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Mercredi 11 mai 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur les compteurs déportés « Linky » et « Gazpar », avec la participation de : MM. Bernard Lassus, directeur du programme Linky, et Pierre Guelman, directeur des affaires publiques d’ERDF ; MM. Jean Lemaistre, directeur général adjoint, et Olivier Béatrix, directeur juridique de GRDF ; M. André Flajolet, président de la commission Environnement de l’Association des maires de France (AMF) ; M. Pierre Le Ruz, président du centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM) ; MM. Jean-Luc Dupont, vice-président, Pascal Sokoloff, directeur général, Jean Facon, directeur adjoint, et Charles-Antoine Gautier, chef du département énergie de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ; MM. Étienne Cendrier, porte-parole, et Vincent Corneloup, conseil de l’association Robin des Toits ; M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie ; MM. Nicolas Mouchnino, expert énergie, et Guilhem Fenieys, chargé de mission relations institutionnelles de l’UFC Que Choisir ; M. Gilles Brégant, directeur général, et M. Bernard Celli, directeur de la stratégie de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et M. Olivier David, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables au ministère de l’environnement

Mission d’information commune sur l'application de la loi n° 2015-992
du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

La Mission d’information commune a organisé une table ronde sur les compteurs déportés « Linky » et « Gazpar », avec la participation de : MM. Bernard Lassus, directeur du programme Linky, et Pierre Guelman, directeur des affaires publiques d’ERDF ; MM. Jean Lemaistre, directeur général adjoint, et Olivier Béatrix, directeur juridique de GRDF ; M. André Flajolet, président de la commission Environnement de l’Association des maires de France (AMF) ; M. Pierre Le Ruz, président du centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM) ; MM. Jean-Luc Dupont, vice-président, Pascal Sokoloff, directeur général, Jean Facon, directeur adjoint, et Charles-Antoine Gautier, chef du département énergie de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) ; MM. Étienne Cendrier, porte-parole, et Vincent Corneloup, conseil de l’association Robin des Toits ; M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie ; MM. Nicolas Mouchnino, expert énergie, et Guilhem Fenieys, chargé de mission relations institutionnelles de l’UFC Que Choisir ; M. Gilles Brégant, directeur général, et M. Bernard Celli, directeur de la stratégie de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et M. Olivier David, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables au ministère de l’environnement.

La table ronde débute à seize heures quarante.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis heureux d’accueillir les participants à notre table ronde sur les compteurs déportés « Linky » et « Gazpar ».

Je suis entouré de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Julien Aubert, rapporteurs de la mission d’information commune sur l’application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de Mme Martine Lignières-Cassou, de Mme Béatrice Santais et de M. Bernard Accoyer.

Je souhaite aussi la bienvenue à MM. les inspecteurs généraux Bernard Flury-Hérard et Jean-Pierre Dufay, qui ont été missionnés par Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, le 27 avril dernier.

Le sujet de la table ronde d’aujourd’hui suscite un grand intérêt sur les réseaux sociaux, au sein des conseils municipaux et des territoires. Le coût des opérations, l’intrusion dans la vie privée, les incidences sur la santé publique sont autant d’éléments qui font débat. Cette table ronde aura atteint son but si elle peut servir à clarifier les choses.

Note réunion sera organisée autour de quatre thèmes. Le premier thème portera sur l’économie d’ensemble des opérations Linky et Gazpar, les avantages attendus pour le consommateur, le coût, les financements, les incidences sur l’emploi, le rythme de déploiement, les effets attendus sur la consommation et l’effacement. Le deuxième thème abordera la question de l’incidence des ondes sur la santé et le troisième thème celle de l’intrusion dans la vie privée des abonnés. Le dernier thème aura trait aux questions juridiques, et notamment à l’existence ou non d’un droit pour les communes de s’y opposer.

ÉCONOMIE D’ENSEMBLE DES OPÉRATIONS LINKY ET GAZPAR

M. Bernard Lassus, directeur du programme Linky. Je suis très heureux de pouvoir aborder le sujet du compteur Linky dans le cadre de la politique de transition énergétique.

Pourquoi remplacer les 35 millions de compteurs actuels ? Les réseaux se modifient énormément et s’adaptent à une production répartie sur l’ensemble du territoire. On passe d’une approche très centralisée à une approche très répartie et à l’intégration des énergies renouvelables – on compte environ 350 000 producteurs d’énergies renouvelables sur le réseau de distribution et on peut penser qu’ils seront un million d’ici à 2020. Nous commençons à voir la multiplication des bornes de recharge des véhicules électriques. Dans la région niçoise, nous expérimentons le développement des smart grids, et notamment du stockage.

Pour fournir une offre de qualité à l’ensemble des consommateurs français, il va donc falloir des modes de pilotages différents. Pour ce faire, nous avons besoin de données et des matériels bidirectionnels, car on peut à la fois consommer et produire. Le compteur Linky est capable de donner ces deux possibilités à un grand nombre d’acteurs – consommateurs, collectivités territoriales, fournisseurs – qui pourront disposer d’informations de qualité pour faire le meilleur choix.

Le compteur Linky fait partie de la modernisation des réseaux de distribution que nous avons déjà entamée, notamment sur la moyenne tension, dans le cadre de notre mission de concessionnaire : il est de notre responsabilité d’assurer la modernisation, l’exploitation, la maintenance et l’accès non discriminatoire aux réseaux de distribution des fournisseurs. Mais nous ne sommes pas les seuls à le faire : 35 millions de compteurs communicants sont déjà installés en Italie, 15 millions en Espagne. Au total, environ 300 millions de compteurs communicants existent déjà dans le monde et il devrait y en avoir un milliard en 2020, car cela correspond à un enjeu de maîtrise de l’énergie.

Les compteurs classiques, dont la conception remonte aux années soixante – ou quatre-vingt-dix s’ils ont été rénovés – visaient à favoriser l’accès à la consommation et d’accompagner le développement de l’après-guerre, mais ils ne permettent pas de transférer des données. Vingt millions de compteurs environ datent des années soixante et 15 millions des années quatre-vingt-dix. Nous en remplaçons à peu près 1 million par an, que nous recyclons grâce au secteur protégé.

Le déploiement des nouveaux compteurs est prévu par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et par une directive européenne. Déjà 800 000 compteurs ont été installés en France ; 300 000 avaient déjà été mis en place dès les années 2010 afin de faire bénéficier ERDF d’un retour d’expérience technique et sanitaire.

Depuis le 1er décembre 2015, 400 communes sont concernées par le déploiement des compteurs Linky. Environ 700 techniciens sont affectés à leur installation. Hier, nous avons battu notre record de pose avec 8 000 compteurs installés par jour.

Toutes les procédures que nous mettons en place ont fait l’objet de nombreuses concertations dans le cadre de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ou des groupes de suivi animés par la Direction générale et l’énergie et du climat (DGEC).

Le programme Linky coûte 5 milliards d’euros. Ce montant englobe l’achat du matériel et la pose, qui représente 48 % du coût global en raison d’une particularité de la France : les compteurs sont installés à l’intérieur des logements, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays. Ce qui fait qu’un poseur en Espagne installe treize compteurs par jour, contre huit et demi en France à cause des rendez-vous qu’il faut prévoir chez le client.

L’analyse économique a été validée par la CRE et le programme Linky est financé par ERDF. Ce projet est totalement équilibré dans le périmètre du distributeur, qui s’y retrouve grâce à la disparition de l’énergie non facturée liée aux dysfonctionnements de comptage, à la fraude, aux logements vides. La télé-opération permet de détecter les problèmes beaucoup plus rapidement.

Le compteur et sa pose sont gratuits pour le consommateur. Cette approche économique ne prend pas en compte les estimations de la CRE, à savoir un gain potentiel de 1 % de consommation sur vingt ans, ce qui correspond à 2 milliards d’euros environ.

Le programme Linky représente 10 000 emplois sur six ans, dont 2 000 emplois d’ores et déjà créés. Le compteur Linky est totalement made in France, réalisé par six constructeurs sont situés sur le territoire national : Cahors, Sagemcom à Dinan – où cela a sauvé un site industriel –, Montluçon, Fontaine près de Grenoble. Je le dis très simplement : Linky crée des emplois, il n’en détruit pas. Les 1 200 personnes qui étaient jusqu’à présent chargées des relevés tous les six mois font l’objet d’un accompagnement. Du reste, la plupart d’entre eux sont impliqués dans la pose. Quant aux autres, ils sont accompagnés dans des processus de diversification.

Les compteurs ont une durée de vie de vingt ans. Ils nécessitent des processus de qualification extrêmement poussés car ils embarquent de nombreuses innovations et notamment un système de protection de très haut niveau en termes de cybersécurité. Ils utilisent un protocole dit G3, invention française qui est ce que l’on fait de mieux au monde en matière de courant porteur en ligne (CPL). Cela offre encore d’autres perspectives très intéressantes pour les usines implantées en France, notamment sur le marché international.

Quels sont les avantages pour le client ? D’abord le confort. Jusqu’à présent 70 % des activités nécessitaient un rendez-vous. 11 millions d’interventions environ requièrent un contact client. Désormais, 60 % de ces activités pourront se faire à distance et sans dérangement des clients.

Ensuite, la maîtrise de la consommation d’électricité sera facilitée. Nous déployons un site qui permet de créer un espace privatif, où nous donnons la possibilité à chaque client de suivre sa consommation dans un espace totalement sécurisé, conforme aux recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Mais cela ne suffit pas : on sait que l’approche sur la maîtrise de l’énergie est associée au comportement, à un aspect pédagogique. C’est pourquoi nous travaillons avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) pour diffuser un ensemble de bonnes pratiques. Le compteur sert à mesurer les progrès réalisés par l’utilisateur et chacun sait ainsi où il en est dans le domaine de la maîtrise de l’énergie.

La télé-opération à distance permet des gains très directs sur le coût de certaines prestations. Par exemple, celui de la mise en service de l’électricité est divisé par deux, celui d’une augmentation de la puissance du compteur pour répondre aux exigences d’un nouvel équipement, par exemple, est divisé par dix ; il est même gratuit lors de la première année de pose.

Il faut également savoir que la moitié des réclamations que nous recevons porte sur la facturation. Le compteur Linky permet une facturation de la consommation réelle et au fournisseur d’énergie de développer de nouvelles offres.

Le déploiement des 35 millions de compteurs permettra d’accompagner les enjeux de la transition énergétique et numérique avec un matériel made in France de qualité et qui répond notamment aux normes sanitaires. Notre réseau de distribution, rappelons-le, apporte l’électricité à l’ensemble des Français ; la qualité de fourniture en tout point du territoire est un enjeu et une priorité essentielle pour ERDF, et Linky vise précisément à l’améliorer. Il va aussi de soi que les investissements du projet Linky n’affectent pas les autres investissements dédiés à l’entretien des réseaux : les montants affectés à la modernisation du réseau, l’enfouissement, et autres ont été maintenus à 3,2 milliards pour 2015. Tous les investissements réalisés par ERDF sont faits dans l’intérêt des clients et des collectivités : l’installation des nouveaux compteurs communicants est pour nous un projet d’intérêt général.

MM. Jean Lemaistre, directeur général adjoint de GDRF. Je suis très heureux de pouvoir vous présenter le projet Gazpar et ses principales caractéristiques.

Notre réflexion a commencé en 2008, sous l’égide de la CRE, avec l’ensemble des parties prenantes – fournisseurs, collectivités territoriales, clients, associations de consommateurs. Il s’agissait de savoir s’il était intéressant de développer des compteurs communicants pour le gaz, comme cela était envisagé pour l’électricité, mais également pour l’eau. Il faut savoir qu’il y a aujourd’hui en France 5 millions de compteurs d’eau télé-relevés communicants, qui fonctionnent suivant une approche assez similaire à celle que nous avons retenue pour le gaz.

Cette concertation a débouché, dans les années 2010-2011, sur quatre expérimentations dans quatre communes françaises, destinées à tester les technologies, l’interaction avec les clients, prendre l’avis des collectivités territoriales et affiner notre projet. Parallèlement à ces expérimentations, une étude a été réalisée sous l’égide de la CRE pour déterminer la rentabilité d’un tel projet, son coût et les avantages pour le client. Elle a débouché sur une délibération de la CRE, une décision du ministre, enfin sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui a consacré définitivement le projet en précisant un certain nombre de modalités.

Quels sont les objectifs de ce projet ?

Premièrement, la satisfaction des clients. Actuellement, les compteurs sont relevés deux fois par an. Mais les clients sont souvent absents lors des relèves, les index sont estimés, ce qui occasionne beaucoup de tracas. Pouvoir disposer d’index réels tous les mois, voire tous les jours, constitue une grande avancée. Et cela évite notamment les erreurs de facturation.

Deuxièmement, l’efficacité énergétique. Comme on ne peut économiser que ce que l’on mesure, disposer de deux relevés par an ne constitue pas un outil puissant pour permettre un suivi précis de sa consommation, donc des économies. Les comparaisons réalisées avec l’Irlande et l’Angleterre ont montré que l’on pouvait atteindre 2 % d’économies d’énergie avec un système tel que Gazpar.

Troisièmement, l’infrastructure qui sera déployée nous permettra d’optimiser et de moderniser notre réseau, d’en améliorer le fonctionnement, et de préparer l’arrivée du biogaz, du gaz naturel pour véhicules (GNV) et les grandes évolutions liées à la croissance verte et à la transformation du réseau de gaz lui-même.

Le principe de fonctionnement consiste à équiper les compteurs d’émetteurs radio qui transmettent chaque jour les index constatés. Cette émission radio est récupérée par des concentrateurs qui, à leur tour, par un système GPRS classique, réacheminent les données vers le système d’information de GRDF. Dès lors, elles peuvent être réacheminées chez les fournisseurs et sont bien évidemment mises à la disposition des clients.

Le coût global du projet s’élève à 1 milliard d’euros, dont la moitié environ correspond au matériel, un tiers à la pose des matériels – les compteurs et les concentrateurs – et 15 % au pilotage de l’opération et au coût de transformation des systèmes d’information qui sont relativement importants, tant chez GRDF que chez les fournisseurs. C’est à partir des conclusions de l’étude de Pöyry, réalisée sous l’égide de la CRE, que la décision a été prise de lancer le programme sachant qu’il devrait entraîner environ 700 millions d’euros d’économies pour le distributeur et 1,2 milliard d’économies liées à l’efficacité énergétique et à la réduction de la consommation chez les clients.

Ce gros projet industriel a été l’occasion de faire émerger une filière d’excellence dans le domaine du comptage gaz en France avec des partenaires industriels comme Sagemcom, Itron, Diehl Metering – l’usine Itron de Reims et celle de Sagemcom à Dinan, qui fabrique des compteurs Gazpar en plus des compteurs Linky. Bien sûr, tout n’est pas fait en France. Mais si certains composants sont fabriqués à l’étranger, les compteurs sont assemblés en France. Et c’est bien sûr la pose qui est la plus créatrice d’emplois, puisqu’elle est réalisée localement.

Nous sommes actuellement en phase pilote, avec quatre opérations de déploiement : une en région parisienne sur les communes de Rueil-Malmaison et Puteaux, une dans les quatrième et neuvième arrondissements de Lyon et à Caluire-et-Cuire, une au Havre, une dernière expérimentation enfin dans la région de Saint-Brieuc qui est une zone moins dense.

Ces opérations pilotes ont un double objectif : elles nous permettent de tester à grande échelle le déploiement du compteur, en complément des expérimentations qui ont déjà été réalisées en 2010-2011, mais également de tester avec les collectivités territoriales, les associations et toutes les parties prenantes – nous avons un partenariat avec l’ADEME – quelles utilisations peuvent être faites de ces données et d’avoir des retours d’expérience. Bien sûr, les fournisseurs sont très directement impliqués dans ces opérations et jouent un rôle éminent dans la démarche.

Le déploiement sera généralisé l’année prochaine et devrait s’achever en 2022. Quant au déploiement des concentrateurs, il précédera un peu celui des compteurs eux-mêmes puisqu’il est prévu de les déployer sur une période de quatre ans.

En conclusion, ces compteurs sont la première brique de l’émergence des smart grids qui sont basés sur les utilisations hybrides chez le client, l’insertion des énergies renouvelables (EnR) dans le réseau, bref, la complémentarité des réseaux et des énergies avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’informatique et des télécoms dans nos réseaux. Cela permet non seulement une optimisation au niveau des grands parcs de production, comme c’était le cas depuis longtemps, mais également une optimisation locale, au niveau des territoires, entre les différents réseaux et énergies.

M. André Flajolet, président de la commission Environnement de l’Association des maires de France (AMF). Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé cette table ronde qui permet à différents points de vue de pouvoir se rencontrer.

L’AMF est d’autant plus intéressée qu’elle est en première ligne dans cette affaire sur ce qui se passe sur le terrain. On constate qu’il y a, dans cette rupture technique que je découvre pour partie aujourd’hui, une grande incompréhension à la fois de la part des maires et des citoyens.

Le président de l’AMF, François Baroin, a écrit au Premier ministre et à Mme Ségolène Royal, la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, pour leur demander des précisions scientifiques. La question est de savoir s’il est possible d’avoir un point précis de la part des différents scientifiques, afin d’éviter que le médiatique ne l’emporte sur le savoir.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous aborderons ce sujet dans le cadre du deuxième thème.

M. Olivier David, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables au ministère de l’environnement. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé cette table ronde. Le déploiement des compteurs communicants a été inscrit, par la voie d’un amendement parlementaire, dans l’article 74 de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dite loi « POPE », puis enrichi par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Cette opération est donc encadrée par la loi, par des textes réglementaires ainsi que par une directive européenne de 2009 qui prévoit le déploiement des compteurs communicants au sein des pays européens.

Le déploiement du compteur Linky est encadré par un décret de 2010 puis par un arrêté qui définit ses prescriptions techniques. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas ERDF mais la réglementation qui a défini ce que devait être Linky et les services qu’il devait rendre.

L’État a fixé des objectifs à ERDF : le remplacement de 80 % des compteurs d’ici au 31 décembre 2020 et que 100 % des compteurs soient communicants à l’horizon 2024.

Ce n’est pas faire injure à ERDF que de dire qu’il gère actuellement le réseau du XXsiècle avec des postes sources, un réseau descendant : l’électricité provient de grosses installations de production et va chez le consommateur final. Avec Linky, ERDF va passer au réseau du XXIsiècle, dans lequel un grand nombre d’installations de production d’électricité sont branchées directement sur le réseau de distribution.

Linky coûte zéro euro au consommateur d’électricité. Ce n’est pas en effet le consommateur d’électricité qui paye Linky, mais le réseau. Ce sont les économies réalisées sur le réseau qui permettront de financer le déploiement de Linky. La tarification des réseaux est arrêtée par la Commission de régulation de l’énergie qui a validé ce modèle dans lequel les investissements de Linky sont pris en charge par ERDF avant d’être remboursés par les économies réalisées sur le réseau.

Linky a une multitude d’intérêts pour le consommateur. Le consommateur sera facturé sur sa consommation réelle et il n’aura plus besoin d’être présent lors du relevé du compteur. Mais il rend également une foule de services : ainsi, le consommateur qui possède un panneau solaire et qui injecte de l’électricité sur le réseau doit actuellement avoir deux compteurs, un pour consommer et un autre pour injecter l’énergie du panneau solaire dans le réseau. Comme Linky marche dans les deux sens, on n’aura plus besoin de poser un second compteur lorsqu’on souhaite installer un panneau solaire.

Le législateur a souhaité également que les consommateurs précaires puissent bénéficier gratuitement d’un afficheur déporté qui leur permettra de connaître leur consommation en temps réel.

Linky permettra aussi d’accompagner la transition énergétique et de mettre en œuvre un grand nombre de dispositions de la loi, par exemple le service de flexibilité locale. Il s’agit d’une expérimentation dans laquelle, à l’aval d’un poste source, des consommateurs et des producteurs pourront s’entendre pour que les consommateurs consomment l’électricité produite en aval du même poste source, autrement dit pour équilibrer la production et la consommation au niveau local et ainsi réaliser des économies sur le réseau qui pourront être restituées aux consommateurs et aux producteurs.

La loi prévoit également un accès beaucoup plus aisé aux données, notamment pour les collectivités, à la maille de 2 000 habitants. Cela permettra aux collectivités d’établir beaucoup plus simplement des plans climat et conduire des politiques de maîtrise de l’énergie.

M. Julien Aubert, rapporteur. Vous dites que le consommateur ne paiera pas le compteur Linky. Mais le consommateur est traditionnellement aussi un contribuable : le coût doit fatalement être répercuté…

M. Olivier David. Non.

M. Julien Aubert. Comme rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, je crains que quelqu’un ne paie et que cela ne finisse par des impôts.

Ce qui m’interpelle, c’est votre raisonnement quelque peu téléologique. Vous avez en effet expliqué l’intérêt de Linky par rapport au contexte actuel ; mais celui-ci n’était pas encore connu lorsque l’on a fait ce choix, en 2004. Ainsi, vous vous réjouissez que ce compteur permette de moduler le réseau et d’utiliser de petits systèmes de production d’électricité de type panneau solaire ; mais en 2004, même si l’on pouvait s’attendre à un développement des énergies renouvelables, il n’avait pas encore été décidé de passer à la vitesse supérieure. Quelle était donc la véritable raison initiale de la mise en place du compteur Linky ? Vous avez dit qu’il s’agissait d’un amendement parlementaire, ce qui m’a quelque peu surpris, même si je m’en félicite. Y a-t-il eu une pression, une volonté européenne ?

Mais depuis 2004 est apparue une autre évolution technologique : le smartphone, dont certaines applications permettent de contrôler à distance sa consommation et de bénéficier d’informations intelligentes. Certes, certains éléments sont nés entre-temps qui justifient le déploiement du compteur Linky, mais en sens inverse, n’existe-t-il pas d’ores et déjà des applications technologiques qui permettent de penser que ce compteur sera déjà dépassé en 2024 ?

M. Olivier David. Le choix a été fait en 2004, c’est-à-dire avant la directive européenne puisqu’elle date de 2009. La loi dite « POPE » n’avait pas pour objectif la transition énergétique, mais de réaliser des investissements sur le réseau. Si le compteur Linky coûte zéro euro au contribuable et au consommateur, c’est parce qu’il permettra d’économiser des investissements et des interventions techniques directement sur le réseau et de réduire les coûts pour le réseau. C’était bien l’idée de départ.

Prenons un exemple simple : actuellement, si une panne survient, ERDF ne sait pas où elle se situe et n’est même pas capable de savoir s’il y a une panne, si ce n’est à cause des consommateurs qui appellent pour la signaler. C’est seulement lorsque dix ou vingt personnes d’un même secteur appellent pour avertir qu’il y a une coupure d’électricité qu’ERDF se doute qu’il y a un problème, et envoie sur place un technicien. Avec Linky, ERDF pourra interroger le compteur de la personne qui appelle et savoir immédiatement où est la panne. Cela évite des coûts d’intervention sur le réseau. Ainsi, indépendamment des aspects liés aux énergies renouvelables et à la production énergétique, Linky a un intérêt immédiat sur le plan de la gestion au sens strict.

M. Bernard Lassus. Linky est un matériel, mais aussi un outil évolutif téléchargeable à distance. On peut sans cesse le réactualiser en fonction de la modernité qui se crée. Ce n’est pas un outil figé sur vingt ans ; il pourra suivre les évolutions et c’est précisément tout son intérêt. Du reste, les retours d’expérience de 2010 nous ont conduits à le modifier considérablement par rapport à ce que nous avions prévu en 2004.

M. Jean-Luc Dupont, vice-président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Je suis à la fois vice-président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies et président du syndicat départemental d’énergie d’Indre-et-Loire qui a servi de territoire expérimental pour le déploiement de Linky en 2010 et 2011. À ce titre, nous avons un retour de cinq ans sur les problèmes qu’a pu poser le déploiement.

M. David a expliqué très clairement que le bilan économique est compensé par les économies gérées sur le réseau. Bien entendu se pose le problème du préfinancement à travers le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) : à l’heure où l’on déploie, comme les économies n’ont pas encore été concrétisées, il faut bien que quelqu’un paye. Une partie du TURPE, autrement dit une des composantes de la facture de l’usager, est donc affectée à ERDF pour financer le projet. Cela dit, elle sera compensée, sur la durée d’amortissement de l’opération, par les économies réalisées. C’est un sujet sur lequel les collectivités locales que nous représentons au sein de la FNCCR nous avaient immédiatement alertés. Nous avons demandé à la CRE que cette ligne soit clairement lisible dans le TURPE sur la durée pour éviter que cette somme ne perdure vingt ans plus tard, comme cela arrive parfois lorsqu’on oublie de l’enlever…

L’enveloppe globale est estimée à 5 milliards, mais ni vous ni moi, ni M. Lassus ne peuvent la mesurer précisément. Quelques incertitudes peuvent voir le jour dans le cadre du déploiement. Cela étant, l’équilibre doit se faire au travers de ces missions.

La directive de 2009 et les recommandations de la CRE indiquaient d’ores et déjà que le nouveau dispositif devait bénéficier à quatre grands gagnants.

Le premier est l’usager, qui doit pouvoir générer des économies d’énergie. Une information dynamique lui permettra de changer ses modes de consommation.

Le deuxième grand gagnant sera le fournisseur qui aura des typologies de profils de clients. Il pourra donc proposer des offres tarifaires adaptées qui permettront de faire chuter les coûts – tarifs différents selon les heures de la journée, la saison, en fonction de la production d’énergies renouvelables, etc.

Le troisième grand gagnant doit être le distributeur qui, grâce à un meilleur pilotage à distance qui lui évitera de devoir déplacer des hommes partout sur le réseau, va optimiser ses coûts d’exploitation du réseau.

Enfin, les collectivités locales, propriétaires des réseaux, donc du compteur, pourront passer, grâce aux données qui leur seront fournies, d’un mode curatif à un mode préventif. En tant qu’autorité organisatrice de la distribution, nous faisons des travaux, au même titre qu’ERDF, sur des réseaux de distribution dans les territoires. Aujourd’hui, le seul moyen d’améliorer la qualité, c’est lorsque le client se plaint. L’analyse de relevés de données en amont permet de s’apercevoir, grâce aux courbes de charge, que le réseau arrive à la limite de la contrainte, et donc de programmer en conséquence les investissements sur le réseau, sans attendre la coupure ou la chute de tension. Passer de l’aspect curatif à l’aspect préventif doit largement servir l’usager, sur le plan des coûts, mais aussi sur celui de la qualité de la desserte ; vous savez aussi bien que moi que l’équité de traitement entre les zones urbaines et les zones rurales en matière de qualité d’électricité n’est pas tout à fait au niveau que nous souhaiterions tous.

Pour l’heure, le pilotage à distance fonctionne très bien pour le gestionnaire ; tout laisse à penser que, demain, les fournisseurs tireront profil des données qui leur seront transmises. Mais il faudra veiller à ce que, à terme, l’objectif soit respecté pour les quatre catégories.

M. Nicolas Mouchnino, expert énergie à l’UFC Que Choisir. Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir invités à participer à cette table ronde.

L’UFC Que Choisir est en contact permanent avec les consommateurs. Depuis le mois de décembre 2015, date du déploiement du compteur Linky, nombre de consommateurs nous ont fait part de leurs craintes et de leurs questions. Nous devons pouvoir leur répondre, mais nous ne pouvons pas le faire sur certains points.

Je suis bien ennuyé pour vous parler des avantages du compteur Linky pour le consommateur, car ils n’ont jamais été évalués. Les solutions proposées aujourd’hui ne sont pas nombreuses. Le compteur devait permettre avant tout de maîtriser sa consommation. La directive européenne avait prévu une première analyse obligatoire coûts-bénéfices préalablement au déploiement ; or le périmètre de l’étude a été circonscrit au distributeur, le consommateur n’a pas été pris en compte. Depuis 2007, date du lancement du projet Linky, autrement dit depuis huit ans, aucune expérimentation n’a été menée avec les consommateurs pour évaluer des solutions techniques de consommation, des conditions techniques de domotique ou d’efficacité énergétique. Nous les avons pourtant demandées pendant très longtemps. Au final, aucun service n’est développé. ERDF propose seulement une information au consommateur sur les kilowattheures. Le consommateur va voir son compteur remplacé, mais Linky ne lui apportera aucun avantage par rapport au précédent.

Certains blocages techniques risquent de perdurer, notamment en ce qui concerne la transmission des données, si l’on ne les prend pas en compte dès aujourd’hui. Les solutions visant à maîtriser la consommation qui pourront être proposées ultérieurement risquent d’être très complexes pour le consommateur. Aussi peut-on craindre que les consommateurs et les industriels, qui développent des technologies de maîtrise de la consommation, ne valident pas ce compteur.

Alors que le projet a été lancé en 2007, c’est seulement maintenant que l’on aborde la question de la communication entre le compteur et l’afficheur déporté. On avait pourtant eu tout le temps de pratiquer des tests et de définir des protocoles, des moyens de communiquer, de définir les services qui seraient déployés.

Le compteur Linky n’est pas gratuit pour le consommateur. Sinon, les économies engendrées lui reviendraient. Cela dit, sa facture ne changera pas, toutes choses égales par ailleurs. Autrement dit, il n’y a pas de surcoût, mais pas de gratuité pour autant.

M. Étienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des Toits. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé cette réunion.

L’association Robin des Toits s’unit à la lutte contre le changement climatique et encourage toute disposition visant à protéger les personnes, la vie et l’environnement.

De ce point de vue, l’utilisation d’un compteur communicant est vertueuse. Elle permet même de repérer les pointes de consommation et de commander un délestage de tout ou partie du réseau de façon rationnelle et non plus par des estimations de grande échelle obligeant de plonger dans le black-out un quartier entier d’une ville, comme cela se pratique encore aujourd’hui en cas de panne majeure.

Pour la première fois, nous pourrions véritablement connaître et maîtriser la quantité d’électricité acheminée et consommée sur les réseaux, anticiper de façon extrêmement minutieuse tout problème et maîtriser nos dépenses énergétiques – délestage du chauffage électrique des particuliers en heure de pointe. C’est la pierre angulaire qui doit nous permettre de diminuer notre consommation d’électricité.

Cependant, en ce qui concerne la technologie permettant la communication du compteur, qu’il s’agisse du comptage de l’électricité, du gaz ou de l’eau, nous sommes en total désaccord avec la solution actuelle qui consiste à utiliser un module radiofréquence – GPRS, GSM ou Wifi – ou CPL incorporé dans le compteur. La technologie radiofréquence-CPL ne nous semble pas en effet appropriée pour des raisons techniques et de santé publique.

Lorsque le réseau subit trop d’engorgement, en cas d’accident sur une ligne électrique qui risque de conduire au black-out d’une zone par exemple, le nombre de données à envoyer est très important. Le temps de traitement, avec les solutions à radiofréquences, est donc de plusieurs minutes, ce qui annule les bénéfices dont a absolument besoin le réseau électrique pour sa stabilité – réactivité exigée de l’ordre de quelques secondes. À quoi bon changer de compteur pour une solution qui ne permet pas un délestage fin du réseau et qui, par essence, est contraire à l’esprit de la réglementation thermique 2012, dite « RT2012 » régissant l’énergie dans les bâtiments ?

De plus, les technologies de communication par radiofréquences ne sont pas infaillibles, et s’il faut doubler le message ou l’accompagner d’un retour pour vérification, c’est le trafic, donc la nuisance, qui devra être doublé, voire triplé.

Une solution simple, économique, toute trouvée et en phase avec les exigences environnementales les plus pointues, serait de passer par le réseau téléphonique classique existant, surtout dès lors qu’il utilise la fibre optique, particulièrement sûre et puissante, ce qui aurait un nombre incomparable de vertus.

En effet, passer par le réseau téléphonique classique présente plusieurs avantages.

Cela permet d’abord une grande rapidité de transmission des informations et de leur vérification, le réseau équipé pour l’internet filaire très haut débit étant fréquemment en fibre optique – contre le passage de l’engorgement du réseau GSM.

Cela permet aussi une fiabilité de la réponse. Le réseau téléphonique est alimenté indépendamment du réseau électrique ; le compteur communicant est donc assuré de fonctionner correctement même en cas de black-out, ce qui n’est pas le cas avec les solutions retenues actuellement.

Cela permet encore une économie d’énergie. Le module GSM prélève son alimentation sur le réseau électrique, et disperse l’énergie du signal dans l’espace. Un module téléphonique classique, quant à lui, n’envoie qu’une petite impulsion instantanée sur le réseau téléphonique, qui de plus est autoalimenté. Ne dispersant pas d’énergie dans l’espace, il est, par principe, plus économe.

Cela permet enfin d’éviter les problèmes de compatibilité électromagnétique. Beaucoup d’appareils domestiques et professionnels sont sensibles aux ondes de la téléphonie mobile – appareils médicaux notamment – et leur interférence peut résulter en un dysfonctionnement critique et imprévisible.

J’en viens aux avantages supplémentaires du point de vue des réseaux. Ils sont au nombre de trois.

Premièrement, une économie matérielle. La plupart des modules communicants par internet filaire – réseau téléphonique filaire – ont une entrée impulsion permettant d’équiper tous les anciens compteurs sans les changer. Tous ces compteurs possèdent en effet un module qui permet de les connecter en filaire.

Deuxièmement, une économie d’infrastructure. Il n’est pas nécessaire d’implanter de nouvelles antennes, ce qui permettra de faire des économies en matière de pollution électromagnétique.

Troisièmement, une économie d’énergie. Ces antennes non installées n’auront pas besoin d’être alimentées.

Pourquoi se passer d’un réseau de téléphonie fixe, qui est le réseau le plus fiable, amorti depuis longtemps et le plus équitablement réparti sur le territoire français ?

Quant aux économies financières, elles sont sans comparaison avec tous les systèmes qui viennent de nous être exposés.

En conclusion, nous ne comprenons donc pas que la technologie du sans-fil ait été retenue puisqu’elle est beaucoup moins fiable que la technologie filaire dont nous disposons actuellement et qui de surcroît permettrait de déployer ce dispositif sans risque de créer des inégalités de traitement entre les zones urbaines et les zones rurales.

M. Fabien Choné, directeur général délégué de Direct Énergie. Avec 1,7 million de sites clients, dont trois quarts pour l’électricité et un quart pour le gaz, Direct Énergie est le troisième fournisseur d’électricité et de gaz en France. 80 % sont des clients résidentiels et 20 % des clients professionnels. Nous sommes également producteurs d’électricité ; nous exploitons une centrale à gaz située dans le centre de la France.

Le projet a été estimé équilibré aux bornes du distributeur. Se pose toutefois la question du point de vue économique face au point de vue financier : on a bien vu que les économies seront réalisées sur le long terme mais que cela exige d’investir au départ ; d’où une problématique d’endettement, qu’il faudra assumer. Mais le consommateur ne verra rien de tout ce montage.

J’ai entendu dire que ce serait gratuit. Terme simple, sinon simpliste… Comme M. Mouchnino, je ne pense pas que ce sera vraiment gratuit. Cela étant, il n’y aura pas de surcoût pour le consommateur.

Mais faut-il lancer un projet s’il est seulement équilibré ? En fait, son intérêt, sa rentabilité, allais-je dire, tient au fait qu’il apporte bien plus qu’aux simples bornes du distributeur. Mais ces avantages sont difficilement évaluables. Pour ce qui est du consommateur, des études, menées par Capgemini, ont montré que les avantages en matière de maîtrise de l’énergie restent aléatoires, qu’ils dépendront de la manière dont sera mis en œuvre le programme. Ils dépendront aussi de la façon dont la concurrence pourra se développer : plus elle sera favorisée en France – ce qui n’est pas le cas actuellement – plus on verra apparaître des innovations et des nouveaux services qui permettront de réaliser ces économies. Autrement dit, il y a un lien réel entre le développement de la concurrence et la rentabilité du projet Linky.

Reste que ce sera au regard des avantages pour le consommateur que les projets Linky et Gazpar pourront basculer dans la catégorie de ceux qui relèvent de l’intérêt collectif.

Le rapport d’activité de 2014 du médiateur de l’énergie indique que 62 % des litiges qui lui sont soumis ont concerné les niveaux de consommation facturés par les fournisseurs ; seulement 6 à 7 % des litiges ont porté sur les conditions de règlement, la présentation de la facture, le niveau du tarif.

Ces litiges ont deux causes principales. Première cause, les index estimés. Il n’y en aura plus : les compteurs intelligents nous permettront de facturer nos clients à partir d’index dits vrais. Mais il y a aussi les index erronés, autrement dit relevés par le distributeur, mais avec une erreur, parce que tout cela reste, dans la plupart des cas, une opération manuelle. Cela m’est même arrivé personnellement il y a quelques semaines : un technicien a relevé sur mon compteur d’électricité l’index « 80 877 » au lieu de « 30 877 ». Soit un écart de 50 000 kilowattheures… à 150 euros le kilowattheure, faite le calcul ! Heureusement, j’ai pu m’arranger facilement avec mon fournisseur – vous aurez certainement deviné qui est mon fournisseur. (Sourires). Ce genre de mésaventure rend la relation entre le client et le fournisseur d’autant plus compliquée que le problème vient du distributeur. On est donc dans une relation tripartite qui, dans un nombre de cas croissant, aboutit à un litige auprès du médiateur. On estime que plus de la moitié des litiges – 62 % – pourront être réglés grâce au compteur communicant qui récupérera les informations très fréquemment et sans aucun risque d’erreur. En cas de litige, il faut écrire au médiateur, on ne récupère son argent que quelques mois plus tard, etc. Tout cela représente un coût pour le consommateur. À combien peut-on l’estimer ?

Autre avantage des compteurs intelligents, tout aussi difficile à évaluer, le confort qu’ils procurent. Plus de dérangement pour effectuer la relève vraie ; chaque consommateur est tenu d’être présent au moins une fois par an pour que le technicien puisse procéder à une relève vraie. Il vous faut également être présent si vous voulez changer d’offre tarifaire ou de puissance. Avec Linky, toutes ces démarches pourront désormais se faire à distance. À combien peut-on évaluer cela ? Dès lors que le projet est équilibré aux bornes du distributeur, on ne risque pas de perdre de l’argent, mais on y gagnera également beaucoup en termes de confort et d’efficacité.

Tout ce qu’a évoqué M. Julien Aubert s’ajoute à ces éléments. En 2004, on n’avait pas autant conscience de l’importance de la transition énergétique, du développement des énergies renouvelables et du réchauffement climatique. C’est pourquoi ERDF a accepté de faire évoluer le projet Linky, notamment en ce qui concerne la télé-information client. En 2004, le projet Linky prévoyait la même télé-information client qu’avec le compteur bleu électronique. Elle a depuis considérablement évolué : elle est maintenant alimentée, ergonomique et discrète.

Au-delà de ces considérations de confort, il y a aussi des avantages directement économiques. Ainsi, les puissances étaient jusqu’à présent souscrites de 3 kilowatts, pour des raisons de simplicité. Demain, avec le compteur Linky, on pourra souscrire des puissances par pas de 1 kilowatt. On estime que parmi les 20 millions de clients qui ont souscrit un contrat de 6 kilowatts, un gros tiers, soit 8 millions de clients, aurait besoin de seulement 4 kilowatts. En prenant un abonnement de 4 kilowatts au lieu de six, le consommateur pourra économiser 10 euros par an. Certes, cela paraît peu, mais si vous multipliez ce chiffre par 8 millions de clients – à supposer qu’ils le fassent tous –, vous obtenez quelque chose de conséquent.

Il sera également très difficile d’évaluer ce que les consommateurs vont gagner en faisant jouer la concurrence, aux travers des nouvelles offres tarifaires qui seront développées. Je rappelle qu’il existe aujourd’hui essentiellement deux options tarifaires : 20 millions de Français ont choisi l’option base et 10 millions l’option heures pleines-heures creuses. Grâce au compteur Linky, on pourra proposer de nouvelles offres tarifaires qui enverront les signaux économiques nécessaires pour assurer la transition énergétique. Là encore, le bénéfice pour le consommateur est difficile à évaluer, mais bien réel.

Sans parler des services de maîtrise de la demande en énergie et en puissance. Rappelons que ces services ne seront pas tous payants, et que les services payants ne seront pas nécessairement obligatoires. Si le consommateur choisit d’y souscrire, c’est qu’il y trouve un intérêt.

Il existe aussi des bénéfices difficilement quantifiables sur le parc de production électrique, grâce aux signaux économiques que l’on pourra envoyer au consommateur pour qu’il consomme moins et mieux. On pourra ainsi optimiser le réseau en termes de dimensionnement.

Le dernier bénéfice, là aussi difficile à évaluer, a trait au nombre d’emplois créés. On a développé des filières en termes de comptage et il ne faut pas oublier toute l’industrie du numérique. Je reviendrai sur ce point lorsque l’on abordera le troisième thème. Il est indispensable que le compteur Linky soit optimisé et rentabilisé en enregistrant les données qui permettent un maximum de bénéfice pour le consommateur.

M. Pierre Le Ruz, président du centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM). Le CRIIREM est un centre de recherche qui travaille avec l’université du Maine. Il est agréé pour réaliser des expertises de gestion des risques sur les biens et les personnes, et nos expertises sont recevables par l’administration et les tribunaux. Elles plaisent ou ne plaisent pas, mais c’est un autre problème… Nous sommes totalement indépendants, car nous nous autogérons.

Actuellement, un buzz court sur internet, dans les médias et même à la télévision, buzz organisé par des associations qui ont utilisé les mesures que nous avions faites sur les compteurs Linky dans le bon et le mauvais sens. Elles ont fait courir le bruit que des hyperfréquences ou du wifi passaient sur le CPL, que les appareils allaient rayonner dans tous les sens… On a même vu, sur Internet et à la télévision, se servir d’appareils de mesure totalement inadaptés.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Ne débordez pas trop sur le thème suivant !

M. Pierre Le Ruz. Les associations ne sont pas les seules à créer le buzz, ce qui est détestable. Certains directeurs d’agences régionales de santé reçoivent des documents d’ERDF qui font état de résultats de mesures dont les valeurs ne sont pas mesurables par les appareils existants, de l’ordre de 0,0001 volt par mètre. On entend aussi que les ondes radioélectriques sont potentiellement des agents cancérogènes de groupe 2B.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je le répète, vous débordez sur le sujet suivant.

M. Pierre le Ruz. Cette polémique est gênante car elle discrédite inutilement le système.

On ne retrouve pas cette polémique avec GRDF. Lors des réunions qui se sont tenues avec GRDF, tous les documents nous sont communiqués, tout est transparent. Aussi pouvons-nous procéder à des vérifications. Je ne sais pas qui s’occupe de la communication chez ERDF. En tout cas, ils feraient bien de revoir leur communication, car elle les dessert totalement. On notera qu’il n’y a pas de buzz sur GRDF…

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Le débat autour des compteurs communicants suscite de nombreuses interrogations et inquiétudes de la part des consommateurs. Un certain nombre de réponses ont déjà été formulées.

En résumé, nous avons bien compris que le coût, à défaut d’être gratuit, est neutre pour le consommateur, et qu’à terme ce sera toujours le cas, que les facturations seront bien plus précises, qu’elles prendront en compte des éléments qui ne le sont pas aujourd’hui, ce qui permettra à ERDF et GRDF d’équilibrer le coût investi.

On a également compris qu’il n’y aura pas de réduction d’emplois, mais des accompagnements vers des emplois nouveaux.

Peu d’intervenants ont parlé de l’autoconsommation. Pouvez-vous faire le point sur la convention de raccordement et d’exploitation, en tout cas sur la mise à jour présentée lors du comité de concertation de producteurs au mois de janvier dernier ? Quelles sont les évolutions à ce sujet ?

Les auto-consommateurs comprennent assez mal qu’ils puissent payer alors qu’ils ne consomment pas sur le réseau, ou en tout cas assez peu. Il semble qu’il s’agisse d’une fausse information qui circule. Je connais la réponse, mais je souhaite que vous nous la donniez aujourd’hui, ce qui permettra de rassurer un certain nombre d’auto-consommateurs.

Quel sera l’impact de Linky sur le développement des smart grids ? Pensez-vous qu’il pourrait en être assez facilement le support, notamment en « pluggant » votre dispositif pour faire soit de l’effacement, soit d’autres choses qui, à terme, permettront également de gérer la pointe et l’équilibre du réseau ?

M. Jean Lemaistre nous a indiqué que les compteurs Gazpar n’étaient pas totalement produits en France, ou en tout cas pas toutes les pièces. Pourquoi ?

Vous avez assez peu parlé de l’incitation à proposer des offres tarifaires adaptées. On n’a pas l’impression que les opérateurs se bousculent beaucoup sur cette question. Pensez-vous que cela va se mettre en œuvre rapidement ? Il est important d’inciter les consommateurs à modifier leur comportement de consommation par rapport aux données transmises sur leurs compteurs, qu’ils en tirent un bénéfice en termes financiers. Alors que le consommateur se demande aujourd’hui quel est l’intérêt du compteur Linky, les offres tarifaires sont un excellent moyen de lui en démontrer l’utilité.

Mme Martine Lignières-Cassou. Ma première question porte sur le modèle économique de Linky. On nous dit que l’équilibre économique est respecté si le coût de déploiement reste limité à 5 milliards d’euros. Or il était déjà estimé à 4,5 milliards en 2013 et les réseaux sociaux avancent le chiffre de 7 milliards. Quelle est la bonne estimation ?

Le déploiement du réseau est préfinancé sur une ligne de la TURPE et le vice-président de la FNCCR nous a assuré que cette ligne n’existera plus dans vingt ans. Or c’est à cette date que l’on rechangera tous les compteurs… Je ne suis donc pas certaine que la ligne disparaîtra de la TURPE : il faudra bien préfinancer un autre dispositif…

La France a fait le choix d’un remplacement intégral des compteurs, tandis que l’Allemagne a préféré cibler les plus gros consommateurs. J’ai bien compris que le programme Linky a été introduit en 2005 par amendement parlementaire, mais j’aimerais que l’on m’explique si le déploiement intégral correspond à un choix économique.

Pour que le compteur Linky soit vraiment un outil d’aide à la maîtrise de la consommation, le consommateur devra acheter l’afficheur déporté. Quel est son coût ?

Je ne cherche pas à opposer GRDF et ERDF. Mais je constate que GDRF nous a expliqué comment il avait mis en place les conditions d’un débat public, d’une expérimentation, d’un retour d’expérience et d’une transparence en ce qui concerne les données collectées par Gazpar. J’ai le sentiment qu’une partie des rumeurs qui prospèrent aujourd’hui sur les réseaux sociaux à propos de Linky s’explique peut-être par un manque de transparence et de partage des connaissances avec l’ensemble des parties prenantes. Je me trompe peut-être, mais c’est mon sentiment, surtout quand j’écoute les approches des uns et des autres.

M. Bernard Lassus. Madame la Députée, je suis désolé de vous avoir donné le sentiment de ne pas avoir été transparent. Le retour d’expérience auquel nous avons procédé en 2010 a fait l’objet de concertations avec l’ensemble des parties prenantes. D’ailleurs, comme l’a rappelé Fabien Choné, ce retour d’expérience a permis de modifier le compteur de manière assez fondamentale, sous l’égide de la CRE et des comités de suivi mis en place par Delphine Batho, alors ministre de l’écologie, puis repris par la DGEC. Si nous ne l’avions pas fait, nous n’aurions pas su modifier le compteur pour pouvoir répondre aux attentes des différentes parties prenantes.

L’Allemagne est en train de déployer 10 millions de compteurs. La première cible est constituée par tous les clients qui consomment plus de 6 000 kilowatts par an, soit 10 % des consommateurs. – en France, la moyenne est à 7 000 kilowatts par an –, tous les producteurs d’énergies renouvelables, tous les ensembles collectifs et tous les propriétaires de pompes à chaleur.

Le coût global de l’approche pour l’Allemagne est de 13 milliards environ, contre 5 milliards pour la France. La grande différence réside dans le fait que l’on compte 800 distributeurs en Allemagne. Autrement dit, il n’y a aucune normalisation, aucune standardisation. Parallèlement au déploiement de ces 10 millions de compteurs, les Allemands vont déployer un compteur à peu près uniforme pour l’ensemble de la population, qu’ils équiperont d’un petit module de communication précisément destiné à contourner cette absence de standardisation. Mais je n’ai pas encore compris si le déploiement de l’ensemble des compteurs communicants s’achèvera en 2028 ou 2032… Chez nous, ERDF couvre environ 90 % du territoire, avec des entreprises locales de distribution (ELD) qui ont adopté les mêmes standards que les nôtres. De ce fait, nous disposons d’une capacité d’optimisation industrielle qui nous permet de déployer 35 millions de compteurs pour un coût de 5 milliards, tandis qu’en Allemagne le déploiement de 50 millions de compteurs revient à 13 milliards.

Nous avons d’ailleurs réactualisé notre business plan et nous sommes revenus à une estimation de 4,5 milliards car les hypothèses de croissance influent énormément sur le nombre de compteurs installés, notamment dans les logements neufs. Du coup, notre objectif n’est plus de 35 millions de compteurs, mais de 34 millions.

Aujourd’hui, le programme est totalement conforme aux hypothèses budgétaires. Grâce à l’expérimentation faite en 2010 et aux 500 000 compteurs qui viennent d’être déployés, nous avons pu vérifier l’ensemble des hypothèses de base du business plan. Il fait état d’un temps de pose direct d’une durée de trente minutes ; nous en sommes actuellement à vingt-neuf minutes. Quant à la pose environnementée, nous l’avions estimée à cinquante-quatre minutes ; nous en sommes à cinquante-trois minutes. C’est l’élément de base, car il représente 48 % du coût global de l’approche.

Les industriels ont consenti de nombreux efforts en ce qui concerne l’achat de matériels. Nous sommes beaucoup observés, car beaucoup de projets s’annoncent à l’international et les industriels ont intérêt, en termes d’image, à en faire partie. Nous bénéficions aujourd’hui de prix extrêmement compétitifs. Pardonnez-moi de dire que tout ce que vous pouvez voir sur les réseaux sociaux, c’est vraiment n’importe quoi ! Je découvre tous les jours avec effarement tout ce que l’on raconte sur ce projet.

M. Jean Lemaistre. Nous passons des appels d’offres pour la fourniture complète du compteur intégré, avec son module radio, et des concentrateurs. Comme le marché des composants électroniques est mondial, une partie n’est pas fabriquée en France. N’y voyez aucune volonté de privilégier tel ou tel ; c’est tout simplement la réalité industrielle mondiale d’aujourd’hui.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Lassus, vous avez dit avoir tenu compte des retours d’expérience. Sans trahir des secrets commerciaux, pourriez-vous nous transmettre une note que l’on pourrait joindre à notre rapport ?

M. Bernard Lassus. L’affichage déporté est de la responsabilité du distributeur. À la suite de l’expérimentation, nous avons prévu de laisser un petit espace dans le compteur Linky où l’on pourra « plugger » un émetteur radio, qui enverra, toutes les cinq secondes, des informations vers l’intérieur de la maison pour avoir un suivi temps réel. Pour notre part, nous sommes responsables de l’interface.

Les clients précaires bénéficieront gratuitement d’un afficheur, qui leur sera mis à disposition par le fournisseur.

M. Olivier David. Le législateur a décidé, lors de la discussion du texte relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que les afficheurs déportés seraient fournis par le fournisseur d’électricité aux clients précaires et pris en charge au titre de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Les autres clients devront prendre le coût de cet afficheur à leur charge.

Mme Martine Lignières-Cassou. Quel est le coût de l’afficheur déporté pour le client non précaire ?

M. Fabien Choné. La loi relative à la transition énergétique a prévu effectivement que les afficheurs déportés seront gratuits pour les consommateurs précaires. C’est une bonne chose pour les clients précaires, mais aussi pour lancer l’industrie à grande échelle des émetteurs radio et des afficheurs déportés. Mais il ne faut pas limiter les bénéfices de la sortie télé-information client aux afficheurs déportés car l’émetteur radio enverra des informations qui ne seront pas nécessairement récupérées par un afficheur déporté mais par une « box énergie » – peut-être demain une box ADSL. Ces informations seront traitées avant d’être rendues au client, non sur des afficheurs déportés sur lesquels on peut avoir des doutes en matière de durabilité, mais sur des smartphones, des tablettes, etc.

Je vous ai entendu dire que c’est le consommateur qui prendrait en charge le coût de l’afficheur déporté. Tout dépendra de la stratégie commerciale du fournisseur : rien ne lui interdira de le proposer gratuitement à son client dans le cadre d’une offre globale. Et plus les offres seront nombreuses et de qualité, plus elles seront intéressantes pour le consommateur.

Le coût de l’émetteur radio sera au maximum de 30 euros s’il est fabriqué en très grande quantité. C’est tout à fait comparable au coût d’acquisition pour le client dans un marché concurrentiel. On peut très bien imaginer que cela devienne un argument de développement commercial, et donc que le prix ne soit pas supporté par le consommateur.

L’absence de nouvelles offres dans le cadre du compteur Linky est due à plusieurs facteurs.

Aujourd’hui, avec 800 000 compteurs posés, 2 % seulement de la population est équipée d’un compteur Linky. Pour un fournisseur, développer une nouvelle offre pour 2 % de la population, avec tous les coûts marketing que cela entraîne, n’est pas rentable à ce stade du développement. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’offres aujourd’hui qu’il n’y en aura pas demain au fur et à mesure du déploiement. Pour sa part, Direct Énergie a déjà développé une offre expérimentale que nous avons appelée « l’offre tribu ».

Le compteur Linky mesure la consommation avec des pas de temps plus fins et des index plus variés qu’auparavant. Mais ce n’est que le véhicule du système économique. Il faut donc intégrer des signaux économiques pour pouvoir faire de nouvelles offres ; or le TURPE n’a pas encore évolué. À partir de 2017, le TURPE ne sera plus horo-saisonnalisé. Ainsi, il sera plus varié dans l’année. C’est vrai également du mécanisme de capacité. Le Parlement a décidé de mettre en place un mécanisme de capacité pour envoyer un signal d’effacement de la consommation aux moments de pointe de consommation au niveau national. Ce mécanisme a vocation à se transformer en signal économique qui pourra être véhiculé par Linky et pourra se transformer en nouvelle offre. Mais ce mécanisme de capacité, censé démarrer le 1er janvier 2017, est examiné attentivement par la Commission européenne.

Il sera d’autant plus possible de proposer de nouvelles offres que la concurrence pourra se développer. Or je vous rappelle que la réglementation des tarifs réglementés qu’EDF est obligé de proposer ne couvre pas les coûts de l’opérateur historique. Autrement dit, elle l’oblige à vendre à perte. Dans ces conditions, comment voulez-vous inciter de nouveaux fournisseurs à présenter des offres en espérant gagner de l’argent et conquérir des clients ? Tant que l’on n’aura pas compris que la concurrence doit permettre de se développer, il ne faudra pas s’étonner qu’il y ait si peu de nouvelles offres et si peu de nouveaux fournisseurs.

M. Jean-Luc Dupont. L’afficheur déporté fait l’objet de longues discussions dans tous les groupes de travail depuis 2008-2009. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu que les clients précaires puissent être desservis, mais très rapidement la FNCCR a indiqué que cette disposition était extrêmement restrictive.

ERDF propose actuellement, via Internet, un accès dynamique aux données de comptage, ce qui est très bien pour ceux qui sont desservis correctement par Internet ou la téléphonie. Comme les seniors ne sont pas familiarisés avec ces outils, vous les mettez de facto de côté : ils n’ont pas du tout accès à la maîtrise de leur énergie. Pourtant, ces personnes habitent souvent dans des logements mal isolés alors qu’elles ont besoin de températures plus élevées. Du coup, elles surconsomment, ce qui les fragilise.

Les zones grises téléphoniques sont peut-être un sujet tabou, mais il n’en demeure pas moins que c’est une réalité de terrain. Nous souhaitons tous que l’ensemble du territoire bénéficie de la fibre optique. Cela fait cinq ans que je répète sans cesse que l’outil doit l’intégrer. Si quelqu’un a d’autres moyens d’usage pour avoir accès aux données déjà disponibles sur le territoire, le modèle public ne doit pas l’imposer ni le fournir – ce serait un surcoût au schéma global et cela n’a pas d’intérêt. Mais tous ceux qui ne peuvent pas choisir devraient être pris en compte dans un grand service public d’un modèle électrique. Dans vingt-cinq ans, les seniors seront peut-être tous devenus des geeks, la fibre optique aura été installée partout, bref nous serons dans un monde parfait… Mais en attendant, on prive un quart ou un tiers de la population de l’accès en dehors d’un outil de modernité du XXIsiècle. Je m’interroge donc sur la notion de service public autour de cet outil.

INCIDENCE DES ONDES SUR LA SANTÉ

M. Gilles Brégant, directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé cette table ronde qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de cet appareil mystérieux qui, sous ses couleurs acidulées et son appellation « compteur communicant », suscite bien des fantasmes. Pourtant, sans ce fameux module radio dont on a parlé, ce compteur communique assez peu.

L’ANFR est un établissement public qui a pour mission de contrôler tout le spectre en France. Dans ce cadre, elle doit veiller au respect des valeurs limites. L’Agence n’a pas de mission sanitaire : celle-ci est assurée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui définit des limites à ne pas dépasser. Notre Agence est chargée de vérifier que tous les appareils utilisés en France ne dépassent pas les limites autorisées. Nous mesurons par exemple le débit d’absorption spécifique (DAS) des téléphones portables, la puissance d’émission des jouets radiocommandés, des drones, etc. Nous avons analysé le compteur Linky dans un rapport qui sera rendu public ce mois-ci ; nous examinons actuellement la situation du compteur Gazpar et des compteurs d’eau communicants.

Sans le module radio, le compteur Linky communique peu. Et quand il communique, il n’émet guère, car il utilise le réseau électrique pour communiquer avec le concentrateur situé à l’extérieur des habitations : c’est lui qui supervise une grappe de compteurs Linky. Le compteur Linky s’exprime en quelque sorte sur le réseau électrique, ce qui correspond presque parfaitement à ce que souhaitait M. Cendrier. Linky envoie, grâce au secteur électrique, des petites impulsions qui lui permettent de passer des messages ; c’est la technologie CPL. Cette technologie n’est pas très moderne : les premières applications pratiques, en domotique en particulier, datent des années soixante. C’est ce qui sert, dans les compteurs bleus, à signaler que l’on passe en heures creuses et à faire commuter les appareils, à mettre les radiateurs en mode hors gel ou en mode économie, à fermer des volets électriques en appuyant sur un bouton, etc. Cette communication n’est pas permanente : le compteur Linky répond de temps en temps dans la journée au concentrateur qui lui demande si tout se passe bien, si quelqu’un n’est pas en train d’ouvrir son capot pour voler de l’électricité ou bricoler la carte électronique. Et Linky répond brièvement – en moins d’une seconde – que tout va bien. Bien sûr, la demande peut être plus précise : par exemple, Linky peut donner des informations précises sur la consommation d’un usager en cas de problème de facturation, auquel cas le compteur communiquera un peu plus longtemps, mais cela aura lieu peut-être une fois tous les deux ans.

Dans la journée, les impulsions seront donc assez brèves et, durant la nuit, l’interaction avec le concentrateur, qui durera moins d’une minute, lui permettra d’envoyer la courbe de consommation du ménage pendant la journée. Ainsi le concentrateur récupère toute la grappe de consommations, ce qui lui permet d’interagir avec le réseau d’ERDF.

Contrairement à ce que laissait croire son appellation de « compteur communiquant », ce boîtier vert n’est pas très loquace. Linky n’émet pas au sens strict du terme : il envoie pendant moins d’une minute quelques caractères au beau milieu de la nuit. Il sera bien plus passionnant pour nous quand on lui adjoindra le module radio : on verra alors ce qu’il peut échanger avec l’afficheur déporté ou des smartphones.

Comme tous les appareils électriques – le radioréveil, la brosse à dents électrique, etc. – il émet un champ magnétique faible. Quand il émet une information, ses émissions augmentent, mais elles restent très faibles et très inférieures aux seuils autorisés. Ce n’est pas un émetteur stricto sensu, mais un appareil électrique domestique classique qui communique via le réseau d’alimentation électrique du domicile.

M. Bernard Celli, directeur de la stratégie de l’ANFR. Nous avons réalisé des mesures à vingt centimètres du compteur. Les niveaux sont tellement faibles que nous avons dû acheter du matériel spécifique, et du reste coûteux, pour réaliser des mesures beaucoup plus fines. Nous avons mesuré un niveau de l’ordre de 1 volt par mètre, même lorsque le compteur n’émet pas en CPL. Pour comprendre ce que représente 1 volt par mètre, il faut imaginer deux plaques métalliques, distantes d’un mètre, reliées à une pile de 1 volt : entre ces deux plaques, vous créez un champ électrique de 1 volt par mètre. Quand le compteur émet en CPL, le champ électrique augmente de l’ordre de 0,1 volt par mètre, niveau très bas. Il faut comparer ces niveaux au seuil sanitaire en vigueur de 87 volts par mètre, fixé par décret. Quant au champ magnétique, il est du même ordre de grandeur : on est vraiment très en dessous des valeurs réglementaires.

Quand on s’écarte du compteur, autrement dit quand on est à plus de vingt centimètres, le niveau d’émissions baisse sensiblement pour atteindre des niveaux pratiquement indétectables. Même avec un matériel sophistiqué, il devient impossible de mesurer ce qui se passe.

Au final, il nous semble que le compteur Linky, en tout cas sa composante CPL, ne conduit pas à une augmentation significative des niveaux de champ électrique dans l’environnement que l’on mesure.

Le rapport que nous allons publier constitue un premier volet qui sera suivi d’un second volet qui complétera ces travaux. Mais d’ores et déjà, les premiers résultats sont sans appel.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous faites état des émissions autour du compteur lui-même. C’est bien cela ?

M. Bernard Celli. Oui, à vingt centimètres du compteur, devant la phase du compteur.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mais entre le compteur et la maison d’habitation, il y a un réseau filaire. Lorsque je côtoie le réseau filaire, y a-t-il des émissions ?

M. Bernard Celli. La réponse est oui. Toutes les émissions ne s’arrêtent pas au compteur : les ondes ont tendance à se propager, surtout le long d’un fil. Mais le compteur stoppe une grande partie de l’émission. À quelques centimètres du compteur, on ne constate plus rien, c’est en tout cas à peine mesurable. Les émissions qui vont du concentrateur au compteur sont elles aussi tellement faibles que l’on a du mal à les repérer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Où est situé le concentrateur ? Et à quoi sert-il ?

M. Bernard Celli. Le concentrateur est au niveau du poste de transformation HTA/BT qui la liaison entre le réseau haute tension HTA et le réseau basse tension (BT).

M. Bernard Lassus. Le système Linky se compose du compteur en tant que tel, d’une liaison filaire entre le compteur et le concentrateur installé dans les postes de transformation, et du concentrateur lui-même.

Un concentrateur correspond à une grappe. En France, il est généralement associé à cinquante compteurs – certaines grappes peuvent être plus petites, d’autres peuvent englober jusqu’à 1 200 compteurs. Ce concentrateur envoie vers le système central, une fois par jour, les mesures liées à la consommation. Le concentrateur émet donc dix minutes par jour environ.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si j’ai bien compris, plus on s’éloigne du compteur et moins on reçoit d’ondes.

M. Gilles Brégant. Tout à fait ! L’atténuation des ondes est fonction du carré de la distance. Il y a un effondrement très rapide de l’exposition.

M. Bernard Accoyer. Nous sommes réunis aujourd’hui parce que de nombreuses questions se posent sur les radiofréquences qui peuvent être émises par le compteur Linky. Nous voyons bien que ces émissions sont infinitésimales. Quelles sont-elles par rapport à une télévision, un four à micro-ondes par exemple ?

M. Bernard Celli. Le rapport qui sera publié bientôt fait état de quelques comparaisons. Ces mesures ont été effectuées cette fois-ci à trente centimètres. À l’instant, je vous ai dit que le niveau d’émissions du compteur Linky était de l’ordre de 1 volt par mètre à vingt centimètres. Un compteur bleu d’ancienne génération émet aussi 1 volt par mètre, un babyphone 0,5 volt par mètre et une perceuse électrique sans fil 0,5 volt par mètre. A contrario, un écran de télévision à tube émet 3 volts par mètre et une lampe fluocompacte 17 volts par mètre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci pour votre réponse très précise.

M. Pierre Le Ruz. S’il n’y avait pas de la désinformation, on ne se poserait plus ce genre de question.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. C’est l’objet de notre table ronde.

M. Pierre Le Ruz. Il faut qu’ERDF arrête de dire que l’on trouve des valeurs de 0,0001 volt par mètre !

Il faut également cesser d’adresser aux Agences régionales de santé (ARS) des documents faisant état de comparaisons idiotes. On nous dit que le champ magnétique est potentiellement cancérogène 2B et on le compare à des mélanges eux aussi potentiellement cancérogènes comme le café et les légumes dans le vinaigre. Et l’on conclut qu’il n’y a pas de souci… Dès lors qu’il y a classification 2B, on est obligé de gérer les risques, même si l’on n’est pas d’accord sur la classification.

On dit aussi que le champ magnétique terrestre est de l’ordre de 50 microteslas. Si cela posait problème, on serait tous morts ! Le champ magnétique terrestre est un champ statique qui n’a rien à voir avec le 50 hertz ! Pourtant, on retrouve tout cela dans des documents distribués aux ARS sur le compteur Linky.

Mme Martine Lignières-Cassou. Qui distribue ces documents ?

M. Pierre Le Ruz. ERDF, bien évidemment !

Vous n’avez qu’à les demander aux directeurs d’ERDF ! Bien sûr, ils sont confidentiels, mais les directeurs d’ARS appellent le CRIIREM pour leur demander des renseignements.

De plus, France 3 a diffusé des reportages qui ne devraient jamais exister ! On a comparé les émissions faites par le compteur Linky en chambre anéchoïque à des mesures faites sur une trancheuse à jambon ! Et on montre des microteslas ! Cela énerve tout le monde et cela renforce le buzz ! Et je ne parlerai pas des comparaisons avec des grille-pain ! Tout cela dessert complètement le système…

C’est pourquoi le CRIIREM a envoyé une lettre ouverte pour demander que des mesures sérieuses soient réalisées. Le même problème s’était posé avec les ampoules fluocompactes. À l’époque, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) nous avait parlé d’une émission de 0,1 volt par mètre, pas plus. Un dispositif de réunions avec les principaux acteurs de la controverse – ADEME, l’AFSSET, les constructeurs de lampes fluocompactes et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) – a été mis en place pour trouver un protocole de mesures. Les résultats avaient montré des émissions de 17 volts par mètre même à 30 centimètres de la source. L’école polytechnique de Lausanne avait même trouvé un chiffre 400 volts par mètre, mais cela dépendait des ampoules et de leur puissance. Ce que l’on a découvert a permis de mettre en place des systèmes de prévention. D’ailleurs, la société chargée de la prévention des consommateurs a publié un rapport qui a mis en évidence plusieurs problèmes, y compris des risques liés au mercure. Tout cela a débouché sur quelque chose de concret qui a permis de faire retomber la polémique.

J’ai bien entendu ce que vient de dire l’un des responsables de l’ANFR. Mais je suis désolé de dire qu’il y a deux sortes de fréquences : le 50 hertz et des radiofréquences de l’ordre de 65 kilohertz. Pour le 50 hertz, on mesure le champ d’induction magnétique en microteslas et le champ électrique, qui n’est pas négligeable. Pour le 65 kilohertz, la radiofréquence que l’on utilise sur le CPL, on mesure le champ magnétique en milliampères et le champ électrique… Résumer la mesure à 20 centimètres de l’appareil à 1 volt par mètre me semble relever du raccourci. À mon avis, il faut, comme cela a été fait pour les lampes fluocompactes, réunir les scientifiques responsables qui connaissent bien la technologie, mettre au point un protocole sur lequel tout le monde sera d’accord et demander à un laboratoire indépendant – bien évidemment pas au CRIIREM – de réaliser l’étude. Il faut également effectuer des mesures sur le CPL avec des pinces ampèremétriques et des oscilloscopes pour voir comment se présentent les signaux et des mesures au niveau du concentrateur pour connaître les fréquences. On me répondra que cela nécessite des appareils spécifiques et compliqués. Mais le CRIIREM en possède. Lorsque nous avons réalisé des mesures dans le cadre du CPL, nous avions des sondes qui descendaient à 30 kilohertz et nous avons pu séparer les radiofréquences et le 50 hertz. Cela nous a permis de définir des périmètres de prévention.

Je rappelle que la valeur de 87 volts par mètre est la limite fixée pour éviter les effets aigus, alors que, s’agissant de la prévention des risques, on parle d’effets à court et long terme, de sécurité et de compatibilité électromagnétique. De surcroît, il faudra vérifier, sur le fil du CPL si les fréquences qui passent ne peuvent pas être perturbatrices d’appareils électriques ou électroniques de la maison – ce que l’on appelle la compatibilité électromagnétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En fait, il faudrait procéder à de nouvelles mesures à partir d’un nouveau cahier des charges sur lequel tout le monde serait d’accord.

M. Pierre Le Ruz. Absolument !

M. Gilles Brégant. Nous sommes prêts à publier le rapport que nous avons élaboré. Bien évidemment, il précise le protocole que nous avons employé. Je suis bien conscient que le CRIIREM est capable d’effectuer des mesures. Notre travail consiste aussi à mettre en place des protocoles qui permettent aux mesures d’être reproductibles. Nous sommes d’accord pour remettre à plat ce protocole et nous serons très heureux d’y contribuer. Ensuite, si tout se passe comme prévu, les appareils maniés par des personnes différentes donneront des résultats comparables.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il vaut mieux parler de protocole que de cahier des charges.

M. Bernard Lassus. Monsieur Le Ruz, je suis désolé que vous ayez pu lire des documents faisant état de 0,0001 volt par mètre. Il doit y avoir eu une erreur de frappe. Il s’agit bien de 0,1 volt par mètre.

M. Pierre Le Ruz. C’est un problème de communication.

M. le rapporteur. Pour un compteur communicant, c’est un comble d’avoir des problèmes de communication ! (Sourires.)

M. Pierre Le Ruz. Cela crée des problèmes qui n’ont pas lieu d’être !

M. Bernard Lassus. Monsieur Le Ruz, nous devions vous envoyer un courrier dans lequel nous demandions qu’une réunion soit organisée regroupant un certain nombre de laboratoires pour débattre de ces protocoles. Il est important de pouvoir définir un protocole standard puis de choisir un laboratoire qui effectuerait des mesures, afin de faire retomber la pression et rassurer les maires.

M. Pierre Le Ruz. Cela permettrait effectivement de faire retomber le buzz !

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vois que l’Assemblée nationale peut servir à quelque chose puisqu’elle vous permet de communiquer entre vous. C’est déjà une réussite…

M. Olivier David. En 2015, la ministre de l’environnement a mandaté l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) pour qu’il réalise des études et des mesures en laboratoire et sur le terrain, lorsque le compteur est à l’intérieur ou à l’extérieur des habitations. L’INERIS a conclu que les mesures sont plus de cent fois inférieures à la norme. L’ensemble de ces mesures seront rendues publiques.

La ministre a aussi saisi l’ANSES sur le sujet des compteurs communicants. L’Agence rendra prochainement public son rapport.

M. André Flajolet. Je veux revenir sur une question que j’ai posée tout à l’heure et qui est contenue dans une lettre du président Baroin en date du 17 mars : « En raison de sa qualité de concessionnaire et intervenant directement dans la pose des compteurs, la parole d’ERDF ne suffit pas à lever les inquiétudes. » Je remercie les intervenants pour toutes les informations qu’ils nous ont données cet après-midi, mais je vois que toutes les inquiétudes ne sont pas levées. Cette lettre se poursuit ainsi : « Une expression de l’État est urgente et nécessaire, d’une part pour informer les maires sur les limites de leurs capacités à agir dans ce domaine, d’autre part pour fournir de manière objective et transparente aux habitants inquiets les réponses qu’ils attendent ». J’ai entendu, de la part de l’ANFR, que je remercie d’être présente bien qu’elle ait été invitée tardivement, des réponses éclairantes. Je souhaite qu’elles soient publiées le plus rapidement possible.

De même, l’INERIS a réalisé des mesures ; je souhaite qu’elles soient publiées également. Et je demande que l’État annonce, à partir de ces mesures, une position officielle permettant de garantir aux élus locaux qui sont en première ligne la possibilité de répondre aux questions. Cela me paraît capital.

M. Étienne Cendrier. Il y a une certaine confusion qu’il va falloir dissiper.

On nous parle de normes. Il faut savoir que les normes auxquelles il est fait référence sont très contestées, y compris par des parlementaires. Pour commencer, elles ont été retenues par des scientifiques qui avaient des liens d’intérêt avec les industriels. De plus, elles ne prennent en compte que les effets dits thermiques. Autrement dit, nous sommes protégés contre la cuisson, mais pas plus. D’autres effets, dits athermiques ou spécifiques, ne sont pas du tout pris en compte. Quand on voit cette norme de 87 volts par mètre, c’est un peu comme si je vous disais qu’il faut éviter de conduire à plus de 800 kilomètres-heure sur autoroute… On est donc toujours en dessous de la norme, on ne la dépasse jamais.

On nous parle souvent du zéro risque ; c’est ce que l’on obtient avec l’alternative filaire. L’ANFR l’a reconnu tout à l’heure : le CPL se propage sur un réseau électrique qui n’est pas conçu pour cela – il n’est prévu que pour du 50 hertz. D’où l’intérêt du fil téléphonique qui est blindé. Évidemment, le courant va se diffuser tout le long du circuit électrique. Par ailleurs, les autres appareils branchés sur le secteur – électroménager, lampes – feront tous antenne. Quand on parle des émissions du compteur Linky, on oublie l’émetteur radio Linky (ERL). Linky n’est en effet, comme le compteur Gazpar, que la première brique. Ensuite, il est prévu de mettre des répartiteurs dans les habitations, autrement dit des réseaux qui fonctionneront par module radio et qui communiqueront entre eux en termes de radiofréquences. Ces mesures n’ont pas encore été faites. On va se retrouver avec des habitats où il y aura en permanence une pollution électromagnétique plus ou moins importante. C’est pourquoi une seule mesure ne suffit pas : il est indispensable d’en faire plusieurs. J’insiste sur le fait qu’avec l’alternative filaire, on a un système beaucoup plus sûr et efficace. On pourrait ainsi économiser 5 milliards d’euros.

Je rappelle que, depuis 2009, toutes les autorités sanitaires recommandent de baisser l’exposition du public aux radiofréquences chaque fois que c’est possible en raison d’un danger sanitaire. Il est tout à fait exact que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé en catégorie 2B possiblement cancérigènes pour l’homme toutes les radiofréquences. Les systèmes prévus vont augmenter considérablement cette pollution électromagnétique. Une catégorie de personnes, ceux que l’on appelle les électro-hypersensibles, a développé une intolérance à ce genre d’exposition. À l’heure actuelle, ces personnes-là sont chassées de leur domicile. Quelques dispositions précisent qu’elles pourraient refuser l’installation du compteur. Pour autant, quand bien même une personne électro-sensible refuserait sa mise en place, comme ces compteurs fonctionnent par grappes, qu’ils s’excitent les uns les autres comme on dit dans le métier, il suffit d’installer un seul de ces compteurs à un endroit et c’est l’ensemble de l’habitation ou de l’immeuble qui sera pollué par la présence du CPL et des radiofréquences mises sur le système.

En outre, ces compteurs posent des problèmes en termes de sécurité. Ils ont une obsolescence programmée de vingt ans, alors que les compteurs actuels sont prévus pour durer soixante ans.

M. Bernard Lassus. Non, pas soixante ans !

M. Étienne Cendrier. Du coup, dans vingt ans, comme l’a dit M. Lassus, on devra recommencer un déploiement. On ne pourra plus se protéger d’une pollution électromagnétique constante dans nos habitats.

On nous parle de l’électricité du XXIsiècle et on dit souvent de nous que nous sommes contre le progrès. Ce n’est pas vrai. J’en veux pour preuve que nous avons proposé une solution alternative bien plus sûre et bien plus efficace. On dit que ceux qui sont contre ce genre de technologie veulent retourner dans leur caverne ; mais pour l’instant, cette technologie chasse des gens de chez eux…

Dans le cadre du service public de l’équité de traitement de la population, il est urgent de revoir le développement de ce genre de technologie. Tous les compteurs sont prévus pour comporter un module filaire. Il y aura zéro risque et un service bien mieux assuré.

M. Jean-Luc Dupont. Dès le début de l’expérimentation sur le territoire de l’Indre-et-Loire, nous avons été confrontés à ces sujets, bien qu’elle n’ait porté que sur 85 000 compteurs. Nous avions commandé au CRIIREM, en accord avec l’association Robin des Toits, une analyse que nous avons mise en ligne et qui a montré que le rayonnement du compteur Linky est le même que ceux du compteur bleu. On a beau affirmer avec beaucoup de conviction une contrevérité, cela n’en fait pas pour autant une réalité…

M. Étienne Cendrier. Je ne suis absolument pas d’accord ! Vous ne parlez que des Linky !

M. Jean-Luc Dupont. Après cinq ans de fonctionnement sur le territoire, 150 communes concernées et 85 000 compteurs posés, je n’ai jamais eu la moindre remarque concernant une problématique liée à des rayonnements. Si le sujet était aussi prégnant que vous le dites, cela fait longtemps que les problèmes seraient remontés à la surface !

Comme M. Brégant et M. Le Ruz, je considère qu’il faut se mettre d’accord sur un protocole qui permettra d’assurer la transparence, en tout cas la pertinence de la mesure, et de tordre le cou à tous les fantasmes. Il faut regarder tout ce qui tourne sur Internet : certains messages visent à faire croire que ce serait un appareil radioactif… C’est aberrant ! Il faut garder de la mesure.

M. Bernard Lassus. Il faut savoir que l’Italie a installé, entre 1990 et 2000, 35 millions de compteurs en approche CPL. Elle va maintenant passer à la deuxième génération. Il ne me semble pas que cela ait suscité de problèmes particuliers.

En Espagne, 15 millions de compteurs de ce type ont été installés, et en Suède plus de 5 millions de compteurs de même technologie que ceux que nous avons implantés en 2010 fonctionnent depuis bien longtemps. Des retours d’expérience commencent à voir le jour. Il est indispensable de se mettre le plus rapidement possible autour d’une table afin de définir des protocoles puis qu’un laboratoire fasse des mesures qui permettent de fournir des éléments rassurants aux maires qui peuvent se trouver dans des situations difficiles.

M. André Flajolet. Tout à fait !

M. le rapporteur. Vous dites que le compteur Linky a été déployé dans 85 000 foyers. Des études avaient-elles été réalisées auparavant, à moins que ces 85 000 foyers n’aient servi de cobayes ? Avant de faire une expérimentation, peut-être aurait-il fallu se mettre d’accord sur le protocole.

M. Jean-Luc Dupont. Entre le moment où Michel Francony, le président d’ERDF, a annoncé l’expérimentation, et la pose des premiers compteurs, tout un travail a été réalisé. Puis des mesures ont été diligentées a posteriori de la pose pour s’assurer que tout ce qui avait été mesuré en laboratoire avant le déploiement était bien vérifié sur le terrain. Il nous semblait important en effet qu’une mise en situation devait être testée. Mais bien évidemment, toutes les précautions avaient été prises en amont. Ces 85 000 foyers n’ont pas servi de cobayes, ils n’ont pas été sacrifiés pour la science.

M. Bernard Accoyer. Je veux faire une remarque générale qui dépasse d’ailleurs le cadre des travaux de cette table ronde et de notre mission d’information.

Nous sommes dans un pays qui, je crois, est rationnel. Nous sommes le pays des Lumières, et nous avons fait quelques travaux dans ce domaine. Beaucoup d’experts sont dûment patentés. Nous vivons dans un océan de normes qui d’ailleurs sont souvent les mêmes que celles de l’Union européenne. Il existe de nombreux organismes de contrôle, très rigoureux, qui coûtent fort cher. Mais heureusement que nous les avons. Et puis, régulièrement, on voit des experts ou des cabinets d’experts autoproclamés utiliser à dessein des mots qui font peur – j’ai entendu les mots « cancer » et « effets thermiques » – et inventer des maladies qu’aucune académie scientifique au monde n’a identifiées comme telles. L’électro-hypersensibilité est tout au plus une phobie. Ils viennent tenir des heures et des heures des discours contre lesquels le parlementaire et le médecin que je suis restent sans voix. Ceux-là mêmes seront les premiers à prendre leur portable pour appeler les secours, les premiers à venir chercher les nouvelles avancées scientifiques, les nanotechnologies ou autres qui pourront les soigner, parce que c’est l’histoire de l’humanité et que le progrès est là.

Monsieur le président, je suis assez interloqué d’entendre certaines critiques. Il est évident que ces compteurs ont été testés et que l’on connaît leurs effets, parce que nous vivons au XXIsiècle dans un océan qui pourrait conduire ceux que nous avons entendus à partir en courant ou plutôt à venir, comme c’était le cas il y a quelques semaines, ici même, à l’Assemblée nationale, salle Colbert, assister à un colloque sur l’électro-sensibilité. Un certain nombre de participants portaient des chapeaux d’apiculteurs dont le voile avait été remplacé par des grillages, pour faire cage de Faraday… Où s’arrêtera le ridicule et comment un jour pourra-t-on affirmer la véritable indépendance de ces experts ou bureaux d’experts autoproclamés vis-à-vis d’un certain nombre de mouvances politiques et idéologiques ?

Voilà, Monsieur le président, ce que j’avais envie de dire après deux heures de discussions.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Cet avis vous est personnel, Monsieur Accoyer…

M. Bernard Accoyer. Mais cela m’a fait tellement de bien de le donner !

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Vous vous adressiez avant tout aux personnes que nous avons invitées.

M. Bernard Accoyer. À quel titre scientifiquement ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je crois que nous sommes là aussi pour organiser des débats et des tables rondes. Nous avons choisi un certain nombre d’intervenants. Je suis de ceux qui respectent les personnes qui expriment des points de vue qui peuvent être différents mais qui n’en sont pas moins légitimes et qu’il faut savoir entendre.

M. Étienne Cendrier. Je veux répondre au discours de M. Accoyer.

Il se trouve que la loi du 9 février 2015, dite loi Abeille, a intégré le mot « électro-hypersensibilité », et qu’un rapport doit être remis à l’ANSES sur ce sujet. Par ailleurs, je ne savais pas que les membres de l’OMS étaient des experts autoproclamés !

Pour notre part, nous sommes une association nationale qui a pour objet d’obtenir une réglementation permettant la compatibilité entre la santé publique et les technologies sans fil. À ce titre, nous avons été invités, dans le cadre du Grenelle des ondes, et nous avons travaillé pendant très longtemps avec l’ANFR, et il est même bien possible que nous continuions, dans le cadre du comité national de dialogue sur le sujet, à faire partie des interlocuteurs.

Je pense que vous abusez de votre position et que vous n’êtes pas vraiment au courant. Comme beaucoup de politiques, vous n’êtes pas assez sur le terrain. Il vous serait très profitable de venir dans notre association pour y rencontrer les personnes électro-hypersensibles. Vous augmenteriez ainsi votre information sur le sujet.

M. Bernard Lassus. Je ne peux pas laisser dire que nous installons des compteurs sans avoir réalisé d’études préalables. Le Conseil d’État, qui a été saisi en 2011, a rendu un avis en 2013 en se basant notamment sur les études que nous avions fournies. N’allez pas imaginer que notre entreprise installe comme cela deux ou trois compteurs pour voir ce qui se passe. Ce ne serait pas du tout conforme au professionnalisme de cette entreprise que je crois bien connaître. Nous sommes prêts à améliorer certains points du système si c’est nécessaire, mais nous avons bien fait le travail au préalable.

LE RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

M. Olivier David. Le compteur Linky enregistre la consommation électrique, ce qui permet d’établir une facturation. Il peut aussi enregistrer la courbe de charge, c’est-à-dire la puissance et l’énergie consommée par la personne dans son habitation, avec un pas de temps de dix minutes. Cette courbe de charge appartient au consommateur d’électricité, non au fournisseur d’énergie ni à ERDF. Le principe de la gestion des données dans Linky est clair : c’est le consommateur qui choisira volontairement ce qu’il souhaite faire de cette courbe de charge. Il peut soit donner l’autorisation à des fournisseurs de l’utiliser afin que ceux-ci lui proposent des offres particulières et des services visant à maîtriser l’énergie, soit choisir de la garder confidentielle.

M. Bernard Lassus. De nombreuses concertations ont eu lieu avec l’ensemble des parties prenantes pour définir de manière totalement transparente les dispositifs. ERDF s’est appuyée fortement sur la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et sur l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. Les dispositifs mis en place respectent scrupuleusement l’ensemble de ses recommandations de l’une et de l’autre. Il faut savoir que nous sommes audités, que tous les systèmes sont cryptés et que des éléments physiques installés dans les concentrateurs détectent les tentatives d’intrusion et s’autodétruisent en effaçant les clés de cryptage. Il y a aussi des zones de sécurité informatique pour s’affranchir des attaques par les systèmes d’information. Tous ces systèmes sont homologués. En outre, un système de supervision avec des algorithmes sophistiqués permet de détecter à la fois des ouvertures de capot et des mesures qui seraient aberrantes, afin de pouvoir intervenir immédiatement.

Nous n’avons aucun intérêt à ne pas suivre scrupuleusement les recommandations de la CNIL et de l’ANSSI, deux acteurs particulièrement compétents dans le domaine du respect de la vie privée et de sécurisation des données.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. On nous dit que l’on pourra connaître la composition du foyer, le comportement de ses occupants. Certaines personnes s’en inquiètent, considérant que c’est une forme d’intrusion dans leur vie privée.

M. Nicolas Mouchnino. Il faut savoir que le compteur communique dans deux sens : il peut communiquer vers ERDF et vers le consommateur. Ces deux modes de communication ne donnent pas le même type de données.

Un technicien n’aura plus besoin de venir chez vous pour relever votre index puisque le compteur l’enverra directement ; mais cette donnée ne permet pas de connaître le comportement du client.

Le compteur peut transmettre des données à un pas de temps de dix minutes. En la matière, la CNIL a clairement encadré la transmission des données. Ce qui est stocké dans votre compteur, c’est un opt out, c’est-à-dire que des données sont stockées automatiquement sauf si le consommateur n’y consent pas. La transmission de ces données vers ERDF est un opt in, c’est-à-dire qu’il doit y avoir une autorisation explicite du consommateur de les transmettre. Ensuite, ces données sont transmises à un fournisseur ou un tiers, c’est-à-dire des gens ou des technologies qui vont aider le consommateur à maîtriser sa consommation. Là aussi, il y a un opt in.

Certes, ces pas de temps de dix minutes donnent des éléments sur le comportement et la consommation des ménages. Mais de là à dire que l’on va pouvoir savoir quel élément fonctionne exactement, c’est plus compliqué. On fait l’amalgame avec les données transmises par l’ERL qui sont beaucoup plus fines puisqu’il peut transmettre toutes les cinq secondes la consommation instantanée d’un ménage. On approche du temps réel. Mais il faut savoir que l’ERL n’est pas obligatoire : c’est le consommateur qui décidera s’il souhaite l’installer dans son compteur. Sans oublier le développement d’autres systèmes, par le biais d’une box ou autre. Ce sera alors soumis à un système d’autorisation classique par la CNIL. Mais à force de parler de maîtrise, tantôt de la consommation, tantôt des données, en passant de l’une à l’autre, on en vient à créer des confusions, parfois des fantasmes, autour de ces questions.

On estime que ces données de consommation seront importantes pour le consommateur qui a du mal à savoir quels sont les équipements qui consomment et pourquoi. On l’a vu à travers l’afficheur déporté, l’information du consommateur est un élément essentiel. Ces informations seront importantes également pour le développement de l’efficacité énergétique active, parallèlement aux efforts portant sur l’énergie passive via la rénovation du bâti. On peut opérer un gain si l’on installe dans le logement des équipements permettant d’aider le consommateur à maîtriser sa consommation en plus de l’information.

Aujourd’hui, on essaie d’encadrer la communication entre le compteur et l’afficheur déporté. L’ERL communiquera avec d’autres équipements de la maison. Il faut donc définir un moyen de communication entre le compteur et les équipements aval du logement. C’est important parce que si, demain, le consommateur doit changer tous ses équipements parce qu’il change de fournisseur ou parce que le protocole n’est pas identique partout, on créera des captivités. Le consommateur n’acceptera pas ces équipements et la concurrence que l’on essaie d’instaurer sur le marché de l’électricité sera bloquée parce que les équipements ne seront pas compatibles. Actuellement, la DGEC travaille sur les questions de compatibilité avec le compteur et les équipements aval, uniquement sur la transmission des kilowattheures. Je regrette que cette table ronde ne regroupe pas des représentants de l’industrie aval compteurs, des équipementiers qui fabriqueront ces équipements. Pour maîtriser sa consommation, il faut des kilowattheures et des prix. Or le compteur ne transmet pas les prix. Aujourd’hui, rien n’est fait tant au niveau du ministère que de la loi, en matière d’encadrement des transmissions de prix. Ce qui est important, c’est d’assurer la concurrence et d’éviter la captivité du consommateur. Mais si on ne discute pas de la manière dont sont transmis les prix, on risque de créer une nouvelle captivité du consommateur et finalement d’interdire toutes les innovations qu’il serait tenté d’accepter.

Actuellement, on a tendance à traiter de la sécurité et de la structuration de l’autorisation des consommateurs et de l’information mais on oublie souvent cet aspect-là.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Cela signifie-t-il que l’on ne sait pas techniquement convertir des kilowattheures en euros ?

M. Nicolas Mouchnino. Je vais prendre l’exemple de l’afficheur déporté. Aujourd’hui, on s’interroge sur la façon dont le compteur Linky va transmettre, à travers l’ERL, les protocoles de communication qui permettront de faire communiquer l’afficheur déporté avec le compteur.

L’afficheur déporté doit informer sur des prix et des kilowattheures. Il doit chiffrer la consommation du client en euros. Or rien n’a été défini sur la façon dont les fournisseurs vont transmettre cette donnée. Actuellement, chacun est libre de le faire comme il le veut.

Il est question que l’afficheur déporté porte, pour les ménages précaires, sur la CSPE. La DGEC s’inquiète du coût que cela va représenter. Chaque fournisseur va développer son afficheur déporté. Si le ménage précaire change trop souvent de fournisseur, il devra changer à chaque fois d’afficheur déporté. On fera donc porter à chaque fois sur la CSPE le changement de l’afficheur déporté, faute de protocole de communication unique.

Comme la loi crée une sorte de monopole sur la question des ménages précaires, on aurait pu imaginer le développement d’un afficheur unique proposé par tous les fournisseurs et un protocole unique de communication des prix. Aujourd’hui, rien n’est encadré, chaque fournisseur d’équipement domotique va développer un mode de communication de prix qui lui sera propre, ce qui fait que l’on va se retrouver avec une captivité des consommateurs.

M. Fabien Choné. C’est le fournisseur qui fournit l’électricité et c’est lui qui facture ; c’est donc lui qui connaît les prix. C’est à lui d’avoir une relation avec son client qui lui permette de rentrer le prix en euros dans l’afficheur déporté pour que l’information soit connue par le client. Reste à savoir si cette information sera entrée manuellement, par des ondes ou un système filaire. Cette mesure fera l’objet d’un arrêté qui prévoit d’encadrer les caractéristiques technologiques de l’afficheur que les fournisseurs pourront se voir compenser par la CSPE en ce qui concerne les clients précaires.

Je suis d’accord avec M. Mouchnino : il y a une très grande confusion en matière de données entre l’amont et l’aval. À l’aval du compteur, la sortie télé-information client émet des informations en temps réel et avec un dispositif que n’importe qui peut poser sur le compteur – et qu’on peut même acheter au supermarché. Bien évidemment, ces informations sont ultrasensibles car elles peuvent donner des renseignements très précis sur la nature et la composition du foyer.

Je précise que ce sont les fournisseurs qui mettent à la disposition du client précaire l’émetteur et l’afficheur, selon des caractéristiques techniques en cours de discussion.

Il ne faut pas oublier que n’importe quel consommateur pourra poser n’importe quel émetteur radio ou transmetteur filaire sur la télé-information client pour récupérer une information très précise sur sa consommation. Et il pourra en faire ce qu’il en veut, par exemple la confier à n’importe quel tiers. Mais cette information est sensible. Il faut donc encadrer la manière dont ces informations pourront être transmises.

Je ne suis pas intervenu sur le thème précédent car je ne suis pas compétent. Mais la question des impacts en matière d’ondes entre les émissions aval avec l’émetteur radio et les communications amont avec le CPL sont au moins aussi prégnantes dans le débat précédent que dans celui-ci.

À l’amont du compteur, c’est le gestionnaire du réseau de distribution qui récupérera l’information, et lui uniquement. C’est un opérateur public qui agit dans le cadre d’une mission de service public et qui a des obligations en matière de sécurité des données, extrêmement encadrées et surveillées. Par ailleurs, le pas de temps est au mieux de dix minutes. L’information est donc beaucoup moins sensible en termes d’information traduite auprès du distributeur. Enfin, ERDF, qui récupère l’information une fois par nuit, à ma connaissance, ne la véhicule aux opérateurs autorisés qu’a posteriori. On a entendu que les données transmises par Linky faciliteraient les cambriolages. Mais connaître la présence ou l’absence de personnes dans une habitation a posteriori ne présente pas un grand intérêt pour le cambrioleur…

Vous le voyez, les questions de sensibilité de données avec le compteur Linky existent, mais il y a une énorme différence entre la sensibilité des informations situées à l’aval et celles qui sont à l’amont. Je ne nie pas que ces informations puissent être relativement sensibles : une courbe de charge horaire peut donner une multitude d’informations, mais tout est très encadré.

La seule recommandation précise de la CNIL concerne l’amont. Elle indique que, dans l’état actuel de la législation, ERDF peut, sans l’autorisation du client, mesurer des informations tous les jours. Actuellement, deux mesures manuelles sont faites chaque année. Linky permettra d’avoir 87 600 informations par an, autrement dit une information beaucoup plus riche. La CNIL considère qu’une relève de mesure journalière ne pose pas problème, mais qu’au-delà une autorisation du client sera nécessaire. Nous déplorons énormément cet arbitrage car nous avons le sentiment d’avoir fait 80 % du chemin mais de ne récupérer que 20 % de l’information. Pourquoi ? Parce que le système électrique a un pas de temps horaire. Les mécanismes de marché sont horaires, les tarifications d’utilisation du réseau sont horaires, la loi portant organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME a prévu un mécanisme de capacité dont les obligations sont calculées de manière horaire et l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) est horaire. En ne disposant que d’une information journalière, on ne récupérera pas la réalité de la consommation du client, sauf si celui-ci a autorisé ERDF de le faire.

Monsieur Lassus, quel est le pourcentage de clients qui a autorisé ERDF à récupérer cette courbe de charge horaire ? Je pense qu’il est très faible, pour ne pas dire quasiment nul – en tout cas inférieur à 1 %. Cela veut dire que l’on est en train de mettre en place un dispositif censé faire des mesures très précises, mais qu’au final les consommateurs, le jour où ils voudront connaître leur consommation, savoir s’ils peuvent optimiser leur offre tarifaire, la puissance souscrite et éventuellement maîtriser leur demande ne le pourront pas.

Aujourd’hui, il existe deux options tarifaires : l’option base et l’option heures pleines-heures creuses. On aurait dû se poser un jour la question de l’arbitrage entre ces deux tarifs. Mais pour ce faire, encore faut-il savoir quelle est la répartition entre les heures pleines et les heures creuses. On ne peut pas le faire parce que les compteurs ne sont pas suffisamment sophistiqués. Évidemment, lors du lancement du programme Linky, tout le monde espérait pouvoir récupérer cette information horaire pour pouvoir faire cet arbitrage très simple dans l’état actuel de la tarification. Ce qui est proposé aujourd’hui ne permettra pas de le faire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pourquoi ?

M. Fabien Choné. Parce que la CNIL considère que la connaissance de la répartition horaire doit faire l’objet d’un accord préalable du client. Or, pour disposer de l’ensemble des informations qui permettent un arbitrage entre heures pleines et heures creuses, il faut un historique d’un an. Le client qui souhaite faire une optimisation sur deux tarifs qui existent depuis plusieurs dizaines d’années devra donner l’autorisation à ERDF. De son côté, pour lui donner une information exhaustive sur un an, ERDF devra attendre… un an. Le système n’est pas du tout réactif. On est très loin de la révolution numérique… Tout cela parce qu’on n’a pas voulu aller jusqu’à la période horaire.

Certes, la période horaire véhicule un peu plus d’informations sensibles que la période journalière, mais elle donne 80 % d’informations de plus pour optimiser la consommation du client, sa puissance souscrite, son offre tarifaire et sa demande en énergie. Pourtant, on n’a pas voulu confier à ERDF, dont c’est le métier, des données un peu plus sensibles que les consommations journalières. C’est dommage, car ERDF aura à gérer finalement très peu d’informations ; on est loin du développement de l’industrie numérique espéré grâce à Linky.

Certes, il faut encadrer de façon très stricte la manière dont les données seront émises et traitées à l’aval, mais il faut faire confiance à ERDF pour qu’il puisse enregistrer, en amont, les informations horaires. C’est l’intérêt des consommateurs et un enjeu de transition énergétique ; à défaut d’avoir ces informations, nous n’aurons pas la possibilité d’optimiser l’offre du client et de lui envoyer les signaux économiques qui correspondent aux contraintes du système électrique que j’évoquais tout à l’heure.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si j’ai un affichage déporté, j’ai mes informations aval.

M. Fabien Choné. Le consommateur a ses informations aval, mais le fournisseur pas forcément. Cela dit, seuls les clients précaires auront ces informations.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si j’achète un dispositif, je les aurai.

M. Fabien Choné. Oui, mais on va payer 5 milliards un dispositif qui pourrait les enregistrer sans qu’il soit nécessaire d’installer un ERL et un afficheur en plus.

Mme Martine Lignières-Cassou. Je posséderai mes informations aval, mais si elles sont transmises demain sur mon smartphone ou ma box, le propriétaire de leur système d’exploitation les aura également. On imagine le business auquel cela peut donner lieu… Les données personnelles sont protégées en Europe, mais pas hors de l’Europe. Ce type de données peut intéresser des banquiers, mais bien d’autres gens.

M. Nicolas Mouchnino. Comme l’a dit M. Choné, c’est le fournisseur qui détermine sa tarification en fonction d’un certain nombre de contraintes. Aujourd’hui, si l’on ne définit pas la manière dont on transmet les prix, demain le développement in house ne sera pas possible. Autrement dit, un consommateur qui voudrait à toute force développer une technologie à l’intérieur, c’est-à-dire sans communiquer avec personne, à la différence des cloud que l’on trouve sur le téléphone, ne pourra pas le faire : il sera dépendant du protocole défini par le fournisseur. Mais s’il veut changer de fournisseur et que le nouveau n’utilise pas le même protocole, le client devra racheter des équipements compatibles avec le nouveau fournisseur – ou renoncer à en changer. C’est ce qui existe déjà avec la téléphonie mobile : si vous avez un téléphone Apple et que vous décidez d’en changer pour acheter un smartphone sous système Google, il vous faudra changer tous vos équipements car ils ne sont pas compatibles et vous ne pourrez pas récupérer vos données stockées sur le cloud. Si l’on n’encadre pas les choses en amont, cela va créer des frictions.

Les débats qui ont lieu actuellement à la DGEC sur la façon dont le compteur doit communiquer avec l’afficheur déporté tournent au casse-tête parce qu’il existe une dizaine, voire une quinzaine de protocoles de communication, certains fermés, d’autres non propriétaires, et personne ne sait comment va évoluer la technologie. Si l’on veut demain préserver une possibilité de développement in house, il nous semble important d’avoir un minimum de garanties sur ces modes de communication. Cela nécessite à la fois des données sur la consommation en kilowattheures mais aussi en prix. Sinon, le consommateur sera dépendant d’un tiers, ce qui est dommageable.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. En vous entendant les uns et les autres, on a l’impression que l’on avance à des rythmes différents.

J’ai la chance d’avoir un compteur Linky, installé tout récemment. J’aimerais bien pouvoir disposer des outils techniques qui me permettraient d’avoir des informations précises sur ma consommation, etc. Or je comprends que cela suppose au préalable de lever un certain nombre de difficultés…

M. Julien Aubert. Je comprends pour ma part que nous avons fait un choix budgétaire et technologique sans en assumer totalement les conséquences. Autrement dit, on va payer 5 milliards d’euros pour avoir un dispositif intelligent, alors qu’il ne fonctionnera qu’à 20 % de ses capacités en raison de considérations liées au respect de la vie privée.

Je connais des gens qui ont téléchargé une application sur leur smartphone qui leur permet de connaître en temps réel leur consommation d’électricité, voire d’arrêter des appareils électriques depuis leur téléphone. À quoi sert un dispositif qui sera payé par le contribuable, mais qui sera incomplet, alors que je peux disposer d’un système beaucoup plus flexible avec mon smartphone qui ne demande aucune installation ? Je crains que les pauvres – ceux que l’on appelle pudiquement « les précaires » – ne se retrouvent avec un système un peu soviétique puisqu’ils devront attendre qu’on leur installe le dernier terminal et un délai d’un an, alors que ce sont eux qui ont besoin de faire des économies d’énergie, et que les autres, c’est-à-dire ceux qui pourront payer, choisiront des modèles plus flexibles. Est-ce une vision de l’esprit ou ce risque existe-t-il ?

M. Olivier David. C’est l’inverse qui va se passer. Les pauvres pourront disposer gratuitement de leur consommation en temps réel, tandis que les riches devront payer ce service. Ce sont les pauvres qui auront le système le plus sophistiqué.

M. Julien Aubert. Je ne partage pas tout à fait votre avis…

M. Olivier David. J’entends bien les critiques formulées par Fabien Choné. Mais il ne faut pas oublier que c’est la CNIL qui a prévu de protéger les données individuelles et qui en assurera le contrôle. C’est ce qui explique que le consentement explicite du consommateur d’électricité est indispensable pour pouvoir utiliser sa courbe de charge. Certes, on peut le regretter, mais la protection des données individuelles est prioritaire.

M. Jean-Luc Dupont. Je crois que M. Choné et M. David disent finalement la même chose. La difficulté réside entre le stockage de la donnée et son usage. M. Choné demande que l’on autorise systématiquement ERDF à stocker la donnée, puis que le client puisse déclencher l’usage.

Imaginez que j’occupe un logement pour lequel je ne veux pas transmettre ma donnée de comptage, puis que je quitte ce logement. Si la personne qui me succédera veut utiliser les données de chauffage, elle n’aura pas l’historique. Elle devra attendre un an. Mais si la donnée a été stockée dans l’outil, le client pourra déclencher la transmission de la donnée au fournisseur qui pourra proposer une grille tarifaire, des index, etc., pour adapter le profil de consommation. Il faut donc dé-corréler le captage de la donnée et en permettre l’enregistrement par un opérateur de confiance, dans le cadre d’un service public et des conditions parfaitement sécurisées, puis permettre à l’usager de déclencher lui-même, comme il l’entend et en direction qui il veut l’usage de la donnée du lieu de vie. Dans le parc social, où les rotations de locataires sont fréquentes, cette donnée n’est pas accessoire ; elle est même très importante. Si l’on ne veut pas aboutir à un service public à deux vitesses, il faut être en mesure transmettre ces informations. Il est surréaliste de laisser croire que la courbe de charge sera si fine qu’elle constituera une intrusion dans la vie privée. Un réfrigérateur consomme bien plus que les ampoules basse consommation que vous allumez lorsque vous rentrez chez vous. Aussi la courbe de charge ne permettra pas de détecter votre arrivée. De même, lorsque vous ouvrez le robinet de douche, le matin, comme le chauffe-eau a travaillé en heures creuses, la courbe de charge ne détectera pas que le chauffe-eau est en marche, que vous vous douchiez à huit ou neuf heures. Si l’on ne veut aucune intrusion dans sa vie privée, il faut déchirer sa carte bancaire et rendre son smartphone.

M. André Flajolet. Et fermer sa boîte mail !

M. Fabien Choné. Tout à l’heure, j’ai dit que l’on ne récupérera que 20 % des capacités du dispositif pour optimiser l’offre tarifaire ; cela ne remet pas en cause l’équilibre que j’évoquais tout à l’heure. Cela étant, cela améliorerait encore la rentabilité du projet, et notre devoir à tous est de faire en sorte qu’il soit le plus rentable possible pour le consommateur. En la matière, je crois qu’il y a consensus. Les consommateurs, les collectivités concédantes et les fournisseurs sont tous conscients des enjeux, notamment en termes de transition énergétique. Nous avons besoin de ces informations pour optimiser l’offre faite au client et lui envoyer des signaux économiques. Malheureusement, la CNIL considère qu’on ne peut pas aller plus loin en l’état actuel de la législation. Je vous invite à vous pencher sur la question pour savoir s’il ne faudrait pas qu’ERDF enregistre la donnée horaire et, parallèlement, faire en sorte que le consentement du consommateur soit systématiquement requis pour éviter tout risque à cet égard. Cela permettrait de rassurer le consommateur qui peut craindre légitimement que les courbes de charge à la seconde ne constituent une intrusion dans sa vie privée.

Il faut durcir tout ce qui se passe à l’aval où les enjeux en termes de respect de la vie privée sont importants tout en assouplissant un peu ce qu’ERDF va faire pour décupler la rentabilité du projet Linky. Pour ce faire, il faut prendre des mesures législatives.

M. Bernard Lassus. J’ai été assez surpris d’entendre que l’on n’utilisera que 20 % des capacités du compteur Linky. Ce qui est compliqué dans cette affaire, c’est que ce compteur s’adresse à différents types d’acteurs. Il y a d’abord ce dont a besoin le consommateur pour mieux maîtriser sa consommation : celui-là ouvrira l’espace sécurisé qu’ERDF lui mettra gratuitement à disposition, avec ses limites. Mais ce compteur s’adresse aussi aux collectivités territoriales, à l’exploitant et aux fournisseurs.

Dans ce débat très centré autour du consommateur, on aurait tort d’oublier d’autres actions très fortes : l’intégration des énergies renouvelables, mais aussi la maîtrise de la boucle locale. Aussi bizarre que cela puisse paraître, Linky est un objet du local : il donne la main à l’acteur local sur des politiques d’énergie de proximité, ce qui n’était pas le cas auparavant. Je ne voudrais donc pas qu’on laisse croire que ce système est déjà ringard avant même qu’il ne soit déployé. Beaucoup de pays nous observent parce que cet outil est bien plus sophistiqué que ce qui se fait à l’étranger. Nous avons la possibilité de mettre en place un système qui représente un pas de géant par rapport à ce qui se fait en Italie, par exemple.

M. Nicolas Mouchnino. Effectivement, monsieur le rapporteur, si le dispositif Linky est trop compliqué ou trop bloquant pour le consommateur, celui-ci pourra être tenté de s’orienter vers les solutions technologiques que vous évoquiez. Avec le compteur Linky, le risque est de se retrouver captif. Dès lors qu’il est question de standard, il y a un risque pour le consommateur de se retrouver captif ou prisonnier d’un standard dépassé. Quelle que soit la solution qui sera retenue, elle doit avant tout être simple pour le consommateur. Sinon, le dispositif Linky risque d’être remplacé par des applications sur smartphone, alors qu’il est déjà commandé… et payé. Cela étant, lorsque vous voulez commander vos équipements avec votre smartphone, vous devez avoir au minimum Internet, le Wifi pour que vos équipements communiquent avec votre borne dans la maison, et un téléphone capable de communiquer avec votre maison – autrement dit, un dispositif potentiellement coûteux pour le consommateur. En revanche, si l’on définit un protocole assez simple pour le compteur Linky, le client pourra bénéficier d’un système qui sera déjà présent dans la maison et susceptible de lui éviter toutes ces dépenses. Si l’on utilise très peu les services proposés par Linky, c’est en raison de contraintes fortes et d’une difficulté pour le consommateur à les comprendre. Si des services avaient été développés dès l’origine et testés avant le déploiement, le consommateur aurait compris son intérêt. Pourquoi autoriserait-il aujourd’hui cette collecte de données si on lui dit qu’il s’agit juste de collecter de la donnée pour plus tard ?

Tous ces débats auraient pu être évités si le compteur avait pu stocker les données pendant une période d’un an, autrement le temps nécessaire pour comparer des offres, proposer des services d’efficacité énergétique, et connaître sa consommation pendant la période hivernale. Or le consommateur va devoir attendre un an, s’il n’a pas donné son autorisation lors du déploiement du compteur, pour pouvoir optimiser ces services, tout simplement parce que le compteur ne peut stocker que cinq mois de données fines de consommation, alors que l’on a besoin d’un an, ne serait-ce que pour retracer la période de chauffe, par exemple. À quoi bon demander au consommateur de stocker ses données si on ne lui propose pas de service ?

M. Bernard Lassus. Des concertations ont eu lieu pendant des années ainsi qu’un retour d’expérience. Plus on avance dans le débat, plus se font jour des idées nouvelles. Mais à un moment donné, lorsqu’on est dans une démarche industrielle, il faut bien définir un cahier des charges, retenir quelques hypothèses, arrêter une technologie, ne serait-ce que pour s’assurer de sa faisabilité, mettre en œuvre les études nécessaires, vérifier les fonctionnalités… Et tout fonctionne, je puis vous l’assurer. Je sais que l’on aurait pu faire davantage encore, mais beaucoup a été déjà fait.

Monsieur Choné, nous commençons à avoir les premières demandes de création d’espace. Le retour d’expérience nous permettra, je l’espère, d’apporter des améliorations au fil de l’eau. Mais, de grâce, il faut savoir stabiliser le cahier des charges à un moment donné, faire fonctionner le système et l’améliorer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il ne faut pas oublier que le compteur Linky, à la différence des applications, est la première pierre des smart grids. À mon sens, ce n’est pas négligeable.

M. Nicolas Mouchnino. Nous suivons ce projet depuis 2007. Nous pensons que le dispositif présente un réel intérêt pour le consommateur. M. Lassus estime qu’il faut arrêter un cahier des charges. Si les tests avaient été effectués dès le départ avec le consommateur, on aurait pu percevoir ces problématiques. Voilà ce que nous regrettons.

M. Bernard Lassus. Nous allons vous transmettre le document que nous avons réalisé sur le retour d’expérience. Vous verrez comment le matériel a déjà évolué et changé. Nous aurions pu encore faire mieux, je le reconnais, mais nous avons déjà fait beaucoup de choses.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie.

LES QUESTIONS JURIDIQUES

M. André Flajolet. Nous avons choisi d’équiper l’ensemble du territoire français du compteur Linky, autrement dit d’éviter toute fracture entre les zones urbaines et les zones rurales.

Il n’empêche que l’on assiste à un phénomène très minoritaire que je ne parviens pas à mesurer – s’agit-il de 2 % comme le disent certains, ou de 5 % : sous la pression médiatique ou associative, certains maires ont pris un arrêté interdisant le déploiement du compteur Linky dans leur commune.

Y a-t-il un fondement juridique à cette décision ou est-elle opposable aux tiers ? L’État pourrait-il nous dire ce qu’il en est ? À cet égard, je regrette l’absence de M. François Pesnaud, sous-directeur des compétences et des institutions locales à la Direction générale des collectivités locales (DGCL). Cette question est capitale : si nous acceptons de laisser perdurer un système comme celui-là, c’est tout l’édifice structurel de modernisation du schéma qui risque d’être remis en cause.

M. Jean-Luc Dupont. L’année dernière, dès l’annonce du déploiement du compteur Linky, on a vu se développer un système bien organisé de pseudo-associations qui envoyaient des courriers très ciblés aux maires en fonction des dates de déploiement. Le début du courrier était très doux : en substance, on les informait de l’existence d’un risque sanitaire, un risque d’incendie, etc. Puis le ton allait crescendo, jusqu’à menacer : « Maintenant que vous savez, vous serez responsable. » À l’évidence, de tels courriers ont pu émouvoir.

Forts de ces premières remontées de terrain, nous avons immédiatement diligenté une étude juridique auprès d’un cabinet d’avocats spécialisé afin d’apprécier quelle pouvait être d’abord la responsabilité de l’élu dans une telle opération, menée dans le cadre d’un programme national, ensuite la capacité de l’usager à refuser la pose d’un compteur dont, je rappelle que ce n’est pas lui le propriétaire, mais les collectivités locales.

L’analyse juridique qui nous a été remise par ce cabinet, en présence des représentants de l’AMF, est très claire : dès lors qu’un cadre juridique et réglementaire permet la mise en œuvre opérationnelle, seul l’exploitant, autrement dit ERDF, a la responsabilité de cette mise en œuvre et il est parfaitement illégal de vouloir s’y opposer. Toutes les délibérations prises par la collectivité sont donc nulles.

Lors du dernier comité de suivi, nous avions appelé de nos vœux que la DGCL alerte rapidement les préfets. C’est chose faite : un courrier a été adressé à tous les préfets de France et de Navarre pour les informer que toutes les délibérations prises devaient être bloquées. Et nous savons que certains préfets qui ont eu connaissance de délibérations ont d’ores et déjà informé les élus que non seulement ils pouvaient déférer au tribunal administratif toutes ces délibérations, mais que de toute façon elles étaient entachées de nullité et n’empêcheraient pas le déploiement.

Pour ce qui est de l’usager, la méthode retenue face à ce genre de blocage ne consiste évidemment pas à envoyer la force publique pour poser les compteurs : on prend un peu de recul et on essaie de dialoguer plutôt que d’envoyer la force publique.

Lorsque l’on a commencé à poser les compteurs, en 2010-2011, on s’est aperçu qu’il y avait avant tout un problème de communication. L’analyse juridique démontre qu’un usager qui, à terme, persisterait à ne pas vouloir changer son compteur, s’expose à plusieurs risques, dont un qui concerne le service et la sécurisation du dispositif électrique. Le fournisseur pourrait lui couper l’accès à l’énergie dès lors qu’il ne serait pas équipé d’un appareil conforme. De plus, comme il ne serait pas possible de relever l’index de consommation par télé-opération, ces opérations, gratuites avec un compteur Linky, deviendraient facturables par un compte de tiers.

Le cadre juridique est donc clair. La directive aux préfets, qui permet d’avoir une action très proactive dans les réunions publiques locales et auprès des associations locales et des maires, est aussi un relais très important. Nos collègues du Finistère ont organisé des réunions publiques il y a quelque temps sur leur territoire en présence d’ERDF et de la sous-préfète. Lorsque celle-ci a indiqué que les délibérations prises par les maires étaient nulles et illégales, les maires ont rapidement compris qu’ils n’étaient pas directement responsables du déploiement du compteur parce qu’ils avaient transféré leurs compétences électriques à un syndicat départemental organisateur de la distribution. Aussi n’avaient-ils plus la capacité à s’opposer au projet. Les présidents de syndicats départementaux d’énergie que nous sommes n’ont pas non plus la capacité à s’opposer à un dispositif national prévu par la loi. Sur 36 000 communes, 138 délibérations environ avaient été prises.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai bien entendu qu’une circulaire ou un courrier a été adressé aux préfets.

M. André Flajolet. Il serait bon de l’insérer dans votre rapport.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Tout à fait !

M. Vincent Corneloup, conseil de l’association Robin des Toits. Vous aurez compris que la position de l’association Robin des Toits dont je suis l’avocat ne consiste pas à rejeter les compteurs intelligents. Au contraire, elle a souhaité leur mise en place car ils présentent un intérêt en matière de transition énergétique. En revanche, elle est contre le compteur Linky développé par ERDF.

La directive européenne, la loi française et les décrets n’imposent pas le compteur Linky mais les compteurs intelligents. Linky n’est qu’une forme de compteur intelligent.

Cela veut dire, et l’étude qui a été faite par mes confrères est parfaitement exacte, qu’il est strictement impossible pour une commune d’aller à l’encontre du déploiement des compteurs intelligents parce que ce serait une décision contra legem manifestement irrégulière.

En revanche, dans la mesure où la loi n’impose pas une méthodologie, une technologie spécifique mais simplement le compteur intelligent, n’est-il pas possible que les collectivités s’opposent au compteur Linky pour favoriser d’autres formes, notamment celle qui est portée par ma cliente, à savoir un compteur intelligent qui reposerait sur un système filaire, en l’occurrence le réseau téléphonique existant ?

Sur ce point précis, une commune peut-elle intervenir ? Dans l’immense majorité des cas, c’est strictement impossible puisqu’elles ont délégué leurs compétences à des établissements publics de coopération intercommunale. En revanche, les syndicats qui portent différents noms – les plus anciens s’appellent syndicats d’électrification et les plus récents sont des syndicats d’énergie électrique – sont des autorités concédantes qui ont un lien contractuel avec ERDF via le contrat de concession. Nous savons tous que ce contrat de concession est un contrat administratif, ni plus ni moins. Ces contrats administratifs contiennent un certain nombre de pouvoirs, dont le pouvoir de direction pour la personne publique qui a deux composantes : le pouvoir de contrôle et le pouvoir de modification unilatérale. C’est ce dernier qui m’intéresse. Les autorités concédantes ont-elles un pouvoir de modification unilatérale en ce qui concerne les compteurs de type Linky ?

L’association Robin des Toits, que je représente, considère que les établissements publics concernés ont le pouvoir de modifier éventuellement le contrat de concession. Comment est-ce envisageable juridiquement ? Le compteur appartient aux collectivités territoriales – c’est l’article L. 322-4 du code de l’énergie – et le pouvoir de modification unilatérale est un principe général reconnu par le Conseil d’État à deux conditions : il ne doit être utilisé que dans un but d’intérêt général et ne doit pas modifier pas de manière substantielle le contrat. Dès lors qu’une autorité concédante modifierait le contrat de concession indiquant qu’elle ne souhaite pas que les compteurs intelligents prennent la forme d’un compteur Linky, on ne saurait parler de modification substantielle puisque l’on fonctionne actuellement avec les anciens compteurs. Et il y aurait bien un but d’intérêt général, ne serait-ce que pour permettre un meilleur déploiement de ces compteurs dits intelligents. Enfin, il y a une propriété publique sur laquelle la personne publique en cause peut intervenir.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je tiens à remercier tous les intervenants pour la qualité de ces échanges. Nous avons beaucoup appris.

La table ronde s’achève à dix-neuf heures cinquante.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Mission d'information commune sur l'application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

Réunion du mercredi 11 mai 2016 à 16 h 45

Présents. - M. Bernard Accoyer, M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Martine Lignières-Cassou, Mme Béatrice Santais

Excusés. - M. Patrice Carvalho, M. Jean-Jacques Cottel, M. Alain Leboeuf