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Mission d’information sur les immigrés âgés

Mardi 28 mai 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Denis Jacquat

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, de Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, et de Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

– Audition, ouverte à la presse, M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

– Présences en réunion

La séance est ouverte à seize heures trente.

La mission d’information entend Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, et Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous entendons aujourd’hui les ministres responsables de politiques qui peuvent améliorer la situation des immigrés âgés et débutons avec Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, et Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mesdames les ministres, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendues par la Mission afin de nous présenter la situation des immigrés âgés au regard de vos périmètres d’intervention respectifs ainsi que les évolutions qui pourraient être envisagées dans l’accès aux droits sociaux, aux soins et aides à domicile, etc.

Je précise que notre mission d’information s’intéresse à la situation des immigrés âgés de plus de cinquante-cinq ans originaires d’États tiers à l’Union européenne, qui représentent 800 000 personnes, les plus de soixante-cinq ans représentant 350 000 personnes. La Mission a effectué trente-deux auditions et s’est également déplacée à plusieurs reprises sur le terrain, en région parisienne et à Paris même, dans le Rhône, dans le Gard, en Moselle ainsi qu’en Algérie et au Maroc.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, je suis heureuse de vous retrouver ici pour aborder la question des personnes âgées immigrées, question qui concerne notre société toute entière. En effet, le destin de ces hommes et de ces femmes est intimement lié au nôtre et à celui de notre pays. On ne peut pas évoquer la situation de ces personnes sans se souvenir que leur histoire s’inscrit pleinement dans la nôtre, puisqu’ils sont venus pour nous aider dans la reconstruction de notre pays.

On a tendance, lorsque l’on parle de questions sociales, à mettre en avant des chiffres, des statistiques et des réalités. Mais je tiens à rappeler que derrière ces chiffres et ces statistiques, il y a des hommes, des femmes, des parcours de vie, des engagements, des choix. Derrière ces réalités, il y a une diversité de situations sociales : des ouvriers agricoles, des travailleurs du bâtiment et de l’industrie, des femmes qui, en général, ont rejoint la France plus tard, dans le cadre du regroupement familial. Quoi qu’il en soit, ceux dont nous parlons aujourd’hui sont venus en France pour nous apporter leur travail et dans l’espoir d’une vie meilleure.

Aujourd’hui, ces hommes et ces femmes ont vieilli. Mais ils ne sont pas reconnus, comme s’ils n’existaient pas. Ils sont devenus « invisibles », qualificatif qui revient souvent dans leur bouche et dans celle des représentants des associations qui les aident. Ces hommes et ces femmes sont nombreux à exprimer un sentiment d’incompréhension, et leur impression d’être mis à l’écart d’une société à laquelle ils ont beaucoup contribué. En arabe dialectal, on les appelle les chibanis, c’est-à-dire les anciens ou les « cheveux blancs ». Or les chibanis ne vivent pas bien dans notre pays.

Nombre d’entre eux sont isolés et doivent endurer les épreuves quotidiennes de la solitude ou de l’indifférence. Leur maîtrise de la langue française n’est pas suffisante, ce qui leur pose des difficultés pour comprendre les procédures administratives et accéder aux droits auxquels ils pourraient prétendre.

Leur retraite est très modeste. Beaucoup d’entre eux ont occupé des emplois qui, pendant des années, n’ont pas été déclarés. Certains ont enchaîné petits boulots ou emplois à temps partiel. D’autres ont été obligés d’arrêter de travailler assez tôt parce qu’ils étaient devenus invalides ou en raison de la pénibilité des tâches qui étaient les leurs. Ces situations les contraignent, d’une façon générale, à dépendre en totalité ou en partie de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’ancien « minimum vieillesse ». Par ailleurs, lorsqu’ils le peuvent encore, ces hommes et ces femmes effectuent des allers et retours entre la France et leur pays d’origine. Mais de telles habitudes de vie génèrent des ruptures de droits sociaux.

Ces personnes sont mal logées. Elles vivent souvent dans des hôtels meublés, des foyers de travailleurs migrants ou au sein de parcs privés diffus plutôt dégradés. Ces conditions de vie précaires sont inadaptées à leurs besoins, d’autant qu’une partie d’entre elles est en perte d’autonomie. En outre, malgré leur mauvais état de santé, les chibanis renoncent fréquemment à se soigner.

Reconnaître cette situation est une exigence, et je me réjouis des travaux que conduit votre mission. La première responsabilité des pouvoirs publics et des élus est bien de rendre visible une réalité sociale qu’il ne s’agit pas de cacher. Ma volonté, comme celle du Gouvernement, est de faire en sorte que ces personnes âgées immigrées bénéficient du droit commun. La règle dans notre pays est que chacun puisse avoir accès à ses droits.

Lorsque l’on évoque des situations particulières, on encourt le reproche de vouloir mettre en place des droits particuliers. Mais l’enjeu n’est pas celui-là : il est tout simplement que ces hommes et ces femmes puissent accéder aux droits auxquels ils peuvent prétendre. Dans le cadre de la Conférence nationale de la lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Mme Carlotti et moi-même avons fait de l’accès aux droits l’un des enjeux majeurs de la lutte contre la pauvreté. Le problème ne concerne pas seulement les immigrés âgés, mais toutes les personnes en situation de fragilité ou de précarité. En effet, il est parfois difficile d’accéder au droit commun quand on ne maîtrise pas les procédures et qu’on ne sait pas à qui s’adresser.

Le combat du Gouvernement va néanmoins au-delà. Nous entendons reconnaître la dignité de ces hommes et de ces femmes, et exprimer fortement notre volonté de ne pas laisser de côté celles et ceux qui ont permis à notre pays de se construire, de façon vigoureuse, au cours des Trente Glorieuses. C’est le message que nous devons adresser aux nouvelles générations, quelle que soit leur origine. La République se préoccupe de toutes les générations. La solidarité intergénérationnelle est au cœur de notre pacte social.

Pour lutter contre les obstacles du quotidien, améliorer les conditions des personnes âgées immigrées, je souhaite vous présenter les deux axes prioritaires de la politique que j’ai engagée.

Tout d’abord, dans le champ social – probablement le champ principal – il est devenu urgent d’apporter une réponse adaptée au mode de vie et aux besoins des immigrés vieillissants.

Commençons par la retraite. Comme tous les minima sociaux, l’ASPA est une aide financée par la solidarité nationale, qui permet de garantir un montant minimal de ressources aux retraités qui vivent en France, et ce en fonction du niveau de vie français. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir sa résidence principale en France pour en bénéficier, ce qui implique une présence de six mois minimum par année civile sur le territoire national. Si nous changions ces règles, nous prendrions le risque de rendre exportables toutes les aides sociales françaises, et nous serions amenés à verser ces prestations à des ressortissants communautaires. Ce n’est pas une orientation que nous pouvons privilégier ou défendre
– pour des raisons financières et parce que d’autres pays ne pratiquent pas l’exportation de leur aide sociale. Je souhaite toutefois qu’une solution soit trouvée pour répondre aux difficultés particulières rencontrées par ces personnes. J’ai donc demandé à mes services de reprendre les expertises – qui avaient été abandonnées – visant à la mise en place de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine prévue par la loi du 5 mars 2007 dite « loi DALO ». Je pense que nous pourrons avancer sur ce terrain, et je souhaite que nous aboutissions rapidement. La création d’une aide à la réinsertion familiale et sociale est donc la première orientation que je vous soumets.

Continuons par les procédures de contrôle. Je ne porterai pas de jugement général, mais le fait est que nous avons tous à l’esprit des témoignages dénonçant des procédures de contrôle qui ne satisfont pas au respect et à la dignité des personnes. Des améliorations seront donc apportées. Les contrôleurs bénéficieront d’une formation plus poussée. Un modus operandi du contrôle sera défini avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Les courriers adressés par les caisses aux assurés devront être réécrits, afin qu’ils soient à la fois plus lisibles et moins comminatoires. J’adresserai très prochainement une lettre aux caisses concernées pour leur faire part de ces instructions.

Venons-en aux formalités imposées aux personnes qui reçoivent une pension contributive. À la différence du « minimum vieillesse », les retraites contributives sont totalement exportables. Mais les assurés qui reçoivent une pension à l’étranger doivent attester périodiquement de leur existence en remplissant un formulaire visé par les autorités locales – pour éviter que l’on ne verse une pension à des personnes décédées. Néanmoins, la régularité de ces formalités représente une contrainte. Chaque régime de retraite a mis en place son propre certificat d’existence, avec des formulaires différents, et des périodicités de demandes variables. Les assurés qui résident à l’étranger – et a fortiori les polypensionnés – doivent multiplier les demandes de certificat d’existence auprès des autorités locales, ce qui implique des déplacements répétés, parfois difficiles, souvent inutiles.

Nous avons les moyens de mettre un terme à ces entraves et à ces contraintes administratives. Je vous ai demandé de voter, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, plusieurs mesures visant à simplifier ces formalités. C’est le sens de l’article 83 de la loi qui prévoit : d’abord, que les retraités qui résident hors de France fournissent à leur caisse de retraite un justificatif d’existence au maximum une fois par an ; ensuite, qu’à compter de la date butoir fixée par la caisse pour la réception du justificatif, un délai minimal d’un mois soit prévu avant la suspension de la pension ; enfin, que les régimes obligatoires de retraite puissent mutualiser la gestion des certificats d’existence dans des conditions fixées par décret. La publication de ce décret a été fixée pour le troisième trimestre 2013, c’est-à-dire dans le courant de l’été.

La réussite de cette politique passe par la coordination des différentes actions qui sont menées.

Ainsi, nous travaillons de façon très proche avec Michèle Delaunay qui conduit le projet MONALISA – soit mobilisation nationale de lutte contre l’isolement social des âgés. Ce projet a pour vocation de déployer le bénévolat de type associatif et de faire de la lutte contre l’isolement des âgés un axe majeur de l’implication citoyenne. Par ailleurs, les schémas gérontologiques devront intégrer la spécificité de ces publics.

Ensuite, la loi de financement de la sécurité sociale ayant prévu la mise en place d’expérimentations sur les parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie, ou PAERPA, j’ai procédé à une sélection des projets d’expérimentation et j’ai demandé explicitement qu’un de ces projets intègre des actions spécifiques en direction des personnes âgées d’origine étrangère ; ce sera le cas du projet présenté par le Pas-de-Calais.

Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, nous avons mis en place toute une série de mesures pour favoriser l’accès aux droits communs qui doivent pouvoir s’appliquer à ces personnes. De façon plus générale, je proposerai d’utiliser les conventions d’objectifs et de gestion (COG) pour faire avancer la question de l’accès aux droits sociaux des personnes immigrées âgées.

Le second axe de mon action concerne la santé. L’approche selon le parcours de santé reste à déterminer, au-delà même des parcours de soins concernés par la mise en place des expérimentations PAERPA. Il s’agit de développer des actions de médiation, des actions innovantes, conduites par des personnes issues des quartiers et des communautés concernées. Ces personnes sont chargées de procéder à un accompagnement pour faire le lien entre les acteurs institutionnels locaux et la population. En effet, nous savons que le renoncement aux soins ou la difficulté à s’adresser à des structures de soins tient, entre autres, à la perception, par les immigrés âgés, de barrières qu’ils ne savent pas comment franchir. La médiation est donc un élément important pour faciliter l’accès de ceux-ci au système de santé, car elle permet de nouer des relations de confiance et de lever des barrières culturelles.

La médiation ne se limite évidemment pas à l’interprétariat. Elle permet de faire passer des messages de santé ciblés, de faciliter l’accès à des structures de soins identifiées et adaptées aux besoins de cette population. Par exemple, nous avons besoin de transmettre des messages de prévention de la tuberculose dans les foyers de travailleurs migrants, en faisant évoluer les représentations qui existent autour de la maladie et de la nutrition. Or, nous savons bien qu’à lui seul, un médecin « classique » ne peut y parvenir. Le message doit être porté, relayé, expliqué.

C’est donc une approche globale que je souhaite mettre en place, en valorisant les nombreuses initiatives qui existent. J’ai demandé aux agences régionales de santé (ARS), au-delà même de l’expérimentation que j’ai déjà évoquée, de soutenir les démarches qu’elles peuvent identifier sur leur territoire.

Mesdames et messieurs les députés, que ce soit par des actions dans le domaine social ou dans celui de la santé, le Gouvernement a la volonté de permettre à chacun de vivre dans la dignité. C’est une exigence que nous pouvons partager collectivement.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre, pour la clarté de votre exposé.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le président, mesdames messieurs les députés, les migrants âgés qui sont entrés dans le champ de l’âge, voire du grand âge, sont très nombreux. Plusieurs courants politiques ont tenté d’apporter des solutions humaines aux problèmes qu’ils rencontrent. C’est en effet une question de dignité, qui préoccupe particulièrement la ministre en charge de l’âge et de l’autonomie que je suis. En effet, ce que nous ne leur apportons pas maintenant, nous ne pourrons pas le leur apporter dans dix ans. Il y a bien urgence et j’apprécie que ce sentiment soit partagé par beaucoup d’entre vous, quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez.

Dès le début de ma prise de fonctions, je me suis rendue dans certains de ces foyers qui accueillent ces personnes âgées immigrées : 40 000 à 50 000 sur un total de 350 à 400 000. Il y a de quoi être saisi par les conditions de vie de celles-ci, à la limite de la décence, par leur immense isolement et leur immense solitude. Bien souvent, elles passent presque tout leur temps devant un poste de télévision, dans des chambres de 7,5 mètres carrés.

Nous avons mis en place un groupe de travail réunissant les ministères concernés. Nous avons essayé d’envoyer très rapidement des messages en nous rendant sur le terrain et en agissant à l’échelon national pour faire prendre certaines mesures d’urgence : simplification de toutes les demandes ; allègement des contrôles, qu’il faut rendre plus humains, en particulier en évitant d’en faire pendant la période du ramadan ; lancement d’expérimentations et de réflexions sur la mutualisation des certificats d’existence entre les différentes caisses et la sécurité sociale ; possibilité de recevoir ces certificats par courriel ; généralisation, ou du moins diffusion d’une structure qui existe dans plusieurs caisses d’assurances retraite et de la santé au travail – CARSAT – et dont j’ai pu voir un exemple à Angers : je veux parler d’ateliers où l’on organise, notamment, des visites au domicile des immigrés âgés.

Comme cela a été rappelé, ces âgés ont des conditions de vie très pénibles.

Ils souffrent dramatiquement de l’isolement, lequel est encore aggravé par leur manque de maîtrise de la langue française. Cet isolement est pris en compte dans la démarche MONALISA, qui réunit les trente grandes associations engagées dans la solidarité. Parmi elles, l’association Ayyem Zamen a mis en place des cafés sociaux, dont le premier est dû à l’initiative de Mme Hoffman-Rispal. Ces cafés sont des éléments importants de la lutte contre l’isolement des migrants, notamment des migrants âgés.

Leur vie de travail les a prématurément vieillis, ce qui ne fait qu’empirer leur situation au moment de la retraite. L’ASPA n’étant pas exportable, nous nous heurtons à une difficulté fondamentale, qui a mené jusqu’à présent plusieurs groupes de travail à l’échec. Mais les décrets d’application de la « loi DALO » vont peut-être nous permettre d’en sortir. Je pense que nous nous retrouverons sur cette piste de la création d’une allocation spécifique, étant observé que la dépense qu’elle entraînera pourra être compensée par l’économie évidente des sommes engagées pour les accueillir – dans des conditions d’ailleurs insatisfaisantes. Un très gros progrès pourrait ainsi être réalisé, pour un coût qui serait en tout cas supportable au regard de l’importance de l’enjeu. J’espère qu’un tel engagement sera inclus dans le projet de loi que je prépare, comme dans le schéma gérontologique de la plupart de nos conseils généraux.

Il y a là un enjeu social, humain, mais aussi sociétal, extrêmement important. Nous devons témoigner à ces âgés la reconnaissance de la République pour leur implication pendant leur vie de travail. Mais nous devons aussi témoigner aux plus jeunes générations que le souci de mémoire de ces migrants, notamment d’origine maghrébine, est bien aussi le nôtre, et que nous savons honorer, respecter et accompagner les personnes vieillissantes.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre. Il y a en effet urgence, car l’âge moyen des chibanis qui vivent dans notre pays en logements collectifs est élevé. Par ailleurs, comme l’a rappelé Mme Touraine, nous devons permettre à ces personnes, qui sont venues dans notre pays pour aider à la reconstruction de la France et participer à son développement rural, de vivre dans la dignité.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Mesdames les ministres, je vous remercie à mon tour pour la clarté de vos propos. J’ai le sentiment que vous avez suivi de très près les travaux de la Mission. Certaines des préconisations qui seront dans le rapport ont d’ores et déjà fait l’objet aujourd’hui, de votre part, d’annonces extrêmement importantes.

Ces auditions constituent incontestablement un temps fort des travaux que nous menons maintenant depuis plus de cinq mois dans le cadre de cette mission parlementaire, dirigée par le président Jacquat dans un esprit de consensus. Les attentes sont grandes et nous partageons la même volonté d’améliorer de façon tangible les conditions de vie de ces migrants âgés.

Je suis heureux de constater que vous partagez notre sentiment d’urgence, lié à la très grande précarité et aux caractéristiques socio-sanitaires de cette population. Si les parlementaires et la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale ont pensé nécessaire de créer cette mission, c’est notamment parce que les migrants âgés ont une espérance de vie de dix ans inférieure à celle de nos compatriotes, qu’aujourd’hui deux à trois migrants âgés décèdent chaque jour dans les foyers Adoma, et que plus de la moitié des migrants âgés déclarent être en maladie professionnelle ou avoir été victimes d’accidents du travail.

En entendant des responsables de la sécurité sociale ou des médecins qui suivent de façon régulière ces populations, nous avons appris que celles-ci recouraient moins souvent que les autres aux soins et à notre système de sécurité sociale – contrairement d’ailleurs à ce que l’on peut parfois entendre. En outre, parce qu’elles ont souvent exercé des métiers peu qualifiés, qu’elles ont eu une carrière hachée en raison du chômage ou du comportement des employeurs (travail non déclaré, fiche de paie falsifiée), elles perçoivent des retraites contributives nettement plus faibles que les retraités français. Cette faiblesse a été quelque peu compensée par la mise en place de l’ASPA. Malheureusement, la non-exportabilité de cette allocation de solidarité nationale leur pose de graves problèmes.

Je reviendrai sur quelques points.

Tout d’abord, madame la ministre, vous avez évoqué la question des contrôles. Je fais d’ailleurs partie des parlementaires qui ont attiré votre attention à ce propos. Je rappelle que dès 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) avait recommandé l’utilisation de méthodes de contrôle plus respectueuses des droits fondamentaux et du principe de non-discrimination. Mais si votre réponse m’a rassuré pour l’avenir, je m’interroge sur les dossiers en cours. En effet, des contentieux assez durs opposent les caisses aux chibanis, qui se sont parfois rassemblés dans des collectifs pour tenter de défendre leurs droits et n’hésitent pas à aller jusqu’à saisir le juge pénal. Certains migrants âgés doivent rembourser des indus importants, surtout par rapport au montant de leurs revenus. Le ministère envisage-t-il de réexaminer ces cas et les actions déjà engagées ?

Par ailleurs, l’aide à la réinsertion familiale et sociale était en effet prévue par les articles 58 et 59 de la « loi DALO ». Pour des raisons qui ont été mises à jour dans le cadre des travaux de la Mission, notamment grâce au témoignage direct et franc de M. Jean-Louis Borloo, les décrets qui auraient permis la création effective de cette aide n’ont jamais été publiés. Le texte répondait essentiellement à la situation des travailleurs migrants âgés de plus de soixante-cinq ans vivant en foyers et ciblait donc de façon explicite cette population souvent « célibatairisée », qui souffre le plus d’isolement et se sent le moins libre de ses mouvements. De fait, ce sont souvent eux qui gardent une chambre dans le foyer pour pouvoir bénéficier du complément d’ASPA. Au-delà de l’annonce très forte qui a été faite par la ministre, nous souhaiterions savoir s’il est envisagé de publier les décrets, ou si la mise en œuvre de cette allocation pourrait suivre un autre chemin législatif. Avez-vous poussé les expertises jusqu’à savoir selon quel calendrier et sous quelle forme ?

Je reviendrai également sur la contribution des différentes caisses de sécurité sociale, au titre de leur action sociale, à l’amélioration de la situation des résidents de foyers de travailleurs migrants. Comment faciliter l’intervention des services sociaux dans ces foyers ? Comme nous l’avons constaté, ce public très spécifique ne va pas spontanément vers les services sociaux. Les représentants d’Adoma nous ont bien parlé d’une médiation sociale. Malheureusement, sa mise en place n’en est qu’aux balbutiements. Le ministère peut-il l’accélérer ?

Ensuite, comme l’a fait remarquer Mme Delaunay, il est important de sensibiliser les pouvoirs locaux à la problématique des personnes âgées. Il est indispensable d’inscrire systématiquement cette dernière dans tous les schémas gérontologiques, que ce soit à l’échelon départemental ou régional. Mais il ne faut pas oublier de sensibiliser les pouvoirs publics à l’échelle communale. La commune est en effet le premier échelon d’intervention sociale, via les centres communaux d’action sociale (CCAS). Or, l’implication des communes est très inégale. Si certaines communes prennent des responsabilités dans ce domaine, d’autres ne le font pas.

Je voudrais également vous interpeller sur la question de la rupture des droits, notamment lors du passage à la retraite. Comment orienter l’action des régimes de retraite en faveur des publics les plus éloignés de leurs droits ?

Je terminerai par la situation spécifique des conjointes. Souvent, au moment de la retraite, certains travailleurs migrants, qui ont vécu très longtemps seuls en France parce que leur famille était restée au pays, font venir leur conjointe. Ils ont des problèmes de santé, ne sont plus autonomes et ont besoin d’un accompagnement. Celles qui les rejoignent, parfois au bout de trente ans, ne maîtrisent pas le français et n’ont jamais travaillé dans notre pays. Quand leur conjoint décède, elles sont très démunies financièrement car elles n’ont pas de retraite contributive. Il semble qu’il faille porter une attention particulière à ces femmes. La question a été soulevée de façon récurrente au cours de nos travaux.

M. le président Denis Jacquat. Merci, monsieur le rapporteur. Je rappelle qu’en leur temps, les articles 58 et 59 de la « loi DALO » ont été votés à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je m’en tiendrai à la situation des travailleurs migrants qui vivent en foyers. Ceux-ci rencontrent en effet davantage de problèmes que les travailleurs migrants qui se sont intégrés grâce au regroupement familial, et qui vivent à peu près normalement.

Les vieux travailleurs des foyers nous ont souvent dit qu’ils n’étaient de nulle part. Ils ne se sentent bien ni dans notre pays, ni chez eux. Ils ne sont bien que dans l’avion. Nous devons y réfléchir, car nous sommes redevables vis-à-vis de ces personnes qui sont venues à notre demande et nous ont aidés à reconstruire notre pays. J’espère que notre rapport consacrera une partie suffisamment importante à notre devoir de mémoire.

Nous avons compris que l’ASPA ne serait pas exportable, et nous avons entendu le président Jacquat nous rappeler que les articles 58 et 59 de la « loi DALO » avaient été votés à l’unanimité de notre Assemblée. Comme nous l’a très franchement déclaré ici même M. Jean-Louis Borloo, les décrets d’application ont été bloqués pour des motifs politiques. Je pense que l’on pourrait, après expertise, publier ces décrets afin que l’allocation de réinsertion familiale et sociale puisse être mise en place. De fait, un aller et retour en avion coûte très cher à ces travailleurs, qui seraient sans doute très heureux de séjourner un certain temps dans leur pays. Ils nous ont tous dit qu’ils voulaient vieillir en France, mais être enterrés au pays. Cela signifie qu’ils veulent tout de même garder des liens avec celui-ci.

Reste le problème, plus compliqué, de leur accès à la couverture maladie s’ils repartent avec cette allocation de réinsertion. Je suis convaincue qu’ils ne reviendront pas se faire soigner pour une grippe. S’ils doivent revenir, cela sera pour de graves problèmes de santé. Certes, dans certains pays, dont l’Algérie, des systèmes de sécurité sociale sont en train de se mettre en place. Mais ce n’est absolument pas le cas au Maroc ni en Tunisie – et sans doute pas non plus au Mali. Les travailleurs migrants ont tous beaucoup insisté sur le fait qu’ils ont travaillé en France et qu’ils doivent pouvoir s’y faire soigner, même s’ils décident de rester un certain temps au pays.

Je tenais à insister sur ces deux points. Je remercie Mmes les ministres de leur présence, mais aussi le rapporteur et le président pour leur action. Cette mission s’est en effet très bien passée. Elle ne peut pas rester sans effet, sachant qu’un consensus politique s’est formé autour des solutions que nous avons dégagées.

Mme Hélène Geoffroy. À mon tour de dire combien cette mission a été non seulement agréable, mais également chargée d’émotion. Nous avons revisité les cinquante dernières années de l’histoire de notre pays aussi bien d’un point de vue théorique qu’en nous rendant au sein des territoires, y compris en Algérie et au Maroc. Nous avons pu mesurer, notamment dans nos circonscriptions, les attentes suscitées par notre mission. Nous avons fait naître beaucoup d’espoirs. Les préconisations que formulera notre mission devront donc être traduites dans les faits.

À propos de l’aide à la réinsertion familiale et sociale, qui a été fréquemment évoquée tout au long de nos travaux, vous nous avez dit, madame la ministre, que vous étiez décidée à lui trouver une solution et que les expertises étaient en cours. Avez-vous mis au point un calendrier ou disposez-vous d’éléments permettant de penser que l’on aboutira très rapidement, dans l’année ou dans les mois qui viennent ?

À propos des procédures en cours, je ferai cette remarque : au cours de nos auditions, un moratoire nous a très souvent été demandé, et nous avons pu mesurer la détresse des personnes concernées, qui vivent ces situations comme une humiliation.

Madame la ministre, vous avez également abordé la question de l’accès aux droits dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion. Comment décliner ce plan à l’intention de ce public si particulier ? Faut-il prévoir une formation pour les travailleurs sociaux ? Comment mieux intégrer l’accompagnement des bénévoles ? Les associations nous ont fait remonter les difficultés qu’elles rencontrent parfois à rentrer dans les lieux et à y être acceptées, que ce soit dans les foyers ou dans les hôpitaux. Peut-on réfléchir au moyen de faire en sorte que les associations soient mieux acceptées ? Sans doute serait-il utile de travailler avec les consulats des pays concernés qui ont des travailleurs sociaux, en les mettant en relation avec les travailleurs sociaux de nos communes et de nos départements. Même si cela ne relève pas de votre compétence directe, comment, dans un plan pluriannuel, une telle démarche pourrait-elle être exprimée et impulsée ?

Se pose ensuite la question des maisons de retraite et de l’accompagnement des personnes devenues dépendantes. Pour toutes sortes de raisons, liées à l’histoire et aux traditions, il est parfois difficile à des personnes aidantes d’entrer dans l’intimité des immigrés âgés. Y avez-vous réfléchi ? Nous savons que les maisons de retraite sont peu fréquentées par les migrants âgés même si, financièrement, l’aide sociale permet de couvrir les dépenses qu’elles entraînent. Certaines associations ont demandé qu’il y ait des maisons de retraite spécifiques. Je ne crois pas que nous nous engagerons dans cette voie. Irons-nous, de ce fait, vers une transformation des foyers ? L’avez-vous imaginé ?

Je terminerai sur la question des conjointes ou, plus largement, des femmes immigrées âgées. Celles-ci vieillissent dans notre pays, avec de faibles pensions de réversion. Par rapport aux autres femmes âgées, elles ont la particularité de moins maîtriser la langue et d’être plus isolées. Nous savons que leur situation n’est pas simple. Mais nous aurions besoin de disposer d’éléments chiffrés et de statistiques pour mieux connaître cette population et mieux répondre à ses attentes.

Mme Martine Pinville. J’ai moi-même participé à cette mission avec beaucoup de plaisir.

Les immigrés âgés sont une population vulnérable et fragile – état de santé souvent insatisfaisant, notamment chez les femmes ; perte d’autonomie plus précoce que d’autres populations ; surmortalité. Ils peuvent bénéficier de certains droits mais, en raison de difficultés multiples, n’y ont pas accès. Je pense donc qu’il est nécessaire de leur garantir un accompagnement spécifique, à travers l’action des CCAS, des départements ou encore des caisses primaires d’assurance maladie. Pour autant, je sais qu’il est parfois malaisé, notamment dans les foyers de travailleurs migrants, d’accompagner ces personnes vieillissantes et parfois dépendantes.

Mme Kheira Bouziane. J’ai eu moi aussi beaucoup de plaisir à participer à cette mission, d’autant qu’un large consensus existe en son sein. Madame la ministre, vous partagez avec nous le constat que nous avons dressé lors de nos auditions. Vous avez souligné à juste titre qu’il y avait urgence à agir. Vous nous avez annoncé certaines dispositions que nous serons à même d’enrichir, à partir de tout ce que nous avons vu sur le terrain.

Lors d’une audition, quelqu’un a utilisé cette formule que je trouve intéressante : « S’agissant des personnes âgées immigrées, il faut sortir du mythe du retour pour passer à la réalité de l’aller et retour. » Mais ces allers et retours sont parfois générateurs d’inquiétudes et de ruptures de droits. Nous devrons donc faire preuve d’imagination.

Vous avez évoqué quelques pistes destinées à rassurer ces personnes qui sont « invisibles » et éloignées du droit commun. Nous devons en effet faciliter leur accès aux droits car certaines d’entre elles vivent dans une insécurité insupportable. La médiation est un moyen de les accompagner. Mais comment faire pour que, sur notre territoire, quel que soit le lieu où elles habitent, ces personnes âgées puissent avoir accès aux mêmes droits que les autres ?

M. Daniel Vaillant. Tout ce qui a été dit par le président, le rapporteur et nos collègues reflète l’état d’esprit de la Mission. Mais la question se serait-elle posée dans les mêmes termes s’il n’y avait pas eu, comme on l’a reconnu ici, un problème dû au fait que la loi qui avait été votée n’a pas été appliquée ? Il est peut-être politiquement incorrect de le dire, mais je pense que cela s’explique par des raisons idéologiques, liées à la situation des étrangers en France.

Si je me suis prononcé pour la création de cette mission, c’est parce que, malgré nos sollicitations, les articles 58 et 59 de la « loi DALO » n’avaient pas reçu d’application. Mme la ministre Marisol Touraine a apporté certains éléments, mais des précisions s’imposent. La logique voudrait qu’il ne soit pas nécessaire de voter deux fois la loi pour qu’elle s’applique, et qu’on puisse résoudre les problèmes de ruptures de droits. C’est une question de justice, qui relève de l’urgence.

Il ne faut pas oublier, bien sûr, de s’intéresser à l’avenir. Mais n’oublions pas que ces migrants âgés, qui étaient une main-d’œuvre recherchée par le patronat de l’époque, ont travaillé, cotisé, vécu dans notre pays. Pourquoi n’auraient-ils pas droit à ces allers et retours ? Il faut traiter cette question pour que l’on comprenne bien, psychologiquement, que l’on a changé de période. À mon avis, cela représente un grand nombre de situations. L’élu du Nord-Est parisien que je suis peut en témoigner.

Ensuite, il faut se préoccuper de l’ensemble des problématiques abordées par la Mission et auxquelles Mme Marisol Touraine, Mme Michèle Delaunay et le rapporteur ont apporté des éléments de réponse. C’est le moment de se lancer.

Il suffit de visiter certains foyers pour éprouver un sentiment de honte. Malgré le dévouement de leurs gestionnaires, la situation y est catastrophique. Je considère, pour ma part, qu’on ne pourra la redresser qu’en passant par un partenariat avec les collectivités territoriales.

Au cours de nos visites, nous avons été interpellés sur le mode de vie des migrants âgés. De quel mode vie s’agit-il ? Je ne suis pas sûr que la réponse soit identique pour toutes et tous. Encore faut-il se poser la question de la dignité de la vie, de la sécurité de la vie, et notamment, de l’accès aux soins. La vie en foyer dans certaines conditions est de nature à casser la santé.

Nous devons retravailler sur toutes ces questions et rechercher tous les moyens d’améliorer la situation. À ce propos, je remarque que les cafés sociaux sont utiles pour favoriser l’accès aux droits et à la santé, la convivialité et le retour à une vie sociale. Celle-ci est évidemment impossible quand on reste cloîtré chez soi. Il nous faut donc avancer, et peut-être devrons-nous recourir à la loi.

Nous devrons également nous pencher sur l’avenir des générations d’après les Trente Glorieuses. Celles-ci n’ont pas les mêmes caractéristiques. Elles n’auront pas acquis les mêmes droits par rapport au travail – notamment les femmes. Il est de notre devoir d’anticiper les problèmes qui ne manqueront pas de se poser.

Je pense, comme Michèle Delaunay, que les initiatives liées au mode de vie, aux formes associatives d’aide, au partenariat avec les collectivités territoriales, indépendamment des questions financières, sont essentielles. En effet, lorsque l’on s’éloigne de la proximité, on perd le sens des réalités. Lorsque l’on est proche du terrain, on prend la mesure des problèmes, on leur apporte plus facilement des réponses et on appréhende mieux l’avenir. Cela dit, madame la ministre, si l’on réglait la question des ruptures de droits provoquées par les allers et retours des migrants âgés, je crois qu’on aurait fait œuvre très utile. La Mission pourrait, à travers son rapport, manifester l’intérêt que la nation entière porte à ces derniers. Envoyons-leur ce signal pour qu’aucun ne regrette d’avoir finalement choisi la France.

M. Philippe Vitel. Je suis très heureux d’avoir participé à cette mission, parce que j’y ai découvert énormément de choses. Quatre sujets m’ont interpellé : l’accès aux droits, les droits eux-mêmes, le quotidien des immigrés âgés et les relations avec les pays d’origine.

Force est de constater que, malgré la multiplicité des dispositions existant dans notre pays, l’accès aux droits reste difficile pour certaines catégories de personnes. Peut-être ne prend-on pas suffisamment en compte leurs vrais besoins. La situation est encore pire pour les veuves qui sont déracinées et qui, du fait de leur arrivée récente dans le pays, ne peuvent pas appréhender ce que leur conjoint avait pu déjà avoir du mal à appréhender. Nous devons améliorer l’accès aux droits de ces populations, en développant la communication et en sensibilisant tous les acteurs amenés à les côtoyer.

Il nous faut également revoir cette obligation de résidence pour avoir accès aux droits dans notre pays. En effet, elle pèse sur le quotidien et empêche de construire un avenir à un moment de la vie où les fragilités s’accumulent. Il faut donc que l’on étudie sérieusement la question, que l’on revienne sur les textes qui n’ont pas été appliqués et que l’on fasse en sorte que cette contrainte ne soit plus perçue comme un obstacle insurmontable.

Par ailleurs, nous avons passé des conventions avec certains pays. Celles-ci n’ont parfois pas été révisées depuis plus de trente ans ! Il est nécessaire de tout reprendre à zéro, d’autant que les relations que nous entretenons avec les pays d’origine ont évolué et qu’elles sont différentes selon les pays. C’est notamment le cas avec l’Algérie et le Maroc, deux pays voisins dont la population est allée, de la même façon, travailler en France. La situation d’un immigré algérien n’est pourtant pas la même que celle d’un immigré marocain. Nous devrons donc revoir nos relations avec les pays les plus importants de l’immigration et chercher comment travailler avec eux pour que les solutions que nous proposons soient bien comprises de tous. C’est un point qui devra être abordé dans notre rapport.

En conclusion, je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour la qualité du travail que vous avez initié. Aujourd’hui, nous devons trouver les solutions les plus adéquates pour améliorer le quotidien de ces personnes.

Mme Françoise Dumas. Merci pour cette belle mission. Beaucoup de choses ont été clairement énoncées et observées. J’y ai pris moi aussi beaucoup d’intérêt.

Je pense que le vieillissement doit être étudié par le biais de l’analyse de l’interaction entre les facteurs biologiques, l’environnement socioculturel et économique des personnes âgées, leur mode de vie et leur perception sociale de la vieillesse.

Les personnes âgées immigrées sont souvent issues de pays où le vieillissement est conçu comme un processus cumulatif au cours duquel l’individu emmagasine des qualités et de l’expérience pour atteindre la sagesse. Vivre vieux s’apprécie comme un don spirituel dans une société où l’avancée en âge permet de gagner en dignité. Les études anthropologiques qui ont été faites sur un certain nombre d’ouvriers – une étude effectuée dans ma région porte d’ailleurs sur les ouvriers agricoles saisonniers marocains – ont permis de mettre en évidence la dévalorisation des hommes atteints de maladies invalidantes, en particulier le diabète et les maladies musculo-squelettiques qui les rendent inaptes au travail. Leur corps ne leur permettant plus de travailler, ils n’existent plus. Ils se sentent coupables de ne plus pouvoir assumer leur rôle avant d’avoir atteint l’âge d’être un sage. Ils y voient la marque d’un mauvais destin.

Bien évidemment, il n’est pas question de créer une politique spécifique pour une population spécifique, ni de mettre en place un système sectoriel. Nous n’en avons pas les moyens. Néanmoins, il est peut-être nécessaire de mener une réflexion sur les politiques existantes afin que la population des immigrés âgés qui rencontre des problématiques spécifiques soit plus visible et que notre politique réussisse à les cibler.

Comment, à partir des politiques publiques de santé déjà mises en place, élaborer un processus de désignation qui ferait apparaître les besoins de cette population ?

Comment développer une coordination de l’ensemble des politiques pour améliorer l’accès à la prévention, aux soins des personnes les plus démunies et pour que ces immigrés âgés soient également ciblés ? Je pense à la coordination entre les organismes d’assurance maladie des trois régimes, les partenaires institutionnels, les préfectures, les collectivités territoriales, et notamment les départements, les acteurs de l’emploi, de l’hébergement et de l’intégration. Dans cette perspective, quel rôle les associations peuvent-elles jouer avec l’État et les institutions publiques ?

En fait, c’est le travail qui fait naître l’immigré, qui le fait être. C’est aussi le travail qui le fait mourir. À nous de trouver des formules innovantes, notamment en termes d’hébergement et de « vivre ensemble », pour ce public spécifique. Pour ma part, je ne pense pas à des conditions d’accueil très individuelles. Je crois qu’une prise en charge sociale semi-collective serait la plus adaptée pour ces personnes âgées qui ont contribué à faire l’histoire de notre pays et qu’il est nécessaire d’aider.

M. le président Denis Jacquat. Mesdames les ministres, au regard du temps qu’il nous reste, vous pouvez, si vous le souhaitez, nous répondre par écrit sur certaines des nombreuses questions qui ont été posées par les membres de la Mission.

M. le rapporteur va traiter d’un point qui n’a pas été abordé : celui de la carte de séjour portant la mention « retraité ». J’ai approuvé sa mise en place. Mais avec le recul, je constate que c’était une fausse bonne idée. Nous souhaiterions connaître votre opinion à ce propos.

M. le rapporteur. Si nous apportons une solution à l’« exportabilité » de la retraite non contributive à travers l’aide à la réinsertion familiale et sociale, nous n’aurons pas pour autant réglé la question de l’accès aux soins et à la santé. En effet, en 1998, dans l’idée de faciliter les allers et retours, on a mis en place la carte de séjour portant la mention « retraité », aujourd’hui proposée en préfecture aux étrangers lors du renouvellement de leur carte de de résident, ou à la place de la carte de résident permanent. On leur explique qu’ils pourront voyager de façon beaucoup plus souple, puisqu’ils n’auront plus besoin de visa. Le problème est que les détenteurs de ce titre de séjour perdent le bénéfice de nombreuses prestations sociales, et notamment des prestations d’assurance maladie. Or, vous le savez, il y a également une condition de résidence en France pour bénéficier de la couverture maladie, que ce soit la couverture maladie universelle (CMU) ou la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Seule une prise en charge sanitaire d’urgence, pour répondre au besoin de soins inopinés, est possible pour les étrangers titulaires de la carte. Aussi, peut-être pourrait-on maintenir ce titre de séjour en vigueur, mais modifier les décrets pour permettre aux personnes concernées de revenir se faire soigner dans le pays où ils ont cotisé. Il s’agit, au fond, de leur restituer l’intégralité de leurs droits.

Mme la ministre des affaires sociales et de la santé. Nous pourrons en effet répondre plus complètement par écrit sur certains points. Pour l’instant, je vais me concentrer sur les principales questions qui ont traversé l’ensemble des interventions.

Je crois qu’il y a aujourd’hui un consensus sur la nécessité d’avancer vers la mise en place d’une aide à la réinsertion familiale et sociale, dispositif qui doit nous permettre de dépasser les contraintes qui existent du fait de la pratique des allers et retours. C’est une voie dans laquelle j’ai engagé le ministère. Je souhaite que nous puissions procéder par voie réglementaire. À ce stade, je ne suis pas en mesure de prendre devant vous un engagement absolu, mais nous y travaillons. Parce que nous avons encore à lever des obstacles ou à répondre à quelques interrogations principalement de nature juridique, je ne veux pas m’avancer sur les délais dans lesquels nous pourrions aboutir. Ma volonté est néanmoins d’aboutir d’ici à la fin de l’année – perspective dans laquelle je fais travailler mes services. Un texte de loi a été identifié, mais il n’a pas été mis en œuvre, parce qu’on s’est aperçu assez rapidement qu’il avait besoin d’être précisé. Il est temps de procéder à ce travail, et c’est ce à quoi nous nous sommes engagés.

Par ailleurs, je tiens à vous rassurer : il n’y a pas de politiques différenciées sur le territoire. Il n’est pas question que ceux qui habitent à tel endroit bénéficient de tel dispositif, mais ceux qui habitent à tel autre endroit n’en bénéficient pas. Les instructions que je vais donner aux caisses seront évidemment les mêmes partout sur le territoire.

Je ferai néanmoins deux observations.

D’abord, ces populations sont concentrées sur certains territoires, ce qui justifie que l’on conduise un travail particulier dans certaines ARS ou avec certaines collectivités territoriales.

Ensuite, j’ai évoqué une expérimentation, mais celle-ci porte uniquement sur la mise en place de parcours de soins. Cela ne signifie pas que la prise en charge au quotidien ne pourra pas avancer et se faire selon les règles de droit commun. Nous sommes en train de mettre en place des dispositifs nouveaux pour l’ensemble de la population sur le territoire français. Et dans le cadre de cette nouvelle politique, j’ai souhaité que la population étrangère vieillissante ne soit pas oubliée. C’est tout ce que j’ai dit. Je n’ai pas indiqué qu’il y aurait d’autres expérimentations.

Vous avez souhaité que l’on puisse accélérer la mise en place des médiations. C’est bien le sens des négociations en cours dans le cadre des COG, et les caisses reçoivent des instructions en ce sens. Au-delà, nous avons engagé les travaux pour que, dans le cadre du Plan pauvreté, se tiennent des états généraux du travail social. Nous voulons précisément que l’amélioration de ce travail social puisse bénéficier, notamment, aux personnes âgées vieillissantes.

Pour ce qui est de la carte portant la mention « retraité », mes services ont commencé à travailler avec ceux du ministère de l’intérieur – qui est pilote sur ce dossier. M. Valls, que vous allez recevoir dans un instant, pourra vous donner des précisions, mais notre volonté est d’avancer ensemble pour faire en sorte que les obstacles que vous avez évoqués n’existent plus et que l’accès à la santé via la CMU puisse être garantie à l’ensemble des personnes concernées.

Pour ce qui est de la sensibilisation des pouvoirs locaux, je crois que nous sommes tous d’accord sur sa nécessité.

Comment éviter les ruptures de droits ? En dehors de ce que je vous ai déjà dit, nous avons engagé une réflexion sur les moyens de faciliter l’accès des immigrés âgés, non pas à la CMU, mais à l’assurance complémentaire santé (ACS) ; des mesures vont par ailleurs être mises en place afin de lutter contre le non-recours à l’ASPA qui, aujourd’hui, ne concerne pas tout le monde.

Enfin, vous vous êtes réjouis que je puisse envoyer des instructions aux caisses pour que les contrôles à venir se fassent dans de meilleures conditions. Pour ce qui est des contrôles en cours, si les procédures de recours sont engagées, nous verrons bien à quoi elles aboutiront. Pour le reste, j’appelle votre attention sur la difficulté d’établir des différences de traitement selon les catégories de population concernées. Nous ne pouvons donc pas instituer des dispositifs qui ne s’appliqueraient qu’à certaines catégories de la population. C’est la raison pour laquelle nous appelons l’attention des caisses sur les situations qu’elles ont à prendre en charge, pour qu’elles fassent preuve de bienveillance et qu’elles anticipent sur les éventuellement modifications les concernant. Nous ne pouvons pas leur demander explicitement et juridiquement de traiter ce public différemment des autres catégories de la population.

M. le président Denis Jacquat. Madame la ministre, merci pour la clarté de votre exposé et pour la précision de vos réponses, et pour les réponses complémentaires que vous voudrez bien nous adresser.

Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Le premier point que j’aborderai est celui de la coordination entre les caisses de retraite. Nous travaillons beaucoup sur ce sujet, s’agissant notamment des mesures de prévention destinées aux personnes classées en groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6. L’objectif est de dégager un socle commun dont toutes pourraient bénéficier. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas s’agissant des populations migrantes âgées.

Le deuxième est celui des maisons de retraite. Le problème se pose régulièrement mais nous n’avons pas encore trouvé de solution. D’ailleurs, très probablement n’y en a-t-il pas qu’une.

On pourrait installer des maisons de retraite dans les quartiers à forte population migrante. C’est une formule qui me tient à cœur. Vous savez que les personnes migrantes recourent peu aux maisons de retraite, en grande partie par tradition familiale. Mais ces maisons seraient réservées aux personnes dont le maintien à domicile est devenu difficile et ouvertes sur le quartier. Le respect envers les personnes âgées est très important et de telles maisons pourraient avoir un rôle structurant dans les quartiers.

On a évoqué la possibilité de maisons de retraites « communautaires », qui permettraient notamment aux résidents d’échanger dans leur langue d’origine. Nous avons en effet constaté que beaucoup d’immigrés âgés étaient isolés, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques. Jusqu’à présent, aucune maison de retraite ne peut véritablement être qualifiée de communautaire. Je vais bientôt en visiter une qui s’en approche. J’aimerais avoir votre avis sur cette question, qui me semble importante.

La question des logements-foyers est également ouverte. Je suis pour ma part décidée à soutenir une telle formule, qui s’adapte bien au contexte.

Je voudrais enfin vous parler d’un sujet n’a pas du tout été abordé : les « carrés musulmans » des cimetières. Dans l’état actuel de la loi, la République n’autorise pas les carrés cultuels dans les cimetières. Mais la loi n’est pas respectée. Rien qu’à Bordeaux, il y a deux « cimetières israélites » et un « cimetière protestant ». Le président de la communauté urbaine de Bordeaux, qui est un de vos collègues, a donc laissé ouverte la possibilité d’installer un « carré musulman ». Cela pourrait satisfaire certains travailleurs migrants qui souhaitent aujourd’hui retourner au pays afin d’y être enterrés selon leurs principes religieux, faute d’espaces confessionnels en nombre suffisant en France. Il n’y a aucune raison que la République écarte une telle perspective. Le moment particulier de la mort et de l’enterrement exige le respect des coutumes. Je serais heureuse d’avoir votre opinion là-dessus.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de vous être saisis du sujet des migrants âgés, qui nous amène à nous interroger sur notre conception du « vivre ensemble », sur notre façon de respecter les différentes cultures et, tout simplement, l’être humain. Je vous remercie de l’avoir abordé dans cet esprit de consensus. Si des dispositions législatives susceptibles d’améliorer leur situation devaient être prises dans le cadre de la loi que je prépare, j’en serais heureuse. Notre République s’honorerait de les voter à l’unanimité.

M. le président Denis Jacquat. Merci, madame la ministre, pour vos réponses. À moi de répondre à vos questions et à vos observations.

Le problème des « carrés musulmans » a été abordé lors d’une table ronde ici même. Nos interlocuteurs nous ont indiqué qu’à l’échelon national, il y en avait actuellement deux cents.

Ensuite, faut-il, dans notre pays, des maisons de retraite réservées uniquement aux personnes issues de l’immigration ? Des essais ont été effectués par Adoma. Avec le recul, on peut dire qu’ils se sont soldés par un échec.

S’agissant des maisons de retraites, je tiens à vous citer l’exemple de la commune mosellane de Woippy, qui compte 73 % de logements sociaux et dont la moitié de la population – soit 7 000 habitants sur environ 15 000 – est d’origine immigrée. Une seule personne d’origine algérienne s’est installée dans la maison de retraite construite il y a quelques années. Aucune personne originaire d’un État tiers à l’Union européenne n’est inscrite sur la liste d’attente, qui compte une centaine de noms. Et pourtant, la maison de retraite est située en plein cœur de la commune. En fait, il s’agit avant tout d’un problème culturel.

Les chibanis acceptent de vivre au sein de foyers, ce qui leur permet de vaincre l’isolement. Simplement, ils souhaitent avoir des logements plus grands, d’autant qu’ils savent qu’ils vont rester en France jusqu’à la fin de leurs jours, se contentant éventuellement d’effectuer des allers et retours au pays. Nous avons visité des foyers transformés en résidences sociales ou en unités de vie. Les travailleurs migrants en étaient globalement satisfaits, surtout dans la mesure où cela ne leur coûte pas trop cher. J’ajoute que certains organismes, parmi lesquels Adoma, ne font plus de contrats à l’année, mais des contrats de quatre mois, ce qui est compatible avec leurs faibles ressources. En fin de compte, la dignité que nous devons leur assurer passe par des conditions de logement adéquates.

Les services de l’État nous ont fait que l’on avait décidé il y a trente ans de construire des maisons de retraite en Lorraine, et notamment en Moselle, parce qu’il en manquait. Mais, à l’époque, les habitants d’origine italienne, très nombreux dans cette région, ne mettaient pas leurs parents dans les maisons de retraite. La société a néanmoins évolué et on trouve à présent dans ces établissements de nombreuses personnes d’origine italienne. De la même façon, j’imagine que dans quinze ou vingt ans, les personnes d’origine maghrébine ou malienne seront nombreuses dans les maisons de retraite.

Le problème des services à domicile et des services de soins a été également évoqué. Si les migrants âges n’y ont pas recours, c’est encore pour des raisons culturelles. Ils veulent très majoritairement être soignés par des membres de leur famille, principalement leur épouse qu’ils font venir. J’observe que ces femmes, souvent âgées, illettrées, ne connaissent pas la vie en France et parlent mal le français. Lorsqu’elles arrivent pour s’occuper de leur époux âgé et malade avec lequel elles n’ont jamais vécu plus d’un mois d’affilée, cela n’est pas toujours facile. Bien sûr, lorsque les immigrés âgés ne vivent pas en foyer mais en habitat diffus, cela ne se passe pas trop mal, dans la mesure où leur épouse et leurs enfants vivent avec eux. Il reste malgré tout beaucoup de migrants âgés isolés.

Pour dépasser cet obstacle culturel, nous pourrions proposer un service « à la carte ». Nous étudierons la question avec le rapporteur et les membres de la Mission. Nous l’avons déjà dit, dans vingt-cinq ans, ces personnes seront décédées. Mais il est de notre devoir de les aider maintenant qu’elles sont à la fin de leur vie, car elles ont contribué à la grandeur de notre pays.

Mme la ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie. Dans mon intervention sur les maisons de retraite, je me situais déjà dans le futur, en particulier lorsque j’ai mis en avant l’éventuel caractère structurant d’une maison de retraite installée au sein des quartiers.

Je suis bien consciente, par ailleurs, que des problèmes nouveaux sont apparus. Par exemple, l’accueil des malades d’Alzheimer, souvent des femmes, commence à se poser, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Nous allons devoir nous en occuper.

De la même façon, quand je parlais de résidences foyers ou de logements-foyers, je ne visais pas les structures de type Adoma, mais au contraire les habitats regroupés, des petits conglomérats, qui permettent d’aménager un espace privatif plus spacieux et plus décent.

M. le président Denis Jacquat. Merci, mesdames les ministres. Nous serons très attentifs lorsque vous défendrez, dans les textes à venir, des dispositions concernant les immigrés âgés, qu’il s’agisse de leur hébergement ou de toute autre matière relevant de votre compétence.

La mission d’information entend ensuite M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.

M. le président Denis Jacquat. Mes chers collègues, nous terminons nos auditions de ce jour avec M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir bien voulu être entendu par la Mission pour nous présenter votre analyse de la situation des immigrés âgés ainsi que les évolutions qui pourraient être envisagées, notamment en matière de droit au séjour, d’accès à la nationalité et de droit funéraire.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je veux d’abord vous dire tout l’intérêt que je porte, en tant que ministre en charge de l’immigration et de l’intégration des populations étrangères, à cette mission d’information sur les immigrés âgés.

Je sais que, durant ces derniers mois, vous avez entendu de nombreux intervenants, des experts, des acteurs associatifs. Vous vous êtes rendus sur différents sites et avez rencontré les immigrés âgés dans leurs lieux d’habitation, en particulier dans les quartiers populaires où ils vivent dans leur grande majorité.

Je me félicite de cette démarche très pragmatique et des perspectives qui seront dégagées.

Vous avez également auditionné les responsables des services du ministère de l’intérieur, le Secrétaire général à l’immigration et à l’intégration (SGII), le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), le directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) et le délégué général de la Commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). Vous disposez donc d’une grande richesse d’éléments d’analyse provenant du ministère de l’intérieur.

Cette mission d’information a retenu l’intitulé « immigrés âgés » et elle a eu raison. Je vous sais gré d’avoir préféré cette appellation à celle de chibanis, terme qui serait porteur d’un risque de « folklorisation » s’il était employé tel quel par les pouvoirs publics.

Or, c’est précisément avec cette tentation qu’il nous faut rompre ; celle qui consiste à réduire cette population à une catégorie spécifique, tellement spécifique que le droit commun ne trouve pas à s’appliquer à leurs besoins, à leurs conditions de vie, de logement et d’accès aux droits sociaux.

Je considère que notre responsabilité collective est de permettre à ces personnes immigrées âgées – femmes et hommes – qui, pour plus de 70 % d’entre elles, sont en France depuis plus de trente ans, d’accéder pleinement au droit commun de nos politiques publiques – dans les domaines du logement, de la santé et des droits sociaux – et, plus globalement, d’accéder au droit de vivre et de vieillir dignement et en toute sécurité dans notre pays, un pays qu’ils ont contribué à construire et dont ils ont assuré une part de l’essor économique.

Arrivés en France pour la plupart depuis plusieurs décennies, au moment des Trente Glorieuses, les hommes, célibataires géographiques pour l’essentiel, ont été massivement recrutés pour les travaux pénibles de l’industrie et de la mine. Ils n’avaient jamais imaginé vieillir sur le sol français, pas plus qu’on avait imaginé avoir à prendre en charge les conditions de leur vieillissement en France. Et finalement, pour beaucoup d’entre eux, l’émigration a été vidée de son sens et de sa légitimité première, celle du travail, puis du retour. Demeurant en France, ils ont vu leurs conditions de vie se dégrader pour ne reposer, en définitive, que sur une identité sociale faite d’incertitudes, de frustrations, de regrets. Tahar Ben Jelloun a décrit avec beaucoup de justesse ce qu’il a appelé « la plus haute des solitudes », cette solitude liée à l’exil dont souffre cette toute première génération issue de nos anciennes colonies, en particulier du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.

À ce jour, 890 000 personnes immigrées en France ont plus de soixante-cinq ans, 350 000 étant issues d’États tiers à l’Union européenne, en majorité des pays du Maghreb. Parmi ces 350 000 personnes, 60 000 à 80 000 sont considérées comme « isolées ». Ce sont des hommes qui n’ont pas eu recours au regroupement familial. Ce sont aussi des femmes
– dont 25 000 sont de nationalité étrangère –, surtout des veuves, venues en France dans le cadre du regroupement familial. Elles sont restées largement confinées dans la sphère familiale et sont très peu intégrées à la société française.

Selon les données des gestionnaires de foyers, environ 35 000 hommes isolés sont hébergés dans les foyers de travailleurs migrants (FTM) ou les résidences sociales. Par ailleurs, compte tenu de l’évolution des résidents des FTM, la question de la sécurité des immigrés âgés émerge aujourd’hui. En tant que ministre de l’intérieur, je me dois de répondre à cette question. Et je n’oublie pas que j’ai eu à la traiter pendant de longues années, comme adjoint aux affaires sociales à Argenteuil, mais aussi comme maire à Évry où la situation de certains foyers très dégradés peut aboutir à des drames humains.

Une part non négligeable d’immigrés âgés est logée dans des meublés du secteur privé, sur lesquels nous n’avons que peu d’éléments, mais qui doivent nous préoccuper au regard des conditions éventuelles d’insalubrité.

Les difficultés auxquelles ces populations sont confrontées sont multiples et se cumulent souvent. Je ne les listerai pas toutes ; vous les connaissez comme moi. Je me limiterai à celles concernant directement le périmètre du ministère de l’intérieur au titre de ses missions d’intégration.

Ces difficultés sont liées à la précarité et à un état de santé dégradé par rapport aux personnes de la même classe d’âge. Les raisons tiennent, notamment, aux conditions antérieures de travail et à un recours plus faible aux dispositifs de soins.

Ensuite, cette population dispose de faibles revenus du fait des conditions antérieures d’emploi et des problèmes d’accès à une retraite correspondant aux carrières réelles.

On constate également chez les immigrés âgés une faible maîtrise de la langue française et des procédures administratives, ce qui limite d’autant le recours aux dispositifs existant en matière de droits, de santé, ou de maintien à domicile.

Les difficultés rencontrées sont aussi liées au mode d’habitat. Les conditions de logement des hommes isolés sont souvent précaires, voire indignes, et elles sont totalement inadaptées aux besoins des personnes âgées, surtout en cas de perte d’autonomie. Même si une réelle amélioration a été apportée grâce au plan national de traitement des foyers de travailleurs migrants, un réel accompagnement social reste à garantir. Sur ce point, le ministère de l’égalité des territoires et du logement fournira des pistes concrètes.

Les difficultés résultent enfin des allers et retours entre la France et le pays d’origine. Les personnes âgées vivant en famille font des séjours de quelques mois – un à quatre par an – dans leur pays d’origine, alors que les personnes isolées, en particulier les hommes retraités, font souvent des séjours plus longs au pays où vit leur famille.

Ce mode de vie fait de « navettes » entre ici et là-bas crée une difficulté supplémentaire pour une large partie de ces isolés s’agissant de l’accès à certaines prestations médico-sociales et sanitaires liées au vieillissement. Des tensions apparaissent pour l’accès à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et à l’aide personnalisée au logement (APL), toutes deux soumises à une condition de résidence en France. Des contrôles récurrents et ciblés ont attiré l’attention, depuis plusieurs années, sur ces difficultés qui ne sont pas directement liées à la nationalité des personnes.

S’ajoutent à ces problèmes les conditions associées à la carte de séjour portant la mention « retraité » créée par M. Jean-Pierre Chevènement en 1998. Initialement prévue pour faciliter les allées et venues entre la France et le pays d’origine, sans visa et sans limite de temps, elle se traduit dans les faits par une limitation des droits à la sécurité sociale, une rupture de droits à laquelle nous devons être attentifs.

Enfin, l’antériorité de la présence en France de ces immigrés ne se traduit que de manière limitée par l’accès à la nationalité française. La complexité des procédures et des démarches administratives explique cette situation. Comme vous le savez, j’ai engagé deux grands chantiers, l’un sur l’accueil dans les préfectures, l’autre sur l’accès à la nationalité française. Je vous propose d’évoquer ces points en répondant à vos questions.

Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ce que je tenais à poser en guise d’introduction.

D’autres à cette place l’ont certainement déjà évoqué, et je le dis à mon tour : nous devons beaucoup à cette première génération, discrète et invisible, travailleuse et courageuse. Nous lui devons reconnaissance et justice sociale. Il y va de la dignité de ces personnes, de celle de leur famille et de leurs enfants devenus Français pour la plupart. Et il y va de la crédibilité de notre promesse républicaine.

Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit ni de compassion, ni d’aide – même si c’est aussi l’honneur de la République que de prêter assistance ; il s’agit de droits, des droits de ces personnes.

Il est de notre responsabilité d’agir pour améliorer les conditions de vie de cette génération d’immigrés. Cela nécessitera la mobilisation de tous : des collectivités territoriales, des acteurs associatifs et, s’agissant de l’État, de l’ensemble des ministères concernés
– personnes âgées, santé, lutte contre l’exclusion, culture, anciens combattants et, bien évidemment, ministère de l’intérieur.

M. Alexis Bachelay, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté et la brièveté de ce propos liminaire. Nos questions seront néanmoins nombreuses, le ministère de l’intérieur étant en charge à la fois de l’immigration, du droit de séjour, de la circulation des personnes étrangères et d’une partie des politiques d’intégration.

Certaines actions concernant les immigrés âgés sont financées par le Fonds européen d’intégration des ressortissants de pays tiers, dont le programme pluriannuel actuel s’achève en 2013. Cet outil de programmation européen va être fusionné avec d’autres dispositifs. Comment la France compte-t-elle agir pour pérenniser les financements européens destinés aux immigrés âgés ?

La question des foyers de travailleurs migrants a pris une place très importante dans nos débats. En effet, 40 000 immigrés âgés de plus de soixante ans sont logés dans ces foyers. Le premier a été créé à Argenteuil, il y a plus de cinquante ans. Ce sujet a suscité nombre d’interpellations, en particulier lorsque les travaux de notre Mission ont été connus par les chibanis et les collectifs qui œuvrent pour améliorer leur situation. Évoqué pour la première fois en 1994, le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants a été relancé en 2005. Sur les  700 FTM existant en France, 450 sont gérés par Adoma ; or, sur ces 450 foyers, environ 250 ont bénéficié d’une reconstruction ou d’une réhabilitation. Il est ainsi clairement établi que, contrairement à ce qui avait été annoncé, la totalité des foyers Adoma n’a pas été réhabilitée depuis 2005. Dans le projet de loi de finances pour 2013, les crédits consacrés à cette action ont légèrement diminué par rapport aux années précédentes – ils sont passés de 12 millions d’euros en 2012 à 11,04 millions cette année. Les représentants d’Adoma nous ont indiqué faire le maximum en termes d’investissements par rapport aux moyens dont ils disposent, et son directeur, Bruno Arbouet, a émis des propositions visant à augmenter la capacité d’investissement. Néanmoins, cette société d’économie mixte étant majoritairement détenue par l’État, c’est d’abord à ce dernier d’accélérer le traitement des foyers. Il serait donc tout à l’honneur de notre pays de transformer ces derniers en résidence sociale, comme celui de Bobigny, devenu un établissement remarquable au sein duquel existe un accompagnement social. Ainsi, l’écart est grand entre ce genre de structures reconstruites ou réhabilitées et les plus anciennes qui, faute d’avoir bénéficié d’un investissement suffisant, sont aujourd’hui totalement dégradées et indignes de notre pays. C’est pourquoi les pouvoirs publics devraient donner une impulsion nouvelle à cette question.

Le cadre juridique de l’accès à la nationalité est également un point très important. Un grand nombre de migrants, dont certains sont présents en France depuis trente ou quarante ans, se sont vu refuser l’accès à la nationalité ou ont abandonné le processus de naturalisation, découragés par l’accueil en préfecture et la difficulté à produire les pièces administratives demandées, les services d’état civil de certains pays d’origine n’étant pas aussi efficaces que les nôtres. Il serait donc souhaitable que le ministère de l’intérieur rende sinon automatique, du moins beaucoup plus simple l’accès à la nationalité pour ces immigrés âgés. Une telle mesure serait le symbole de la reconnaissance que l’on doit à ces personnes, même si toutes ne souhaitent pas accéder à la nationalité française.

Sur l’accueil en préfecture, le rapport de notre collègue Matthias Fekl a été remis au Premier ministre. Des améliorations sont en cours, d’autres sont envisagées. Ce travail mérite d’être salué.

L’attribution de la carte de résident permanent, prévue par l’article L. 314-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), n’est que rarement proposée par les préfectures, notamment aux immigrés les plus âgés qui demandent un troisième, un quatrième, voire un cinquième renouvellement de la carte de résident de dix ans. Il serait donc souhaitable que la carte de résident permanent leur soit délivrée de manière automatique au terme d’un certain temps de présence en France.

La carte de séjour portant la mention « retraité » a fait l’objet de vives critiques devant notre Mission, essentiellement parce qu’elle ne permet pas à son titulaire de bénéficier des droits sociaux en France, notamment des prestations de l’assurance maladie, alors que des cotisations sociales continuent d’être prélevées sur sa pension de retraite. Mme Marisol Touraine nous a indiqué que cette question devait être traitée conjointement avec le ministère de l’intérieur. Depuis sa création en 1999, cette carte délivrée en préfecture aux titulaires d’un titre de séjour de dix ans a été présentée comme devant faciliter la vie des retraités étrangers ; or un certain nombre d’entre eux n’ont pas été avertis des conséquences de cette carte sur leurs droits sociaux, d’où son rejet de la part de ceux qui pourraient pourtant en bénéficier.

L’inhumation en France est un sujet important. En effet, si certains immigrés âgés désirent être enterrés au pays, d’autres veulent l’être en France, ce qui pose la question des « espaces confessionnels » dans les cimetières réclamés dans beaucoup de communes. Depuis plusieurs années, des circulaires ministérielles incitent les municipalités à mettre en place ces « carrés confessionnels », mais la concrétisation de ces préconisations se heurte à la bonne volonté et à l’acceptation politique des maires notamment. Il conviendrait donc de les y inciter plus fortement dans le respect du principe de laïcité.

Les auditions d’historiens auxquelles a procédé notre Mission ont retracé cinquante années de l’histoire de notre pays. Une histoire, vous l’avez dit, monsieur le ministre, qui a souvent été occultée, au point que le mot le plus souvent employé pour qualifier ces immigrés âgés est celui d’« invisibles ». Invisibles parce que ces personnes ont toujours, par discrétion, évité de revendiquer des droits dont elles devraient pourtant bénéficier dans les mêmes conditions que le reste de la population. Invisibles parce qu’ils n’ont pas eu l’attention ni la reconnaissance que les pouvoirs publics auraient dû leur accorder. Le changement de regard sur les immigrés âgés et sur leur contribution à notre histoire nationale est, pour nous, indispensable dans le cadre du discours général sur l’immigration, afin de faire prendre conscience à nos concitoyens que la France est une société d’immigration. Notre Mission estime que notre pays manque de lieux, de temps forts mémoriels, permettant de marquer l’apport positif de ces migrants, notamment les plus âgés, à la vie de la nation. Au travers du programme budgétaire 104, relatif à l’intégration et à l’accès à la nationalité française, c’est étrangement le ministère de l’intérieur qui finance un musée, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à hauteur de 2,6 millions d’euros en 2013, musée où a notamment été organisée il y a quelques mois une exposition intitulée « Vies d’exil » retraçant la vie des Algériens entre 1954 et 1962. Cet établissement constitue un de ces rares lieux de mémoire mais n’a pourtant pas été inauguré officiellement. Monsieur le ministre, au-delà de la question mémorielle, comment valoriser cette cité et d’autres lieux encore, ainsi que la dimension culturelle ?

Enfin, les activités du Haut Conseil à l’intégration (HCI) sont temporairement gelées. Selon nous, il manque aujourd’hui dans notre pays une institution capable de produire des études statistiques incontestables, qui permettraient d’analyser de façon plus fine le parcours de vie des migrants, notamment de ceux présents sur notre sol depuis très longtemps – les données statistiques sur les migrants les moins âgés étant relativement fiables. Si le HCI devait disparaître – il n’a pas forcément joué le rôle qu’on attendait de lui –, il devrait être remplacé soit par une agence indépendante, soit – comme le propose le président Claude Bartolone – par un office parlementaire. Cette question nous semble très importante, monsieur le ministre, car le parcours de vie de ces immigrés âgés est mal connu, malgré leur présence sur notre sol depuis de très nombreuses années. En tout cas, j’espère que notre Mission aura permis de mieux appréhender leur situation et que nos préconisations permettront d’améliorer leurs conditions de vie dans notre pays.

Mme Hélène Geoffroy. Nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler dans le cadre de cette Mission qui nous a permis de mettre en perspective l’histoire des cinquante dernières années de notre pays. Nos nombreux déplacements nous ont donné l’occasion de constater les spécificités de nos territoires et de mesurer à quel point l’histoire de l’immigration était méconnue. Aujourd’hui, il s’agit non de demander des droits particuliers ou de faire preuve de compassion, mais de permettre aux personnes immigrées vieillissantes d’avoir accès à l’intégralité de leurs droits, en particulier en matière de santé.

Parmi les immigrés âgés ayant demandé la nationalité française, certains ont abandonné la procédure de naturalisation, d’autres ont changé d’avis. Sachant que certaines personnes maîtrisent mal la langue française et les circuits administratifs, comment l’accueil en préfecture pourrait-il être amélioré ?

Les associations jouent un rôle très important en matière d’accès aux droits et à la nationalité. Elles se sont présentées comme des facilitatrices et nous ont expliqué la difficulté à travailler avec les administrations. De quelle façon l’accueil de ces dernières pourrait-il être amélioré ?

L’accélération du traitement des foyers de travailleurs migrants est, au regard de l’âge moyen de leurs occupants, une urgence. Les immigrés âgés n’iront pas en maison de retraite : ils resteront dans les foyers – notamment Adoma – qu’il convient donc de réhabiliter.

Enfin, les regroupements familiaux se poursuivent puisque certains immigrés vieillissants font venir en France leur femme afin qu’elle les accompagne dans leur parcours de santé. Nous disposons de peu de chiffres sur les femmes d’immigrés. Nous devons apporter des réponses sur ces aspects.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le ministre, vous avez indiqué que les immigrés âgés ont le droit de vivre en toute sécurité. Or, la situation administrative de ces derniers peut évoluer dans le temps. Comment remédier à cette insécurité ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le ministre, la question essentielle est de savoir si les personnes ayant participé à la reconstruction et au développement économique de notre pays ont le droit de vivre où elles le désirent et comme elles l’entendent. Cette question renvoie aux prestations pour la retraite, aux droits sociaux, mais également aux conditions de logement, d’hébergement, à l’accompagnement en fin de vie, voire à l’inhumation.

S’agissant de la retraite, il n’y a aucune légitimité à ce que les personnes ayant cotisé toute leur vie dans notre pays perçoivent une pension de retraite d’un montant différent selon qu’elles finissent leur vie en France ou dans leur pays d’origine. Les retraités français qui font le choix de vivre leur retraite au Maroc – le plus souvent pour des raisons fiscales – voient-ils leur retraite amputée ? Au nom de la dignité et de la liberté des personnes immigrées, il me semble indispensable de supprimer cette discrimination, au même titre que nous avons voté il y a plusieurs années la « décristallisation » des retraites des anciens combattants.

S’agissant des droits sociaux, la situation est complexe car, en vertu des accords particuliers conclus entre la France et les pays du Maghreb, les systèmes de santé et de couverture sociale diffèrent d’un pays à l’autre, l’Algérie ayant par exemple une vision très large de l’ayant droit, contrairement au Maroc. Il me semblerait donc logique, au nom de l’équité, d’harmoniser la situation des ayants droit.

Monsieur le ministre, nous souhaitons, et nous avons déposé des propositions de loi en ce sens, que l’accès à la nationalité française soit non seulement proposé, mais aussi facilité et accéléré. Une personne désireuse de renouveler son titre de séjour de dix ans devrait se voir proposer par l’administration française, en plus du dossier pour le titre de séjour, celui pour l’accès à la nationalité. En outre, l’administration française ne devrait pas demander aux personnes concernées de reconstituer leur propre état civil, alors même que la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale, n’a pas tenu un état civil correct ou n’a pas su le préserver. Au nom de la dignité de ces personnes présentes sur notre sol depuis vingt ou trente ans, ne peut-on pas leur permettre de reconstruire cette identité à partir d’une date de naissance, certes fictive, mais fixée comme étant la date officielle de leur naissance ?

Il est tout à fait indécent que les personnes âgées doivent attendre pendant douze à dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous en préfecture afin de pouvoir retirer un dossier ! Depuis que je suis député, je n’ai de cesse d’écrire au préfet de Seine-Saint-Denis pour réclamer la réduction de ce délai à deux mois. D’ailleurs, à quoi sert ce rendez-vous ? S’il s’agit simplement de retirer un dossier, une solution simple serait que l’administration l’envoie par courrier postal et que les personnes concernées le retournent de la même manière, après l’avoir éventuellement complété sur rendez-vous en cas de pièces manquantes. Cette solution conviendrait aux plus jeunes et aux mieux formés et allègerait la procédure. Pour les plus âgés et les personnes handicapées, est-il si difficile d’imaginer qu’ils pourraient tout simplement être reçus par les communes, ce qui leur éviterait d’attendre parfois de nuit, en bravant les intempéries, sachant que les maires enregistrent déjà les demandes de carte d’identité et de passeport et les délivrent ensuite pour le compte des préfectures ? C’est une question de respect de la dignité humaine.

La question des « carrés confessionnels » est complexe. Notre pays comporte deux édifices un peu particuliers, la Grande Mosquée de Paris et l’Hôpital Avicenne de Bobigny
– près duquel un « carré musulman » a été délimité –, qui ont été construits par la République pour rendre hommage à la contribution des personnes originaires des colonies d’Afrique du Nord pendant la Première Guerre mondiale. Dans le cimetière musulman de Bobigny, initialement propriété de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avant d’être cédé aux communes d’Aubervilliers, Bobigny, Drancy et La Courneuve, la partie réservée aux « Morts pour la France » vient d’être réhabilitée. Le reste est cependant dans un état indigne ! Il me semble que le ministre de l’intérieur devrait accompagner les communes pour remédier à cette situation.

Enfin, un retraité présent en France depuis vingt à trente ans a-t-il vraiment besoin d’une carte de séjour portant la mention « retraité » ? S’il n’a pas choisi de devenir membre de notre communauté nationale, ne pourrait-il pas se voir délivrer une carte de résident permanent ? Il pourrait ainsi faire des allers et retours entre son pays d’origine et la France, où il a construit des liens, mais la légitimité de sa présence sur le territoire national n’aurait plus à être contrôlée.

Enfin, dans le cadre du regroupement familial, des femmes viennent en France afin d’accompagner leur conjoint en fin de vie. Arrivées tardivement sur notre sol, souvent plus jeunes que leur conjoint, elles maîtrisent mal la langue française et ne connaissent pas notre mode de vie. Monsieur le ministre, avez-vous des pistes à nous proposer sur le traitement qui doit être réservé à ces femmes après la disparition de leur conjoint ? En effet, elles se retrouvent alors très seules sur le territoire national, complètement perdues faute de solidarité familiale et parce que les services sociaux ont beaucoup de mal à les accompagner. Plutôt que de multiplier les obstacles lorsqu’elles souhaitent rejoindre la France, ne conviendrait-il pas de faciliter leur arrivée en prévoyant leur retour au pays une fois leur conjoint décédé ?

M. le président Denis Jacquat. Il est urgent de régler les problèmes auxquels sont confrontés les immigrés âgés de la première génération, la moyenne d’âge des résidents en établissement étant de soixante-dix ans. Ces personnes, qui ont contribué au redressement économique de notre pays, méritent toute notre attention.

M. le rapporteur. Notre collègue Jean-Christophe Lagarde a eu l’occasion d’évoquer précédemment le rôle que pourraient jouer les consulats des pays d’origine. La représentation consulaire de l’Algérie et du Maroc en France est importante, et elle recoupe souvent la carte d’implantation des migrants âgés, notamment des résidents en foyers. Nous avons donc appelé les pouvoirs publics algériens et marocains à porter une attention particulière à ces populations, éventuellement à mieux former certains de leurs personnels. Les autorités marocaines nous ont dit avoir déjà créé, dans certains consulats, des postes d’assistantes sociales. Il nous semble souhaitable de mieux articuler, à l’échelon des départements concernés, le travail des services des préfectures et celui des services sociaux départementaux. C’est pourquoi nous avons proposé aux autorités de renforcer les liens, de façon institutionnelle ou dans le cadre d’accords, entre les consulats, dont la vocation est de recevoir les anciens migrants, et nos services sociaux et d’immigration, amenés à délivrer des documents. Nous vous soumettons cette proposition aujourd’hui, monsieur le ministre, sachant qu’un des obstacles à l’accompagnement de ces personnes est souvent le manque d’information et la difficulté à mieux faire connaître leurs droits, surtout quand elles ne maîtrisent pas parfaitement notre langue.

M. le ministre. L’ensemble des préconisations de votre Mission sera bien évidemment étudié par le Gouvernement.

À ce jour, je ne peux m’engager sur les priorités qui seront mises en œuvre dans le cadre du Fonds européen pour l’intégration, qui vient d’être rebaptisé fonds « Asile et migration ». Le dialogue politique du futur fonds, qui aura lieu le 21 juin, devra permettre de définir les orientations pour la période 2014-2020 en fonction des priorités européennes et des orientations nationales. La Commission européenne semble toujours attachée à engager des actions à destination de publics spécifiques, ce qui laisse présager la possibilité de reconduire celles à destination des personnes âgées immigrées. Pour l’heure, nous n’avons aucune certitude, mais nous sommes bien évidemment très attentifs à cette question.

La transformation des foyers en résidence sociale permet aux gestionnaires d’attribuer aux résidents immigrés, notamment âgés, des logements individuels, en remplacement des dortoirs ou des chambres de très petite superficie. Elle permet aux résidents âgés de bénéficier d’un accompagnement social lié au vieillissement, mais également d’accéder aux services de santé et de bénéficier des droits sociaux. Pour 2013, les subventions octroyées aux gestionnaires pour la mise en œuvre de l’accompagnement social et pour le traitement des foyers s’élèvent à environ 10,6 millions d’euros. Ces opérations de transformation ont concerné  320 foyers sur 680 recensés en 1997 : 258 ont été transformés en résidence sociale avec travaux – soit 80 % des 320 foyers et 47 % des 680 identifiés initialement –, et 62 ont été transformés en résidence sociale sans travaux. Je crois qu’il faut maintenir, voire accélérer, l’effort pour traiter les 360 foyers restants. Les crédits à dégager peuvent être estimés à environ 1 milliard d’euros d’aide à la pierre au cours des quinze à vingt prochaines années. J’ajoute qu’un grand nombre de ces foyers est situé dans des quartiers concernés par la politique de la ville, voire par les opérations de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) : c’est le cas d’un foyer Adoma de la ville d’Évry qui va faire l’objet d’une destruction et d’une reconstruction à un autre endroit, mais qui comportera le même nombre de chambres.

S’il paraît souhaitable de donner la priorité au traitement des foyers où les immigrés âgés sont majoritaires, je précise que ce choix relève d’abord d’une demande des propriétaires ou des gestionnaires. Ces projets devraient s’inscrire dans le cadre d’un projet d’accompagnement du vieillissement et faciliter l’accès des immigrés âgés aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de droit commun – et non à des EHPAD destinés à accueillir spécifiquement des immigrés, les expérimentations menées en la matière par deux gestionnaires ayant été peu concluantes –, en les adaptant à la culture des immigrés et, surtout, à leurs ressources financières. Toutes ces actions, même si elles ont un caractère prioritaire et sensible, n’échappent pas au contexte de contrainte budgétaire que nous connaissons. Nous ferons avec cette contrainte. En 2013, 11,04 millions d’euros sont inscrits en loi de finances initiale, et 10,677 millions d’euros après mise en réserve de précaution. J’ajoute que nous serons très vigilants sur les transformations en cours à Adoma : la puissance publique doit piloter ce sujet sans faiblir et en tenant compte des orientations que vous proposerez.

Un ministre du Gouvernement précédent a fait le choix politique de rendre l’accès à la nationalité française plus complexe. Des obstacles à la naturalisation ont écarté de la nationalité des étrangers méritants, installés régulièrement et depuis longtemps sur notre territoire et parfaitement intégrés à la société française. Le nombre de naturalisations a baissé de 40 % entre 2011 et 2012, confirmant le recul de l’année précédente. Infléchir la courbe des naturalisations a été pour moi une priorité dès l’année 2012 : il faut retrouver le niveau de 2008. La circulaire du 16 octobre 2012 adressée aux préfets a donc mis un terme à des critères que je considérais comme discriminants. Il s’agit non de brader la nationalité, mais de lever un certain nombre d’obstacles qui apparaissent absurdes. Alors que les étrangers formulent une demande de naturalisation après seize ans en moyenne de résidence en France, les immigrés originaires d’États tiers n’engagent cette démarche que très tardivement, après de longues années : quarante et un ans pour les Tunisiens, trente-six ans pour les Algériens et trente-quatre ans pour les Marocains. Sur les 2,5 millions d’immigrés venus en France entre 1945 et 1973, 422 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq ans vivent encore sur notre sol, et près de 200 000 ont demandé la nationalité française, soit à peine la moitié, ce qui est insuffisant quand on sait que la plupart ont fondé leur famille en France et que leurs enfants sont Français.

Les principales difficultés rencontrées par ces populations sont connues. Elles s’expliquent aussi par l’application de l’article 21-16 du code civil qui fixe les conditions de résidence et donc celles des attaches familiales de la personne en France, ce qui constitue souvent un obstacle pour les hommes dont l’épouse réside à l’étranger par exemple. Elles sont également dues à l’application de l’article 21-24 du même code, relatif à la condition de connaissance de la langue française, car les personnes concernées parlent souvent mal le français. Ces difficultés sont enfin liées à la fourniture de documents administratifs ou d’état civil par le pays d’origine. La circulaire du 16 octobre 2012 a d’ores et déjà intégré une disposition spécifique relative à la production d’une attestation de niveau linguistique en prévoyant d’en dispenser les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans. Cette circulaire prévoit également le nécessaire accompagnement des immigrés âgés par les associations financées par le programme budgétaire 104 pour l’accomplissement des démarches d’accès à la nationalité.

Comme vous le savez, j’ai demandé un travail plus approfondi permettant de réformer l’ensemble du dispositif d’accès à la nationalité afin de le rendre plus juste et plus transparent. À ce stade, je n’envisage pas une modification du cadre législatif car je me méfie des débats sur la nationalité – sans doute les choses seront-elles plus faciles une fois la croissance retrouvée et le chômage moins élevé. Tout ce qui pourra être engagé à cadre législatif constant pour faciliter la naturalisation des personnes immigrées âgées le sera : assouplissement de certains critères, simplification des formalités administratives, accompagnement des personnes, amélioration de l’information et de la qualité de l’accueil en préfecture. J’étudierai avec beaucoup d’intérêt les propositions formulées, mais il est d’ores et déjà possible de faire avancer les choses sur les bases actuelles. Une circulaire globale en cours de finalisation remettra à plat l’ensemble des critères et proposera une nouvelle organisation des préfectures. Elle précisera également les conditions de prise en compte des publics vulnérables que sont les immigrés âgés installés en France depuis de nombreuses années. À cet égard, Jean-Christophe Lagarde a eu raison de souligner la situation de la préfecture de Bobigny.

Vous le savez, le regroupement familial est soumis à des conditions strictes de ressources et de logement. L’étranger qui sollicite la venue de son conjoint en France doit être titulaire de revenus au moins équivalents au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Ces conditions d’ouverture sont légitimes dans leur principe et doivent être maintenues : elles garantissent l’intégration du bénéficiaire du regroupement familial et lui évitent de se retrouver à son arrivée en France dans une situation économique ou de logement très précaire. Néanmoins, la condition de ressources peut poser problème, notamment pour les retraités dont la pension est souvent inférieure au SMIC et qui n’ont pas de perspectives d’amélioration de leur situation financière. Ils se trouvent de fait exclus du regroupement familial, même si leur état de santé nécessiterait qu’ils puissent faire venir leur conjoint. En 2007, le législateur a tenu compte de cette difficulté en dispensant de la condition de ressources certains titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). Cette disposition n’est par ailleurs pas applicable aux ressortissants algériens puisque la convention franco-algérienne n’a pas été modifiée. On pourrait donc réfléchir à un assouplissement des conditions de ressources lorsque l’état de santé du demandeur du regroupement familial nécessite la présence auprès de lui de son épouse. Toutefois, cet aménagement devrait être limité à quelques cas spécifiques. En effet, il ne s’agit pas d’introduire dans notre droit une dérogation générale à la condition de ressources et de logement pour les retraités étrangers, qui poserait de manière aiguë la question de l’insertion sociale des bénéficiaires du regroupement familial. Tel est le cadre dans lequel nous pouvons travailler.

En 1998, le législateur a voulu prendre en compte la situation des immigrés âgés souhaitant effectuer des allers et retours entre la France et le pays d’origine. C’est le sens de la création de la carte de séjour portant la mention « retraité » qui s’apparente davantage à un visa de circulation qu’à un véritable titre de séjour. Ce titre est d’ailleurs peu délivré : moins de 1 000 l’ont été en 2011 sur 14 000 bénéficiaires au total. Ces étrangers bénéficient du maintien de leur droit à pension contributive. Toutefois, du fait du transfert de leur résidence principale à l’étranger, ils perdent souvent le bénéfice de certaines prestations, notamment d’assurance maladie. Les étrangers bénéficiaires de ce titre de séjour n’avaient pas nécessairement mesuré, au moment de sa délivrance, son incidence en termes de couverture sociale, ce qui explique les critiques dont il fait l’objet. Aussi un travail interministériel pourrait-il être mené avec trois objectifs. D’abord, améliorer l’information des bénéficiaires quant aux conséquences emportées par l’obtention de ce titre de séjour, qui pourrait peut-être devenir une carte de « retraité résidant à l’étranger ». Ensuite, favoriser un droit au repentir, éventuellement limité dans le temps : les bénéficiaires de la carte « retraité » doivent en effet pouvoir bénéficier à nouveau de la carte de résident à laquelle ils avaient droit auparavant, s’ils souhaitent, après réflexion ou au vu de l’évolution de leur état de santé, rétablir leur résidence principale en France. Enfin, expertiser les incohérences de notre régime de sécurité sociale pour les titulaires de cette carte, notamment au regard des conditions d’accès aux soins en France. Mme Marisol Touraine est engagée dans ce travail interministériel.

J’ajoute que notre droit permet la délivrance d’une carte de résident permanent sans limitation de durée ; or seules 1 065 ont été délivrées en 2012, contre plus de 60 000 cartes de résident. Je m’engage, au besoin par une modification de la loi en 2013 ou 2014, à favoriser la délivrance de cartes de résident permanent pour les immigrés âgés : cette disposition pourrait être intégrée à un texte de loi sur l’immigration portant sur le titre de séjour pluriannuel de trois ans et le « paquet asile ».

La question des « carrés confessionnels » est très importante au regard de la construction d’un islam de France. Elle se pose aujourd’hui avec acuité particulière à mesure que les générations vieillissent. La mort ne fait pas partie du projet migratoire. Dans toutes les cultures et à toutes les époques, elle a fait l’objet d’une approche particulière, dans le respect des traditions et des rites. La France est une terre d’accueil et elle a toujours eu à cœur d’offrir une sépulture à ceux qui l’avait défendue – ce fut le cas après la Grande Guerre. La législation actuelle permet aux maires de délimiter des « carrés confessionnels » – il faut le leur rappeler, et le ministère de l’intérieur continuera à s’y employer. Ces « carrés confessionnels » sont peu nombreux aujourd’hui malgré quelques progrès. Un recensement précis en cours montre qu’ils sont en augmentation – ils étaient 200 (pour les seuls « carrés musulmans ») en 2010. La Seine-Saint-Denis, par exemple, en comptait quatorze en 2012, contre neuf en 2010. Maire d’Évry, j’ai instauré un « carré musulman » à côté du « carré israélite » ; président de l’agglomération d’Évry Centre Essonne, j’ai contribué avec les autres élus à la mise en place d’un « carré confessionnel » dans le cimetière intercommunal. M. Serge Dassault l’a fait à Corbeil-Essonnes. Cela est donc possible. Légiférer dans l’immédiat poserait des problèmes de constitutionnalité. Le droit en vigueur permet déjà aux maires de décider, en vertu de leur pouvoir de police, de l’emplacement des sépultures et donc des regroupements confessionnels de fait. Il est du devoir des pouvoirs publics de faciliter le regroupement lorsque cela est possible, que cela ne lèse personne, afin de permettre à ceux ayant passé l’essentiel de leur vie en France de reposer dans ces espaces. Pour autant, les cimetières sont des lieux de repos et de neutralité. Soyons donc prudents : ces débats sont déjà sensibles et complexes lorsqu’ils concernent le monde des vivants. Certes, c’est une loi qui a permis la construction de la Grande Mosquée de Paris. Néanmoins, je pense que nous pouvons avancer sur ces questions.

Beaucoup de travaux ont été réalisés sur les questions de mémoire et d’histoire. Au milieu des années quatre-vingt-dix, un travail de recueil de la parole des immigrés a été réalisé à Argenteuil avec Mehdi Alaoui, cinéaste et historien. Aujourd’hui, cette parole disparaît. Or l’histoire des immigrations en France, c’est notre histoire, celle de la France. Elle doit être diffusée, enseignée, et c’est la mission de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. C’est parce que nous sommes convaincus que le changement de regard sur les immigrés et que leur contribution à l’histoire nationale sont des éléments essentiels à la compréhension de notre pays et à sa cohésion sociale que le ministère subventionne à la fois la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et diverses associations. Le programme budgétaire 104 participe au financement de ce musée ; il a été ramené à 2,5 millions d’euros en 2013 après mise en réserve de précaution. Le soutien du ministère de l’intérieur est complété par d’autres soutiens au titre de l’appel à projet national, à hauteur de 350 000 euros pour onze porteurs de projet. Les projets concernent des publications et des colloques, pour lesquels des financements proviennent également d’autres ministères. Ces financements sont essentiels pour contribuer à la reconnaissance des anciens combattants étrangers, à la production de recherches universitaires, à la formation des enseignants. La Cité nationale de l’histoire de l’immigration est donc un lieu d’histoire et de culture. J’ai souhaité m’y rendre dès le mois de juillet 2012 avec Jacques Toubon et Mercedes Erra qui ont réalisé un travail de très grande qualité. Ce lieu de rencontre et de valorisation de ces cultures mérite d’être mieux connu, et nous permettrait de sortir du débat sur l’identité nationale.

Le HCI est une belle idée, mais son rôle et ses missions ont été dévoyés. Cette instance est placée auprès du Premier ministre. J’approuve la nécessité de produire du savoir sur ces questions de manière apaisée, monsieur le rapporteur. J’ai moi-même lancé un travail visant à accroître la transparence sur les chiffres dans le respect des règles de la statistique ministérielle, désormais très encadrées par le droit européen. Comme vous, je pense que le nouveau HCI devra, en toute indépendance, jouer un rôle central afin de promouvoir la connaissance en matière d’immigration, d’intégration et de diversité. Les chiffres sur l’immigration des travailleurs et des étudiants, sur celle liée au conjoint français et au regroupement familial permettent de constater qu’un certain nombre de fantasmes peuvent tomber. Le Premier ministre a engagé une refonte de la politique d’immigration : c’est dans ce cadre que les missions, le rôle et le nom du HCI seront appréciés – nonobstant les initiatives du président Bartolone.

Concernant l’accueil des immigrés âgés en préfecture, nous devons nous appuyer à la fois sur l’inspection que nous avons menée et le travail remarquable de votre collègue Matthias Fekl. Un titre pluriannuel constituerait une réponse pour faire baisser le nombre
– absurde – de demandes de renouvellement de titres de séjour d’un an. J’ai nommé une mission d’appui, placée auprès du SGII et du secrétariat général du ministère de l’intérieur, chargée d’expertiser, sur la base d’un diagnostic propre à chaque préfecture, les moyens à mettre en œuvre pour améliorer la situation. C’est pour nous une priorité.

Enfin, concernant la vulnérabilité des immigrés âgés, très démunis face à la complexité administrative, plusieurs propositions seront formulées par votre Mission. Peut-être pourrions-nous envisager de mettre en place des guichets spécifiques afin d’améliorer la prise en charge de ce public par les services préfectoraux ?

M. le président Denis Jacquat. Merci infiniment, monsieur le ministre, pour la clarté et la précision de votre exposé et de vos réponses.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 28 mai 2013 à 16 heures 15

Présents. - M. Alexis Bachelay, Mme Kheira Bouziane, Mme Françoise Dumas, Mme Hélène Geoffroy, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Denis Jacquat, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Martine Pinville, M. Daniel Vaillant, M. Philippe Vitel

Excusé. - M. Jean-Marie Tetart

Assistaient également à la réunion. - M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Jean Leonetti, Mme Julie Sommaruga