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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Lundi 24 novembre 2014

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 55

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président

Compte rendu restreint de l’audition du 24 novembre 2014 sur « Les drones et la sécurité des installations nucléaires »

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

24 novembre 2014

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 14 heures

Compte rendu restreint de l’audition du 24 novembre 2014 sur « Les drones et la sécurité des installations nucléaires »

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président. – Depuis quelques semaines, une vingtaine de drones au moins a survolé les 19 centrales de production et les autres installations nucléaires françaises, en violation de la loi.

L’OPECST, dont la compétence dans les questions nucléaires est reconnue au sein du Parlement depuis 25 ans, a pris l’initiative de réunir aujourd’hui les principaux acteurs de la sécurité et de la sûreté des installations nucléaires afin de mieux connaître les drones et les nouvelles menaces qui pourraient provenir du survol des centrales nucléaires par des drones et l'organisation des modalités de riposte possibles. Nous savons la difficulté de l’exercice, qui doit trouver un équilibre entre information du public et nécessité de confidentialité sur ce sujet sensible, puisqu’il concerne la sécurité de nos installations nucléaires civiles. Mais, la position de l’Association nationale des comités et commissions nationales d’information (ANCCLI) résume les interrogations qui se sont exprimées, celles du  « flou entourant ce dossier et du manque d’information ». La conséquence la plus grave est sans doute que les citoyens pensent qu’on leur cache quelque chose. De ce fait, dans un récent sondage d’opinion, 27 % seulement pensent que les centrales sont bien protégées, confondant souvent les notions de sûreté et de sécurité nucléaire. Nous avons donc souhaité, comme la Constitution nous le permet, procéder à ces auditions, car nous ne souhaitons pas que cette affaire de drones réduise à néant 15 ans de transparence et d’excellent travail mené par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Deux auditions sont prévues, d’abord une à caractère confidentiel, que nous venons de commencer, ensuite une audition publique ouverte à la presse. Tous les participants à cette première audition sont bien évidemment invités, s’ils le souhaitent, à rester pour la seconde. Certains d’entre vous ont accepté d’intervenir aux deux auditions.

Cette première audition réunit les acteurs traitant d’informations touchant à la sécurité et à la défense nationales. L’accès à cette salle a été réservé aux seules personnes auditionnées, aux parlementaires de l’OPECST et à certains fonctionnaires de l’Assemblée nationale et du Sénat travaillant à l’OPECST. L’audition n’est pas filmée. Un compte rendu sera rédigé et soumis à chacun des intervenants, qui aura la possibilité d’en retrancher tous les propos qu’il estime ne pas devoir être portés à la connaissance du public. C’est ce seul compte rendu ainsi modifié qui sera ensuite publié à la page de l’OPECST sur le site internet de chaque assemblée.

Table ronde sur le survol des installations nucléaires par les drones : quelles ripostes pour quelles menaces ?

J’ouvre la table ronde sur le survol des installations nucléaires par les drones : quelles ripostes pour quelles menaces ? Trois thèmes seront successivement abordés, qui recouvrent autant de cercles concentriques de plus en plus petits : les drones et la défense nationale ; la protection externe des installations névralgiques ; et la sécurité dans le périmètre des installations.

Chaque intervenant a été informé qu’il dispose d’un temps de parole de cinq minutes pour une intervention liminaire, afin que chacun puisse s’exprimer, pour recueillir toutes les informations utiles, en évitant si possible, et je vous en remercie d’avance, de se répéter d’un intervenant à l’autre. Le respect des temps de parole permettra ensuite la tenue d’un débat plus libre avec les parlementaires où il vous sera possible de vous exprimer à nouveau.

 Thème n° 1 : Les drones et la défense nationale

Le premier thème abordé concerne les drones eux-mêmes. Quelles sont leurs capacités, leurs technologies, pour apprécier leur niveau de dangerosité ? À quelles menaces nouvelles avons-nous affaire ? Quelle est la traçabilité du commerce des drones militaires et civils ?

Les drones peuvent aussi représenter une solution car ils sont de plus en plus utilisés comme moyen de surveillance, tant dans le domaine civil que militaire. Nous nous interrogeons aussi sur les dispositifs de détection et de surveillance (radars, goniométrie, téléphonie, signature acoustique, ondes, renseignement d’origine électromagnétique) et de neutralisation (brouilleur, laser…). Y a-t-il des failles de sécurité, des lacunes capacitaires ?

La menace a-t-elle augmenté de façon significative, c’est la question que se posent nos concitoyens ? Qu’apportent les drones par rapport aux satellites en matière de renseignement photo ou vidéo, par rapport à ce que l’on peut avoir sur Google Earth ?

Monsieur Oswald, Airbus Defence & Space est le constructeur du drone militaire Harfang, utilisé par l’armée de l’air. A-t-on affaire à des drones à potentiel dangereux d’après vous ?

M. Patrick Oswald, directeur commercial France « air et sécurité », Airbus Defence & Space. – Il s’agit d’un débat qui intéresse l’ensemble de la communauté de défense et de sécurité. En tant qu’industriel, je vais essayer de donner notre éclairage de la menace. La première question qui se pose est : pourquoi utiliser des drones contre des sites sensibles ? Un individu ou un organisme cherche à attaquer un site sensible pour mener trois types d’action : du sabotage, de l’espionnage et – ce qui est un peu plus récent et qu’on ne retrouve pas forcément dans le domaine militaire – un effet psychologique ou médiatique. Pour assurer ses missions, l’attaquant trouve dans un drone toutes les qualités qu’il recherche, et c’est pour cela que les militaires s’en sont dotés. Un drone est un camion volant qui permet d’apporter une charge utile sans mettre en danger le pilote, la plupart du temps ils sont commandés à grande distance, avec une certaine discrétion – on l’a vu avec les épisodes récents sur les centrales –, et pour des coûts qui peuvent être beaucoup plus faibles qu’avec des vecteurs pilotés.

Pour la communauté des fabricants de drones, ce n’est pas une surprise que de voir le développement du marché des drones civils s’accompagner d’une augmentation de leur utilisation à des fins illicites. Notre analyse d’industriel montre que nous pouvons être confrontés à deux grandes classes de menaces, qui sont assez différentes : les drones militaires et les drones civils « hors la loi ». Pour la problématique d’aujourd’hui, je pense que nous avons affaire à cette deuxième catégorie. Pourquoi les drones militaires correspondent-ils à une autre problématique que celle du survol des centrales ? Ils sont extrêmement performants. Leur masse va aujourd’hui de quelques kilogrammes à plusieurs tonnes. Ils peuvent voler entre une heure et plus de trente heures pour certains, sur des distances qui peuvent aller de 10 kilomètres à plusieurs milliers de kilomètres. Le drone DRAC de l’armée de terre ou le drone Harfang de l’armée de l’air sont dans cette catégorie.

Ces drones sont majoritairement dédiés à la surveillance, car les militaires disposent de vecteurs bien plus efficaces pour les charges utiles qui pourraient aujourd’hui être emportés par les drones. Ces drones ont des caractéristiques spécifiques aux besoins militaires, avec des modes de guidage complexes, des liaisons sécurisées, de la discrétion. Les drones militaires demandent des investissements très importants, un niveau technique élevé, ainsi que souvent des infrastructures et une chaine logistique complexe.

Enfin, ces systèmes sont détenus par des gouvernements ou des agences internationales, et non vendus à des particuliers. Ils sont soumis à des règles drastiques sur les systèmes ou leurs composants, car pour la plupart ils sont considérés en France comme des matériels de guerre. Pour les plus gros, le régime anti-prolifération impose une contrainte encore plus forte avec la nécessité d’un accord supplémentaire, le « MTCR » (missile technology control regime), qui en limite l’acquisition, même pour les États.

Pour toutes ces raisons, il est très peu probable de voir des survols de drones militaires hostiles sur le territoire national. Ils rentrent dans un cadre plus classique que les forces armées ont l’habitude de rencontrer. Nous pensons que, par rapport aux missions que j’ai citées que pourraient se donner certains individus, les drones civils disponibles sont largement suffisants pour arriver à ces fins.

Que peuvent donc être ces drones ? Pour nous, ces drones sont aujourd’hui ce que je qualifierais de drones civils « hors la loi » : ils sont à usage civil, ils peuvent être achetés librement sur internet par exemple, ils sont utilisés en dehors du cadre légal. Ainsi, on peut trouver en vente libre un drone hélicoptère qui coûte entre 800 et 2 000 euros, pèse 1 kilogramme, vole 30 minutes, parcourt une distance de 1 kilomètre, avance à une vitesse de 10 mètres par seconde et embarque une caméra vidéo. Ses modes de guidage sont évolués car il peut être commandé en direct ou avoir des points de passage sans nécessiter de liaison, ce qui suppose une grande progression dans la technicité. Enfin, on trouve des systèmes d’aéromodélisme qui font plus de 50 kilogrammes.

Un « menaçant », peut donc, avec un minimum de compétences et de moyens financiers, modifier ces drones et en adapter les charges utiles. Nous avons fait un portrait-robot de ce drone : il pèserait entre un et plusieurs kilogrammes, il aurait une charge utile moyenne d’environ 5 à 10 % de sa masse au décollage, il aurait une portée d’au moins 1 000 mètres, car les enceintes des sites nucléaires ont souvent un rayon de cette longueur, en vue directe il aurait plusieurs kilomètres de portée, en pilotage sans point de contact on peut imaginer une portée de plusieurs dizaines de kilomètres.

Pourquoi ces drones sont-ils hors la loi ? Aujourd’hui deux types d’usage sont autorisés pour les drones civils : le loisir et le domaine professionnel. Ils sont très encadrés. Nous allons créer un conseil des drones civils avec la direction générale de l’aviation civile (DGAC) et tous les participants de la profession : leur usage est limité dans l’espace aérien, en distance, en volume et en masse ; ils sont interdits dans les zones déclarées sensibles ou les zones peuplées ; les fréquences sont aussi très contrôlées ; le droit à l’image enfin doit être respecté.

En conclusion, pour toutes ces raisons, il nous parait aujourd’hui peu probable que nous ayons affaire à des drones militaires, du fait de leur contrôle et des organismes auxquels nous les vendons. Par contre, il est probable que nous ayons affaire à des drones civils achetés dans le commerce, détournés et utilisés sans respect des règles fixées par la DGAC à l’ensemble de la profession.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Monsieur Delevacque, Thales est le constructeur du drone Watchkeeper, utilisé par l’armée de terre. D’après vous, de quels moyens logistiques faut-il disposer pour effectuer les survols répétés que l’on constate ?

M. Guy Delevacque, président, Thales Air Systems. – Je concentrerai ma présentation sur les mini et microdrones, qui constituent une menace difficilement identifiable. L’armée de l’air dispose de tous les moyens pour traiter les menaces représentées par les drones d’une taille supérieure. Ces drones petits et micro constituent une menace car
– précisément – ils sont de petite taille et ils ont une faible vitesse et une faible altitude de vol. Ainsi, aujourd’hui, ils ne sont pratiquement pas détectables par le réseau de radars déployé par l’armée de l’air sur le territoire national. Ces drones peuvent être transformés en « drones suicide », certains pays travaillent sur ce genre de menace. Avec une petite charge utile, ils pourraient représenter un danger pour des centrales nucléaires, mais aussi pour les rassemblements de foule, avec des dommages importants à l’endroit où ils seraient guidés.

Pour traiter ces menaces, il faut être capable de détecter ces drones, de localiser leurs auteurs, puis de les neutraliser. Les moyens de détection radar de l’armée de l’air sont inopérants. Des moyens locaux placés à proximité des zones sensibles sont donc nécessaires : radars, dispositifs de guerre électronique pour intercepter les communications entre la station de pilotage et le drone, ou encore moyens optiques. Les drones sont donc facilement détectables, ces moyens doivent être intégrés dans le système de surveillance aérienne du territoire, si on veut garder la cohérence d’ensemble.

Il est facile de localiser les auteurs, car on peut détecter le mouvement suivi par le drone depuis l’origine. On peut aussi intercepter les communications, des moyens de guerre électronique existent pour cela. On peut mettre en place des réseaux de goniométrie qui permettront de détecter les auteurs de ces actions. Détection et localisation sont donc possibles.

La neutralisation ne pose pas de problème en soi au niveau des moyens. On peut imaginer des techniques de brouillage de liaison de données. Si les drones ne sont pas guidés par liaison de données, on peut aussi imaginer le brouillage du GPS, rendant le drone aveugle et l’empêchant de se déplacer. On peut même imaginer des solutions de destruction physique : à l’extrême, cela peut se faire par des systèmes de défense sol-air comme le Crotale ou les canons antiaériens. La conception et la mise en place de moyens de neutralisation ne posent pas de problème particulier, seul le concept d’emploi reste à définir, car un drone détruit retombe au sol, de même que les obus antiaériens. De telles actions pourraient engendrer des dommages pour les biens ou les personnes situés dans la zone attaquée.

En résumé, cette menace est sérieuse et des moyens techniques de détection, de localisation de leurs auteurs et de neutralisation existent. Nous recommandons que ces moyens soient mis en place dans le cadre de la chaine de posture permanente de sécurité (PPS) du Centre national des opérations aériennes (CNOA) de l’armée de l’air. On pourrait aussi imaginer de mettre en place des moyens déplaçables pour pouvoir se positionner là où la menace est la plus importante. Il convient enfin de bien réfléchir au concept d’emploi, qui nous parait la question majeure à traiter, avant la destruction des drones, pour assurer la sécurité de tout l’environnement.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Monsieur Devaux, la direction générale de l’armement a une expertise tant sur les drones militaires que sur les moyens de riposte. Quels sont les moyens à l’étude pour faire respecter l’interdiction de survol ?

MJean-Pierre Devaux, ingénieur général de l’armement, directeur de la stratégie, direction générale de l’armement (DGA), ministère de la défense. – Les systèmes de drones de toute taille et de toute nature se sont considérablement répandus ces dernières années, et la tendance devrait se poursuivre, voire s’accélérer. Si l’on excepte les grands drones (MALE et HALE) qui sont l’apanage d’une poignée de pays, la menace proliférante pour nos forces en opération en matière de drone est constituée d’engins de petite taille : drone tactiques (plusieurs dizaines ou centaines de kilogrammes), minidrone (plusieurs kilogrammes), microdrone (un ou quelques kilogrammes).

Le danger que représentent ces systèmes est principalement de deux ordres : renseignement de l’adversaire sur le dispositif et la manœuvre de nos forces et agression par drone « kamikaze ». Pour les microdrones (voire les minidrones), on est dans une logique de type EEI (engin explosif improvisé), avec un fort emploi de l’innovation à disposition sur le marché (« sur étagère »), difficile à prévoir en termes d’évolution.

Les capacités d’emport de ces engins, comme leur manœuvrabilité, sont cependant faibles, au moins à l’échelon individuel. Il existe des technologies de fonctionnement en essaims qui pourraient accentuer de manière assez forte les possibilités de ces engins, dès lors que vous en faites arriver une dizaine ou une vingtaine sur un lieu donné. Nous surveillons bien évidemment toutes les technologies, ainsi l’emploi du GPS ou le stockage de données avec très peu de communication en vol.

La menace, d’un point de vue militaire, est à ce jour considérée comme faible, même si elle existe. Elle n’a en conséquence pas justifié à ce jour l’expression de besoin pour la mise en place de moyens dédiés à la détection ou la neutralisation de petits systèmes de drone. Cette menace des minidrones est cependant considérée plus sérieuse à l’horizon post 2020.

Des programmes comme Scorpion ou SCCOA (système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales) intégreront à cette échéance la lutte contre ces engins pour la protection, d’une part, en opération, d’une force terrestre, d’autre part, sur le territoire national, des zones interdites temporaires (ZIT) englobant entre autres les centrales nucléaires, dans le cadre de la posture permanente de sureté (PPS) qui relève de la responsabilité de l’armée de l’air.

Des études ont été réalisées sur la vulnérabilité d’un minidrone, dans l’optique à la fois d’une conception robuste aux attaques contre nos minidrones, mais aussi pour alimenter une réflexion sur la neutralisation.

En 2013, une étude technico-opérationnelle (ETO) a étudié la lutte contre des cibles de tailles plus importantes : ULM, avion « dronisé » de type aéroclub avec une surface équivalente radar (SER) assez forte. Pour la détection, ont été prise en compte les capteurs de type radar actif ou passif, ou encore veille optronique. Vu la faible signature d’un minidrone, cette étude nécessitera de prendre en compte un ensemble de moyens de détection comme par exemple le radar passif ou l’acoustique. Une opération d’expérimentation réactive (OER) est en cours d’instruction pour caractériser les capacités d’un radar passif face à cette menace, en particulier celui de l’Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA).

L’OTAN a monté un projet de « défense intelligente » (smart defence), qui propose un travail multinational en utilisant les méthodes et processus mis en place pour la lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI).

Pour la neutralisation, plusieurs solutions s’offrent à nous, encore à l’état de recherche, comme :

– les armes cinétiques, les lasers (avec option d’aveuglement des capteurs) ou les armes à énergie dirigée autres que le laser. Ces moyens posent le problème des dommages collatéraux et donc ceux de la maîtrise de la portée de tir et de la zone de crash.

– concernant le brouillage des drones, les liaisons et le signal Galileo ou GPS sont facilement perturbables par un brouilleur. En revanche, les conséquences sur les autres utilisateurs (par exemple de WIFI ou du GPS) sont à prendre en compte dans la zone brouillée et aussi celles sur les tiers dans la zone de crash du drone.

– protection passive, avec filet ou fumigène.

Les briques technologiques existent donc. Il reste à les rassembler, les expérimenter et les déployer.

Thèmes n° 2 : La protection externe des installations névralgiques

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – La protection des installations nucléaires fait l’objet de compétences croisées du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGNSD), de la gendarmerie, de l’armée de l’air, de la police, du RAID, du ministère de l’écologie, des opérateurs et de leurs formations locales de sécurité. Comment se fait leur coordination ?

Nous nous interrogeons sur l’identité des pilotes auteurs des survols : terrorisme, espionnage, chantage, militants ? Le nombre important de survols sur une courte période, dont certains simultanés pour quatre centrales distantes de plusieurs centaines de kilomètres, laisse penser à une organisation structurée. Nous nous interrogeons sur les scénarios de riposte des forces de l’ordre : autorisation de tir ?

Ce deuxième thème permettra d’examiner la question de l’adéquation des sanctions aux infractions. Actuellement, le survol des installations nucléaires est interdit dans un périmètre de 5 kilomètres et à une altitude inférieure à 1 000 mètres. Les sanctions en cas de survol volontaire d’une zone interdite peuvent aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Depuis 2009, les gendarmes ont procédé à l’interpellation de 156 personnes lors d’intrusions dans les centres nucléaires de production d’électricité (CNPE), essentiellement par approches terrestres et maritimes, avec une seule par voie aérienne (un ULM). Les intrusions par voie terrestre dans les centrales nucléaires dont le cas a été porté devant le juge ont jusqu’à présent fait l’objet de sanctions peu dissuasives (peines d’emprisonnement avec sursis, amendes modiques). Se pose alors la question de savoir si nous ne devrions pas créer une infraction spécifique relative aux intrusions ou survols des installations nucléaires, ou plus largement des secteurs d’activité d’importance vitale (SAIV). L’habilitation donnée jusqu’à la fin de cette année par l’article 55 de la loi de programmation militaire (LMP) permettrait au Gouvernement de le faire.

Monsieur Gautier, le SGDSN a la charge de la coordination interministérielle et de la sécurité des activités d’importance vitale. Nous savons que trois groupes de travail ont été mis en place en octobre dernier sur l’analyse des menaces, les aspects juridiques et le volet capacitaire. Quels sont vos éléments de réflexion sur les drones en général : évaluation, évolution, capacités de réponse, matériel, aspects juridiques ?

M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). – Je suis particulièrement honoré d'intervenir aujourd'hui devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et je remercie son président M. Jean Yves Le Déaut, député, ainsi que M. Bruno Sido, sénateur, son premier vice-président, de m'avoir invité à m'exprimer devant votre assemblée. Votre office, né en 1983, éclaire indiscutablement la représentation parlementaire dans les domaines scientifiques et technologiques. Mais, au-delà du Parlement, votre travail contribue à guider les politiques et projets gouvernementaux dans les domaines techniques. Dans le périmètre de mes responsabilités je salue à ce titre les nombreux rapports produits dont celui consacré au partage des cultures scientifiques, techniques et industrielles de 2014, celui consacré au risque numérique de 2013, ou encore celui sur la politique spatiale européenne de 2012.

Mais aujourd'hui c'est la sécurité nucléaire de notre pays qui me conduit à m'exprimer devant vous. Depuis le 10 septembre dernier, 19 sites sensibles abritant des activités nucléaires ont été survolés sans autorisation par des drones non identifiés, ce qui représente un total de 40 événements distincts. Parmi ces 19 sites, 14 sont des centres nationaux de production d'électricité (CNPE) d'EDF qui ont été concernés par ces incidents. Les 5 autres sites sont des centres traitant du nucléaire mais à vocation recherche et un réacteur en cours de démantèlement (Creys Malville).

Médiatisés depuis les annonces des dépôts de plainte par EDF, les mouvements de drones ont connu un pic d'activité le 31 octobre avec le survol simultané de 6 CNPE, qui implique coordination et organisation de ce que l’on peut appeler une manœuvre de harcèlement. Depuis, les incidents se sont poursuivis à un rythme moyen d'un survol par jour.

Cette augmentation des incidents nous alerte. Dans le débat public et du côté des responsables, on mesure ce que ces incidents peuvent susciter, soit par imitation, et c’est un risque de cause accidentelle sur d’autres installations ou à l’occasion de manifestations, soit par diversion, cette multiplication pouvant entraîner un amoindrissement de la vigilance qui pourrait être exploité – c’est le point que vous avez évoqué à l’instant.

Pour avoir rencontré nos homologues britanniques la semaine passée et prévu de rencontrer les Allemands demain, je constate que cette question est désormais posée partout. Nos moyens de surveillance aérienne et le maillage de notre réseau radar ne permettent de détecter aisément ce type d’engins en raison de leur altitude de survol et de leur faible signature. Par ailleurs, les drones sont difficilement neutralisables par des moyens de contrainte à distance.

Dès le moment où les incidents ont été détectés, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour réduire les vulnérabilités : déploiement d'une capacité d'intervention d'urgence à base d'hélicoptères prépositionnés à proximité des sites nucléaires, pour pouvoir intervenir ou participer au travail d’enquête ; renforcement des capacités de guet statique, pour les personnels de sécurité (gendarmes ou sociétés de sécurité sous contrat des opérateurs), avec le déploiement de dispositifs techniques supplémentaires pour identifier ou localiser ces engins (jumelles de vision nocturne, goniomètres...) ; renforcement de la protection interne et externe des sites par des moyens régaliens.

S’agissant du cadre règlementaire, la protection des sites sensibles, quelle que soit leur nature, est assurée conformément au dispositif de sécurité des activités d'importance vitale (SAIV) qui vise à assurer la protection des installations indispensables.

Dans ce cadre, 12 secteurs d'activités d'importance vitale (SAIV) ont été identifiés qui se répartissent selon quatre dominantes dont une dominante économique qui comprend la filière nucléaire. Le décret SAIV est entré en vigueur en 2006. Aujourd'hui nous avons pour ces 12 secteurs d'activités, 8 ministres coordonnateurs, 233 opérateurs d'importance vitale et 1 367 points d'importance vitale répartis sur notre territoire national, avec notamment les sites nucléaires.

Pour chaque secteur d'activités d'importance vitale, une directive nationale de sécurité (DNS) définit les enjeux, les menaces, les vulnérabilités et les responsables qui doivent être prises en compte, et fixent les objectifs de sécurité du secteur. Approuvées par arrêté du Premier ministre, ces DNS constituent le document classifié de référence des opérateurs pour élaborer leur politique de sécurité, avec des mesures de prévention et de réaction.

La notion de classification de ces directives est importante car elle répond à une réglementation internationale. En effet, un amendement – de bon sens – à la Convention internationale de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur la protection physique des matières nucléaires du 26 octobre 1979 impose, parmi les principes fondamentaux que les États doivent respecter dans le domaine de la sécurité nucléaire, la confidentialité des informations.

La France a totalement revu entre septembre 2010 et octobre 2011 son corpus législatif et réglementaire spécifique au nucléaire civil. Elle en a déduit une série de mesures d’amélioration ou de renforcement, qui ont notamment débouché sur un plan à cinq ans, conduit par le ministère chargé de l’énergie, de mise en conformité du parc avec les nouvelles exigences et prescriptions, plan qui doit aboutir en 2016.

La révision de la DNS du secteur nucléaire portait essentiellement sur le développement de la sécurité des systèmes d'information contre les cyber-attaques, nouveau sujet sur lequel, depuis un an, des travaux d’approfondissement ont été menés. Vous avez auditionné l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et vous savez comment elle peut contribuer au renforcement de la lutte contre les cyber-attaques. Le risque cyber est important, il existe dans bien d’autres secteurs où la sécurité est en cause.

Le SGDSN n'a pas attendu les survols de drones pour coordonner, sur mandat du directeur du cabinet du Premier ministre, des travaux interministériels (essentiellement défense, intérieur et environnement), notamment par la planification dans l’aide à la gestion de crise, l’amélioration de la règlementation et le suivi des préconisations.

Sur le renforcement du cadre juridique de la protection des installations nucléaires, plusieurs propositions ont été évoquées, dont certaines ont été validées et d'autres restent en cours d'examen, notamment :

– la possibilité pour les préfets de département de réglementer la circulation et le stationnement des véhicules dans un rayon de cinq kilomètres autour des installations nucléaires, telle qu’introduite par l'ordonnance n° 2014-792 du 10 juillet 2014 ;

– la création possible (en cours d'examen) d’un délit d'intrusion dans l'enceinte d'une installation nucléaire civile ;

– la possibilité (en cours d’examen) de contraindre les opérateurs à installer des dispositifs de protection particuliers.

La dernière proposition de renforcement du cadre juridique porte sur les formations locales de sécurité du CEA et d'Areva.

À la suite des survols, et en complément des mesures additionnelles de surveillance et d'intervention déjà évoquées, le Premier ministre a décidé le lancement d'une démarche interministérielle sur la protection contre les actes de malveillance de drones aériens. La démarche est pilotée par le SGDSN dans trois directions :

– le champ juridique, sous le pilotage du ministère de l’intérieur, en raison du problème de tuilage entre la sécurité aérienne incombant à l’armée de l’air, la gendarmerie et les services de police. Un vide résulte de la difficulté évoquée plus haut de la couverture aérienne. Sont en outre examinées la mobilisation des forces chargées d’assurer l’ordre public et la défense de ces sites et l’articulation des forces à l’intérieur et à l’extérieur des installations nucléaires (gendarmerie et forces locales de sécurité). Le renforcement de certaines dispositions pénales est à l’étude ;

– un chantier sur l'évaluation des risques et menaces, piloté par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Le SGDSN croisera ses informations et son regard avec ses grands partenaires étrangers, confrontés aux mêmes difficultés ;

– enfin, une réponse capacitaire, piloté par le ministère de la défense. Certaines technologies (détection, brouillage) sont d’ores et déjà sur la table, il faut les tester, les expérimenter. On pourrait par exemple penser à un système de drones stationnaires permettant de renforcer la couverture radar dans des couches interstitielles.

Le SGDSN vient d’engager, sur ses crédits, un programme de recherche et de développement d’un million d’euros, dans le cadre d'un appel à projets spécifique (« programme flash ») opéré par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Ce programme permettra de développer un ou plusieurs projets de démonstration de systèmes de détection et d’interception de drones aériens de petites dimensions.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Je vous informe qu’un projet dénommé « Audio-visual automatic detection and localization of drones » (AVALON) a été proposé par un consortium universitaire franco-allemand, avec notamment l’Institut franco-allemand Saint Louis (ISL). Bien qu’il ait reçu un avis très favorable de l’ANR, il aurait jusqu’à présent été refusé parce que nos partenaires allemands n’en auraient pas voulu.

M. Louis Gautier. – Je souhaite non seulement que ces recherches continuent, mais aussi qu’elles s’intensifient, avec le Comité de la filière industrielle de sécurité (COFIS).

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Mon général, vous êtes ici à double titre, en tant que spécialiste des drones – avec le livre que vous avez préfacé en 2013 sur les drones aériens – et en tant que responsable de la sécurité de l’espace aérien, avec la posture permanente de sécurité (PPS) qui couvre l’ensemble du territoire et dans le cadre d’un protocole que vous avez conclu avec EDF et les autres opérateurs d’installations nucléaires. Quelle analyse faites-vous de la situation ?

Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air, ministère de la défense. – Je vous remercie tout d’abord de me donner l’opportunité d’intervenir sur ce sujet d’actualité. Je rentrerai dans le vif du sujet et débuterai tout d’abord mon propos en vous rappelant qu’il existe aujourd’hui, et sans discontinuer depuis 50 ans, une chaîne robuste et réactive de défense aérienne du territoire. Cette posture permanente de sureté (PPS) relève d’un cadre juridique strict issu du code de la défense, et placée sous la responsabilité directe du Premier ministre. Compte tenu des caractéristiques des aéronefs, et étant donnée l’exigence d’assurer notre souveraineté dans l’espace aérien national, la chaîne de décision nécessite d’être permanente, robuste et réactive.

C’est la raison pour laquelle la France a opté pour la mise en place d’une Haute autorité de défense aérienne (HADA). Elle est exercée par un certain nombre d’officiers qui sont placés sous l’autorité directe du Premier ministre. Unité de l’armée de l’air implantée à Lyon Mont-Verdun, le Centre national des opérations aériennes (CNOA) est l’outil qui permet à cette haute autorité d’évaluer la situation, identifier, classifier et proposer au Premier ministre des mesures qui peuvent s’échelonner de la reconnaissance à la contrainte, voire à la destruction de l’aéronef. La HADA contribue également au respect de la règlementation du code de l’aviation civile, et en particulier concernant le survol des zones d’interdiction temporaire (ZIT). Les centrales nucléaires en font partie, mais ce ne sont pas les seules !

Dans le cas de survol de ces zones interdites, l’armée de l’air joue son rôle de police du ciel, puisqu’elle constate les infractions – cela arrive fréquemment – et permet à l’autorité publique d’initier les procédures judiciaires. À ce titre, je vous rappelle que nos équipages sont assermentés par l’autorité judiciaire.

Toutes ces missions nécessitent une interaction et une coordination avec de nombreux organismes : le ministère de l’intérieur (forces de police et de gendarmerie), les douanes, la direction générale de l’aviation civile (DGAC) et plus largement les compagnies aériennes, les fédérations, les aéroclubs… Ce sont donc bien, d’une part, un robuste réseau interministériel avec les détachements permanents au sein du CNOA de ces entités (police, gendarmerie, DGAC et douanes) et, d’autre part, la centralisation de l’information et de la décision en un lieu unique qui permettent de garantir un grand niveau d’analyse des situations et de réactivité.

Les drones sont considérés comme des aéronefs. Les mêmes règles s’appliquent bien à eux et ils ne sont donc pas autorisés à circuler dans les zones interdites de survol. Cela relève donc du même cadre que la PPS. Je partage ce qui a été dit précédemment, autant nous avons les moyens d’identifier les drones de taille conséquente, autant nos moyens ne permettent pas de le faire actuellement pour les minidrones.

Vous devez savoir que ce n’est pas depuis mi-octobre, et la recrudescence de témoignages de survols de centrales nucléaires, que les autorités de l’État ont décidé de mettre en place une coordination avec les sites sensibles. Il existe depuis de nombreuses années un contact direct entre le CNOA et toutes les installations sensibles, et en particulier avec toutes les centrales nucléaires. Un protocole établi avec EDF définit le cadre de cette coordination. Il permet en particulier au personnel des centrales de faire remonter toutes les informations quant au survol des installations. Ces informations, fusionnées avec les renseignements de toutes natures (radar, renseignement humain, aéronefs de la PPS…), permettent à la HADA de déclencher les mesures les plus appropriées.

Cela a permis de constater que, sur une part qui est loin d’être négligeable des survols constatés, nous avons pu recouper avec les informations mentionnant des aéronefs, sachant que le survol des centrales nucléaires est interdit seulement jusqu’à 1 000 mètres. Depuis le 1er janvier 2014, plusieurs pénétrations de zones interdites temporaires ont été constatées et ont fait l’objet d’interventions de la police ou de la gendarmerie. Dans certains cas, nos appareils les ont conduits à l’atterrissage (ULM, petits avions d’aéroclubs…). Ces petits avions ne naviguent pas très précisément et peuvent écorner des zones interdites ; ils font alors l’objet d’infractions. Nous les suivons dans le temps et quand nous voyons que cela vient des mêmes endroits de façon trop répétée, nous nous y déplaçons et nous faisons de la pédagogie dans les aéroclubs.

Je souhaite insister sur le fait que la surveillance des centrales nucléaires ne relève pas de la PPS, de l’armée de l’air ou de la défense. Mais la cohérence des actions aériennes, oui ! La clé réside bien dans la coordination du commandement et du contrôle, avec le recoupement d’information et la proposition de mesures appropriées. On nous a souvent demandé pourquoi nous n’abattions pas ces minidrones. Les raisons en sont que la confusion est fréquente entre ces minidrones et les survols réglementaires ou intempestifs et que pour en arriver à cette extrémité, il faut respecter des procédures et des règles d’engagement robustes.

Il convient donc de coordonner toutes les mesures qui viendraient à être mises en place avec le CNOA dans une chaîne unique permettant la fusion des informations. Ce sera en outre le meilleur gage de la détection d’actions coordonnées sur le territoire national, et même le cas échéant hors du territoire national. Je rappelle que c’est depuis le centre de Lyon que nous dirigeons nos opérations aériennes, en France comme lors des opérations extérieures (OPEX) sous commandement français.

S’agissant des drones, il faut continuer de travailler sur les aspects règlementaires. L’armée de l’air accompagne la DGAC dans la réflexion permettant de définir le cadre règlementaire d’une activité qui est en train de se démocratiser. Ce qui était d’une part réservé aux armées pour un segment des aéronefs ou relevait d’autre part d’un petit nombre d’amateurs d’aéromodélisme est aujourd’hui en train de se démocratiser.

Accompagner cette évolution : c’est tout l’enjeu du Centre d’excellence drones (CED) que l’armée de l’air vient de créer sur la base de Salon-de-Provence. Au travers de cette entité unique en son genre, l’armée de l’air a décidé de partager son expertise de milieu – la troisième dimension – et l’expérience engrangée au cours de la dernière décennie dans la mise en œuvre de drones en France et au-dessus de différents théâtres d’opérations. Le cadre proposé par le CED va permettre de progresser ensemble sur le cadre règlementaire, l’harmonisation des formations, la recherche et la sûreté.

Vous l’avez donc compris, c’est bien grâce à une action menée avec tous les acteurs étatiques et non étatiques, au travers d’une approche globale et centralisée, mais également en tenant compte des spécificités de chacun des sites, que nous trouverons une réponse adaptée au nouveau problème qui nous est proposé aujourd’hui.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Je donne maintenant la parole au ministère de l’intérieur, qui a en charge la police, le renseignement, et l’action de coordination effectuée localement par les préfets. Comment s’effectue la coordination des différents acteurs sur le terrain ?

M. Philippe Riffaud, préfet, haut fonctionnaire de défense, secrétariat général du ministère de l’intérieur. – L’action des préfets sur le terrain s’inscrit totalement dans le cadre de l’action interministérielle, telle que l’a précisée M. Louis Gautier. Les préfets ont une première responsabilité, celle d’approuver les plans de protection externes des centrales, comme d’ailleurs de tous les points d’importance vitale, qui sont des documents classifiés, établis en lien avec l’opérateur. Ces plans précisent les conditions d’intervention des forces publiques en cas de risque, notamment terroriste.

Ces plans particuliers externes intègrent de manière permanente les dispositions qui, sur d’autres aspects, sont des dispositions du plan Vigipirate. Malgré cette intégration permanente, depuis septembre 2014 – début de l’intervention en Irak – le renforcement des mesures Vigipirate sur l’ensemble du territoire, dans le cadre périmétrique des centrales, s’est traduit par une hausse des patrouilles, des rondes cynophiles et des limitations des visites sur les sites civils. D’une manière générale, les forces de l’ordre ont intensifié leur surveillance, en liaison avec les opérateurs. Donc mise en œuvre du plan Vigipirate et approbation des plans externes de protection, voilà résumé brièvement le cadre terrestre du rôle de coordination des préfets, étant entendu que la question qui justifie la réunion d’aujourd’hui sur les drones est de nature plus spécifique.

M. Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, secrétariat général du ministère de l’intérieur. – M. Louis Gautier a déjà expliqué le cadre normatif et les travaux en cours. Je rappelle que les drones sont des aéronefs, pour lesquels la circulation au-dessus de certaines zones est interdite. Le principe de libre-circulation n’a pas de portée absolue, heureusement ! À ce titre, et quand bien même le drone serait inoffensif, le survol n’en est pas moins illégal. Enfin, pour compléter votre information, je précise que les deux premières mises en examen ont eu lieu, avec une première ouverture d’information judiciaire sur ce sujet.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Toujours au sein du ministère de l’intérieur, quels sont les moyens dont disposent les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) ? Ont-ils suivi une formation à l’interception des drones ? Ce n’était pas une menace courante jusqu’à récemment, en tout cas dans le domaine civil. On sait que les scénarios de riposte à la menace terroriste existent, mais sont-ils adaptés aux petits drones ? Nous avons déjà entamé le débat sur les détections radar, avec le président de Thales Air Systems. Avez-vous les mêmes difficultés pour détecter les petits drones ? Puisque vous avez été en première ligne, est-ce que vous avez pris des photos et vidéos de ces drones ? De quel type sont-ils ? On a dit de un à cinquante kilogrammes, ce qui entraîne une charge utile très différente. Quelle est l’autonomie de ces engins ? Est-il vrai qu’ils avaient des phares ? Si oui, cela signifierait qu’ils souhaitaient être vus à l’aller, pour ensuite les éteindre, afin d’éviter d’être interceptés au retour.

Général de corps d'armée Michel Pattin, directeur des opérations et de l'emploi de la gendarmerie nationale, direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), ministère de l’intérieur. – Je rappelle que la gendarmerie nationale exerce une action déterminante dans la protection extérieure des sites nucléaires depuis 1980, avec les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie – nucléaires (PSIG-Nucléaires). En 2009, les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) ont pris leur suite. Ils sont chargés de la protection des 19 CNPE, du centre en déconstruction de Creys-Malville et de leurs abords. Au total, près de mille personnes sont impliqués sur le terrain.

La gendarmerie est également présente sur les centres civils d’AREVA et du CEA, puisqu’ils sont situés en zone gendarmerie. Pour autant, l’intervention spécialisée est à la charge de la police nationale au travers de conventions. Notre rôle consiste à veiller à la coordination et au périmètre extérieur de ces centres. De la même façon, nous sommes présents autour des bases aériennes et navales. Ces dispositifs impliquent de nombreuses patrouilles à l’extérieur, voire à l’intérieur des sites, par l’intermédiaire des pelotons spécialisés de sécurité.

Les PSPG sont constitués de personnels qui sont volontaires, sélectionnés, spécialement équipés et entraînés pour assurer cette mission, en liaison avec l’opérateur. Avec EDF en particulier, nous avons signé un protocole opérationnel définissant les modalités d’intervention.

Les PSPG sont subordonnés à l’autorité territoriale de la gendarmerie, ils sont rattachés au commandant de groupement de gendarmerie départementale. Celui-ci a la capacité de coordonner l’ensemble des moyens du département déployés à l’encontre de toute menace détectée par les PSPG. Dans ce dispositif combiné, se trouvent les personnels du PSPG, les pelotons de surveillance et d’intervention et sur le plan judiciaire les brigades de recherches, ainsi que l’ensemble des effectifs des compagnies de gendarmerie départementale.

S’agissant des drones, l’action de la gendarmerie n’est pas isolée, puisqu’elle s’inscrit dans un partage et dans une coordination des différents services du ministère de l’intérieur : services de renseignement, moyens des forces de sécurité intérieure et du ministère de la défense, avec des moyens des armées qui, pour certains d’entre eux, ont été mis à notre disposition.

Les drones font l’objet de compte rendu immédiat en cas de suspicion de survol. Force est de constater que la majorité de ces suspicions n’a pas été confirmée. Bon nombre d’entre eux, croisés avec le CNOA, sont concomitants avec le passage d’un avion au-dessus de la centrale ; le doute sur leur réalité subsiste. Les investigations menées par nos unités spécialisées de police judiciaire, coordonnées depuis un mois par la gendarmerie des transports aériens, montrent qu’effectivement, grâce aux auditions effectuées et aux rapprochements avec d’autres remontées d’informations, quelques survols sont avérés mais que d'autres restent incertains et sont donc non confirmés.

Concernant l’observation de ces engins, des lumières ont bien été vues : fixes de couleur blanche qui traversent l’espace aérien des CNPE, parfois clignotantes de couleur rouge ou verte. Autant que l’on peut se rendre compte, l’envergure de ces engins s’établit entre 30 / 40 centimètres et 1,50 / 3 mètres. Nous avons quelques photos mais elles ne sont pas très précises et ne permettent pas d’avoir un contour précis des drones.

Thème n° 3 : La sécurité dans le périmètre des installations nucléaires

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Nous abordons maintenant le troisième cercle concentrique, le plus proche des installations nucléaires Le ministère de l’écologie est chargé de la coordination de la sécurité et de la sûreté des installations nucléaires. Pouvez-vous nous parler du partage des rôles dans les investigations en cours ?

M. Francis Rol Tanguy, secrétaire général du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et du ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS). – Dans le code de l’aviation civile, le survol d’une centrale nucléaire constitue un délit. Les investigations menées sur les constats d’actes délictueux sont conduites par la gendarmerie du transport aérien, sous la responsabilité de la justice.

La responsabilité du ministère de l’écologie est de définir le cadre juridique et de faire en sorte qu’il soit appliqué. Il s’agit notamment, pour les opérateurs, de mettre en œuvre ces directives, comme les représentants d’EDF ici présents pourront nous le dire. Nous sommes amenés régulièrement à les inspecter, dans un bon climat de collaboration.

Le schéma dressé par M. Louis Gautier a fait l’objet d’une refonte des textes à la fin de l’année 2011, à la fois pour tenir compte d’exigences internationales (ONU, AEIA), pour rapprocher et harmoniser les règlementations (vols, détournements de matières nucléaires du fait de la prolifération potentielle), pour prendre en compte les démarches de sûreté et de sécurité. Une directive nationale de sécurité fixe les mesures à prendre. La réponse à ces menaces (survols, intrusions…) repose sur un principe de défense dans la profondeur qui comporte des mesures de dissuasion (présence d’éléments physiques autour des centrales nucléaires), de prévention, de détection, de retardement et d’intervention (opérateurs ou services de l’État). Sur les sites, la coordination est assurée entre sécurité, de la responsabilité de l’État et des opérateurs, et sûreté, sous la responsabilité de l’Autorité de sûreté nucléaire.

La question des drones nous interpelle car il s’agit d’une évolution technologique posant des questions nouvelles. En matière de sécurité aérienne, beaucoup de ces drones échappent au système de couverture du territoire. Il conviendra donc de s’adapter, tout en veillant à faire en sorte que le secteur industriel, pour lequel la France a une certaine avance, ne se retrouve pas non plus étranglé par la règlementation.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – L’Office a été à l’origine de la législation relative à la sûreté des installations nucléaires, en créant une autorité indépendante. Il revient également aux opérateurs de consentir aux efforts nécessaires de défense en profondeur des sites. Notre collègue député Daniel Boisserie indique qu’il s’agit d’investissements lourds mais absolument nécessaires. Jusqu’à présent, les opérateurs tirent argument de la non-adaptation de la règlementation pour retarder ces investissements. Ces investissements sont-ils nécessaires ? La menace nouvelle constituée par les drones amènera-t-elle les opérateurs à effectuer des investissements supplémentaires par rapport aux tests de résistance (stress tests) au niveau européen dont nous avions déjà débattu dans le cadre de l’accident de Fukushima ?

Quelles sont les vulnérabilités des centrales (piscines, transformateurs, canalisations de vapeur, systèmes aéro-réfrigérants, turbines…) ? On lit par exemple que les toits des piscines contenant des combustibles irradiés, que les transformateurs électriques, ne seraient pas suffisamment protégés. Y a-t-il des moyens rapides d’y remédier ? On a entendu dire par un ministre qu’il fallait disposer des protections à haut voltage. Est-ce souhaitable, réalisable, compatible avec la sûreté ? Comment avez-vous réagi aux observations qui vous ont été adressées et quelles conséquences en tirez-vous ?

M. Patrick Espagnol, directeur de la sécurité d’EDF. – Je ne reviendrai pas sur la réglementation applicable au secteur d’activité d’importance vitale et aux points d’importance vitale dont EDF est responsable, en particulier, les centrales nucléaires, avec une interdiction de survol des zones interdites identifiées. Ces textes font obligation aux opérateurs nucléaires de prendre en compte les divers scenarii de menaces et de mettre en place des dispositifs de protection, afin d’éviter les actes de malveillance pouvant avoir des conséquences inacceptables sur les populations et l’économie nationale. EDF a appliqué l’ensemble des prescriptions fixées par le corpus juridique antérieur à 2009 et met en œuvre celles des textes de 2009 et 2011.

La politique de sécurité du groupe EDF est fondée sur un dialogue permanent et confiant avec les divers services de l’État et sur une combinaison des moyens organisationnels, techniques et humains destinée à en accroître la robustesse. Leur déclinaison fait notamment appel aux services de l’État grâce à des conventions, avec commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) du ministère de la défense pour ce qui concerne la protection de l’espace aérien situé au-dessus des centrales et avec la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) pour la mise à disposition de forces spécialisées dans la lutte contre le terrorisme nucléaire (les PSPG).

La protection des centrales nucléaires est composée de plusieurs fonctions : renseignement en amont, dissuasion, détection, retardement et intervention, certaines d’entre elles étant de compétence étatique. Pour conclure, il nous semble que la problématique des drones est une manifestation actuelle d’un phénomène plus général, déjà pris en compte par EDF, constitué par la menace liée à la chute d’aéronef sur les centrales nucléaires.

M. Philippe Sasseigne, directeur de la division « production nucléaire » d’EDF. – Depuis les premières observations de survols de nos centrales nucléaires par des aéronefs assimilables à des drones, tous nos sites ont renforcé leur posture de vigilance et cette posture de vigilance, en association étroite avec la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), a été maintenue. Ces survols n’ont aucune conséquence sur la sûreté de nos installations.

Les centrales nucléaires françaises ont été conçues et dimensionnées pour résister aussi bien aux défaillances internes qu’aux agressions externes. Ces dispositions sont encadrées par les exigences règlementaires aussi bien du code de l’environnement, que du code de la défense. Elles sont périodiquement réinterrogées dans le cadre des réexamens de sûreté prévus par la loi ou en cas d’évènement majeur. La conception des bâtiments importants pour la sûreté, en particulier ceux contenant le combustible, à savoir le bâtiment réacteur et le bâtiment combustible, prend en compte des séismes de grande ampleur et également des chutes accidentelles d’avions.

Le dossier des chutes d’avion a été réexaminé en 2004, suite aux attentats de septembre 2001 aux États-Unis, notamment pour prendre en compte des chutes d’avion de type commercial. Cela nous a conduits à prendre des dispositions complémentaires, conformément aux exigences exprimées par l’ASN. Le dossier a été clos par l’ASN fin 2004.

Tous les drones que nous avons détectés et observés depuis le début octobre sont de taille et de poids très inférieurs aux avions dont la chute est prise en compte dans nos études de dimensionnement. Et c’est pourquoi ces survols ne représentent pas un risque nouveau ou supplémentaire, s’agissant de la sûreté nucléaire.

En aucun cas, les fonctions de sûreté, refroidissement du combustible et confinement de la matière nucléaire ne sont affectées. Un tel scénario ne présente donc aucun risque de rejet radioactif dans l’environnement.

M. Guy Catrix, directeur de la centrale de Cattenom d’EDF. – Ces drones ne présentent pas de risque en matière de sûreté, étant donné la robustesse de la conception de nos installations. Néanmoins, mes collègues directeurs et moi-même restons inquiets vis-à-vis des risques pour les personnes et pour nos installations techniques en cas de chute de drones (risques de blessés, arrêt de production, incendie ...). Nous constatons également que cela sème injustement le doute sur la robustesse de la protection des installations et sur l'engagement de la gendarmerie à nos côtés.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – La sécurité des sites d’Areva est assurée par le RAID, avec le renfort de formations locales de sécurité. Comment réagit Areva par rapport aux survols ?

Mme Anne-Marie Choho, directrice « qualité, sûreté, sécurité et soutien aux opérations », groupe AREVA. – La résistance de nos installations à une agression externe malveillante est un sujet sur lequel nous avons des échanges fréquents avec les autorités, au premier rang desquelles le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE). En effet, contrairement à la sûreté nucléaire qui est la responsabilité première de l’exploitant, la réponse aux actes potentiels de malveillance est une responsabilité partagée entre l’État et l’exploitant. Il nous semble donc important que les services de l’État qui exercent cette responsabilité partagée, restent l’autorité régalienne pour la sécurité de nos installations nucléaires.

En dehors des capacités d’intervention des pouvoirs publics pour prévenir ces agressions externes malveillantes et notamment intercepter les aéronefs, plusieurs lignes de défense existent pour garantir la sûreté face à l’agression physique que pourrait représenter un drone. Tout d’abord, nos installations sensibles ont été dimensionnées en prenant en compte la chute accidentelle d’un avion de tourisme. On voit donc bien que l’on est très largement au-dessus de l’impact d’un drone. Ensuite, pour le cas de l’emport d’une charge explosive par des drones, nous garantissons la sûreté des installations dans un certain nombre de scénarii, élaborés avec les autorités. Ces scenarii, comme nos moyens de réponse, sont couverts par le secret de la défense nationale. Cette discrétion est consubstantielle à notre dispositif de protection. Je peux toutefois vous indiquer que nos installations les plus sensibles sont dimensionnées pour garantir la sûreté grâce à des caractéristiques techniques comme une épaisseur de béton accrue, ou une hauteur d’eau conséquente.

Je souhaiterais maintenant aborder le cas de la Hague, parce qu’il est cité par la presse. Le site est considéré comme un point sensible national. D’une part, il est placé sous surveillance des moyens de l'État (contrôle aérien, gendarmerie…) et d’autre part il bénéficie des moyens appropriés de protection. Le dispositif de protection comporte, pour commencer, une zone d’interdiction de survol de 5 kilomètres de rayon et de 1 000 mètres au-dessus du site. D’autre part, le site a des moyens humains et matériels propres de réponse, dont les caractéristiques sont couvertes par le secret de la défense nationale.

Les piscines de la Hague ont été particulièrement évoquées. Elles sont destinées à stocker les combustibles usés qui ont déjà largement refroidi dans les piscines des réacteurs, dans l’attente de leur traitement. Le traitement consiste à recycler les matières et à mettre en sécurité les déchets ultimes. Ces combustibles usés sont maintenus sous eau afin d’éviter tout impact radioactif. Le risque les concernant est donc un risque de dénoyage. La matière nucléaire est en premier lieu contenue dans les assemblages en zirconium, eux-mêmes disposés dans des contenants dotés d’un couvercle, sous 4 à 5 mètres d’eau, dans des piscines à double coque avec des systèmes de pompage redondants. Ces piscines sont des ouvrages en béton étanche de grande épaisseur, revêtus d’une paroi en acier inoxydable. Les systèmes de refroidissement par l’eau ainsi que le système de ventilation sont redondants. Ces piscines sont abritées dans des bâtiments partiellement enterrés, recouverts d’une charpente métallique très robuste et d’un épais bardage. La résistance aux chutes d’objets lancés à grande vitesse et la réponse aux scenarii couverts par le secret de la défense nationale dont j’ai parlé plus haut, s’appliquent à ces bâtiments.

Le risque de vidange de nos piscines suite à altération de celles-ci a été particulièrement étudié dans le cadre des évaluations complémentaires de sûreté conduites par l’ASN après l’accident de Fukushima. Ce réexamen a démontré la pertinence et la robustesse de la démarche qui garantit, même dans des situations extrêmes, l’approvisionnement de l’eau nécessaire pour maintenir les combustibles immergés. D’autres études, notamment menées suite au 11 septembre 2001, avaient envisagé d’autres scénarii de type risque terroriste que je ne peux vous détailler. L’enjeu reste de garantir l’approvisionnement de l’eau pour maintenir les combustibles immergés.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – J’ai deux questions sur lesquelles le CEA a sans doute déjà dû réfléchir. Est-ce que des risques nouveaux sont apparus en matière de communication d’information ? Ces survols de vos installations par des drones constituent-ils des nouvelles menaces ?

Mme Edwige Bonnevie, directrice du pôle maîtrise des risques, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). – Je ne reviendrai pas sur ce qui a été décrit précédemment par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l’écologie. Nous avons mis en place des dispositions physiques et organisationnelles de protection, basées sur le principe de défense en profondeur. Quelque 900 personnels des formations locales de sécurité sont armés et présents en permanence sur nos sites, avec des consignes d’appel à la force publique, en particulier le RAID.

Les installations du CEA font partie des sites nucléaires français faisant l’objet d’arrêtés d’interdiction de survol. Ces zones sont interdites à toute activité aérienne sans autorisation dans un rayon de 5 kilomètres et jusqu’à une hauteur de 1 000 mètres. On comprend bien le fondement de cette règlementation qui vise à éviter des risques vis à vis des installations, des personnels et de l’environnement de ces sites. Le survol d’une telle zone est un acte illicite qui constitue un délit pénal passible des peines prévues par la loi.

Plusieurs survols de drones sont survenus au cours des dernières semaines au-dessus de sites nucléaires français. Les sites du CEA ne font pas exception. Certains sites du CEA ont en effet été survolés ces dernières semaines par des drones. Quels que puissent être les auteurs et leurs motivations, le fait de se livrer à ce type d’actions relève de comportements irresponsables. Il est indispensable de tout faire pour identifier et punir les auteurs.

C’est pourquoi, ces survols ont fait l’objet de dépôts de plaintes et nous nous attachons à apporter toute notre coopération aux enquêteurs pour les aider à identifier les auteurs. En revanche nous ne communiquons ni sur les sites concernés ni sur les dates pour ne pas donner d’éléments d’appréciation aux auteurs et éviter d’interférer avec les enquêtes en cours.

Sur les risques liés à la prise de vue, les images susceptibles d’être obtenues lors de ces survols ne permettent pas d’accéder à des informations protégées par le secret de la défense nationale et ne mettent pas non plus en péril les dispositions existantes de protection. Pour autant, ces images peuvent permettre des repérages qui pourraient contribuer à la préparation d’actes de malveillance. Elles peuvent également servir pour des « agressions médiatiques ».

Sans entrainer de risques en terme nucléaire, compte tenu des normes de sécurité en vigueur en la matière, la chute de tels objets peut occasionner des dégâts, en particulier pour les personnes présentes sur le site ou à proximité. Un drone en tant que tel ne présente pas de risque significatif pour une installation nucléaire dimensionnée par ailleurs à la chute d’avion.

Les risques liés à l’emport d’explosifs ou de dispositifs incendiaires, en fonction des installations concernées, pourraient potentiellement être plus importants et générer des dégâts. Ces dégâts ne seraient pas de nature à induire des situations non maitrisables en termes de sûreté et de sécurité, mais pourraient avoir des conséquences significatives, notamment sur l’exploitation. Des dispositifs supplémentaires pourraient être envisagés pour empêcher ce risque, au prix de surcoûts pour l’exploitant.

Enfin, les installations nucléaires ont fait l’objet d’évaluations complémentaires de sûreté (ECS) à la suite de l’accident survenu à la centrale de Fukushima-Daïchii au Japon. Parmi les situations évaluées à cette occasion, les pertes de l’alimentation électrique et du refroidissement, lorsque cette fonction présente une importance pour la sûreté, ont été analysées. Dans la plupart des cas, il a été conclu que ces pertes n’affectaient pas notablement la sûreté des installations. Pour quelques rares cas particuliers où ces pertes pourraient avoir des conséquences, des dispositions de renforcement des équipements existants ou de mise en place d’équipements complémentaires ont été mises en œuvre. Ces dispositions permettent concrètement de faire face à une agression par un drone visant à rendre indisponibles ces utilités.

De plus, il faut noter que ces dispositions sont destinées à conserver l’installation en état sûr dans des situations extrêmes comme un séisme de très forte magnitude, avec une hypothèse de délais d’intervention très longs du fait de ces situations. Dans le cas d’une agression par un drone, les capacités d’intervention du centre resteraient effectives dans des délais brefs compatibles avec les délais de maintien passif en état sûr de l’installation. Le même argumentaire vaut pour une agression par un drone porteur d’un dispositif incendiaire. Les situations d’incendies externes sont en effet prises en compte dans le dimensionnement des installations et ont été ré-analysées dans le cadre des ECS.

S’agissant plus particulièrement des réacteurs de recherche du CEA, les piscines de stockage du combustible sont situées dans le bâtiment réacteur ; la menace engendrée par les drones ne constitue donc pas un risque pour ces piscines, en termes de sécurité et de sûreté nucléaires.

En matière de protection, les opérateurs ne peuvent pas se prémunir seuls contre ce type de situations. Le renseignement est important.

En matière d’intervention et de neutralisation, la réglementation DGAC n’autorise pas à tirer avec une arme sur un engin volant même sans pilote. Une initiative de développement d’une filière française industrielle de sécurité a été lancée fin 2013 sous l’autorité du Premier ministre, avec le Comité de filière industrielle de sécurité (COFIS). Dans le cadre de cette initiative, un sous-groupe « expression des besoins » effectue le recensement des besoins de développement technologique (création ou amélioration) dans ce domaine. Le CEA, qui participe à ce sous-groupe, a soumis en mars 2014 une fiche sur le besoin de disposer de moyens de neutralisation des drones et réfléchit à des parades envisageables en mobilisant ses ressources technologiques.

Certaines parades existent, d’autres sont en développement. Leur mise en œuvre peut nécessiter des évolutions législatives ou réglementaires.

Débat :

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – J’ouvre la partie débat de notre réunion, qui permettra aux députés et sénateurs présents, notamment, de poser des questions. Je souhaiterais tout d’abord m’adresser au ministère de l’écologie et aux services du Premier ministre en rappelant que la loi du 13 juin 2006 sur la transparence de la sûreté nucléaire a créé un Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), présidé par l’ancien sénateur, ancien membre de l’Office, Henri Revol, et qui fonctionnait bien, de l’avis des associations. Ce haut comité n’a pas été renouvelé depuis le mois de février, malgré les démarches que j’ai effectuées personnellement auprès du Premier ministre. Lors de discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique, nous avions déposé un amendement d’appel en ce sens. Je profite de l’audition d’aujourd’hui pour dire qu’en n’apportant aucune réponse, on risque d’alimenter l’inquiétude.

Mme Catherine Procaccia, sénateur. –  Si j’ai bien écouté les précédents intervenants, les drones qui ont survolé les installations seraient des drones civils hors la loi et ils constitueraient une menace potentielle. Aucun n’a encore été intercepté. La destruction éventuelle d’un drone obligerait à prendre en compte les populations, notamment au plan juridique. Il reste à la gendarmerie de confirmer qu’il s’agit bien de drones. Il convient encore de valider des techniques de « dissuasion »... J’en arrive au sentiment que, pour l’instant, on ne peut rien faire tant qu’on n’a pas été plus loin. En attendant ces validations, nos centrales et équipements stratégiques continueront donc à être survolés.

Le président Le Déaut l’a bien dit, les populations sont inquiètes, même si je partage vos analyses selon lesquels il n’y a pas de véritable risque. Doit-on continuer à attendre sans rien faire ? Une action concertée avec d’autres pays est envisagée. Connaissent-ils également des survols des centrales nucléaires et installations stratégiques ?

M. Louis Gautier. – Nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à des survols inopinés ou dirigés. J’ai évoqué notre dialogue avec nos partenaires britanniques et allemands. De l’ensemble des interventions, en particulier celles des opérateurs, on comprend que, face aux risques occasionnés par les survols de drones sur les sites nucléaires, l’inquiétude peut être rationalisée. L’imitation, l’emballement, la diversion sont des phénomènes possibles. C’est nécessairement le rôle de l’État et de l’administration d’approfondir ce risque et d’en examiner toutes les éventualités. Vous dîtes que ces mesures ne sont pas conclusives, attendons le temps de l’enquête, encore couverte par la nécessité de la discrétion.

J’ai évoqué les limites du brouillage : il faut qu’il soit pertinent et qu’il n’ait pas d’effets collatéraux pires que la neutralisation que l’on était censé obtenir. Certains drones peuvent ne pas être téléguidés, ils peuvent être préprogrammés et ne pas être sensibles aux techniques de brouillage.

Nous n’avons pas toutes les réponses, nous continuons l’évaluation des moyens et l’étude des réponses capacitaires. En revanche, je vous confirme la volonté conjointe de tous les services de l’État de prévenir ces survols, de poursuivre les personnes qui sont à l’origine de ces incidents et de développer le plus rapidement possible les techniques adaptées.

M. Guy Delevacque. – Détecter un drone et localiser les auteurs ne sont pas des actions compliquées, elles peuvent être réalisées très rapidement et ne génèrent pas de problème d’emploi, seule la neutralisation peut en constituer un, à partir du moment où la destruction du drone peut causer des dommages collatéraux.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Vous dites que nous disposons des techniques, mais que nous ne les avons pas mises en œuvre.

M. Guy Delevacque. – C’est normal, puisque ces menaces n’existaient pas précédemment.

M. Denis Baupin, député. – Si je résume ce qu’on a entendu cette après-midi de façon quelque peu provocatrice, on ne risque absolument rien, tout est prévu, tout est sécurisé… mais tout le monde est mobilisé autour de ce problème. J’y vois une légère contradiction, surtout en prenant en compte le fait que, semaine après semaine, on ne sait toujours pas qui est derrière cette opération. Cela m’inquiète et me pose problème qu’après l’intérêt que les médias ont porté à cette question, on n’ait toujours aucune piste – si j’en crois ce qu’a déclaré la ministre de l’écologie – sur les auteurs de cette opération et leurs intentions. Un communiqué de presse du SGDSN avait envisagé un trouble à la chaine d’information et au système de communication, mais, depuis, nous n’avons plus d’information sur les motifs de ces opérations. M. Delevacque nous dit qu’il n’y a aucune difficulté pour identifier les auteurs, mais je note qu’on ne les a pas identifiés. Comment se fait-il que, dans notre pays, où nous avons des services de renseignement et une capacité à rechercher l’information, nous laissions cette situation perdurer aussi longtemps, alors que s’exprime une inquiétude réelle de nos concitoyens – inquiétude disproportionnée si j’entends les déclarations des opérateurs d’installations nucléaires ?

Supposons qu’aujourd’hui les auteurs de ces survols soient inoffensifs – ce dont nous ne sommes d’ailleurs pas assurés –, nous ne savons pas ce qui pourra en être à l’avenir. Nous ne sommes pas rassurés par les capacités actuellement atteintes par les drones : 10 % d’une masse au décollage de 50 kilogrammes représente 5 kilogrammes de charge utile, possibilité de vol en essaims… Nous pouvons imaginer des scénarios opérés par des « méchants » avec qui nous ne sommes pas forcément en bonnes relations à travers le monde. J’ai noté une certaine contradiction dans les déclarations des intervenants relatives aux capacités d’intervention pour les vols programmés, sans liaison avec les pilotes.

Mais mon interrogation porte surtout sur la protection des installations. J’apprends avec surprise que les bâtiments de stockage des combustibles des centrales nucléaires, y compris les piscines de la Hague, résisteraient aux chutes d’avion. Je me souviens que, quand j’étais rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, le directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) estimait que les réacteurs EPR ne seraient pas complètement résistants aux chutes d’avions. Je ne suis pas complètement persuadé que les bâtiments de stockage des combustibles, non prévus pour cela, soient résistants aux chutes d’avion.

Si vraiment la sécurité des installations est assurée, je renouvelle la demande que j’ai formulée à plusieurs reprises, à laquelle faisait allusion le président Le Déaut en début de séance, qu’on puisse faire, comme après Fukushima, des évaluations complémentaires de sécurité et de sûreté des installations nucléaires. Il s’agirait de prendre en compte le risque extérieur, le risque de piratage informatique et le risque de la chute d’un avion. Si M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire, dit, dans une interview au journal Les Échos la semaine passée, que, pour le passage des quarante ans des installations nucléaires, la question de la « bunkerisation » des piscines se pose, si cette « bunkerisation » est prévue pour les réacteurs EPR, c’est que cela sert à quelque chose. Soit M. Chevet n’a pas bien compris ce que lui ont dit les opérateurs, à savoir qu’il n’y a pas de problème de sécurité, soit il pense que la « bunkerisation » des piscines améliorerait pour le moins la sûreté, voire la sécurité. Cette question est sur la table.

Par ailleurs, on peut certes comprendre la dissociation entre sûreté et sécurité dans le pilotage au quotidien, ce ne sont pas les mêmes métiers, ni les mêmes instances. Je m’interroge néanmoins sur la pertinence qu’il y aurait à ce que, lorsque l’ASN élabore des référentiels de sûreté pour les installations, elle puisse intégrer les critères de sécurité. Cela permettrait de prendre en compte les points les plus vulnérables des installations cités précédemment par le président Le Déaut. Ce n’est pas la simple chute d’un drone qui est dangereuse pour la sécurité, c’est son utilisation comme une arme, avec notamment le port d’explosifs. Peut-on réellement dire aujourd’hui qu’on ne risque absolument rien ? Si oui, pourquoi tout le monde est-il mobilisé par rapport à ce risque autour de cette table ?

M. Louis Gautier. – Il me semble qu’il ressort de l’ensemble des interventions qu’il ne faut pas exagérer les incidents actuels sans les minimiser toutefois. Ils nous alertent d’une façon générale sur les risques que font peser les emplois inadéquats malveillants des drones. C’est pourquoi la mobilisation de l’administration est forte face à l’évolution possible des risques. Il est toujours très difficile d’avoir une pédagogie et de fournir des explications dans ce domaine de gestion de la sécurité. Aujourd’hui, le SGDSN publie le plan contre le virus Ébola et les journalistes m’interrogent : est-ce que cela signifie une aggravation des risques ? Non, il s’agit au contraire d’une communication « à froid » qui montre qu’on planifie et qu’on essaie d’envisager tous les cas possibles. Pour les drones, c’est aussi ce qui est en train d’être fait, alors que, peut-être, du retard a-t-il été pris sur le diagnostic, l’évolution possible de certaines technologies ou encore certaines adaptations de notre dispositif. Je remercie M. Delevacque de nous avoir décrit les offres d’équipements de son entreprise, qui sont en cours d’évaluation. Nous avons plusieurs équipements en test dont nous faisons l’évaluation, nous espérons qu’avec d’autres équipements à venir, ils permettront d’aboutir à des solutions concluantes. Nous sommes sur une stratégie de communications très différente de celle sur la lutte contre le virus Ébola : un certain nombre d’études ou d’enquêtes nécessitent la confidentialité jusqu’à leur aboutissement. Nous sommes aujourd’hui mobilisés dans cette phase d’instruction.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. – Je vous remercie d’avoir organisé cette audition importante et la mobilisation le prouve. Il est vrai que l’ambiance générale a été d’entendre que « tout est prévu ». J’ai personnellement entendu que « beaucoup » a été prévu. Des nouveaux éléments sont apparus avec les deux dernières attaques, dont les auteurs restent encore inconnus. Ne pourrait-on pas envisager des stratégies plus structurées – non de contre-attaque – mais plus offensives ou de précaution ? Est-ce qu’on a imaginé des essais de choc (crash test) en grandeur réelle, comme on le fait couramment dans l’armée ? Il s’agirait d’une expérimentation en temps réel sur la manière concrète de répondre à ces questions, en faisant semblant d’envoyer un vrai drone et de voir ce qui se passe, à quel moment on le repère, etc.

Est-ce qu’on est en capacité de détruire un drone ? J’ai bien entendu vos limites en matière d’altitude et de masse des minidrones. Nous serions probablement en capacité d’interdire la vente de ces drones, si on le voulait. Mais nous ne pouvons interdire la présence en France de personnes qui utiliseraient illégalement des minidrones en vente libre partout, avec une activité d’aéromodélisme en plein essor. Un grand nombre de personnes savent maintenant programmer. Que la vente des drones soit libre ou non, il y en aura toujours au-dessus du territoire national. Il y aura toujours des trous dans les mailles.

Je m’inquiète, que font les autres pays par rapport à ces questions graves : États-Unis, Allemagne ? Nous vivons dans un monde compliqué et difficile où la menace ne vient pas seulement du terrorisme de l’État islamique Daesh.

Enfin, en ce qui concerne la question du nucléaire, avons-nous des stratégies de « bunkerisation » ? Dans une société très technologique et qui maîtrise les technologies de très grande puissance, cela pose des questions importantes qui ne concernent pas seulement le nucléaire. Avec les drones, vous êtes face à des attaques d’un nouveau genre.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – J’ai bien écouté les déclarations de Mme Choho relatives à l’épaisseur de béton protégeant les bassins, mais je n’ai rien entendu sur la durée de vie de ce béton et je rejoindrais là-dessus M. Baupin. Dans le cadre d’un rapport sur le programme budgétaire 181 « Prévention des risques », j’ai auditionné M. Chevet et deux autres responsables de l’ASN il y a une dizaine de jours, ils ne partagent pas votre optimise sur la sécurité de ces bassins : ils parlent de vulnérabilité sur les points les plus sensibles de la centrale, avec un risque aggravé en cas d’attaque terroriste. L’ASN préconise de mettre en place de nouvelles mesures de protection de ces bassins. Ces bassins sont-ils très sensibles, sont-ils des sujets de préoccupation ?

Mme Maud Olivier, députée. – Ma question porte sur l’information des populations. Je suis député de la circonscription de Saclay et conseillère générale de l’Essonne. La présidence du conseil général anime une commission locale d’information (CLI) sur les installations nucléaires de Saclay. Cette CLI sera-t-elle informée ? Y aura-t-il une communication auprès des populations et des groupes de travail de cette CLI ?

Combien de temps ont duré les survols ? Comment fait-on pour les identifier ? Dans combien de temps saurons-nous qui étaient derrière ces survols ? De quelle manière ces informations seront-elles communiquées ? Nos concitoyens ont beaucoup de questionnements et nous ne pouvons les laisser dans le flou plus longtemps.

M. Francis Rol Tanguy. – Ce qui a été défini comme menace au travers de la directive nationale de sécurité (DNS) nous permet de discuter avec les opérateurs des moyens qu’ils mettent en place, conjointement avec ceux développés par l’État. Les survols de drones intervenus depuis deux mois ne constituent pas un risque supplémentaire par rapport aux dispositions qui ont déjà été prises. Mais le risque zéro n’existe pas, c’est pour cela que nous restons mobilisés aujourd’hui. La technologie des drones est nouvelle, elle nous impose de travailler et de réfléchir aux meilleures réponses, même si, aujourd’hui, nous considérons que les moyens déployés, les mesures prises et les organisations en place ne constituent pas une menace différente de celles qui ont déjà été prises en compte.

Dans ces questions de sécurité, il n’y a pas de marche arrière, il n’y a qu’une marche avant. Dans les centrales de production ou à la Hague, la question du renforcement de la sécurité des piscines, y compris matérielle (la « bunkerisation »), est clairement à l’ordre du jour. C’est ce qu’a dit l’ASN, elle étudie ces questions-là dans le cadre de ses visites décennales ou pour la prolongation de la durée de vie des réacteurs. Il y aura dans les prescriptions de l’ASN des éléments sur ce sujet. Je vous fais remarquer que ces déclarations de M. Chevet sont antérieures aux survols des centrales nucléaires par les drones. Celles-ci contribueront à faire baisser le potentiel risque, mais sans jamais le rendre nul, ce n’est pas possible.

Effectivement, des exercices réguliers se déroulent dans les centrales nucléaires, pour simuler tout type d’attaque. Les services de la direction de la sûreté et de la sécurité nucléaire de ministère de l’écologie, en lien avec les opérateurs, définissent des scénarii et procèdent à des exercices réguliers aux niveaux des centres. Nous procédons à trois exercices annuels, construits à partir de scénarii étudiés. Nous observons alors comment, concrètement, le système répond. Nous prendrons certainement en compte les drones dans nos prochains exercices.

J’entends régulièrement qu’il faut interdire la vente des drones ou leur mettre une plaque d’immatriculation pour pouvoir les retrouver. Dans le système actuel, imaginer qu’on peut contrôler aux frontières la vente des drones civils relève d’une gageure. La plupart des drones dont on parle sont montés par les propriétaires eux-mêmes à partir de pièces qu’on peut acheter librement sur internet. Je crois d’autant moins à cette interdiction qu’il s’agit d’un secteur sur lequel la France est très bien placée en matière d’innovation technologique. Nous avons ainsi intérêt à faire attention à ne pas porter un coup d’arrêt au développement d’un secteur de ce type. Des propos ont été dits autour de cette table – ils sont en discussion, en réflexion – sur d’éventuelles mesures règlementaires ou législatives nouvelles, notamment en matière d’intrusions. Il faut tout autant veiller à ne pas, tout d’un coup, sous prétexte de ce que l’on constate actuellement, prendre des dispositions qui tueraient dans l’œuf une filière industrielle et technologique naissante, dans laquelle notre pays occupe une excellente place.

Sur l’information des populations, il est toujours difficile d’estimer les choses. Jusqu’à présent, notre souci a été de ne pas convoquer de CLI sur ce seul sujet. Je pense que dans les réunions régulières de ces commissions ou comités, il faudra saisir l’occasion de faire le point sur ces questions, pour ne pas donner le sentiment que des informations sont cachées.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Nous avons-nous-mêmes réfléchi en organisant cette réunion au Parlement. Nous sommes sur le fil du rasoir : si nous organisons une réunion, on dira qu’il y a une mobilisation très forte, mais si nous ne l’organisons pas, on nous dira que nous ne jouons pas notre rôle de contrôle de l’action de l’exécutif. Il s’agit de sujets confidentiels et nous devons concilier le besoin d’information, d’un côté, et le souci de conserver la confidentialité de certaines informations, de l’autre. Le VII de l’article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que : « Les travaux de la délégation sont confidentiels, sauf décision contraire de sa part. », même si – et c’est une bonne chose – l’habitude a peu à peu été prise d’ouvrir toutes les réunions de l’Office, y compris quand nous auditionnons le président de l’ASN.

Nos concitoyens attendent une communication. L’apparition d’éventuel dangers supplémentaires relève moins des drones que d’attaques terroristes ou militaires, par tout moyen, sur une centrale nucléaire. Mais, comme pour toute nouvelle technique, les drones apportent de nouvelles menaces. L’informatique a entraîné l’apparition des cyber-attaques, et ce n’est pas à cause des cyber-attaques qu’on a interdit l’informatique. Il faudrait prendre garde à ne pas supprimer les drones au prétexte qu’ils constituent une nouvelle menace. Des règles interdisant les intrusions existent. Mais il n’existe pas – ou pas encore si j’ai bien entendu nos débats – d’agrément des écoles de pilotage de drones par la DGAC. Sur un certain nombre de points, une réunion comme celle d’aujourd’hui présente l’intérêt de pousser à l’adoption de certaines solutions. Je ne doute pas un seul instant qu’après la réunion d’aujourd’hui, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) sera renouvelé rapidement.

Dans nos circonscriptions, nous sommes en contact avec nos concitoyens et il ne faut pas traîner sur leur information. Dans le Républicain lorrain, un sondage a montré que seulement 27 % des personnes interrogées considéraient la centrale nucléaire de Cattenom comme sûre après l’affaire des drones. Le travail que nous avons accompli, notamment à l’OPECST, pour mettre en place un système plus transparent de sûreté nucléaire et de radioprotection, est reconnu par tous ; il ne faudrait pas qu’il soit égratigné par une affaire extérieure. Mme Anne-Yvonne Le Dain a posé des questions auxquelles personne n’a répondu, c’est le propre d’auditions comme celle-ci. Est-ce qu’on a le droit d’attaquer un drone ? Cela permettrait peut-être de savoir comment ils sont fabriqués, d’ailleurs vous avez peut-être des informations que nous n’avons pas.

M. Jean-Pierre Devaux. – Nous avons déjà fait des expérimentations sur la détection de drones de plusieurs centaines de kilogrammes, nous en menons actuellement sur des drones beaucoup plus petits, de moins de 50 kilogrammes, souvent faits avec des matériaux non détectables par des radars habituels. Ces expérimentations couplent à la fois des moyens classiques et des moyens d’écoutes électromagnétiques (WIFI), d’imagerie active à l’aide de lasers ou d’acoustique. Notre objectif est de pouvoir détecter de manière sûre, quel que soit le lieu. Nous attendons de cet ensemble de moyens de détection un résultat relativement fiable.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Les Chinois disent qu’ils ont un laser, vous y croyez ?

M. Jean-Pierre Devaux. – Il s’agit de lasers de destruction, sur lesquels nous avons un certain nombre d’idées, comme la destruction des optiques des drones. La destruction des drones eux-mêmes nécessite une certaine puissance et pose des problèmes d’environnement assez sérieux que n’ont peut-être pas les Chinois.

Général Denis Mercier. – Avant d’entamer une action de destruction, qui peut générer des dommages collatéraux, il faut passer par les phases de détection, d’identification et de classification – impliquant des règles d’engagement différenciées pouvant aller jusqu’à l’ordre de destruction. C’est la même problématique que sur les plus gros avions. Sinon, on risquerait d’abattre un ULM qui aurait perdu son chemin…

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – Des hélicoptères ont poursuivi certains survols de drones, ont-ils pu les voir ?

Général Denis Mercier. – Non, il n’y a pas eu de reconnaissance physique de drones par l’armée de l’air.

Général Michel Pattin – La mission est partagée en fonction des sites, en ce qui concerne la gendarmerie, plus de quatre-vingts heures de vol d’hélicoptères ont été réalisées à la suite d’annonces de détection de drones. Jusqu’à présent, nous ne nous sommes pas trouvés en situation de concomitance d’un hélicoptère et d’un drone. Bien que pré-positionnés à proximité de la centrale, ces moyens aériens n’ont pas été en capacité de détecter et de chasser un de ces drones.

M. Philippe Sasseigne. – Dès lors que nous avons des survols détectés, nous informons systématiquement les commissions locales d’information (CLI), ce qui a quelques fois entraîné leur réunion. Cela correspond au protocole et à la communication que l’on doit aux CLI autour de nos sites. Les dispositifs de sécurité à l’encontre des menaces externes et malveillantes résultent de dispositions matérielles, organisationnelles et humaines. La « bunkerisation » ou une autre solution relative aux bâtiments combustibles n’est pas forcément optimale. Il faut examiner de façon rationnelle l’ensemble des dispositions possibles.

Suite à l’accident de Fukushima, l’ASN nous a déjà demandé un grand nombre d’évolutions techniques sur nos piscines, dispositions que nous avons déjà mises en place pour certaines, que nous sommes en train de réaliser pour d’autres. Ces dispositions ont pour objectif de, s’il y avait un incident sur une piscine – et pas forcément lié à un drone –, pouvoir assurer dans la durée le refroidissement de tout combustible contenu dans ces piscines. Nous avons et sommes donc en train de renforcer, de façon très significative, le niveau de sûreté de nos installations, comme nous le faisons tout au long de la vie de ces installations. Nous en discutons très régulièrement avec les équipes de l’ASN.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. – Ma question est quelque peu polémique. Quel est le niveau de coordination pour l’élaboration d’un plan en la matière ?

M. Francis Rol Tanguy. – Les choses sont très claires, la coordination est assurée par le SGDSN, qui remplit le rôle de partage des compétences.

M. Marc Antoine, conseiller pour les relations institutionnelles et la communication, secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). – Comme l’a indiqué M. Louis Gautier, le SGDSN, qui est un des services du Premier ministre, assure la coordination interministérielle, il n’a pas de rôle opérationnel. Les trois groupes de travail constitués sur les survols de drones conduisent à des réunions fréquentes avec les différents services.

Général Michel Pattin – La durée des survols est très variable. D’après les informations recueillies, elle est de quelques secondes à quelques minutes au maximum, avec parfois des passages répétés à une heure et demie d’intervalle.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – L’information parue dans L’Usine nouvelle selon laquelle un drone serait resté pendant une heure au-dessus d’une centrale serait donc fausse.

Général Michel Pattin – Je n’ai pas eu confirmation de cette information.

M. Patrick Espagnol – En matière de coordination, je rappelle qu’il existe le Comité de la filière industrielle de sécurité (COFIS), déjà cité. Je suis moi-même président du sous-groupe de travail sur l’expression des besoins. Notre rôle est de nourrir un dialogue enrichi avec les clients de sécurité et les fournisseurs. La problématique des drones fait bien sûr partie de nos travaux, nous sommes actuellement en phase d’échanges, pour trouver la solution la plus adaptée.

Conclusion :

M. Jean-Yves Le Déaut, président. – J’invite tous les intervenants de cette première audition à participer, sur le même sujet, à la seconde audition, publique et ouverte à la presse, avec l’ensemble des parties prenantes.

La séance est levée à 16 heures

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du lundi 24 novembre 2014 à 14 heures

Députés

Présents. - M. Denis Baupin, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Maud Olivier

Excusés. - M. Alain Marty, Mme Dominique Orliac, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présents. - M. Pierre Médevielle, Mme Catherine Procaccia

Excusés. - M. Michel Berson, Mme Marie-Christine Blandin, M. François Commeinhes, M. Alain Houpert, Mme Fabienne Keller, M. Jean-Pierre Leleux, M. Christian Namy