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Mission d’information sur la simplification législative

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

– Audition, ouverte à la presse de M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et de M. Gérard Huot, responsable des relations avec les entreprises au sein de la mission « simplification »

– Présences en réunion

La séance est ouverte à 17 heures 05.

Présidence de Mme Laure de La Raudière, présidente.

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous vous remercions, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, d’avoir accepté d’être auditionné par la mission d’information sur la simplification législative. Comme vous le savez, celle-ci entend faire porter ses travaux davantage sur la rationalisation du flux normatif que sur la simplification du stock des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement, en étroite collaboration avec notre rapporteur, M. Thierry Mandon, qui copréside avec M. Guillaume Poitrinal le conseil de la simplification pour les entreprises.

Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative en nous inspirant des exemples étrangers. Nos concitoyens estiment en effet à juste titre que l’on édicte toujours plus de lois, quelquefois bavardes, et que l’on crée ainsi une société de plus en plus complexe. Nous souhaitons donc rendre la loi plus lisible tout en en rationalisant le flux.

Dans le cadre de nos travaux, nous nous sommes inspirés d’exemples étrangers après avoir effectué des déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye. L’étude des bonnes pratiques adoptées par nos voisins nourrit notre réflexion qui porte en particulier sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, tels que la méthode de transposition des directives européennes.

Monsieur le Premier président, pourriez-vous nous rappeler de façon synthétique les actions de la Cour des comptes en matière d’évaluation ex post puis nous répondre sur quelques points particuliers ? Pensez-vous notamment qu’il soit opportun de systématiser l’insertion, dans certains types de lois, de clauses de révision prévoyant que le Parlement procède à une évaluation du dispositif voté dans un délai déterminé, comme on l’a fait en matière de bioéthique, ce qui conduirait le législateur à arrêter d’une législature à l’autre un programme pluriannuel d’évaluation ? Cela lui permettrait de supprimer les dispositions législatives qui n’auraient pas atteint l’objectif recherché. Pensez-vous que le Parlement et la Cour de comptes pourraient renforcer leurs liens et leur collaboration dans le cadre d’un travail d’évaluation ex post plus méthodique, au-delà de ce qui se fait par exemple déjà au sein de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des Finances ? Si oui, selon quelles modalités – institutionnelles, notamment ? Pensez-vous que des membres de la Cour des comptes pourraient participer à un travail d’évaluation ex ante de l’impact des projets de loi, des propositions de loi et des amendements substantiels dans le cadre d’un pôle d’expertise qui pourrait être sollicité par les présidents des deux assemblées parlementaires ?

Je vous cède à présent la parole pour un exposé liminaire au terme duquel nous vous poserons quelques questions complémentaires.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je vous remercie de m’avoir invité à exprimer la position de la Cour des comptes sur le sujet sensible de la simplification législative. Je suis, pour ce faire, accompagné de M. Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour des comptes, et de M. Simon Bertoux, conseiller référendaire et chargé de mission.

La Cour des comptes, qui assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques, partage votre préoccupation de rendre la législation plus simple et plus accessible. Elle est donc déterminée à prendre toute sa part, dans la limite de ses compétences, pour contribuer à cette entreprise.

Je ne m’exprimerai naturellement pas sur l’amélioration de la procédure législative elle-même, qui relève de vous seuls, sauf pour souligner qu’une application plus stricte des articles 34 et 37 de la Constitution contribuerait à une clarification et à une simplification. Cela donnerait en effet au Parlement davantage de temps pour examiner les textes qui relèvent véritablement de sa compétence. Je concentrerai mon intervention sur les moyens de mieux évaluer ex ante et ex post l’effet des lois, dans un esprit de simplification.

Je commencerai par aborder tout ce qui précède la discussion et l’adoption des lois. Votre mission a déjà eu l’occasion de s’intéresser au dispositif actuel d’études d’impact des projets de loi. Force est de constater que ce dispositif, encore jeune, est de très inégale qualité selon les textes, et, en moyenne, insuffisamment étayé sur le plan quantitatif. Cela ne résulte pas obligatoirement d’une volonté de rétention de l’information par les services car l’expertise peut ne pas exister et, lorsqu’elle existe, il arrive fréquemment qu’elle ne soit pas mobilisée en raison de l’urgence à examiner les textes déposés. Votre Règlement pourrait prévoir que les propositions de loi soient, elles aussi, assorties d’études d’impact, même s’il serait plus difficile au Parlement de les produire qu’au Gouvernement.

Avant de revenir sur l’importance cruciale de ce travail en amont, soulignons que les missions de la Cour des comptes et ses procédures, qui impliquent une série d’examens collégiaux et une contradiction écrite, nécessairement assez longs, ne lui permettent pas de réagir vite, comme peut le faire le Conseil d’État. Il n’apparaît donc pas possible d’envisager de lui faire jouer un rôle en amont de l’adoption des textes, ni de façon systématique ni même sur demande. En revanche, les travaux déjà réalisés par les juridictions financières pourraient être davantage exploités car ils ont souvent un rapport direct avec des initiatives législatives qui vous sont soumises. Vous pouvez donc nous saisir de demandes d’auditions sur ces travaux.

S’agissant de l’évaluation ex post des dispositifs publics, les travaux existants de la Cour identifient fréquemment la complexité normative comme une cause des difficultés rencontrées dans l’action publique. Des dispositifs plus simples, plus accessibles et appliqués de façon plus homogène par les administrations, sont mieux compris et mieux acceptés par les citoyens. Cette légitimité renforcée ainsi que l’allégement du travail administratif qui accompagne la simplification sont autant de gages d’efficacité et d’efficience de l’action publique.

J’en prendrai brièvement quelques exemples, issus de nos travaux les plus récents, pour vous convaincre que d’importants progrès sont possibles. J’aborderai successivement trois thèmes : la protection sociale, la fiscalité et la gestion publique.

Dans le domaine de la protection sociale, la sédimentation de nombreux dispositifs d’inspirations différentes, chacun obéissant à des critères et à des règles de calcul variables, forme un paysage d’une excessive complexité. Cette complexité des règles peut viser un objectif légitime, celui d’éviter autant que possible les effets d’aubaine. Mais, en réalité, celui-ci est rarement atteint : la Cour relève fréquemment que l’action publique est insuffisamment ciblée. Et le prix de la complexité est élevé : un moindre accès aux droits des citoyens, une perte de légitimité de l’action publique et, pour les administrations, des surcoûts et de l’inefficacité. Ce prix de la complexité n’apparaît pas immédiatement, en partie parce que les services qui conçoivent la règle – l’administration centrale, le plus souvent – sont rarement ceux qui l’appliquent concrètement sur le terrain – les services déconcentrés et les collectivités territoriales.

Je citerai quelques exemples concrets tirés des derniers rapports annuels de la Cour sur la sécurité sociale : la Cour a ainsi critiqué en 2008 la réglementation applicable au calcul des indemnités journalières ; en 2010, la complexité des différents régimes d’invalidité ; en 2011, la gestion des forfaits et exonérations pour les patients à l’hôpital, qui forme un ensemble excessivement complexe et qui laisse des restes à charge parfois très importants pour certains patients. Dans notre rapport public thématique de janvier 2013 consacré au fonctionnement du marché du travail, nous recommandions aussi de simplifier l’ensemble des dispositifs d’incitation à l’activité, qui repose actuellement sur la prime pour l’emploi, le revenu de solidarité active (RSA) activité et les possibilités de cumul entre indemnisation chômage et activité partielle. Sur ce dernier point, la Cour relevait que la complexité des règles était à l’origine de nombreux indus et d’une charge de travail disproportionnée pour les services de Pôle emploi. Une simplification devrait être engagée, à la suite de l’accord national interprofessionnel du 22 mars dernier relatif à l’indemnisation du chômage.

Je pourrais aussi mentionner d’autres sujets, comme les différentes formes de visas et de titres de séjour pour les étrangers, la cartographie des zones prioritaires en matière de politique de la ville ou de logement, ou les nombreux dispositifs de soutien à la création d’entreprises qui entraînent une illisibilité et une dispersion des efforts, comme la Cour l’a relevé dans un rapport d’évaluation remis à votre comité d’évaluation et de contrôle en février 2013.

J’en viens à une deuxième série d’exemples qui concernent la fiscalité. La Cour formule de nombreuses propositions pour simplifier et maîtriser le coût des niches fiscales et sociales, car beaucoup reste encore à faire pour évaluer leurs effets, simplifier leurs règles d’application et maîtriser leur coût. La Cour critiquait dans son rapport d’évaluation des relations de l’administration fiscale avec les particuliers et les entreprises, publié en février 2012, la complexité et l’instabilité de la règle fiscale. Le code général des impôts, auquel s’ajoutent 40 000 pages d’instructions fiscales, avec d’innombrables renvois, un vocabulaire parfois désuet et une rédaction souvent obscure, sont devenus inintelligibles aux yeux mêmes de l’administration. Cela est donc pire encore pour les citoyens.

Dans son rapport public annuel pour 2014, la Cour prenait l’exemple de l’accumulation de dispositifs fiscaux bénéficiant aux personnes handicapées, qui forment un ensemble incohérent et insuffisamment connu de ses bénéficiaires potentiels. En outre, l’hétérogénéité d’application de la règle sur le territoire par les diverses administrations impliquées – conséquence directe de la complexité – pose un problème d’égalité et d’accès au droit. La Cour a notamment relevé qu’une demande d’indemnisation recevait un avis défavorable dans 9 % des cas à Rennes et dans 54 % des cas à Épinal. Autre anomalie : la perte de vision d’un œil peut entraîner une incapacité de 30 % dans le barème d’invalidité pour les accidents du travail mais de 42 % dans le système de l’allocation adulte handicapé (AAH) et de 65 % dans le régime des pensions militaires d’invalidité. Compte tenu d’une telle complexité et de telles injustices, la Cour a formulé des propositions de simplification et de mise en cohérence.

De même, en matière de gestion publique, la prolifération de régimes de primes inutilement variés et complexes entraîne d’importants coûts de gestion. Le fait de ne pas avoir simplifié ces régimes avant d’engager des projets a priori utiles et bénéfiques comme l’Opérateur national de paie ou le système Louvois du ministère de la Défense, est la cause principale de l’échec de ces projets. Nous avions relevé, dans notre rapport consacré à l’organisation territoriale de l’État de juillet 2013, que les instructions et circulaires envoyées par les administrations centrales sont beaucoup trop nombreuses et bavardes : les préfets ont ainsi reçu 637 circulaires en 2012, représentant des milliers de pages, sans qu’aucune priorisation ne soit établie. Le cas d’une circulaire de vingt-sept pages adressée aux préfets par le directeur de cabinet du ministre de l’agriculture sur les prescriptions relatives aux poulaillers n’est pas exceptionnel.

Les parlementaires pourraient donc se saisir davantage encore de nos travaux, qu’ils soient publics ou non, car la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale permet à vos commissions permanentes et à vos commissions d’enquête d’avoir accès à tous nos travaux définitifs. Nos présidents de chambre et nos magistrats sont à votre disposition pour être auditionnés et vous apporter toutes précisions lorsque vous examinez un texte portant sur un sujet sur lequel la Cour a déjà formulé des constats. Nous sommes aussi à votre disposition au moment de l’examen de la loi de règlement, à travers les notes d’exécution budgétaire que nous vous livrons et qui sont une mine d’informations pour vous aider à remettre en question certains dispositifs, en tirant toutes les conséquences de l’évaluation de leur performance.

Nos travaux peuvent aussi nourrir l’initiative parlementaire elle-même. Ainsi le rapport établi à la demande de votre commission des finances sur les comptes bancaires inactifs et contrats d’assurance-vie en déshérence a-t-il donné lieu à une proposition de loi que votre Assemblée a adoptée en première lecture et qui se trouve actuellement en navette. Je me réjouirais – et avec moi, l’ensemble des magistrats et rapporteurs de la Cour – que cet exemple puisse se répéter. En effet, lorsque nous travaillons à votre demande, nous veillons tout particulièrement à répondre à vos attentes. Et tout en restant à notre place, nous pouvons formuler des propositions concrètes et opérationnelles afin de vous aider à exercer votre double rôle de législateur et de contrôleur de l’action du Gouvernement et de l’administration.

Votre mission souhaitant renforcer le suivi ex post des lois, j’ai vu que figurait parmi les pistes évoquées celle de faire intervenir la Cour de manière bien plus systématique. Cette proposition m’apparaît conforme à l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008 qui confie à la Cour des comptes une mission d’assistance au Parlement en matière d’évaluation des politiques publiques. Il ne peut cependant s’agir à nos yeux d’instaurer un suivi systématique de l’effet des lois car toutes ne nécessitent pas un suivi sous forme d’évaluation par la Cour – qui plus est, elle ne disposerait pas des moyens de le faire. Cela étant, certaines lois pouvant le nécessiter tout particulièrement, des progrès peuvent être accomplis afin de conférer toute leur portée aux simplifications votées par le Parlement. L’exemple des lois dites « Warsmann » de 2011 et 2012 en atteste : certains pans entiers de ces lois n’ont toujours pas reçu leurs textes d’application, s’agissant notamment des mesures de simplification de certains régimes d’installation de production d’énergies renouvelables comme les éoliennes ou la géothermie. Ces évolutions répondent à une préoccupation exprimée par la Cour dans son rapport de juillet 2013 consacré aux énergies renouvelables.

Dès lors, et puisque le cadre juridique actuel le permet, je ne verrais que des avantages à ce que plusieurs textes par an soient soumis, à votre initiative, à des évaluations ex post de la Cour. Ce ne sera pas la première fois que celle-ci effectue pour le Parlement des évaluations de dispositifs créés par la loi, qu’il s’agisse du dossier médical personnalisé ou du crédit impôt recherche. Parmi les commandes qui sont passées chaque année par le Parlement, la Cour peut être saisie plus souvent de ce type d’enquêtes via le comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale – au-delà des prérogatives de la mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances que nous nous efforçons d’assister sur plusieurs sujets.

Je veux insister sur une condition essentielle pour que ces évaluations soient efficaces et utiles. La Cour en a déjà fait l’expérience : évaluer une réforme qui n’a pas été conçue dès l’origine dans la perspective d’être, un jour, évaluée, est une tâche lourde, difficile et souvent improductive. Il faut identifier les objectifs visés, qui ne sont pas toujours clairement formulés, trouver les données quantitatives et qualitatives permettant de voir si ces objectifs sont atteints et inciter les administrations elles-mêmes à évaluer l’impact des règles dont elles ont proposé l’adoption. Cela représente un travail important qui n’aboutit pas toujours, faute de données disponibles. Autrement dit, si l’on se contente de renforcer l’évaluation ex post, la Cour sera à même de livrer un nombre réduit de travaux. Si, au contraire, le législateur et l’administration conçoivent des dispositifs de qualité, qui identifient des objectifs clairs et prévoient la collecte de données afin de vérifier dans quelle mesure ils sont atteints, la Cour sera en mesure de vous livrer des évaluations ex post plus utiles et plus nombreuses. Dès lors, l’enrichissement des études d’impact mérite toute votre attention. C’est à mes yeux un sujet de débat à part entière, au même titre que l’examen d’amendements. C’est une occasion pour les parlementaires de formuler des exigences accrues quant à la qualité du travail préparatoire au dépôt de projets de loi, afin d’impliquer les administrations dans le suivi et l’évaluation des réformes.

Tels sont les quelques mots que je souhaitais vous dire en introduction. Je suis à présent disposé à répondre à vos questions.

M. Régis Juanico. Quelles pistes permettraient, selon vous, d’améliorer la qualité des études d’impact qui, en l’état actuel, ne produisent pas tous les effets attendus ? Serait-il envisageable, comme nous l’avons vu au Royaume-Uni, de faire intervenir un comité d’experts indépendant qui apporterait son regard sur la rédaction des textes de loi ? Par ailleurs, j’ai bien compris que l’évaluation ex post des textes ne devait pas être systématique sous peine de noyer ce travail et d’en compromettre la qualité : dès lors quel rôle la Cour des comptes pourrait-elle jouer pour nous assister ? S’il importe qu’une fois un texte adopté, le rapporteur qui en a accompagné l’examen se voie chargé, quelques années plus tard, d’en assurer le suivi et l’évaluation, l’exercice d’une telle mission suppose qu’il dispose de moyens suffisants. Il importe également que la loi prévoie bien, d’une part, les objectifs qui en sont attendus – de telle sorte que l’on puisse bien vérifier par la suite s’ils ont été atteints – et d’autre part, les moyens de collecter les données nécessaires à son évaluation. S’agissant enfin de la procédure d’examen des amendements parlementaires, les principaux d’entre eux, et notamment ceux qui ont un impact financier ou social important, devraient-ils également faire l’objet d’études d’impact, étant entendu que nos amendements sont déjà soumis au contrôle de la commission des Finances et du Conseil constitutionnel ? Si oui, qui pourrait prendre en charge l’élaboration de telles études ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Vous avez raison : le travail effectué en amont est essentiel, notre capacité à évaluer l’impact d’une loi étant d’autant plus grande que celle-ci est claire dans ses objectifs. L’une des grandes difficultés rencontrées dans notre pays est que nous n’avons pas la culture de l’évaluation que ce soit ex ante ou ex post, ou tout du moins est-elle récente. S’agissant des études d’impact, le Secrétariat général du Gouvernement a pris plusieurs initiatives, notamment celle de se doter d’un réseau interministériel d’évaluateurs, ce qui n’a d’ailleurs malheureusement pas bien fonctionné. Il existe donc des marges de progression même si plusieurs textes votés insistent déjà sur l’intérêt de ces études. De fait, celles-ci ne correspondent le plus souvent aujourd’hui qu’à un exposé des motifs quelque peu enrichi du projet de loi.

Vous avez aussi évoqué l’exemple du Royaume-Uni et m’avez interrogé sur la pertinence de créer un comité indépendant : je suis toujours surpris de voir les parlementaires réfléchir systématiquement à l’intérêt de créer des autorités administratives indépendantes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous ne sommes pas obligés d’en créer une nouvelle : nous pourrions recourir à une autorité qui existe déjà …

M. le Premier président de la Cour des comptes. C’est ce que je souhaitais vous dire : l’exemple du Royaume-Uni n’est pas pertinent car ce pays n’est pas doté d’un Conseil d’État, à la différence de la France où ce conseil est systématiquement saisi pour avis des projets de loi. Or il pourrait parfaitement se prononcer pour avis sur la qualité des études d’impact. Et pourquoi ne pas mobiliser les nombreux hauts fonctionnaires existant dans les inspections et autres organes de contrôle pour les faire contribuer à l’élaboration de ces études ? Toutes les forces sont là pour effectuer ce travail. Quant à vous, vous n’avez pas besoin d’un comité indépendant puisque vous avez la faculté de mener des auditions et d’organiser des débats contradictoires. Vous le pouvez, mais c’est souvent la volonté qui manque.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous n’avons quelquefois pas le temps…

M. le Premier président de la Cour des comptes. Il faut le prendre, le temps ! C’est une question de volonté. Il s’agit de considérer votre fonction de contrôle comme tout aussi importante que votre fonction de législateur. Et que cette dernière consiste aussi à s’intéresser aux études d’impact et à la définition des objectifs de tout texte de loi. C’est donc une question d’organisation du travail et non pas de moyens. Tout n’est pas qu’une question de moyens : il faut aussi mobiliser les expertises existantes.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce qui nous a paru intéressant dans l’exemple anglais, c’est que les membres de leur comité d’évaluation disposent d’une liberté de parole complète. En France, le fait que le rapporteur appartienne à la majorité lui ôte une part de cette liberté dans la mesure où il ne souhaite pas mettre en difficulté le Gouvernement. Avant l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pourquoi ne pas confier à une autre entité – qui peut très bien déjà exister – le soin de vérifier que l’étude d’impact élaborée par le Gouvernement est cohérente, et d’évaluer la nécessité de légiférer ainsi que la complexité éventuelle du texte envisagé par rapport au droit existant ? En effet, le rapporteur ne dispose quelquefois que de quinze jours pour évaluer un texte. Et même si la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a le pouvoir de renvoyer le texte, en pratique, elle ne le fait pas et ne le fera pas demain non plus – surtout s’il s’agit d’une loi hautement politique.

M. Régis Juanico.  Quant à l’avis du Conseil d’État, il n’est que juridique.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Voilà qui illustre bien que le problème culturel se trouve aussi chez vous. Peut-être les méthodes de travail du Parlement pourraient-elles évoluer, de même que ses relations avec le Gouvernement afin d’assurer la qualité du travail parlementaire. Si vous créez une entité nouvelle, elle n’aura jamais systématiquement compétence sur tout. Il vous revient donc d’apprécier, en fonction du sujet, les personnalités indépendantes à auditionner afin de vous apporter une contre-expertise par rapport à l’étude d’impact que vous livre le Gouvernement. Le président de chaque commission dispose de cette faculté, de même que le rapporteur. Vous n’entendez donc pas que des personnes soumises au Gouvernement.

Si le Conseil d’État qui, lui aussi, est indépendant, peut exprimer un avis juridique, il peut également s’assurer de la qualité des études d’impact. Cela nécessite que le Gouvernement ne la lui transmette pas au dernier moment comme il le fait parfois. Prendre huit jours supplémentaires de consultation peut faire gagner du temps à tous : cela peut permettre d’améliorer la qualité de la loi et notre capacité de l’évaluer. Quoi qu’il en soit, j’ai peine à imaginer ce que pourrait donner la création d’une entité nouvelle en France puisque, à la différence du Royaume-Uni, nous disposons d’un Conseil d’État et de nombreux experts dans nos administrations sans compter nos universitaires, qui font autorité sur de nombreux sujets. Ainsi, l’indépendance de la Cour des comptes n’est nullement remise en cause par le fait que nous consultions des groupes d’experts et des autorités pouvant avoir un avis sur certaines questions. Au contraire : le fait que nous les auditionnions avant de délibérer confère d’autant plus de crédit à nos travaux, dont vous pouvez d’ailleurs prendre connaissance. Et nous pouvons nous-mêmes contribuer à ce que votre information soit la plus complète possible.

Mme Cécile Untermaier. Mon collègue a bien exposé la question des études d’impact, telle qu’elle se pose à nous actuellement. Et je vous entends bien, monsieur le Premier président, quant à la nécessité de présenter dans ces études des objectifs et des critères d’évaluation. Il conviendrait également d’y mentionner les charges administratives que chaque projet de loi implique sur les services – point sur lequel ces études demeurent totalement silencieuses de sorte que les députés sont impuissants à réagir sur cette question. Si nos auditions peuvent nous permettre d’apprécier l’opportunité d’un dispositif, il nous est en revanche beaucoup plus difficile d’évaluer si les estimations quantitatives exprimées dans les études d’impact sont fondées ou pas, d’autant que nous n’avons pas la maîtrise de l’administration.

Je viens d’ailleurs d’en vivre une expérience très concrète : étant actuellement rapporteure d’un projet de loi, je dispose d’une étude d’impact dans laquelle sont mentionnées des prévisions de coûts manifestement sous-estimées. Or, que puis-je faire d’autre que de le dénoncer dans mon rapport sinon effectuer mes propres calculs ? Ne conviendrait-il pas que nous ayons recours à une autorité indépendante lorsqu’une étude d’impact comporte manifestement des insuffisances – que ce soit sur le plan quantitatif des coûts ou sur le plan qualitatif des effets potentiels d’une mesure sur les charges administratives ? Car lorsque l’on se tourne vers le ministère concerné pour l’interroger, on n’est pas entendu, la priorité étant accordée au dispositif législatif à examiner en séance publique. Si la difficulté n’est pas insurmontable, je pense comme vous que sa résolution suppose une réorganisation du travail parlementaire – mais pas seulement, car nous n’avons pas la maîtrise de l’administration. Et si nous pouvons auditionner des experts, nous ne pouvons nullement leur commander d’études.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Tout d’abord, nous disposons d’une administration de qualité qui, lorsqu’elle le peut, fournit les informations requises de façon très loyale. Il n’est cependant pas toujours simple d’évaluer l’impact d’un dispositif, surtout s’il s’agit de mesures fiscales, si bien que l’administration peut parfois se tromper de bonne foi. De même, le fait que l’exécutif ne fournisse pas toutes les informations requises ne signifie pas qu’il est de mauvaise foi. C’est donc dans le dialogue avec l’exécutif et dans votre capacité à organiser des auditions que réside la solution. Car enfin, qui vote la loi, sinon l’Assemblée nationale et le Sénat ? Puisque vous reconnaissez vous-mêmes que les textes prévoient déjà certaines mesures en ce sens, appliquons-les avant d’en adopter d’autres.

Mme Cécile Untermaier. Il y a tout de même un principe de réalité : sans doute une réorganisation de notre travail est-elle nécessaire. Mais ne nous berçons pas d’illusions ! Car nous sommes chargés, sur des projets de loi importants, de rapports à rédiger dans les quinze jours. Que peut alors faire le rapporteur s’il constate des insuffisances dans l’étude d’impact du projet de loi qu’il étudie, sinon le signaler dans son rapport ? Nous devons donc effectuer tout un travail en amont de l’examen des projets de loi qui ne passe peut-être pas par le recours à une autorité indépendante, mais qui suppose néanmoins que l’on dispose d’un temps suffisant pour pouvoir débattre non pas de la loi elle-même mais de son étude d’impact. Peut-être conviendrait-il de distinguer l’examen de cette étude de celui du texte législatif et de ne débattre de ce dernier qu’une fois la première validée. Le rythme infernal auquel nous sommes soumis représente pour nous une extrême difficulté : nous légiférons dans la précipitation et il n’est pas possible de faire remonter l’analyse jusqu’aux études d’impact.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il manque donc une étape : celle de la validation de l’étude d’impact avant le travail sur la loi. Mais dans ce cas, il faudrait faire en sorte qu’un projet de loi ne puisse pas être inscrit à l’ordre du jour tant que son étude d’impact n’a pas été validée. En effet, il n’existe aujourd’hui aucun système vertueux pour améliorer les études d’impact et l’évaluation a posteriori.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Tout projet de loi ne méritant pas une étude d’impact, il convient d’opérer un tri et de définir des priorités. De plus, un projet de loi ne vient pas de nulle part : le Gouvernement l’a d’abord examiné et fait étudier. La question posée n’est donc pas tant celle de la présence ou de la constitution d’une autorité indépendante que celle de la gestion du temps d’examen des textes et de l’organisation de vos travaux. Vous semblez en effet manquer de temps pour pouvoir apprécier la qualité du travail qui vous est soumis : or, si vous recourez à une autorité indépendante pour le faire mais que celle-ci est confrontée aux mêmes délais que vous, elle ne pourra, elle aussi, que conclure au caractère insuffisant des études d’impact.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous pourrions décider qu’un texte de loi ne peut être examiné tant que son étude d’impact n’a pas été validée …

M. le Premier président de la Cour des comptes. Mais vous en avez déjà la possibilité ! Vous semblez estimer qu’il vous faut recueillir un autre avis que le vôtre et qu’il vous faut pour cela saisir une autre autorité. Permettez-moi de vous dire que vous pouvez faire usage des compétences et des pouvoirs qui sont les vôtres !

Mme la présidente Laure de La Raudière. Chiche à la majorité !

M. Régis Juanico.  Il conviendrait également de mieux utiliser le temps de la navette parlementaire, d’autant que les textes peuvent être substantiellement modifiés en première lecture par amendements, soit à l’initiative d’un parlementaire, soit à celle du Gouvernement. L’étude d’impact pourrait donc être réactualisée au fil de l’examen du projet de loi. Un problème se pose également lorsqu’arrive en discussion, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances, un amendement gouvernemental ayant un impact de plusieurs millions d’euros sur nos finances publiques – comme cela s’est déjà produit pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il nous faudrait dans ces cas-là disposer, dans des délais très courts, d’éclaircissements – ce qui ne nécessite pas forcément le recours à une autorité indépendante.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Cela n’est pas toujours possible et l’administration fiscale peut se tromper de bonne foi ; toutes les estimations ne sont pas certaines ; nous commençons à avoir de l’expérience en la matière mais cela nous est plus facile puisque nous intervenons ex post. En outre, le temps de la navette parlementaire vous permet de demander des précisions qui vous seront apportées ensuite dans le débat.

Vous avez abordé la question du temps – sujet qui m’est sensible eu égard à mes fonctions tant antérieures qu’actuelles. Mais regardez combien de temps vous perdez dans la procédure budgétaire : vous consacrez des mois à l’examen de la loi de finances initiale alors que vous ne disposez que de très peu de marges de manœuvre pour la modifier. En revanche, vous « exécutez » la loi de règlement alors que c’est souvent à partir de l’exécution d’une loi de finances ou d’une politique publique que l’on peut se rendre compte de dysfonctionnements, de failles ou d’insuffisances. Cela rejoint d’ailleurs le travail d’évaluation de la performance, de l’efficacité et de l’efficience. Dans tous les pays du monde, les parlementaires consacrent beaucoup plus de temps à l’exécution budgétaire qu’aux lois de finances initiales – qui sont d’ailleurs souvent des lois d’affichage. En France, nous faisons l’inverse, raison pour laquelle je parlais d’un problème culturel. Et, là encore, il est des textes que l’on ne respecte pas, et notamment les articles 34 et 37 de la Constitution. Vous dénonciez tout à l’heure les lois bavardes mais j’ai souvenir que c’était déjà le cas lorsque j’étais à votre place. Reste que personne ne prend la responsabilité de « bloquer » les dispositions qui ne relèvent pas de l’article 34 : le Gouvernement ne le fait pas davantage que les parlementaires ; quant au Conseil constitutionnel, dès lors que le Gouvernement et le Parlement ne le font pas, il ne souhaite pas le faire non plus.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Si l’article 41 de la Constitution permet de faire respecter la distinction entre les domaines législatif et réglementaire, il n’est cependant pas utilisé. Serait-il bénéfique de le faire appliquer avec la même rigueur que celle avec laquelle le président de la commission des Finances applique l’article 40 ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Il convient d’appliquer la règle avec intelligence. De même, vous avez par exemple toujours la possibilité de demander à un gouvernement d’accompagner son texte législatif de ses projets de décrets d’application.

Mme Cécile Untermaier.  Depuis deux ans que je siège dans cette assemblée, jamais je n’ai pu obtenir le projet de décret d’application !

M. le Premier président de la Cour des comptes. Le problème est culturel, tant pour le Parlement que pour le Gouvernement. Mais mieux légiférer – puisque c’est là votre objectif – c’est peut-être aussi moins légiférer. C’est donc aussi à vous de vous mettre en mesure de respecter cet objectif, tant dans l’intérêt du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif. On peut d’ailleurs parfois dépasser la contrainte du temps en s’organisant mieux. Je reconnais qu’au niveau individuel, il est difficile pour un député de faire évoluer la situation. C’est pourquoi l’initiative doit être collective.

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est précisément l’objet de cette mission dont la création a été demandée par le président de l’Assemblée nationale. Celui-ci souhaitant être éclairé sur le sujet, il pourrait décider d’appliquer, avec intelligence et doigté, certaines dispositions de notre Règlement qui ne le sont pas complètement aujourd’hui. Tout cela est éminemment politique …

M. le Premier président de la Cour des comptes. Sans être naïf, il me semble que certaines pratiques peuvent changer – dans l’intérêt du Parlement comme du Gouvernement. Tout le monde a intérêt à ce que les conditions de travail du législateur s’améliorent. Je le vois d’ailleurs bien en tant que président du Haut conseil des finances publiques : lorsque nous recevons des documents au dernier moment, nous ne sommes pas dans des conditions idéales pour travailler. Et je sais parfaitement que l’on peut en dire autant pour vous. Le temps parlementaire est néanmoins plus long et c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la navette que de permettre d’améliorer et de corriger certaines dispositions.

Il me semble en tout cas que compte tenu de son organisation en sections, le Conseil d’État dispose de spécialistes dans tous les domaines, capables d’exprimer un avis pertinent sur la qualité des études d’impact – qui peuvent ensuite être complétées. Cela étant, si l’on est parfois insatisfait des incertitudes pesant sur les données qui nous sont fournies, c’est parce qu’il est difficile d’obtenir des certitudes sur tous les sujets.

Mme Cécile Untermaier.  Vous avez raison d’évoquer le Conseil d’État dont les conseillers de très haut niveau constituent une ressource très précieuse. Son avis sur les projets de loi n’est cependant pas transmis aux parlementaires mais est réservé au Gouvernement.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Je n’ai pas qualité pour vous répondre : c’est au vice-président du Conseil d’État et au Gouvernement de le faire. Je peux néanmoins comprendre que ce dernier ne souhaite pas que les avis du Conseil d’État soient systématiquement publiés car cela pourrait avoir des effets pervers et notamment conduire le Conseil à retenir des arguments ou à s’y prendre différemment ; je ne suis donc pas sûr que l’on y gagnerait en efficacité et en transparence. Vous pourriez en revanche proposer une disposition législative visant à ce qu’il exprime un avis sur la qualité des études d’impact. Et rien ne vous empêcherait alors de prévoir que cet avis soit systématiquement rendu public car il serait d’une nature différente de l’avis rendu sur le texte lui-même. Une telle distinction serait donc utile. Ensuite, selon les sujets, de nombreuses personnes font autorité dans notre pays : il faut pouvoir les consulter et les auditionner.

M. Régis Juanico. Cécile Untermaier me demandait en aparté dans quelle mesure la Cour des comptes pourrait intervenir ex ante. Mais la Cour réalise déjà une somme considérable de travaux. En outre, nous entretenons des échanges réguliers et un dialogue constructif avec elle, que ce soit dans le cadre de la commission des Finances ou du comité d’évaluation et de contrôle. Enfin, les parlementaires et les magistrats de la Cour des comptes rédigent parfois des rapports sur les mêmes sujets. C’est pourquoi, dès lors qu’un thème particulier est abordé dans un projet de loi, les parlementaires pourraient être éclairés, dans l’étude d’impact ou un autre document, sur les préconisations de la Cour en la matière, plutôt que de la faire intervenir systématiquement sur tous les projets de loi.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les travaux de la Cour des comptes sont déjà utilisés pour éclairer les travaux des parlementaires.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Nous ne pouvons intervenir systématiquement ex ante sauf s’il se trouve que nous avons déjà rédigé des travaux sur l’un des sujets abordés dans le projet de loi que vous avez à examiner. Une disposition législative prévoit d’ailleurs désormais la possibilité que les travaux terminés de la Cour vous soient communiqués et je suis tout à fait disposé à ce que nos magistrats viennent vous les présenter.

L’évaluation ex post, en revanche, relève pleinement de nos missions constitutionnelles. C’est bien sûr à nous qu’il revient de définir nos priorités d’études, conformément aux principes d’indépendance et de liberté de programmation de la Cour des comptes. Mais dès lors que vous nous sollicitez suffisamment en amont, il me paraît tout à fait possible de faire appel à nous dans ce cadre.

Mme Cécile Untermaier.  Les critères objectifs d’évaluation de la loi n’étant presque jamais mentionnés dans les études d’impact, vous paraîtrait-il envisageable que nous puissions auditionner des magistrats de la Cour sur ce point ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Oui, s’il s’agit d’un sujet sur lequel nous avons travaillé.

Mme Cécile Untermaier.  Puisque vous serez chargé, à un moment ou un autre, d’évaluer la loi, peut-être serait-il intéressant que la Cour des comptes puisse faire valoir l’importance de tels critères dans l’étude d’impact.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Nos évaluations ne sont pas systématiques …

Mme Cécile Untermaier. Je ne vous parle pas d’intervenir systématiquement puisque comme vous le disiez très justement, nous n’avons pas les mêmes exigences, en termes d’études d’impact, selon les projets de loi.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Si une loi est votée, c’est parce qu’on la considère comme utile et comme source d’améliorations. Il me paraît par conséquent pertinent de contraindre le Gouvernement à rappeler les objectifs de tout projet de loi et à les accompagner d’une étude d’impact. Et comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, la réalisation d’un tel travail facilite d’autant l’évaluation ex post de la loi. Nous constatons d’ailleurs souvent, dans le cadre de notre évaluation des politiques publiques, que l’action publique n’est pas ciblée, qu’elle entraîne des effets d’aubaine et que les objectifs fixés au départ ont été oubliés par la suite ou n’ont pas été définis de façon suffisamment claire pour permettre une action efficace. D’où la nécessité d’objectifs clairs et quantifiables, autant que possible.

Vous avez vous-mêmes voté des textes prévoyant que le Gouvernement vous doit, au bout de six mois, des informations sur l’application de la loi. Et vous confiez également le suivi des textes à leur rapporteur.

Le rapport annuel sur l’application des dispositions fiscales, dont je me souviens du fait de mes fonctions antérieures de rapporteur général du budget, et qui est de nouveau établi après ne pas l’avoir été pendant plusieurs années, constitue un travail très utile, non seulement pour les parlementaires, auxquels il permet de voir les suites apportées aux dispositions qu’ils votent, mais aussi pour l’administration. Car le fait qu’elle connaisse l’existence de ce rapport peut l’encourager à publier les textes d’application de ces dispositions. J’avais d’ailleurs observé que nombre de ces textes étaient publiés juste avant la parution de ce rapport et qu’il fallait plus de temps à l’administration pour produire les textes d’application de dispositions législatives adoptées à l’initiative de parlementaires.

Vous pouvez donc vous organiser au sein de vos commissions afin d’assurer un suivi de l’application des lois. Non seulement c’est utile mais c’est aussi valorisant pour les parlementaires qui s’en chargent.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La commission des Affaires économiques assure effectivement ce suivi mais son contrôle porte uniquement sur la publication des textes réglementaires d’application de la loi et non sur la question de savoir si les objectifs de celle-ci ont été atteints ou pas. Les choses doivent d’ailleurs se faire en deux temps : le contrôle de la publication des décrets doit être effectué rapidement – dans les douze à dix-huit mois – tandis qu’il faut parfois attendre trois ou quatre ans avant d’en venir à l’évaluation des objectifs. Cela étant, je suis d’accord avec vous pour dire que nous ne consacrons pas suffisamment de temps parlementaire au contrôle de l’application des lois.

Messieurs, nous vous remercions pour cette audition.

*

* *

La mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et de M. Gérard Huot, responsable des relations avec les entreprises au sein de la mission « simplification ».

Mme la présidente Laure de La Raudière. Comme vous le savez, messieurs, notre mission entend faire porter ses travaux davantage sur une rationalisation du flux normatif que sur la simplification du stock des normes législatives et réglementaires.

Nous réfléchissons aux moyens de « mieux légiférer » et de provoquer un « changement de culture normative » en nous inspirant des exemples étrangers. De janvier à mars, nous avons effectué des déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Monsieur Conso, nous avons souhaité vous entendre car le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) joue un rôle important dans le chantier de la simplification engagé par le Gouvernement. Nous souhaiterions savoir comment les missions du SGMAP s'articulent concrètement avec celles du Secrétariat général du Gouvernement (SGG), du Conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par le rapporteur de la mission d’information, M. Thierry Mandon, et du Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Quel est précisément le rôle du service d'évaluation des politiques publiques et d'appui aux administrations au sein de la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique ?

Nous serions également heureux de connaître votre point de vue sur les problématiques de régulation du flux normatif : au-delà de sa contribution au travail de réduction du stock normatif, le SGMAP aurait-il des propositions à faire pour rationaliser le flux normatif ?

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire que je vous demanderai de limiter, si vous le voulez bien, à une quinzaine de minutes, avant que Mme Cécile Untermaier et moi-même ne vous posions des questions.

M. Nicolas Conso, chef du service innovation et services aux usagers au Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP). Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique a pour mission de piloter et d’accompagner les actions de modernisation de l’action publique, dont fait partie la simplification, dans un cadre notamment d’écoute des usagers – via des associations représentatives des entreprises ou des particuliers ou des sites internet comme « faire-simple.gouv.fr », qui permet de faire de la co-construction avec les usagers. Nous appuyons également les transformations opérationnelles, en termes de processus et d’impact du numérique sur les systèmes d’information et le développement des services en ligne ou, plus généralement, le développement de l’innovation publique. Ces savoir-faire sont accolés aux compétences en matière de simplification réglementaire et juridique du Secrétariat général du Gouvernement (SGG). C’est dans ce cadre, visant à accélérer le choc de simplification notamment pour les entreprises, qu’a été créée la mission « simplification » constituée du SGMAP et du secrétariat du Gouvernement (SGG), que je co-pilote avec Mme Célia Vérot, directrice, adjointe au secrétaire général du Gouvernement. Ce choix innovant, consistant à joindre toutes ces compétences au sein de la mission « simplification », vise à répondre à l’objectif de simplification dans l’élaboration des textes comme dans leur mise en œuvre et à respecter, tout au long du processus, les enjeux de transformation, d’utilisation des systèmes d’information et d’écoute des usagers. Pour que les entreprises ou nos concitoyens puissent constater dans leur vie quotidienne les effets des mesures prises, il faut non seulement qu’elles aient été pertinentes mais également que leur application soit effective, ce qui implique qu’aient été pris en compte tous les changements nécessaires, notamment des systèmes d’information.

Au sein du SGMAP, le service d’évaluation des politiques publiques et d’appui aux administrations pilote et accompagne les évaluations des politiques publiques lancées dans le cadre des différents comités interministériels pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), tout en conseillant les ministères dans leurs projets de transformation, qu’il s’agisse de leur réorganisation ou de l’optimisation des processus. Le service dont j’ai la charge s’occupe plus particulièrement de l’amélioration de la relation de l’administration à l’usager par l’écoute, la simplification et l’innovation publique.

Je parlerai à double titre : en tant que chef du service innovation et services aux usagers au SGMAP et en tant que co-pilote de la mission « simplification ». Vous avez auditionné M. Serge Lasvignes, le Secrétaire général du Gouvernement : je partage ses analyses sur la nécessité de renforcer l’efficacité globale du dispositif des études d’impact dans le cadre de l’élaboration de la norme.

Les études d’impact sont habituellement centrées sur l’évaluation quantitative, c'est-à-dire la charge induite par la norme future sur les administrations, les collectivités locales et les entreprises, en clair, son impact sur l’économie, c’est-à-dire la méthode du Standard cost model. Ce qu’il conviendrait d’approfondir, c’est l’évaluation qualitative, à savoir l’impact de la future norme sur l’organisation des entreprises. À cette fin, dans le cadre du pacte de compétitivité, nous avons développé, depuis un an, le « test PME ». Une dizaine de tests a déjà été réalisée et la méthode est désormais rodée. L’objectif de ces tests est de réaliser une étude qualitative de l’impact de textes, jusqu’à présent réglementaires, sur la conduite des affaires de quelques entreprises. Chacun des tests que nous avons menés – par exemple sur les obligations en matière de tri, sur la sécurité des transporteurs de fonds ou sur les indications géographiques du type Laguiole – a permis d’observer des éléments qualitatifs que la simple évaluation théorique ne faisait pas ressortir : il a ainsi été possible d’affiner les projets de textes réglementaires et de prévoir la mise en place dès le début de mesures d’accompagnement permettant d’atteindre les objectifs assignés.

Ces tests ayant commencé de faire leurs preuves, il serait désormais possible de les rendre plus systématiques et plus obligatoires dans le cadre des études d’impact – c’est prévu –, voire de les étendre aux textes législatifs. Nous nous appuyons à l’heure actuelle sur le réseau des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte), dans le cadre de leurs contacts avec les entreprises.

Mme Laure de La Raudière. Le test PME a-t-il fait l’objet d’une circulaire ?

M. Nicolas Conso. Il me semble qu’il est indiqué dans la circulaire relative à la réalisation des études d’impact que les administrations doivent se poser la question de la réalisation d’un test PME. Nous souhaitons rendre ce dispositif plus obligatoire.

Le conseil de la simplification, s’appuyant sur des exemples étrangers et le travail réalisé dans le cadre de la mission « simplification », a proposé le 14 avril dernier d’introduire de l’externalité dans le processus de l’étude d’impact en invitant des chefs d’entreprises et des experts à poser leur regard sur la qualité des études d’impact. Un tel regard permettrait de renforcer un dispositif actuellement conduit par les différents ministères et animé par le secrétariat général du Gouvernement. L’idée a été reprise par le Gouvernement – je vous renvoie à la communication que le Premier ministre a faite ce matin en conseil des ministres sur la mise en œuvre du choc de simplification. Il conviendra évidemment d’augmenter les moyens globaux actuellement consacrés à la réalisation des études d’impact : dans le cas contraire, il ne sera pas possible d’améliorer leur qualité. Le processus prévu devra être suffisamment robuste pour pouvoir répondre dans les délais proposés, à savoir 21 jours, voire 7 dans certains cas.

Il faudra également approfondir l’analyse des conditions de mise en œuvre de la future norme et de son impact sur les systèmes d’information en termes de coût, de projet et de délai. La prise en compte des systèmes d’information existants est un des éléments clés de la réussite de la mise en œuvre des mesures. Du reste, la prise en compte de l’impact des possibilités du numérique dans la réalisation de l’objectif assigné par le texte est aujourd'hui insuffisante. Dans le cadre de la mission « simplification » SGG-SGMAP, nous avons récemment rendu systématique un avis en ce sens de la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC) sur le volet « système d’information » des études d’impact. La mise en application de mesures telles que le compte pénibilité ou la garantie universelle des loyers revêt des enjeux énormes en termes de système d’information.

Mme Laure de La Raudière. Et d’acceptation.

M. Nicolas Conso. Prendre en compte les possibilités du numérique dans la mise en œuvre de ces mesures permettrait à la fois de penser autrement les textes et de prévoir leurs conséquences éventuelles en termes d’investissement et de système d’information. Il conviendrait d’ailleurs de prendre en considération le numérique dès l’élaboration du texte. La DISIC pouvant difficilement agir en amont, compte tenu de sa faible importance numérique – elle est composée d’une quinzaine de personnes –, c’est toute la chaîne qui doit prendre en compte les aspects relatifs aux systèmes d’information au sein des ministères, dès l’élaboration du projet. Ce que j’ai dit pour les systèmes d’information vaut également pour l’organisation administrative : les administrations prévoient-elles toujours le projet de transformation et les investissements dans la gestion du changement nécessaires à l’application de la mesure ? La partie « capacité d’investissement » dans la gestion du changement et l’accompagnement de la transition est souvent le parent pauvre des études d’impact, ce qui explique les délais de mise en œuvre des mesures.

S’agissant du « mieux légiférer », il conviendrait, sur des sujets compliqués, dont il est difficile de mesurer ex ante toutes les conséquences, de développer, dans un cadre dérogatoire, la capacité d’expérimentation d’une nouvelle mesure en boucle courte, avec une évaluation au bout de six mois ou un an. Ce droit à l’erreur permettrait de tester une réforme avant de l’adopter définitivement et de la généraliser. Cette innovation – appelée en anglais « right to change » – a été préconisée, il y a quelques mois, par un groupe d’experts, mandatés par la Commission européenne, sur le développement de l’innovation publique : elle repose sur l’idée qu’on a le droit de tester sur un an ou dix-huit mois une réforme avant de la diffuser.

On peut citer l’exemple de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation du certificat de projet. Il a aussi été possible d’expérimenter dans deux départements – la Loire-Atlantique et la Seine-et-Marne – le dossier de demande simplifié des aides sociales. Il s’agit de vérifier si le taux très faible de recours aux aides sociales n’aurait pas pour origine la très grande complexité des dossiers et une mauvaise information des usagers. C’est pourquoi il a été proposé d’inverser la démarche : tout d’abord, demander aux personnes leur situation sociale et financière ; ensuite, identifier les aides auxquelles elles peuvent prétendre ; enfin, instaurer un dossier de demande unique des aides auxquelles elles ont droit – revenu de solidarité active, aide au logement ou couverture maladie universelle. À cette fin, il a été créé pour les personnes concernées – quelque 2 000 – un régime réglementaire dérogatoire permettant notamment d’harmoniser les périodes de calcul des revenus – elles sont différentes selon les aides. Une fois la démarche évaluée dans un cadre expérimental donné, il est possible d’envisager sa généralisation ou d’y renoncer. Prévoir de telles expérimentations dans le cadre des projets de loi permettrait d’expérimenter des mesures plus audacieuses et de légiférer en toute connaissance de cause, le législateur pouvant s’appuyer sur les enseignements du terrain. Les études d’impact ex ante portant sur de grandes réformes atteignent très vite leurs limites si elles n’ont pas subi l’épreuve du terrain. Toutes les hypothèses qui n’ont pas été expérimentées sont en effet fragiles par nature. D’ailleurs, la possibilité d’effectuer des tests en boucle courte est un des vecteurs majeurs du développement de l’économie numérique.

M. Gérard Huot, responsable des relations avec les entreprises au sein de la mission « simplification ». Je suis tout d’abord chef d’entreprise, et c’est à ce titre que j’ai contribué au rapport de M. Thierry Mandon sur la simplification.

Comme M. Nicolas Conso l’a souligné, les entreprises attendent de la mission « simplification » co-pilotée par le SGMAP et le SGG, que la France s’inspire des meilleures expériences étrangères – je me suis rendu dans les mêmes pays que votre mission d’information. Les entreprises souhaitent notamment pouvoir devenir acteurs du test PME : c’est un point capital à leurs yeux. Si les entreprises avaient été davantage impliquées dans la réforme ayant abouti à la création du compte pénibilité, elles auraient proposé des modifications importantes au texte.

Les entreprises cherchent à retrouver confiance dans les textes législatifs : elles ne veulent plus subir les nouvelles mesures comme autant de sanctions ou de charges administratives supplémentaires. Si les études d’impact des projets de loi pouvaient s’appuyer sur des tests PME, les entreprises se montreraient plus actives dans l’application des textes car elles auraient davantage confiance. Pour cela, il faudrait que, à l’exemple des dispositifs étrangers que vous connaissez comme moi, un système de feux tricolores permette de valider, modifier ou refuser les mesures en fonction des tests effectués. Tel est le sens de la première des cinquante propositions du Conseil de la simplification. Les entreprises sont toutefois conscientes que cette mesure n’est pas facile à mettre en place en France à l’heure actuelle.

Mme Cécile Untermaier. Je note avec intérêt que des études d’impact sont réalisées en matière réglementaire. S’agissant des textes législatifs, le SGMAP ne pourrait-il pas devenir l’autorité qui, en fonction de certains critères, donnerait son feu vert aux projets de loi, puisque votre travail consiste à veiller à ce que les textes réglementaires envisagés n’ajoutent aucune charge aux particuliers ou aux entreprises ? La formule des tests PME me paraît excellente. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes prévoit également des expérimentations : le législateur n’est pas fermé à la question de l’expérimentation.

Les projets de loi étant déposés en grand nombre sur le bureau de l’Assemblée nationale, comment éviter que ces nouveaux textes ne deviennent une source de complication supplémentaire pour la vie de nos concitoyens et des entreprises ? Le Gouvernement devant prendre en compte cette préoccupation, le SGMAP pourrait devenir l’instance chargée de valider ou non un texte en termes de simplification à partir du moment où l’étude d’impact révélerait une augmentation de la charge pesant sur les entreprises ou les citoyens. Dans quelle mesure pouvez-vous participer à la fabrication de la loi et veiller à sa simplification ?

M. Nicolas Conso. C’est le Secrétaire général du Gouvernement qui est chargé de vérifier la qualité des études d’impact élaborées par les ministères. Quant au SGMAP, il apporte son expertise dans le domaine qui est le sien.

Mme Cécile Untermaier. Je connais les compétences du Secrétariat général du Gouvernement en matière d’études d’impact. Toutefois, puisque le SGMAP a une mission de simplification, ne pourrait-il pas rendre un avis distinct de celui du Secrétariat général du Gouvernement sur les projets de loi en matière de simplification ? C’est une suggestion.

M. Nicolas Conso. Nous prévoyons plutôt de renforcer la qualité de notre expertise en recourant au regard extérieur de chefs d’entreprises et d’experts réunis au sein d’un groupe dédié à cette mission.

Mme Laure de La Raudière. Qui hébergera ce groupe ?

M. Nicolas Conso. Ce groupe sera une émanation du Conseil de la simplification pour les entreprises appuyé par la mission « simplification » du SGG et du SGMAP – je le répète : nous avons voulu que le regard porté par cette mission sur les études d’impact rassemble les compétences du SGG et celles, plus spécifiques, du SGMAP en termes de systèmes d’information, de transformation et de numérisation.

Nous travaillons actuellement à l’organisation du groupe en mobilisant notamment les expertises au sein de l’administration – l’Institut national de la statistique et des études économiques et le ministère des Finances ont des capacités d’analyse et de contre-expertise très utiles à la réalisation des études d’impact.

Mme Cécile Untermaier. Trop souvent le législateur ne connaît pas les sources des informations qu’il reçoit dans le cadre des études d’impact. Savoir que le projet de loi a été passé au tamis de la mission « simplification » ou du groupe d’experts le rassurerait.

M. Nicolas Conso. Tel est l’esprit dans lequel ce groupe est constitué : le législateur saura qu’il a analysé l’étude d’impact et donné son avis.

Mme Laure de La Raudière. Toutefois, ce groupe sera logé au sein des services du Premier ministre au sens large.

Le fait de disposer d’un avis externe sur les études d’impact, dont la qualité nous satisfait rarement, permettrait d’enclencher un cercle vertueux. Monsieur Huot, deux options existent : soit demander à un autre service du Gouvernement de donner son feu vert de manière beaucoup plus formelle en s’appuyant sur un plus grand nombre de personnalités extérieures, soit confier la mission d’évaluation des études d’impact au Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui est indépendant du Gouvernement. Quelle option aurait votre préférence ?

M. Gérard Huot. J’ai rencontré à ce propos de nombreux acteurs britanniques, allemands ou néerlandais : l’important est de confier aux dirigeants d’entreprises l’appréciation finale de la charge qu’entraîne pour elles un projet de loi ou de décret. Au Royaume-Uni, il existe un groupe d’experts et de chefs d’entreprises indépendant, mais qui est en relation directe avec le ministère de l’Économie, de l’innovation et des compétences – Department of Business, Innovation and Skills (BIS). Le législateur britannique tient compte de l’avis de ces experts et chefs d’entreprises indépendants.

Mme Laure de La Raudière. L’avis du groupe doit être rendu public.

M. Gérard Huot. J’y suis favorable. La transparence amène la confiance.

J’ai siégé au conseil économique, social et environnemental régional d’Île-de-France, où les procédures prennent un peu de temps. Or, nous avons besoin de réactivité ; les Britanniques et les Allemands font preuve d’une grande réactivité dans l’analyse des textes.

Je le répète : il serait profitable à la compréhension et à la perception des textes législatifs qu’un groupe de chefs d’entreprises indépendants puisse donner son avis en toute transparence.

M. Nicolas Conso. Ce groupe serait une émanation du Conseil de la simplification pour les entreprises qui est indépendant des services du Premier ministre – il est coprésidé par MM. Mandon et Poitrinal.

Mme Laure de La Raudière. C’est la publicité de l’avis avant sa transmission au législateur qui garantira l’indépendance réelle du groupe.

Par ailleurs, adopter, lorsque c’est possible, des lois à durée déterminée vous semblerait-il utile ? Les avis sont partagés : adopter une loi pour trois ou quatre ans risque en effet de créer de l’instabilité législative. De plus, c’est au Gouvernement d’afficher sa politique : il peut toujours proposer de supprimer une loi.

M. Nicolas Conso. Je n’ai pas d’avis précis sur la question. Je peux toutefois affirmer, à la suite de nos échanges avec les entreprises, que celles-ci sont très sensibles à la visibilité de l’environnement réglementaire et normatif. Toute incertitude en la matière crée un frein au développement.

Il est préférable, en matière d’expérimentation d’un dispositif, de procéder à des tests délimités qui permettent d’éviter toute incertitude juridique.

Mme Cécile Untermaier. D’autant que tester le projet grandeur nature pourrait présenter un coût important. Examiner tous les paramètres dans le cadre d’une expérimentation rapide et conclusive serait en revanche utile.

M. Gérard Huot. Les chefs d’entreprises – j’ai évoqué la question notamment avec des dirigeants d’entreprises britanniques – sont très partagés sur les textes à durée limitée en raison du risque d’instabilité qu’ils comportent, et ce, en dépit du profit qu’il peut y avoir à tester la validité d’un dispositif grandeur nature. Il est très difficile de vous répondre car la question ne fait pas consensus chez les chefs d’entreprises.

Mme Laure de La Raudière. En cas de mesures impliquant de lourds investissements, une loi à durée limitée aura pour conséquence de bloquer les investissements le temps de l’expérimentation : en effet, pour investir, les acteurs économiques attendront de connaître la norme définitive. Il serait en revanche intéressant de négocier avec les partenaires sociaux des dispositifs expérimentaux en matière sociale : par exemple, geler durant trois ans les effets de seuil inscrits dans le droit du travail permettrait de vérifier leur impact sur la création d’emplois. J’ai fait plusieurs fois cette proposition : même lorsque j’étais dans la majorité, elle n’a jamais été reprise.

M. Nicolas Conso. Expérimenter la suppression des effets de seuil est une bonne idée : le tout est que l’expérimentation se fasse à durée limitée sur un sous-périmètre. Elle pourrait par exemple être testée sur des entreprises volontaires avec l’accord des partenaires sociaux. Cela permettrait de contourner l’obstacle représenté par des sujets sur lesquels les positions sont figées et pour lesquels, passer directement à une généralisation, c’est comme vaincre l’Himalaya !

M. Gérard Huot. Les entreprises aimeraient qu’il soit procédé à de telles expérimentations, notamment sur les effets de seuil. Elles souhaiteraient également qu’il leur soit possible de retourner à la situation antérieure si, après être passées à plus de cinquante salariés, elles reviennent à un effectif de quarante-huit l’année suivante.

Il convient également de traiter la question de la médecine du travail, compte tenu de la baisse actuelle du nombre de médecins du travail, qui fait peser d’énormes contraintes sur les entreprises. Il serait bienvenu de tester, pour certains types de métiers, la possibilité de se tourner vers la médecine de ville : nous y travaillons actuellement dans le cadre de la mission « simplification ».

Mme Laure de La Raudière. Je vous remercie, messieurs.

La séance est levée à 19 heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - Mme Marietta Karamanli, M. Thierry Mandon