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Mission d’information sur les immigrés âgés

Jeudi 21 février 2013

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Denis Jacquat,

Auditions, ouvertes à la presse, de

– M. Antoine Math, membre du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), M. Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », M. Ali El Baz et M. Christophe Daadouch, membres du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI), sur le thème de l’accès aux droits sociaux

– Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)

– M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales, et de M. Renaud Villard, chef du bureau des retraites de base à la sous-direction des retraites et des institutions de protection sociale complémentaires

– Présences en réunion

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

La mission d’information entend d’abord M. Antoine Math, membre du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), M. Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », M. Ali El Baz et M. Christophe Daadouch, membres du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI).

M. le président Denis Jacquat. Nous commençons notre cycle d’auditions de ce jour avec M. Antoine Math, membre du collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), et M. Boualam Azahoum, qui représente le Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s », et MM. Ali El Baz et Christophe Daadouch, membres du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI).

Fondé en 1985, le CATRED a été créé par des travailleurs étrangers, issus de l’immigration du travail d’après-guerre, appuyés par des syndicalistes et des juristes. Ce collectif s’est constitué pour permettre aux étrangers, présents sur le territoire français et se trouvant dans l’incapacité temporaire ou définitive de travailler – handicapés, invalides ou chômeurs de longue durée –, d’accéder aux prestations non contributives – allocation aux adultes handicapés (AAH), allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), etc. – et d’obtenir ainsi l’égalité de traitement en matière de protection sociale.

Le GISTI est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, des militants associatifs en contact régulier avec des populations étrangères et des juristes. Le GISTI s’efforce de répondre, sur le terrain du droit, aux besoins des immigrés et des associations qui les soutiennent.

Enfin, le Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s » s’est constitué pour veiller aux conditions de vie des immigrés âgés et se mobiliser contre les discriminations dont ils sont souvent victimes.

Cette audition, consacrée à l’accès aux droits sociaux des immigrés âgés, entre pleinement dans le champ des travaux de notre mission, qui s’intéresse aux immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires de pays tiers à l’Union européenne. Nos auditions précédentes ont souvent mis en lumière les nombreuses difficultés existantes en matière d’accès aux droits sociaux : vos témoignages concrets ainsi que vos éventuelles propositions enrichiront certainement notre réflexion.

Messieurs, nous vous laissons la parole pour un propos liminaire d’une dizaine de minutes avant que le rapporteur et les membres de la Mission ne vous posent des questions.

M. Antoine Math, membre du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED). Le CATRED défend l’égalité des droits entre ressortissants français et étrangers et organise des permanences juridiques, en particulier sur les droits sociaux, pour des femmes et des hommes dont une forte proportion est immigrée et âgée. J’interviens en concertation avec d’autres associations, notamment celles du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s ».

Je centrerai mon intervention sur la question de la condition de résidence sur le territoire français. En théorie, pour l’accès à la plupart des prestations sociales, la condition de résidence s’impose à tous, Français comme étrangers, mais, en réalité, les problèmes se posent particulièrement pour les personnes immigrées, qu’elles fassent des allers et retours entre la France et leur pays d’origine ou qu’elles souhaitent y séjourner pour de longues périodes.

La question renvoie à la liberté d’aller et venir, qui a valeur constitutionnelle et est d’autant plus fondamentale pour ces personnes que, de par leur histoire professionnelle et personnelle et de par leur situation familiale, elles ont partagé leur vie entre deux pays. Or, cette liberté peut ne pas être effective si la personne est pénalisée lorsqu’elle l’exerce. Beaucoup se voient assignés à résidence en France, contraints d’y rester bien plus longtemps qu’ils ne le voudraient, pour ne pas perdre leurs droits sociaux ou la possibilité de recevoir des soins.

À ce propos, j’aborderai trois points. Les deux premiers, assez rapides, porteront sur la carte de séjour portant la mention « retraité » et sur la question de la portabilité des droits sociaux des personnes souhaitant repartir. Le troisième insistera sur la condition de résidence et sur son contrôle par les organismes sociaux.

La carte de séjour portant la mention « retraité » représente un piège puisque, lorsqu’elle échange sa carte de résident contre une carte « retraité », la personne âgée ignore qu’elle perd non seulement la quasi-totalité des droits sociaux, mais aussi d’autres possibilités, comme celles de liquider certains droits à l’assurance vieillesse, d’obtenir un duplicata du permis de conduire ou de demander un regroupement familial ou une naturalisation. La personne perd également le droit de changer d’avis et de récupérer une carte de résident.

Plutôt que la carte de séjour portant la mention « retraité », les pensionnés des régimes français devraient se voir remettre un droit au séjour permanent. Comme l’a préconisé la Cour de cassation, l’éligibilité des prestations devrait uniquement dépendre de la situation concrète de la personne et non de la détention de telle ou telle carte.

S’il était décidé de maintenir cette carte de retraité, il faudrait prévoir explicitement qu’elle ouvre les mêmes droits que la carte de résident et, pour ceux qui auraient décidé à un moment de repartir en disposant de cette carte, de pouvoir changer d’avis, de revenir sans obstacle en France et d’y recouvrer leurs droits.

S’agissant de la portabilité des droits sociaux des personnes souhaitant repartir, je ne reviens pas sur le dispositif de la loi de mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO) qui a créé, à l’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles, une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine », prestation exportable pour faciliter le retour d’immigrés âgés, qui n’a jamais vu le jour.

Si l’idée de départ était bonne, le dispositif, mal conçu, est peu défendable en l’état car trop limité, ciblé et discriminatoire. Je veux souligner la légèreté et l’hypocrisie dont le Gouvernement de l’époque et les représentants de l’administration ont fait preuve dans cette affaire en invoquant des difficultés juridiques et en parlant de discrimination ou d’incompatibilité avec le droit communautaire. Il ne s’agissait que d’un alibi commode puisque, quelques mois seulement avant le vote de la loi DALO, il existait encore, et depuis cinquante ans, une petite prestation exportable. Un retraité pauvre, quel que soit son lieu de résidence, ne pouvait pas recevoir une retraite du régime général inférieure à quelque 280 euros par mois, en vertu de la majoration prévue à l’article L. 814-2 du code de la sécurité sociale qui rendait exportable, en pratique, une petite partie du « minimum vieillesse ». Cette majoration devait certes disparaître au 1er janvier 2007, à la suite de l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2004 simplifiant le minimum vieillesse et créant l’ASPA, mais cette ordonnance avait prévu, à l’article L. 815-30 du code de la sécurité sociale, une prestation de remplacement appelée « complément de retraite » pour les pensionnés non résidents. Or, le législateur l’a supprimée en 2006 par voie d’amendement avant même son entrée en application, ce qui a rendu la décision de repartir au pays encore plus coûteuse qu’auparavant. Pourquoi ne pas revenir à la situation antérieure en réintroduisant ce « complément de retraite » ?

Mon troisième et dernier point porte sur la condition de résidence et son contrôle par les organismes sociaux. Vous n’ignorez rien des graves problèmes qui sont intervenus à partir de 2008-2009 : je vous renvoie aux actes d’un séminaire de réflexion que le CATRED a récemment organisé sur le thème « Suppression des droits des sociaux des immigré-e-s âgé-e-s. Contrôle de la résidence et harcèlement par les caisses de sécurité sociale ».

Cette question conjugue les trois causes qui rendent difficile l’accès aux droits et que Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé) a rappelées lors de son audition : les textes inadaptés ou restrictifs ; les pratiques administratives, l’interprétation et la mise en œuvre des textes ; enfin, les difficultés inhérentes à la complexité des règles et au manque d’information.

Avant d’aborder la question des textes, je voudrais revenir sur les pratiques administratives qui posent actuellement les plus graves problèmes, en notant tout d’abord que les responsables d’administrations que vous avez auditionnés ont passé sous silence ou nié les pratiques contestables de leurs organismes, alors même qu’elles ont été soulignées par le Défenseur des droits. Comme lui, nous dénonçons les pratiques illégales, déloyales ou peu respectueuses des personnes. Elles sont contestables sur le plan de l’interprétation de la condition de résidence comme sur celui des modalités de contrôle et de suspension des prestations ou des méthodes de recouvrement des indus.

Les associations ont accumulé, sur ces pratiques, de nombreux témoignages et établi de nombreux constats, mais, pour ne pas paraître porter des accusations gratuites, je me contenterai d’en donner deux illustrations, attestées par des écrits des organismes eux-mêmes. Lors de la dernière audition, vous avez noté qu’une des méthodes du service de l’ASPA (SASPA) de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) consiste à envoyer un courrier simple à un bénéficiaire et, si ce dernier ne renvoie pas le questionnaire dans le délai d’un mois, à suspendre automatiquement le versement de l’ASPA. Les caisses d’allocations familiales (CAF) recourent également à des méthodes douteuses, comme l’atteste une note interne que nous nous sommes procurée : après le passage d’un contrôleur dans un foyer, précédé d’un courrier envoyé quatre jours auparavant, la note préconise à ses services
– immédiatement après le contrôle – de « suspendre le versement de toutes les prestations » « à titre préventif » pour « les allocataires non rencontrés », « le risque de suspension infondée » étant jugé faible.

D’une manière générale, les décisions de suspensions sont exécutées sans notification et sans respect du principe du contradictoire, qui laisse la possibilité à la personne de s’expliquer, deux obligations pourtant contenues dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

C’est pourquoi les associations demandent, dans l’attente des résultats de cette mission d’information, un moratoire sur les contrôles et une annulation des dettes des personnes âgées qui ont été piégées, ce qui reviendrait finalement à étendre à tous ce qui a été obtenu par certains à la suite de mobilisations locales ou de contentieux.

Elles demandent également des pratiques respectueuses du droit et de la dignité des personnes, un réel respect de l’obligation d’information des caisses – l’information devant être accessible et non pas purement formelle – et des règles relatives au remboursement des indus, ainsi qu’une réelle amélioration des relations entre les usagers et les caisses. Ces relations se sont en effet beaucoup dégradées pour l’ensemble des personnes précaires du pays, un trop grand nombre de caisses, qui tendent à se « bunkériser », étant devenues injoignables. Cette amélioration des relations doit également passer par la possibilité, pour les caisses, d’avoir des relations avec les associations.

Il convient enfin d’adapter le droit lui-même. La question de la portabilité des prestations doit être réexaminée, en particulier pour les personnes qui ont, sur la base de situations objectives, une forte légitimité à résider « ici et là-bas », parce qu’elles ont travaillé et cotisé « ici » et ont conservé des attaches « là-bas ». La condition devrait être au moins assouplie pour tous les pensionnés ayant travaillé et cotisé durant de longues années en France.

Aujourd’hui, les retraites contributives sont déjà exportables. D’autres prestations le sont dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale ou dans celui de certaines conventions bilatérales : rentes d’accidents du travail, pensions d’invalidité, certaines prestations d’assurance maladie. Mais il faut avouer que c’est un peu la loterie, puisque cette possibilité dépend de la nationalité. C’est pourquoi il conviendrait de l’étendre unilatéralement à toutes les nationalités sans se réfugier derrière d’hypothétiques nouvelles conventions bilatérales avec des pays qui ne prêtent que peu d’intérêt à leurs ressortissants émigrés. L’époque où il revenait aux seuls pays d’origine de défendre l’intérêt de leurs ressortissants est révolue. L’existence même de votre mission en est d’ailleurs une illustration.

En ce qui concerne les prestations pour lesquelles la condition de résidence est maintenue, il conviendrait de la simplifier et de l’harmoniser tout en prévoyant plus de souplesse et des exceptions, par exemple en cas de problème de santé ou d’accident du pensionné ou d’un de ses proches lors de son séjour au pays, surtout lorsque les personnes sont très âgées.

Il pourrait être également envisagé de limiter l’exigence de la condition de résidence à l’ouverture des droits, notamment en matière d’assurance maladie et a fortiori pour les soins reçus en France. Une fois ouverts, certains droits resteraient attachés à la personne retraitée.

Si la condition de résidence est maintenue en l’état, il faudrait à tout le moins que les pensionnés de régimes français revenant en France puissent recouvrer leurs droits sociaux, sans qu’aucun obstacle ne leur soit opposable.

En matière de contrôle, il faudrait rappeler et clarifier les pratiques auxquelles les caisses ont le droit de recourir ou non, ainsi que leurs obligations, notamment en matière de notification, de motivation des décisions ou de délais.

L’obligation de loyauté des caisses vis-à-vis des assurés, qui figure dans la loi, devrait être renforcée.

Il conviendrait par ailleurs de rendre effective l’interdiction de critères discriminatoires dans le ciblage des contrôles. Les caisses devraient rendre publics les critères utilisés, qu’il s’agisse des méthodes statistiques de type « data mining » ou d’autres méthodes. D’une manière générale, les caisses devraient rendre des comptes plus transparents, qui ne porteraient pas seulement sur le nombre de contrôles effectués ou sur celui des indus ou des fraudes détectés.

Les décisions de coupure des droits devraient également être suspendues dès leur contestation par les intéressés, les personnes âgées vivant dans des conditions précaires ne pouvant se permettre d’attendre deux ou trois ans la décision du juge. Il en va de l’effectivité du droit au recours.

Enfin, il serait nécessaire de clarifier et d’harmoniser les règles de remboursement des indus et les règles sur le « reste à vivre », qui sont complexes et varient non seulement en fonction des prestations, mais également selon le bon vouloir de la caisse ou la motivation qu’elle a fournie.

M. Ali El Baz, membre du Groupe d’intervention et de soutien des immigrés (GISTI). Notre débat sur la population immigrée vieillissante ne saurait s’abstraire d’un contexte plus global marqué par des politiques xénophobes et discriminatoires associées à une précarité dont le chômage et la crise du logement sont les éléments les plus apparents.

Le droit de vivre en famille est consacré par de nombreux textes internationaux ainsi que par la loi DALO. Les conditions du regroupement familial – des ressources égales ou supérieures au SMIC et un logement décent – sont considérées comme facilement accessibles à qui le veut vraiment. Or, même quand une personne remplit les conditions de ressources et de logement, l’administration, par excès de zèle, peut refuser le regroupement. Nous avons reçu un courrier notifié le 23 janvier 2013 par le préfet de la Haute-Savoie, qui indique : « Bien que le montant de vos revenus mensuels moyens – soit 1 494 euros – atteigne le seuil requis pour un couple, vos revenus ne revêtent aucune garantie de stabilité dès lors que vous ne bénéficiez que d’un contrat à durée déterminée. »

Je pense également au statut des anciens mineurs, auxquels a été proposée une préretraite en 1987 appelée « congé charbonnier », qui a amputé leur retraite postérieure, ou aux cheminots maghrébins qui, après avoir travaillé à la SNCF durant des décennies, se retrouvent discriminés sans pouvoir bénéficier des mêmes retraites et avantages que leurs collègues français.

Selon le dernier rapport d’ATD Quart Monde, un million de demandes de logements sont insatisfaites pour ressources insuffisantes. Le rapport précise également que « le système d’attribution est opaque et injuste ».

L’accumulation de plusieurs critères négatifs – l’âge, de faibles ressources et la nationalité étrangère – transforme l’accès à une vie familiale normale en rêve inaccessible.

À la suite des pressions exercées par plusieurs associations et d’une délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), la « loi Hortefeux » du 20 novembre 2007 relative au regroupement familial prévoit une dérogation en matière de ressources à l’article L. 411-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pour les bénéficiaires de l’AAH et de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). Saisie une nouvelle fois par des associations, la HALDE a reconnu le 1er mars 2010 que la condition de ressources peut être discriminatoire à raison du handicap, de l’âge, de la nationalité ou encore de l’état de santé, en violation des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Toutefois, même si le législateur instaure une dérogation pour les revenus, le logement constituera toujours un frein au regroupement familial. En région parisienne, la majorité des résidents de logements insalubres sont dirigés vers les foyers. Or, une fois qu’ils y sont entrés, il leur est quasiment impossible d’en sortir, car les demandes de logement sont systématiquement rejetées, ce qui bloque toute tentative de regroupement familial.

Les politiques publiques en direction des personnes âgées se traduisent pour celles-ci par une perte de temps excessive tout en visant à contraindre les vieux migrants à retourner dans leur pays d’origine.

Le dernier rapport de la Cour des comptes révèle que, en 1991, Adoma a pris la décision de construire des maisonnées pour le troisième âge, mais que le projet a été abandonné l’année suivante. Ce n’est que quinze ans plus tard, en 2005, qu’Adoma a entrepris la construction de deux établissements pour vieux migrants à titre expérimental. Le projet s’est arrêté là, ce qui démontre que le caractère d’urgence n’a jamais été pris en considération, alors qu’Adoma reconnaît que trois personnes meurent chaque jour dans ses foyers.

Lorsque des décisions d’éloignement sont prises, c’est toujours avec de bonnes intentions. Je pense notamment à la carte de séjour portant la mention « retraité », à l’allocation de réinsertion sociale et familiale des anciens migrants ou aux dernières conventions bilatérales franco-tunisienne ou franco-marocaine. En fait, ces dispositifs ont tous pour objectif d’éloigner le migrant en le faisant bénéficier de prestations dans son pays d’origine. Jamais n’est pris en considération le fait qu’il puisse désirer résider à la fois ici et là-bas, c’est-à-dire en France et dans son pays d’origine. La carte de résident permanent, quant à elle, prévue à l’article L. 314-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est quasi clandestine puisque personne n’en parle, même dans le milieu associatif. Elle a été instaurée par la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Le deuxième alinéa précise : « Lors du dépôt de sa demande de renouvellement de carte de résident, l’étranger est dûment informé des conditions dans lesquelles il pourra se voir accorder une carte de résident permanent. » Toutefois, le demandeur est prévenu : la préfecture dispose d’un pouvoir discrétionnaire. Il doit en effet remplir deux conditions : sa présence en France ne doit pas constituer une menace pour l’ordre public et il doit prouver son intégration républicaine dans la société française. Or, cette carte est méconnue du public, même si elle présente une avancée en direction des migrants. Ce déficit est caractéristique de l’absence d’information relative aux droits nouveaux ou anciens. En revanche, quand il s’agit de faire respecter ses droits, l’administration ne se prive pas d’excès de zèle.

M. Christophe Daadouch, membre du GISTI. Je vous remercie de nous avoir invités ainsi que de la bienveillance des débats que j’ai pu écouter depuis le début de la Mission. C’est d’autant plus important que, pour bien vieillir, il faut vivre dans la bienveillance. C’est un des enjeux de cette mission d’information.

J’ai été étonné des propos tenus devant vous par les représentants de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et de la CDC sur la condition d’antériorité de résidence de dix ans sur le territoire français pour bénéficier de l’ASPA. La CNAV a en effet expliqué que, en l’absence de circulaire, la loi ne s’appliquait pas, tandis que la CDC a précisé qu’en un an, 10 % des étrangers avaient été rayés des listes, soit de 700 à 800 personnes, en raison de l’application de cette même loi. Il est tout de même surprenant que, devant l’Assemblée nationale, deux organismes aient une interprétation différente d’une même loi. C’est pourquoi, s’agissant de l’ASPA, nous proposons le retour à la situation antérieure à 2006 : à l’époque, la seule condition pour pouvoir en bénéficier était, à l’instar des règles applicables aux autres droits sociaux – AAH ou prestations familiales –, la régularité du séjour en France. Il est paradoxal que la prestation sociale pour laquelle l’exigence d’antériorité est la plus longue concerne les personnes les plus âgées et les plus vulnérables
– le revenu de solidarité active (RSA) a une condition d’antériorité de cinq ans seulement. Cela révèle, en filigrane, une suspicion à l’encontre des personnes âgées. Lors du débat à l’Assemblée nationale, d’aucuns ont déclaré qu’il s’agissait d’éviter le développement d’un tourisme ayant pour objectif d’obtenir cette allocation par opportunisme, comme si des personnes âgées étrangères pouvaient subitement décider de venir en France pour toucher l’ASPA. C’est oublier qu’il n’existe pas de droit acquis à l’obtention d’un visa, les refus n’ayant pas à être motivés. De plus, si le visa est accordé, il n’existe pas non plus de droit à la carte de séjour. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 repose sur un fondement idéologique erroné : l’éventualité que des fraudeurs viennent massivement bénéficier du dispositif. Les étrangers sont jugés responsables de la montée en puissance de cette allocation, qui n’est due qu’à sa revalorisation.

De plus, la loi est contestable sur le plan administratif. En effet, en raison de la condition d’antériorité de dix ans, le titre de séjour ne permet plus à lui seul d’en bénéficier : les immigrés retraités doivent apporter la preuve qu’ils avaient l’autorisation de travailler. Les personnes âgées, qui ont déjà dormi dehors pour renouveler leur carte de séjour, doivent retourner en préfecture pour obtenir une attestation établissant qu’ils ont disposé durant plus de dix ans d’un titre les autorisant à travailler. Cette seconde attestation répond-elle à la logique de la simplification administrative ? Pourquoi cette mention ne figurerait-elle pas sur leur carte de séjour ? Une circulaire administrative aurait pu prévoir la délivrance d’un tel sésame, à savoir un document attestant que ces immigrés sont en France depuis plus de dix ans avec l’autorisation de travailler. C’est pourquoi ils ne cessent pas de faire la navette entre les caisses de prestations sociales et la préfecture.

Enfin, l’antériorité de dix ans est contestable sur le plan juridique. Certes, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi sur l’ASPA, mais il l’a été sur le RSA : il a alors jugé que, comme ce droit est lié à l’insertion professionnelle, prévoir une condition d’antériorité de cinq ans sur le sol français pour s’insérer est fondé. Mais l’ASPA, elle, n’est pas liée à l’insertion professionnelle. Faudra-t-il attendre une question prioritaire de constitutionnalité pour abroger cette discrimination légale ? Cette disposition est également contraire aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui posent le principe de l’égalité de traitement entre Français et étrangers réguliers. Il est inutile enfin de revenir sur le caractère discriminatoire de cette antériorité : vous avez entendu le Défenseur des droits sur le sujet.

Cette loi idéologiquement, administrativement et juridiquement infondée doit être abrogée.

Je tiens à souligner également qu’il est nécessaire de garantir la formation des professionnels qui ont pour mission d’informer les migrants, qui ne vivent pas en foyer, sur leurs droits et de les accompagner.

Il faudra également que votre mission aborde la réforme des tutelles de 2007 : les allers et retours des travailleurs âgés sous curatelle ou curatelle renforcée et qui ont leur curateur en France posent des problèmes spécifiques.

M. Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s ». Je ne rentrerai pas dans des considérations juridiques : nous vous ferons parvenir un document qui en traite.

Cette mission était une nécessité. Elle répond du reste à une demande que nous avions formulée dès 2006, lorsque nous avons lancé notre premier appel, mais à l’époque nos militants étaient condamnés, comme les chibanis, à l’anonymat et à l’invisibilité. Nous nous sommes un jour rendu compte que, non loin de chez nous, dans la région lyonnaise, en Île-de-France ou à Marseille, des immigrés, qui avaient fait toute leur carrière en France et qui paraissaient n’avoir jamais eu de jeunesse, continuaient de vivre dans des foyers de travailleurs. Nous pensions qu’ils vivaient dans le mythe du retour alors qu’ils aspiraient à l’aller-retour. Les carrières de ces travailleurs étaient pour la plupart morcelées. Ils avaient souvent travaillé dans des secteurs concernés par la fraude – l’agriculture ou le bâtiment : lorsqu’ils avaient voulu liquider leur retraite, ils s’étaient aperçus qu’ils possédaient l’équivalent de dix ans de fiches de paie inutilisables, falsifiées par les employeurs. Ils n’avaient pas été déclarés et, en raison de la prescription, il leur était impossible d’engager des poursuites, si bien qu’ils se sont retrouvés avec des retraites très faibles, sans même pouvoir bénéficier, au début, du minimum vieillesse, car ils étaient étrangers. Heureusement, il existe aujourd’hui l’ASPA.

Beaucoup d’entre eux avaient une espérance de vie très faible et vivaient loin de leur famille, n’ayant pas pu ou voulu les faire venir. Ils se sont retrouvés seuls dans les foyers pour migrants, vivant parfois à trois dans quinze mètres carrés – la situation s’est améliorée. Je tiens à souligner l’extrême dignité de ces vieux travailleurs, qui ont toujours cherché à faire valoir leurs droits à leur manière, face à une administration tatillonne. Il faut savoir également que leur pays d’origine, notamment le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie, se désintéressent d’eux et n’appliquent même pas les conventions bilatérales. Rien n’est prévu pour eux là-bas.

Je tiens aussi à évoquer le cas des femmes, qui sont encore plus discriminées, du fait notamment de carrières professionnelles chaotiques. Nous ne savons pas comment elles vivent, surtout les veuves qui n’ont jamais travaillé ou ont travaillé sans être déclarées, comme c’était souvent le cas dans l’agriculture ou l’artisanat. Les anciens combattants de la seconde guerre mondiale se sont, eux aussi, trop souvent retrouvés abandonnés. La CDC, qui établit à leur encontre des dossiers à charge, n’hésite pas à leur demander des pièces en grand nombre. Quand ils ne peuvent pas se rendre aux rendez-vous, les certificats médicaux qu’ils produisent sont insuffisants aux yeux de l’administration. Ils sont présumés fraudeurs.

Comme cette population était peu organisée et précaire, on l’a offerte en pâture à l’opinion publique. Elle a servi de bouc émissaire : en période de crise, ne s’agit-il pas de faire des économies ? Des départements pilotes ont même été désignés dans la lutte contre la fraude. Toutefois, il faut reconnaître que les agents de l’administration sont souvent gênés, sur les plans humain et éthique, de devoir se conformer aux pratiques que les circulaires leur imposent. Ces pratiques sont-elles efficaces, au moins ? L’ampleur de la fraude a été souvent exagérée dans le seul dessein de justifier ces contrôles – des études commencent à le montrer, mais personne ne connaît les chiffres exacts de la fraude. Cette mission devrait permettre d’appréhender la question avec plus de sérieux. Il faut cesser de harceler les immigrés âgés.

Le statu quo étant inacceptable, les associations souhaitent que la Mission émette le vœu que, durant ses travaux, l’administration procède à un moratoire des contrôles et des demandes de remboursement des indus, et reprenne le versement des prestations suspendues. Certaines administrations font déjà preuve d’une plus grande mansuétude.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie pour votre propos liminaire que vous pourrez compléter par les réponses que vous apporterez à nos questions.

Pouvez-vous préciser en quoi, selon vous, les caisses de sécurité sociale font une lecture restrictive de la condition de résidence pour l’accès aux droits sociaux ? Vous indiquez que l’appréciation de la condition de séjour principal, remplie quand la résidence en France dépasse six mois, ne doit pas se substituer à celle de foyer permanent, qui peut selon vous être remplie même quand les absences du territoire sont plus longues. Comment les caisses pourraient-elles mieux prendre en compte ce critère ?

Les immigrés âgés éprouvent-ils toujours des difficultés à se faire délivrer un document prouvant leur résidence fiscale en France ?

De quels éléments disposez-vous pour considérer que les immigrés âgés ont fait l’objet d’un « ciblage » particulier en matière de contrôle ? J’ajoute qu’un « ciblage » fondé sur la nationalité ou l’origine serait illégal. Avez-vous des preuves ? Je tiens à vous signaler que nous recevrons les représentants des services administratifs chargés des contrôles.

À la suite de la délibération n° 2009-148 du 6 avril 2009 dans laquelle la HALDE recommandait à une caisse d’allocations familiales de suivre des méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination, avez-vous noté un changement dans l’organisation et le déroulement des contrôles menés par les différents organismes de sécurité sociale ? Quelles sont les pistes d’amélioration en la matière ?

Les décisions de suspension prises par les caisses de sécurité sociale sont-elles suffisamment motivées ? Pouvez-vous compléter vos propos sur le sujet ?

Quels sont les principaux enseignements des actions que vous avez menées au contentieux ? La judiciarisation des rapports entre l’administration et les immigrés âgés a-t-elle porté des fruits ? Dans quel sens la justice s’est-elle prononcée ?

Mme Kheira Bouziane. Les associations sont nombreuses et éparpillées sur le territoire : existe-t-il une région où les relations entre l’administration et les immigrés âgés se passent relativement bien ? De quels moyens disposez-vous pour en être certains ?

Mme Martine Pinville. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de réformer les pratiques administratives pour permettre une meilleure information et un vrai accompagnement des intéressés ? Si les travailleurs résidant dans les foyers sont plus facilement accessibles, comment informer de leurs droits ceux qui n’y vivent pas ?

Les conventions bilatérales ne sont pas toujours respectées : comment intervenir en la matière ?

Vous souhaiteriez que les droits soient attachés à la personne : nous devrons mener la réflexion sur le sujet.

Mme Hélène Geoffroy. Vous avez évoqué le dispositif antérieur à l’ASPA : pourriez-vous le détailler ? En quoi le droit européen pose-t-il des difficultés ?

Quelles sont les avancées liées à la carte de résident permanent, qui est peu connue ?

Comment les intéressés vous contactent-ils en dehors des foyers où, je suppose, vous tenez des permanences ?

M. le président Denis Jacquat. Je tiens à souligner que le rapporteur et les membres de la Mission, notamment M. Jean-Christophe Lagarde, ont longuement interrogé les représentants de la Caisse des dépôts et consignations. Nous sommes très vigilants quant à la qualité des pratiques des différentes caisses.

Monsieur Azahoum, s’agissant d’un éventuel moratoire des contrôles administratifs durant le temps de nos travaux, je tiens à vous signaler que nous n’avons aucun pouvoir de décision en la matière.

Vous avez raison, monsieur Daadouch, il n’existe pas de droit aux visas. Les députés que nous sommes sont souvent sollicités pour intervenir: que nous appartenions à la majorité ou à l’opposition, nos interventions sont loin d’être toujours couronnées de succès. Il est faux de prétendre, comme cela se lit sur internet, que nous distribuons les visas à tour de bras !

Monsieur El Baz, je suis élu de la Moselle. Le « congé charbonnier » a concerné notamment plus de 2 000 Marocains qui ont vu leurs contrats à durée déterminée (CDD) transformés en contrats à durée indéterminée (CDI) : ils ont bénéficié des mêmes avantages que leurs collègues. Du reste, il y avait consensus entre les élus de gauche et ceux de droite sur les modalités de ce congé, notamment sur le passage du statut de préretraité à celui de retraité. Il va de soi que la base de calcul du montant de ce congé était fondée sur le nombre d’années travaillées. Peut-être le minimum qu’ont touché certains travailleurs marocains n’était-il pas suffisant pour leur permettre de vivre décemment en France.

Le problème du logement concerne non seulement les immigrés retraités, mais également les salariés et les étudiants, à plus forte raison en région parisienne. Il est difficile pour chacun d’obtenir un logement social : les offices HLM ne pratiquent aucune discrimination.

Je tiens à rappeler que l’objet d’une mission d’information est de faire le bilan d’un sujet donné en révélant tous les dysfonctionnements éventuels.

M. Christophe Daadouch. Madame Pinville et madame Geoffroy, trop souvent on ne pense qu’à l’accès général au droit, en oubliant l’accès concret aux droits. L’administration se contente de faire connaître les textes existants aux intéressés via une belle plaquette sans que des professionnels les accompagnent pour leur permettre d’accéder effectivement à leurs droits. Il n’existe plus de service social spécialisé dans l’aide aux migrants : il a été supprimé. Les politiques sociales relatives à l’immigration relèvent dorénavant du ministère de l’intérieur, ce qui n’est pas sans poser des problèmes. Peut-être faudrait-il revoir la répartition des compétences gouvernementales en la matière.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevrons le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Daadouch. Il ne s’agit pas tant de prévoir des structures où les intéressés sont invités à se rendre que d’aller à leur rencontre, là où ils vivent, notamment dans les centres sociaux et culturels des quartiers. Les intéressés, souvent, ne se rendent pas dans les structures qu’on ouvre à leur intention. Une belle vitrine ne suffit pas. Il faut donner aux associations les moyens de pratiquer un réel accompagnement.

M. Boualam Azahoum. On demande à l’administration d’être efficace : c’est ainsi que Mme Roselyne Bachelot, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, avait désigné huit départements pilotes dans la lutte contre la fraude. Nous aurions aimé connaître les résultats chiffrés de cette politique. Il va de soi que, par souci d’efficacité, les contrôleurs vont là où ils pensent avoir le plus de chance de dépister des fraudeurs : ils ciblent les quartiers ou les foyers qui sont l’objet de rumeurs. C’est ainsi qu’à Vénissieux, 50 % des contrôles sont concentrés sur deux foyers, alors que les chibanis y sont devenus minoritaires. Certains contrôles ont lieu à la fin du ramadan ou durant les vacances à des périodes où la probabilité que les habitants des foyers soient au pays est relativement élevée. Ces contrôles sont donc bien ciblés.

Par ailleurs, même si ces contrôles n’étaient pas discriminatoires, ils demeureraient injustes, car ils visent une population qui a une histoire précise. Le mot discrimination a changé de sens : auparavant, il s’agissait de permettre à certains d’avoir accès au droit commun ou à des avantages précis en fonction de leur itinéraire. Quand les chibanis retournent chez eux, c’est pour voir leur famille. Il faut savoir que, pour entrer dans les foyers Adoma, ils ont été « célibatairisés », même s’ils sont mariés et ont des enfants dans leur pays d’origine.

Il ne faut pas non plus oublier que c’est sous couvert d’une opération immobilière qu’on a vidé de ses immigrés le quartier Belsunce, à Marseille, en demandant à l’administration fiscale de ne plus leur délivrer d’avis d’imposition ou de non-imposition, ce qui a coupé leurs droits aux prestations.

S’agissant des conventions bilatérales, la France, dont la prétention à garantir l’égalité sociale est réelle, devrait appliquer le mieux-disant. La presse a évoqué le cas de plusieurs centaines de retraités aux très faibles revenus qui vont s’installer dans le sud du Maroc : ils seront un jour ou l’autre confrontés aux mêmes difficultés qu’en France. Le plus important est d’assurer, en matière de convention, la plus grande transparence possible. Les immigrés doivent être associés à l’établissement de ces conventions et doivent en être informés.

Enfin, la mission d’information n’a-t-elle pas une autorité morale suffisante pour émettre le vœu d’un moratoire sur les contrôles pratiqués par les caisses et l’obligation des remboursements, le temps qu’elle rende ses conclusions ?

M. Ali El Baz. La signature, il y a deux ans, de la convention bilatérale entre la France et le Maroc a suscité beaucoup d’espoir. Or, pour que les retraités puissent bénéficier de soins dans leur pays d’origine, ils doivent laisser leur carte Vitale en France, c’est-à-dire quitter définitivement le territoire français. Je le répète, tous les dispositifs qui sont adoptés visent à éloigner les immigrés retraités de la France.

La carte de résident permanent, qui existe déjà dans plusieurs pays européens et dont l’avantage est de donner un droit de séjour permanent, même si la personne quitte un temps le territoire français, doit sortir de la quasi-clandestinité dans laquelle on la cantonne. Jamais personne à la préfecture ne me l’a proposée.

Je tiens, monsieur le président, à rappeler que 78 000 Marocains sont venus travailler en France comme mineurs, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais et en Moselle.

M. le président Denis Jacquat. C’est vrai, mais ce sont les derniers qui, étant venus travailler pour peu de temps, ont pu bénéficier du « congé charbonnier » après la transformation de leurs CDD en CDI.

M. Antoine Math. L’accès aux droits, pour l’administration, se limite trop souvent à l’existence d’une brochure explicative ou d’un point d’accès aux droits. Or, pour se traduire concrètement, l’accès aux droits demande un suivi, surtout quand il s’agit de personnes âgées qui doivent résoudre des problèmes de reconnaissance d’accident du travail, d’invalidité ou de handicap, de santé, d’accession aux droits sociaux ou de versement des pensions. Le CATRED reçoit chaque année quelque 4 500 appels téléphoniques, qui donnent lieu à 1  500 rendez-vous – 1 200 concernent les droits sociaux et 300 des problèmes de droit au séjour ou de nationalité pour des retraités handicapés ou invalides. Ces 1 500 rendez-vous génèrent à leur tour 600 dossiers, dont certains demandent plusieurs années avant d’être réglés, car le suivi, notamment contentieux, peut se révéler très long et compliqué. Les cafés sociaux ont leur utilité, mais ils ne peuvent pas remplacer l’action des associations, qui ont malheureusement très peu de moyens.

Dans certaines régions, notamment dans le grand Ouest ou dans l’Est, les retours négatifs sont peu nombreux. Est-ce parce que les relations avec l’administration sont au beau fixe ou parce que notre association est inégalement répartie sur le territoire, à l’instar, du reste, de l’immigration ? Nous n’en savons rien.

La délibération d’avril 2009 de la HALDE, à la suite d’un contrôle de la CAF du Val-d’Oise dans un foyer en 2008, a évidemment eu des effets immédiats – plusieurs contrôleurs de la CAF nous ont alors fait part de leur volonté de respecter strictement les procédures. Il faut savoir toutefois que les caisses locales des CAF, des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA) sont autonomes : de ce fait, leurs pratiques varient dans l’espace et le temps. C’est ainsi que nous avons connu des problèmes en 2009 à Toulouse et en 2011 à Lyon. De plus, les problèmes ne sont pas les mêmes, qu’il s’agisse de la CAF, de la CARSAT ou d’autres caisses. Il est donc difficile d’établir la cartographie des difficultés.

La condition de résidence des six mois a été calée par décret, en 2007, sur la condition de résidence en matière fiscale. Or l’article 4 B du code général des impôts prévoit qu’une personne qui réside moins de six mois en France peut tout de même être considérée comme ayant sa résidence principale en France si l’administration fiscale considère que cette personne y a ses attaches principales. Il faut évidemment que l’administration fiscale fasse son travail. Les caisses de sécurité sociale pourraient avoir la même démarche à l’égard des immigrés retraités qui vivent plus de six mois hors de France.

Les conditions pour obtenir les diverses prestations sont différentes entre elles. Pour percevoir les aides au logement, il faut occuper effectivement le logement huit mois par année civile – des aménagements sont prévus en cas d’accidents ou de soins médicaux. Or, des caisses n’appliquent pas la règle des huit mois par année civile. Si une personne s’absente du mois de septembre au mois de mars, la caisse considérera qu’elle a été absente durant sept mois, alors qu’elle a été absente quatre mois la première année civile, trois mois la seconde : elle remplit donc les conditions de résidence, les textes législatifs sont très clairs.

Alors que nous avons perçu un durcissement très net des caisses de sécurité sociale à partir de 2008 et de 2009 en réponse à des instructions précises, l’attitude de l’administration fiscale a plutôt dépendu d’initiatives locales isolées, que l’on pourrait qualifier de malveillantes : c’est ainsi que, en 2005 et en 2006, à Marseille, l’administration fiscale a cherché à radier tous les immigrés âgés vivant dans des hôtels meublés et qui, de ce fait, ne payaient pas d’impôts locaux. Or, faute d’avis d’imposition ou de non-imposition, ils ne pouvaient plus percevoir de prestations sociales. Plusieurs plaintes ont été déposées, soutenues par le GISTI, et une délibération de la HALDE a permis de mettre fin à ces pratiques. Nous avons également eu des problèmes de même nature avec le centre des impôts de Gennevilliers et, en septembre 2012, des immigrés âgés et des saisonniers agricoles se sont plaints de pratiques semblables du côté de l’Étang de Berre dans les Bouches-du-Rhône.

Je ne peux pas administrer la preuve du ciblage des contrôles, mais, à mes yeux, il convient d’en inverser la charge, car les administrations mentent lorsqu’elles prétendent ne pas disposer de statistiques portant sur la nationalité des bénéficiaires du minimum vieillesse, alors que l’octroi de la prestation est conditionné, entre autre, à la régularité du séjour. La nationalité des bénéficiaires figure donc dans les fichiers.

Les méthodes de data mining utilisées en vue de rendre les contrôles plus efficaces nous inquiètent également. Cette technique statistique vise à révéler des profils types de fraudeurs afin de cibler les contrôles sur les personnes qui partagent ces mêmes caractéristiques, que ce soit en termes d’âge, de nombre d’enfants ou de nationalité. Toutefois, certaines caractéristiques couplées ressortent nécessairement en cas de contrôles massifs dans les foyers – âge, prestations, nationalités. Nous n’avons aucune information précise sur les profils exacts que cette technique a permis de définir.

Les caisses ne ciblent pas uniquement les immigrés âgés, mais plus généralement les populations précaires. Trop souvent, elles ne respectent pas la loi, notamment celle du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en matière de notification des suspensions, de motivation en fait et en droit des décisions de refus et de respect du principe du contradictoire.

Les recours sont peu nombreux en raison des pressions exercées par les caisses en matière de recouvrement des indus : les intéressés craignent une diminution de leurs prestations – j’ai connaissance d’un recouvrement s’étalant jusqu’en 2045. C’est pourquoi, dans l’affaire de la caisse du Val-d’Oise, très peu de personnes concernées ont porté plainte : elles ont préféré négocier et renoncer à leur recours, même si celui-ci était solidement fondé. De plus, tous les documents – bulletins de paie, retraits d’argent ou certificats médicaux – attestant de la présence de la personne en France sont écartés par la justice – qui soupçonne la personne d’être revenue uniquement pour obtenir ces documents –, alors que tous les éléments liés au pays d’origine sont portés à charge. Quant au passeport, il est toujours présenté comme la preuve par excellence du retour en France. Or, il faut savoir qu’il n’est pas nécessairement tamponné à chaque passage à la douane. Le passeport n’apporte donc aucune preuve absolue en matière d’absence du territoire français.

Madame Geoffroy, la majoration prévue à l’article L. 814-2 du code de la sécurité sociale permettait de porter le montant du « premier étage » de l’ancien minimum vieillesse à 280 euros pour les personnes dont les pensions étaient inférieures à ce montant. C’est l’allocation supplémentaire qui permettait d’atteindre le minimum vieillesse. L’ordonnance de 2004, créant l’ASPA en vue de simplifier le minimum vieillesse à compter du 1er janvier 2007, avait prévu un complément de retraite équivalent pour les non-résidents. Or, en 2006, le législateur a décidé, dans un climat défavorable aux immigrés âgés et pour réaliser des économies, de supprimer le complément de retraite avant même son entrée en application. L’ancienne majoration n’avait jamais posé aucun problème juridique, notamment au regard du droit communautaire ou en termes de discrimination. Il est donc possible de prévoir la portabilité d’une partie du minimum vieillesse : c’est un garde-fou nécessaire.

M. le rapporteur. Cette mission d’information a une fonction tribunitienne puisqu’elle permet de porter au cœur des institutions républicaines la parole de vos associations. J’ai des retours très intéressants de la part de ceux qui suivent nos débats sur le site internet de l’Assemblée nationale – les auditions y sont diffusées en direct. Ils s’appuient même sur la publicité de ces auditions pour espérer une modification du climat entourant les immigrés âgés. Le fait qu’une mission parlementaire auditionne les administrations et les mette, preuves à l’appui, face à leurs dysfonctionnements éventuels, participe sans conteste de ce changement de climat, avant même que la Mission, qui entendra les ministres concernés, ne rende ses conclusions. Le Parlement remplit ainsi parfaitement sa mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.

M. Daadouch a fait une remarque très judicieuse sur l’accompagnement des intéressés dans l’accès aux droits. Les pouvoirs publics locaux ont un rôle à jouer en la matière en raison de leur connaissance sociologique des populations. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques des pouvoirs locaux ?

M. Christophe Daadouch. La question de la formation des acteurs locaux, au sein des mairies ou des conseils généraux, est cruciale. Je ne suis pas certain que les personnels des centres communaux d’action sociale (CCAS) maîtrisent suffisamment les enjeux que nous évoquons dans le cadre de cette mission d’information et qui sont très techniques, puisqu’ils se situent à mi-chemin entre le droit des étrangers et celui de la protection sociale. Or, les associations ne peuvent pas gérer toutes les situations individuelles. La formation des professionnels est une nécessité absolue.

Il existe, dans les préfectures, des guichets prioritaires pour les chefs d’entreprise ou les professions culturelles et artistiques : pourquoi n’envisageraient-elles pas d’en créer pour les personnes âgées ?

M. Boualam Azahoum. Moins les personnes âgées voient l’administration, mieux elles se portent, d’autant que leur situation financière n’évolue qu’exceptionnellement. Pourquoi doivent-elles remplir chaque année les mêmes formulaires ? Pourquoi ne pas prévoir le renouvellement de la carte de séjour portant la mention « retraité » ou des droits eux-mêmes ? De plus, les immigrés retraités sont issus de pays où les liens avec l’administration sont vécus comme oppressants.

M. Ali El Baz. Pourquoi seulement un tiers des retraités marocains et un quart des retraités algériens perçoivent-ils une retraite complémentaire ? C’est ce que révèle le rapport du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). La réponse se trouve, à mon avis, dans le manque d’information des intéressés et l’absence d’articulation entre les caisses.

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998 a prévu des cas de dérogation à la taxe d’habitation. Or, le service des impôts exige encore aujourd’hui la taxe d’habitation de personnes âgées qui pourraient bénéficier d’une dérogation. La Mission devrait aborder cette question.

M. le président Denis Jacquat. Il faut savoir qu’il existe des retraites complémentaires obligatoires et non obligatoires, la cotisation se décidant au niveau de la direction. Il existe même des retraites supplémentaires dans le secteur de la sidérurgie. C’est durant leur temps d’activité que les salariés doivent être informés du type de retraite complémentaire dont ils bénéficieront plus tard.

Mme Martine Pinville. Il ressort de vos propos, messieurs, que la question de l’accès au droit est primordiale et qu’il convient de trouver de nouveaux moyens d’informer les intéressés. Si ce problème était résolu, les dossiers pourraient être traités plus facilement. C’est un des enjeux importants des années à venir.

M. le président Denis Jacquat. Je vous remercie, messieurs.

Puis, la mission d’information entend Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Madame, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendue par la mission d’information sur les immigrés âgés, dont le champ des travaux est circonscrit aux immigrés de plus de cinquante-cinq ans originaires de pays tiers à l’Union européenne. Vous êtes spécialiste des relations entre générations et avez publié de nombreux ouvrages et articles en lien avec notre sujet. Ainsi, vous avez participé à l’enquête réalisée par la CNAV au milieu des années 2000 sur le vieillissement et le passage à la retraite des immigrés en France. Ce travail a abouti à la publication d’un ouvrage de référence, L’enracinement, qui démontre le profond attachement à la France manifesté par les immigrés dans la vieillesse. Les enseignements que vous en avez dégagés sont d’un intérêt très vif pour nos travaux. La mission d’information gagnera également à connaître les principaux enseignements de vos travaux actuels sur le vieillissement des immigrés originaires d’Afrique subsaharienne.

Mme Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Notre grande enquête sur le vieillissement des immigrés l’a montré, la retraite est un facteur d’intégration. En dépit de la modicité des pensions qu’ils perçoivent, le passage à la retraite confère à des travailleurs qui ont connu la précarité et le chômage un sentiment de stabilité et, sur le plan symbolique, d’appartenance. C’est ainsi que plus de 80 % des personnes interrogées considèrent avoir accédé à une meilleure réussite sociale que leurs parents restés au pays, d’autant plus si elles sont d’origine modeste ou viennent d’un pays où la retraite n’existe pas ou est embryonnaire.

Toutefois, cet effet identitaire s’observe moins chez les femmes âgées n’ayant pas été intégrées au monde du travail, surtout pour celles originaires d’Afrique du Nord et de Turquie. En outre, le sentiment d’intégration est moins marqué chez les personnes arrivées tardivement en France – l’enracinement concerne les immigrés arrivés plus jeunes et ayant fondé une famille, mené une carrière, bénéficié d’une retraite, etc. Pour les immigrés arrivés plus tardivement – des parents venus s’occuper de leurs petits-enfants, des enfants venus s’occuper de leurs parents –, la création de liens en dehors de la famille est difficile. S’ils vivent chez leurs enfants, qui, le plus souvent, ont une vie professionnelle, leur seul univers est la maison, et ils se retrouvent très seuls. Ceux qui sont originaires de pays dont les émigrés sont peu nombreux, comme l’Iran ou le Sri Lanka, ne sont même pas pris en compte par les enquêtes. Il me semble essentiel de créer des lieux de rencontre à l’intention de ces laissés-pour-compte.

La migration a un impact très fort sur les rapports intergénérationnels. En la matière, deux thèses s’opposent. Selon la première, il existe un fossé entre générations en raison de la différence d’acculturation à la société moderne : les jeunes deviennent plus individualistes, adhèrent à la modernité, s’écartent des normes traditionnelles auxquelles les parents sont toujours attachés, ce qui entraîne des conflits entre générations. Selon la seconde thèse, les familles immigrées sont plus solidaires que les autres du fait de valeurs familiales plus fortes – respect de la tradition, piété filiale – et du besoin accru de trouver refuge et protection dans la famille face à un environnement parfois hostile. Aucune de ces deux thèses n’a été vérifiée par les enquêtes empiriques : les conflits entre générations et la solidarité familiale ne concernent pas plus les familles d’immigrés que les autres.

Cependant, ces familles se transforment. Lorsqu’elles sont devenues transnationales, certains de leurs membres demeurant au pays, d’autres étant accueillis en France, elles sont souvent confrontées à des difficultés de regroupement familial. La famille élargie, qui existe dans la plupart des pays tiers à l’Union européenne, avec frères, sœurs, tantes, cousins, se transforme en famille restreinte, limitée aux seuls parents et enfants. De ce fait, les personnes qui avaient l’habitude de partager des responsabilités familiales et l’éducation des enfants avec la famille élargie, parfois même avec tout le village, peuvent éprouver d’importantes difficultés, voire un grand sentiment de solitude, en particulier lorsqu’elles doivent faire face à des coups durs. Cette situation explique la fréquence des allers et retours, tout comme les nombreuses communications à distance, facilitées par les nouvelles technologies, entre le pays d’origine et la France. Ainsi, les immigrés forment un pont culturel entre le pays d’origine et le pays d’accueil.

Dans la mesure où le projet migratoire vise à trouver de meilleures conditions de vie pour soi-même, mais aussi pour les générations suivantes, l’enfant occupe une position centrale dans les familles immigrées. Encouragés à poursuivre des études, la majorité des enfants d’immigrés connaissent une meilleure réussite sociale que leurs parents – davantage en France qu’en Belgique. Toutefois, comparés à l’ensemble des enfants de leur classe d’âge et en tenant compte de l’ensemble de la population du pays d’origine, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, ces enfants réussissent moins bien, les immigrés comportant une forte proportion d’ouvriers peu qualifiés. Il s’agit donc principalement de la détermination par le milieu social qui existe pour n’importe quel groupe d’immigrés comme pour la population française en général. De la même manière, les personnes originaires d’un même pays sont hiérarchisées, celles issues d’un milieu plus élevé réussissant mieux que celles qui viennent d’un milieu plus modeste.

La solidarité chez les immigrés prend la forme, comme pour la population générale, de transferts financiers au sein des générations qui sont un effet direct de la protection sociale et du bénéfice des retraites. Chez les immigrés, la solidarité se manifeste de plusieurs façons. D’abord, par des envois d’argent à la famille restée au pays, surtout aux vieux parents, qui les ont parfois aidés à partir et dont le niveau de vie est généralement très bas. Pour des immigrés dont les revenus sont généralement peu élevés, cela limite d’autant la possibilité d’aider les enfants présents en France à faire des études ou à démarrer dans la vie. Pourtant ces aides sont un facteur de réussite des études.

Ensuite, les enfants d’immigrés aident beaucoup leurs parents et interviennent même plus jeunes que les enfants du pays d’origine. Éduqués à l’école française, mieux à même de maîtriser la langue et de décoder la société, ils se posent comme médiateurs entre la famille et celle-ci. Après avoir été aidés par leurs parents, ils leur apportent à leur tour une aide tant sur le plan matériel que pour les démarches administratives et les soins.

Les immigrés gardent souvent des liens importants avec leur pays d’origine. Ce double attachement a été très bien étudié à l’aune des notions d’identité et de citoyenneté. Des attachements pluriels sont possibles. Néanmoins, les immigrés transmettent rarement, sinon jamais, à leurs enfants leur propre attachement à leur pays d’origine, et encore moins leur sentiment d’appartenance, si bien que ces derniers ont souvent un rapport distancié au pays d’origine et se sentent surtout appartenir au pays dans lequel ils vivent. Ainsi, les enfants de la deuxième génération nés en Grande-Bretagne, pays qui a choisi le multiculturalisme, ou nés en France, qui prône l’intégration par l’assimilation, et même nés en Afrique du Sud, où les immigrés subissent de fortes discriminations, aspirent très fortement à être Anglais, Français, Sud-Africains, c’est-à-dire au fond à être comme les autres. Leur rapport au pays d’origine est différent de celui de leurs parents : d’ailleurs, quand ils s’y rendent quelques jours, ils y sont considérés comme des étrangers. Cette tension dans le sentiment d’appartenance au pays de naissance et au pays d’origine conduit souvent ces jeunes à exprimer un goût pour le travail à l’international ou pour l’aide au développement ou à se définir comme « citoyens du monde ».

Les cultes sont pratiqués différemment selon les religions. Il y a beaucoup plus d’observance parmi les musulmans. On note chez les enfants d’immigrés soit une surenchère lorsqu’ils sont à la recherche d’une identité religieuse, soit un détachement – il n’y a pas de reproduction des parents aux enfants.

Quant aux préférences pour le lieu de sépulture, elles diffèrent selon le pays d’origine et la religion. Quand ils sont originaires d’Europe, les immigrés optent en majorité pour l’enterrement en France – les Espagnols à 66 %, les Italiens à 76 % –, à l’exception des Portugais (31 % optent pour la sépulture en France, contre 34 % pour une inhumation au pays) et des Turcs (68 % optent pour une sépulture au pays). Les Asiatiques souhaitent également être inhumés en France à 62 % – 12% seulement souhaitent être enterrés dans leur pays. À l’inverse, les personnes venues d’Afrique sont plus nombreuses à vouloir être inhumées dans leur pays d’origine : 58,5 % pour celles originaires du Maghreb (au lieu de 23 % qui optent pour une inhumation en France), 44,5 % pour celles d’Afrique subsaharienne. En revanche, les immigrés dont les parents sont inhumés en France, y compris lorsqu’ils sont originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, choisissent leur sépulture en France. Ainsi la continuité générationnelle se traduit soit par la fidélité au pays d’origine, soit par la création d’une continuité en France.

M. le président Denis Jacquat. Lorsque j’étais médecin en milieu hospitalier à Metz, un grand nombre de Portugais demandaient s’il était possible de transférer leur proche, qui était mourant, vers l’hôpital de Biarritz ou de Saint-Jean-de-Luz, c’est-à-dire tout près de la frontière espagnole. Cette réalité humaine rejoint les résultats de votre enquête.

M. le rapporteur. Les travailleurs algériens, marocains et tunisiens, arrivés massivement en France dans les années soixante et soixante-dix, ont été accueillis dans les foyers pour travailleurs migrants, ce qui témoigne d’une certaine mise à l’écart de ces populations. Comment expliquez-vous les lacunes de la politique d’intégration conduite à l’égard des immigrés de travail ? D’autres pays européens ont-ils eu la même attitude ?

À l’heure actuelle, un tiers environ des immigrés de plus de soixante-cinq ans ont obtenu la nationalité française. Quelles sont les conséquences de l’acquisition de la nationalité sur l’accès aux droits, l’intégration, l’appartenance à un réseau social ?

Mme Martine Pinville. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les difficultés des femmes immigrées âgées qui n’ont pas travaillé ?

Si les enfants occupent une position centrale dans ces familles, n’éprouvent-ils pas des difficultés face à leurs parents âgés au regard de l’évolution des modes de vie ?

Mme Hélène Geoffroy. Je suis élue d’une circonscription où le militantisme chez les femmes immigrées d’une soixantaine d’années, à travers les associations, semble davantage marqué que chez les femmes arrivées plus tardivement. Vos études ont-elles révélé ce phénomène ?

La solidarité s’exprime de façon plus précoce chez les enfants d’immigrés, avez-vous dit. Ces derniers sont-ils écartelés entre deux traditions, celle de la France et celle du pays d’origine ?

Mme Claudine Attias-Donfut. Comparer les politiques d’intégration est un exercice très difficile. Nous l’avons surtout fait entre la France et l’Angleterre, même si leur modèle d’intégration est distinct, l’Afrique du Sud étant un pays dont le point fort n’est pas le respect des droits des immigrés. La France est considérée comme un modèle d’intégration par mes collègues enquêteurs anglais, pour qui le multiculturalisme de leur pays a trouvé ses limites, car plusieurs générations d’immigrés n’y parlent pas l’anglais, qui est pourtant l’une des langues les plus parlées au monde. Les études comparatives entre ces deux pays montrent que, le sentiment d’appartenance est plus fort en France – j’y vois une réussite de notre politique d’assimilation, en dépit de ses insuffisances – et que très peu d’immigrés retraités souhaitent revenir dans leur pays d’origine. Il faut reconnaître aussi que le climat français est plus attractif que le brouillard anglais. Le multiculturalisme, qui existe aussi en Belgique, peut certes faciliter l’accès à des services, mais les personnes concernées se trouvent souvent à part dans la société, alors même qu’elles aspirent à en faire partie.

En définitive, la politique d’intégration française ne me semble pas si mauvaise que cela, même si elle nécessite des améliorations en matière d’accès aux services et d’aide des associations. En fait, il n’y a aucun pays où les choses se passent bien : en Allemagne, par exemple, les populations turques connaissent de grandes difficultés d’intégration.

L’acquisition de la nationalité favorise fortement le sentiment d’appartenance. La stratification civique, qui permet de différencier les individus selon leur degré d’appartenance à la citoyenneté, recoupe la stratification sociale qui constitue une autre forme de hiérarchie sociale. En facilitant l’intégration, la citoyenneté est symboliquement très importante : elle facilite les démarches, l’accession à la propriété, etc.

La migration peut parfois profiter davantage aux femmes qu’aux hommes. Après un divorce, un grand nombre d’entre elles refuse de retourner au pays, car elles risquent d’y être cantonnées dans le rôle traditionnel des femmes – s’occuper des autres, servir tout le monde… Elles sont donc plus attachées à la France, les hommes l’étant davantage au pays d’origine. Ainsi, l’immigration est une forme d’empowerment des femmes, et c’est ce qui peut expliquer l’évolution du militantisme. Comme le montre une récente thèse sur les femmes immigrées marocaines en Belgique et en France, des femmes qui se retrouvent seules après avoir été abandonnées par leur conjoint, mais qui ont pu se reconstruire grâce notamment aux services sociaux, se considèrent plus libres et plus heureuses qu’avant.

M. le rapporteur. Pour ces femmes, l’immigration est une forme d’émancipation.

Mme Claudine Attias-Donfut. Tout à fait. À l’inverse, certaines femmes sont isolées et maîtrisent mal la langue, faute d’avoir été aidées par des travailleurs sociaux pour intégrer un groupe. On le voit : l’intégration des femmes immigrées, y compris des femmes âgées, est un élément clé, car elles sont autant de médiatrices potentielles, comme l’a démontré Catherine Delcroix dans son étude sur les femmes immigrées dans les quartiers difficiles.

Pour les enfants, le plus difficile à vivre est le fait que les parents soient très tournés vers le pays d’origine : s’ils doivent y adhérer, ils peinent à s’intégrer et réussissent difficilement. Pour réussir, ils sont alors parfois obligés de rompre avec leurs parents. Ces situations sont douloureuses et très compliquées. Les premiers travaux sur la mobilité sociale des enfants d’Algériens dans les années quatre-vingt ont montré que les enfants accèdent d’autant plus facilement aux études supérieures que les parents sont très orientés vers l’intégration en France.

Enfin, face au vieillissement des parents, les familles d’immigrés ne prennent pas forcément tout en charge, comme on aurait pu le croire : elles font ce qu’elles peuvent, comme toutes les autres familles. De la même manière, elles ne se montrent pas davantage réservées que les autres à l’égard des professionnels extérieurs, et les aidants finissent par accepter d’être assistés. Toutefois, le manque d’informations, le sentiment de ne pas être légitime pour recourir aux services, les difficultés des travailleurs sociaux à entrer en contact avec elles, constituent de réels problèmes. C’est la raison pour laquelle des actions me semblent indispensables pour apporter à ces familles une meilleure information et un meilleur accès aux services.

M. le président Denis Jacquat. Merci beaucoup, madame, pour cet exposé très intéressant. Vos comparaisons européennes et internationales vont nous permettre d’enrichir notre réflexion.

Enfin, la mission d’information entend M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale, ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales, et de M. Renaud Villard, chef du bureau des retraites de base à la sous-direction des retraites et des institutions de protection sociale complémentaires.

M. le président Denis Jacquat. Nous recevons M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé, accompagné de Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales, et de M. Renaud Villard, chef du bureau des retraites de base à la sous-direction des retraites et des institutions de protection sociale complémentaires.

Il revient à notre mission d’information d’identifier les difficultés que rencontrent les immigrés âgés pour accéder aux droits sociaux. Nous serions heureux de connaître votre point de vue et les pistes d’amélioration qu’il vous semble possible d’explorer : des dispositions nouvelles concernant les immigrés âgés pourraient par exemple figurer dans les conventions d’objectifs et de gestion (COG) qui lient les différents organismes de sécurité sociale à la tutelle.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. L’amélioration de l’accès des personnes âgées immigrées aux droits et de leur accompagnement par les caisses de sécurité sociale constitue l’une de nos préoccupations majeures.

S’agissant des droits à retraite contributifs, je rappelle que les pensions correspondant au versement de cotisations liées à une activité professionnelle en France sont totalement « exportables » sans condition de réciprocité – contrairement aux règles retenues par d’autres pays occidentaux comme le Royaume-Uni. Aujourd’hui, 1,25 million de pensions de retraite sont versées à des personnes résidant à l’étranger. Elles n’ont qu’une seule particularité : leurs bénéficiaires doivent produire régulièrement un « certificat d’existence », visé par les autorités locales, prouvant qu’ils sont toujours en vie. Afin de simplifier cette formalité et d’améliorer la maîtrise des risques et la lutte contre les fraudes, nous travaillons actuellement à une évolution de cette procédure.

Les droits non contributifs concernent les migrants âgés qui, en raison de périodes de cotisation trop courtes ou de non-déclaration par leurs anciens employeurs, perçoivent une pension modique complétée par le minimum vieillesse. Ce minimum social a fait l’objet, en 2004, d’une réforme créant une allocation unique : l’ASPA, entrée en vigueur en 2007. Les bénéficiaires des anciennes allocations continuent toutefois de les percevoir selon les règles applicables avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 juin 2004 relative à la simplification du droit dans les domaines du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Nous travaillons avec les organismes compétents, la CNAV et le SASPA de la Caisse des dépôts et des consignations, à l’amélioration de l’accès aux droits et de l’information. Ainsi, le SASPA, qui compte aujourd’hui 70 000 allocataires sans droits à retraite liés à des cotisations, organise depuis plusieurs années trois réunions annuelles en région afin d’informer les acteurs de terrain, notamment les centres communaux d’action sociale, des conditions d’attribution de l’ASPA. Une lettre d’information diffusée sous forme dématérialisée est aussi distribuée à près de 7 000 partenaires. Ces pratiques ont été inscrites dans la COG signée entre le SASPA et l’État.

Dans le même esprit, l’assurance retraite a contribué à la publication du Guide du retraité étranger, réalisé par l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO). Elle mène également diverses actions destinées à favoriser l’accès aux droits et le « bien vieillir », et consent notamment des efforts financiers en faveur de l’adaptation et de la réhabilitation des foyers de travailleurs migrants. Entre 2009 et 2012, treize projets de ce type ont été financés grâce à des prêts sans intérêts à hauteur de 7,7 millions d’euros, et des subventions ont été accordées pour environ 200 000 euros.

La Cour des comptes a rappelé l’année dernière la nécessité de mieux informer de leurs droits les bénéficiaires potentiels de l’assurance vieillesse. L’accès aux droits pour tous les publics constituera un élément essentiel des futures COG, dont celle qui sera négociée avec la branche vieillesse du régime général au second semestre 2013.

En matière d’accès aux soins, je précise que nous informons les bénéficiaires du « minimum vieillesse », dont le montant dépasse le seuil permettant l’affiliation à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), qu’ils peuvent recevoir l’aide à la complémentaire santé (ACS).

Depuis 2006, dans le souci d’aligner les conditions de versement des minima sociaux, le législateur a soumis les bénéficiaires de l’ASPA à une obligation de résidence : le demandeur doit désormais justifier d’une présence effective sur le territoire national de plus de six mois au cours de l’année civile. Les bénéficiaires soumis au régime antérieur continuent néanmoins de percevoir des prestations qui restent « exportables ». À la fin de l’année 2010, près de 240 000 allocations étaient encore servies à ce titre, mais il faut noter que ce « stock » décroît régulièrement et que le montant moyen des allocations servies, soit 170 euros mensuels, est inférieur à celui versé pour l’ASPA qui s’élève à 410 euros – sachant que le montant maximal de cette allocation est de 777 euros pour une personne seule.

La condition de résidence entre dans le champ des contrôles opérés par la CNAV. Je précise que le plan national de lutte contre la fraude, annoncé par le Premier ministre il y a une dizaine de jours, exclut de cibler spécifiquement les foyers de travailleurs migrants. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) nous avait d’ailleurs fait part de recommandations visant à prévenir tout risque de discrimination dans la sélection des allocataires contrôlés. Par ailleurs, leurs obligations en matière d’accueil ont été rappelées aux directeurs d’établissements.

En 2011, les vérifications relatives au lieu de résidence représentaient 23 % des contrôles antifraude de la CNAV, soit 3 600 contrôles sur un total de 15 600. Ils ont permis de détecter 250 cas de fraudes à la résidence – par non-respect de la condition de résidence l’année du contrôle ou fausse déclaration de résidence en France au moment du dépôt de la demande d’allocation –, pour un préjudice évalué à 2 millions d’euros.

M. le rapporteur. La durée de résidence préalable nécessaire à l’attribution de l’ASPA a été portée de cinq à dix ans par l’article 94 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Que savez-vous de la mise en œuvre de cette mesure ? La CNAV nous a indiqué ne pas avoir transmis d’instructions aux caisses régionales, mais, selon le SASPA qui applique ce nouveau dispositif, il entraîne une réduction de 10 % de la population éligible.

Savez-vous combien de personnes bénéficieraient de l’ASPA si la durée de résidence préalable était ramenée à cinq ans ou si elle était supprimée ?

Quel est l’effet de l’obligation de fournir une attestation, établie en préfecture, de résidence régulière ininterrompue sous couvert d’un titre de séjour autorisant à travailler depuis plus de dix ans ?

Certaines des associations que nous avons entendues considèrent que les caisses de sécurité sociale ont une lecture restrictive de la condition de résidence pour l’accès aux droits sociaux. Ces associations estiment que la condition de « caractère permanent » du foyer, telle qu’elle figure à l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale, est remplie même en cas d’absence du territoire de plus de six mois. Partagez-vous cette analyse ?

Une autre question d’interprétation se pose quant à l’obligation de résidence de plus de six mois sur le territoire. Le décret semble préciser que cette durée doit être comptabilisée au cours de l’année civile, mais ce décompte est parfois effectué à cheval sur deux années consécutives.

Par ailleurs, en cas de divergences entre l’administration et les bénéficiaires, compte tenu des populations concernées, il n’y a sans doute pas toujours fraude intentionnelle.

Enfin, la comparaison des accords bilatéraux en matière de sécurité sociale liant la France aux pays de provenance des immigrés âgés fait-elle apparaître des différences ? Les dispositions de ces conventions ont-elles une incidence particulière sur les immigrés âgés pratiquant la navette entre la France et leur pays d’origine ?

Mme Hélène Geoffroy. Pouvez-vous détailler le calendrier et les modalités des actions que vous envisagez de mener afin de donner aux usagers une meilleure connaissance de leurs droits et d’améliorer leur accompagnement ?

M. Thomas Fatome. Nous manquons encore de recul pour mesurer l’impact de l’allongement de la durée de résidence préalable à l’attribution de l’ASPA. Compte tenu des publics concernés, il me semble que le SASPA sera plus à même de vous répondre que la CNAV. Le pourcentage de dossiers rejetés pour non-respect de la durée de séjour préalable a mécaniquement augmenté : alors que cette proportion était sensiblement la même depuis trois ans – 16 % de l’ensemble des dossiers rejetés –, elle est passée à 24 % au 30 septembre 2012, ce qui représente 650 dossiers.

Le SASPA nous a indiqué que, pour satisfaire à l’obligation de fournir une attestation établie dans les préfectures, des référents avaient été désignés dans chacune d’entre elles. Après une période de mise en place, le traitement des dossiers semble désormais donner satisfaction.

Pour notre part, nous n’avons pas été saisis de difficultés d’interprétation de la règle relative à l’obligation de résidence. Il apparaît clairement que le décompte doit être fait au cours de l’année civile, ce qui correspond aux règles retenues en matière fiscale. Il semble que le nombre de contrôles reste mesuré : je ne crois pas que, en la matière, les organismes de sécurité sociale fassent preuve d’excès de zèle.

M. le rapporteur. Des associations nous ont signalé qu’il était arrivé qu’une absence de septembre à avril soit considérée, parce qu’elle avait duré sept mois, comme contraire à l’obligation de résidence.

M. le président Denis Jacquat. Il s’agit peut-être de l’appréciation isolée d’une caisse. En tout état de cause, dans votre exposé liminaire, vous aviez bien précisé que la condition de six mois de résidence s’entendait au cours de l’année civile.

M. Thomas Fatome. Si des problèmes d’interprétation ont pu se poser, nous serons amenés à clarifier la situation avec les caisses.

En matière de vieillesse et de pensions de retraite, les accords bilatéraux respectent une même logique visant à ce que toutes les périodes d’assurance, dans les deux pays concernés, soient bien prises en compte. Il peut y avoir, selon les conventions, quelques écarts de champ, par exemple entre les travailleurs salariés et les indépendants.

Mme Christiane Labalme, chef de la division des affaires communautaires et internationales de la direction de la sécurité sociale. Ces accords ont aussi une conséquence en matière de prise en charge des soins.

Dans le cas où la France a signé une convention bilatérale avec un État non membre de l’Union européenne, il faut distinguer deux cas. Si la personne concernée ne bénéficie que d’une pension de retraite française, les soins sont toujours attachés au versement de la pension. Ils sont alors remboursés par la France, même s’ils sont dispensés dans le pays tiers signataire de la convention. Si la personne concernée est polypensionnée, les dépenses de santé relèvent de son pays de résidence, même si le bénéficiaire perçoit aussi une retraite versée par la France.

Dans le cas où la France n’a pas signé de convention bilatérale, des soins prodigués de façon urgente et inopinée sur notre territoire peuvent être pris en charge, sous réserve que la personne concernée dispose d’un visa en règle, mais, en tout état de cause, le pays d’origine n’intervient pas.

M. le président Denis Jacquat. Il faut rappeler que l’obtention d’un visa n’est pas chose automatique. Certaines personnes disposant d’un visa touristique oublient parfois que sa validité est limitée. La question des droits dont ils peuvent bénéficier est alors posée.

Mme Christiane Labalme. Le visa touristique n’est accordé que si son titulaire bénéficie d’une assurance. Un problème se pose en effet si ce dernier souffre d’une maladie précédemment diagnostiquée qu’il n’aurait pas déclarée, ou que l’assurance ne peut plus être mise en œuvre.

M. Thomas Fatome. Madame Geoffroy, à la suite de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, il a été décidé de renforcer la mobilisation des caisses de sécurité sociale en faveur de l’accès aux droits. Elles iront au-devant des assurés afin de repérer les cas dans lesquels des droits ne seraient pas exercés. En 2013, la renégociation des COG passées tant avec la branche famille qu’avec la branche retraite et la branche maladie permettra de faire de ce sujet une priorité forte.

Dans ce cadre, les croisements des fichiers dont disposent les organismes de sécurité sociale peuvent servir à autre chose qu’à lutter contre la fraude, et permettre de repérer les personnes qui n’ont pas mobilisé des droits dont elles sont potentiellement bénéficiaires par exemple les personnes qui ont droit à l’ACS et ne la sollicitent pas.

M. le rapporteur. Quels sont les obstacles à la mise en œuvre des articles 58 et 59 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable – dite « loi DALO » –, qui a créé une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine » ? Les décrets d’application n’ont pas été pris au motif que des textes communautaires sur la sécurité sociale ou des décisions juridictionnelles conduiraient à requalifier cette aide d’État : considérée comme une prestation sociale, elle ouvrirait un droit pour les séjours dans tous les pays de l’Union européenne. Vous semble-t-il impossible de réserver cette aide ou une aide comparable à des personnes ayant résidé de longue date dans des foyers de travailleurs migrants, dont il a par ailleurs été indiqué à la mission d’information qu’ils étaient une spécificité française ?

En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, les étrangers rencontrent-ils une difficulté particulière pour la reconnaissance d’un taux d’incapacité permanente partielle supérieur à 20 % qui permet la délivrance de plein droit de la carte de séjour « vie privée et familiale » ?

M. le président Denis Jacquat. Le rapporteur pour l’assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale que j’ai été sait que, pour régler le problème de la pénibilité, on peut faire le choix du laxisme ou celui de la rigueur.

M. Thomas Fatome. Selon le Conseil d’État, la prestation prévue par la loi DALO pourrait être considérée par les instances de l’Union européenne comme entrant dans le champ de coordination de la sécurité sociale. Nous nous trouverions alors dans l’obligation de prendre en compte pour tous les allocataires, communautaires ou non, l’ensemble des périodes de résidence dans les pays de l’Union. Si cette interprétation a empêché à ce jour la publication des textes d’application, j’ai le sentiment que la solution proposée par la loi reste la meilleure. Nous continuons donc de travailler afin de limiter les risques de « contagion », car, sous réserve d’un dialogue avec Bruxelles, il semble possible d’adapter le dispositif.

M. le rapporteur. Une modification législative ne vous semble donc pas nécessaire ?

M. Thomas Fatome. En tout état de cause, les décrets devront écarter la distinction que la loi voudrait opérer entre les ressortissants des pays de l’Union européenne et les autres. Mais, même si nous ne sommes pas au terme du processus et si la décision politique doit encore être prise, toutes les autres solutions semblent plus difficiles à mettre en place et lourdes de conséquences pour l’architecture de notre système de sécurité sociale. En matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, comme sur les autres sujets, nous ne distinguons pas les personnes selon leur nationalité. Cela dit, je n’ai pas connaissance que ce facteur introduise un biais dans l’appréciation du taux d’incapacité des personnes concernées.

M. le président Denis Jacquat. Madame, messieurs, je vous remercie pour la richesse et la clarté de vos propos.

La séance est levée à douze heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 21 février 2013 à 9 heures

Présents. – M. Pouria Amirshahi, M. Alexis Bachelay, M. Philippe Bies, Mme Kheira Bouziane, Mme Hélène Geoffroy, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Denis Jacquat, Mme Martine Pinville

Excusé. – M. Jean-Christophe Lagarde