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Mission d’information sur la simplification législative

Jeudi 5 juin 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Laure de La Raudière, Présidente

– Désignation d’un rapporteur en remplacement de M. Thierry Mandon

– Audition de M. David Assouline, sénateur, Président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

La séance est ouverte à 11 heures.

Présidence de Mme Laure de la Raudière, présidente.

La mission procède à la désignation d’un rapporteur en remplacement de M. Thierry Mandon, nommé au Gouvernement.

La mission est saisie de la candidature de M. Régis Juanico. Le nombre des candidats n'étant pas supérieur à celui du poste à pourvoir, M. Régis Juanico est désigné rapporteur de la mission, conformément aux articles 145, 143 et 39 du Règlement.

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La mission d’information procède à l’audition de M. David Assouline, sénateur, Président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Notre mission d’information sur la simplification législative reprend ses travaux par l’audition de M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que je remercie d’avoir accepté notre invitation.

Comme vous le savez, monsieur le président, notre mission entend faire porter ses travaux davantage sur une rationalisation du « flux » normatif que sur la simplification du « stock » des normes législatives et réglementaires.

Nous réfléchissons donc aux moyens de « mieux légiférer » et de provoquer un « changement de culture normative » en nous inspirant des exemples étrangers que nous avons notamment pu étudier lors de nos déplacements à Bruxelles, Londres, Berlin et La Haye.

Notre réflexion porte en particulier sur l’importance d’une évaluation ex ante renforcée et d’une évaluation ex post méthodique, ainsi que, d’une manière plus générale, sur différents aspects de la procédure législative, comme la méthode de transposition des directives européennes.

Nous avons souhaité vous entendre car les questions liées à la « fabrique de la loi » concernent autant le Sénat que l’Assemblée nationale. Les enjeux relatifs à l’évaluation ex post préoccupent en particulier la commission que vous présidez.

Pourriez-vous nous rappeler brièvement quels sont la nature et le degré du contrôle que votre commission exerce sur l’application des lois ? S’agit-il d’un suivi de la publication des décrets d’application ou d’une évaluation de la pertinence et de l’efficacité des dispositifs adoptés au regard de ce qui en était attendu a priori ? En outre, quelle appréciation portez-vous sur l’application des lois votées ? À votre sens, l’obligation faite au Gouvernement de remettre des rapports sur certaines lois est-elle correctement appliquée ? Et l’exploitation de ces rapports est-elle optimale ? D’une manière plus générale, auriez-vous des propositions à formuler pour améliorer l’évaluation ex post ?

M. David Assouline, sénateur, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Merci de me recevoir. Il s’agit d’un moment important car il faut établir des liens entre nos deux assemblées sur ce sujet en particulier. Le contrôle de l’exécutif doit être optimisé grâce à une collaboration plus formelle entre nous.

La qualité de la loi, son effectivité et son efficacité constituent un enjeu démocratique majeur : les citoyens exigent de plus en plus d’avoir un droit de regard sur ce que font les responsables politiques et témoignent d’un grand scepticisme sur l’efficacité de la loi. Or quand une telle distance se crée, c’est la démocratie elle-même qui est mise en question.

L’environnement juridique est de plus en plus complexe et nos concitoyens s’y retrouvent difficilement. La simplification de la législation répond donc à un vrai besoin qui, au-delà des parlementaires que nous sommes, est largement partagé, au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) notamment, laquelle a engagé un travail important dans ce domaine. Je pourrai à cet égard vous remettre les actes d’un colloque que j’ai organisé en décembre dernier au nom de ma commission au Sénat en partenariat avec cette institution sur le rôle des parlements dans l’évaluation et la qualité de la législation.

Le Parlement n’est pas le seul responsable de l’inflation législative. Dans notre système institutionnel, l’essentiel des lois provient de l’exécutif et le Parlement a toute légitimité à vouloir mettre son empreinte en amendant les textes. Au-delà de la responsabilité première de l’exécutif, cette inflation résulte des demandes de la société, des groupes de pression, des associations, qui exigent souvent que nous légiférions, même dans le détail, sur certaines de leurs préoccupations. Or si le Parlement n’est pas associé avant le dépôt des projets de loi, il a tendance à doubler le nombre d’articles par l’adoption légitime d’un certain nombre d’amendements.

Votre mission d’information est nécessaire. Il convient en effet de voir comment, au cours de la procédure législative, évaluer l’impact d’une future loi afin de s’assurer qu’elle pourra s’appliquer convenablement et, en aval, comment contrôler efficacement la publication des décrets d’application, sachant qu’il s’agit d’une prérogative du Gouvernement et que nous ne saurions, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs, nous immiscer dans l’exercice du pouvoir réglementaire. Il y a lieu également d’examiner comment s’assurer, après un certain temps, que la loi répond aux objectifs assignés par le législateur.

La commission que je préside a été créée en 2011 sans aucun modèle. Il nous a fallu inventer. Nous avons tout de suite été confrontés au principe de séparation des pouvoirs. Certes ce dernier est le garant de notre prérogative de contrôle mais nous constatons que nous ne sommes pas dans un système de contrôle du type de celui des États-Unis d’autant que nous n’avons pas les mêmes moyens qu’eux et que nous sommes tributaires en la matière des moyens de celui que nous contrôlons, à savoir l’exécutif, tant pour les études d’impact que pour les évaluations. Sans demander beaucoup plus de moyens financiers – parce que ce n’est pas l’époque –, il faut renforcer les moyens humains et matériels du contrôle de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Deux facteurs récents ont conforté la légitimité de nos questionnements : d’une part, la révision constitutionnelle, qui a affirmé que nous avions autant un rôle de contrôle que de production de la loi ; d’autre part, une prise de conscience accrue par les gouvernements – tant ceux de la fin de la précédente législature que de l’actuelle législature –, de la nécessité de s’atteler à la qualité de la loi et de se doter d’outils performants pour bien mettre en œuvre les politiques publiques.

Le constituant de 2008 a consacré l’étude d’impact comme l’instrument permettant au Parlement de saisir l’effet concret des dispositions qu’il s’apprête à adopter. Mais si cet outil ne peut qu’être approuvé, il a vite montré ses limites. D’abord, ces études se révèlent d’une qualité fort inégale, comme l’a admis le secrétaire général du Gouvernement (SGG) lors de ses auditions devant ma commission : si certaines tendent à mesurer de façon effective l’effet des mesures proposées, sur la base notamment de projections statistiques et de critères quantitatifs précis, d’autres ressemblent plutôt à un exposé des motifs sans réelle valeur prédictive. Ensuite, les assemblées sont mal armées pour vérifier si l’impact est évalué de manière réaliste ou appropriée par les services en charge du texte. De ce fait, les commissions législatives accordent à ces études un intérêt assez restreint, la fiabilité de l’instrument leur paraissant parfois sujette à caution. Encore une fois, faute de moyens propres d’évaluation, le Parlement est plus ou moins obligé de s’en remettre à l’exécutif pour évaluer les mesures que celui-ci lui propose de voter. Enfin, dans leur forme actuelle, les études d’impact comportent une lacune importante : elles n’établissent pas de critères précis permettant de dire ex post si la loi remplit les objectifs qui lui ont été assignés. Il ne faut pas « magnifier » une version statique de l’étude d’impact : des changements politiques ou sociaux peuvent avoir des effets imprévisibles, différents de ceux envisagés dans l’étude d’impact.

Nous allons continuer à publier, en l’améliorant, notre rapport annuel – le prochain sortira dans deux semaines. Au-delà de l’évaluation statistique très précise relative aux décrets d’application des lois, ma commission a décidé depuis son origine d’évaluer la mise en œuvre de certaines lois, en nommant à chaque fois deux rapporteurs, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition. Sont examinés les décrets, mais aussi les circulaires d’application : au-delà des décrets ne correspondant pas complètement à ce qu’a voulu le législateur, on a vu en effet parfois certaines d’entre elles corriger ceux-ci. Nous avons ainsi examiné la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette évaluation a permis de souligner notamment qu’on n’arriverait pas à permettre l’accessibilité des personnes handicapées à tous les lieux publics en 2015 et conduit le Gouvernement à nommer l’une de nos rapporteures parlementaire en mission pour faire des recommandations législatives. Nous avons fait de même avec la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (dite « DALO ») ou sur certains points précis comme l’indemnisation des victimes des essais nucléaires dans le Pacifique et le désert algérien. Ce dernier dispositif, bien que consensuel et très vite mis en place, s’est traduit par un très faible nombre de dossiers éligibles, bien moins important que ce qui avait été envisagé lors de l’élaboration du texte : nous avons donc fait des propositions en la matière, dont certaines ont été retenues.

J’ai cité ces exemples car ils illustrent notre volonté de faire porter le contrôle sur des sujets disparates. Notre action rejoint celle de la commission chargée de l’évaluation des politiques publiques de votre assemblée, le contrôle de l’application de la loi étant indissociable de cette évaluation. Je trouve d’ailleurs dommage que, dans les débats théoriques, l’on dissocie les deux exercices.

S’il est légitime de veiller au « rendement normatif », il convient aussi de voir comment nos concitoyens perçoivent la loi. La loi galvaudée ou incomprise crée une distance entre le législateur et les citoyens et notre crédibilité s’amoindrit. La loi peut être simple mais les moyens pour l’appliquer peuvent faire défaut : faute d’impact concret de la loi dans la vie de nos concitoyens, il se crée une distance entre la première et les seconds.

Quel poids pouvons-nous et devons-nous exercer sur l’écriture des décrets d’application ? Dans différents forums, beaucoup de sénateurs, notamment élus locaux, ont exprimé le souhait de pouvoir quasiment écrire les décrets avec le Gouvernement au motif qu’ils savent mieux que lui la véritable intention du législateur et qu’ils devraient avoir un regard sur la mise en application de la loi au niveau réglementaire. Mais si une collaboration en amont avec l’exécutif est opportune – plus informelle que formelle au demeurant –, cette aspiration à une écriture commune des décrets s’oppose au principe de séparation des pouvoirs.

En revanche, il appartient au Parlement de vérifier que les décrets d’application sont bien publiés en temps utile et correspondent aux intentions du législateur. Sur ce point, je voudrais vous faire part d’un point de satisfaction : alors que notre commission a commencé à travailler à la suite des élections sénatoriales de septembre 2011, le taux de publication des décrets d’application des lois dans les six mois après leur promulgation est passé de 10 % en 2003 à environ 28 % en 2008-2009 et 20 % en 2009-2010, puis à 64 % en 2010-2011, 67 % en 2011-2012, pour atteindre environ 80 % en 2012-2013. Il y a eu en effet une prise de conscience en 2011. J’ai travaillé à l’époque en bonne intelligence avec le ministre chargé des relations avec le Parlement, M. Patrick Ollier, qui, en Conseil des ministres, appelait, par le biais de petites notes, l’attention de ses collègues sur les décrets en retard, dont certains ne nécessitaient pas moins de treize signatures. Ce volontarisme politique, appuyé par une mobilisation sans précédent du secrétariat général du Gouvernement (SGG), a été payant. Nous avons en effet nous-mêmes demandé des comptes, convoqué plusieurs fois le SGG et interpellé le Gouvernement.

Cela dit, je ne crois pas que l’on puisse reconnaître aux parlementaires un droit de saisine des juridictions administratives, soit dans le cadre d’une action en manquement, quand les décrets d’application n’ont pas été publiés, soit pour former un recours contre eux quand ils ne paraissent pas satisfaisants. Nous nous placerions alors en effet sur le même rang que les associations ayant un intérêt à agir. Mais je rappelle que si le fait de ne pas transposer une directive européenne donne lieu à une sanction, il n’en va pas de même quand un décret n’est pas publié…

Mme la présidente Laure de La Raudière. C’est en effet une piste intéressante. À partir du moment où on peut imaginer qu’il y ait une sanction, cela pourrait jouer sur la qualité de la rédaction du texte. J’ai en tête un décret qui n’a pas été pris depuis 2009 car on n’était pas en mesure de le faire : on a créé un dispositif législatif pour satisfaire des exigences politiques sans regarder comment l’appliquer, la loi n’étant pas en l’occurrence la bonne solution. Si une sanction avait existé, peut-être aurait-on davantage réfléchi en amont à la façon dont le décret devait être pris et aurait-on, ce faisant, amélioré la qualité de la loi.

M. David Assouline. Quant aux rapports faits par le Gouvernement sur l’application d’une loi, ils sont de l’aveu même du Secrétaire général du Gouvernement, de contenu très inégal – s’apparentant parfois à une sorte d’exposé des motifs –, voire parfois même pas transmis au Parlement, ce qui explique que nos commissions n’utilisent pas pleinement ces outils dont il faudrait pourtant faire un meilleur usage, même s’ils sont, là encore, élaborés par l’exécutif.

À cet égard, je pense que le contrôle de l’exécutif ne doit pas être le fait d’une seule commission mais de l’ensemble des commissions permanentes. D’ailleurs, ma commission travaille en étroite coopération avec elles, ce qui est nécessaire, car nous n’aurions pas les moyens humains pour produire tous les rapports de la commission que je préside. Quand nous décidons d’étudier tel sujet ou telle loi, nous le faisons en concertation avec la commission compétente et son président, qui mobilise en général une personne de son équipe administrative. En outre, notre rapport annuel est réalisé à partir de rapports préalablement établis par chaque président de commission permanente dans son domaine de compétences. Ceux-ci, qui sont quantitatifs et, de plus en plus, qualitatifs, sont préalablement débattus et adoptés par la commission concernée. La déconcentration du travail permet ainsi de répartir intelligemment la charge en tenant compte des compétences de chacun.

Nous disposons également d’une base de données appelée « Apleg », à laquelle chaque commission a accès. À cet égard, mon premier rapport sur l’application des lois avait suscité une polémique avec le Gouvernement, qui disposait de chiffres beaucoup plus optimistes que les nôtres. Cela tenait notamment à des différences d’évaluation entre nos bases respectives. Depuis, celles-ci ont été harmonisées, ce qui permet d’éviter ce type d’incident.

Mme Cécile Untermaier. Que pensez-vous de l’idée de publier l’étude d’impact bien avant le dépôt du projet de loi pour les textes importants, de manière à permettre au législateur d’avoir plus de temps pour travailler et de faire au besoin des recommandations au moment de l’élaboration de celui-ci ?

Par ailleurs, si on ne peut imaginer une sanction du pouvoir législatif envers le pouvoir exécutif, ne devrions-nous pas envisager un dispositif avisant le citoyen de l’absence de publication d’un décret d’application ?

M. Régis Juanico, rapporteur. Je retiens de votre intervention que le Parlement dispose d’outils et de moyens, relativement complémentaires, sur le contrôle de l’application des lois et leur évaluation. Il existe d’ailleurs d’autres organismes d’évaluation, comme la Cour des comptes, avec laquelle nous devons travailler de façon complémentaire, ce qui est de plus en plus le cas.

Plutôt que de créer inutilement d’autres outils, travaillons avec ceux qui existent déjà : la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois permet un suivi des premiers mois – cruciaux – de la mise en œuvre de la loi ; à l’Assemblée nationale, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) intervient deux à trois ans après la mise en œuvre de la loi, soit en amont du travail législatif, pour enrichir une étude d’impact ou le travail de préparation du texte. Peut-être devrions-nous renforcer la coordination de nos outils de contrôle respectifs entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

Avez-vous réfléchi à la façon d’améliorer l’élaboration des études d’impact et d’y associer des organismes extérieurs à l’exécutif et au législatif ?

Mme la présidente Laure de La Raudière. Comment expliquez-vous que certains décrets – environ 20 % – ne soient pas publiés ? Cela résulte-t-il d’une défaillance de l’étude d’impact ou d’amendements significatifs des parlementaires dont les effets n’ont pas été évalués ? Avez-vous fait une analyse qualitative des décrets qui ne sont pas pris ?

M. David Assouline. Dans certains pays, il y a deux débats : l’un sur l’opportunité de la loi, l’autre sur son contenu. Compte tenu de l’embouteillage constant de l’ordre du jour des assemblées parlementaires, il n’est déjà pas facile d’élaborer la loi. Je suis donc favorable à ce que des documents d’évaluation ayant servi à l’exécutif pour engager la rédaction du texte nous soient transmis le plus tôt possible, avant le dépôt du projet de loi. Je soumettrai en tout cas cette idée au ministre chargé des relations avec le Parlement et au Secrétaire général du Gouvernement lors de leur audition par notre commission – que j’organise traditionnellement avant la publication de mon rapport. Eux-mêmes se seront réunis préalablement dans le cadre du comité interministériel d’application de la loi (CIAL).

L’exécutif pourra toujours nous rétorquer que ni nos propositions de loi ni nos amendements ne sont assortis d’étude d’impact. Nous devons prendre nos responsabilités en la matière et mieux mesurer l’effet de notre propre production législative, ce qui renvoie encore une fois à la question des moyens. À moyens constants, c’est impossible. Il faudrait dès lors assumer devant les citoyens le fait que le Parlement n’a pas suffisamment de moyens alors qu’ils ont l’impression qu’il en a trop et qu’il y a des gaspillages. Cela suppose d’arrêter tous les discours démagogiques et de distinguer la question des moyens personnels de chaque parlementaire de celle des moyens collectifs permettant au Parlement d’assumer son rôle. Nous sommes à cet égard très loin du compte. Je rappelle que les membres du Congrès américain disposent d’une dizaine de collaborateurs très qualifiés pour effectuer des missions de contrôle et qu’ils peuvent commander des études à des organismes indépendants.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que la volonté de rationaliser la production législative et d’éviter la loi bavarde ne soit vécue comme une contrainte excessive par les parlementaires, ce qui réduirait le débat démocratique et notre liberté de légiférer. Il convient donc de trouver un juste milieu.

Lorsqu’un décret n’est pas publié ou qu’il n’est pas conforme à la volonté du législateur, nos commissions parlementaires pourraient jouer un rôle d’alerte. Les semaines de contrôle, voire d’initiative parlementaire, pourraient permettre d’interpeller le Gouvernement en la matière.

M. le rapporteur. Il conviendrait aussi d’avoir une meilleure coordination entre l’ordre du jour du Sénat et celui de l’Assemblée nationale lors des semaines de contrôle.

M. David Assouline. Il est vrai que les deux chambres se livrent parfois aux mêmes contrôles. Dans la mesure où l’on a peu de moyens, autant les rationaliser. Au cours du colloque de l’OCDE que j’évoquais, j’ai d’ailleurs plaidé pour qu’il y ait une coordination régulière entre nos deux assemblées sur le bilan des lois évaluées, les rapports réalisés, le programme de travail. Cela pourrait ainsi se faire entre ma commission et votre comité chargé de l’évaluation des politiques publiques.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Les présidents de commission des deux chambres devraient aussi se réunir plus régulièrement.

M. David Assouline. Ma commission veille à ne pas procéder à des évaluations similaires déjà conduites par une commission permanente.

Pour améliorer les études d’impact, il faudrait demander au Gouvernement qu’il définisse des indicateurs et des normes à cet effet. Mais la solution idéale serait évidemment que les assemblées aient les moyens de produire leurs propres études en la matière.

Plusieurs raisons expliquent l’absence de publication de certains décrets : le caractère « fourre-tout » de certains textes qui impliquent un important travail interministériel ; des changements de contexte politique ou social qui peuvent conduire à renoncer à une mesure ; à une époque, la simple réticence de l’exécutif à l’égard de dispositions qu’il n’a pas souhaitées ; le fait, aussi, que certains décrets soient considérés comme secondaires dans l’ordre des priorités gouvernementales.

Nous avons également à régler le problème des lois bavardes, qui rendent compliquée l’élaboration des décrets d’application, d’autant qu’un texte peut doubler de volume lors de l’examen en commission, puis en séance plénière et ce, alors même que sa version initiale peut comporter une centaine d’articles – souvent parce que sa présentation en a été différée, comme cela semble être le cas du projet de texte sur la création.

Je répète que s’il n’y a pas en amont une collaboration entre le Parlement et l’exécutif, on ne pourra pas nous empêcher de modifier et d’enrichir les textes qui nous sont proposés, sinon le Parlement n’aurait aucun rôle et serait une simple chambre d’enregistrement. Or la loi doit avant tout être lisible, précise et simple. Si nos concitoyens sont censés ne pas ignorer la loi, on fait tout, aujourd’hui, pour qu’ils ne la comprennent pas. Cela ne peut plus durer. À cet égard, la règle selon laquelle il convient de supprimer une norme quand on en crée une est utile. Je rappelle que, selon nos informations, les maires auraient, chaque année, à tenir compte de 80 000 pages de circulaires. Dans ces conditions, beaucoup ne le font pas. Cela explique d’ailleurs que certains maires ne se soient pas représentés lors des dernières élections municipales.

Mme la présidente Laure de La Raudière. En fait, vous préconisez la coproduction législative proposée par Jean-François Copé quand il était président du groupe UMP, avec un travail en amont évitant de rajouter trop d’articles lors du débat parlementaire.

M. David Assouline. À ceci près que cette coproduction était entre le groupe UMP, majoritaire, et le Gouvernement, alors que je suis partisan d’une coproduction entre le Parlement et ce dernier.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je n’y crois pas car dès qu’on débat très en amont de dispositions susceptibles de figurer dans la loi, on fait état de clivages pouvant exister sur un sujet et il est alors compliqué d’obtenir une association réelle et constructive, sauf sur les sujets consensuels.

M. David Assouline. Je ne parle pas tant du débat que des éléments d’appréciation des mesures envisagées.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je comprends mieux.

Mme Cécile Untermaier. On aurait intérêt, encore une fois, pour les textes importants, à disposer de l’étude d’impact bien avant, pour permettre au député qui entend mener un travail de terrain d’avoir le temps d’en apprécier le contenu. J’ai en effet beaucoup de difficultés à organiser des ateliers législatifs citoyens, dans lesquels le projet de loi est examiné en amont afin de permettre aux citoyens de proposer des amendements. Si on adoptait une telle mesure et si tous les députés faisaient cela, la loi et le travail parlementaire seraient sans doute mieux perçus.

M. David Assouline. Certes, mais plus les travaux préparatoires sont longs et donnent lieu à concertation, plus les citoyens nous reprochent un manque d’efficacité. Le temps législatif s’est modifié avec le quinquennat et nous sommes élus pour agir vite, de manière à ce que nos concitoyens voient concrètement dans leur vie la traduction des choix politiques qu’ils ont faits. Or les procédures actuelles de « fabrication » de la loi leur paraissent déjà longues.

Quel que soit le Gouvernement, ce problème, qui est lié à un monde plus rapide et où l’instantanéité est devenue quasiment la règle, se posera de plus en plus. Pourtant, le travail législatif, parce qu’il tient compte de certaines exigences démocratiques, ne peut pas s’accélérer au-delà de certaines limites. Ainsi, les mêmes citoyens qui nous reprochent de ne pas assez les consulter peuvent également déplorer qu’on ne prenne pas de mesures assez vite. La question est de savoir comment concilier ces deux exigences.

Mme la présidente Laure de La Raudière. Je vous remercie. Il serait bon en effet de travailler davantage avec le Sénat sur ces sujets – et de façon plus formelle.

* *

La séance est levée à 12 heures 25.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Régis Juanico, Mme Laure de La Raudière, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - M. Étienne Blanc, M. Philippe Gosselin, Mme Marietta Karamanli