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Mission d’information sur la simplification législative

Mercredi 19 février 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition de M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de Mme Laure de La Raudière, présidente.

La mission d’information procède à l’audition de M. Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement et de M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le Secrétaire général, monsieur le Directeur, les travaux de notre mission d’information visent davantage une rationalisation du flux normatif que la simplification du stock des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement, en étroite collaboration avec M. Thierry Mandon, dans le cadre du conseil de la simplification.

Cette mission de l’Assemblée nationale sur le « mieux légiférer », voulue par le président Bartolone, réfléchit aux moyens de provoquer un « changement de culture normative » en s’inspirant notamment des exemples étrangers.

Nous nous sommes rendus la semaine dernière à Berlin, où nous avons rencontré le ministre chargé de la simplification, M. Helge Braun, ainsi que des représentants du conseil de contrôle des normes (NKR).

La semaine précédente, nous nous étions entretenus à Londres avec le président du comité indépendant chargé de contrôler la qualité des études d’impact – Regulatory Policy Committee (RPC) – ainsi qu’avec des représentants du Better Regulation Executive (BRE).

Le mois dernier, nous avons effectué un déplacement à Bruxelles pour y rencontrer notamment des représentants de l’Agence de la simplification administrative belge et du bureau de la Commission européenne chargé d’évaluer la qualité des études d’impact.

Ces exemples étrangers nourrissent notre réflexion sur l’importance d’une évaluation ex ante objective et indépendante et d’une évaluation ex post méthodique. À l’heure actuelle, en effet, si la Cour des comptes évalue les politiques publiques et si l’Assemblée nationale contrôle la mise en application des lois, il n’est procédé à aucune évaluation des lois votées.

À cet égard, votre point de vue, monsieur le Secrétaire général, nous intéresse au plus haut point car vous jouez un rôle clé dans la production des études d’impact qui, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et l’entrée en vigueur de la loi organique du 15 avril 2009, doivent obligatoirement accompagner les projets de loi déposés sur le bureau des assemblées. Nous serions heureux de connaître le regard que vous portez, avec le recul, sur le processus d’élaboration des études d’impact mis en œuvre depuis bientôt cinq ans. N’hésitez pas non plus à nous donner votre point de vue sur la qualité moyenne de celles-ci.

Nous souhaiterions également que vous nous présentiez le rôle que vous pouvez jouer en matière de gestion du « flux réglementaire », en particulier depuis qu’a été mis en place, le 1er septembre 2013, le principe du « one in, one out» pour les textes de nature réglementaire, conformément à la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation. Quelles mesures avez-vous prises à cette fin ?

Pourriez-vous, par ailleurs, nous donner votre analyse des conditions d’application des lois, tant sur l’adoption des décrets d’application que sur leur évaluation ex post ?

Enfin, nous serions heureux de recueillir votre point de vue sur certains aspects de la procédure d’élaboration des normes, en particulier sur la méthode de transposition des directives européennes.

Je vous laisse donc la parole, monsieur le Secrétaire général, pour un exposé liminaire d’une quinzaine de minutes, avant que mes collègues et moi-même ne vous posions quelques questions.

M. Serge Lasvignes, secrétaire général du Gouvernement. Vaste programme ! Je porte sur ces sujets une appréciation de clinicien ou de médecin de campagne et n’ai pas d’opinion transversale sur le poids, excessif ou non, de la norme.

En revanche, il est vrai que l’évaluation est un des points faibles de notre système.

La France n’a pas la culture de l’évaluation des normes. Les diverses expériences que j’ai essayé de promouvoir en vue d’amener les organismes de réflexion stratégique à s’intéresser à l’évaluation de la norme – je pense au centre d’analyse stratégique, qui a disparu, ou à l’actuel commissariat général à la stratégie et à la prospective – n’ont pas abouti. J’ai également essayé de constituer un réseau interministériel d’évaluateurs : la réunion interministérielle s’est prononcée très favorablement sur le projet – mais on n’est jamais passé à l’acte !

Les administrations centrales n’ont pas un désir d’évaluation spontané. Elles ressentent vite la démarche d’évaluation comme une charge indue et renâclent à répondre aux demandes de Matignon à cet égard.

Il a fallu en arriver, après plusieurs circulaires et quelques rapports, à une révision de la Constitution pour obtenir en France des études d’impact honorables. Nous avons dû ensuite faire preuve de ténacité, donner des instructions de méthode et faire des observations sur le niveau de l’évaluation pour arriver à la situation actuelle, qui est en demi-teinte. En effet, si tous les ministères ont désormais compris qu’ils ne pouvaient plus échapper à l’étude d’impact des projets de loi, en revanche, l’attention portée à celle-ci est inversement proportionnelle à la charge politique du texte, les meilleures études d’impact portant souvent sur les textes dépourvus de tout enjeu politique. D’ailleurs, l’étude d’impact n’a servi qu’une seule fois à décider s’il fallait ou non légiférer sur un sujet donné, alors que telle devrait être sa fonction première : il s’agissait d’un texte technique, l’étude d’impact révélant que les inconvénients d’une nouvelle législation l’emportaient sur ses avantages.

Les études d’impact ressemblent davantage, à l’heure actuelle, à un exposé des motifs enrichi qu’au modèle de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), pour laquelle l’étude d’impact sert à ajuster le dispositif qui sera retenu. Toutefois, leur qualité varie et nous obtenons parfois de bonnes études d’impact, y compris sur des textes importants.

Il serait en revanche déraisonnable de militer pour une approche scientiste de la production législative. Une étude d’impact, même remarquable, ne pourra jamais décider de l’engagement d’une réforme : elle doit davantage servir à aménager le dispositif retenu, voire à en modifier certaines dispositions techniques. Il ne s’agit pas de réunir un aréopage d’experts en vue de déterminer, via l’étude d’impact, s’il y a lieu de réformer.

Quant à nos instruments, si des efforts ont été réalisés en matière de quantification, la dimension économique demeure insuffisante et doit être améliorée. Il faudrait également associer davantage les politiques à ce travail, comme les Britanniques qui font venir le ministre porteur d’un projet et lui font, me semble-t-il, signer une attestation certifiant qu’il a pris connaissance de l’étude d’impact et qu’il y a bien matière à légiférer. Cette pratique est un peu formelle mais trop souvent, en France, l’exercice politique de la préparation de la loi est séparé de l’exercice administratif de l’étude d’impact.

Enfin, il est nécessaire de recourir à la pression extérieure. Le Conseil d’État joue en partie ce rôle puisque, aux termes de la révision constitutionnelle, il doit disposer de l’étude d’impact pour rendre son avis sur le texte en préparation. Or, les administrations centrales ont fini par comprendre que si elles dérogeaient à cette obligation, elles risquaient de se heurter à l’avis du Conseil d’État, qui a commencé à faire des observations pertinentes sur le contenu des études d’impact. Ne serait-il pas possible de demander au Conseil d’État de rendre un avis, qui serait rendu public, sur l’étude d’impact elle-même ? Le Parlement doit, lui aussi, porter ce regard extérieur critique : les initiateurs de l’étude d’impact ont parfois regretté que les députés et les sénateurs ne s’intéressent pas davantage aux études d’impact.

La gestion des flux réglementaires est aujourd’hui mieux maîtrisée que la production législative. Si j’exclus les textes nécessaires à l’application des lois ou à la transposition des directives européennes, tous les autres textes réglementaires sont contrôlés et évalués. Les nouvelles charges doivent être justifiées, faute de quoi le texte est bloqué. Depuis le 1er septembre dernier, la mise en application du système du « un pour un » permet de quantifier l’impact du nouveau texte sur une activité, le ministère devant supprimer une charge au moins comparable dans un autre domaine de la réglementation. Le solde est pour l’instant positif, puisque la simplification de la charge réglementaire est supérieure à son accroissement.

De nombreux progrès ont été réalisés en matière de décrets d’application, grâce à notre ténacité : 82 % des dispositions réglementaires exigées par les lois adoptées au cours de la première année de l’actuelle législature ont été prises, 65 % l’ayant été en moins de six mois. C’est un progrès réel, mais on peut faire encore mieux. Il est vrai que les nouvelles exigences en matière d’étude d’impact, de préparation raisonnée de la réglementation, de consultations et de tests interdisent de publier très rapidement les décrets d’application. Un équilibre est à trouver entre la maturation des nouvelles réglementations et le souci d’accélérer l’application des lois. De plus, les administrations centrales – c’est une de leurs faiblesses traditionnelles – ne maîtrisent que médiocrement les procédures : elles procèdent de manière séquentielle, consultant les uns après les autres différents organismes, avant de se tourner vers le Conseil d’État puis le Secrétariat général du Gouvernement, toute suspension de la démarche impliquant souvent de revenir à l’étape précédente. Elles doivent fournir un effort en matière de maîtrise des procédures.

S’agissant de la transposition des directives européennes, la France a réalisé de grands progrès en termes quantitatifs. À l’heure actuelle, le déficit de transposition se situe entre 0,4 et 0,6 %, ce qui nous situe à une bonne place dans le palmarès européen. Notre premier souci est d’éviter les phénomènes de surtransposition ; le second, situé en amont, tient à notre difficulté à anticiper l’impact de la directive sur le droit national. Jusqu’à il y a peu, le service chargé de négocier la directive à Bruxelles était différent de celui qui était chargé de la transposer dans le droit national. Très vite aussi, la mémoire de la négociation pouvait se perdre, si bien qu’il devenait impossible de se rappeler pourquoi la France avait elle-même demandé l’inscription de telle ou telle disposition dans la directive. Si des progrès ont été réalisés sur tous ces points, nous rencontrons toujours des difficultés à obtenir des ministères qu’ils échangent avec le Secrétariat général au sujet de l’impact effectif d’un projet en cours de préparation. Il nous est même arrivé de découvrir que des projets de directives impliquaient une révision de la Constitution, sans que l’administration concernée s’en soit rendu compte. Il importe de favoriser la démarche interministérielle, et, sur ce point, le rapprochement entre le Secrétariat général des affaires européennes et le Secrétariat général du Gouvernement a permis de réaliser des progrès.

Si, en France, l’accessibilité des nouvelles normes est remarquable, grâce à la codification et à Légifrance, la sécurité juridique est moins bien garantie. Le souci de stabilité et de prévisibilité du droit est étroitement lié à celui de la simplification : il convient de mieux déterminer l’impact effectif de la norme sur le public qu’elle vise. Les grandes entreprises se plaignent moins de la complexité des textes législatifs que de la mutabilité et de l’imprévisibilité juridiques. On pourrait remédier à cela en recourant à l’expérimentation ou à des dispositifs transitoires, pour faire en sorte que des projets en cours ne soient pas affectés par une nouvelle législation, plus que nous ne le faisons à l’heure actuelle.

Mme Cécile Untermaier. Vous nous confirmez les progrès constants que nous réalisons en matière de simplification et de qualité législatives.

J’ai bien noté les difficultés rencontrées pour obtenir des études d’impact de qualité en raison du peu d’intérêt porté à celles-ci par les politiques et des relations difficiles entre le politique et l’administratif. J’ai aussi noté l’utilité d’une pression extérieure. Des voyages que la mission a réalisés à Berlin et à Londres émerge l’idée de créer une autorité indépendante chargée d’émettre un avis sur la qualité de l’étude d’impact. Plus les travaux de la mission avancent, plus j’ai la conviction que l’évaluation de l’étude d’impact permettrait de garantir le mieux-être de la loi et d’améliorer, en conséquence, l’application des textes. Qu’en pensez-vous ? Cette autorité pourrait être rattachée au Premier ministre, à moins qu’elle ne soit indépendante, comme l’est le NKR à Berlin.

Vous avez également relevé la difficulté que rencontrent les États à évaluer l’impact des directives et des règlements européens lors de leur transposition : comment les États pourraient-ils être mieux associés aux études d’impact réalisées au plan européen afin d’anticiper les effets des directives au plan national avant même leur transposition ?

M. Serge Lasvignes. Je n’ai aucune objection de principe à la création d’une commission indépendante. Ma seule préoccupation – j’ai lu les comptes rendus des précédentes auditions de la mission d’information – est d’éviter la création d’une administration de l’expertise économique appliquée aux études d’impact. Il ne serait ni pertinent ni rentable de créer un service chargé des études d’impact. Il faut apprendre à travailler avec les moyens dont nous disposons, qui sont importants. Les Allemands recourent à une centaine de statisticiens alors que la France dispose de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui travaille dans des conditions d’impartialité scientifique reconnues par tous. La structure envisagée devra être légère.

On pourrait également – et profiter ainsi de la particularité française consistant à soumettre l’examen des projets de loi au Conseil d’État – donner à ce dernier la mission explicite de dire si l’étude d’impact est suffisante ou non, le cas échéant en auditionnant les experts des administrations compétentes.

En vue d’évaluer les directives européennes en amont, nous avons demandé que des fiches d’impact nous soient fournies au début de la négociation, afin que le Parlement français puisse prendre connaissance sans délai des projets de Bruxelles. Le problème est que ces fiches d’impact ne sont pas toujours transmises.

M. Thierry-Xavier Girardot, directeur, adjoint au secrétaire général du Gouvernement. Des progrès ont été réalisés. Mais si la fiche d’impact simplifiée est transmise, elle demeure trop souvent superficielle. Pour être plus efficace, le Secrétariat général des affaires européennes, les différents ministères et la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne doivent intervenir au cours de l’élaboration par la Commission européenne du projet de directive, c’est-à-dire lorsqu’elle procède encore à des consultations et prépare ses propres études d’impact sur son projet de directive. Il est possible de renforcer l’efficacité de notre intervention à ce stade.

M. Serge Lasvignes. En France, la directive n’est pas introduite purement et simplement dans le droit national : du fait de l’existence de différents codes, le contenu de la directive doit être intégré au droit national, alors qu’au Royaume-Uni, par exemple, la directive entre en application dès qu’elle est approuvée. Et s’il est recouru à des notions juridiques ne correspondant pas au droit français, la transposition devient plus délicate. C’est pourquoi, en amont de la négociation de la directive, une négociation stratégique interministérielle devrait porter sur les enjeux politique et juridique de la directive pour la France.

Mme Cécile Untermaier. Le Conseil d’État pourrait donner un avis sur l’étude d’impact comme il le fait déjà pour les projets de loi. Considérez-vous toutefois que le ministère qui élabore un projet de loi est le mieux à même de réaliser l’étude d’impact ? Une autorité indépendante ne se justifierait-elle pas ?

M. Serge Lasvignes. Il y a deux façons de concevoir l’autorité indépendante. Soit elle valide l’étude d’impact une fois que celle-ci a été réalisée par d’autres, soit elle a la responsabilité de son élaboration.

Je ne suis pas favorable à ce que l’on confie la réalisation de l’étude d’impact à une autorité indépendante, car l’essentiel des compétences se situe au sein des ministères dont les personnels connaissent très bien leur sujet. De plus, je n’attends pas de l’étude d’impact une lumière telle qu’elle devrait être le fruit d’un travail absolument impartial. La démarche de réforme législative reste foncièrement politique. Il n’est donc pas possible d’en scinder l’aspect scientifique et l’aspect politique. L’étude d’impact a simplement pour fonction d’éviter aux politiques de commettre des bêtises, surtout imprévues. Or, en raison de la compétence de leurs différentes directions, les ministères sont capables de se plier à une telle discipline. Il suffit de prévoir une contrainte extérieure permettant de vérifier que l’exercice a été bien conduit.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je crois que vous avez raison, monsieur le Secrétaire général.

L’évaluation doit également permettre de vérifier si les objectifs fixés dans l’étude d’impact ont été atteints ou non.

M. Régis Juanico. Il ne s’agit pas, en effet, de créer un monstre juridique interministériel, puisque nous disposons déjà des outils nécessaires.

Au Royaume-Uni, la structure chargée de contrôler la qualité des études d’impact – Regulatory Policy Committee – est légère, puisqu’elle ne compte qu’une quinzaine de fonctionnaires et huit membres indépendants, qui se réunissent chaque semaine, en vue d’évaluer la qualité de l’étude d’impact sans chercher à la refaire. En ce qui nous concerne, un avis du Conseil d’État, rendu public, nous éclairerait sans doute : le législateur aimerait disposer, avant l’examen des projets et propositions de loi, de données consolidées. Si un grand progrès a été réalisé depuis 2008, nous n’en devons pas moins nous doter d’un outil supplémentaire nous permettant de disposer très tôt d’études de qualité.

La mission souhaite également déterminer les moyens pouvant améliorer la rédaction, la compréhensibilité et l’accessibilité des lois – Légifrance fournissant déjà un gros travail en la matière. Les Britanniques ont créé une commission dont la fonction est de conseiller en amont les rédacteurs de la loi en termes d’intelligibilité et de concision du texte. Les lois françaises sont traditionnellement bavardes. Alors qu’une loi portugaise fait trois pages et que les lois britanniques ne contiennent souvent que trois ou quatre articles, le projet de loi français relatif à l’économie sociale et solidaire, qui se veut un texte fondateur, fait déjà cent pages, alors que nous n’en sommes qu’à sa première lecture à l’Assemblée nationale. Trop souvent aussi figurent dans nos textes des dispositions qui ne sont pas du domaine de la loi mais appartiennent au domaine réglementaire.

Quels conseils pouvez-vous nous donner en matière de simplification législative ?

M. Serge Lasvignes. Je suis embarrassé pour vous répondre car je fais déjà tout mon possible en la matière.

Ayant constaté que le Conseil d’État, lui aussi, se laisse parfois fléchir, j’ai décidé qu’avant de passer devant le Conseil d’État tous les textes feraient l’objet d’une réunion de relecture au Secrétariat général du Gouvernement. S’agissant du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, mes échanges sur le caractère législatif de certaines mesures avec les représentants du ministère concerné ont été assez difficiles. En effet, outre les vraies dispositions législatives, deux autres catégories de mesures sont très représentées dans ce texte : les mesures réglementaires et les dispositions normatives incertaines – je pense notamment à la définition de la subvention, dont le statut normatif me laisse perplexe, mais qui figure dans le texte à la demande du secteur associatif.

M. Régis Juanico. Et des collectivités locales, au nom de la sécurité juridique.

M. Serge Lasvignes. Les relectures aboutissent à un compromis : en échange de certaines concessions du ministère, j’accepte de laisser figurer certaines dispositions, sachant que je n’ai aucun pouvoir de décision politique et que le ministre mécontent peut toujours aller se plaindre auprès du Premier ministre. Je constate fréquemment que les dispositions supprimées lors de la relecture reparaissent par voie d’amendement ministériel ou parlementaire. Cela dit, les dispositions qui me préoccupent le plus ne sont pas tant celles d’ordre réglementaire, que celles dont le statut normatif est incertain : un juge risque de faire d’une déclaration de principe une règle de droit, ce qui est inquiétant. En revanche, les dispositions réglementaires, si elles dévalorisent l’ouvrage législatif, n’offrent que peu de danger en termes de sécurité juridique.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Plusieurs critères permettent de déterminer la qualité de la loi.

Le premier, vous venez de l’évoquer, c’est en effet la nature législative ou non des dispositions adoptées. L’idéal serait de limiter l’enthousiasme législatif, qui peut avoir pour effet de rigidifier les modifications futures, seule une loi pouvant modifier une loi.

Le deuxième, c’est la solidité juridique du texte. Je ne dispose pas de statistiques précises sur les censures des textes votés par le Parlement. J’ai toutefois le sentiment que le législateur a des progrès à réaliser. Est-il normal de se réjouir que 90 % de la loi de finances pour 2014 aient passé le cap du Conseil constitutionnel ? À mes yeux, la censure devrait demeurer exceptionnelle. Quelles mesures devrions-nous prendre pour mieux garantir la solidité juridique des textes que nous adoptons ? La publicité des avis du Conseil d’État permettrait-elle d’y parvenir ? Par ailleurs, serait-il possible de soumettre les propositions de loi, voire les amendements qui peuvent dénaturer les textes, à des études d’impact ?

Troisième critère : prévoir un rendez-vous d’évaluation, triennal ou quinquennal, de la mise en application de certains textes. Une loi ne doit pas être considérée comme éternelle.

S’agissant des études d’impact, je partage votre jugement sur le caractère insuffisant de l’évaluation économique des textes. Les outils statistiques et méthodologiques que nous utilisons sont-ils adéquats ? Nous sommes les seuls à recourir à la méthode franco-française : « Oscar » – outil de simulation de la charge administrative de la nouvelle réglementation. Est-ce en raison des spécificités françaises que nous avons balayé d’un revers de main le Standard Cost Model – qui n’est pas utilisé uniquement par les Anglo-Saxons ?

Enfin, le contrôle que vos services exercent sur la qualité des études d’impact est une vraie révolution culturelle : quels moyens y consacrez-vous ? Quelle est la taille de vos équipes ? Quelles pistes – vous avez évoqué l’Insee – permettraient, en cette période budgétaire contrainte, de les étoffer ? Vos équipes pourraient-elles alors tenir lieu de secrétariat d’une éventuelle instance indépendante qui validerait le travail que vous lui auriez préparé ?

M. Serge Lasvignes. S’agissant de votre premier point, la moitié des dispositions de la loi de finances pour 2014 censurées par le Conseil constitutionnel étaient des cavaliers et 80 % résultaient d’amendements.

Je ne dispose que de dix chargés de mission qui couvrent l’ensemble des ministères. Je n’ai donc pas les moyens de me pencher sur chaque amendement déposé, s’agissant surtout du projet de loi de finances dont l’examen va vite et intervient dans une période chargée. Je réponds en revanche à toutes les sollicitations.

M. le rapporteur. D’autant que vous avez déjà vu passer un grand nombre de ces amendements en amont de l’examen du texte en séance publique.

M. Serge Lasvignes. C’est vrai.

En revanche, le passage, dans la loi de financement de la sécurité sociale, des taux dits « historiques » à des taux actualisés pour le calcul des prélèvements sur l’assurance-vie présentait une réelle fragilité juridique, dont j’avais prévenu le Gouvernement. Il a longuement hésité, puis un équilibre s’est instauré entre les préoccupations juridiques, économiques et politiques, et il a pris le risque de présenter la mesure. Le Conseil constitutionnel ne l’a pas censurée mais a émis une réserve. Cette mesure visait du reste à anticiper sur une évolution jurisprudentielle probable du Conseil constitutionnel. Il convient évidemment d’assumer, ensuite, le coût politique de la réalisation du risque. Je considère que l’administration et le Gouvernement ont fait leur travail.

Quant aux clauses de désignation, inscrites dans la loi de sécurisation de l’emploi, elles ont tout d’abord été censurées par le Conseil constitutionnel au titre de la liberté d’entreprendre. Le Gouvernement a alors demandé au Conseil d’État un avis très détaillé, y compris sur le taux du dispositif d’incitation fiscale devant figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Ce dispositif a fait l’objet d’une nouvelle censure du Conseil constitutionnel, qui a jugé l’écart de taux trop élevé.

M. le rapporteur. Il est regrettable que nous n’ayons pas connaissance des avis du Conseil d’État…

M. Serge Lasvignes. Celui-ci a été publié.

M. le rapporteur. Ce n’est pas le cas le plus fréquent. Nous ignorons parfois les hésitations du Gouvernement sur telle ou telle disposition. Ne conviendrait-il pas d’informer les parlementaires des avis du Conseil d’État ? Parfois, ils en ont vent par Le Figaro ou Les Échos.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La publicité des avis du Conseil d’État n’éviterait-elle pas, en sus des travers que vous avez évoqués, la logorrhée non normative des textes, laquelle peut avoir des conséquences négatives lors des contentieux ? L’avis du Conseil d’État vise-t-il les dispositions non normatives des textes ?

M. Serge Lasvignes. La publicité des avis du Conseil d’État est un sujet récurrent dont l’actualité est renforcée par le besoin croissant de transparence.

Il faut avoir néanmoins conscience que leur publicité fera évoluer les avis du Conseil d’État. Celui-ci aura tendance à se protéger lui-même, par une sorte de principe de précaution juridique, qui réduira d’autant la liberté de choix du Gouvernement. Le Conseil d’État entretient actuellement un dialogue constructif avec l’administration et accepte quelquefois de prendre lui-même un risque juridique. Dès lors que ses avis seront rendus publics, il ne voudra pas perdre la face et se montrera plus restrictif sur le plan juridique. Comme, de plus, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ne sont pas toujours sur la même ligne, le politique risque de se trouver pris en tenaille. Une telle publicité poserait donc la question délicate de l’arbitrage entre la sécurité juridique et la liberté politique.

Je pense en effet que les propositions de loi les plus complexes, qui sont devenues des points de fragilité juridiques, devraient être soumises, elles aussi, aux études d’impact. La plupart du temps, le Secrétariat général du Gouvernement ne les examine pas, et même si, depuis 2008, le Conseil d’État peut être saisi pour avis d’une proposition de loi, cela n’arrive que rarement – et le Gouvernement ne connaît pas l’avis rendu en pareil cas par le Conseil. Il faudrait donc que l’Assemblée nationale et le Sénat se dotent de moyens propres, soit, que dans le cadre d’un conventionnement avec les administrations de l’exécutif, le Parlement dispose d’un droit d’accès à l’expertise de l’exécutif, avec des garanties suffisantes, notamment lorsqu’il s’agit d’une proposition de loi de l’opposition.

Des rendez-vous triennaux d’évaluation, monsieur le rapporteur, seraient fort utiles ; ils permettraient notamment d’identifier les dispositions restant inappliquées, faute que l’on ait pu prendre les décrets d’application nécessaires. De tels rendez-vous permettraient de faire le tri entre les dispositifs qui fonctionnent et ceux qui devraient être revus. Les lois Dutreil sur le commerce se sont succédé car il fallait réviser quasiment chaque année les dispositifs en faveur des petites entreprises : il n’est pas bon de légiférer par balbutiements successifs.

Sans être un grand connaisseur, j’ai cru comprendre que le système d’évaluation « Oscar », mis au point par un inspecteur des finances, prenait en compte des coûts plus nombreux que le Standard Cost Model, que les Néerlandais étaient venus nous présenter. Ce dernier intègre seulement les coûts de formalités, alors qu’Oscar englobe les coûts de structure et d’adaptation. Toutefois, je ne vois aucun obstacle à approfondir la question.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne pas partager les indicateurs des autres pays risque de fausser les comparaisons, quelle que soit la majorité en place.

Vous suggérez que le Conseil d’État évalue les études d’impact : or, en Allemagne et au Royaume Uni, la société civile est également associée à cette évaluation, ce qui peut pondérer le poids politique de l’évaluation. Pourrait-on associer la société civile aux avis rendus par le Conseil d’État ?

Le « un pour un » fait-il l’objet d’un tableau de bord des bonnes pratiques, ministère par ministère ? Si oui, celui-ci est-il rendu public ? La transparence en la matière est une exigence des Français en général et des entreprises en particulier.

M. Serge Lasvignes. Le système actuel de l’évaluation des études d’impact pourrait être amélioré grâce à une intervention officielle du Conseil d’État. Si l’on veut y associer la société civile pour ne pas s’en tenir au regard technique de l’administration, il conviendrait de créer une commission indépendante.

S’agissant de votre seconde question, les indicateurs ne sauraient être tenus cachés, ne serait-ce qu’au plan juridique : le cabinet du Premier ministre s’apprête à publier les premiers résultats dans le courant du semestre. Le tableau est tenu à jour.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La France ne pourrait-elle pas adopter la règle selon laquelle une directive européenne est en principe transcrite en droit français par ordonnance après validation par le Conseil d’État de sa traduction mot à mot et ne serait soumise au Parlement qu’en cas de durcissement de la directive ? Une telle démarche supposerait la publicité de l’avis du Conseil d’État afin que les parlementaires soient assurés que la règle de la transposition mot à mot par défaut a été respectée.

M. Serge Lasvignes. La transposition par ordonnance est à l’heure actuelle toujours possible, même si cette procédure est de moins en moins utilisée au profit de l’examen simplifié devant le Parlement – après accord entre le Gouvernement et les commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les textes réputés les moins sensibles au plan politique. La loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, dite loi « DADU », a permis de combler notre retard.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La directive est parfois durcie lors de sa transposition.

M. le rapporteur. Ou rendue plus complexe, ce qu’il faudrait éviter.

M. Serge Lasvignes. C’est certain.

Le système que vous évoquez rappelle les dispositions constitutionnelles qui permettent d’adapter à tout moment par ordonnance le droit applicable outre-mer : une disposition constitutionnelle prévoirait que les directives peuvent être transposées par ordonnance dès lors qu’aucune disposition n’y est ajoutée.

M. le rapporteur. Une modification de la Constitution serait-elle nécessaire ?

M. Serge Lasvignes. Oui, si vous voulez créer une procédure permanente de transposition. Le Conseil constitutionnel censurerait sans aucun doute une loi d’habilitation générale applicable à toute directive. Il conviendrait évidemment de s’entendre sur ce que serait une transposition a minima.

Mme la présidente Laure de La Raudière. D’où la nécessité de disposer de l’avis du Conseil d’État.

M. Serge Lasvignes. Pour accélérer la publication des décrets d’application, il conviendrait de préparer autant que possible les projets de décrets en même temps que le projet de loi. Cela se fait pour les ordonnances, qui sont préparées en même temps que les projets de loi d’habilitation : cela permet de rassurer le Parlement.

M. le rapporteur. Je n’ai jamais obtenu les ordonnances accompagnant les deux derniers projets de loi d’habilitation, alors que, j’en suis certain, elles étaient prêtes !

M. Régis Juanico. La question des décrets d’application rejoint celle de la montée en puissance de la fonction de contrôle du Parlement. Depuis 2004, le rapporteur d’une loi qui nécessite la publication de textes réglementaires peut présenter à la commission compétente, à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur de cette loi, un rapport d’application, lequel fait notamment état de l’avancement des textes d’application nécessaires. Il conviendrait peut-être d’anticiper le travail de l’administration sur les décrets d’application afin que celui-ci se fasse en lien avec les parlementaires. Cela supposerait évidemment que ces derniers se rendent disponibles à cette fin – tel n’est pas encore le cas.

Un rendez-vous triennal, ou quinquennal, permettrait de passer au scanner l’application de la loi et de faire un bilan de son efficacité, en vue de proposer des modifications.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie, monsieur le Secrétaire général, monsieur le Directeur.

La séance est levée à 18 heures 10.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Matthias Fekl, M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Mandon, Mme Cécile Untermaier.

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Philippe Gosselin.