous entretenons avec le réseau des ARS. L’année dernière, les directeurs généraux des ARS et les directeurs régionaux de la cohésion sociale ont ainsi organisé un séminaire national, animé par la directrice générale de la cohésion sociale, sur la question de l’accès aux soins des personnes en situation de précarité. Nous veillons, en effet, à ce que les programmes régionaux de santé, en constante évolution, tiennent compte du problème d’accès aux soins des plus démunis, en concertation avec les directions de la cohésion sociale et les collectivités territoriales. C’est en coordonnant l’action des ARS et en mettant en commun les expériences – l’objet du séminaire – que nous travaillons sur cette question, les personnes immigrées âgées faisant partie des publics concernés par notre action. Nous avons l’intention de poursuivre l’effort afin que les orientations décidées lors du séminaire s’installent dans la durée.

Il est difficile de décrire avec précision les spécificités du vieillissement des immigrés. Une partie de la population étrangère, qui vit en habitat diffus, échappe à l’observation ; surtout, on ne demande pas sa nationalité à un patient qui vient à l’hôpital ou qui se rend dans une caisse de sécurité sociale. La DGCS comme la DAIC s’appuient donc moins sur les statistiques que sur l’observation locale qui, pour n’être pas toujours scientifique, reste parlante. Ces remontées du terrain montrent que les personnes résidant dans les foyers subissent une usure prématurée liée aux métiers qu’elles ont exercés, à leurs conditions de vie et au manque de suivi médical.

Madame Geoffroy, il ne s’agit pas de choisir entre structures dédiées aux immigrés âgés et structures de droit commun. L’essentiel est de permettre à la personne vieillissante de conserver son lieu de vie, et si ce lieu est un foyer – comme c’est souvent le cas pour cette génération –, il faut tout faire pour qu’elle puisse continuer à y vivre si elle le souhaite. Il faut alors que ce foyer s’adapte progressivement aux besoins physiques de ses habitants et noue des liens avec les services de droit commun – aide à domicile, infirmiers à domicile ou gérontologie –, afin d’assurer le suivi médical et de préparer l’éventualité d’un futur hébergement dans un EHPAD. Mais créer des EHPAD spéciaux pour immigrés n’apparaît pas souhaitable.

S’agissant des schémas gérontologiques, je vous renvoie à l’enquête que nous avons menée avec les CODERPA, qui recense les cas dans lesquels ces schémas ont tenu compte de la question de la population immigrée, en relation avec les CLIC.

L’amélioration de la prise en compte des besoins de cette population renvoie, pour nous, aux financements que nous accordons, à travers l’AGLS, aux résidences sociales. Aujourd’hui, c’est à l’échelon local et en fonction de chaque projet que les services déconcentrés de notre ministère décident, dans le cadre d’une convention, de l’octroi de cette aide et qu’ils en fixent le montant. L’enveloppe globale n’a pas été augmentée depuis des années ; par ailleurs, les critères qu’une résidence doit remplir pour en bénéficier étant définis dans la circulaire de 2006, déjà ancienne, les décisions – souvent éclairées – des services déconcentrés souffrent aujourd’hui d’un manque de coordination à l’échelle nationale. Les mesures annoncées dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale comportent une légère augmentation de l’enveloppe de l’AGLS, mais surtout une remise à plat de la circulaire qui en régit l’emploi. Les nouvelles instructions nous permettront de mieux définir les attentes à l’égard des résidences sociales qui accueillent des immigrés âgés.

Les succès ou échecs des différents guichets des caisses de sécurité sociale constituent un sujet sensible. Le travail des agents n’est pas en cause ; rendre ces organismes accessibles aux personnes immigrées âgées implique plutôt, au-delà des initiatives isolées, d’élaborer un discours politique national audible sur la question. Le problème du non-recours aux droits par les bénéficiaires potentiels de certaines prestations est ainsi à dissocier de la lutte contre l’abus de ces prestations par des personnes qui n’y ont pas droit. Seule une action politique déterminée et affichée – incluant l’introduction, dans les COG qui lient les caisses à l’État, d’indicateurs portant sur le non-accès aux droits – pourra créer un cadre permettant de généraliser les bonnes pratiques. N’étant pas chef de file en matière de politique à l’intention des immigrés, la DGCS ne saurait devenir le porte-drapeau de ce combat, mais les préoccupations que vous exprimez et l’existence même d’une mission d’information sur la question constituent pour nous un signal. Lorsque nous aborderons, dans le cadre de la COG, la question de l’accès aux droits, nous tâcherons de considérer non seulement les personnes en situation de précarité, mais également des publics marginalisés pour d’autres raisons. En somme, le progrès en cette matière exige un message qui articule les aspects politique, administratif et technique.

Les obstacles techniques dans l’accès aux droits résultent parfois des parcours chaotiques des immigrés âgés – et en particulier des femmes qui ont peu travaillé –, certaines personnes peinant à constituer leur dossier. Une partie des dispositifs comporte également des obstacles intrinsèques, à l’image de l’ASPA soumise à la condition de résidence régulière. Dans ce domaine, aucune évolution n’est envisageable sans une décision d’ordre politique, impliquant des conséquences financières qui ne relèvent pas de la DGCS.

S’agissant des comparaisons internationales, je ne dispose malheureusement d’aucune information.

M. le président Denis Jacquat. Les immigrés âgés sont nombreux en Allemagne, même si leur gestion au sein des Länder relève d’une politique davantage régionale que nationale. Les exemples étrangers pourraient nous fournir des sources d’inspiration.

M. Philippe Didier-Courbin. Les travaux sur la situation des immigrés âgés en Europe s’apparentent à des réflexions très générales et proposent peu d’illustrations concrètes.

M. le président Denis Jacquat. Monsieur Didier-Courbin, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions.

La séance est levée à dix-sept heures trente.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 31 janvier 2013 à 14 heures

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Alexis Bachelay, Mme Kheira Bouziane, M. Sergio Coronado, Mme Hélène Geoffroy, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Denis Jacquat, M. Philippe Vitel

Excusé. - M. Matthias Fekl