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Mission d’information sur la simplification législative

Jeudi 10 avril 2014

Séance de 10 heures 45

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes

– Présences en réunion

La séance est ouverte à 10 heures 55.

Présidence de Mme Laure de La Raudière, présidente.

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Molfessis, professeur de droit privé à l'Université Paris II Panthéon-Assas, membre du Club des juristes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Comme vous le savez, monsieur le professeur, notre mission entend faire porter ses travaux davantage sur une rationalisation du « flux » normatif que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement – notre rapporteur, M. Thierry Mandon, est du reste coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative en nous inspirant des exemples étrangers.

Nous nous sommes rendus le 27 mars dernier aux Pays-Bas, où nous avons rencontré, notamment, des représentants du conseil consultatif indépendant ACTAL et du ministère des Affaires économiques, qui participent à la politique néerlandaise de simplification administrative et législative. Nous avons également effectué des déplacements successivement à Bruxelles, Londres et Berlin.

L’étude des exemples étrangers nourrit notre réflexion, qui porte en particulier sur l’importance d’une évaluation ex ante objective et indépendante et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, comme la méthode de transposition des directives européennes.

Nous avons souhaité vous entendre car vous êtes l’auteur de nombreux articles sur la simplification du droit et sur la sécurité juridique. Je pense notamment à votre contribution au rapport public du Conseil d’État de 2006, où vous analysez les causes du « déclin de l’art de légiférer » et en appelez au développement d’une « nouvelle culture de la production des normes ».

Nous serions heureux de connaître votre point de vue sur ces matières, l’état des réflexions que mène le Club des juristes et les éventuelles propositions que vous auriez à nous soumettre.

M. Nicolas Molfessis. Je m’intéresse depuis longtemps à la question de la sécurité juridique. Il y a une dizaine d’années, j’ai rédigé un rapport sur les revirements de jurisprudence de la Cour de cassation, après qu’une commission eut formulé l’hypothèse, pour des raisons de sécurité juridique et pour éviter de surprendre les justiciables, d’une modulation de ces revirements dans le temps. Dans un arrêt rendu en assemblée plénière, la Cour de cassation s’est inspirée des conclusions de cette commission. La première chambre civile a suivi, la chambre commerciale pas totalement, et la chambre sociale a désiré ne pas suivre.

Je trouve que c’est une bonne illustration des travaux menés en matière de sécurité juridique : rien n’en ressort de très cohérent et, souvent, on met le désordre là où l’on cherchait à instiller de l’ordre. Il arrive que les institutions répondent de façon erratique aux réflexions dont elles sont l’objet.

Cet épisode est à l’origine de la mise en place, au sein du Club des juristes, d’une commission « Insécurité juridique et initiative économique » que je copréside avec M. Henri de Castries. L’objectif est de confronter les points de vue des juristes et du monde de l’entreprise pour examiner dans quelle mesure l’insécurité juridique est un frein à l’initiative économique et comment essayer d’y porter remède. Les travaux de cette commission n’étant pas achevés, je ne peux évidemment pas vous en livrer les conclusions, mais j’aurai plaisir à faire état des réflexions que nous avons déjà menées.

Depuis plus de vingt ans, les pouvoirs publics et les plus hautes instances dénoncent l’insécurité juridique sous toutes ses formes. Le Conseil d’État a remis un premier rapport à ce sujet en 1991, puis un second en 2006. Les autres rapports officiels se comptent par dizaines. Des commissions officielles ou universitaires ont été mises en place. On a aussi élaboré un droit de la norme, c’est-à-dire un droit portant sur l’art de légiférer, allant de circulaires sur l’élaboration des textes à l’édiction d’objectifs à valeur constitutionnelle – la clarté et l’intelligibilité de la loi –, dans le but de réguler le flux normatif et la qualité rédactionnelle des textes.

Pourtant, en dépit de ces vingt années de réflexion intense – aucun autre sujet juridique n’en a sans doute suscité autant –, en dépit du nombre de structures créées, et en dépit de certains progrès sur lesquels je reviendrai, on déplore toujours l’importance de l’insécurité juridique.

Pourquoi, avec tous ces discours vertueux sur l’élaboration de la norme, le mal continue-t-il de progresser ?

Plusieurs exemples récents montrent qu’il existe toujours un décalage entre les intentions et les réalisations, entre les constats et les pratiques qui s’ensuivent.

C’est le cas des lois de simplification : alors qu’elles partent du constat on ne peut plus vertueux qu’il faut consacrer une partie du travail législatif à améliorer le stock existant, soit en essayant d’améliorer la rédaction des textes, soit, plus radicalement, en retranchant les corps morts, nombre des intervenants que vous avez entendus les ont dénoncées à raison. La quatrième et dernière en date comprend elle aussi des dispositions que l’on plaçait auparavant dans les lois « fourre-tout » : DDOS (diverses dispositions d’ordre social) ou DDOEF (diverses dispositions d’ordre économique et financier), etc. Bien que prévus spécifiquement pour la simplification, ces dispositifs se pervertissent.

Deuxième exemple, celui des ordonnances, dont tous les responsables politiques dénoncent, lorsqu’ils sont dans l’opposition, le caractère antidémocratique. Cette voie de législation bis permet de multiplier au moins par deux le flux normatif. Alors que le Parlement est déjà embouteillé, on continue d’emprunter une voie de délestage qui ne fera qu’ajouter à la saturation. L’utilisation abusive des ordonnances fait l’objet de condamnations unanimes mais, au bout de quelques mois de pouvoir, la pratique l’emporte sur les bonnes intentions. Dans le dispositif des ordonnances, la préparation des textes ne fait l’objet d’aucune discussion publique et, plus généralement, n’est accompagnée de rien de ce qui fait la genèse d’un corpus législatif dans une démocratie évoluée et qui permet aux juristes de comprendre de quoi il retourne.

Le troisième exemple, un peu plus ancien, est celui des lois mémorielles. On ne trouve pas un parlementaire rationnel qui y soit favorable. Une commission conduite par l’ancien président de l’Assemblée nationale a mené une réflexion très féconde sur le sujet. Comme les juristes et les historiens de tous bords, elle a dénoncé les lois mémorielles. À la fin de la dernière législature, le Conseil constitutionnel a censuré une nouvelle proposition de loi relative au génocide arménien, marquant ainsi que l’on ne voulait vraiment plus de lois mémorielles. Or le Président de la République d’alors s’est empressé de dire qu’il déposerait un nouveau texte s’il était élu. Et celui qui a été élu s’est lui aussi empressé d’annoncer qu’il remplacerait le texte censuré. Ces hauts personnages savent très bien que les lois mémorielles sont un dévoiement de la législation et une forme d’instrumentalisation de la loi à des fins purement symboliques, voire électoralistes. Il n’empêche !

Enfin, après l’échec d’un premier dispositif, on a rétabli un système d’études d’impact dont le fonctionnement se révèle nettement plus satisfaisant. Les travers des études d’impact stéréotypées demeurent cependant. Il y a, là aussi, du travail à faire.

Nous sommes donc partis de l’idée qu’il fallait travailler sur les causes profondes de la situation. Pour que le Parlement puisse s’exprimer sur des sujets symboliques à portée recognitive sans passer par des lois mémorielles, par exemple, la voie des résolutions parlementaires a été mise en place. On prend ainsi en compte le fait que la vie d’un parlementaire ou de toute personne au pouvoir est aussi une vie faite de concessions, de réponses à des groupes d’intérêt et à des groupes de pression. On est toujours très vertueux lorsque l’on réfléchit à la façon la plus vertueuse d’agir ; lorsque l’on a les mains dans le cambouis, c’est autre chose ! Il est essentiel d’intégrer cette dimension pratique à la réflexion : comment éviter le dévoiement ou le contournement des remèdes ?

La vertu s’apprend par l’incitation et par la récompense, mais aussi par la contrainte. Une des meilleures manières de faire progresser les mentalités est d’empêcher les dévoiements. S’agissant notamment des études d’impact ou de la publication dans un délai donné des textes d’application, des mesures coercitives sont souhaitables pour changer les comportements et la culture en matière de législation.

Nos réflexions ont porté à la fois sur l’identification des dysfonctionnements et sur la manière d’y remédier.

Premier « nœud » que nous essayons de démêler, celui des amendements. Si, à l’évidence, les amendements parlementaires soulèvent des difficultés importantes au regard de la sécurité juridique, il est complexe de trouver une solution car il est évidemment hors de question de priver les parlementaires de ce droit fondamental ou d’essayer de le limiter. On s’accorde à reconnaître les problèmes : la procédure dans son ensemble échappe aux études d’impact ; le délai de dépôt des amendements permet à certains d’entre eux d’échapper à toute discussion réelle en commission ; enfin la voie de l’amendement est instrumentalisée pour faire passer « hors de la vue » du Conseil d’État des dispositions dont on craint qu’elles puissent faire l’objet d’un avis défavorable – on l’a encore vu avec l’action de groupe simplifiée introduite dans le projet de loi relatif à la consommation.

Je sais que vous travaillez comme nous à résoudre ce problème. La loi de finances pour 2014 a montré de façon symptomatique que les dispositions introduites par amendement s’exposent davantage à une censure du Conseil constitutionnel.

Un autre sujet de réflexion est la rétroactivité des textes. L’insécurité juridique tient non seulement à la multiplication des textes mais à leur insertion dans le temps. Sont concernés les textes fiscaux, les lois de validation et les lois interprétatives, tous dispositifs ayant vocation à avoir une portée rétroactive sous couvert parfois d’application immédiate. Nous nous préoccupons en particulier de la « petite rétroactivité » fiscale, unanimement dénoncée par les milieux économiques, qui consiste à remettre à la loi de finances votée en fin d’année le sort d’opérations accomplies dans l’année écoulée.

Nous étudions également un sujet qui n’est peut-être pas au centre de vos préoccupations, celui de l’application des règles et de la hiérarchie des normes. Il arrive que des justiciables ou des organisations essaient de choisir leur juge et que des dispositions votées par le Parlement soient écartées par un juge d’instance en application de la Convention européenne des droits de l’homme ou de conventions de l’Organisation internationale du travail. Face à cette source d’insécurité juridique importante, nous réfléchissons à l’hypothèse d’un filtre permettant de laisser à chacune des juridictions suprêmes – Cour de cassation et Conseil d’État – le soin de statuer sur les questions de conventionnalité, pour parvenir à une sécurité juridique comparable à celle à laquelle on est parvenu en matière de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

Nous réfléchissons également à l’organisation des cours suprêmes. Une Cour de cassation mature ne devrait pas avoir à juger entre 20 000 et 30 000 pourvois par an, mais rendre entre 100 et 500 décisions et être ainsi capable d’assumer réellement son devoir d’unification du droit sur l’ensemble du territoire.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Comment imaginez-vous le « filtre » en matière d’application des conventions ?

M. Nicolas Molfessis. Dans certains domaines, notamment s’agissant de législation sociale à portée très forte, des associations ou des syndicats choisissent des juridictions dont ils estiment, à tort ou à raison, qu’elles leur seront favorables. Nous avons examiné, par exemple, une décision du tribunal de Longjumeau par laquelle le juge écarte la loi applicable ; le procès suivra ensuite son cours ; s’il y a appel et pourvoi en cassation, le délai se mesurera en années pour savoir ce qu’il en est de la législation concernée. Nous estimons que c’est catastrophique pour la sécurité juridique. Si notre législation est contraire à une convention internationale et doit être écartée à son profit, la question doit relever du juge suprême de chaque ordre, c’est-à-dire de la Cour de cassation ou du Conseil d’État.

Dans le cas d’espèce, le juge de Longjumeau pourra se voir poser la question par le justiciable mais il devra, si la demande est sérieuse, la renvoyer devant la cour compétente dans son ordre pour que celle-ci statue avant toute décision sur le fond. Le mécanisme permettrait de « vider » la question de la conventionnalité en quelques mois, comme on « vide » la question de la constitutionnalité en quelques mois en matière de QPC. Il suppose au moins une modification législative.

M. le rapporteur. Une modification d’ordre très général ou une modification qui n’affecterait que les codes concernés ?

M. Nicolas Molfessis. Peut-être faudrait-il même plus qu’une modification législative. Il ne s’agit pour l’instant que d’une piste. En tout état de cause, il faut réguler le problème de l’insécurité juridique en mettant en place des « rouages » juridiques vertueux.

M. Régis Juanico. Les amendements parlementaires peuvent en effet soulever des questions de sécurité juridique. Certains contribuent aussi au caractère bavard de la loi. Pourtant, le droit d’amendement des parlementaires, qui découle de la Constitution, est très encadré et, dans les faits, très limité : principe de spécialité budgétaire, article 40 de la Constitution, avis du Conseil d’État, censure du Conseil constitutionnel, sans parler de l’incompatibilité européenne que telle ou telle bureaucratie gouvernementale oppose parfois à nos amendements. C’est peut-être ce qui explique que certains parlementaires contribuent à faire bavarder les textes, ou déposent des amendements qui consistent seulement à demander au Gouvernement la remise d’un rapport – il s’agit, on le sait, d’éviter de tomber sous le coup de l’article 40, mais on peut se demander ce que vient faire une demande de rapport dans un texte législatif !

L’amélioration des processus de sécurisation juridique dépend aussi des moyens et de l’expertise dont les assemblées disposent pour mieux travailler en amont et éviter que les amendements soient examinés à la dernière minute, sans préparation et sans véritable débat.

Vous avez évoqué le caractère parfois « stéréotypé » des études d’impact. Quelles propositions concrètes feriez-vous pour améliorer la procédure ? Au Royaume-Uni, par exemple, il existe des comités extérieurs et indépendants pour examiner les textes en préparation.

M. Nicolas Molfessis. S’agissant des amendements, il faut trouver un équilibre entre la conservation pleine et entière du droit d’amendement et la régulation de son usage de manière à éviter les excès.

Nous suivons à cet effet trois pistes.

Premièrement, empêcher l’insertion par voie d’amendement de dispositions radicalement nouvelles. On éviterait ainsi d’introduire, dans la loi relative à la consommation, des dispositions concernant les fichiers positifs – lesquelles ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il s’agissait d’un amendement gouvernemental.

M. Nicolas Molfessis. Vous avez raison. Mon propos porte sur la procédure d’amendement en général.

Cette première orientation n’est pas sans défauts. Sa base constitutionnelle est problématique : comment faire le départ entre les amendements qui seraient autorisés et ceux qui ne le seraient pas ? Elle rend par ailleurs délicate la préparation de dispositions législatives nouvelles.

La deuxième piste serait d’interdire le dépôt de certains amendements une fois passé un certain délai, et en tout cas interdire le dépôt jusqu’au jour de la discussion en séance publique. La logique voudrait que les amendements – du moins les plus importants – puissent toujours être débattus en commission et que chaque parlementaire dispose de plusieurs jours pour préparer leur discussion.

La troisième piste serait de rendre aux lois de financement de la sécurité sociale leur objet, en permettant un vrai débat parlementaire sur l’évolution de la sécurité sociale et sur ses comptes. Il s’agit d’éviter la dispersion des débats en centralisant la discussion selon l’objet des textes à un moment clé de l’année. Cette forme de concentration du travail parlementaire rejoint celle que vous avez évoquée en matière fiscale, monsieur Juanico.

M. le rapporteur. Quelles seraient les bases juridiques d’une telle démarche ?

M. Nicolas Molfessis. L’article 34 de la Constitution.

M. le rapporteur. Faudra-t-il modifier le règlement des assemblées ?

M. Nicolas Molfessis. On peut s’appuyer sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale de 1996, mais j’ignore, à ce stade, si cela nécessite une modification.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le délai de dépôt des amendements est fixé par une loi organique et par les règlements des assemblées. En revanche, interdire l’introduction par voie d’amendement de dispositifs « radicalement nouveaux » me semble relever de la Constitution.

M. Nicolas Molfessis. Les articles 39 et 44 de la Constitution sont insuffisants pour fonder un dispositif allant en ce sens. Je n’ai pas la réponse à votre question.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il s’agit, en somme, de définir a priori le cavalier législatif sans attendre la décision du Conseil constitutionnel.

M. Nicolas Molfessis. Exactement.

M. le rapporteur. Selon vous, l’amendement « pigeons », qui a imprimé un changement à 180 degrés au projet de loi de finances pour 2014, est-il « radicalement nouveau » ?

M. Nicolas Molfessis. Oui.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il est radicalement nouveau d’un point de vue politique, mais pas du point de vue du champ d’application de la loi.

M. Nicolas Molfessis. Je pense que la définition du « radicalement nouveau » est formelle et non pas substantielle. Sont visés les amendements radicalement nouveaux par rapport au texte initial. S’ils ne s’y rattachaient pas, ils seraient de toute façon censurés en l’état actuel du droit.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Votre proposition revient à interdire les amendements de suppression. Supprimer un article du projet de loi initial est « radicalement nouveau »…

M. Nicolas Molfessis. Je ne crois pas. Ce qui est radicalement nouveau, c’est l’insertion dans un texte d’un dispositif qui n’était pas prévu par ledit texte et qui le modifie.

M. le rapporteur. Je rejoins l’objection de la présidente : un amendement de suppression est par définition radicalement nouveau.

Mme la présidente Laure de La Raudière. J’en reviens à l’amendement « pigeons », dont la « modification radicale » porte sur une disposition relative aux valeurs mobilières déjà présente dans le projet de loi initial. À mon sens, il ne s’agit pas de quelque chose de radicalement nouveau. Mais, dans l’hypothèse où cela le serait, on interdit tout amendement de suppression.

M. Nicolas Molfessis. J’estime au contraire que, par nature, un amendement de suppression n’est pas radicalement nouveau puisqu’il est directement corrélé au texte et inhérent à la discussion sur celui-ci. Toute discussion législative porte forcément sur des modifications de rédaction ou sur la suppression de dispositions. Exclure les amendements de suppression me semble antinomique. Ce que l’on peut en revanche définir comme radicalement nouveau, c’est l’intégration à un texte de dispositions qui n’étaient nullement prévues initialement.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le fichier positif, donc, mais pas l’amendement « pigeons »…

M. Nicolas Molfessis. C’est ensuite une question de jurisprudence constitutionnelle. Le droit sait le faire !

M. le rapporteur. Si nous insistons sur ce sujet, c’est qu’il s’agit d’une de nos pistes de réflexion.

M. Nicolas Molfessis. Nous avons les mêmes préoccupations : comment trouver un critère opératoire, soit temporel, soit substantiel, pour refuser des amendements ? Modifier le délai de dépôt est simple, fixer des critères de contenu est beaucoup plus compliqué !

S’agissant maintenant des études d’impact, notre réflexion rejoint la vôtre : est-il opportun de recourir à un organisme extérieur qui assiste ou contrôle la rédaction législative, et, si oui, à quelles fins ? On peut penser qu’il est difficile pour les parlementaires d’être à la fois ceux qui écrivent les textes et ceux qui sont chargés d’évaluer ex ante ou ex post le travail qu’ils ont effectué. Sans doute certaines commissions d’évaluation ont-elles bien fonctionné, mais elles n’ont pas toujours donné pleinement satisfaction. Ne faut-il pas, dès lors, « externaliser » ce mécanisme de contrôle du travail parlementaire en le confiant à une autre instance ? Nous sommes en train de nous demander, par exemple, si le Conseil économique, social et environnemental (CESE) souvent considéré comme très poussiéreux,…

M. Régis Juanico. Et sous-utilisé !

M. Nicolas Molfessis. ...ne pourrait pas être utilisé en soutien du travail parlementaire dans différentes hypothèses, conjointement avec l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) pour les études d’impact car celles-ci réclament une logistique dont le Conseil ne dispose pas nécessairement.

Bref, comme dans le système bruxellois, il serait logique que l’étude d’impact soit validée à un moment donné par un organisme extérieur. Dans l’état de nos réflexions, l’étude d’impact n’échappe pas à l’instance qui prépare le texte mais elle est validée par un organisme extérieur qui l’accepte ou non selon sa qualité, en fonction de critères qu’il faudrait, là aussi, discuter.

Dans cette approche, il faut se garder de monter une usine à gaz en donnant à cette autorité extérieure le soin de faire tout ce qui revient jusqu’à présent à ceux qui font les textes. Pour nous, il doit s’agir d’un organisme de contrôle.

Dans le prolongement de cette réflexion, il faut envisager la possibilité d’étendre les études d’impact aux propositions de loi et aux amendements. Il n’y a pas de raison que la procédure ne soit pas similaire quelle que soit l’origine de la disposition législative.

M. le rapporteur. Comment déterminer les amendements que l’on soumettra à une étude d’impact et à une contre-expertise indépendante ?

M. Nicolas Molfessis. Bien entendu, tous les amendements ne doivent pas être soumis à la procédure. Cela n’aurait aucun sens de faire une étude d’impact sur un amendement rédactionnel ! Le commencement de la vertu serait d’instaurer des délais impératifs de dépôt qui laissent le temps de procéder, le cas échéant, à des études d’impact préalables. Mais je ne sais pas si une telle proposition est très réaliste… Toujours est-il que les amendements de dernière minute sont ceux auxquels il faut penser en premier si l’on veut essayer de réguler la procédure.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous réfléchissons aussi aux évaluations ex post et aux dispositifs qui pourraient être utilisés comme des « lois à durée déterminée » ou correspondre à des expérimentations dans certains domaines. Quelle obligation d’évaluation ex post instaurer ? Faut-il supprimer automatiquement la loi si l’évaluation est négative ? Faut-il prévoir dans la plupart des textes des clauses de révision ou de caducité (« sunset clauses ») pour s’assurer que le Parlement, s’il veut maintenir le dispositif, redébatte de la question ?

M. Nicolas Molfessis. Nous n’avons pas abordé ce sujet. Le droit français connaît des lois expérimentales depuis quelques années déjà, soit pour des raisons politiques – par exemple la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse, qui nécessitait que l’on acclimate notre droit et notre société à cette nouvelle législation –, soit pour des raisons techniques.

Ce que l’on peut constater, c’est que l’on n’a pas toujours effectué les expérimentations passées avec l’attention et le sérieux que réclamait la question. Il est vrai qu’une expérimentation législative n’est pas forcément simple à mener : quel type d’organisme peut-il procéder à l’évaluation, sur quels critères, et à partir de quand considère-t-on qu’une loi a satisfait ou non aux objectifs qui lui étaient assignés ? La première loi de bioéthique, par exemple, devait constituer une législation expérimentale pour cinq ans, mais le Parlement, trop occupé, a mis dix ans avant d’y revenir. Il faut veiller à ne pas créer des mécanismes complexes qui se surajoutent aux mécanismes existants et rendent le travail des parlementaires infaisable. Vous aviez mis en place un Office parlementaire d’évaluation de la législation où ceux qui faisaient la loi étaient aussi ceux qui l’évaluaient, et qui n’a eu presque aucune activité pendant des années.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il a été supprimé depuis.

M. Nicolas Molfessis. On le voit, les expériences d’évaluation législative ne sont pas forcément probantes. Mon impression est que la mise en place d’un mécanisme systématique de lois expérimentales ajouterait à la complexité de la machine législative. La procédure est propre à certaines législations et doit leur être réservée.

Je sais que vous réfléchissez aussi, comme nous, aux principes de « one in, one out » ou de « one in, two out ».

Mme la présidente Laure de La Raudière. En valeur de charge administrative, pas en nombre de textes.

M. Nicolas Molfessis. Nous nous interrogeons sur le caractère réaliste de cette proposition. Elle semble fonctionner dans certaines législations, notamment au Royaume-Uni, mais qu’en serait-il chez nous ? Nous sommes en train de faire des tests pour déterminer dans quelle mesure un tel mécanisme pourrait vider la législation en valeur.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Pensez-vous qu’il faille rendre public l’avis du Conseil d’État sur les projets de loi ? Cela serait-il bénéfique à la sécurité juridique et à la simplification législative ?

M. Nicolas Molfessis. La publicité des avis du Conseil d’État aurait une vertu pédagogique évidente. Certains avis sont d’ailleurs diffusés. Mais j’ai aussi entendu les contre-arguments invoqués devant vous : selon certains, la publicité changerait la méthode de rédaction des avis et leur enlèverait une partie de leur utilité. Je ne sais pas si c’est vrai.

M. le rapporteur. Pour le vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, il y a en effet des avantages et des inconvénients. Mais, pour lui, les avantages l’emportent sans doute sur les inconvénients.

M. Nicolas Molfessis. Il est difficile de penser que la qualité des avis se trouverait affaiblie par leur publicité. Doit-on s’attendre à ce que l’euphémisme investisse les avis et en réduise la portée ? En règle générale, je crois que la publicité améliore la qualité du droit et de la justice. Lorsque l’on sait que l’on sera entendu ou lu, on apporte plus de soin à sa réflexion.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci pour votre contribution, monsieur le professeur.

La séance est levée à 11 heures 40.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Mandon.

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Philippe Gosselin, Mme Marietta Karamanli.