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Mission d’information sur les immigrés âgés

Jeudi 7 février 2013

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Denis Jacquat,

Auditions, ouvertes à la presse, de

– M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI)

– M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), et M. Bernard Lacharme, secrétaire général

– Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, et Mme Anne du Quellennec, juriste au sein des services du Défenseur des droits

– Présences en réunion

La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

La mission d’information entend d’abord M. Pierre-Yves Rebérioux, délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). 

M. le président Denis Jacquat. Soyez le bienvenu, monsieur Rebérioux. C’est votre deuxième audition par notre mission d’information, cette fois au titre de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). Créée en 1998, celle-ci est chargée de mener des actions en faveur du logement des personnes immigrées et de leurs familles. Elle a notamment une mission de proposition et de coordination mais elle doit aussi élaborer, à partir des propositions des préfets, des programmes d’opérations éligibles au financement par la participation des employeurs à l’effort de construction, et elle pilote le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM). Elle est présidée par le ministre chargé de l’intégration, ou par son représentant, et réunit les ministres chargés du logement, des affaires sociales, du budget, de l’économie et des finances, ou leurs représentants.

Monsieur Rebérioux, vous êtes délégué général de la CILPI depuis juillet 2001 et vous êtes également, depuis décembre 2005, administrateur de la société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA), devenue Adoma en janvier 2007.

M. Pierre-Yves Rebérioux. Les politiques publiques tiennent peu compte de la fraction des immigrés extracommunautaires qui, âgés, isolés ayant généralement conservé leur nationalité, vivent dans l’habitat indigne et les hôtels dits meublés, c’est-à-dire dans les pires conditions qui soient : en comparaison, le « bas de gamme » des foyers de travailleurs migrants peut sembler correct. Totalement à l’écart de la société, ces personnes ne disposent d’aucun lien social et, compte tenu des caractéristiques de leur habitat, nous ne pouvons compter sur aucun gestionnaire pour nous permettre de les détecter et de porter attention à leurs besoins.

Sa situation n’est abordée, par les politiques publiques, qu’à travers l’éradication de l’habitat indigne, au croisement des politiques du logement et de la santé, sans prise en compte des caractéristiques de cette population. De ce fait, je ne suis guère à même de vous donner des informations précises sur le sujet qui mériterait pourtant d’être l’objet de travaux.

Quant aux foyers de travailleurs migrants (FTM), ils ont été conçus à l’origine à deux fins, toutes deux discriminatoires : produire du sous-logement et faire vivre les immigrés à l’écart de la société. Ces deux objectifs ont été parfaitement atteints. Quarante ou cinquante ans après leur création, la situation reste largement inchangée, bien que 40 % du programme de traitement des foyers ait été réalisé à ce jour. Les foyers Adoma représentent, avec les résidences sociales qui en sont issues, 55 % du secteur : ils offrent ce qu’on pourrait considérer comme le « moyen de gamme ». Or, il s’agit bien souvent de chambres de 7 mètres carrés, certes plus spacieuses que celles de 4,5 mètres carrés – le « bas de gamme » –, qui ont aujourd’hui disparu, mais dans lesquelles des immigrés, essentiellement maghrébins, ont vécu pendant quarante ou cinquante ans. Existent également des chambres à lits multiples, où sont logés pour l’essentiel des travailleurs originaires des régions subsahéliennes, issues majoritairement des ethnies Soninké et Bambara.

Ces logements étaient déjà d’un autre âge lorsqu’on les a construits. Le modèle économique fondateur visait à surveiller de la main-d’œuvre bon marché, à la tenir à l’écart de la société françaises sans la faire bénéficier d’aucun travail social. Rien n’a changé à cet égard et ces conditions d’hébergement, déjà scandaleuses à l’époque, sont bien évidemment inadaptées à une population – toujours la même – qui dépasse soixante-dix, voire soixante-quinze ans. Dans certains foyers que j’ai visités, l’âge moyen dépassait soixante-quinze ans. Ces foyers fonctionnent toujours comme lors de leur création, avec seulement un responsable administratif et un ouvrier de maintenance, et ce sont plus de 20 000 chambres de 7 mètres carrés qui sont ainsi gérées par Adoma, sur un total de 60 000 !

Sur 110 000 lits ou logements, dans les FTM et dans les résidences sociales issues de leur transformation, environ 35 000 sont occupés par des personnes de soixante-cinq ans et plus, très majoritairement de nationalité étrangère. S’y ajoute une population de cinquante-cinq à soixante-quatre ans, appelée à vieillir dans cet habitat – FTM ou résidences sociales. Le problème apparu il y a de cela une vingtaine d’années n’est donc pas près de s’atténuer.

La fonction d’hébergement de main-d’œuvre étant passée au second plan avec l’aggravation du chômage et le tarissement des flux d’immigration de travailleurs, on s’est posé la question du devenir de ces structures. Après la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, le choix a été fait de transformer progressivement les FTM en résidences sociales de droit commun, mais sans apporter par là même de réponse satisfaisante aux besoins d’accompagnement des personnes, grâce à la mobilisation des dispositifs de droit commun et à un travail de médiation sociale. Il y a certes eu l’institution de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS), mais celle-ci ne vise en rien à traiter les problèmes spécifiques des immigrés âgés. Cela étant, le bâti de ces résidences est convenable, voire de qualité, comme en témoigne la résidence Hector-Berlioz de Bobigny que monsieur le rapporteur a visitée, mais qui n’est pas parfaitement représentative de la qualité habituelle de ces établissements.

On a toutefois voulu intégrer la prise en compte des besoins des résidents, notamment des plus âgés, dans les politiques locales, autrement dit ne plus les laisser vivre à l’écart de la société. Ce qui implique des discussions longues et approfondies avec les collectivités territoriales afin de mobiliser leurs dispositifs sociaux de droit commun, par exemple pour le maintien à domicile. À la nécessaire transformation du bâti s’ajoute la volonté de réinsérer les immigrés âgés dans les préoccupations locales.

La navette des immigrés âgés entre la France et leur pays d’origine soulève une autre série de problèmes, qui ne tiennent nullement à la nationalité des personnes concernées – des Français circulant entre la France et l’étranger rencontreraient les mêmes –, mais au heurt entre un mode de vie et certaines règles fiscales et sociales. Ainsi, à la différence des retraites contributives qui sont « exportables » contrairement à ce que certains soutiennent, le bénéfice de prestations non contributives comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est soumis à certaines conditions de durée de résidence. Par ailleurs, la résidence fiscale en France permet d’obtenir un avis d’imposition ou de non-imposition, qui sont eux-mêmes nécessaires pour accéder à l’aide personnalisée au logement (APL) ou faire renouveler la carte de résident de dix ans.

De plus, ces exigences sont différentes selon les régimes et les prestations. La résidence fiscale suppose de séjourner en France au moins pendant six mois et un jour et, si la durée est la même pour l’obtention de l’ASPA, après avoir été de neuf mois jusqu’en 2007, concernant l’APL, elle est de huit mois, non de résidence en France mais d’occupation du logement, ce qui pose des problèmes à certaines catégories de population.

Par ailleurs, le bénéfice de l’APL est réservé aux personnes dont les revenus individuels sont inférieurs à 1 100 euros par mois, mais la condition de revenu n’est que de  780 euros pour l’ASPA. Le public concerné par l’APL est par définition nettement plus nombreux que celui concerné par l’ASPA.

Ces règles de droit commun concernent un grand nombre de ménages – près d’un quart dans le cas des aides à la personne – au sein desquels les immigrés âgés ne représentent qu’une petite minorité. Instaurer des règles dérogatoires en leur seule faveur pose immédiatement le problème de la discrimination, fût-elle positive. Il n’est donc pas aisé de modifier des règles structurantes de droit commun non fondées sur la nationalité pour les adapter à un micro-public. Se greffe sur ce problème celui du respect du droit européen.

Pour contourner la difficulté, on a d’abord envisagé de créer une allocation spécifique qui, se substituant aux prestations existantes, permettrait aux immigrés de vivre plus longuement dans leur pays d’origine au cours d’une année. Une loi a été votée en ce sens, mais la rédaction du décret d’application s’est heurtée au droit communautaire : le Conseil d’État a fait valoir qu’une telle allocation, considérée par le droit communautaire comme une prestation de sécurité sociale, devait s’appliquer aux immigrés remplissant la condition de résidence, fixée en l’espèce à quinze ans, – dans n’importe quel pays de l’Union européenne, et pas uniquement en France. On imagine sans peine la portée politique et financière d’un tel dispositif ainsi que les problèmes concrets que poserait son contrôle.

D’autres solutions sont donc à rechercher.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Pouvez-vous préciser de quelle façon, selon quel processus et au vu de quelles consultations, la disposition législative instituant cette prestation alternative, versée aux immigrés dans leur pays d’origine, a été bloquée dans sa mise en œuvre pour des raisons tenant au droit communautaire ? Pourquoi le Parlement n’a-t-il pas été de nouveau saisi de la question, puisqu’il était notamment prévu par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable qu’un rapport lui serait remis avant le 31 décembre 2009 ? L’exercice par la représentation nationale de son droit de suite aurait peut-être fait émerger des solutions alternatives. Lesquelles avez-vous explorées jusqu’ici ?

La situation des 90 % d’immigrés âgés vivant hors des foyers, dans l’habitat diffus, est effectivement dramatique. Comment peut-on les aider et bâtir une politique sociale adaptée à leur situation, étant observé que leurs conditions de vie réelles sont mal connues et qu’ils ont, pour beaucoup, renoncé à solliciter des aides?

Mme Hélène Geoffroy. Pouvez-vous préciser quelles formules alternatives de prestations sociales vous préconisez ? Liez-vous l’attribution d’un complément de retraite à la condition que les bénéficiaires restent résidents des foyers ?

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la pratique de la navette et sur ses conséquences ?

Pourquoi tant d’immigrés n’ont-ils jamais quitté les foyers qui ne devaient constituer qu’un hébergement temporaire ? A-t-on réussi à créer, avec les résidences sociales, des lieux de vie plus accueillants pour les personnes âgées ? Comment s’organise dans ce cadre l’accès aux soins ?

M. le président Denis Jacquat. Les premiers foyers construits par la SONACOTRA étaient souvent de bonne qualité. En Lorraine, on avait fait appel à des Grands prix de Rome pour en être les architectes. On pouvait comparer les conditions d’hébergement proposées à celles des résidences universitaires de la même époque. Certains foyers étaient même présentés comme des chefs-d’œuvre du logement social. Mais il est vrai qu’il n’y a eu aucune évolution en quarante ans, de sorte que ces immigrés, restés en définitive dans notre pays, sont logés dans des conditions inchangées, devenues inadaptées à des personnes âgées.

M. Pierre-Yves Rebérioux. La comparaison avec les chambres des cités universitaires, intéressante par elle-même, a cependant ses limites : un étudiant ne vit pas pendant quarante-cinq ans dans le même local et le « bas de gamme » des cités universitaires – des chambres de 9 ou 10 mètres carrés – correspond à peu près au « haut de gamme » des foyers de travailleurs immigrés. Toute l’hypocrisie de ce système, à partir de 1956, a consisté à faire comme si ces gens ne devaient rester dans ces foyers que quelques années et à continuer à en construire sur le même modèle jusqu’au début des années quatre-vingt. Je reviens en effet sans arrêt à la même observation : concevoir des hébergements spécifiquement pour les immigrés a toutes les chances de produire du sous-logement, en dessous des normes en vigueur. J’ai ainsi rencontré quelqu’un, à Montreuil, qui vivait dans 4,5 mètres carrés depuis quarante-deux ans !

Selon le recensement général, sur 350 000 immigrés âgés de soixante-cinq ans et plus, environ 100 000 vivent isolés, dont 60 000 de nationalité étrangère. Mais il s’agit là d’une sous-évaluation, aussi bien s’agissant des foyers que des hôtels dits « meublés », où les conditions de vie sont les mêmes et dont les pensionnaires passent une bonne partie de l’année dans leur pays d’origine, de sorte qu’ils sont souvent absents au moment du recensement. J’estime pour ma part à environ 30 000 le nombre de personnes vivant en habitat privé indigne et, alors que le recensement en compte 19 000, à 35 000, comme je l’ai dit, le nombre de celles qui sont logées en foyer ou en résidence sociale.

Le film La graine et le mulet, de 2007, a donné une image sympathique de leurs conditions de vie, mais hélas fort éloignées de la réalité, lorsque les enfants des immigrés âgés ne vivent pas en France.

Comment aller à la rencontre de ces publics ? Depuis une dizaine d’années s’est mise en place une politique d’éradication de l’habitat indigne sur laquelle vous pourriez prendre appui. Une table ronde réunissant des représentants de l’État et des collectivités territoriales permettrait de définir les conditions dans lesquelles une politique visant à résorber le mal-logement pourrait être complétée par la prise en compte d’une population spécifique, dont l’état de santé est parfois préoccupant. Mais ce genre de politique implique des interventions très fines, par bloc d’immeubles, sinon par immeuble – beaucoup plus fines par exemple que celles qu’a conduites l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) à Saint-Étienne et à Toulon.

La modification des conditions de durée de résidence pour ouvrir droit à l’aide à la réinsertion familiale et sociale (ARFS) des anciens migrants dans leur pays d’origine s’est faite dans le cadre d’un projet de loi pour lequel on a volontairement ignoré, pour des raisons politiques, l’avis du Conseil d’État. Celui-ci avait indiqué qu’on ne pouvait réserver, au regard du droit communautaire, au seul territoire français l’exigence d’une durée de résidence antérieure de quinze ans. L’article 58 de la loi du 5 mars 2007 a donc été ainsi adopté et n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel.

Saisi du projet de décret d’application, le Conseil d’État a formulé les mêmes remarques que la première fois et indiqué qu’en cas de contentieux, le décret serait probablement annulé. Le risque juridique a alors semblé tel qu’on a renoncé à ce texte. D’où le blocage que j’ai mentionné.

En outre, le fait que la loi ait précisé que l’aide désormais prévue à l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles ne constituait « en aucun cas une prestation de sécurité sociale » attirait maladroitement l’attention sur la faiblesse du dispositif au regard du droit communautaire.

M. le rapporteur. Quelle était la rédaction proposée par le Conseil d’État ?

M. Pierre-Yves Rebérioux. Elle consistait simplement à élargir la condition de résidence antérieure à tous les pays de l’Union européenne.

M. le rapporteur. A-t-on ensuite étudié des formules alternatives ?

M. Pierre-Yves Rebérioux. On a d’abord réduit la condition de durée de résidence ouvrant droit à l’ASPA de neuf à six mois, comme pour la résidence fiscale. Je rappelle que l’aide correspondante, comme les autres minima sociaux, apporte un complément de revenu pour permettre de vivre en France, non à l’étranger, et, dans ce cadre, on pourrait difficilement descendre en dessous du seuil de six mois. L’ARFS répondait donc à une autre logique puisqu’elle devait bénéficier à des personnes ne désirant pas vivre en France.

On a ensuite envisagé de passer par des accords bilatéraux avec les États étrangers concernés, essentiellement l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Mali. D’une façon générale, les gouvernements de ces pays n’ont pas manifesté un grand enthousiasme à l’égard d’un sujet pour eux très marginal et auraient préféré un accord global portant sur bien d’autres questions. C’est donc seulement avec le Mali qu’un projet a pu être rédigé et discuté, ce pays se montrant très intéressé par le versement d’une somme d’argent à ses ressortissants, mais la tentative a échoué faute d’accord sur d’autres dispositions.

Il nous faut donc maintenant explorer d’autres pistes, sur la base de nouvelles expertises juridiques dont nous ne disposons pas encore.

En attendant, il serait nécessaire que les potentiels allocataires de l’ASPA et de l’APL disposent d’une bonne information sur leurs droits. En effet, si 80 % des personnes résidant dans les foyers bénéficient de ces prestations, une bonne partie des autres n’y ont pas accès faute de connaissance ou de compréhension du système. Lorsque certaines caisses d’allocations familiales (CAF) ont voulu diffuser une information pour y remédier, elles ont produit des documents illisibles pour les intéressés.

Une autre solution consisterait à mettre en place des formules de « location alternée », aux termes desquelles le résident ne paierait son logement qu’a due concurrence de sa durée réelle d’occupation au cours de l’année, sans bénéficier de l’APL puisqu’il ne résiderait pas huit mois. Le résident paierait donc la totalité de trois ou quatre mois de loyer, sans percevoir d’APL, mais il paierait moins que le reste à charge de douze mois de loyers avec APL. Il est en tout état de cause absurde que des chambres restent inoccupées l’essentiel de l’année tout en donnant droit à l’APL durant douze mois, surtout dans les résidences sociales neuves, financées à 30 % par une aide de l’État et où les chambres mesurent 18 mètres carrés alors que, par ailleurs, des milliers de jeunes travailleurs ne parviennent pas à se loger décemment.

Concernant les allocataires de l’ASPA, dont les ressources sont très inférieures au seuil d’exclusion de l’APL, on pourrait envisager de subordonner le bénéfice de la location alternée à une condition d’au moins six mois et un jour de présence… Mais ils perdraient alors le droit à l’APL. On pourrait donc envisager, dans certains cas précis, encadrés par des conventions spécifiques passées entre le gestionnaire du logement, l’État et la CAF, de maintenir le versement de l’APL pour les mois d’occupation du logement… Mais un tel dispositif, dérogeant au droit commun de l’APL, pourrait soulever des problèmes de discrimination, fût-elle à nouveau positive...

M. le président Denis Jacquat. Nous vous remercions.

Puis, la mission d’information entend M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), et M. Bernard Lacharme, secrétaire général.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), accompagné de M. Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité.

Créé en 1992 à la demande de l’abbé Pierre, le Haut Comité a pour mission de faire toute proposition utile sur l’ensemble des questions relatives au logement des personnes défavorisées. Il peut émettre des avis, soit à la demande du Gouvernement, soit de sa propre initiative, sur tout projet ou proposition de loi portant sur ce sujet. Parmi les publications du Haut Comité directement liées au champ des travaux de la Mission, figurent le rapport de juillet 2010 intitulé Du foyer de travailleurs migrants à la résidence sociale : mener à bien la mutation, et celui d’octobre 2012 intitulé Habitat et vieillissement : vivre chez soi mais vivre parmi les autres !, dont vous pourrez nous parler plus en détails.

Monsieur Devert, vous avez travaillé dans l’immobilier puis avez été ordonné prêtre. En 1985, vous avez fondé à Lyon l’association Habitat et Humanisme, qui agit en faveur du logement et de l’insertion des personnes en difficulté en permettant notamment l’accès des personnes seules et des familles en situation de précarité à un logement décent et à faible loyer. C’est aujourd’hui une fédération reconnue d’utilité publique qui rassemble cinquante-quatre associations dans de nombreux départements. Habitat et Humanisme s’appuie également sur une société foncière qui investit l’épargne solidaire dans le logement d’insertion. Vous intervenez enfin auprès des personnes âgées dépendantes à faibles ressources au moyen de l’association La Pierre angulaire, un réseau de maisons d’accueil et de soins. Vous êtes membre du Haut Comité depuis 2008.

Monsieur Lacharme, vous avez été nommé secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées en avril 2002. Auparavant, vous avez notamment été directeur du groupement d’intérêt public Habitat et interventions sociales pour les mal logés et les sans-abris.

M. Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. S’agissant du seizième rapport du Haut Comité portant sur les FTM, il faut distinguer deux types de population : les personnes originaires du Maghreb et celles originaires de l’Afrique subsaharienne – qui sont moins concernées par le problème du vieillissement que par celui de la suroccupation des logements.

Pour les immigrés originaires du Maghreb, les foyers présentent l’avantage d’être économiques et d’apporter un cadre de vie collective, ce qui est fondamental pour des personnes seules. Nous avons peu d’éléments statistiques à leur sujet par comparaison avec la population du logement locatif social – nous avons d’ailleurs dû nous référer à une enquête de 1999 : cette lacune devrait être corrigée, surtout dans l’optique retenue de transformer ces foyers en résidences sociales visant à accueillir des publics en difficulté.

Ces personnes, qui ont travaillé le plus souvent dans les secteurs du bâtiment et travaux publics, de la métallurgie ou de l’automobile, disposent de faibles ressources, et ont parfois de grosses difficultés à présenter l’ensemble des documents nécessaires à la reconstitution de leur carrière afin d’obtenir une pension de vieillesse. Beaucoup continuent d’envoyer de l’argent dans leur pays d’origine.

Nous nous sommes interrogés sur les raisons de leur décision de rester en France : est-ce le fait d’une contrainte, d’un choix, ou de la nécessité de continuer à effectuer des allers retours entre la France et le pays d’origine ?

La condition de résidence pour bénéficier des minima sociaux pose problème : elle est fixée à six mois pour l’ASPA et se double d’une condition d’occupation du logement de huit mois pour l’APL. On pourrait réfléchir à une évolution de la réglementation dans ce domaine. S’il existe des expériences de chambres « navette » dans certains foyers, nous souhaitons que la location alternée, qui se pratique en marge du cadre juridique, puisse être formellement prévue pour tenir compte de ces allers retours.

À présent, les foyers, qui ont vieilli et qui n’étaient pas conçus pour loger de façon permanente les résidents qui s’y trouvaient, doivent être réhabilités.

Se pose par ailleurs le problème, pour les résidents des foyers, de l’accès aux aides relatives au maintien à domicile : il y a des résistances psychologiques de la part des résidents et une méconnaissance, par les services d’aide à domicile, de leurs conditions de vie. Il existe toutefois d’intéressantes expériences de terrain, fondées sur la nécessaire collaboration entre les gestionnaires des foyers et ces services. Nous avons donc proposé de développer les interventions de médiation pour faciliter l’accès des résidents âgés aux prestations d’aide au maintien à domicile.

Se pose également pour certains la question de l’accès aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) : en dehors de l’obstacle du prix, des résistances culturelles et psychologiques existent. Nous avons fait état dans le rapport d’une ou deux expériences d’EHPAD dédiés à ce public, qui n’ont guère été concluantes. Il en est ainsi de l’EHPAD de Colombes.

En ce qui concerne la restructuration des foyers, le plan de traitement des FTM a pris un retard considérable, en raison d’obstacles importants. D’abord, la réhabilitation se traduit par une augmentation significative de la surface des logements. Ensuite, se pose un problème de financement pour les gestionnaires, qui doivent rentabiliser leurs investissements. Enfin, on se heurte au montant de la redevance supportée par les résidents, du fait de la faiblesse de leurs revenus et de leur volonté de continuer à envoyer de l’argent dans leur pays d’origine. Les plafonds de redevance autorisés sont inabordables pour ces populations, aussi bien pour les personnes bénéficiant de l’APL que pour celles qui ne peuvent y prétendre au vu de leurs ressources, et dont le taux d’effort peut atteindre 40 %. Nous estimons que les loyers ne sont abordables que s’ils sont inférieurs de 20 % à ces plafonds.

Il y a donc un besoin de fonds gratuits importants. Les foyers que nous avons étudiés bénéficient d’un taux de subvention de 40 %. L’État apporte une aide dans le cadre du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) à hauteur de 25 %, avec parfois une subvention de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). On note également une mobilisation de plus en plus importante des collectivités territoriales, qui ont financé 17 % du coût des restructurations au cours des dernières années.

Nous avons proposé que ce plan de traitement, qui est ancien, soit réaffirmé par voie de circulaire, soutenu au plan national et étendu à l’ensemble des foyers nécessitant une adaptation. Il ne doit plus être limité à ceux qui se trouvent dans les situations les plus critiques.

À cet égard, l’inscription des foyers dans les territoires constitue un enjeu important. Historiquement, ces foyers ont été imposés aux collectivités territoriales – en tout cas, cela a été souvent vécu ainsi – et relégués aux frontières des villes, même si l’urbanisme s’est ensuite étendu. Mais les collectivités se sont plus fortement engagées en faveur des politiques de l’habitat et prennent globalement en compte ces questions. En tout état de cause, leur soutien est indispensable.

En outre, il y a lieu d’intégrer les besoins de ces populations dans les plans gérontologiques et l’ensemble des interventions sanitaires et sociales locales.

M. Bernard Devert, membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. La question du vieillissement au regard de l’habitat est marquée par des situations de rupture. Entre le foyer et l’EHPAD, il manque une solution intermédiaire. Lorsque le groupe iso-ressources (GIR) moyen pondéré (GMP) des résidents des foyers dépasse 300, il faut trouver aux plus dépendants une place ailleurs. Or, les EHPAD tendent à s’hospitaliser et à héberger des personnes en fin de vie, et de plus en plus d’entre eux refusent, à la demande des agences régionale de santé, d’accueillir des personnes dont le GMP est de 350 ou 400. Par ailleurs, peu d’EHPAD voient le jour, en dépit du vieillissement de la population. La personne, vivant dans un foyer, dont le GMP excède 300 est tenue de trouver un autre type d’établissement avant de pouvoir être éventuellement accueillie en EHPAD. Il faudrait par conséquent augmenter le niveau des GMP acceptés dans les foyers pour que les résidents puissent, lorsqu’ils doivent en sortir, entrer directement en EHPAD.

L’autre rupture tient à ce que, lorsque la personne immigrée entre dans ce type d’établissement, elle bénéficie de l’aide sociale et ne dispose donc plus que de 80 à 120 euros mensuels, ce qui l’empêche d’être financièrement solidaire de ses proches et peut la placer dans une certaine solitude.

M. le rapporteur. Sur 720 FTM, 320 ont été retenus dans le plan de traitement en 1997, leur transformation devant intervenir dans les cinq ans. Cet objectif n’a apparemment pas été atteint. Pouvez-vous revenir sur l’explication de cette situation ? De quelle manière a-t-on déterminé les foyers prioritaires, sachant que les FTM, qui recouvrent un patrimoine globalement ancien, sont caractérisés par des conditions de confort peu satisfaisantes ? Comment pourrait-on relancer la dynamique de réhabilitation ?

Se pose par ailleurs la question du droit des résidents et de leur participation à l’évolution du fonctionnement du foyer ou au projet de sa transformation en résidence sociale. Il semblerait que, dans certains foyers, les relations entre le bailleur Adoma et le résident soient difficiles, voire douloureuses, et qu’il ne soit pas aisé d’obtenir des réponses, des explications ou des interventions liées aux travaux d’entretien, à la sécurité, à des charges ou des augmentations de loyer.

Si la restauration du bâti doit rester un objectif prioritaire, il faut aussi prendre en compte les situations sociales et humaines et garantir à des personnes qui sont parfois au soir de leur vie un réel accompagnement.

Mme Hélène Geoffroy. Pouvez-vous préciser les difficultés auxquelles sont confrontées les populations d’origine subsaharienne ?

Par ailleurs, comment se fait l’inscription des résidents de FTM dans la vie locale ? Y a-t-il une volonté de favoriser cette intégration ? Le travail en partenariat se fait-il facilement en la matière ?

M. Pouria Amirshahi. Disposeriez-vous de données sociologiques sur les liens entre les immigrés âgés résidant en France et leur famille dans les pays d’origine ? Avez-vous des éléments sur les aides financières qu’ils accordent, sachant que le montant global de celles octroyées par les étrangers dans le monde représente plus de 600 milliards d’euros ? Peut-on opérer des ponctions sur ces flux en vue d’investir dans l’aide au développement ?

M. Philippe Vitel. Quelle place occupe la question des veuves dans votre analyse ? Quels problèmes particuliers soulève-t-elle ?

M. le président Denis Jacquat. L’augmentation du taux d’effort des résidents liée à la transformation des foyers en résidences sociales a-t-elle des effets négatifs ? Certains d’entre eux partent-ils ? Dans ce cas, où vont-ils ?

Quels sont précisément les problèmes liés à l’accès à l’aide à domicile ?

Enfin, dans les EHPAD, environ 73 % des résidents présentent des pathologies du type de la maladie d’Alzheimer : passer d’un foyer à ce type d’établissement peut donc constituer un changement terrible. Pouvez-vous préciser les résultats des expériences d’EHPAD spécifiques que vous avez évoquées ? Comment assurer les transitions entre le FTM et le nouvel établissement accueillant la personne âgée dépendante qui ne dispose pas du soutien de sa famille ?

M. Bernard Lacharme. La mise en œuvre du plan de traitement est confrontée à de nombreux obstacles : le fait de limiter à 150 logements un foyer qui en comportait 300 et hébergeait le double de personnes suppose de trouver de nouveaux terrains d’habitation, sachant que la municipalité où est situé le FTM peut souhaiter un partage des responsabilités avec les autres collectivités – ce qui n’est pas facile à arbitrer. C’est la raison pour laquelle nous préconisons d’approfondir les relations avec les collectivités territoriales, même si elles n’ont pas été associées au départ, il y a quarante ans, lors de la construction des foyers. Il faut aussi tenir compte des maîtres d’ouvrage – je pense notamment à Adoma –, qui doivent consentir une mise de fonds propres. Enfin, certains ont peur de réaliser des opérations ne rencontrant pas l’adhésion des intéressés, en raison de l’augmentation du coût de la redevance. On nous a parlé de personnes demandant à intégrer un autre foyer n’ayant pas fait l’objet d’une réhabilitation pour éviter cet inconvénient.

M. le président Denis Jacquat. Dans un FTM, l’accès à l’aide sociale est limité, alors que, dans un EHPAD, si l’on a peu de revenus, on peut être pris en charge entièrement par le département.

M. Bernard Lacharme. Il faut que l’État réaffirme la priorité accordée à la redynamisation du plan – il mobilise d’ailleurs des crédits dans le cadre des PLAI notamment – et que cette politique soit prise en compte dans les documents des programmes locaux de l’habitat (PLH) et des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD).

Or, on a supprimé la prime à l’amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale (PALULOS), qui permettait de subventionner les réhabilitations. Quand celles-ci sont suffisamment lourdes, on peut les assimiler à de la reconstruction et bénéficier des PLAI, mais, pour des opérations plus légères, on ne dispose pas d’aides de l’État.

S’agissant des droits des résidents, j’ai le sentiment que l’on a progressé – je crois que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 a créé un contrat de résidence. Toutefois, certains règlements intérieurs – qui sont nécessaires pour les habitats collectifs – seraient abusifs, même si les gestionnaires ont dit que ce problème était réglé. Nous avons préconisé qu’il y ait une charte nationale de bonne conduite pour ces règlements, sachant qu’il faut aussi tenir compte des contraintes spécifiques des bâtiments.

Par ailleurs, si la politique conduite tend à transformer les FTM en résidences sociales, celles-ci présentent beaucoup d’ambiguïtés – en particulier le fait de servir de logement temporaire. Les contrats de résidence sont valables un mois, renouvelable par tacite reconduction. Or, on ne peut y mettre fin que si l’occupant ne remplit plus les conditions d’accès, qui sont généralement satisfaites à vie, car il y a peu de chances que celui-ci dépasse le plafond de ressources. Ces contrats ne présentent donc pas d’insécurité pour les immigrants âgés : ce n’est le cas que pour les nouveaux publics. On peut s’interroger à cet égard sur l’opportunité d’installer ceux-ci dans des logements provisoires. Je note que, dans les pensions de famille, il est prévu que les résidents peuvent rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent.

En ce qui concerne la participation des résidents aux évolutions du foyer, des instances de concertation existent. Tout dépend de leur bon fonctionnement.

M. le rapporteur. Les conseils de résidents ou de concertation ne permettent pas d’avoir un dialogue fluide. Dans le logement social traditionnel, il n’est pas toujours simple pour des locataires d’obtenir des réparations ou des améliorations : la situation est encore plus difficile dans les FTM, qui se trouvent dans des bâtiments anciens qui présentaient dès l’origine des conditions de confort médiocres. On imagine les problèmes auxquels peuvent être confrontées les personnes âgées, parfois en mauvaise santé, habitant dans des immeubles de plusieurs étages sans ascenseur. Le sentiment de ne pouvoir dialoguer librement avec le bailleur aggrave encore l’isolement et l’impression d’être relégué.

Quant aux règlements intérieurs, parfois ils ont vingt ou trente ans et sont appliqués à la lettre, avec des horaires très stricts, pouvant donner lieu à des rappels à l’ordre. Les bailleurs ont donc un sérieux travail à faire dans ce domaine.

M. Bernard Devert. 65 % des résidents des EHPAD ont des dégénérescences cérébrales ou syndromes apparentés et peu sont d’origine maghrébine. Il y a une sorte de blocage en la matière et la mixité est quasiment inexistante dans ces établissements. À cet égard, on pourrait inciter les collectivités territoriales à faire en sorte que les lits éligibles à l’aide sociale représentent un certain pourcentage, affecté en priorité aux personnes d’origine étrangère.

M. le président Denis Jacquat. Cela relèverait alors du conseil général, qui est compétent pour définir les plans gérontologiques : il pourrait le prévoir dans ses contrats d’objectifs et les conventions qu’il signe. On sait bien que des sélections se font à l’entrée des EHPAD : étant donné que le taux d’encadrement est extrêmement limité, certains prennent des personnes peu dépendantes – ayant un GIR 5 ou 6 –, dont ils savent qu’elles le seront beaucoup plus quelques années après.

M. Bernard Devert. Cela est de moins en moins possible : les agences régionales de santé veillent, à juste titre, à éviter ce type de dérives et elles font parfois de sévères rappels à l’ordre. À Lyon, nous avons essayé de faire en sorte que les résidents d’un domicile collectif, dont nous assurions la gestion et qui accueillait essentiellement des immigrés âgés, viennent prendre leurs repas dans un EHPAD appartenant à la ville : nous nous sommes heurtés à un refus à la fois de la part de cet établissement et des personnes en question, qui n’avaient pas l’impression d’être à leur place. Si l’on veut que les immigrés âgés intègrent les EHPAD, il faut faire un travail d’accompagnement et leur réserver un lieu où ils pourraient retrouver leurs racines culturelles.

M. le président Denis Jacquat. Voulez-vous dire que l’immigré âgé très dépendant – avec un GIR 1 ou 2 – reste en FTM en étant pris en charge par ses amis vivant sur place ?

M. Bernard Devert. Oui, mais on nous dit que son état de dépendance est tel qu’il ne peut demeurer dans ce foyer. Et nous sommes contraints de le placer dans un logement classique autonome avec des services qui coûtent cher. La réglementation des foyers doit donc être revue au regard de la prise en charge des personnes dépendantes.

M. le président Denis Jacquat. À défaut, le problème ne pourrait que s’accentuer.

M. Bernard Lacharme. Nous avons proposé de rendre possible le maintien en foyer de personnes ayant un GMP supérieur à ce qui est possible aujourd’hui. Il est choquant d’obliger une personne à aller dans d’autres structures alors qu’elle désire rester dans son foyer et que celui-ci est prêt à la garder. Alors qu’on souhaite permettre aux personnes même très dépendantes de demeurer dans leur logement, il est paradoxal que, lorsqu’il s’agit d’un foyer, on veuille les en empêcher !

M. le président Denis Jacquat. Il faudra proposer à Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de la dépendance, de revoir ces règles d’hébergement dans le cadre du texte en préparation sur la perte d’autonomie.

M. Bernard Lacharme. Nous demandons aussi une remise à plat de la prise en charge de la dépendance dans les EHPAD, dans la mesure où l’on fait supporter au tarif dit « d’hébergement » des dépenses de restauration ou d’animation qui sont liées à la dépendance. Il doit y avoir, à côté du tarif de soins, un tarif de logement relevant de l’APL et une partie liée à la perte d’autonomie.

Il existe trois formes de solidarité à cet égard, dont les règles doivent être redéfinies : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), qui tient peu compte des ressources ; des aides fiscales, qui bénéficient aux personnes les plus aisées ; et l’aide sociale à l’hébergement, destinée à des personnes ayant de faibles ressources, mais à laquelle beaucoup évitent d’avoir recours en raison des contraintes liées à la mise en jeu de l’obligation alimentaire des enfants et aux récupérations sur les successions.

M. le président Denis Jacquat. L’aide sociale peut intervenir concernant l’hébergement et la partie médicale. Quant à la récupération sur les successions, elle a été supprimée, ce qui a donné lieu à beaucoup de discussions.

Par ailleurs, il faut bien distinguer l’immigré logé en foyer et celui résidant en habitat diffus.

Messieurs, je vous remercie.

Enfin, la mission d’information entend Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, accompagnée de Mme Anne du Quellennec, juriste au sein des services du Défenseur des droits.

M. le président Denis Jacquat. Prévu à l’article 71-1 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 le Défenseur des droits est une autorité constitutionnelle indépendante, chargée de veiller à la protection des droits et libertés et de promouvoir l’égalité. Il exerce les missions auparavant dévolues au Médiateur de la République, au Défenseur des enfants, à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et à la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Le Défenseur des droits combat les inégalités fondées à partir des dix-neuf critères prohibés par la loi, dont fait partie l’origine, dans le domaine de l’emploi, du logement, de l’éducation et de l’accès aux biens et services. La Mission a souhaité entendre le Défenseur des droits à propos des discriminations dont font parfois l’objet les immigrés, et notamment les immigrés âgés, auxquels elle s’intéresse en priorité.

Mme Maryvonne Lyazid, adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité. Je vous remercie de permettre au Défenseur des droits de contribuer à vos travaux. Nous le faisons au titre de deux de nos missions : la défense des droits et des libertés des citoyens dans le cadre de leurs relations avec l’administration et la lutte contre les discriminations.

Nous évoquerons les obstacles rencontrés par les immigrés âgés dans cinq domaines : l’accès aux soins ; l’acquisition de la nationalité française ; l’accès aux droits sociaux ; le droit de mener une vie familiale normale ; la possibilité de bénéficier d’une sépulture conforme à leurs convictions religieuses.

Premièrement, en matière de santé et d’accès aux soins, les immigrés âgés cumulent plusieurs facteurs de vulnérabilité. Il en résulte une surmortalité chez les moins de soixante-dix ans, un état de santé dégradé et des souffrances psychiques pour nombre d’entre eux, ainsi qu’une dépendance plus précoce. D’après les chiffres de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), les immigrés âgés ne consomment pas plus de soins que le reste de la population, mais y renoncent plus fréquemment.

En effet, le montant de l’ASPA – la prestation différentielle que perçoivent majoritairement les immigrés âgés – est supérieur au plafond de ressources applicable pour l’attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Quant à l’aide à l’acquisition d’une assurance complémentaire santé (ACS), elle est difficilement accessible aux immigrés âgés. De ce fait, ils sont souvent dépourvus de couverture maladie complémentaire.

Le Défenseur des droits recommande d’engager une réflexion, d’une part, sur les moyens de faciliter l’accès des immigrés âgés à l’ACS et, d’autre part, sur la possibilité d’exempter les bénéficiaires de l’ASPA résidant depuis plus de dix ans sur le territoire national de la condition de ressources susmentionnée.

S’agissant, deuxièmement, de l’acquisition de la nationalité française, la condition d’insertion professionnelle, qui se traduit par l’exigence de ressources au moins égales au SMIC, constitue un premier obstacle. Si elle peut se comprendre pour les immigrés âgés de moins de soixante ans, elle pose, au-delà de cet âge, une difficulté aux bénéficiaires de l’ASPA, dont le montant est largement inférieur au SMIC.

La condition d’assimilation à la communauté française, qui se traduit par l’exigence d’une bonne connaissance de la langue et d’une connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société françaises, représente un obstacle supplémentaire, difficile à surmonter pour certains immigrés très âgés, en particulier pour ceux d’entre eux qui sont illettrés.

Le Défenseur des droits recommande de faciliter l’acquisition de la nationalité française par les étrangers qui résident régulièrement en France depuis longtemps. Nous soutenons, à cet égard, la proposition de loi déposée par M. Jean-Christophe Lagarde, qui consiste à accélérer la procédure de traitement des demandes de naturalisation des étrangers présents depuis plus de dix ans en France. En outre, la condition de ressources pourrait être assouplie pour les étrangers âgés bénéficiaires de l’ASPA résidant sur le territoire national depuis plus de dix ans.

Troisièmement, la problématique de l’accès aux droits sociaux, en particulier à l’ASPA, est particulièrement complexe.

Une condition de résidence – ou « stage » – préalable a été imposée en 2006 aux bénéficiaires de l’ASPA et renforcée depuis : elle est portée de cinq à dix ans à partir de cette année. De plus, la résidence doit être attestée par la possession de titres de séjour autorisant à travailler pendant la durée correspondante. Il est difficile aux immigrés âgés de remplir ces deux exigences cumulées. Si elles peuvent se comprendre pour ceux qui ont moins de soixante ans, on peut s’interroger sur leur bien-fondé au-delà.

Le Défenseur des droits recommande d’engager une réflexion sur la cohérence du dispositif et de veiller à ce que ne soit imposée aucune condition excessive au regard de l’objectif de l’ASPA – assurer une forme de « minimum vieillesse » aux personnes âgées résidant régulièrement en France –, qui serait dès lors discriminatoire.

Par ailleurs, la HALDE et le Défenseur des droits ont relevé, respectivement dans deux délibérations d’avril et de septembre 2009 et dans une décision de 2012, des pratiques discriminatoires : appréciation restrictive de la condition de résidence par les organismes de sécurité sociale ; modalités de calcul contestables du montant des prestations ; absence d’information des intéressés ; ciblage des contrôles sur les personnes âgées résidant dans les foyers de travailleurs migrants ; contrôles peu respectueux des personnes, notamment lorsque les contrôleurs d’organismes de sécurité sociale exigent la présentation d’un passeport, alors qu’ils n’en ont pas le droit.

Toutes ces restrictions trouvant leur origine dans la condition de résidence sur le territoire français, le Défenseur des droits recommande de lancer une réflexion sur la portabilité de certains droits sociaux, en particulier l’ASPA.

Enfin, la possession par les étrangers de la carte de séjour portant la mention « retraité » – créée en 1998 à la suite du « rapport Weil », dans l’intention louable de faciliter la libre circulation de ces personnes entre la France et le pays d’origine – a pour effet de transférer leur résidence dans leur pays d’origine et, de ce fait, de les priver de l’accès aux droits sociaux soumis à condition de résidence en France : ASPA, revenu de solidarité active (RSA), APL, assurance maladie. Il convient d’engager une réflexion approfondie et urgente à son sujet, d’autant que nous sommes saisis de nombreuses réclamations la concernant. D’après les chiffres du ministère de l’intérieur, seules 14 000 cartes « retraité » auraient été délivrées, mais les préfectures inciteraient les immigrés âgés à y recourir, d’après les nombreux témoignages d’associations reçus par le Défenseur des droits

Quatrièmement, le droit de mener une vie familiale normale découle de textes européens, en particulier de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les immigrés âgés de moins de soixante ans bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) subissent une discrimination en matière de regroupement familial, dans la mesure où le montant de cette allocation est inférieur au SMIC, seuil de ressources exigé pour en bénéficier.

À soixante ans, les bénéficiaires de l’AAH deviennent généralement allocataires de l’ASPA et ne peuvent pas davantage, pour les mêmes raisons, bénéficier du regroupement familial. Ils subissent dès lors une double discrimination : à raison du handicap et de l’âge. Nous sommes, là aussi, saisis de nombreuses réclamations à ce sujet.

En sus, le regroupement familial est systématiquement refusé aux Algériens se trouvant dans cette situation, du fait des stipulations de l’accord franco-algérien de 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles.

Cinquièmement, en ce qui concerne les obstacles au bénéfice d’une sépulture conforme aux convictions religieuses, le Défenseur des droits a publié, le 29 octobre 2012, un rapport relatif à la législation funéraire. Nos services chargés de la médiation avec les services publics sont régulièrement saisis de demandes à ce sujet. La pratique est en contradiction avec les textes : malgré la position exprimée en 2004 par le Conseil d’État dans son rapport public sur la laïcité, le ministère de l’intérieur a incité les maires à créer des espaces confessionnels dans les cimetières publics.

En outre, comme l’a indiqué Mme Claudine Attias-Donfut lors d’un colloque national sur ce thème, seuls 5 % des immigrés âgés de confession musulmane souhaitent être inhumés dans leur pays d’origine. Le Défenseur des droits recommande d’anticiper cette demande croissante de sépultures conformes aux convictions religieuses. Il reprend à son compte le constat formulé en 2003 par la « commission Stasi » sur l’application du principe de laïcité et recommande d’engager une réflexion avec toutes les parties intéressées.

M. le rapporteur. Votre exposé reprend les principaux points soulevés au cours des auditions que nous menons. Il laisse penser que le nombre de réclamations augmente. Est-ce bien le cas ? Pourriez-vous nous préciser la manière dont il évolue ?

Plusieurs auditions nous ont fait prendre conscience des difficultés éprouvées par les immigrés âgés pour accéder aux administrations et communiquer avec elles. Comment trouvent-ils le chemin du Défenseur des droits ? Vous semblez jouer un rôle important dans l’accompagnement de ce public. Prenez-vous en compte ses spécificités lorsque vous recueillez ses demandes ? Êtes-vous saisis plutôt par les associations ou par les familles ?

S’agissant de l’acquisition de la nationalité française, en quoi améliorerait-elle la situation des immigrés âgés ? Convient-il, selon vous, d’en modifier les conditions ? Il est sans doute moins compliqué d’intervenir dans ce domaine que dans celui des droits sociaux
– où l’on constate des effets de seuils, des contradictions entre dispositions juridiques. En outre, s’agissant de personnes qui, pour la plupart, résident en France depuis plus de vingt ans et ont eu des carrières longues, une simplification des conditions d’acquisition de la nationalité s’imposera d’elle-même, si l’on réalise qu’elle est dans leur intérêt.

Vous avez évoqué les difficultés d’accès aux droits sociaux. Une part d’entre elles semble relever d’un déficit d’information et de la méconnaissance de dispositifs déjà complexes pour des ayants droit maîtrisant parfaitement le français. Comment améliorer l’information ? Quelles sont vos préconisations à l’égard des organismes de sécurité sociale ? Certaines caisses prennent, en la matière, des initiatives, qui demeurent cependant locales.

M. Philippe Vitel. Vous avez évoqué les difficultés qu’éprouvent les immigrés âgés pour bénéficier de la CMU-C. Pouvez-vous préciser ce point ? Le respect du plafond de ressources est une des conditions d’accès à la CMU-C et je vois mal comment nous pourrions faire évoluer cette règle.

Mme Hélène Geoffroy. Vous avez évoqué les inconvénients liés à la délivrance de la carte de séjour portant la mention « retraité ». Préconisez-vous de la supprimer ?

Vous avez mentionné la situation particulière des Algériens au regard de l’AAH. Pouvez-vous la décrire précisément ?

Je déduis, du chiffre que vous avez cité, que 95 % des immigrés âgés souhaitent être inhumés en France. Est-ce bien le cas ?

Mme Maryvonne Lyazid. Oui, c’est bien le cas.

Je ne suis pas en mesure de vous communiquer de chiffres précis concernant les saisines. Nous le ferons ultérieurement.

D’une manière générale, nous sommes constamment alertés sur la situation des immigrés âgés. Nous disposons, à cet égard, de trois sources d’information.

Premièrement, dans le cadre de notre mission de médiation avec les services publics, les délégués du Défenseur des droits – ils sont plus de quatre cent cinquante, répartis dans l’ensemble des départements français – nous font remonter de nombreux cas concrets. C’est vers eux que se tournent en priorité les associations qui accompagnent les immigrés âgés.

Deuxièmement, nous sommes régulièrement saisis de réclamations individuelles dans le cadre de notre mission de lutte contre les discriminations. Les deux délibérations de la HALDE et la décision du Défenseur des droits que j’ai citées sont le fruit de la saisine d’une seule personne, mais dont le cas était emblématique. En général, ces cas sont portés à notre connaissance par le mouvement associatif. Dans l’affaire des contrôles excessifs intervenus dans la région de Toulouse, plus de quatre-vingts personnes étaient concernées, mais nous n’avons travaillé que sur la situation d’une seule personne. Ainsi le veulent les règles juridiques qui encadrent notre action.

Troisièmement, le Défenseur des droits a également pour mission de promouvoir les droits et l’égalité. À ce titre, nous travaillons de manière préventive avec les associations et apportons notre contribution à des colloques – l’un des derniers a porté sur l’accès aux soins et aux droits sociaux –, qui constituent également pour nous une source d’information.

Mme Anne du Quellennec, juriste au sein des services du Défenseur des droits. En principe, l’acquisition de la nationalité française ne présente pas d’intérêt en matière d’accès aux droits sociaux, lequel n’est plus soumis à une condition de nationalité depuis 1998. Cependant, dans les faits, les obstacles qui résultent de l’application d’autres critères, en apparence objectifs, concernent bien plus durement les étrangers que les nationaux.

L’acquisition de la nationalité n’est pas nécessairement une revendication unanime des immigrés : elle demeure une question de choix individuel. Quoi qu’il en soit, elle peut avoir des effets importants, dans la mesure où elle fait tomber toute une série d’obstacles à l’accès aux droits sociaux même quand ils ne sont pas soumis, en théorie, à une condition de nationalité.

Mme Maryvonne Lyazid. Vous avez relevé à juste titre, monsieur le rapporteur, le déficit d’information. Les immigrés âgés sont confrontés à des dispositifs complexes, déjà difficiles à appréhender pour les nationaux. Ils ont souvent besoin d’un accompagnement, que fournissent les services d’accueil des organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et les associations.

La problématique des immigrés âgés, auparavant traitée exclusivement par des associations spécialisées, est devenue plus visible. Les schémas gérontologiques départementaux prennent désormais en compte leurs besoins spécifiques, tant à domicile que dans les établissements d’accueil, et abordent la question de leurs droits. Les études en cours sur les raisons pour lesquelles certains publics renoncent à leurs droits s’intéressent aux immigrés âgés et à leurs difficultés propres : maîtrise de la langue française, réticence à faire appel aux services sociaux, etc.

Il convient de réfléchir à la manière dont les organismes de sécurité sociale pourraient aller au-devant de ce public particulier, en s’appuyant sur les réseaux d’accès au droit, les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants et les associations compétentes en matière de gérontologie. Ce travail reste à faire.

Mme Anne du Quellennec. De nombreux facteurs expliquent le renoncement aux soins par les immigrés âgés : les barrières culturelles, linguistiques ou autres. Le premier d’entre eux est cependant l’absence de couverture maladie complémentaire. Celle-ci tient au fait que les immigrés âgés sont majoritairement bénéficiaires de l’ASPA, dont le montant, quoique faible, est supérieur au plafond de ressources applicable pour l’attribution de la CMU-C. Quant au dispositif de l’ACS, il demeure sous-utilisé par les personnes qui y sont éligibles, quelle que soit leur nationalité.

M. Philippe Vitel. Nous dénonçons cette situation depuis des années : on a créé un dispositif que personne n’utilise. Cela soulève de nouveau la question de l’information. Je suis choqué par le nombre de dispositifs mis en place et l’absence d’articulation entre eux. Les associations spécialisées dans l’accompagnement de tel ou tel public ont certainement une valeur ajoutée. Mais il convient d’adopter une approche plus transversale et de trouver un nouvel équilibre.

Mme Anne du Quellennec. L’ACS constitue une aide pour financer une mutuelle privée. Or, il n’est pas simple à un immigré âgé de prospecter le marché des mutuelles et d’accomplir les démarches nécessaires pour obtenir le remboursement de la cotisation ou un chèque de participation.

M. le président Denis Jacquat. Nous avons pourtant mis en place, il y a quelques années, une aide financière qui tient compte du revenu des personnes.

Mme Maryvonne Lyazid. Pour ce qui est de la carte de séjour portant la mention « retraité », il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité de sa suppression. Nous proposons qu’une réflexion approfondie soit lancée. Il convient, à tout le moins, que les préfectures fournissent une information précise aux personnes à qui elles proposent de délivrer cette carte : elles doivent appeler leur attention sur les conséquences en matière d’accès aux droits sociaux, en particulier à l’assurance maladie.

Mme Anne du Quellennec. La carte de séjour portant la mention « retraité » implique le transfert de la résidence à l’étranger. Tous les droits soumis à condition de résidence deviennent, dès lors, inaccessibles. Tel est le principe qui a été posé par la loi en 1998. Une ouverture, très restrictive, existe cependant en matière d’assurance maladie : les immigrés âgés détenteurs de la carte de séjour portant la mention « retraité » ont droit au remboursement des soins immédiats, c’est-à-dire inopinés – qu’il convient de distinguer des soins urgents, toute pathologie connue ou déclarée antérieurement au séjour en France étant exclue –, à condition de pouvoir se prévaloir d’une durée d’assurance d’au moins quinze ans en France.

Les étrangers résidant régulièrement en France ont, eux, accès à l’assurance maladie dans les mêmes conditions que les Français.

L’impossibilité d’accéder aux droits sociaux pour les détenteurs de la carte de séjour portant la mention « retraité » a fait l’objet de nombreux contentieux. Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a estimé que la possession de ladite carte ne constituait qu’une présomption simple de non-résidence en France. Dès lors, les caisses de sécurité sociale devaient vérifier concrètement si la personne avait résidé ou non le temps nécessaire – généralement, six ou huit mois selon le dispositif – pour bénéficier d’une prestation.

Tirant les conséquences de cette jurisprudence, la CNAV et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ont, par le biais de circulaires, donné instruction aux caisses de ne pas refuser de prestations aux personnes qui présentent une carte de séjour portant la mention « retraité » au motif qu’elles auraient transféré leur résidence dans un autre pays. De notre point de vue, il n’est pas satisfaisant que des circulaires contredisent l’esprit de la loi, même dans un sens plus favorable. La loi devrait elle-même reprendre la règle fixée par la jurisprudence.

Par ailleurs, rien n’a changé en matière d’assurance maladie : les détenteurs de la carte de séjour portant la mention « retraité » n’y ont accès que dans les conditions très restrictives susmentionnées, pendant toute la durée de leur séjour – une année ininterrompue au maximum – en France. Dans les faits, cela réduit considérablement l’intérêt de cette carte.

Mme Maryvonne Lyazid. Nous appelons votre attention sur le caractère potentiellement discriminatoire des refus de regroupement familial opposés aux bénéficiaires de l’AAH, au motif qu’ils ont des revenus inférieurs au plafond de ressources exigible. Ces refus se fondent, de fait, sur un critère prohibé : le handicap. Lorsque, après soixante ans, la personne handicapée perçoit non plus l’AAH, mais l’ASPA, le problème reste le même et les refus de regroupement familial constituent alors une double discrimination : à raison du handicap et de l’âge.

Mme Anne du Quellennec. À partir de 2006, la HALDE a préconisé d’exempter les bénéficiaires de l’AAH de la condition de ressources exigée pour le regroupement familial. La loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile dite « loi Hortefeux » l’a fait au profit des bénéficiaires de l’AAH atteints d’une incapacité dont le taux est au moins égal à 80 %. La HALDE, puis le Défenseur des droits, ont estimé qu’il s’agissait d’une avancée incomplète.

D’une part, le problème reste entier pour les bénéficiaires de l’AAH atteints d’une incapacité dont le taux est inférieur à 80 %. S’ils perçoivent l’AAH, cela signifie qu’une commission départementale a reconnu qu’ils subissent une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi. Ils ne sont donc guère en mesure de travailler.

D’autre part, la « loi Hortefeux » n’a rien changé à la situation des Algériens bénéficiaires de l’AAH : la condition de ressources continue à s’appliquer à eux, même s’ils sont atteints d’une incapacité dont le taux est supérieur ou égal à 80 %. En effet, les Algériens sont soumis, non pas au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, mais à l’accord franco-algérien de 1968, qui impose cette même condition de ressources.

Nous sommes régulièrement saisis de réclamations concernant des refus de regroupement familial opposés au motif que la condition de ressources n’est pas respectée.

M. le président Denis Jacquat. Nous rencontrons souvent un autre problème : lorsque les personnes handicapées sont atteintes d’une incapacité dont le taux est inférieur à 80 %, tous les départements n’en tirent pas les mêmes conséquences.

M. le rapporteur. Les auditions nous ont fourni très peu d’éléments de politique comparée. Comment nos voisins européens abordent-ils la question des discriminations à l’égard des immigrés, en particulier des immigrés âgés ? Connaissez-vous les dispositifs en vigueur chez eux – notamment en Allemagne et au Royaume-Uni ?

Certains choix ont été spécifiques à la France : l’hébergement des travailleurs migrants dans des foyers particuliers, situés à l’écart des centres villes et au niveau de confort très inférieur aux standards en vigueur ; les conditions imposées pour l’accès aux droits sociaux, dont nous avons vu les conséquences. Savez-vous ce qu’il en est sur ces deux aspects dans d’autres pays ?

M. le président Denis Jacquat. Sauf erreur, vous avez travaillé auparavant, madame Lyazid, pour le Conseil de l’Europe ?

Mme Maryvonne Lyazid. Dans le cadre de mes fonctions au Conseil de l’Europe, j’ai en effet été amenée, en 1998, à travailler à des éléments de programme avec la Commission européenne. Cependant, la problématique des immigrés âgés n’avait pas encore vraiment émergé. Elle l’a fait progressivement : les premiers travaux la concernant remontent à 1983 ; les premières alertes, lancées par les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants, à 1992 ; le premier schéma gérontologique départemental l’intégrant – celui du Haut-Rhin – à l’année 2000. Elle fait aujourd’hui l’objet d’une approche globale – soins, droits sociaux, isolement.

Lorsque je travaillais pour le Centre des études européennes de Strasbourg, nous avons eu le projet d’organiser un colloque européen sur les immigrés âgés en 2002, mais n’avons pas pu le conduire à terme. L’accueil des travailleurs migrants – en particulier les formes d’hébergement – relève en effet, dans chaque pays européen, de spécificités culturelles très marquées.

Pas plus que la HALDE avant lui, le Défenseur des droits ne dispose d’éléments de comparaison avec les autres pays européens en la matière. La question n’a pas été abordée non plus, à ce stade, dans le cadre du réseau européen des organismes de lutte contre les discriminations auquel nous appartenons, dans la mesure où elle concerne avant tout les pays de « vieille immigration » : France, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni. Des études comparatives seraient pourtant utiles.

La séance est levée à seize heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 7 février 2013 à 14 heures

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Alexis Bachelay, Mme Hélène Geoffroy, M. Denis Jacquat, M. Philippe Vitel

Excusés. - M. Philippe Bies, M. Matthias Fekl