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Mission d’information sur la simplification législative

Jeudi 22 mai 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Audition de M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État, accompagné de M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration, et de Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études.

– Audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE

La séance est ouverte à 10 heures 35.

Présidence de Mme Laure de la Raudière, présidente.

La mission d’information procède à l’audition de M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État, accompagné de M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration, et de Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Madame, messieurs, soyez les bienvenus. Notre mission d’information s’intéresse davantage à la rationalisation du flux normatif qu’à la simplification du stock des normes législatives et réglementaires dont se préoccupe le Gouvernement par le biais, notamment, du Conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par M. Thierry Mandon, rapporteur de notre mission d’information, et M. Guillaume Poitrinal. Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative, en nous inspirant des exemples étrangers que nous avons pu étudier, en particulier lors de nos déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Notre réflexion porte notamment sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, comme la méthode de transposition des directives européennes.

Lors de nos travaux, le rôle du Conseil d’État dans la fabrique de la loi a été évoqué à plusieurs reprises. Aussi avons-nous souhaité, monsieur le Président, recueillir votre avis sur plusieurs questions : quels sont la nature et le degré du contrôle que le Conseil d’État exerce aujourd’hui sur les études d’impact assortissant les projets de loi, ainsi que sur les fiches d’impact assortissant certains textes réglementaires ? Le Conseil d’État peut-il, de votre point de vue, rendre un avis public sur la qualité de ces études et fiches d’impact ? Quels avantages et inconvénients verriez-vous à ce que les avis du Conseil d’État sur les projets et propositions de loi soient eux aussi rendus publics ? Quel pourrait être le rôle du Conseil d’État dans les transpositions des directives, en particulier lorsqu’elles passent par des lois d’habilitation, afin de permettre à la représentation nationale de s’assurer que l’ordonnance prise en application de ces lois ne « surtranspose » pas ?

M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État. Je vous remercie de m’avoir invité à présenter l’apport du Conseil d’État à l’œuvre de simplification et de sécurisation de notre droit, dans un contexte marqué par le constat ancien, convergent et préoccupant de l’inflation, de l’instabilité et de la dégradation de la qualité de la norme. Les travaux de votre mission d’information se concentrant sur la rationalisation du flux normatif, j’insisterai sur la contribution du Conseil d’État à la maîtrise de ce problème et, en particulier, sur le contrôle qu’il exerce quant au caractère complet et suffisant des études d’impact qui doivent assortir les projets de loi qui lui sont soumis, à lui comme au Parlement, avant d’examiner les moyens d’améliorer l’effectivité de ce dispositif. M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration, ainsi que Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études, qui m’accompagnent, apporteront à nos débats leur expertise et pourront répondre à vos questions.

Les projets de loi doivent désormais être assortis d’une évaluation préalable, en application des dispositions mêmes de notre Constitution, au respect desquelles veillent avec attention les formations administratives du Conseil d’État. Si l’évaluation ex ante des effets économiques et sociaux des projets de loi a été instituée dès 1995 comme le vecteur d’une gestion des flux et d’une simplification anticipée du stock des normes, elle n’est devenue une règle réellement contraignante et – comme l’avait préconisé le rapport du Conseil d’État de 2006 sur la sécurité juridique – une exigence constitutionnelle pour le Gouvernement que depuis l’entrée en vigueur de la révision du 23 juillet 2008. Désormais, en application des articles 39, 47 et 47-1 de la Constitution et des lois organiques prises pour leur application – en particulier la loi organique du 15 avril 2009 –, sont soumis à une telle obligation les projets de loi organique, ordinaire et de programmation mais aussi, selon des modalités particulières, les projets de loi d’habilitation en application de l’article 38 de la Constitution, les projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation d’un traité ou d’un accord international et, enfin, les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Sont donc exclus du périmètre de cette obligation constitutionnelle, notamment, les projets de loi de ratification d’une ordonnance et, bien entendu, les projets d’acte réglementaire. S’agissant de ces derniers, une obligation de bonne administration résultant de simples circulaires du Premier ministre prévoit d’assortir d’une fiche d’impact les projets de normes qui concernent les entreprises, les collectivités territoriales et, depuis la circulaire du 17 juillet 2013, le public.

Les formations administratives du Conseil d’État ont donné leur pleine portée aux obligations découlant des articles 39, 47 et 47-1 de la Constitution, en précisant leur champ d’application et leur contenu, et en exerçant un contrôle attentif des évaluations préalables fournies par le Gouvernement.

Le champ d’application de l’obligation constitutionnelle a été précisé dès 2009. S’agissant des projets de loi autorisant la ratification d’un traité, le Conseil d’État estime que les études d’impact doivent être jointes au projet de texte qui lui est transmis, même si l’article 11 de la loi organique ne le précise pas expressément, et que l’analyse des « effets sur l’ordre juridique français » doit porter, s’il y a lieu, sur l’articulation des normes nouvelles avec les engagements internationaux de la France en vigueur. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, le Conseil d’État a demandé, en 2013, un complément d’analyse sur la combinaison d’un projet d’accord entre l’Union européenne et la Corée avec, d’une part, la convention de l’UNESCO relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles et, d’autre part, l’accord sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ainsi que l’accord général sur le commerce des services.

S’agissant des projets de loi ayant pour objet la ratification d’une ordonnance, le Conseil d’État vérifie qu’ils ne comportent pas de dispositions nouvelles et, le cas échéant, il rappelle que celles-ci doivent satisfaire aux obligations constitutionnelles, à moins qu’elles ne portent que sur la rectification d’erreurs matérielles ou sur des corrections formelles.

Pour ce qui concerne enfin les projets de loi de programmation ne portant pas sur les finances publiques, le Conseil d’État a précisé qu’ils entrent pleinement dans le champ d’application de l’article 8 de la loi organique, tout en indiquant que les obligations incombant au Gouvernement ne peuvent être de même nature, selon que les dispositions sont normatives ou de pure programmation. En tout état de cause, doit être analysée la cohérence des objectifs et des moyens retenus par le projet de loi de programmation avec, d’une part, « les prévisions de la loi de programmation des finances publiques » en vigueur et, d’autre part, « l’économie générale de la législation récemment adoptée dans le même domaine ».

Ayant précisé la portée des obligations inscrites au troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État veille à ce que le contenu des études d’impact soit apprécié à l’aune de l’importance et de la complexité des projets soumis.

Il vérifie, d’une part, la complétude de ces études et s’assure notamment qu’elles comportent le résultat des consultations préalablement ou concomitamment menées, l’ensemble des éléments nécessaires à l’examen du bien-fondé juridique du projet, comme l’exposé des motifs d’intérêt général justifiant une dérogation au principe d’égalité ou la création d’une formalité administrative supplémentaire, ou encore les éléments expliquant la méthode de calcul utilisée. D’autre part, le Conseil d’État examine le caractère suffisant des études d’impact, notamment en ce qui concerne les objectifs de la réforme envisagée, les raisons des choix retenus, les effets des règles proposées sur l’ordonnancement juridique, les formalités et les procédures administratives et, plus largement, les impacts économiques et sociaux. En particulier, les effets économiques et financiers des projets de loi de finances doivent être chiffrés et, le cas échéant, la finalité d’une nouvelle imposition doit être précisément identifiée – point essentiel pour le contrôle de constitutionnalité ultérieur –, soit qu’elle poursuive un objectif de rendement budgétaire, soit qu’elle cherche à dissuader ou, au contraire, à encourager certains comportements.

Selon le degré de gravité des insuffisances relevées, le Conseil d’État invite le Gouvernement à procéder à une régularisation adaptée et proportionnée. Même si l’étude d’impact est pleinement conforme aux exigences constitutionnelles, le Conseil d’État peut estimer qu’elle pourrait être « utilement complétée avant son dépôt devant le Parlement », afin que ce dernier soit éclairé au mieux. Lorsqu’une étude d’impact est globalement conforme, sans l’être parfaitement, le Conseil d’État indique qu’elle devra être complétée « par des informations de nature à permettre d’apprécier correctement l’incidence de certains aspects du projet de texte examiné », et il précise naturellement lesquelles. Enfin, lorsque l’étude d’impact n’est pas conforme aux exigences constitutionnelles, le Conseil d’État indique nettement au Gouvernement la nécessité de procéder à une régularisation avant le dépôt du projet de loi ; il n’est nullement exclu qu’il puisse rejeter le projet de texte dont il est saisi, en raison du caractère totalement lacunaire ou indigent de l’étude d’impact. À ce jour, ce cas de figure ne s’est néanmoins présenté qu’une fois, dès 2009, avec les dispositions d’un projet de loi de ratification de l’ordonnance relative à certaines installations classées pour la protection de l’environnement. Le Conseil avait donné un avis favorable au seul article de ratification, rejetant toutes les autres dispositions, qui n’étaient assorties d’aucune étude d’impact.

Si une omission grave est constatée dans l’étude d’impact, le Gouvernement peut bien entendu procéder de lui-même, à la suite des premières observations orales du Conseil et dans le cadre du travail avec le rapporteur, à une saisine rectificative et déposer une nouvelle version de l’étude : cela se produit assez régulièrement.

L’ensemble de ce dispositif peut encore gagner en effectivité, et être complété par de nouvelles mesures concourant à la qualité et à l’accessibilité du droit.

Le contenu des études d’impact peut encore être sensiblement enrichi et les outils constitutionnels de contrôle de leur qualité pourraient être davantage utilisés, voire élargis.

Comme je l’ai indiqué, le Conseil d’État examine avec une attention particulière, en tant que conseiller du Gouvernement, la conformité des études d’impact aux exigences constitutionnelles. En outre, lorsque lui est soumis un projet de décret, il intègre naturellement dans son analyse les éléments figurant dans les fiches d’impact qui, le cas échéant, lui sont transmises par le Gouvernement, duquel il n’a par ailleurs pas les moyens juridiques de les exiger.

L’enrichissement des études d’impact, lorsqu’il se révèle nécessaire, doit cependant être proportionné à l’importance et à la complexité des projets de réforme. Davantage de consultations d’experts, d’organismes publics, d’associations ou, d’une manière générale, du public seraient souhaitables afin de garantir le caractère objectif et exhaustif des études. En particulier, l’évaluation devrait être découplée de l’impulsion politique et administrative : l’évaluateur ne peut être l’auteur ou l’inspirateur direct de la réforme. À ce titre, le rôle de la Commission consultative d’évaluation des normes, créée en 2007 et devenue le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), a été renforcé. Ce dernier est désormais consulté sur l’impact financier et technique des projets de texte créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, que ces textes soient de nature législative ou réglementaire. Dans ce dernier cas, si l’avis est défavorable, le Gouvernement doit transmettre un projet modifié ou un complément d’information en vue d’une seconde délibération. En outre, le CNEN peut être consulté sur l’impact financier et technique résultant d’une proposition de loi, ou même s’autosaisir lorsque ces impacts peuvent découler d’activités de normalisation ou de certification.

Si le Conseil d’État n’est pas le seul gardien des exigences constitutionnelles, le Parlement dispose, quant à lui, d’un pouvoir spécifique de blocage d’un projet de loi non conforme. Le quatrième alinéa de l’article 39 de la Constitution prévoit à ce titre que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, il revient au Conseil constitutionnel, saisi par le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre, de trancher dans un délai de huit jours. Cette procédure, qui intervient très en amont du cycle d’élaboration des lois, permet de purger très tôt les textes de tout vice de procédure. Jusqu’à présent, la Conférence des présidents n’a jamais fait usage de ce pouvoir ; mais si la Constitution devait être modifiée à ce sujet – ce qui ne paraît pas absolument indispensable –, on pourrait envisager d’élargir la saisine du Conseil constitutionnel à un nombre minimal de parlementaires.

Enfin, l’obligation de produire des études d’impact ne s’impose pas, en l’état actuel du droit constitutionnel, aux propositions de loi. Or l’avis du Conseil d’État, lorsqu’il est saisi d’un texte de cette nature en qualité de conseiller du Parlement, serait d’autant plus éclairé qu’il disposerait d’évaluations préalables. La question mérite à tout le moins d’être posée, compte tenu du nombre croissant des initiatives parlementaires.

En complément des études d’impact, d’autres dispositifs permettent, en amont comme en aval, de promouvoir la simplification et, d’une manière plus générale, la sécurisation des normes juridiques. En amont, une attention particulière doit être apportée à la fixation des dates d’entrée en vigueur des normes nouvelles et, le cas échéant, à la définition de mesures transitoires lorsque sont apportés des changements significatifs au droit existant. Par son activité contentieuse, le Conseil d’État contribue à cet objectif de sécurité juridique, notamment pour les textes réglementaires : il veille en effet à ce que les autorités administratives édictent « les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ». Il s’en préoccupe aussi, de manière systématique, dans l’exercice de son activité consultative.

En aval, le stock des normes existantes doit être rendu plus lisible et plus accessible et, le cas échéant, il doit être rationalisé. À cet égard, les formations de jugement du Conseil d’État veillent à ce que des imperfections ou des malfaçons rédactionnelles entachant des mesures réglementaires ne soient pas de nature à les rendre inintelligibles et, partant, à nuire à la bonne application des lois. Lorsqu’il relève une telle imperfection, le Conseil cherche à ne pas ajouter au manque de clarté un nouveau degré d’insécurité juridique qui pourrait résulter d’une annulation contentieuse ; c’est pourquoi il limite l’effet de son annulation aux seuls termes erronés lorsqu’ils sont divisibles du règlement ; en l’absence de doute sur la juste portée de dispositions erronées, il ne les annule pas mais les rectifie lui-même « afin de donner le meilleur effet à sa décision », selon les termes d’une décision du 4 décembre 2013 relative à l’association « France nature environnement ».

En outre, toujours en aval du processus normatif, les procédures de rescrit ou de pré-décision permettent de pallier la malfaçon de certaines règles, de simplifier les démarches administratives en renseignant les opérateurs sur la législation applicable à un projet, de cristalliser le droit applicable et, partant, de sécuriser la réalisation de projets, comme l’a illustré l’une de nos études adoptée le 14 novembre 2013. Alors que le rescrit social et le « rescrit AMF » – Autorité des marchés financiers – peuvent être améliorés, cette étude envisage l’extension de cette procédure aux impositions qui n’y sont pas soumises et, en outre, lorsqu’existent des risques de sanctions administratives dans le domaine du droit du travail, de la concurrence ou de la consommation. L’étude propose également la création d’un certificat de projet, qui a vu le jour avec l’ordonnance du 20 mars 2014 ; elle a aussi ouvert la voie à une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, laquelle a également procédé de l’ordonnance n° 2014-355, datée du même jour.

Enfin, la poursuite des travaux de codification assure une rationalisation périodique du stock des normes en vigueur, dont certaines peuvent et doivent, à cette occasion, être simplifiées, voire supprimées en raison de leur obsolescence, de leur rigidité ou de leur inutilité, pour être remplacées, le cas échéant, par des orientations de droit souple. L’actuel projet de codification de la procédure administrative non contentieuse doit ainsi permettre non seulement d’améliorer la lisibilité et l’accessibilité des normes régissant les relations entre le public et les administrations, mais aussi de simplifier le régime d’abrogation et de retrait des actes individuels. Des magistrats administratifs et des membres du Conseil d’État œuvrent à ce chantier. À l’heure actuelle, l’Union européenne et la France participent l’une et l’autre à la codification des règles qui régissent les relations entre l’administration et le public ; j’évoquais précisément ces questions lors d’un colloque organisé lundi à Bruxelles par l’Ombudsman européen – le médiateur de l’Union – Mme Emily O’Reilly.

Si la simplification de la norme demeure un objectif global, qui doit inspirer l’ensemble de la procédure d’élaboration, d’adoption et d’application des lois, votre mission d’information a raison d’insister sur l’importance des instruments ex ante susceptibles d’encadrer l’élaboration des normes nouvelles. C’est en effet une réponse pratique à l’intensité de la production normative, mais également une contrainte juridique exigeante, désormais consacrée par notre Constitution.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Merci pour cet exposé très intéressant, qui m’a permis de découvrir le travail du Conseil d’État sur les études d’impact. Que pensez-vous d’une éventuelle publication de vos avis sur les projets de loi et les études d’impact ?

M. Jean-Marc Sauvé. La publication des avis du Conseil sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret est une question éminemment politique : elle relève donc de l’appréciation du Gouvernement et du Parlement.

En tout état de cause, la capacité d’expertise du Conseil d’État, notamment en matière d’études d’impact, doit être pleinement mobilisée. Depuis le 1er septembre 2009, date d’entrée en vigueur des dispositions visées de la révision du 23 juillet 2008, une partie de notre rapport public relatif à notre activité consultative est consacrée à l’application de l’article 39 de la Constitution, s’agissant des études d’impact. Le Conseil ne s’est donc jamais désengagé sur ce point.

Quant à la publicité des avis sur les seules études d’impact, la question mériterait sans doute un traitement particulier. Votre mission d’information s’est interrogée sur l’éventuelle création d’une autorité indépendante dévolue à l’évaluation des études d’impact. Cette seule tâche ne me paraît pas justifier la création d’une autorité mais on peut imaginer, sous réserve du pouvoir d’appréciation du Gouvernement et du Parlement, de rendre publique la partie de l’avis du Conseil consacrée à la complétude et au caractère suffisant de l’étude d’impact. En amont de la délibération du Conseil d’État, la présence d’une capacité d’expertise en ce domaine, par exemple auprès du Secrétariat général du Gouvernement, serait néanmoins très utile : elle pourrait associer des personnes issues du secteur public, de la société civile et du secteur privé ; la délibération du Conseil d’État s’en trouverait enrichie.

On lit souvent dans la presse que tel ou tel texte, qui n’est pas sorti bien qu’ayant fait l’objet d’engagements politiques fermes et réitérés, est « au Conseil d’État » – sous-entendu en attente. En réalité, le Conseil rend ses avis dans un délai de deux mois pour 90 % des projets de décret, et d’un mois pour 90 % des projets de loi. Le problème est que, dans notre pays, la production normative, à tous les niveaux de son élaboration – Gouvernement, Conseil d’État et Parlement – est marquée du sceau de l’urgence. Celle-ci est parfois nécessaire mais il arrive aussi qu’elle soit excessive. Lorsque le Conseil d’État ne dispose, comme ce fut notamment le cas en 2012 et en 2013, que d’un délai moyen de vingt-quatre ou vingt-huit jours pour l’examen des projets de loi, il pare au plus pressé : il vérifie la conformité du projet de loi à la Constitution – et le corrige s’il y a lieu –, au droit européen et aux engagements internationaux de la France, et améliore, au besoin, sa cohérence interne et sa clarté, ce qui est déjà beaucoup. Le temps que nous consacrons aux études d’impact est donc réel mais insuffisant : avec plus de temps, des progrès seraient possibles sur ce point.

M. Bernard Pêcheur, président de la section de l’administration. Il arrive fréquemment que le texte soumis au Conseil d’État ne soit pas totalement stabilisé, si bien que l’étude d’impact a vocation à évoluer avec les travaux du Gouvernement et les nôtres. Se pose donc, à notre niveau, la question des saisines rectificatives au regard de l’obligation d’étude d’impact. Nous ne rejetons pas un projet de loi au seul motif que son étude d’impact est insuffisante mais nous demandons alors au Gouvernement de la compléter avant le dépôt du texte au Parlement ; cela dit, nous ne contrôlons pas le travail de rectification ou de précision qui peut être fait par la suite – d’où l’éventuelle imperfection des études qui vous parviennent. Il arrive aussi que des contraintes d’agenda conduisent le Gouvernement à regrouper, au sein d’un projet de loi au titre faussement unificateur, des mesures fort disparates. Dans ces conditions, l’étude d’impact, globale, ne peut être que superficielle puisqu’elle devrait porter sur chacune des dispositions en particulier ; il nous arrive donc de demander au Gouvernement de compléter l’étude sur l’une ou l’autre d’entre elles.

M. Régis Juanico. De fait, on constate que la qualité de l’étude d’impact dépend du temps disponible en amont. Sans doute pourrez-vous préciser la manière d’associer le comité d’experts que vous suggérez. Quoi qu’il en soit, le législateur manque de précisions, par exemple sur les impacts économiques et sociaux. Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, que nous venons d’examiner en première lecture, en a donné un exemple. Dans l’étude assortie, l’impact du texte en termes de créations d’emplois se situe dans une fourchette de 100 000 à 200 000 dans les trois à cinq ans.

De plus, depuis son dépôt au Conseil d’État, jusqu’à son vote au Parlement, le texte subit des modifications qui peuvent être substantielles – le nombre d’articles du projet de loi relatif à la consommation, par exemple, a quasiment doublé à l’issue du débat parlementaire. Comment réactualiser l’étude d’impact ? Sur les amendements, le législateur est assez démuni de ce point de vue.

Je ne pense pas non plus qu’il y ait lieu de créer une nouvelle autorité ; mais l’on pourrait s’inspirer davantage des rapports de la Cour des comptes ou du Comité d’évaluation et de contrôle – qui vient justement de publier un rapport en vue du projet de loi sur la transition énergétique –, ou des avis du Conseil économique, social et environnemental, ces avis étant tout particulièrement utiles pour connaître les points de vue des forces économiques ou des syndicats : autant d’expertises susceptibles d’enrichir les études d’impact par d’autres regards que celui du ministère concerné.

M. Jean-Marc Sauvé. Le problème que pose l’instabilité des textes est en effet majeur.

Depuis deux ou trois décennies, l’élaboration de la loi a été bouleversée ; elle s’apparente désormais, pour emprunter une métaphore artistique, à un « work in progress »… Aujourd’hui, il est fréquent qu’un projet de loi de dix pages en fasse quarante ou cinquante au terme des travaux parlementaires, quand une augmentation d’un tiers représentait un cas extrême dans les années 80. Une telle évolution, cependant, n’est pas propre à notre pays : dans une conférence récente, Lord Neuberger of Abbotsbury, président de la Cour suprême du Royaume-Uni, se désolait de l’inflation législative, de l’efficacité très relative des mécanismes d’évaluation préalables et de la croissance incontrôlée des textes à l’occasion des débats parlementaires.

L’étude d’impact doit être complétée et actualisée pendant toute la phase d’élaboration du texte par le Gouvernement, et ce de la façon la plus rigoureuse possible avec les textes composites qu’évoquait Bernard Pêcheur. D’une façon générale, les textes incluent de plus en plus de dispositions adventices, qui justifieraient des évaluations spécifiques.

Beaucoup plus délicate est la question de la mesure des conséquences des dispositions introduites au cours de la discussion parlementaire. Tant qu’elles restent dans le cœur de cible du texte, l’étude d’impact peut demeurer pertinente ; mais la question qui se pose est celle du suivi de l’étude lorsque les amendements modifient le périmètre, le profil ou le volume du texte. La responsabilité du pouvoir exécutif et du Conseil d’État me semble s’arrêter à ce niveau ; il appartient donc aux assemblées parlementaires de prendre le relais, peut-être à travers une nouvelle procédure. Une fois rappelé le principe de séparation des pouvoirs, donc des services du Parlement et du Gouvernement, il n’est pas interdit d’envisager une coopération qui permettrait au Parlement de solliciter les moyens d’expertise de l’exécutif ; en tout état de cause, c’est au Parlement qu’incombe la responsabilité d’étudier l’impact des normes qu’il propose.

Mme la présidente Laure de La Raudière. La commission parlementaire saisie au fond peut-elle demander une analyse de l’étude d’impact des amendements qu’elle qualifierait de « substantiels » au Conseil d’État ou à d’autres organes, tels que le Conseil de la simplification pour les entreprises ou le CNEN ?

M. Jean-Marc Sauvé. Il me semblerait en effet pertinent que, sur des amendements substantiels, le Parlement puisse faire appel à des expertises gouvernementales. La création, auprès du Premier ministre, d’une commission chargée de vérifier et de valider les études d’impact serait une piste.

Il a fallu modifier la Constitution pour habiliter le Conseil à émettre un avis sur les propositions de loi et il faudrait la modifier encore pour qu’il puisse en faire de même sur les amendements parlementaires. La capacité d’étude du Conseil d’État ne peut, en l’état actuel de la Constitution, être mobilisée que par le Gouvernement. Lorsque, sur le projet de création d’un parquet européen, les commissions des Affaires européennes des deux assemblées parlementaires ont voulu la mobiliser, elles ont saisi le Premier ministre, qui a repris cette demande à son compte pour nous l’adresser. La procédure est donc indirecte, même si elle ne constitue pas un obstacle insurmontable.

M. Bernard Pêcheur. Sur le projet de loi organique relatif aux lois de finances (LOLF), la demande d’avis nous avait été adressée par le Gouvernement, mais ce sont MM. Alain Lambert et Didier Migaud qui l’avaient formulée – et cet avis leur avait été communiqué en décembre 2000.

M. Jean-Marc Sauvé. La LOLF, promulguée le 1er août 2001, est issue d’une proposition de loi de MM. Didier Migaud et Alain Lambert qui soulevait des questions constitutionnelles très lourdes ; le Gouvernement les a soumises au Conseil, qui les a défrichées, contribuant par là à sécuriser un processus qui, s’agissant d’une loi organique, s’est naturellement achevé devant le Conseil constitutionnel, en juillet 2001, avec une décision favorable.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Pour les propositions de loi, le président d’une des deux assemblées, lui-même saisi par l’auteur du texte, peut vous saisir d’une demande d’avis. Depuis que cette procédure existe, elle n’a été appliquée qu’à neuf textes, dont deux depuis le début de la présente législature. Bien que sans doute très utile, elle est donc peu utilisée : ne pensez-vous pas – bien que ce point nous regarde d’abord – qu’elle pourrait l’être plus systématiquement pour les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour, même si je mesure la charge de travail que cela représenterait pour votre institution ?

À ce stade, l’avis ne porte que sur les propositions de loi elles-mêmes ; mais si les assemblées décidaient de les assortir d’études d’impact – y compris, d’ailleurs, en sollicitant des compétences extérieures pour ce faire –, y aurait-il un intérêt à ce que vous les examiniez aussi ?

Si le Gouvernement et le Parlement décidaient de rendre vos avis publics, cette publicité devrait-elle, à votre sens, s’étendre à ce qui a trait aux études d’impact ?

La précipitation dans la mise en œuvre de certains textes peut contribuer à leur insécurité juridique, voire à leur inefficience. J’en veux pour preuve le compte de prévention de la pénibilité, mesure à laquelle je suis favorable mais dont la mise en œuvre partout et pour tous me semble incertaine à la date prévue, le 1er janvier 2015, même si le Gouvernement continue les concertations sur ce point. Ces dates de mise en œuvre générale font-elles l’objet d’une évaluation spécifique ? Ne pourrait-on mieux renseigner les études d’impact sur cet aspect ?

Il ne me vient pas à l’esprit d’exemple concret sur les dispositifs transitoires. Comment mieux sécuriser la procédure législative sur ce point ?

M. Jean-Marc Sauvé. Le Conseil d’État a été peu saisi sur les propositions de loi, mais la réforme de 2008 n’a pas été sans effets. Sous la IIIe République, le Parlement pouvait saisir le Conseil d’État de demandes d’avis sur les textes d’origine parlementaire ; mais il ne l’a fait qu’une seule fois en soixante-cinq ans.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 31 juillet 2009, nous avons été saisis par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat de plus d’une dizaine de propositions de loi au total ; en 2013, nous avons examiné cinq propositions de loi du Sénat relatives à la fin de vie, la proposition de loi dite « Florange », une demande d’avis du Gouvernement – mais inspirée par la proposition de loi de M. François Brottes – sur les tarifs de l’énergie et une autre proposition de loi encore. C’est peu au regard de l’initiative parlementaire, mais significatif au regard des sujets concernés ; aussi considérons-nous ce début comme intéressant. On pourrait développer cette consultation, sans doute, mais le constituant a fait preuve de sagesse en la soumettant à un accord entre le président de l’assemblée parlementaire concernée et l’auteur de la proposition de loi. Le Conseil d’État est cependant disponible pour répondre aux demandes des parlementaires.

M. le rapporteur. Les cinq propositions de loi sénatoriales que vous avez mentionnées ont-elles été inscrites à l’ordre du jour ?

M. Jean-Marc Sauvé. Non, mais le sujet, décliné par ces cinq textes émanant de divers groupes politiques, était d’un intérêt général tel que la consultation pourra être utile à des travaux futurs, à l’initiative du Gouvernement ou du Parlement, sur ces textes ou sur d’autres.

À l’évidence, l’absence d’étude d’impact sur les propositions de loi est une lacune : nous rencontrons, avec les propositions de loi, la même difficulté qu’avec les projets de loi qui triplent ou quadruplent de volume au cours du débat parlementaire. Il serait utile que le Conseil d’État puisse se prononcer sur une telle étude, mais, au vu de ses ressources, il n’est évidemment pas en mesure de la réaliser. Au demeurant, c’est bien à l’auteur d’un texte qu’il appartient de préciser ses objectifs, les moyens qu’il entend mettre en œuvre pour les atteindre et l’utilité – ou le coût – du texte qu’il présente.

S’agissant de la publicité des avis du Conseil, j’ai fait une ouverture sur la partie relative aux études d’impact ; pour le reste de l’avis, c’est aux autorités politiques qu’il revient d’en décider en pesant les avantages et les inconvénients, tous deux non négligeables.

Quant à la question des mesures transitoires, nous y sommes très attentifs, aussi bien sur les textes réglementaires que sur les projets de loi ; mais nous n’avons jamais été saisis, à ma connaissance, d’études d’impact à ce point précises qu’elles permettraient – par exemple sur le compte de prévention de la pénibilité – d’éclairer utilement la réflexion du Gouvernement. Nous posons donc cette question de manière adéquate, mais encore faut-il que les dossiers soient suffisamment documentés pour que le Gouvernement puisse s’appuyer sur eux et que nous soyons en mesure, de notre côté, de nous prononcer sur eux.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les mesures transitoires, quand elles se révèlent nécessaires, ne devraient-elles pas être analysées dans les études d’impact ?

Mme Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études. Le Conseil d’État recommande que les études d’impact précisent l’effet des nouvelles mesures sur les projets en cours, tels que les projets d’entreprise, et prévoient – sans préjudice du principe d’égalité devant la loi – des dispositions spécifiques pour que ces projets, formés dans un contexte législatif donné, ne soient pas soumis aux mesures nouvelles. Cette recommandation figure dans l’étude de 2013 relative au rescrit ; elle implique, bien entendu, que la loi prévoie expressément l’exclusion des projets en cours – lorsqu’ils ont atteint un certain stade d’instruction – du dispositif nouveau afin de leur garantir une stabilité législative et que les études d’impact y consacrent une rubrique.

M. Jean-Marc Sauvé. Cette question doit être mieux documentée, afin de donner au Parlement les moyens de décider s’il y a lieu, ou non, de soumettre les projets en cours aux normes nouvelles – et si oui, à quel stade de leur élaboration.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent. Au plan juridique, les mesures qui consistent à différer, à la suite d’une demande, l’entrée en vigueur de telle ou telle disposition sont des mesures transitoires ; mais, plus généralement, il s’agit d’étudier le cas des dossiers n’ayant pas fait l’objet de demande formelle mais déjà connus, par exemple dans le cadre du rescrit ou de la pré-décision.

M. le rapporteur. La date de mise en œuvre ne devrait-elle pas être explicitement justifiée dans les études d’impact ? Il n’est pas rare que l’on découvre, après coup, que la nécessité d’adapter tel ou tel logiciel a été sous-estimée, par exemple…

M. Bernard Pêcheur. Les formations consultatives du Conseil d’État ont souvent l’occasion de se pencher sur ce sujet, non seulement pour les projets de loi, mais aussi pour les projets de décret. Le président Odent avait coutume de dire que le plus difficile, dans un projet de décret, est moins le dispositif lui-même que les dispositions transitoires. Souvent, les projets de texte nous parviennent après une année d’élaboration et à l’issue des arbitrages interministériels, avec la date d’entrée en vigueur envisagée un an plus tôt. D’office, en vertu du principe de bonne administration, nous corrigeons cette date, après avoir signalé au Gouvernement qu’elle était irréaliste.

Quant aux projets de loi, monsieur le rapporteur, l’article 8 de la loi organique implique que les études d’impact prennent position sur la date de mise en œuvre, puisqu’il dispose qu’elles « exposent avec précision […] la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires » – dont certains conditionnent l’entrée en vigueur de la loi – et « l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées » sur chaque catégorie d’administration publique et de personne physique et morale. Cela dit, elles restent assez faibles sur cet aspect, car elles font souvent prévaloir le volontarisme politique et peuvent parfois être rédigées ex post.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture prévoit une vingtaine d’ordonnances, dont les projets nous seront transmis d’ici à l’examen en deuxième lecture, ce qui est une réelle avancée. Les ordonnances font-elles l’objet d’études d’impact ? Pouvons-nous solliciter un avis du Conseil d’État par l’intermédiaire du Gouvernement, afin de nous assurer que ces dispositions ne « surtransposent » pas les directives européennes ? Les ordonnances, devenues très courantes, posent problème au regard de l’éclairage de la représentation nationale sur la portée de ce qu’elle vote.

M. Jean-Marc Sauvé. Aucune disposition juridique ne prévoit d’étude d’impact pour les ordonnances, la loi du 15 avril 2009 ne portant que sur les projets de loi. Rien ne nous permet donc d’imposer aux administrations de rendre compte des raisons pour lesquelles telle option a été choisie plutôt que telle autre. Nous pouvons nous montrer plus pressants mais n’avons de chance d’être convaincants que si les administrations se laissent convaincre… Il y a certainement là une difficulté qu’il serait peut-être opportun de régler. Alors que la voie de la législation déléguée, c’est-à-dire par ordonnances, est de plus en plus privilégiée, on comprend mal que les ordonnances, au motif qu’il s’agit d’actes réglementaires, échappent aux règles d’élaboration contraignantes qui s’imposent aux projets de loi.

M. Bernard Pêcheur. Les projets de loi d’habilitation sont soumis à l’obligation d’une étude d’impact mais cette obligation est allégée puisqu’elle ne comporte, et pour cause, ni comparaison coûts/avantages, ni évaluation sur l’emploi public, ni liste des textes d’application. Ensuite, il y a un « trou noir » car l’ordonnance qui traduit en droit positif l’habilitation est dispensée d’étude d’impact ; c’est là un angle mort qui mériterait d’être couvert.

M. Jean-Marc Sauvé. Un nombre croissant de directives sont transposées par voie d’ordonnance. Dans ces conditions, il serait utile de préciser quelles sont les dispositions qui constituent respectivement des transpositions directes ou des mesures complémentaires, et, pour les premières, si elles impliquent une transposition a minima ou, au contraire, une « surtransposition ».

Mme la présidente Laure de La Raudière. Nous aimerions pouvoir recueillir votre avis sur les ordonnances. Il y a des projets de loi dont de nombreux articles renvoient à des ordonnances. Vingt-six ordonnances dans le cadre d’un projet de loi de trente-cinq articles, ce n’est pas acceptable car cela peut déséquilibrer l’ensemble du texte, quel qu’ait été le travail parlementaire. Faut-il modifier la Constitution pour vous donner ce rôle, sachant que votre avis devrait intervenir avant le projet de loi de ratification des ordonnances ? Sur les ratifications, force est de constater que notre assemblée s’apparente à une chambre d’enregistrement…

M. Jean-Marc Sauvé. La loi organique ne prévoit pas d’étude d’impact pour les projets de loi de ratification des ordonnances : c’est là un angle mort. Cependant, la question de l’impact doit être posée bien en amont du projet de loi de ratification, en l’occurrence au stade du projet de loi d’habilitation et surtout au stade de l’ordonnance. Reste à définir le niveau normatif adéquat pour introduire l’obligation d’une étude d’impact pour les ordonnances. Je ne pense pas, a priori, qu’une modification de l’article 38 de la Constitution soit nécessaire.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent. L’article 11 de la loi organique énumère les exceptions à l’article 8. On pourrait, dans ce cadre, subordonner la dispense d’étude d’impact sur les projets de loi de ratification au fait que l’ordonnance elle-même ait été assortie d’une telle étude.

M. Jean-Marc Sauvé. Le Parlement, en tout cas, doit être éclairé sur les effets des dispositions législatives adoptées par voie d’ordonnance. Le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, dit « HPST », développait deux niveaux normatifs : d’une part, les grandes options adoptées par le Parlement ; de l’autre, la coordination, la réécriture et la mise en œuvre des textes, déléguées au Gouvernement dans le cadre d’une habilitation. Beaucoup de projets de loi qui nous sont soumis obéissent à cette architecture.

M. Bernard Pêcheur. Imposer l’élaboration d’une étude d’impact complète au stade du projet de loi d’habilitation aurait un effet bloquant et heurterait l’article 38 de la Constitution. Cela constituerait également une contrainte pour le Gouvernement, alors même que le recours à cette procédure suppose qu’il a besoin de marges de manœuvre, et que ses partis ne sont pas encore arrêtés. En revanche, l’évaluation doit être assurée en aval.

M. le rapporteur. D’où l’importance du débat sur les projets de loi de ratification.

M. Régis Juanico. La qualité et la précision de l’étude d’impact ne sont pas sans effets sur la discussion parlementaire.

Par exemple, le périmètre de l’économie sociale et solidaire est défini dans les premiers articles du projet de loi qui lui est consacré ; cela a des incidences économiques et fiscales, puisque l’agrément, octroyé aux entreprises qui entrent dans ce périmètre, donne accès à un certain nombre de dispositifs et de financements publics. Les 220 000 structures historiques du secteur sont connues, mais l’« inclusivité » de la loi permet à beaucoup d’autres entreprises, des sociétés commerciales de droit commun, de se reconnaître dans les critères énumérés, critères que la discussion parlementaire a d’ailleurs quelque peu restreints. Au vu de ces critères, indique l’étude d’impact, ce sont environ 5 000 entreprises qui pourraient être incluses dans le périmètre, en plus des structures historiques ; mais rien n’est dit sur les sources de ce chiffre, ni sur ses modalités de calcul ; aussi l’opposition n’a-t-elle pas manqué de s’interroger sur sa crédibilité, ce qui est normal.

Comment rendre plus fiables et plus précis les travaux d’évaluation préalables ? Quels acteurs pourrait-on associer, notamment pour évaluer les impacts économiques ?

M. Jean-Marc Sauvé. C’est là une vaste question. Le Conseil d’État se prononce sur le fait de savoir si les études d’impact sont ou non suffisantes. Vous posez la question de la crédibilité des informations qui y figurent, lesquelles ont une incidence sur le débat parlementaire. Il semble que les administrations procèdent souvent à des évaluations sommaires ; certains chiffres donnent le sentiment d’avoir été, non pas inventés, mais estimés « au doigt mouillé » ; d’où l’intérêt d’une structure d’évaluation des études d’impact placée auprès du Premier ministre, structure qui pourrait au besoin compléter ou préciser ces chiffres, en s’appuyant sur le gisement de compétences qu’offre l’appareil d’État – l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), les administrations économiques, les inspections générales ou les contrôles généraux. Cela dit, monsieur Juanico, la question que vous posez n’est pas seulement technique ; elle est aussi politique, car le supplément d’instruction porterait un éclairage sur tel ou tel aspect du projet de loi. Mais nous devons cet éclairage à nos concitoyens et aux acteurs économiques et sociaux.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre objectif, tous partis confondus, est de réconcilier la politique et les Français : assumer nos choix politiques avec un devoir de transparence et de clarté y contribuera. Je suis sûre que mes collègues de la majorité, ici présents, partagent ce point de vue.

Madame, messieurs, je vous remercie.

*

* *

La mission d’information procède ensuite à l’audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, accompagné de M. Alain Bayet, secrétaire général.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue.

Notre mission d’information entend faire porter ses travaux sur la rationalisation du « flux » normatif plutôt que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires. Nous réfléchissons aux moyens de mieux légiférer et de provoquer un changement de culture normative, en nous inspirant d’exemples étrangers ; de janvier à mars, nous avons ainsi effectué des déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

À Berlin, nous avons constaté que le bureau fédéral allemand des statistiques, Destatis, jouait un rôle important dans l’évaluation ex ante et ex post des normes. Cet organisme public est tenu par la loi d’apporter son expertise non seulement à l’évaluation ex ante de l’impact des projets de loi, mais aussi à celle des amendements déposés en cours de procédure législative par le Gouvernement et par les parlementaires. En son sein, une équipe d’environ 80 personnes est dédiée à l’analyse de l’impact des réformes envisagées. Cette équipe définit également les règles méthodologiques et techniques que doivent respecter les ministères fédéraux pour l’élaboration des études d’impact, et est tenue de répondre aux sollicitations du Conseil national de contrôle des normes (Nationaler Normenkontrollrat, NKR), comité indépendant composé de représentants de la société civile et chargé de contrôler la qualité des projets d’études d’impact réalisées par les ministères. En outre, Destatis est dorénavant chargé d’effectuer une première évaluation ex post de l’impact des lois adoptées, lesquelles, depuis le 1er janvier 2013, comportent systématiquement une clause de révision dans un délai maximal de cinq ans lorsqu’elles créent une charge administrative supérieure à 1 million d’euros.

En France, l’INSEE joue-t-il un rôle, et si oui lequel, dans la réalisation des études d’impact accompagnant les projets de loi ou des fiches d’impact relatives à certains textes réglementaires ? Comment l’INSEE collabore-t-il avec les ministères chargés de préparer les projets de loi ou de décret ?

L’INSEE pourrait-il jouer dans la procédure législative un rôle comparable à celui du bureau fédéral allemand des statistiques ? Pensez-vous, notamment, qu’il pourrait être saisi par le Gouvernement ou par le Parlement afin d’évaluer l’impact de certains amendements ? Dans l’affirmative, à quelles conditions – délais, moyens techniques, humains et financiers – et suivant quelles modalités cela pourrait-il être envisagé ? L’INSEE pourrait-il être appelé à fournir des données dans le cadre d’une évaluation ex post des textes qui serait prévue par une clause de révision introduite dans certains projets de loi ?

M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). À ce jour, l’INSEE ne joue aucun rôle en matière d’études d’impact. S’il était appelé à en jouer un, ce serait plutôt pour fournir des données pour des évaluations a posteriori. Une réflexion sur ce sujet est cependant en cours au sein du Gouvernement et j’ai récemment rencontré le Secrétaire général du Gouvernement pour examiner cette question.

Pour commencer, il convient de préciser le cadre d’une éventuelle intervention, car le champ des études d’impact est très vaste.

Il faut d’abord définir la nature des textes concernés : s’agirait-il de textes de portée nationale ou de portée locale, de textes d’origine gouvernementale – projets de lois et décrets – ou d’origine parlementaire – propositions de loi et amendements ? J’ai cru comprendre que le NKR, l’autorité indépendante sous l’autorité de laquelle Destatis travaille, était chargé d’évaluer tous les textes de portée fédérale en Allemagne, qu’ils soient d’origine gouvernementale ou parlementaire ; en revanche, j’ignore si sa compétence s’arrête au domaine législatif ou s’il est également tenu d’examiner les textes d’ordre réglementaire.

Ensuite, on peut se contenter de mesurer le coût administratif des dispositions pour les ménages et les entreprises ou examiner leurs effets dans d’autres domaines, par exemple financier, social ou économique. Le champ de l’intervention peut donc être plus ou moins large, étant entendu qu’il ne faudrait pas se contenter d’une analyse superficielle ou d’une évaluation de pure forme. Pour ce que j’ai compris, la tâche de notre homologue allemand est cantonnée à la mesure de ce qu’on appelle les « Bürokratie Kosten », c’est-à-dire la charge administrative suscitée par les obligations déclaratives nouvelles.

M. Thierry Mandon, rapporteur. Pas seulement…

M. Jean-Luc Tavernier. Monsieur le rapporteur, voici mes sources : le texte de loi qui met en place le NKR et une conversation que j’ai eue la semaine dernière avec le directeur général de Destatis, au cours de laquelle celui-ci m’a confirmé ce que je viens de vous dire. C’est un point qui me semble fondamental.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ce qui nous intéresse surtout, monsieur le directeur général, c’est de savoir ce que l’INSEE serait capable de faire, dans quelles conditions, et avec quel bénéfice.

M. Jean-Luc Tavernier. J’entends bien, madame la présidente, mais comme mon audition découle en partie de votre déplacement à Berlin, il me semble nécessaire de faire la comparaison avec Destatis sur chaque point de mon exposé.

Il y aurait aux dires de mon homologue plus de 100 personnes qui, partagées entre Wiesbaden et Bonn, s’adonneraient à temps plein à cette tâche. Ce chiffre est très impressionnant ; il est motivé par le fait que, dans bien des cas, Destatis envoie des questionnaires ad hoc aux entreprises ou aux ménages afin de quantifier le coût, en temps et en équivalent monétaire, du respect de la nouvelle obligation déclarative en cours de discussion.

Cette question est de la plus haute importance, car il serait d’intérêt général de rationaliser le flux normatif, de légiférer en étant mieux informé et de faire en sorte qu’une étude d’impact soit, non pas un document formel ou superficiel, mais le fruit d’un véritable travail d’évaluation, susceptible d’apporter des informations nouvelles, d’améliorer la rédaction et l’application du texte et d’éviter qu’un certain nombre d’erreurs ne soient commises. Le comité de direction considère par conséquent que si l’INSEE était sollicité, il se devrait de répondre à une telle demande.

L’INSEE pourrait alors s’acquitter d’une tâche équivalente à celle que Destatis accomplit en Allemagne, c’est-à-dire mesurer la charge administrative de toute nouvelle disposition, et aussi, parce qu’il dispose d’une compétence économique que n’ont pas nécessairement ses homologues européens, s’engager sur le terrain de l’expertise et évaluer les effets économiques des mesures. Il s’agit cependant de deux activités bien différentes.

Dans cette dernière hypothèse, il conviendrait de préciser ce que l’on entend par « INSEE ». Il existe en effet aujourd’hui de quinze à vingt services statistiques ministériels, sur lesquels l’INSEE exerce un magistère d’influence, mais pas d’autorité fonctionnelle. Or, dans bien des cas, les capacités d’expertise sur les sujets techniques, comme l’équipement, se trouvent plutôt dans les services statistiques ministériels qu’à l’INSEE proprement dit.

Se pose ensuite la question de la gouvernance. L’INSEE est une administration centrale comme une autre : elle n’est pas indépendante en droit – bien qu’elle le soit en pratique. Pour remplir un tel rôle, il faudrait concevoir un système de gouvernance qui lui garantisse une indépendance relative. On est là dans un domaine nouveau, qui n’est couvert ni par des textes de portée européenne ni par la tutelle de l’Autorité de la statistique publique. Destatis est une émanation du ministère allemand de l’Intérieur, mais qui, sur ces questions, travaille sous le contrôle d’une autorité administrative, le NKR, dont l’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif est garantie par la loi. Suivant cet exemple, l’indépendance de l’administration française chargée de cette mission pourrait procéder de l’indépendance de l’autorité administrative sous l’autorité de laquelle elle agirait.

Évidemment, la question des moyens ne peut être éludée. Je mentirais si je vous disais qu’il y a 100 personnes inoccupées à l’INSEE ! À l’heure actuelle, je ne dispose donc d’aucun moyen pour remplir cette mission.

Toutefois, tout dépend de ce que l’on veut faire.

Si l’objectif est d’évaluer aussi exhaustivement et précisément que possible les coûts administratifs occasionnés par toute obligation déclarative nouvelle, comme le fait Destatis, il faut des moyens, car cela suppose, si l’on veut travailler sérieusement, que l’on procède par questionnaires.

S’il s’agissait de procéder à une évaluation économique ex nihilo de chacune des dispositions contenues dans les projets de lois, les propositions de lois, les amendements ou les décrets, il faudrait aussi des moyens considérables qui, de surcroît, risqueraient de faire doublon avec ce qui existe déjà dans les administrations. Pour ma part, je considère que l’intérêt général commanderait que les ministères, pour les projets de loi et les décrets, et les commissions parlementaires, pour les propositions de loi et les amendements, soient à la manœuvre et que l’on prévoie qu’aucun texte ne puisse être proposé sans qu’il soit accompagné d’une étude d’impact rédigée par celui qui en est à l’origine.

Une troisième possibilité serait de procéder, sous le contrôle d’une autorité indépendante, à une contre-expertise, qui consisterait à vérifier la cohérence et la qualité de l’étude d’impact, à vérifier que le document n’est pas que de pure forme et à publier un avis ; l’INSEE pourrait y apporter son concours, avec des moyens à préciser – cela dépendra du volume de travail à réaliser, mais on peut imaginer de mobiliser à cette fin l’inspection générale ou le département des études d’économiques de l’INSEE. Cette contre-expertise pourrait s’appliquer aux textes du Gouvernement comme à ceux issus du Parlement, étant entendu que, dans ce dernier cas, ce sont les commissions à l’origine des amendements ou des propositions de loi qui seraient chargées de l’évaluation initiale.

Pour résumer, il convient de bien distinguer la mesure du coût administratif des nouvelles dispositions, qui suppose des moyens dédiés si l’on veut la faire sérieusement, et l’évaluation des effets, notamment économiques, des textes légaux ou réglementaires, pour laquelle il me semble nécessaire de responsabiliser les porteurs de textes. Il serait en revanche parfaitement concevable que, sous la tutelle d’une autorité administrative indépendante, des services comme ceux de l’INSEE, munis d’un gouvernance appropriée, apportent leur concours à une contre-expertise qui, in fine, validerait ou non l’étude soumise par le ministère ou la commission parlementaire à l’origine du texte.

M. Régis Juanico. Il est pour nous primordial d’améliorer la qualité des études d’impact, qui dépend aussi du temps imparti aux services concernés pour évaluer ex ante les effets des dispositifs prévus dans les textes de loi. Or de nombreux organismes peuvent y concourir, à commencer par la Cour des comptes ou par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, dont les travaux pourraient contribuer à enrichir l’étude d’impact.

Pour ne prendre que ce seul exemple, l’évaluation de l’impact économique du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire était lacunaire et manquait cruellement de précision. Évaluer les créations d’emplois induites à un nombre compris entre 100 000 et 200 000 d’ici trois à cinq ans n’a pas contribué à nourrir une discussion argumentée lors des débats parlementaires. De même, le nombre de sociétés commerciales de droit commun susceptibles d’être concernées par la définition inclusive de l’économie sociale et solidaire a été évalué à 5 000, mais sans qu’aucune indication ne soit donnée sur la méthode de calcul qui a permis d’aboutir à ce résultat.

Il manque donc des chiffres précis et des méthodologies rigoureuses. Or c’est souvent sur les données de l’étude d’impact que majorité et opposition fondent leur argumentation et proposent des modifications au projet de loi. Pensez-vous qu’il soit possible de mobiliser des outils statistiques et économiques afin de renforcer la crédibilité de ces documents ?

M. Jean-Luc Tavernier. Monsieur le député, vous avez pris cet exemple, mais vous auriez pu en prendre bien d’autres, et sous toutes les législatures !

Plusieurs problèmes se posent.

D’abord, il serait bon de prendre un peu de temps avant de légiférer. Dans bien des pays, l’habitude a été prise de procéder à une consultation préalable plus ou moins formelle, par exemple dans le cadre d’un Livre blanc ; cela évite de légiférer dans l’urgence. Je connais bien des cas où une telle procédure aurait été profitable !

Ensuite, il faut à tout prix éviter que l’étude d’impact ne soit un exercice purement formel. Par exemple, l’étude d’impact sur l’instauration d’une taxe sur l’excédent brut d’exploitation (EBE), dans le dernier projet de loi de finances, ne contenait pas d’informations sur la charge administrative du dispositif et ses conséquences économiques, ni aucun élément de comparaison internationale ; en revanche, les conséquences sur l’égalité entre les hommes et les femmes étaient renseignées !

M. Serge Lasvignes a toutefois raison de vous mettre en garde contre une approche trop scientiste. Il est inévitable de prendre des décisions qui ne sont pas totalement quantifiables et prévisibles ; en politique, on fait aussi un pari sur l’avenir. Il est parfois délicat de concilier la volonté politique avec une étude d’impact factuelle et impartiale.

Il reste que les professionnels du chiffre que nous sommes ont souvent l’occasion de relever dans les études d’impact l’absence d’informations qui auraient pourtant été utiles, voire des incohérences dans certaines estimations. Je ne doute pas que la situation puisse être améliorée, à condition toutefois que l’on se dote d’une gouvernance adaptée et que les producteurs de textes cessent de considérer la rédaction des études d’impact comme un exercice purement formel. On pourrait par exemple mettre en place un contrôleur qui vérifierait la valeur des études et rejetterait celles qui ne seraient pas assez documentées. Les marges d’amélioration sont considérables : on est loin des meilleurs standards internationaux !

M. le rapporteur. L’intervention de l’INSEE peut être envisagée à plusieurs étapes du processus.

En premier lieu, l’INSEE pourrait participer à la production des études d’impact des projets de loi. Les études d’impact actuelles sont de qualité inégale – c’est un euphémisme ! Si le Gouvernement le décidait, ou si nous élevions notre niveau d’exigence, vous pourriez contribuer à améliorer ce produit.

Ensuite, on pourrait envisager que l’Assemblée nationale et le Sénat produisent eux aussi des études d’impact sur les propositions de loi, à l’instar de ce qui se fait sur les projets de loi. L’INSEE pourrait alors faire partie d’un pool de ressources que le Parlement mobiliserait à cette fin.

Enfin, on pourrait faire procéder à la contre-expertise de toutes les études d’impact, quelle que soit leur provenance, par un organisme « indépendant », étant entendu que ce travail n’aurait pas vocation à se substituer à l’étude d’impact initiale, mais consisterait à apprécier si celle-ci a été faite correctement.

Pour l’heure, les propositions de loi ne sont pas soumises à des études d’impact ; quant au conseil indépendant chargé du contrôle de la qualité des études d’impact, sa création a été décidée, mais les modalités de son intervention ne sont pas encore précisées.

Si un tel système était mis en place, vous pourriez participer soit à la production des études d’impact, soit au dispositif d’évaluation. Quelle activité privilégieriez-vous ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Ne vous êtes-vous pas positionné d’emblée du côté de l’évaluation des études d’impact ?

M. Jean-Luc Tavernier. Il peut arriver, mais très rarement, que l’INSEE soit sollicité par des services de l’État pour les aider à produire une étude d’impact. De même, je comprends que l’Assemblée nationale et le Sénat soient tentés de demander à l’INSEE des informations utiles pour l’élaboration des textes. Le problème, c’est que l’on ne peut pas être à la fois juge et partie. En outre, il faudrait éviter de créer des doublons, avec une administration qui concevrait le texte et une autre qui en ferait l’étude d’impact.

Ce que je trouverais le plus naturel, c’est que le producteur du texte se donne les moyens de réaliser sa propre étude d’impact – quoi de plus normal que de réfléchir aux conséquences de son propre texte ! – et que l’INSEE, grâce à son indépendance de fait et à un mode de gouvernance qui lui conférera une indépendance de droit, contribue à l’évaluation de cette étude, en identifiant les points à améliorer ou à compléter, et en faisant des propositions en ce sens : on pourrait ne pas s’en tenir à un simple avis.

M. le rapporteur. Certes, mais ce serait encore autre chose ; dans les exemples étrangers que nous avons étudiés, l’intervention de l’autorité indépendante se borne à une évaluation du travail, avec quelques recommandations : elle ne formule aucune suggestion précise et n’effectue aucun travail de réécriture.

M. Jean-Luc Tavernier. Que l’autorité indépendante refuse d’intervenir sur le document, voilà qui est compréhensible. Mais nous, nous pourrions signaler l’existence d’études ou de statistiques qui permettraient de l’améliorer : nous n’allons pas faire de la rétention d’informations !

En outre, dans bien des cas, la capacité d’expertise se trouvera non pas à l’INSEE même, mais dans les services statistiques ministériels. Par exemple, en matière d’équipement et d’environnement, le Service de l’observation et des statistiques (SOeS) en sait infiniment plus que nous ! Il faut avoir ces aspects en tête pour mettre en place un système de gouvernance approprié. Si le directeur général de l’INSEE exerce sur les services statistiques ministériels un magistère d’influence plutôt qu’une autorité fonctionnelle, nous nous réunissons régulièrement ; peut-être pourrions-nous discuter de la manière dont chacun apporterait son concours à une telle mission et envisager l’INSEE comme une sorte de vaisseau amiral du système statistique public.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Il serait en effet préférable que l’INSEE intervienne au stade de l’évaluation des études d’impact, de manière à responsabiliser les services chargés de leur production.

Monsieur le directeur général, je vous remercie.

La séance est levée à 12 heures 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Mandon

Excusés. - M. Philippe Gosselin, Mme Cécile Untermaier