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Mission d’information sur les immigrés âgés

Jeudi 14 février 2013

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Denis Jacquat,

Auditions, ouvertes à la presse, de

– M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), de M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale, et de M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement

– M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), et de M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, responsable du service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA)

– M. Omar Samaoli, gérontologue

– Présences en réunion

La séance est ouverte à quatorze heures.

La mission d’information entend d’abord M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale, et M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons aujourd’hui M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale, et M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement, accompagnés de M. Pierre Gallet, élève de l’École nationale supérieure de sécurité sociale.

La CNAV et son réseau régional gèrent la retraite obligatoire de base des salariés de l’industrie, du commerce et des services, soit, en 2011, 69 % des actifs et plus de 13 millions de cotisants.

La très grande majorité des immigrés âgés qui ont acquis des droits à une retraite contributive relève du régime général mais vous pourrez également préciser vos relations, en la matière, avec les régimes complémentaires obligatoires ainsi qu’avec le régime agricole, celui des indépendants, ou certains régimes spéciaux plus particulièrement concernés, tel celui des mines. Je précise que nous entendrons tout à l’heure le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de la Caisse des dépôts et consignations, qui verse l’allocation de solidarité aux personnes âgées – l’ASPA – aux personnes qui n’ont acquis aucun droit auprès d’un régime de retraite, alors que vous-mêmes êtes amenés à verser l’ASPA différentielle aux personnes ayant obtenu de faibles droits à une retraite contributive.

Les sujets qui relèvent du champ des travaux de notre Mission vous sont familiers. La CNAV a mené au début de la décennie 2000 une grande enquête sur le passage à la retraite des immigrés, dont le champ recouvrait cependant à la fois les immigrés européens et ceux provenant des pays tiers. Il en est résulté une étude importante, à laquelle M. Gallou a contribué, en s’intéressant à la spécificité des immigrés isolés résidant en foyer de travailleurs migrants. Il serait utile de savoir comment la situation a évolué depuis lors.

M. Pierre Mayeur, directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. La CNAV, qui gère le régime des salariés du secteur privé, est le premier opérateur de la retraite en France. Sans vous accabler de chiffres, cela représente grosso modo 100 milliards d’euros de prestations et 13 millions de retraités. La CNAV est à la fois caisse nationale et caisse compétente pour l’Île-de-France, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) étant compétentes pour les autres régions.

Nous nous réjouissons qu’une mission parlementaire soit consacrée au sujet des immigrés âgés, qui est rarement appréhendé dans sa globalité.

En tant que régime général de la sécurité sociale, le sujet nous intéresse pour trois raisons principales.

Premièrement, la CNAV consacre une partie de son activité de recherche à la population immigrée vieillissante. Elle dispose en effet d’une unité de recherche sur le vieillissement, longtemps sous la responsabilité de Mme Claudine Attias-Donfut. Cette unité a effectué un travail pionnier sur cette population au travers de trois thèmes distincts : l’enracinement, à partir d’une démarche quantitative de grande ampleur, réalisée en partenariat avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sur la base d’un échantillon de 6 500 personnes – qui a permis de montrer que le retour au pays était tout sauf une évidence ; les foyers de travailleurs migrants ; la population originaire d’Afrique subsaharienne.

Ces travaux de recherche se justifient par eux-mêmes ; ils représentent une source précieuse et unique. Ils ont conforté plusieurs constats sur les difficultés rencontrées par les personnes immigrées âgées : isolement, méconnaissance des prestations, précarité du logement, difficultés d’accès aux soins. Ils nous permettent également d’améliorer notre service public en matière de retraite et d’action sociale.

Deuxièmement, en tant que caisse de retraite, nous sommes responsables du paiement à bon droit des pensions. Nous attribuons des droits à retraite, notamment l’ASPA, soumise à des conditions de ressources, de résidence et de régularité du séjour. Celles-ci n’ont pas été fixées par la CNAV, qui est un opérateur, mais par les pouvoirs publics.

Sur les 422 000 bénéficiaires de l’ASPA relevant du régime général, la population immigrée âgée est importante : 162 000, soit près de 40 %, sont nés à l’étranger. Parmi ceux-ci, plus de 60 % sont nés au Maghreb – en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Je tiens à préciser que nous ne faisons pas figurer la nationalité dans nos fichiers ; nous ne connaissons que le pays de naissance.

Á partir du moment où une prestation est sous condition de ressources et de résidence, déterminées par les pouvoirs publics, il apparaît logique qu’il existe des contrôles. Mais je sais que nous pouvons parfois être critiqués sur ce point.

Nous avons deux types de contrôles : un contrôle systématique des non-résidents fiscaux en France, sur la base de questionnaires adressés aux retraités ; et des contrôles anti-fraudes, ciblés selon plusieurs critères : le nombre d’assurés résidant à une même adresse, le libellé de l’adresse, la déclaration de soin à l’étranger. En aucun cas, nous n’utilisons le critère de la nationalité, simplement parce que le système d’information de la branche retraite ne le permet pas, conformément à la réglementation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Sur les contrôles nécessitant une enquête et un déplacement sur place, le pourcentage des dossiers contrôlés chaque année s’élève à moins de 1 % du stock total des avantages non contributifs. Nous avons effectué 3 656 contrôles de lutte contre la fraude sur la condition de résidence en 2011 et avons détecté 250 cas de fraude.

Nos chiffres n’attestent pas d’un déséquilibre dans la répartition des contrôles ni d’un quelconque ciblage sur les foyers des travailleurs migrants.

Les remontées « métier » font apparaître une incompréhension des droits, avec une confusion entre la pension de retraite contributive et l’ASPA, qui est non contributive et repose donc sur des conditions différentes. Nous nous sommes donc efforcés de mieux expliquer la législation retraite, en revoyant notre brochure Les allocations du minimum – à la demande d’administrateurs de la CNAV – ou en participant à la rédaction du Guide du retraité étranger, en partenariat avec l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) et la direction de l’accueil et de l’intégration (DAIC) du ministère de l’intérieur. Ce guide est destiné aux personnes travaillant dans les structures de prise en charge des travailleurs migrants âgés.

Troisièmement, la population âgée immigrée fait partie des populations âgées précaires qui constituent aujourd’hui la cible de notre action sociale.

La politique d’action sociale nationale a été nourrie par les travaux de recherche sur les enjeux liés à une meilleure prise en charge de la population immigrée âgée, à savoir l’accès aux soins, l’accès à l’information et l’amélioration des conditions de vie. Avec la Caisse nationale de l’assurance maladie, nous avons défini le plan de préservation de l’autonomie des personnes âgées (PAPA), dont un volet particulier vise à mieux prendre en compte les difficultés de cette population. Notre offre de services est déclinée sur quatre aspects : l’accès aux droits et l’accès aux soins, les actions sous forme d’ateliers adaptés pour favoriser une prise de conscience sur les enjeux liés au « bien vieillir », l’aide au maintien à domicile et l’amélioration du cadre de vie.

L’accès aux droits et l’accès aux soins passe à la fois par l’information des professionnels relais – agents de médiation, agents de développement local d’intégration (ADLI), référents opérationnels des foyers ou résidences sociales – et l’information collective, avec l’intervention d’acteurs de la santé et de la retraite au sein des foyers de travailleurs migrants. L’objectif est d’organiser des ateliers collectifs sur les thèmes essentiels du « bien vieillir » – nutrition, équilibre, mémoire –, comme nous le faisons pour tous les retraités du régime général.

Nous souhaitons développer également les aides individuelles – aides au maintien à domicile et aide à l’amélioration du cadre de vie pour les espaces individuels –, mais sous la forme d’un financement collectif directement versé aux foyers. Nous expérimentons cet axe d’intervention aujourd’hui dans la région Sud-Est. La CNAV apporte également des prêts visant à financer des plans d’amélioration d’espaces collectifs. Dans le cadre de l’enveloppe « lieux de vie collectifs », 7,7 millions d’euros ont été accordés sous forme de prêts entre 2009 et 2012 afin d’aider les gestionnaires de foyers à adapter des espaces collectifs au vieillissement de leurs résidents.

Enfin, nous encourageons, à travers le plan PAPA, les caisses de retraite de notre réseau à développer des actions de coopération avec l’ensemble des acteurs, dont les associations, qui doivent être associées au dispositif public de prise en charge.

À l’échelon national, la CNAV a consolidé sa politique de partenariat grâce à la signature de deux conventions, le 22 mai 2012, avec l’UNAFO et Adoma.

En conclusion, je souhaiterais vous faire part de nos propositions d’actions visant à une meilleure prise en charge des personnes immigrées âgées.

Dans le domaine de la recherche, nous souhaitons maintenir une activité de veille attentive à l’évolution de cette population et nous pencher plus particulièrement sur la situation des femmes.

Dans celui de l’action sociale, nous voulons améliorer la visibilité des moyens de financement alloués pour adapter les lieux de vie collectifs. Une enveloppe fléchée, dans le cadre de notre future convention d’objectifs et de gestion (COG), pourrait constituer une réponse.

Dans le métier de la retraite, nous souhaitons renforcer les efforts que nous avons engagés pour la formation de nos agents en contact avec cette population.

Par ailleurs, pour améliorer l’information des immigrés âgés et l’accès aux droits, il nous paraît essentiel de clarifier un certain nombre de règles juridiques et d’établir des liens avec les différents acteurs associatifs, afin de mieux expliquer les conditions d’octroi des prestations et de service. Mais, une fois encore, la CNAV n’a pas à modifier des règles dont l’appréciation revient aux seuls pouvoirs publics : elle peut seulement faire des propositions au vu de son expérience.

Je crois souhaitable de mettre fin à une incohérence sur la condition de résidence : s’il faut justifier de six mois de présence sur le territoire français pour le maintien du versement de l’ASPA, cette durée n’est pas exigée lors de l’attribution de cette aide. Cela est source de confusion pour la population concernée. Il serait peut-être plus simple de prévoir cette clause de six mois dès l’attribution.

Enfin, la condition de stage de dix ans, introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, se heurte à plusieurs obstacles pour être appliquée. Le ministère des affaires sociales et de la santé ne nous a pas donné le mode d’emploi de cette application : en conséquence, nous n’avons pas transmis d’instructions aux caisses régionales sur ce point.

M. Rémi Gallou, chargé de recherche à l’unité de recherche sur le vieillissement de la CNAV. La recherche sur ce sujet à la CNAV a commencé au début des années 2000. Nous avons constaté alors que nous avions peu de littérature scientifique sur le sujet, qui était nouveau. Comme cela vient d’être rappelé, nous avons réalisé une première étude d’envergure – fondée sur une enquête effectuée auprès d’environ 6 500 personnes dans toute la France – traitant, non seulement de la population immigrée, mais aussi des enjeux sociaux liés au vieillissement.

Cette étude a permis de faire plusieurs constats : la diversité de la population immigrée – qu’il s’agisse de la composition des familles, du parcours de vie, des attentes ou des projets, résidentiels notamment ; le rôle important de la retraite – qui parachève un travail, conçu comme une valeur fondamentale –, en tant que vecteur d’intégration ; le fort attachement à la France, six personnes sur dix nous ayant déclaré vouloir rester en France, le quart ayant choisi d’effectuer des allers et retours entre la France et le pays d’origine
– concrétisant ainsi une double appartenance – et 6 % souhaitant retourner définitivement dans leur pays – les autres personnes ne se prononçant pas.

Le départ à la retraite a été un moment choisi pour près des deux tiers des personnes interrogées. Celles qui maîtrisent mal le français ont souligné les complications liées aux démarches administratives : retrouver des papiers dans le pays d’origine, justifier de toutes les périodes travaillées quand on a été victime d’employeurs indélicats, etc.

Parmi les points positifs, il faut retenir l’importante mobilité sociale ainsi que le sentiment d’avoir réussi sa vie – c’est le cas pour 75 % des personnes interrogées. Cet avis provient davantage des hommes, qui sont globalement plus actifs et sont arrivés plus tôt en France, beaucoup de femmes étant venues après pour rejoindre leur famille. Toutefois, cette distinction tend à disparaître, de nombreuses femmes se rendant également seules en France pour travailler.

L’étude fait également ressortir l’importance accordée à la famille, aux enfants et à la réussite scolaire.

En ce qui concerne la santé, elle est moins bonne pour cette population, mais cela est lié aux parcours professionnels et aux conditions de logement des personnes en question.

Quant au choix du lieu de sépulture, il constitue souvent une question difficile à trancher, en raison du sentiment de double appartenance. La présence (ou non) des enfants en France et la religion jouent un rôle important à cet égard.

Cette enquête n’ayant porté que sur des personnes en habitat ordinaire – à distinguer, pour l’INSEE, de l’habitat collectif que constituent les foyers –, nous en avons réalisé une seconde, comparant la situation des hommes isolés et vieillissants vivant dans ceux-ci avec ceux demeurant dans le parc d’habitation ordinaire ou diffus : elle a fait ressortir une population globalement homogène présentant des spécificités. Pour celle-ci, le fait de se retrouver seule peut constituer un problème important.

L’étude sur la population subsaharienne, coordonnée par M. Jacques Barou, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s’est intéressée aux liens entre les immigrés vieillissants et leurs enfants. Elle repose sur une enquête qualitative menée à partir d’une série d’entretiens avec les familles concernées.

M. le président Denis Jacquat. Merci pour toutes ces données chiffrées ainsi que pour vos propositions.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je souhaiterais avoir des précisions statistiques sur plusieurs points : les différences entre les pensionnés du régime général et les bénéficiaires de l’ASPA ; le niveau moyen des pensions et la durée moyenne de perception de celles-ci ; la part et le nombre des pensions reçues par les immigrés résidant dans le pays d’origine, ainsi que, parmi ces derniers, le nombre de ceux ayant opté pour la carte de séjour portant la mention « retraité ».

Pouvez-vous également préciser la situation des femmes immigrées en matière d’avantages familiaux de retraite ? Combien d’entre elles bénéficient d’une pension de réversion ? Quels ont été les effets de l’article 74 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 qui a fixé à nouveau à cinquante-cinq ans l’âge d’ouverture du droit à la réversion ?

S’agissant des conditions de résidence pour l’octroi de pensions non contributives, comment avez-vous analysé les articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007, dite loi « DALO », instituant une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » qui se serait substituée à l’ASPA ? Avez-vous été associés aux tentatives de mise en œuvre d’une nouvelle pension permettant d’assouplir ces conditions ?

Enfin, souvent, lors des contrôles, les immigrés peuvent se retrouver du côté des fraudeurs parce qu’ils n’ont pas respecté la condition de résidence – Mme Lyazid, adjointe au Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, nous a fait part de saisines de plus en plus nombreuses à cet égard. Or, chez ces personnes pour qui la valeur travail structure l’existence, il est très difficile de se trouver condamné administrativement ou judiciairement alors qu’elles n’ont pas le sentiment d’avoir fraudé : cela peut susciter un violent sentiment d’injustice. Que pourriez-vous préconiser au législateur pour prendre en compte ces situations particulières, sachant qu’il n’est déjà pas toujours simple pour les immigrés nés en France de liquider leurs droits ?

Mme Martine Pinville. Comment a été mise en place l’expérimentation dont vous avez parlé en matière de perte d’autonomie ? On sait que les problèmes de santé et de perte d’autonomie apparaissent plus précocement, notamment en fonction des métiers. Avez-vous évalué les effets sur la santé ? En avez-vous fait un premier bilan ?

Mme Hélène Geoffroy. Comment entendez-vous mieux expliquer leurs droits aux populations concernées pour éviter les incompréhensions qui ont été évoquées ? Un plan d’action précis est-il prévu dans ce domaine ?

Pouvez-vous par ailleurs nous préciser votre point de vue sur la condition de résidence ?

M. Pierre Mayeur. Au-delà des éléments que je vais vous indiquer, vous recevrez un certain nombre de réponses écrites.

Sur les 13,2 millions de retraités du régime général, 422 000 sont bénéficiaires de l’ASPA – sachant que des personnes relevant d’autres régimes, beaucoup moins nombreuses, en bénéficient aussi. Ce nombre constitue un minimum historique, qui s’explique par l’amélioration des carrières et l’augmentation des pensions de retraite sur longue période. Parmi ces personnes, 160 000 sont nées à l’étranger, soit près de 40 %. 10% des pensionnés nés à l’étranger et résidant en France bénéficient de ce « minimum vieillesse ».

Nous avons en effet 2 847 000 retraités nés à l’étranger, dont 1,6 million, soit 56 %, qui résident en France et près de 1,3 million à l’étranger. Le montant moyen des pensions des personnes nées à l’étranger résidant en France est de 708 euros, contre 250 euros pour celles qui résident à l’étranger – il est en effet logique que ceux qui sont restés le plus longtemps en France bénéficient d’une pension plus élevée, le montant de celle-ci dépendant à la fois du montant des salaires et du nombre d’années de cotisation en France.

En revanche, nous n’avons pas, à ce stade, de données précises sur la durée moyenne de perception des pensions.

En ce qui concerne les pensions de réversion, il faut distinguer les personnes qui ont travaillé et qui ont donc un droit propre au régime général et celles qui n’ont pas travaillé et ont seulement la pension de réversion pour vivre. Nous avons environ 2,7 millions de droits dérivés servis par le régime général, dont 94 % bénéficient à des femmes : 856 000 sont des droits dérivés servis seuls, et 1 857 000 sont servis avec un droit direct au régime général.

Parmi les bénéficiaires sans droit direct au régime général, les femmes nées à l’étranger représentent 55 %, soit 456 000 personnes, dont 80 % résident à l’étranger. Pour les 20 % qui résident en France, le montant moyen global des pensions est de 397 euros par mois, contre 215 euros pour celles qui résident à l’étranger. On voit bien que le choix de la résidence en France est lié au nombre d’années passées dans notre pays, ce qui est logique.

S’agissant de l’information des publics concernés, il faut savoir qu’ils sont en grande partie analphabètes : nous faisons donc les brochures avant tout pour les personnes relais qui sont dans les foyers. Nous nous sommes efforcés d’expliquer de la façon la plus simple possible ce qu’est l’ASPA et dans quelles conditions elle peut être attribuée. Nous sommes néanmoins prêts à améliorer encore la formation des personnels en contact avec cette population.

Madame Pinville, nous avons adopté le plan PAPA avec la CNAM ; s’y sont greffés ensuite le Régime social des indépendants (RSI) et la Mutualité sociale agricole (MSA) dans le cadre d’une démarche interbranches et interrégimes. Nous avons essayé d’adapter des actions définies dans un cadre général en fonction de la population concernée, dans la mesure où les ateliers collectifs correspondants ne répondent pas aux spécificités de celle-ci. Mais nous n’avons pas fait de premier bilan sur ces expérimentations, qui commencent à peine.

M. David Clair, directeur juridique et de la réglementation nationale de la CNAV. Je rappelle que l’attribution de l’ASPA est soumise à plusieurs conditions, dont une condition de résidence stable et régulière en France : la loi indique que son bénéficiaire doit avoir en France son lieu de résidence habituel, qui s’entend comme son foyer ou lieu de séjour. Concrètement, on considère que cette condition est remplie lorsque la personne concernée réside en France pendant au moins cent quatre-vingts jours au cours d’une année civile.

Mme Hélène Geoffroy. Doivent-ils être consécutifs ?

M. David Clair. Non.

Le problème résulte du décalage entre les conditions demandées lors de l’attribution – où l’on réclame des pièces justificatives de la résidence d’une validité inférieure à trois mois – et celles exigées un an après, lors de la vérification – où l’on s’assure d’une résidence de cent quatre-vingts jours sur l’année civile. Nous donnons aux intéressés des premières explications au moment où l’on instruit les demandes. Nous les informons également par le biais des brochures de la CNAV et du formulaire de demande de l’ASPA, qui comporte des précisions sur les conditions de résidence. De plus, nous avons écrit il y a un an et demi à l’ensemble des bénéficiaires à cet effet.

S’agissant de l’aide à la réinsertion familiale et sociale prévue par les articles 58 et 59 de la loi « DALO », elle doit être prise en charge par l’État et servie par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), devenue l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Il ne s’agit donc pas d’une prestation de sécurité sociale ; nous n’avons pas été associés à la mise en œuvre de ce dispositif et à sa coordination avec les prestations de l’assurance vieillesse.

M. Rémi Gallou. Nous avons constaté, au travers de nos enquêtes, qu’il était rare que les immigrés découvrent au moment de la retraite les différentes procédures administratives : ils savent se faire aider à cet égard. Mais il y a toujours une confusion entre la pension de retraite et les prestations sociales. Il faut distinguer deux populations différentes : les hommes du fer – ayant travaillé dans l’industrie automobile, avec souvent des carrières complètes et linéaires – et ceux du béton – beaucoup plus soumis aux aléas économiques et bénéficiant de pensions bien inférieures.

Le « bouche à oreille » est le vecteur de communication privilégié, sur lequel on peut essayer d’agir. On peut à cet égard améliorer les relais – ce qui est en train d’être fait au travers de l’action sociale, sous l’impulsion de la DAIC. Cela dit, je n’ai jamais entendu dire du mal de la CNAV en tant que telle et les intéressés estiment plutôt être bien reçus par ses services. Mais ils sont désolés de voir les difficultés qu’ils ont à regrouper les documents qu’on leur demande.

M. le président Denis Jacquat. Je trouve, pour ma part, que les documents d’information sont bien faits. Il est difficile d’avoir des brochures parfaites, davantage simplifiées – même si les élus eux-mêmes ont parfois du mal à les lire.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Grâce à vous, monsieur le président, les futurs retraités de la CNAV ont un document d’information sur leur future retraite, mais celui-ci est rédigé de telle manière qu’il fait peur aux intéressés. La forme pourrait être moins abrupte !

M. le président Denis Jacquat. Pour ces documents, nous nous sommes inspirés de la Suède et de l’Allemagne, sachant qu’outre-Rhin, les intéressés les reçoivent tous les ans, au lieu de cinq ans chez nous. Beaucoup de personnes nous disent qu’ils sont très bien.

Mme Kheira Bouziane. Le numéro de la revue Retraite et société, consacré au vieillissement des immigrés datant de 2005, qui nous a été remis, comportait une analyse des actions menées en Europe. On constate à ce sujet une insuffisance des dispositifs de coordination : or, il est difficile pour les intéressés de s’adresser à plusieurs structures, surtout quand ils ont des difficultés linguistiques. Y a-t-il eu des évolutions dans ce domaine, où la France avait engagé quelques rares expérimentations ?

Par ailleurs, avons-nous suffisamment de personnes relais sur le territoire, notamment dans les foyers ?

M. Pierre Mayeur. Les personnes bénéficiaires de l’ASPA ne sont pas dans la même situation que ceux disposant d’un système de pensions contributives – dans lequel, lorsque le droit a été liquidé, il n’y a pas de raison a priori qu’il y ait un contrôle au cours du versement de la prestation. Cette aide étant soumise à différentes conditions, il est normal de vérifier régulièrement auprès d’eux qu’elles sont réunies.

S’agissant du droit à l’information, les régimes de retraite se sont efforcés, à la suite du cahier des charges fixé par le législateur, de délivrer l’information la plus synthétique possible. C’est un progrès considérable.

Mais comme cela n’est pas suffisant, on a également mis en place une offre de conseil interrégimes, l’« entretien information retraite », que nous avons expérimenté à la CNAV dès 2009. En 2012, nous avons ainsi réalisé plus de 80 000 entretiens en face-à-face d’une durée de près d’une heure, pendant laquelle on a expliqué aux intéressés l’ensemble des droits à la retraite.

M. Rémi Gallou. On ne peut considérer que nous avons aujourd’hui suffisamment de relais. Mais nous partons d’une situation, au début des années 2000, où les lacunes étaient très importantes. Depuis, un partenariat s’est développé : ainsi, les gestionnaires tels Adoma ont étendu leurs offres, formé leurs personnels, et proposé des évolutions du bâti et des structures au sein des foyers. Cela est d’autant plus important que les personnes isolées dans le parc diffus peuvent bénéficier, au sein de ceux-ci, des informations qui y sont délivrées.

Cependant, se pose le problème de l’accompagnement apporté aux femmes migrantes, pour lequel nous n’en sommes qu’au tout début. Le fait de garantir leur accès à l’information est un véritable enjeu pour l’avenir.

M. Pierre Mayeur. Notre objectif est de mobiliser l’ensemble des acteurs. Dans le cadre du plan PAPA, nous faisons ainsi appel au service social des caisses de retraite et des caisses primaires d’assurance maladie, aux centres d’examen de santé, au secteur associatif, aux conseils généraux, aux mairies, aux centres communaux d’action sociale (CCAS), soit à l’ensemble des intervenants susceptibles d’entrer en relation avec la population immigrée âgée.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie.

Puis, la mission d’information entend M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), et M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, responsable du service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA), accompagnés de Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable du pôle des affaires publiques.

M. le président Denis Jacquat. Au sein de l’établissement des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA) est chargé du versement des prestations qui permettent d’assurer le minimum vieillesse aux personnes exclues du système de retraite français : d’une part, les allocations spéciale et supplémentaire et, d’autre part, l’ASPA, que l’ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004 relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a substituée à l’ensemble des prestations constitutives du « minimum vieillesse ». À ce titre, il instruit les demandes d’ASPA, traite les informations relatives aux allocataires, effectue les paiements et les contrôles.

D’après le rapport annuel du SASPA pour l’année 2011, 58 % des allocataires relevaient déjà de dispositifs de solidarité nationale – allocation aux adultes handicapés (AAH) ou revenu de solidarité active (RSA) – avant de percevoir l’ASPA.

Nos travaux ont fait apparaître qu’un grand nombre d’immigrés âgés sont bénéficiaires de l’ASPA. Celle-ci leur est servie le plus souvent par la caisse de retraite à laquelle ils sont affiliés, mais également par votre service. C’est pourquoi il nous a semblé utile de vous entendre.

M. Jean-Michel Bacquer, directeur de l’établissement de Bordeaux des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations. Nous vous remercions de votre invitation.

L’ASPA est actuellement versée à quelque 71 000 personnes qui ne relèvent d’aucun régime de base obligatoire d’assurance vieillesse. C’est une prestation non contributive : financée par la solidarité nationale à travers le Fonds de solidarité vieillesse, elle est servie sans contrepartie. À ce titre, le SASPA a reçu de ce fonds 622 millions d’euros en 2012.

Tout comme les régimes obligatoire d’assurance vieillesse, nous attribuons l’ASPA sous les conditions d’âge, de ressources et de stabilité de résidence sur le territoire national ; il nous revient au surplus de vérifier l’absence de cumul avec une pension de retraite ; l’ASPA est récupérable sur succession, sous certaines conditions, lorsque l’actif net successoral dépasse 39 000 euros.

Il s’agit d’une prestation différentielle. Elle est allouée aux personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs au minimum vieillesse, soit aujourd’hui 777 euros pour une personne seule et 1 206 euros pour un couple.

Lors du dépôt de la demande, toutes les conditions d’ouverture du droit sont vérifiées. Elles sont également contrôlées tout au long de l’existence du droit : une fois tous les deux ans pour la condition de résidence, une fois tous les trois ans pour les autres conditions.

Le SASPA est signataire d’une convention d’objectifs et de gestion (COG) avec les ministères chargés du budget et de la sécurité sociale. La convention actuelle couvre les années 2011 à 2013. Nous négocierons au second semestre de cette année une nouvelle convention triennale. Le SASPA travaille sous le contrôle d’une commission consultative où siègent ses tutelles et qui se réunit deux fois par an.

Les allocataires de l’ASPA sont à 67 % des femmes, à 52 % des célibataires et à 36 % des non-nationaux – 3 % sont ressortissants d’un État membre de l’Union européenne et 33 % d’autres pays. Leur moyenne d’âge s’établit à environ soixante-quatorze ans. Avant de percevoir l’ASPA, 63 % d’entre eux relevaient déjà d’un dispositif de solidarité, généralement l’AAH ou le RSA.

La récupération sur succession est très largement effective : près de 7 millions d’euros ont été recouvrés à ce titre l’année dernière ; 75 % des créances ouvertes dans ce cadre sont soldées dans l’année.

Nous avons connu récemment deux réformes des conditions d’attribution de l’ASPA. La première concerne la condition d’âge. L’ASPA demeure accordée, de manière générale, à partir de soixante-cinq ans. En revanche, l’âge auquel une personne peut bénéficier de l’ASPA au titre de l’inaptitude – soixante ans auparavant – est repoussé progressivement, de la même manière que l’âge d’ouverture des droits à la retraite, en application de la loi de 2010. La seconde réforme concerne la condition de résidence préalable sur le territoire national pour les étrangers : elle a été portée, en 2011, de cinq à dix ans.

Sous l’effet conjugué de ces deux mesures, le SASPA a attribué 1 300 allocations de moins en 2012 qu’en 2011, sur un volume de 8 900 demandes. D’après nos derniers calculs, cette diminution est imputable, pour 40 %, au recul de la borne d’âge et, pour 60 %, à l’allongement de la durée de résidence préalable.

Les contrôles que nous réalisons portent sur les quatre conditions de maintien du droit : la régularité du séjour en France ; le non-cumul avec un avantage vieillesse servi par la caisse de retraite d’un régime contributif – en cas de cumul, il revient à cette dernière de verser la pension, complétée par le montant d’allocation qui permet d’atteindre le minimum vieillesse ; le respect du plafond de ressources ; la condition de stabilité de résidence. En 2012, le service a procédé à 43 000 enquêtes sur la seule condition de résidence et à 37 300 contrôles sur les autres conditions. En 2012, ces procédures ont abouti à un peu plus de 8 000 suspensions de paiement et à environ 1 250 annulations de droits, dont 600 pour non-respect de la condition de résidence. Huit dossiers dans lesquels l’intention frauduleuse était caractérisée, voire répétée, ont fait l’objet d’un dépôt de plainte.

En outre, nous avons renforcé notre politique de communication, en particulier à l’attention de nos correspondants dans les CCAS, qui sont les guichets auxquels s’adressent les personnes âgées pour demander l’ASPA.

M. le rapporteur. Je vous remercie de votre présentation liminaire. Je souhaiterais disposer de quelques compléments : quelle est la part de la population immigrée qui bénéficie de l’ASPA ? Pour quelles raisons, selon vous, de nombreux immigrés ne peuvent-ils pas prétendre à la retraite contributive et relèvent donc du dispositif de solidarité ? Combien de temps séjournent-ils en France en moyenne avant de percevoir l’ASPA ? Disposez-vous de données concernant l’espérance de vie des allocataires en fonction de leur sexe et de leur origine ?

Vous l’avez rappelé : la condition de résidence préalable à l’accès à l’ASPA a été portée à dix ans par l’article 94 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Le demandeur est désormais tenu de fournir une attestation de résidence délivrée par la préfecture, laquelle vérifie s’il a bien détenu, pendant au moins dix années consécutives, un ou des titres de séjour l’autorisant à travailler. Avez-vous pu mesurer les effets de cette mesure ? Combien de personnes supplémentaires bénéficieraient-elles de l’ASPA si la durée de stage préalable était ramenée à cinq ans, ou était supprimée ? Il s’agit de pistes de réflexion, la condition de résidence préalable semblant affecter particulièrement les immigrés âgés.

Enfin, de quelle manière contrôlez-vous le respect de la condition de résidence ? Dans une délibération du 6 avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) a recommandé aux caisses d’allocations familiales d’employer des méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination. Cette décision a-t-elle eu un impact sur vos propres procédures ? Avez-vous identifié des pistes d’amélioration à cet égard ?

Mme Hélène Geoffroy. Vous avez évoqué les 43 000 enquêtes – chiffre important au regard du nombre de bénéficiaires de l’ASPA – auxquelles vous avez procédé en 2012. Quelles sont les conditions dont le non-respect a entraîné la suspension ou l’annulation des droits ?

Le nombre de plaintes – huit – apparaît faible au regard de la quantité d’enquêtes réalisées. Quels types de fraude avez-vous pu constater ?

M. Jean-Michel Bacquer. Nous pouvons évaluer l’impact de l’allongement de la durée de stage préalable à travers le nombre de dossiers recevables qui nous sont adressés : en 2012, nous en avons reçu 700 à 800 de moins qu’en 2011, pour un total de 8 900 à 9 000 demandes par an. La population éligible à l’ASPA aurait donc diminué de 8 à 10 %.

Au 31 décembre 2012, 25 165 des 70 827 bénéficiaires de l’ASPA étaient des non-nationaux. Cette proportion est stable depuis 2006 : on comptait à cette date 24 627 non-nationaux parmi les 70 024 bénéficiaires de l’ASPA.

M. Daniel Rau, directeur de la solidarité et des risques professionnels, responsable du service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (SASPA). Nous ne disposons guère d’éléments précis sur les raisons pour lesquelles une partie importante de la population immigrée n’est pas éligible à une pension de retraite contributive.

D’une manière générale, les bénéficiaires de l’ASPA ont exercé une activité professionnelle très limitée. On peut distinguer parmi eux quatre catégories : ceux qui ont peu cotisé et ont reçu de leur caisse de retraite un versement forfaitaire unique (VFU) – capital qui se substitue à la pension lorsque son montant annuel est inférieur à 159 euros – que nous complétons en leur servant l’ASPA ; ceux qui ont exercé une activité salariée non déclarée ; ceux – mais ce sont plutôt des nationaux – qui ont exercé une activité uniquement à l’étranger ; ceux qui sont à la charge d’un tiers, en général de leur famille.

M. Jean-Michel Bacquer. Nos allocataires ont résidé en moyenne dix à onze ans sur le territoire national avant de bénéficier de l’ASPA.

M. Daniel Rau. Pour contrôler le respect de la condition de résidence, nous envoyons des questionnaires à la moitié de nos allocataires chaque année. Dans un deuxième temps, nous procédons à un contrôle plus ciblé, en fonction d’un ensemble de critères
– notamment la région et le mode de logement. Les allocataires concernés doivent alors fournir par tout moyen – quittance de loyer, facture d’électricité, etc. – la preuve de leur résidence sur le territoire national.

M. Jean-Michel Bacquer. Lorsque les allocataires tardent à répondre aux demandes d’information complémentaire, nous suspendons leurs droits. Ces retards ont deux causes principales : la négligence et les séjours des allocataires à l’étranger – pour une durée qui, en principe, ne peut excéder cent quatre-vingts jours par an. Lorsque, à leur retour en France, les personnes justifient à nouveau des conditions requises, nous rétablissons le versement de l’ASPA.

La suspension des droits est un moyen efficace d’obtenir des réponses à nos questions. Dans une large majorité des cas, les allocataires finissent par fournir les informations demandées : 80 % des suspensions de droits sont suivies d’une remise en paiement. Cette dernière intervient dans de très brefs délais.

M. le rapporteur. Sur les lettres-types envoyées par votre service, il est indiqué : « en cas de non-réponse dans un délai d’un mois, le paiement de votre allocation sera suspendu ». Est-ce bien la procédure que vous suivez ?

M. Daniel Rau. Oui.

M. le rapporteur. Ces lettres sont envoyées par courrier non pas recommandé, mais simple. Est-ce bien le cas ?

M. Daniel Rau. Oui.

M. le rapporteur. Nous sommes un peu surpris : le délai d’un mois paraît très court. La règlementation exige que les allocataires soient présents sur le territoire national pendant au moins six mois et un jour au cours de l’année civile. Rien ne les empêche de partir en voyage pour, par exemple, deux ou trois mois. Or, leur absence risque d’entraîner une enquête plus approfondie, voire une suspension de leurs droits.

Mme Hélène Geoffroy. Lorsque les droits sont rétablis, le sont-ils de manière rétroactive ?

M. Jean-Michel Bacquer. Bien sûr.

M. Daniel Rau. Les bénéficiaires doivent être parfaitement informés non seulement de leurs droits, mais aussi de leurs obligations. C’est un préalable indispensable et une de nos préoccupations.

Dans le cadre de la COG pour les années 2011 à 2013, nous avons renforcé la communication à l’attention des allocataires. Ce n’est pas une tâche simple : nous devons expliquer une réglementation complexe à des personnes âgées qui, parfois, ne maîtrisent pas le français. Nous avons contourné la difficulté en travaillant avec les CCAS et les centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), qui constituent de véritables « relais d’information ». Nous échangeons régulièrement avec eux, notamment sous forme dématérialisée, pour faire en sorte que les allocataires potentiels qui s’adressent à eux soient correctement renseignés sur leurs obligations.

M. le président Denis Jacquat. De contacts précédents avec des responsables de la Caisse des dépôts et consignations, j’avais retenu que les allocataires savaient très bien à quelles dates ils devaient être présents en France et qu’ils s’organisaient en conséquence. Si nous faisions passer le délai de réponse à deux mois, ils continueraient à faire de même.

M. Jean-Christophe Lagarde. Quel est l’intérêt d’un délai de réponse aussi court, sachant que 80 % des quelque 8 000 suspensions de droits sont suivies d’une remise en paiement ?

Si le délai était de trois mois, les sommes engagées ne seraient pas excessives. Le délai d’un mois vous est-il imposé par une règlementation ou procède-t-il d’un choix de votre part ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Avec quelle fréquence les lettres-types évoquées par M. le rapporteur sont-elles envoyées aux allocataires ?

M. Jean-Michel Bacquer. Tous les deux ans.

Le délai d’un mois est celui que nous affichons dans les lettres. En pratique, en cas de non-réponse, nous suspendons généralement les droits au bout de deux à trois mois, après avoir pris contact avec les services sociaux de proximité, notamment les CCAS qui ont été à l’origine de la demande d’ASPA.

M. le président Denis Jacquat. Encore une fois : si certains allocataires ne savent pas lire, ils savent en revanche s’organiser.

M. Jean-Christophe Lagarde. La population concernée est âgée et ne maîtrise pas nécessairement bien le français, à l’oral comme à l’écrit. On peut donc comprendre que certains allocataires oublient de répondre à une lettre qui leur est envoyée tous les deux ans. Surtout, votre manière de procéder les contraints à être présents à leur domicile à une période donnée, alors que ce n’est pas une condition exigée pour l’ouverture des droits.

Ne pourrait-on pas imaginer que les allocataires aient à se manifester à une échéance fixée à l’avance et dans un délai plus long, et que vous le leur rappeliez au besoin ? Je saisis mal l’intérêt de la procédure actuelle, très automatique, même si on la modifiait en allongeant le délai de réponse.

En outre, s’il est opportun que vous fassiez appel aux CCAS ou à d’autres services sociaux de proximité, ce n’est pas nécessairement efficace, notamment dans le cas où l’allocataire est parti à l’étranger pour cinq mois. Le CCAS de la ville dont je suis maire n’est pas à même de relancer une personne pour la prévenir qu’elle a reçu ou va recevoir un courrier.

Pourquoi n’a-t-on pas choisi une procédure plus adaptée à une population fragile, qui n’est pas nécessairement au fait des arcanes de l’administration française ?

M. Daniel Rau. Je précise que les CCAS fournissent toute l’information utile aux bénéficiaires de l’ASPA dès leur entrée dans le dispositif. C’est essentiel.

Par la suite, ce ne sont pas les CCAS, mais notre service qui assure le suivi des allocataires. Non seulement nous procédons à des contrôles, mais nous leur diffusons aussi des informations tout au long de leur relation avec nous.

M. le rapporteur. À l’instar de M. Lagarde, je ne suis pas entièrement convaincu du bien-fondé de la procédure actuelle. Est-elle encadrée par la loi ou le règlement ou relève-t-elle d’un choix de gestion propre au SASPA ?

Par ailleurs, je relaie une question qui m’a été posée par des associations : combien compte-t-on, parmi les bénéficiaires de l’ASPA, d’étrangers anciens combattants des armées françaises, notamment d’origine marocaine ?

M. Jean-Michel Bacquer. La procédure que nous appliquons relève d’un choix de gestion, qui s’inscrit néanmoins dans le cadre de la COG que nous concluons avec nos tutelles. La mention du délai d’un mois revêt un caractère incitatif. Dans la pratique, nous suspendons les droits entre le deuxième et le troisième mois après l’envoi du courrier.

J’ajoute que les annulations de droits ont, généralement, un caractère rétroactif et nous conduisent donc à réclamer des indus. Or, notre objectif est de réduire le montant des indus, car les personnes modestes éprouvent de grandes difficultés à les rembourser. C’est pourquoi nous contactons individuellement chacun des allocataires de l’ASPA une fois tous les deux ans.

M. Daniel Rau. Nous ne disposons pas de statistiques par nationalité, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un critère qui conditionne l’ouverture des droits.

Nous pouvons en revanche identifier, au sein de nos allocataires, les étrangers titulaires d’une pension de retraite militaire. Nous en comptions environ 800 auparavant, mais la moitié d’entre eux est sortie du dispositif de l’ASPA à la suite de la « décristallisation » des pensions de retraite.

M. le président Denis Jacquat. La décristallisation concerne des anciens combattants très âgés, dont l’effectif diminue progressivement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous vous efforcez – c’est louable et nécessaire – d’éviter les indus. Quel est leur montant total ?

Je me permets de suggérer, à votre attention et à celle de M. le rapporteur, une procédure alternative. Plutôt que d’informer les allocataires, au moment de leur entrée dans le dispositif, qu’ils recevront un questionnaire au bout de deux ans, nous pourrions leur demander de prendre eux-mêmes contact avec le SASPA pour justifier à nouveau de leur situation au plus tôt dix-huit mois et au plus tard vingt-quatre mois après l’attribution de l’ASPA. S’ils ne le font pas, vous pourriez alors envoyer la lettre-type actuelle et procéder comme vous le faites aujourd’hui. Cette méthode permettrait tout autant d’éviter les indus et faciliterait la vie des allocataires : ils commettraient moins d’erreurs ou d’oublis et pourraient quitter le territoire national sans risquer une suspension de leurs droits.

M. Jean-Michel Bacquet. Je ne dispose pas ici du montant des indus. En 2012, nous avons procédé à 1 250 annulations de droits.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, messieurs les directeurs, de vos réponses très précises.

Enfin, la mission d’information entend M. Omar Samaoli, gérontologue.

M. le président Denis Jacquat. Monsieur Samaoli, vous êtes gérontologue, directeur de l’Observatoire gérontologique des migrations en France (OGMF), et enseignant en sciences médicosociales. Vous vous intéressez depuis longtemps à la situation des immigrés âgés dans notre pays, et avez écrit ou participé à la rédaction de nombreux ouvrages sur la question du vieillissement des immigrés : Vieillesse, démence et immigration : pour une prise en charge adaptée des personnes âgées migrantes en France, au Danemark et au Royaume-Uni, paru en 2000, Marocains résidant à l’étranger : le troisième âge, paru en 2005, ou encore Retraite et vieillesse des immigrés en France, paru en 2007. La mission d’information souhaite donc vous entendre sur les principaux constats et pistes d’amélioration que vous avez mis en avant dans vos différentes publications.

J’ajoute que vous avez travaillé sur de nombreux sujets intéressant directement nos travaux : la retraite des migrants âgés, leur isolement dans la vieillesse, la situation des femmes, ou encore le rapatriement des corps dans le pays d’origine.

M. Omar Samaoli, gérontologue. Je suis très heureux de votre initiative, qui met en lumière des réalités humaines trop longtemps négligées – réalités au contact desquelles je suis resté si longuement que j’ai appris à marcher au rythme des gens. Lorsqu’on a accompagné, aidé, épaulé, consolé, lavé, enterré, pleuré des personnes, alors on n’est plus dans le cadre d’une recherche académique ; on touche à ce qu’il y a de plus profond dans la relation humaine. Si mon propos est souvent passionné, c’est parce qu’il est nourri d’une exigence morale et d’un sens aigu de la justice, ou tout au moins du sentiment d’abandon que l’on éprouve toujours à l’égard de nos aînés de l’immigration.

Je me consacre depuis longtemps à cette thématique. Dès 1990, j’ai organisé un colloque intitulé « Mort et accompagnement dans la vieillesse. Éthique, identité et diversité culturelle en France ».

Les personnes dont nous parlons, aujourd’hui âgées, sont des immigrés venus travailler en France parce qu’ils ont été sollicités. On ne dira jamais assez ce qu’ils ont apporté à notre pays. Certains sont retournés dans leur pays d’origine, d’autres se sont installés ici.

Il serait réducteur de ne percevoir de cette réalité singulière et urgente que l’image de vieux messieurs perdus dans les couloirs des foyers : les femmes sont aujourd’hui de plus en plus souvent concernées. De même, on parle surtout aujourd’hui de ressortissants des pays du Maghreb mais, si l’on n’y prend garde, les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne risquent de prendre bientôt le même chemin.

J’ai, dans le cadre de mes travaux, insisté sur la difficulté de l’insertion urbaine des personnes isolées. Mais je veux aussi souligner que si, aujourd’hui, nous avons peu de personnes immigrées âgées dans nos institutions gériatriques, nous le devons d’abord à la présence des familles. L’effectif global de ceux qui gravitent actuellement autour des institutions sanitaires ne dépasse pas 2 %. Parmi les populations immigrées âgées de l’Hexagone, la part des personnes isolées ne dépasse pas 10 %.

Par ailleurs, toute une population féminine arrive aujourd’hui à l’âge de la retraite et à un âge avancé : jusqu’ici, ces femmes n’ont rien négocié, rien demandé. Elles sont souvent arrivées en France non comme travailleuses, mais dans le cadre du regroupement familial : elles ont souvent de très petites carrières, quand elles en ont une, et se trouvent donc fréquemment dans une grande précarité financière.

Les enjeux gérontologiques nouveaux que sont la perte d’autonomie et les troubles neurodégénératifs sont souvent passés sous silence lorsque l’on parle des immigrés âgés. Ils sont pourtant brûlants : la dernière enquête de l’INSEE sur le risque d’une survenue de la dépendance à partir de soixante ans a montré que la perte d’autonomie se produisait en moyenne à quatre-vingt-deux ans pour la population non immigrée, à soixante-dix-neuf ans pour la population étrangère en général, et à soixante-quinze ans pour la population d’origine maghrébine.

L’absence d’intérêt des pouvoirs publics pour les troubles neurodégénératifs de ce public particulier est flagrante : les seuls instruments de prévention sont en français, et ne sont pas adaptés. Alors qu’une projection statistique montre que 14 000 étrangers seraient potentiellement touchés par des troubles neurodégénératifs, le plan Alzheimer de 2008-2012 n’a pas prévu d’action particulière à leur égard.

Il faudra enfin se pencher sur la question de la fin de vie et des lieux de sépulture.

M. le président Denis Jacquat. Dans une région industrielle comme la mienne, il y a trente ans, il n’y avait aucune personne d’origine italienne dans les maisons de retraite : la famille était là. Malheureusement, la question de la perte d’autonomie se pose aujourd’hui différemment, notamment parce que certaines personnes sont tout à fait isolées. Souvent, toutefois, les personnes qui résident en foyer préfèrent y demeurer, sans doute par peur de changer d’environnement. La mission entend se pencher sur ces questions.

Les politiques publiques sur la perte d’autonomie et les troubles de type Alzheimer étaient animées d’une volonté de non-discrimination, mais il est vrai qu’il y a un problème d’information. Il est vrai aussi que ces politiques sont déjà difficiles à comprendre pour des francophones instruits, voire pour des élus. Il faudra donc essayer d’améliorer la situation à cet égard.

Enfin, vous avez raison, l’instauration du regroupement familial, en 1974, a constitué un tournant très important.

M. le rapporteur. Monsieur Samaoli, vous avez beaucoup étudié les foyers de travailleurs migrants, qui constituent un aspect important de la question du logement des immigrés âgés, même si ce n’est pas le plus important numériquement. Ces foyers constituent, avez-vous écrit, des « anachronismes douloureux ». Pour vous, leurs résidents sont des « marginaux de l’immigration » : on rajoute donc de la marginalité à des parcours de vie déjà marqués par la stigmatisation et la difficulté. Comment transformer ces foyers ? Comment mieux les intégrer à la ville ?

Lorsqu’ils sont arrivés, la plupart de ces immigrés pensaient que leur séjour en France serait une parenthèse ; ils ont souvent gardé des liens très forts avec leur pays d’origine. Aujourd’hui, seule une minorité souhaite pourtant rentrer au pays. Comment analysez-vous ce choix, peut-être pas toujours très conscient, de vieillir en France ?

Vous avez appelé à une plus grande implication des pays d’origine qui montreraient une certaine indifférence à ces situations. Connaissez-vous des exemples d’actions menées par ces pays en faveur des immigrés âgés ?

S’agissant de la dépendance et des troubles neurodégénératifs, dont vous avez montré qu’ils impactent ces travailleurs immigrés âgés de façon prématurée par rapport à l’ensemble de la population, quelles actions préconisez-vous pour lutter contre ce que vous avez appelé le « mauvais vieillissement », notamment en ce qui concerne les schémas gérontologiques ? Que peuvent faire en la matière les collectivités locales ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal. S’agissant de la perte d’autonomie et des troubles neurodégénératifs, les dispositifs de droit commun s’appliquent : aucun EHPAD ne refuserait une personne immigrée âgée qui aurait besoin de cette institution, même si cette personne relève de l’aide sociale ! À quel type de mesures spécifiques pensez-vous alors ? Il faut peut-être laisser à part le cas particulier des foyers, car vieillir en foyer est indigne de toute façon.

À Paris, la communauté asiatique construit actuellement son propre EHPAD.

Mme Hélène Geoffroy. Je voudrais vous interroger sur les allers retours avec le pays d’origine. Certains ne rentrent pas au pays : pourquoi ? Y a-t-il des obstacles ? On peut peut-être se demander comment ces personnes ont été accueillies lorsqu’elles ont pu rentrer dans leur pays d’origine.

La cohabitation de plusieurs générations est-elle plus fréquente chez les personnes immigrées ? Les enfants d’immigrés, qui sont français, ont-ils la même attitude que la population en général vis-à-vis des maisons de retraite ?

Que pensez-vous de cette question des EHPAD spécifiques ?

M. Sergio Coronado. Les travaux sur l’exil montrent que l’on ne veut pas toujours rentrer dans le pays que l’on a quitté.

La question du public féminin me semble effectivement constituer un point aveugle des politiques publiques, alors que ces femmes se trouvent souvent dans des situations très précaires, notamment d’un point de vue financier. Comment mettre en place des politiques pour atteindre ces personnes qui, souvent, parlent peu ou pas français ?

M. Omar Samaoli. Il y a la réalité globale du vieillissement, et la réalité particulière, urgente, du vieillissement dans les foyers : je considère qu’à partir de soixante ans, il ne devrait plus être possible de résider en foyer. Il faut que toutes ces personnes puissent s’insérer dans l’habitat ordinaire. Je ne veux pas m’aventurer sur le terrain des prestations sociales, car je sais que vous allez entendre des gens plus compétents que moi, mais les deux questions sont liées.

La vieillesse en foyer, c’est une vieillesse marginale, confisquée ! Ces personnes habitent en ville, mais ne vivent pas la ville. Ils sont dans une sorte de no man’s land qui n’a longtemps fait l’objet d’aucune attention, même si cela est en train de changer. Les foyers de travailleurs migrants construits en France sont d’ailleurs uniques à l’échelle européenne.

Il faut donc de la volonté politique : ceux qui ne travaillent plus n’ont rien à faire dans ces foyers. Ils doivent pouvoir accéder à un logement normal, même si cela implique de recourir à une mesure de discrimination positive. Ils ont le droit d’avoir une vie de famille.

Les allers retours avec le pays d’origine montrent que quelque chose chez eux a été profondément déstabilisé : ils ne sont finalement ni d’ici, ni d’ailleurs. Je dis parfois qu’ils ont réinventé une nouvelle territorialité. Et, à force d’avoir vécu dans ces foyers, ils ne savent plus s’en détacher.

Il faut donc réfléchir non seulement aux moyens qui leur permettraient de se regrouper, mais aussi à la façon dont leurs épouses pourraient les rejoindre pour s’occuper d’eux. Il y a effectivement des problèmes de délivrance de visas. Nous pouvons trouver des solutions pour ces personnes âgées qui ne vivent pas leur vieillesse comme tous nos concitoyens, pour leur permettre d’avoir enfin une vie de famille. Une épouse s’occuperait mieux d’eux qu’une soignante !

Ces foyers ont joué leur rôle, ont amélioré le quotidien, mais ils ne conviennent pas à des personnes âgées : ceux-ci doivent pouvoir passer ailleurs leurs vieux jours. Les foyers ne sont notamment pas équipés pour gérer la dépendance : on risque de voir se développer des maisons de retraite déguisées, qui pourraient devenir de tristes mouroirs.

Il faut se souvenir que, pour nombre de ces travailleurs, la vie s’est faite sans leur conjoint, sans leurs enfants : ils ont la nostalgie du Maghreb quand ils sont en France, mais la nostalgie de la France quand ils sont là-bas.

Il est donc temps d’agir, par volonté humanitaire et par simple réalisme.

M. le président Denis Jacquat. La construction des foyers-logements a donné lieu à de longues discussions dans les départements : beaucoup ont d’ailleurs cessé d’en construire. Aujourd’hui, on recommence, mais de façon très différente.

Le départ en maison de retraite peut être vécu comme un nouveau déracinement dans des vies qui n’en comptent déjà que trop. Il faut aussi souligner que mettre en maison de retraite une personne de soixante ans, c’est presque la condamner à la dépression, car une grande partie des personnes vivant dans ces institutions sont atteintes de troubles neurodégénératifs plus ou moins importants.

Enfin, l’isolement accentue les problèmes. Le regroupement des familles constitue donc une piste intéressante.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je vais être un peu provocatrice, mais si l’on construit des immeubles pour permettre à ces gens de sortir des foyers et d’être rejoints par leurs épouses qui n’ont jamais vécu en France et qui ne parlent pas notre langue, celles-ci ne deviendront-elles pas de simples « bonnes à tout faire » ? Ne vaudrait-il pas mieux prévoir une aide au retour et permettre à ces personnes de rentrer dans leur pays d’origine pour y retrouver leur famille ?

M. Omar Samaoli. Aujourd’hui, les personnes que nous voyons arriver en consultation psychiatrique sont souvent en « phase trois » de leur maladie. Ce sont leurs familles qui se sont occupées d’elles jusque-là ! Il faut absolument une meilleure information, une meilleure sensibilisation et un diagnostic précoce. Pour trouver des outils adaptés aux populations immigrées originaires du Maghreb, nous avons dû nous rendre au Maroc.

Le lien avec le pays d’origine est toujours extrêmement fort : les origines sont tyranniques, et plus encore lorsqu’on avance en âge.

En pratique, je ne peux témoigner que de l’expérience marocaine : nous avons mis en place de nombreuses actions. Tout ce que nous n’avons plus les moyens de faire ici, nous devons aller le faire de l’autre côté de la Méditerranée.

Pendant longtemps, les pays d’origine de ces ressortissants montraient beaucoup d’indifférence pour leurs ressortissants émigrés ; ce n’est plus le cas, et les séminaires internationaux sur ce sujet se multiplient.

Il y a aujourd’hui une réflexion sur les maisons de retraite : nous verrons ce qu’il en sera advenu dans quinze ans. Mais la question de la maison de retraite, ou du maintien à domicile, constitue un dilemme très douloureux pour les enfants.

M. le président Denis Jacquat. Souvent, la famille est très présente dans les hôpitaux en Afrique de l’Ouest et au Maghreb : outre qu’elle sert d’auxiliaire sanitaire, elle apporte une présence rassurante et chaleureuse pour le malade.

Je vous remercie.

La séance est levée à seize heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 14 février 2013 à 14 heures

Présents. – M. Alexis Bachelay, Mme Kheira Bouziane, M. Sergio Coronado, Mme Hélène Geoffroy, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Denis Jacquat, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Martine Pinville

Excusés. – M. Pouria Amirshahi, M. Philippe Bies, M. Matthias Fekl, M. Philippe Vitel