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Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Lundi 24 novembre 2014

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 56

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, Président

Compte rendu de l’audition publique, ouverte à la presse, du 24 novembre 2014 sur « Les drones et la sécurité des installations nucléaires »

Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Lundi 24 novembre 2014

Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président

La séance est ouverte à 16 h 30

– Compte rendu de l’audition publique, ouverte à la presse, du 24 novembre 2014 sur « Les drones et la sécurité des installations nucléaires »

Table ronde : le survol des installations nucléaires par les drones : quel contrôle pour quelle règlementation ?

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vous remercie d’être toutes et tous présents cet après-midi à cette audition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), consacrée à la question du survol de centrales nucléaires par des drones. Cette audition fait suite à celle des principaux responsables de la défense et de la sécurité nationale sur le sujet des drones et de la sécurité des installations nucléaires.

Depuis quelques semaines, une vingtaine de drones au moins ont survolé les centrales et autres installations nucléaires françaises en violation de la loi. Pour contribuer à l’analyse de la situation, l’OPECST organise une audition publique ouverte à la presse, réunissant les principales parties prenantes de la sécurité et de la sûreté des installations nucléaires. Il s’agit d’abord de mieux connaitre les potentialités réelles des drones, ensuite de faire le point sur l’état d’avancement de la règlementation qui leur est applicable, enfin d’examiner dans quelle mesure la situation pourrait justifier une réorganisation des responsabilités en matière de sécurité et de sûreté nucléaire.

Le survol des centrales et autres installations nucléaires françaises par des drones appelle une prise de position publique. Cela a été fait, et nous venons de réaliser une audition dans une configuration habituelle, c’est-à-dire non ouverte à la presse, avec notamment la direction générale de la sûreté nationale. Nous devons, sur ces questions, concilier le respect du secret et la nécessité d’informer, car nos concitoyens nous demandent la transparence sur ces sujets éminemment complexes qui traitent de la sécurité et qui pourraient traiter de la sûreté des installations nucléaires.

L’Office parlementaire a toujours suivi ces questions, et je remercie notamment M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ici présent. Il le sait, si nous avons une telle autorité en charge de la sûreté nucléaire, et si l’on y a regroupé la radioprotection, c’est dû à un travail continu de l’Office parlementaire pour que notre pays en soit doté.

La parole est libre lors de cette audition où seront abordés plusieurs aspects. Pour qu’elle fonctionne dans de bonnes conditions, voici les méthodes générales employées lors des auditions : chacun s’exprime cinq minutes, ce qui permet ensuite, avec des parlementaires présents dans la salle, de lancer un débat.

Je remercie de leur présence les parlementaires suivants : Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l’Office, M. Denis Baupin, député, vice-président de l’Assemblée nationale, et Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’Office, qui suivent particulièrement cette question à l’Office. Le sénateur Pierre Médevielle était là tout à l’heure, mais n’a pu rester à cette deuxième audition.

Une première intervention : Le besoin d’une prise de recul sur l’évènement

Sans tarder, je voudrais donner la parole à M. Patrick Lagadec, docteur d’État en sciences politiques, analyste. Je vais lui demander de nous faire un cadrage stratégique, et comment qualifier le problème. Dans le contexte de crise et de risques en émergence, quels sont les pièges et les pistes ? Les nouvelles technologies entrainent-elles de nouvelles menaces, et si oui, comment peut-on les concilier avec un besoin d’information de plus en plus important de la population ?

M. Patrick Lagadec, docteur d’Etat en sciences politiques, analyste. Merci monsieur le président. Comme le disait Dominique Dormont, la première responsabilité de l’expert est de situer les limites de son expertise. Je ne suis expert ni des drones, ni du nucléaire, ni du terrorisme. Mon travail est de réfléchir sur la façon de prendre en charge ces crises non conventionnelles qui sortent de nos cadres de référence. Je voudrais examiner le problème des drones sous cet angle.

Première question : de quoi s’agit-il ? J’aperçois l’exigence de sortir d’un champ de vision fixe et déterminé. J’ai entendu beaucoup de choses sur l’explosif et le béton. Il faut élargir, même si les spécialistes doivent traiter de cette question très spécifique. Il y a les réseaux, l’atteinte à la confiance des personnes, ce que j’appellerais les « soft targets » – les cibles plutôt molles de l’humain –, où la crédibilité et la confiance peuvent être atteintes. Et puis il y a une chose à laquelle on ne songe pas beaucoup mais qui émerge de plus en plus : l’alimentation d’un certain chaotique. On ne l’aime pas du tout, car on ne sait pas le traiter ni tirer parti de réactions inappropriées, car nous tendons à appliquer des réponses valables dans une situation à peu près stable également à une situation développée en mode chaotique.

Un dernier élément permet d’élargir le champ de vision, celui de toujours garder la question ouverte. Et si c’était autre chose, seulement un travail pour saper un développement économique, sans lien avec le nucléaire, mais qui y prendrait appui pour en faire un levier ? Il y a plusieurs pistes de réponse à la question : de quoi s’agit-il ? Sur ces mouvements complètement émergents, il est essentiel de garder la cartographie tout à fait ouverte.

Deuxième question : quels sont les pièges ? C’est une question cruciale dès que l’on sort des risques conventionnels. Si l’on agit sans trop réfléchir avec des paradigmes et des logiques fondamentales, on les appliquera et elles se révèleront inadaptées à un champ chaotique. Ici, l’erreur serait de ne regarder qu’une seule famille de risques, de chercher la solution technique définitive ou le bon schéma d’organisation de structures qui donnerait toutes les réponses.

Évidemment, une communication totalement fermée ne correspondrait plus aux enjeux d’aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et les attentes sociétales en matière de communication. Ce sujet extrêmement complexe est hybride, avec ce qui est sensible et ce qui doit être dit.

Troisième question : quelles pistes de réponses ? Ce qui est à mettre au centre, comme dans toutes les crises d’aujourd’hui, qu’il s’agisse d’Ebola ou autre chose, c’est le pilotage, et non pas le plan. On est loin du déroulé des plans. L’important dans ce genre de problème est la capacité à inventer en temps réel, sur cartographie le plus souvent inconnue, illisible et mutante. On commence par un bout et on finit par autre chose ; en fonction des développements, il peut y avoir une mutation du problème. Cela s’adresse d’abord au plus haut niveau : il doit être capable d’inventer en situation non cartographiée, ni stable. Pour l’aide au pilotage, il n’y a pas lieu d’avoir un déroulé de réponses, mais plutôt une capacité de questionnement. C’est ce que j’ai essayé de plaider avec mon idée de « force de réflexion rapide », où des personnes s’interrogent en permanence sur les questions suivantes : de quoi s’agit-il ? Quels sont les pièges et les acteurs ? Quelles seraient les une ou deux initiatives qui feraient sens ? Tout cela est très loin de nos habitudes où nous avons déjà les réponses, où nous entrainons les personnes à répondre rapidement à des questions préprogrammées.

En préparation à ce genre de situation il faut non pas avoir des outils pour ne jamais être surpris, mais s’entrainer à être surpris, ne pas être défensif mais être créatif, avec des exercices, comme disent les américains, de « red teams » : si j’étais de l’autre côté, que ferais-je pour surprendre ? En matière de communication, le message ne doit pas être « ne paniquez pas, il n’y a pas de problème », mais « nous allons avoir besoin de vous ».

En conclusion, il s’agit de se préparer à piloter un univers mutant, ne pas être seulement sur la défensive, mais être soi-même capable d’introduire de l’imprévisibilité, car, en la matière, la prévisibilité est créatrice de vulnérabilité. Il s’agit également d’être capable d’introduire soi-même des nouvelles donnes, ce qui suppose des préparations extrêmement approfondies avec des pilotes, et pas seulement la mise en batterie des schémas de structure. Nous sommes très forts pour mettre en place ces schémas de réponse et de structure, mais la vraie question est : comment entraine-t-on les uns et les autres, en situation inattendue et inconnue, à réagir collectivement et avec beaucoup de créativité, en gardant le lien avec la société ?

Thème n° 1 : Les drones : constructeurs, opérateurs, utilisateurs et règlementation

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vous remercie pour cette introduction. Nous allons organiser l’audition publique en deux parties. La première concernera les drones, constructeurs, opérateurs, utilisateurs et réglementation. Pour commencer je donne la parole à M. Francis Duruflet, vice-président, et M. Stéphane Morelli, secrétaire de la Fédération professionnelle du drone civil. Je souhaite demander aux représentants de votre fédération de décrire leur profession. Il s’agit d’une filière industrielle en pleine croissance, où la France est bien placée avec une vingtaine de constructeurs et plusieurs centaines d’opérateurs. Les drones civils sont de plus en plus utilisés pour des missions d’inspection et de surveillance. Je donnerai successivement la parole aux deux représentants, l’un parlant sur les constructeurs des drones, et l’autre sur les opérateurs.

M. Francis Duruflé, vice-président de la Fédération professionnelle du drone civil. La Fédération française du drone civil (FPDC) est une association régie par la loi de 1901, créée en juin 2013 au moment du salon du Bourget. Elle faisait suite à une association déjà existante, UVS France, créée en 2009, qui avait pour but de rassembler l’ensemble des constructeurs et des opérateurs dans le domaine du drone civil. C’était un domaine nouveau, ces petits drones étant principalement utilisés pour des applications civiles.

Depuis juin 2013, cette fédération a très largement grossi puisqu’elle est passée d’une dizaine d’adhérents à 300, sachant que le nombre d’opérateurs déclarés auprès de la DGAC est d’environ 1 000. Cette croissance est donc très rapide. La fédération a été créée avec quatre personnes : deux constructeurs et deux opérateurs de drones, car, dans les schémas du drone civil, il y a d’un côté les constructeurs, et de l’autre les opérateurs qui vont réaliser des missions, des prestations pour des donneurs d’ordre.

Les constructeurs de drones français sont moins d’une dizaine. Dans cet ensemble, il y a beaucoup d’assembleurs qui utilisent des sous-ensembles existants et disponibles pour créer leur propre système de drone. Quand un constructeur développe un système de drone, il faut prendre en compte non seulement le vecteur aérien, mais aussi le segment au sol, qui est une partie très importante. Les deux sont reliés par des liaisons de données, c’est un point qui aura toute son importance dans la suite des discussions. Le drone a un intérêt et se différencie de l’activité de loisir, l’aéromodélisme, car il a une mission. Cette mission est exécutée par le capteur embarqué. Chez 80 % des exploitants, ce capteur est une caméra ou un appareil photo, car la grande majorité des applications du drone civil consistent en prises de vues aériennes.

Les constructeurs sont très concernés par les évènements actuels, puisque le mot drone faisait déjà l’objet d’une appréciation assez délicate de la part du grand public. A la fédération, nous sommes inquiets de cette situation anormale, car chaque constructeur et utilisateur de drone professionnel agit dans un cadre bien précis. Nous opérons suivant des règles strictes, en vigueur depuis l’arrêté du 11 avril 2012, qui nous donne la possibilité de réaliser des missions dans un cadre réglementaire bien établi.

Ce type de survol fait apparaitre l’utilisation de drones classiques « bon marchés ». Les quelques constructeurs français dont je vous ai parlé ne représentent qu’une toute petite partie des drones utilisés en France, car la plupart sont fabriqués en Chine. Pour prendre l’exemple de l’entité dans laquelle je travaille, il s’y fabrique environ 15 drones par an. Les chinois en fabriquent environ 20 000 par mois. Ces produits sont disponibles très facilement par des magasins, mais aussi sur des sites internet à des coûts défiant toute concurrence.

M. Stéphane Morelli, secrétaire de la Fédération professionnelle du drone civil. Pour enchainer sur la partie opérationnelle, il convient de rappeler pourquoi on utilise des drones civils. Ce n’est pas un phénomène de mode. Un drone procure des plus-values en termes de qualité. Nous sommes capables d’embarquer des capteurs assez importants grâce aux progrès de la technologie, et comme le vol est assez bas, la qualité d’image est remarquable. On peut obtenir une certaine originalité artistique, car les angles des prises de vues par drones sont appréciés, sans que l’on sache s’il s’agit d’un phénomène de mode ou pas. Le caractère nouveau et aérien de ces prises de vues procure beaucoup de plaisir aux téléspectateurs et cela a son importance dans l’arrivée de cet outil dans le monde audiovisuel notamment.

La plus-value la plus importante se situe sans doute en termes de productivité. Un drone télépiloté, c’est-à-dire avec quelqu’un lui donnant des ordres à partir d’une station au sol, est capable de réaliser des services que, avec des moyens traditionnels, un être humain cordiste, géomètre ou photographe au sol aurait beaucoup plus de mal à faire dans les temps, et avec un avantage de plus pour le drone, la sécurité des opérations.

À partir de ces gains en qualité, productivité et originalité et grâce à l’apparition d’une réglementation sur laquelle la France est en avance, un marché s’est créé à partir d’avril 2012. Il s’agit, en amont du marché, de la construction et, en aval, de la prestation de services au profit de donneurs d’ordre. Ceux-ci voient dans les trois avantages décrits précédemment des bénéfices à les utiliser plutôt que les moyens traditionnels. À partir de ce marché, a émergé une nouvelle profession, que l’on appelle aujourd’hui « droniste » si vous me permettez ce néologisme, dans la mesure où des individus, des sociétés, se sont organisés pour faire face à cette demande. Il y a donc environ 1 000 sociétés référencées à la DGAC. C’est énorme, car la réglementation en question ne date que d’un peu plus de deux ans et que l’on a estimé qu’à partir de ces 1 000 sociétés, dont beaucoup sont des autoentreprises, il y a environ 3 000 emplois directs créés.

La réglementation a créé le marché des activités autorisées ; beaucoup de possibilités sont apparues dans le domaine de l’audio-visuel – 80% du marché aujourd’hui –, mais aussi dans les milieux industriels et agricoles. Ces 20 % restant amènent des sociétés – exploitant des réseaux d’autoroute ou de transport ferroviaire, des sites industriels et de production énergétique –, à se poser la question de l’utilisation des drones.

Cette profession fait face à la demande. Elle est appuyée par les pouvoirs publics dans la mesure où un « conseil pour les drones civils » est en cours de création. Elle s’interroge maintenant sur sa pérennité à cause d’un phénomène qu’elle n’avait pas détecté. Nous sommes préparés éventuellement à y faire face, bien que nous soyons très peu structurés, et nous sommes prêts à donner notre aval et tout notre appui d’expert en matière de technique et d’usage à toutes les initiatives visant à contrer ce phénomène.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vous remercie. Je vais donner la parole à M. Laurent Henry, vice-président, et à M. Jean-Paul Perret, membre du bureau directeur, responsable du comité de pilotage des activités sportives, Fédération française d’aéromodélisme. Je rappelle que votre fédération regroupe 840 clubs affiliés pour 28 000 licenciés en France. Quelle information, sensibilisation et pédagogie déployez-vous auprès de vos adhérents pour assurer le respect de la réglementation. Comme cela a été dit tout à l’heure, les drones ou les modèles réduits d’aéromodélisme ne peuvent pas survoler certains lieux. On peut fabriquer des engins en commandant sur internet. La règlementation vous parait-elle suffisante ?

M. Laurent Henry, vice-président de la Fédération française d’aéromodélisme. Je vous remercie de nous donner la parole lors de cette audition publique. La Fédération française d’aéromodélisme (FFAM), depuis 1966, gère un sport-loisir au travers duquel ses licenciés mettent en œuvre des modèles réduits d’aéronefs, dits aéromodèles. Dans la règlementation, les aéronefs correspondent à tous types d’aéronefs télécommandés sans personne à bord, utilisés à des fins de loisir et de compétition. Nous regroupons, vous l’avez dit, environ 28 000 licenciés répartis dans l’ensemble du territoire, 840 associations, et 800 plates-formes d’activité. Nous avons appris à gérer nos licenciés et à les informer régulièrement de leurs droits et de leurs devoirs. On peut constater que rares ont été les transgressions des règles en matière d’utilisation de l’espace aérien, d’image ou de fréquences d’émission. Les aéromodèles sont de tout type : avion, hélicoptère, planeur, aérostat, maintenant multi-rotors ou drones de loisirs. Le besoin d’une aire d’évolution reconnue et autorisée, balisée et sécurisée, pousse les pratiquants à rejoindre nos structures. Ainsi, nous pouvons faire passer des messages sur ce qui est permis de faire avec ces aéromodèles.

Ces dernières années ont apporté la vulgarisation des multi-rotors, appelés communément drones, avec leur facilité d’emploi. Du jouet au professionnel, chaque appareil a bénéficié d’un essor fulgurant de la technologie et d’une mise en œuvre simple et rapide. Ainsi, plusieurs centaines de milliers de ces aéromodèles sont arrivés dans notre espace aérien. Le profil des utilisateurs a évolué, ce ne sont plus seulement des passionnés de l’aéronautique ou de l’aviation, mais aussi des adeptes de la technologie, découvrant de nouveaux horizons et considérant le drone comme un simple vecteur d’exploration à distance en quasi-liberté.

Afin de comprendre cette nouvelle pratique, la FFAM a organisé cette année des journées portes ouvertes aux non-licenciés, accueillant les aéromodèles multi-rotors. Cette action s’est faite en concertation avec les services de la DGAC. Nous sommes en cours de dépouillement des données collectées lors de ces journées, en constatant que le vol n’est pas l’élément primordial de la motivation de ces nouveaux adeptes du vol radiocommandé. De nouvelles formes de pratiques, comme par exemple la photo, la vidéo ou le vol à vue et automatique, intéressent ces aéromodélistes qui ne savent pas qu’ils en sont. Dans leur esprit, point n’est besoin de rejoindre un club ou une plate-forme, même s’ils reconnaissent qu’ils ont plaisir à échanger entre eux leur expérience.

La FFAM veut soutenir toutes les formes et pratiques de l’aéromodélisme, dans un respect des règles applicables. Elle ne peut en aucun cas s’associer aux pratiques sauvages qui défraient la chronique ces dernières semaines. Nous tenons à ce qu’aucun amalgame ne soit fait entre ces pratiques et celles que nous défendons au sein de nos clubs. Nous estimons que personne ne peut ignorer l’interdiction de survoler une centrale nucléaire avec un aéromodèle, mais nous savons aussi que beaucoup de personnes se procurant du matériel de loisir ne connaissent pas encore la réglementation ou ne l’ont pas assimilée. Il conviendrait d’informer très directement et de façon systématique les acheteurs des règles qui régissent ces pratiques et des limitations inhérentes à leur utilisation. Cette action, engagée avec la DGAC pour l’écriture d’une notice, pourrait se finaliser par l’obligation réglementaire de sa diffusion lors de la vente de matériel. Nos collègues professionnels ont, je le pense, la même approche, qu’ils soient commerçants ou utilisateurs. Nous avons la chance, en France, d’avoir une des réglementations les plus avancées sur ce sujet, garantissant la sécurité des usagers de l’espace aérien et permettant la pratique de l’aéromodélisme par de plus en plus d’amateurs, attirés par l’intérêt technologique qu’il représente. Le travail permanent accompli par la FFAM avec les services de la DGAC va vers une simplification des règles, donc une meilleure compréhension de leur nécessaire application. Cependant, nous soutiendrons, comme nous l’avons toujours fait, les mesures et directives qui assureront une sécurité accrue tant en matière de personnes que de biens publics.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vous remercie de ces précisions. M. Patrick Oswald, vous êtes directeur commercial France "air et sécurité" d’Airbus Défence & Space. Vous travaillez dans le domaine des drones militaires. J’ai eu l’occasion de visiter votre entreprise et de voir ce que vous faites. Quels moyens logistiques sont nécessaires pour organiser des survols aussi nombreux, à votre avis, vous qui connaissez bien cette question ?

M. Patrick Oswald, directeur commercial France « air et sécurité » d’Airbus Défence & Space. Airbus, c’est un peu plus de trente ans de drones. Nous faisons partie du même monde que mes camarades autour de la table, puisque nous allons tous siéger au sein de ce conseil. Ces menaces et ces risques préoccupent la communauté, et pas seulement en France. L’administration fédérale américaine pour l’aviation civile (Federal aviation administration – FAA) enquête sur des survols de l’aéroport JFK par des drones, qui menacent donc des avions. C’est l’ensemble de la communauté qui doit évaluer ces risques, très importants pour nous.

De quels drones parle-t-on? J’ai tendance à dire que le domaine militaire, domaine ancestral et le gros du marché, a vocation à vendre à des États. Nous commençons à vendre des drones à des opérateurs d’importance vitale (OIV), dont certains sont autour de la table, et à des grands ministères, pour la sécurité. Mes camarades ont parlé de drones pour application civile ou loisirs.

Pour les drones militaires, je vais jouer le rôle de témoin, puisque je suis à mi-chemin entre la réglementation et l’utilisation. Ils sont d’une gamme un peu différente de ce que l’on a vu jusqu’à maintenant, puisque même si l’on a des drones de quelques kilos, nous livrons aujourd’hui, notamment à la France, des drones de plusieurs tonnes. Certains volent une heure, mais d’autres plus de vingt heures, et peuvent parcourir des distance de dix à plusieurs milliers de kilomètres, quand ils sont relayés par des satellites. Nous livrons deux drones : le drone Harfang pour l’armée de l’air et le Tanan pour l’armée de terre.

Ces drones pour l’instant sont surtout militaires et dédiés à de la surveillance. Très peu emmènent des charges utiles et les effecteurs dont généralement disposent les militaires sont bien plus performants que ceux des drones. Ces drones sont extrêmement contrôlés. Pour exporter un drone, nous avons un double verrou. Il faut passer des contrôles sur le pays destinataire et sur le type de matériel, puisque les drones sont considérés comme un matériel de guerre, quelle que soit leur taille. Pour les drones de plus grosse importance, nous devons également respecter la limitation sur les armes de destruction massive : la France a signé un accord et nous n’avons pas le droit de les exporter.

Avec les évènements qui se multiplient – je suis personnellement pilote privé du dimanche sur un avion –, des personnes m’ont fait peur en affirmant faire voler des drones à une altitude à laquelle je vole moi-même, sans être signalés. Maintenant, tous les jours, je regarde d’un œil inquiet ce qui se passe autour de nous. Pour nous et notre analyse de défense, il y a très peu de probabilité qu’il s’agisse de drones militaires. Nous avons plutôt tendance, comme l’ont évoqué mes camarades, de privilégier l’hypothèse de drones civils hors la loi, c’est-à-dire utilisés hors réglementation.

Pour utiliser des drones, il suffit d’aller sur internet et de trouver des appareils pilotés à vue. La limite que nous fixons pour le civil est autour de 10 kilomètres. C’est ce que nous arrivons à faire avec des masses de moins d’un kilogramme et jusqu’à plusieurs dizaines de kilogrammes. Mais avec des ressources GPS, il est possible de ménager des points d’arrêt et, à ce titre, atteindre des portées que nous estimons à plusieurs dizaines de kilomètres sans aucun problème.

Nous réfléchissons, Airbus et d’autres sociétés, sur les moyens de contrer ces menaces ou ces risques, puisque, à la différence des drones très durcis, ils sont relativement sensibles aux perturbations électromagnétiques, à la météo ou à d’autres turbulences, et donc leur condition d’emploi est relativement délicate.

Pour conclure, dans le domaine militaire, nous sommes à la fois contrôlés sur la vente et sur l’emploi. La question est : faudra-t-il limiter les drones civils également sur la vente et sur l’emploi pour minimiser les risques, car certaines catégories d’appareils risquent d’être dangereuses et de perturber l’ensemble de la communauté ?

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Merci monsieur Oswald, peut-être tout à l’heure mes collègues auront l’occasion de vous poser des questions. Nous abordons maintenant le sujet de la règlementation relative aux drones, avant celui du nucléaire. J’avais invité un représentant de la Commission européenne, car celle-ci considère les drones civils comme un sujet prioritaire. La Commission européenne a cependant décliné notre invitation au triple motif que les arbitrages sur ce projet de réglementation européenne ne sont pas encore rendus, que les survols en France sont plus un problème de mise en œuvre de la règlementation que de la règlementation elle-même et qu’elle ne souhaite pas s’immiscer dans un débat purement national. Si l’Europe faisait cela à chaque fois, elle interviendrait sur peu de sujets…

Je rappelle que le survol des centrales nucléaires est interdit dans un rayon de 5 km et sur une altitude de 1000 mètres. Monsieur Maxime Coffin, vous êtes chef de mission de l’aviation légère générale et des hélicoptères à la DGAC. Vous avez publié deux arrêtés le 11 avril 2012, l’un sur la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, les conditions de leur emploi et les capacités requises des personnes qui les utilisent, l’autre, relatif à l’utilisation de l’espace aérien. Quel bilan peut-on tirer de cette réglementation ? Où en est son actualisation qui était prévue dans les dix-huit mois suivant son entrée en vigueur ? Je viens de l’entendre, cette règlementation ne prévoit ni certification d’État des pilotes, ni agrément d’État des écoles de formation. Il n’y a peut-être pas d’école de formation en France dans ce domaine, dites-nous si cela fait défaut.

M. Maxime Coffin, chef de mission de l’aviation légère générale et des hélicoptères à la DGAC. Je vais commencer par un rappel de la réglementation. Les drones sont des aéronefs. Ils sont donc soumis au code de l’aviation civile et aux règles que le ministre de l’aviation civile peut édicter en application de ce code, avec pour but essentiel de préserver la sécurité des personnes transportées quand il y en a, des personnes et des biens au sol et des autres aéronefs qui utilisent le même espace aérien.

Les drones dans l’espace aérien sont traités par un premier arrêté du 11 avril 2012 précité. Il y a d’abord des règles générales applicables à tous les aéronefs. Certaines zones sont interdites au survol ; cela concerne, vous venez de le rappeler monsieur le président, les centrales nucléaires. Elles sont protégées par une zone interdite de 5 kilomètres de rayon et 1 000 mètres d’altitude, avec une variable selon des cas particuliers. Sont également interdits le survol des zones aéroportuaires, des agglomérations et de tout rassemblement de personnes ou d’animaux.

La spécificité des drones est qu’ils sont autorisés aujourd’hui, sauf dérogation, à ne voler qu’à des altitudes faibles, en dessous de 150 mètres, où l’on ne trouve pas, ou très’peu d’autres aéronefs. Le survol des agglomérations est possible avec une autorisation préfectorale. Pour des vols à des altitudes supérieures à 150 mètres ou à proximité des aérodromes, il faut une autorisation émanant des services de l’aviation civile après consultation des services de la défense.

La conception et l’utilisation des drones constituent le sujet du deuxième volet de l’arrêté du 11 avril 2012. Sont distingués les usages de loisir et ceux dits professionnels. La distinction se fait sur la masse de l’aéromodèle. Pour des masses inférieures à 25 kilogrammes, et sous réserve de respecter le seuil de 150 mètres d’altitude, hors aérodromes, hors agglomérations et hors zones peuplées, sous réserve d’être en permanence en vue du pilote, ils sont autorisés pour le loisir. La pratique se fait essentiellement au sein des clubs. Si la masse est supérieure à 25 kilogrammes, le télépilote doit faire une démonstration aux services de l’aviation civile de sa capacité à maitriser son drone. Il existe donc une sorte d’épreuve pratique de pilotage avant que l’autorisation ne puisse être donnée.

Pour les usages professionnels, nous avons voulu faire une réglementation évolutive. Nous avons commencé par traiter les cas les plus simples. Nous demandons à l’opérateur du drone de déposer un manuel de procédure. Il doit expliquer quels sont les drones et les télépilotes utilisés et comment il s’est assuré de leur compétence. Dans une utilisation à vue, à une distance inférieure à 100 mètres, il n’y a pas d’autre contrainte. Puis, nous imposons des conditions de plus en plus sévères au fur et à mesure que l’utilisation sera plus compliquée, dans certains cas très particuliers de vol à vue ou en agglomération. Des conditions spécifiques seront notifiées au fur et à mesure, à charge du constructeur de montrer la conformité à ces définitions techniques.

Les masses restent toujours limitées suivant le type d’utilisation : 2 kilogrammes pour le vol à vue, 4 kilogrammes pour le vol en agglomération et 25 kilogrammes pour le vol dans des zones où il n’y a personne. Si l’on veut aller plus loin, nous nous placerons dans un cadre expérimental, et à ce titre seront définies des conditions techniques appropriées. J’ajoute que les règles concernant la photo aériennes prévoient une autorisation spécifique.

Enfin, la notification des infractions à ces dispositions est prévue par le code de l’aviation civile, et peuvent aller de six mois d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour le survol de zones interdites, à un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende quand on ne respecte pas les règles d’utilisation des drones.

Nous avons des exigences sur la formation des pilotes. Ils doivent connaitre la règlementation, ce qui est vérifié par un examen théorique. S’ils souhaitent s’éloigner hors de vue, ils doivent de plus posséder un brevet de pilote. Mais nous réfléchissons aujourd’hui à l’opportunité et à la meilleure manière d’agréer les écoles de pilotage et de délivrer d’éventuelles licences.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je voudrais demander à M. Thierry Michal, directeur technique général de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), qui dépend du ministère de la défense, et qui est le premier acteur français en matière de recherche aéronautique, spatial et de défense, où en sont les techniques de surveillance des drones.

M. Thierry Michal, directeur technique général de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA). Vous avez rappelé les missions de l’ONERA. Je n’en dirai pas plus si ce n’est qu’elles concernent la recherche aéronautique et spatiale pour l’ensemble de l’activité de ce secteur, civile ou de défense, et qu’à ce titre nous avons une mission de recherche amont, mais aussi d’expertise au profit de la puissance publique.

L’activité de l’ONERA sur les drones a deux volets. Le premier est, en lien avec nos collègues industriels, de faire en sorte que les nouvelles technologies facilitent l’emploi des drones et leur domaine d’emploi, tout en respectant les règlementations qui assurent la sécurité de l’ensemble.

Les avancées récentes en matière algorithmiques ou de capteurs, si on prend la miniaturisation de ces capteurs et le dynamisme de la filière robotique, permettent d’envisager à court terme des véhicules petits, dotés de capacités supérieures à celles actuelles, et surtout d’une large autonomie. Il est donc important de se poser la question actuelle en matière de drones, mais surtout de faire une projection dans l’avenir, à savoir la problématique à laquelle nous aurons à faire face dans quelques années, car les choses évoluent très vite. Ces avancées technologiques mettent en évidence une nécessaire évolution de la règlementation, en particulier vis-à-vis du risque de prolifération de véhicules dotés de plus grandes capacités au fil du temps.

Quand il s’agit de petits drones, le premier problème est celui de leur détection, car ces aéronefs ont de ce point de vue au moins trois inconvénients. Ils sont petits, pas forcément métalliques et volent bas et lentement, tous éléments extrêmement désagréables en matière de détection car ils la rendent délicate. L’ONERA s’est déjà penché sur ces problématiques pour de la détection radar classique ou passif, optique, acoustique. Nous sommes en particulier en mesure de faire des signatures acoustiques ou radar des différents modèles de drones existants, de façon à donner quelques éléments sur la menace, pour reprendre une terminologie militaire. Nous avons également la possibilité de faire des mesures sur le terrain, en mettant en œuvre des capteurs et leurs capacités à détecter ce type de véhicules.

La détection indirecte par les liaisons montantes et descendantes, toujours envisagées, se heurtera dans le futur à la possibilité d’engins de plus en plus autonomes, pour lesquels la liaison de données sera moins utilisée. Elle se heurte également au problème du spectre électromagnétique. Il n’est pas question d’obérer toute son utilisation, au prétexte de brouiller un drone. De même, le brouillage du GPS est très facile à faire. Pour autant, nous voyons arriver des centrales inertielles à bas coût ou des systèmes capables de recréer leur environnement de type SLAM (simultaneous localization and mapping), qui se localisent et recalculent leur environnement et permettent de se passer du GPS. Cela ne concerne pas le présent mais ce qui sera dans le futur. Il est important de s’y intéresser dès maintenant.

L’ONERA, par ses compétences techniques en matière de drones et de détection, est en mesure de donner un avis sur toutes les solutions techniques proposées. Nous pourrons aussi être force de proposition dans différents systèmes. En particulier, nous avons développé le domaine du radar passif, qui pourrait être tout à fait utilisable dans ce genre d’action. Ce rôle d’expert a déjà été souligné, car lors du survol de ces centrales, l’ONERA a déjà été sollicité par les entités en charge de leur sécurité. Nous avons donné suite et sommes prêts à le refaire dans le futur.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vais donner la parole à M. Alexandre Garcia, professeur d’acoustique du Laboratoire de mécanique des structures et de systèmes couplés, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). J’ai été marqué par votre projet de localisation de drones par des méthodes audio et vidéo, présenté à l’Agence nationale de recherche (ANR). Il a été présenté avec l’Institut Saint-Louis (ISL), organisme de recherche franco-allemand. J’ai lu l’appréciation de l’ANR, elle est excellente. Habituellement, avec une telle appréciation, le projet est continué, mais il semblerait – vous allez nous le dire – que la partie allemande ne l’ait pas souhaité. On aurait pu engager des recherches dans le champ de ce qui nous préoccupe aujourd’hui, mais pour l’instant elles ne sont pas financées.

M. Alexandre Garcia, professeur d’acoustique du Laboratoire de mécanique des structures et de systèmes couplés, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Je vous remercie de me donner la parole pour me permettre de présenter ce projet, qui constitue une réponse à un appel d’offre de protection des infrastructures sensibles. Il a été dénommé « Avalon », acronyme de la traduction anglaise de « localisation automatique de drones par méthodes audio et vidéo ». Le coordinateur était donc l’ISL un organisme franco-allemand de recherche lié à la défense nationale. Le partenaire de l’ANR était le ministère fédéral de l’éducation et de la recherche allemand. La gendarmerie nationale, EDF, GDF et Suez constituaient des soutiens institutionnels et des utilisateurs potentiels, sachant que nous avons mis en exergue la protection des réseaux interconnectés d’électricité en France et en Allemagne. Du côté allemand, se trouvaient le ministère de l’intérieur et la police scientifique.

Les partenaires industriels sont Safran et Sagem pour l’intégration des systèmes. Orelia, est une PME qui développe déjà un système de détection par la signature. Ce produit existe, mais il est relativement rudimentaire, avec un seul capteur. L’idée était d’améliorer la performance au niveau de la détection, de la localisation et de la poursuite (tracking). Iremos est un consultant en sécurité. Du côté allemand, Wako fabrique des antennes acoustiques. Les partenaires académiques étaient, du côté allemand, les Fraunhofer et, pour la France, le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Ce projet a été déposé au mois de mai dernier, date limite de dépôt. Nous avons pris en compte la démocratisation de ces types d’appareil, qui peuvent se fabriquer à partir d’éléments. Cela a été dit par l’ONERA, ces appareils sont silencieux. Ils ont une signature acoustique et électromagnétique relativement faible, sont mobiles et volent à faible altitude. Le problème est de détecter, localiser et traquer l’engin, c’est-à-dire déterminer où il se trouve, quel est son cap et sa vitesse, et ensuite faire de la classification et déclencher les dispositifs de défense adaptés. Il ne s’agit pas de déclencher n’importe quelle contre-mesure.

L’innovation proposée dans ce projet était une détection multimodale, vidéo et audio. L’audio est intéressant car il permet une pré-détection panoramique. Puis il est possible de viser avec la vidéo, pour déterminer dans un angle plus petit ce à quoi on a affaire. Orélia, notre partenaire pour la pré-détection, était à même de le faire. Il s’agissait ensuite d’utiliser des systèmes distribués, c’est- à-dire capables de mailler une surface relativement importante de la région, puis de faire la fusion des données. L’idée était d’obtenir un système avec peu de capteurs, à bas coût, robuste aux intempéries, et constitué de sous-unités de traitement indépendantes. Si l’un tombe en panne, il ne doit pas mettre en péril tout le système. Cette modularité concerne aussi la maintenance.

Nous avons pris en compte les contraintes de la loi « sécurité et liberté » pour le traitement des données, car tout est écouté et enregistré, pas uniquement le drone. Il faut prendre en compte cet aspect sociétal. L’évaluation, comme vous l’avez dit, a été très positive pour l’ANR. Le projet n’a pas été retenu par le comité allemand, en fait nous n’avons pas eu de retour. Quoi qu’il en soit, le projet est toujours réalisable avec des partenaires français, et l’on pourrait rajouter éventuellement des spécialistes des télécom pour le brouillage et l’interception des commandes du drone. Il serait également intéressant de collaborer avec des constructeurs de drones. Des financements sont recherchés : ANR, ASTRID, CSOSG, FUI, fonds régionaux, et, pourquoi pas, en association avec l’ONERA.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je passe la parole à M. Peter Van Blyengurgh, président d’UVS international. UVS est spécialisé dans les drones, actif tant du côté des constructeurs que des opérateurs. Vous connaissez très bien ces questions, non seulement pour la France mais aussi pour plusieurs pays d’Europe. Pourriez-vous nous présenter votre avis sur la situation et la réglementation ?

M. Peter Van Blyengurgh, président d’UVS international. D’abord, je souhaiterais féliciter la France, où l’on a créé 1 000 sociétés en très peu de temps. C’est plus que dans tous les autres pays en Europe. Mais, en même temps, un risque énorme s’est créé. L’arrêté d’avril 2012 a le mérite d’exister. Mais il a été fait très vite, en moins de six mois, et il est loin d’être parfait. Il est très permissif, beaucoup plus que ce qui existe dans les autres pays européens. L’élaboration de cet arrêté a été faite sous pression politique ; il faudra peut-être également une telle pression politique pour corriger le tir.

Une modification de cet arrêté doit entrer en vigueur en milieu de l’année prochaine. Mais entretemps le nombre de société passer de 1 000 à 1 500. Le problème réside dans le manque de formation des pilotes et des opérateurs. On déplore ce manque partout sauf au Japon, où depuis quinze ans, on y utilise des drones pour l’agriculture, en vols de basse altitude, à vue. Vingt-sept académies détenues par Yamaha y instruisent les pilotes. Ceux-ci doivent avoir un diplôme avant même qu’ils puissent louer un drone. Cela n’existe nulle part ailleurs.

Nous avons entendu cet après-midi, comme si c’était totalement normal, que l’on peut assembler les drones. N’importe qui peut acheter des sous-ensembles, construire un drone dans son garage, et ensuite se déclarer professionnel. Ce sont des aéronefs, donc ils doivent respecter certaines règles pour leur utilisation. Apparemment les règles que devraient respecter les constructeurs n’existent pas. Cela n’est pas normal et doit être corrigé. Je participe à des comités européens et internationaux, ce problème se rencontre aussi dans d’autres pays. Pour le résoudre, il y faudra créer un certificat obligatoire pour le constructeur. Cela ne concernera peut-être pas tout de suite la France, mais vous serez s d’aller dans ce sens.

Les applications sont multiples et les vols illégaux sont très nombreux dans tous les pays, mais certains maitrisent la situation mieux que d’autres. Il est intéressant de remarquer qu’aux États-Unis, aucun professionnel des drones n’opère, car la FAA ne parvient pas à rédiger sa règlementation. L’Europe, et singulièrement la France, bénéficient donc d’un potentiel énorme pour prendre une place sur le marché mondial. Mais une approche plus professionnelle s’imposera. Les aéromodélistes sont mieux organisés que les dronistes professionnels... La quantité de dronistes professionnels qui ne connaissent pas les règles de l’air est gigantesque, le grand danger est là.

Vous réunissez en France énormément d’atouts pour prendre une position de leader, vous disposez d’une volonté politique pour le faire. Mais il faut réaliser cela tous ensemble, le monde des drones professionnels doit apprendre du monde aéromodéliste et de celui des drones militaires.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Y-a-t-il des questions sur cette première partie ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur. Si je résume, la réglementation existe en France, même si elle peut n’être pas suffisante. Les premiers intervenants nous l’ont dit, les règles sont connues en général par les utilisateurs de loisir. Les drones ayant survolé les centrales ne sont pas militaires mais civils, ils sont fabriqués en Chine. Il est loisible de les acheter sur internet. Cela veut dire que la règlementation ne sert à rien si l’on peut les acheter ainsi. Vous avez évoqué ce risque de prolifération. Des exemples que l’on va aborder tout à l’heure vont peut-être donner des idées à d’autres. La question est la suivante : une règlementation, même en étant précurseurs, sert-elle à quelque chose puisque les survols se produisent partout, y compris à l’aéroport JFK ?

M. Maxime Coffin. La règlementation ne peut réglementer les comportements. Ce n’est pas parce que l’on met un sens interdit que personne ne prendra la rue. La règlementation fixe un cadre, permet de surveiller d’éventuelles infractions et comporte un système punitif pour ces infractions. La question est d’être capable d’identifier les infractions, de les relever et d’appliquer un système de sanctions suffisamment dissuasif pour encourager à respecter cette règlementation. Le deuxième point, qui ne règlera pas le problème des contrevenants volontaires, est l’information. Il faut que l’acheteur ou l’utilisateur de drones soit bien conscient et informé de ce qu’il a le droit ou n’a pas le droit de faire. Un des intervenants le rappelait tout à l’heure, tout le monde est parfaitement au courant que le survol des centrales n’est pas autorisé.

Je réponds aussi à M. Van Blyenburgh. Notre règlementation est partie volontairement des cas simples, et nous la complétons progressivement au fur et à mesure que l’on autorise des emplois éventuellement plus difficiles, comme de voler plus loin avec des machines plus lourdes. Et nous avons beaucoup réglementé sur la qualité intrinsèque du drone, pour l’obliger à rester léger de façon à limiter les risques potentiels pour les autres usagers. Mais une fois de plus, nous pouvons préciser cette réglementation, mieux en informer l’ensemble des pilotes et opérateurs, réfléchir aux questions de formation pour s’assurer qu’elle est bien connue. Par contre, ce n’est pas cela qui règlementera le comportement d’un éventuel contrevenant.

M. Stéphane Morelli. La règlementation est fondamentale pour les professionnels. Elle pose les bases juridiques de la pratique d’un métier nouveau, qui a bien besoin d’être borné : orientations claires sur la compétence à détenir par un télépilote, capacités, performances et normes à respecter en matière de sécurité des systèmes pour les constructeurs. On ne peut pas dire que la règlementation ne sert à rien, on peut dire qu’elle est insuffisante, ou insuffisamment observée, mais, pour les professionnels, elle reste fondamentale.

Thème n° 2 : La répartition des rôles pour la sécurité et la sûreté nucléaires

M. Jean-Yves Le Déaut, président. S’il n’y a pas d’autres questions, nous passons au sujet qui nous préoccupe, à savoir la sécurité et la sûreté des installations nucléaires. Nous l’avons vu, une industrie du drone se développe. Tout le monde en a été d’accord, même si les drones sont quelques fois utilisés de manière non légale, leur développement est important pour notre pays. Il faut arriver à une règlementation, une formation, cela a été dit de manière très claire.

Mais nous sommes confrontés à un autre problème, des drones sont utilisés dans une zone interdite par la loi, au-dessus de centrales nucléaires, un peu comme une technique de harcèlement. Il y a plusieurs hypothèses. L’une d’entre elles est que des fabricants de drones voudraient mettre leurs produits en valeur, mais je n’y crois pas. Une autre est une action terroriste, mais dans ce cas, d’autres moyens que les drones, par exemple militaires, seraient mieux adaptés si l’on voulait s’attaquer à une centrale nucléaire. Nous constatons que les survols relèvent d’une technique de harcèlement qui mobilise beaucoup de personnes.

L’Office parlementaire a toujours traité tous les sujets qui rapprochent politique et technologie en entendant tous les points de vue, de manière contradictoire. Nous allons aborder la répartition des rôles en matière de sécurité et de sûreté des centrales nucléaires. Nous reviendrons aux nouvelles menaces par la suite.

Nous avons mis quinze ans, en France, pour arriver à un renforcement de notre sûreté nucléaire, et je crois que l’Office parlementaire y a contribué. Nous avons été à la base de la création de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et avons œuvré pour que la radioprotection soit réglée de la même manière et que soient créées des commissions locales d’information et de surveillance. Nous avons rapproché les problèmes de sûreté des nucléaires civil et militaire. Toutes ces questions ont abouti à l’adoptions de lois, celle de 1999 d’abord, puis celle de 2006, après que j’eus rendu un rapport au Premier ministre. Mais nous nous trouvons aujourd’hui sur une autre problématique, posée par ces intrusions de drones hors la loi, celle de la sécurité.

Nous allons vous demander d’expliquer rapidement comment est organisée la sécurité de nos centrales et qui en a la responsabilité. Je vais donner la parole d’abord aux représentants du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé de la coordination de la sûreté des installations nucléaires : M. Francis Rol Tanguy, secrétaire général, haut fonctionnaire de défense et de sécurité, accompagné de M. Christophe Quintin, chef de service de défense, de sécurité et d’intelligence économique, haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint, et du général Christian Riac, responsable du département de la sécurité nucléaire, service de défense, de sécurité et d’intelligence économique, au secrétariat général du ministère. Que pensez-vous du système actuel ? Est-il bien adapté ou doit-il évoluer, avec peut-être une coordination de l’Autorité de sûreté nucléaire ? J’interrogerai ensuite le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air, pour le ministère de la défense.

M. Francis Rol Tanguy, secrétaire général du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS). Dans les questions nucléaires mises en avant par ces survols de drones, les termes de sécurité et de sûreté, souvent équivalents dans le langage courant, ont deux acceptions bien différentes. Pour la sûreté nucléaire, une loi de 2006 a transformé en autorité indépendante le service qui, depuis les années soixante-dix, exerçait les contrôles en matière de sûreté des centrales et de radioprotection. Les questions de sécurité sont restées régaliennes au sens propre du terme ; elles sont exercées aujourd’hui, dans le cadre du partage des fonctions de défense, par le ministère de l’écologie et du développement durable et de l’énergie, et en l’occurrence du haut fonctionnaire de défense de ce ministère, pour tout ce qui concerne la définition et les propositions d’évolution de la règlementation et de la législation.

Sur ces questions de sécurité, l’outil de coordination est le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), placé auprès du Premier ministre. Ainsi, c’est lui qui coordonne les moyens engagés pour faire cesser ces vols de drones au-dessus des installations nucléaires et en découvrir les responsables. Le haut fonctionnaire de défense que je suis se place dans le cadre de la directive de sûreté nucléaire de 2008. Je rappellerai ce que j’ai dit lors de la première audition, il nous semble que cette directive couvre les risques encourus aujourd’hui par ces survols. Cela dit, ce n’est pas parce que nous avons un premier sentiment de cet ordre qu’il ne faut pas continuer à réfléchir à une activité et une technologie naissantes comme celle des drones.

Autant la question de la sûreté est régie de manière claire et univoque, à savoir que l’ASN édicte des prescriptions et que les opérateurs sont en charge de leur respect, autant, en matière de sécurité, les éléments sont partagés, certains relevant des prescriptions que les opérateurs doivent respecter au titre de la directive de sûreté nucléaire, d’autres de moyens dont dispose directement l’État. Confrontés à ces survols de drones, des plaintes ont été déposées, la justice conduit des investigations confiées à la gendarmerie. Le processus suit normalement son cours dans un État de droit. De la même manière, est réalisé un travail sous l’égide du SGDSN pour rechercher les responsables. On voit difficilement comment ce genre d’activités serait confié à une autorité de sûreté nucléaire indépendante, voire aux opérateurs eux-mêmes.

Depuis 2009, par un protocole passé entre la gendarmerie et EDF, ces fonctions de sécurité sont assurées par des pelotons spécialisés de gendarmerie, positionnés à l’intérieur des installations des centrales nucléaires, dans un périmètre restreint. Ce sont donc des forces de service public qui, en dernier lieu, assurent la sécurité de certaines de ces installations. A partir du moment où l’on se pose la question du rapprochement sûreté – sécurité, ce qui existe dans d’autres pays, il faut bien tenir compte de l’importance des forces du service public positionnées dans les centrales nucléaires, et non pas simplement de sociétés de sécurité. C’est un élément essentiel si l’on veut conduire une réflexion sur l’opportunité de mêler les deux fonctions ou au contraire les tenir séparées.

Pour terminer, il est clair que la coordination de ces questions de sécurité et de sûreté est essentielle. C’est le travail que nous menons à la fois avec les opérateurs et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), car il ne peut y avoir dissociation des deux sujets, ni de façon opérationnelle, ni dans les prescriptions que nous édictons les uns et les autres. La coordination fonctionne aujourd’hui, même s’il est toujours possible de progresser. C’est dans ce sens que nous la renforcerons pour la sûreté et la sécurité.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vais parler en témoin de cette période. Ce qui avait amené au dispositif actuel, séparant sûreté et sécurité, était la différenciation de ce qui ressort de l’exploitation nucléaire de tous les jours et de ce qui relève du domaine régalien de l’État : lui étaient réservées la gestion des situations de crise, l’élaboration des normes, et la prise de décisions sur le nucléaire. Ces évènements nous font réfléchir sur cette question et vous venez de nous donner votre avis.

Je vais demander au général Denis Mercier, non pas de parler de la même chose, puisque M. Rol Tanguy a parlé pour le Gouvernement, mais de s’exprimer en tant que spécialiste reconnu des drones. Le Centre d’études stratégiques aérospatiales, centre de recherche de l’armée de l’air, a publié en 2013 un ouvrage de référence intitulé Les drones aériens : passé, présent et avenir : approche globale, ouvrage que vous avez personnellement préfacé. Je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer comment vous percevez la sécurité des installations nucléaires face à ces intrusions. En tant que chef d’état-major de l’armée de l’air vous êtes chargé de la protection de l’espace aérien : est-ce pour vous une nouvelle menace ou une menace identique à ce que l’on rencontre habituellement dans les centrales nucléaires ?

Général Denis Mercier. Je ne crois pas être un spécialiste reconnu des drones, le livre que vous mentionnez était collectif. Il avait vocation à faire le tour de la question.

La protection des centrales nucléaires ne relève pas du ministère de la défense. Comme il s’est agi de pénétration par air dans des zones interdites, je vais faire un point sur la chaine de défense aérienne et son utilisation pour la protection des espaces aériens.

La chaine de défense aérienne en France relève d’une posture permanente de sûreté (PPS), inscrite dans le cadre juridique rigoureux du code de la défense. Elle est placée sous la responsabilité directe du Premier ministre. Compte tenu des caractéristiques de cette chaine, la France a opté pour la mise en place d’une haute autorité de défense aérienne (HADA), composée d’officiers de l’armée de l’air, nominativement désignés, placés sous les ordres directs du Premier ministre. Elle s’appuie sur une unité de l’armée de l’air implantée à Lyon-Mont Verdun, le centre national des opérations aériennes (CNOA), dont les moyens permettent la détection, l’identification, la classification et la possibilité de prendre des mesures, ou de proposer des mesures au Premier ministre, pouvant aller jusqu’à l’ordre de destruction.

Cette haute autorité contribue au respect de la règlementation du code de l’aviation civile, et donc au respect des zones interdites de survol, centrales nucléaires ou autres. En cas de survol de ces zones interdites ou auxquelles s’attache une règlementation de survol en hauteur ou en distance, nous jouons un rôle de police du ciel. En effet, dans cette chaine de défense aérienne, nous avons la possibilité de faire décoller des aéronefs, avions de chasse ou hélicoptères, avec des équipages assermentés par le ministère de la justice, pour constater les infractions et les signaler au CNOA à Lyon. Je précise que ce centre coordonne de nombreux autres acteurs dans ce domaine : la direction générale de l’aviation civile (DGAC) avec les compagnies aériennes, les fédérations, les aéroclubs, les douanes et le ministère de l’intérieur. Nous avons des représentants permanents de ces organismes dans ce centre. Cet organisme est capable de centraliser l’information et de disposer de tous les moyens nécessaires pour que les décisions soient prises au bon niveau.

Les drones, comme précisé par M. Maxime Coffin tout à l’heure, sont considérés comme des aéronefs ; leur règlementation s’y applique, avec la difficulté que nos moyens ne sont pas adaptés aux minidrones. Nos moyens radar, notamment, ne sont pas adaptés à leur détection. Pour autant, nous travaillons depuis longtemps avec les opérateurs et nous avons un protocole établi avec EDF, qui permet aux personnels des centrales de signaler les informations relatives au survol des installations. Nous les fusionnons avec des renseignements de toute nature, puis nous prenons les mesures appropriées. Ce processus est important, car nous avons pu voir, dans les détections récentes, que toutes les informations annoncées de survol de drones n’en étaient pas.

S’il n’appartient pas au ministère de la défense de développer les moyens affectés à la protection des centrales nucléaires, ces moyens devront être intégrés dans cette chaine de défense aérienne. J’ai bien entendu notamment M. Alexandre Garcia tout à l’heure. Les questions de détection, d’identification et de classification doivent être intégrées à cette chaine de défense aérienne, qui est capable de faire une évaluation de la menace et des dommages collatéraux et de présenter une situation où toutes les données auront été fusionnées. Dans ce domaine, la bonne nouvelle est que les moyens de détection eux-mêmes ne seraient pas grand-chose sans cette organisation centralisée. La chaine de défense aérienne est capable d’agréger tous les acteurs, comme elle le fait pour des appareils plus gros. Elle est réactive, car armée 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Elle collecte des informations qui proviennent de différentes origines, y compris hors du territoire national, pour les corréler.

Je voudrais revenir sur ce qu’a dit M. Peter Van Blyenburgh. Nous avons ouvert un Centre d’excellence sur les drones où nous faisons la formation de nos opérateurs. Il est accessible à tous ceux qui voudraient travailler avec nous, de manière à offrir un espace de coordination dans ce domaine. Bien des acteurs le savent, et cela permet de travailler ensemble sur ces sujets, y compris sur la sûreté.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vais donner la parole à M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire. Nous abordons la sûreté du nucléaire à travers une question de sécurité, et je vais vous poser juste une question. Peut-on traiter de la sûreté du nucléaire sans se préoccuper de la sécurité, et si oui, quels sont les moyens de coordination que vous avez avec le secrétariat général de la défense nationale, la gendarmerie, l’aviation, sur la question spécifique des centrales ?

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire. Je vais commencer par répondre directement à votre question. Par la loi de 2006, nous sommes en charge de la sûreté. Nous sommes une autorité indépendante, notamment du Gouvernement. Nous ne sommes pas en charge des aspects de sécurité. Au vu des éléments développés, car il y a des liens à maintenir entre les deux, nous sommes attachés, comme le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HSDS) du ministère de l’écologie, à consolider nos relations. Pour donner une illustration, nous avons à peu près deux réunions de haut niveau par an ; nous nous sommes également attachés progressivement à faire un courrier de prescriptions commun adressé aux exploitants. Nous partageons de l’information. Une installation peut avoir des fragilités, quel que soit l’agresseur, volontaire ou naturel. Ce genre d’analyse doit être partagé. Nous essayons de développer ces aspects, et comme le disait M. Francis Rol Tanguy, dans la situation actuelle, on ne peut qu’imaginer renforcer cette collaboration.

Cette situation fait réagir mes homologues étrangers. Nous avons reçu, pour la deuxième fois en France, une mission d’inspection de la police que nous sommes. La police des polices vient nous voir au niveau international, mais je ne vais pas pousser l’image trop loin. Une trentaine d’inspecteurs homologues de ce que nous sommes sont actuellement, pour quinze jours, en train de nous observer. Comme ils l’avaient vu il y a une dizaine d’années lors d’une première inspection, ils reviennent sur ce point, car il sort de ce qui se fait ailleurs. Dans nos rapports d’activités depuis de nombreuses années, nous sommes attentifs à ce qui se passe ailleurs, et notamment à la répartition des compétences sur tous les sujets. L’on s’aperçoit que 95 % de nos homologues chargés de la sûreté ont aussi en charge la question de la sécurité. Il faut être précis.

L’idée d’un grand organisme indépendant chargé de tous les aspects de sécurité ne marche pas. Ce qui a été souligné par M. Francis Rol Tanguy est vrai, il y a des sujets clairement du domaine régalien. Prévenir une menace et intervenir en cas de menace relève du Gouvernement et des services spécialisés. Habiliter des gens, au sens confidentiel secret défense, n’est pas du ressort d’une autorité indépendante, qui n’aura jamais les services ad hoc pour faire faire ce genre de missions. Que ce soit au niveau de la définition de la menace, de l’habilitation ou de l’intervention, aucun de mes homologues n’a ce genre de pouvoir, à l’évidence parce que ce sont des aspects régaliens, incompatibles avec une autorité indépendante. Le débat existe quand est abordée la question de la diminution de la vulnérabilité des installations. Techniquement, on traite là de sujets très voisins. Les principes sont globalement les mêmes. On peut avoir des systèmes de sûreté robustes, des tuyaux protégés par des enceintes, des systèmes diversifiés, redondants, tout cela fait partie des grands principes qui en réalité s’appliquent aux deux domaines, sur les mêmes installations. C’est sur ce point qu’à l’étranger, se trouvent des organisations différentes, où ce rôle technique en matière de sécurité et de sûreté est assuré de fait par la même entité.

La question n’est donc pas d’avoir un grand tout indépendant, c’est impossible. Elle concerne des installations, avec différentes mesures de prévention qui peuvent toucher à la sécurité ou à la sûreté. Doit-on les mettre sous une même responsabilité ? Cette question est posée de manière récurrente par mes homologues étrangers.

Pour la sécurité, un sujet, qui n’a pas trouvé de réponse, me semble préoccupant. Cela n’a rien à voir avec les drones. Il s’agit de la sécurité des sources radioactives. On les trouve sur n’importe quel chantier industriel pour faire la radiographie des tuyaux soudés. Il y en a partout, dans toute l’Europe. Ce sont des sources assez puissantes, des enjeux de sûreté s’attachent à la perte de ces sources, mais aussi des enjeux en termes de sécurité et de malveillance. Ce sujet n’est pas correctement traité dans le système actuel. En clair, il est « orphelin », et il serait urgent qu’il trouve enfin une base législative, et surtout des services pour s’en occuper sur le terrain.

Un dernier point, et je le dois à l’honnêteté, quelles que soient les réformes administratives, il faut avoir l’humilité de penser que cela ne résoudra pas instantanément le problème de drones que nous rencontrons.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je donne maintenant la parole à M. Jacques Repussard, directeur général, accompagné de M. Michel Brière, directeur général adjoint en charge des questions de défense et de sécurité, à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Celui-ci peut compléter notre information sur un plan technique, en vertu de ses compétences en matière de radioprotection, de sûreté, et de sécurité nucléaire. Cette instance de recherche travaille en lien avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Quels sont les éléments ayant présidé au choix du regroupement des activités sur la recherche, alors que ce n’est pas le cas sur l’Autorité ? Comment voyez-vous à l’IRSN le problème de sécurité dans le cas spécifique de survol des drones ?

M. Jacques Repussart, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. L’IRSN est chargé de la partie scientifique et technique des questions de sûreté nucléaire, de radioprotection, et de sécurité nucléaire. C’était probablement plus facile dans le contexte du début des années 2000, en mettant en œuvre la réforme que vous avez initiée avec votre rapport, monsieur le président, de regrouper les aspects scientifiques, car il y avait moins de sujets politiques et administratifs. Cette initiative a été extrêmement heureuse et nous sommes fiers aujourd’hui de faire partie d’un organisme reconnu internationalement sur ces sujets, et qui offre à l’État et à ses différentes organisations une excellente capacité d’expertise. Nous sommes l’appui technique à la fois de l’ASN, de l’ASN défense, et de l’autorité chargée de la sécurité nucléaire.

Je voudrais souligner l’importance de ce que dit M. Pierre-Franck Chevet au sujet des sources. Il y a plusieurs années, l’IRSN a remis un rapport classé secret-défense au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour souligner la dangerosité des sources. Nous avons un « trou dans la raquette nationale ». Il n’est pas normal que ce sujet, après plusieurs années, ne soit pas traité.

Pour revenir à notre sujet, il s’agit d’intrusions de drones légers dans l’espace aérien des centrales nucléaires. Nous n’avons pas été saisis de ce sujet par l’autorité chargée de la sécurité nucléaire, donc nous n’avons pas d’analyse détaillée de cette problématique. Mais nos experts participent à des groupes de travail en place depuis bien longtemps avant les incidents récents et réfléchissent à ces menaces et aux manières de les contrer. Quels sont les risques associés à ces survols avec les technologies d’aujourd’hui ? Nous considérons, au vu des images diffusées à la télévision et sous bénéfices d’inventaire, qu’ils sont faibles.

Une autre préoccupation concerne la vulnérabilité globale du système de production nucléaire, que pourrait révéler la capacité d’acteurs inconnus à planifier et réaliser, sans être identifiés, des opérations de survol, avec éventuellement des intentions nuisibles. Ce second sujet se rapproche de ce qu’indiquait M. Patrick Lagadec tout à l’heure, il mérite à notre avis d’être pris en compte.

En ce qui concerne l’organisation nationale, M. Rol Tanguy l’a expliqué, elle fait partie de l’organisation globale de la sécurité du pays. Notre législation a été transformée de fond en comble entre 2009 et 2011, pour l’ensemble de la protection des points vitaux en France, en particulier nucléaires. Ceux-ci ont fait l’objet d’un article spécifique du code de la défense, pour protéger les installations, les matières et les transports nucléaires. Ce système est fondé, comme la sûreté nucléaire, sur une approche de défense en profondeur, avec une multiplication de lignes de défense plutôt indépendantes les unes des autres, qui offrent la flexibilité maximale. Sa caractérisation, contrairement à la sûreté nucléaire, est qu’une partie de ces lignes de défense relève de l’autorité de l’État lui-même, et ne sont pas de la responsabilité des exploitants.

Ces agressions potentielles, utilisant des drones comme vecteurs, n’auraient pas nécessairement l’objectif de créer les conditions propices à un accident nucléaire. Il peut y avoir d’autres intentions, comme par exemple de déstabiliser le système de production énergétique. On peut empêcher une centrale nucléaire de produire de l’électricité sans créer un accident nucléaire. D’autres objectifs pourraient être, par exemple, de préparer le vol de matières radioactives. La sûreté nucléaire n’est pas la seule cible de la sécurité nucléaire.

En première conclusion, les mesures de prévention imposées aux exploitants ne constituent qu’un des éléments de la politique de l’État en matière de sécurité nucléaire, et ces mesures ne peuvent être fondées que sur les seules préoccupations de sûreté nucléaire.

La nature des mesures imposées aux exploitants ne résulte pas que de leur bon vouloir. Elles tiennent compte aussi de la coordination liée aux lignes de défense qui relèvent de l’État. Par exemple, quand on dimensionne des clôtures pour le pourtour des installations, le calcul du temps de retard qu’elles imposent aux agresseur doit tenir compte du temps prévu pour l’intervention de l’État, de la force armée en particulier. Il ne s’agit pas simplement d’un objectif réglementaire, et d’un opérateur qui fait le maximum. C’est une chaine totale, comme il existe une chaine de la défense aérienne. La chaine de la sécurité nucléaire est un ensemble de mesures.

Enfin, cette efficacité d’ensemble de la sécurité ne porte pas seulement sur le nucléaire. Cet ensemble, qui possède sa propre cohérence, est piloté par le SGDSN, les hauts fonctionnaires de défense des différents ministères et les forces armées. Cet ensemble a été rénové de fond en comble, et nous sommes actuellement, en appui des services du haut fonctionnaire, en train de regarder comment les exploitants nucléaires commencent à mettre en œuvre cette réglementation rénovée.

Comment pourrait évoluer l’articulation de l’organisation de l’État ? Pourrait-on en regrouper certains aspects ? Oui, on peut imaginer de le faire, cela simplifierait sans doute l’interface de l’administration avec les opérateurs pour les applications des deux réglementations combinées en matière de sécurité et de sûreté nucléaires. Mais il faut aussi considérer que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), indépendante, se verrait imposer des contraintes inhérentes aux questions de défense et de sécurité, en termes de limitation de la transparence par exemple. Il y aurait également nécessité pour elle de travailler de manière extrêmement coordonnées avec les services de l’État, ce qui n’est pas son habitude car elle jouit d’une grande indépendance. Cela modifierait la « coloration » de cette autorité.

L’enjeu n’est donc pas seulement d’optimiser le couplage sûreté – sécurité dans le secteur nucléaire, il faut aussi veiller à ce qu’une éventuelle réorganisation de l’État ne conduise pas à isoler la sphère de la sécurité nucléaire de l’organisation générique de l’État pour la sécurité et la défense nationale, la cohésion de l’ensemble de ces dispositifs étant un atout essentiel pour son efficacité, y compris dans le secteur nucléaire.

M. Jean-Yves Le Déaut. La parole est maintenant à Mme Isabelle Jouette, directrice de communication et porte-parole de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). Pouvez-vous nous donner votre éclairage sur l’évolution des menaces dues au survol des drones, les moyens d’y faire face, sur la réglementation de l’utilisation des drones et sur la coordination des acteurs.

Mme Isabelle Jouette, directrice de communication et porte-parole de Société française d’énergie nucléaire. La Société française d’énergie nucléaire (SFEN) est une association régie par la loi de 1901 qui, depuis 1973, est le lieu de partage des connaissances scientifiques et techniques sur l’énergie nucléaire, dans ses applications industrielles, scientifiques et médicales. En préambule, je me permets de repréciser quelques éléments de vocabulaire, à commencer par ceux que donne la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dans son article premier, repris dans le code de l’environnement : « La sécurité nucléaire comprend la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la lutte contre les actes de malveillance ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident. La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. »

Je souhaiterais rappeler également le préambule du document de référence de l’IRSN intitulé Approche comparative entre sûreté et sécurité nucléaires, d’avril 2009 : « Pour les responsables d’une installation ou d’une activité nucléaire, la maîtrise des risques nucléaires ou radiologiques s’inscrit dans deux démarches complémentaires qui ont leur logique propre : la sûreté et la sécurité. Concourant à la même finalité, ces deux approches doivent se renforcer mutuellement sans se gêner. »

Le contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection relève actuellement de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; le contrôle en matière de prévention et de lutte contre les actes de malveillance relève du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l’écologie. Il me semble donc que la question posée est celle de la fusion possible des responsabilités en matière de contrôle de la sûreté nucléaire, d’un côté, et de prévention et de lutte contre les actes de malveillance, de l’autre.

À ce propos, il est essentiel de rappeler que l’objectif de la prévention et de la lutte contre les actes de malveillance, est bien, in fine, d’assurer et de garantir la sûreté nucléaire de l’installation. L’objectif est bien, quel que soit l’acte de malveillance, qu’il n’y ait pas de conséquence en matière de sûreté nucléaire, donc de rejet radioactif supérieur à ceux induits potentiellement par un accident même grave.

Les exploitants ont d’ores et déjà déployé des actions. Elles visent bien à se protéger des risques de sûreté nucléaire comme la perte de matériel important, de moyens de refroidissement, des alimentations électriques, ou autres, qui seraient engendrées par un ou des actes de malveillance. Il faut souligner qu’en France, les choses sont faites avec sérieux et rigueur. Si, dès la conception, les installations nucléaires ont prévu des parades face aux risques d’agressions externes, qu’elles soient naturelles, accidentelles ou d’origine humaine, les exploitants ont mis en œuvre, après les attentats du 11 septembre 2001, des dispositions complémentaires en lien avec leurs ministères de tutelle. Ces mesures ont été instruites, en leur temps, par la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et par l’IRSN. Elles ont été validées par un groupe permanent en 2004 et sont maintenant en place. Outre ces mesures, il est important de rappeler qu’il est particulièrement difficile d’accéder à un site nucléaire et que les dispositifs de sécurisation des accès et des points névralgiques des installations, comme les stations de pompage, la salle de commande ou les bâtiments diesel, sont autant d’obstacles à une action malveillante.

Aussi, les gesticulations d’associations antinucléaires particulièrement organisées, lors d’interventions qui s’apparentent plus à des actions commando qu’à des débats argumentés, ne démontrent rien. Au final, elles ne font que perturber la sérénité nécessaire à une exploitation en toute sûreté. Il est fondamental de dénoncer ces pratiques illégales. Elles sont particulièrement décourageantes et même, je dirais, frustrantes, pour l’ensemble des personnes chargées de la protection des sites, organisés et entrainés pour faire face à des menaces réelles.

Les associations en question peuvent-elles garantir qu’il n’y aura jamais dans les personnes qu’elles mobilisent pour de telles actions, de vrais terroristes ? Auquel cas, sachant que le traitement dont elles feront l’objet sera toujours à l’image de la présomption de pacifisme dont elles bénéficient, ces organisations réalisent-elles la responsabilité qu’elles pourraient porter ?

Il faut également signaler qu’une intrusion sur un site nucléaire, instrumentée et préparée comme une action militaire, avec les moyens humains et financiers considérables qu’elle demande, n’est pas plus condamnée qu’un simple cambriolage à votre domicile, alors que nos concitoyens considèrent à juste titre qu’il est particulièrement inadmissible qu’un site nucléaire puisse être envahi et que l’importance de telles actions est sans commune mesure avec un cambriolage.

Le Gouvernement s’était engagé à faire évoluer la réglementation pour mettre en adéquation le caractère particulièrement inadmissible d’une intrusion avec les sanctions pénales encourues. La SFEN profite du temps de parole qui lui est donné, monsieur le président, pour rappeler cet engagement, et demander que les intrusions sur les sites nucléaires, quelles qu’elles soient, soient effectivement passibles de peines proportionnées et dissuasives.

Pour en revenir à la question initiale, puisque la protection contre les actes de malveillance doit garantir et protéger la sûreté nucléaire, logiquement, le contrôle devrait en incomber à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Mais, dans le même temps, cette protection repose sur des actions de robustesse des installations, et sur des actions de résilience, qui dénotent le niveau de capacité d’un système à tolérance de panne, de pouvoir continuer de fonctionner en mode dégradé, tout en évoluant dans un milieu hostile. Il s’agit principalement de la vérification de la possibilité d’accès sur les sites et d’action de protection des points sensibles, par des moyens de type militaire dont on a parlé tout à l’heure. Ces actions et ces moyens relèvent du domaine régalien, donc de l’État. En l’occurrence, qui mieux que le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) et ses services peuvent en apprécier la pertinence ?

Les deux logiques de responsabilité en matière de contrôle peuvent s’entendre, mais l’important, comme l’a rappelé récemment l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à l’occasion des débats sur la directive européenne de sûreté, est qu’il n’y ait pas deux autorités chargées du contrôle, car une telle organisation nuirait vraisemblablement à son efficacité. Pour un bon contrôle, il est fondamental qu’il n’y ait qu’un seul responsable.

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci madame de votre position. Je vais maintenant donner la parole à M. John Large, qui va s’exprimer en anglais. Il est ingénieur diplômé dans la recherche et les applications nucléaires. Vous avez été saisi début novembre par Greenpeace France et avez rendu un rapport rapidement. Pouvez-vous le résumer en cinq minutes ?

M. John Large, Large & Associates, Consulting Engineers. Je tire mes connaissances, mes compétences et mon expertise dans le domaine du nucléaire de mon parcours universitaire et professionnel. Pendant de nombreuses années, j’ai occupé le poste de chargé de recherche senior pour le compte de l’autorité britannique de l’énergie atomique, tout en étant rattaché à une école universitaire d’ingénieurs. Aujourd’hui je dirige le cabinet Large & Associates, dont le siège est à Londres, en tant qu’ingénieur consultant spécialisé dans les systèmes nucléaires, et en particulier dans la sûreté nucléaire.

Début novembre, Greenpeace France m’a demandé d’évaluer les risques posés par les survols en série par des drones des centrales nucléaires françaises et d’autres installations. Je tiens à préciser que je ne suis ni membre de Greenpeace France, ni d’aucune autre association de protection de l’environnement, et que la relation entre le cabinet Large & Associates et Greenpeace France est strictement d’ordre professionnel, entre un client et un consultant.

J’ai remis mon rapport final à Greenpeace France jeudi dernier, le 20 novembre. Il me semble que Greenpeace doit transmettre un exemplaire de ce rapport hautement sensible au président de l’OPECST. Je vous demande de bien vouloir préserver son caractère confidentiel.

Mon évaluation s’articule autour de trois points :

Dans un premier temps, j’ai examiné les différents modèles et capacités des drones actuellement disponibles, tant dans le domaine militaire que dans le secteur « amateur ».

Les drones de petite taille fonctionnant avec des batteries, initialement développés par le secteur militaire, sont très sophistiqués et capables d’effectuer en toute autonomie des opérations complexes. Ces drones, propulsés par trois, voire quatre ou huit rotors horizontaux (qu’on appelle tricoptères, quadricoptères et octocoptères), peuvent se maintenir en position stationnaire et effectuer des manœuvres étroites. Les capacités de charge sont de 5 à 10 kilogrammes, voire plus, et leur durée de vol peut être supérieure à soixante minutes. Caractéristique héritée de leur conception militaire, ils sont également très furtifs.

Ce sont des machines intelligentes : ils peuvent fonctionner de manière autonome, naviguer à vue, ou encore suivre des données GPS ou des itinéraires préprogrammés. Ils peuvent remplir différentes fonctions : observer (en mode « perch-and-stare ») à des fins de surveillance, suivre étroitement un autre appareil (en mode « follow-me ») ou encore devenir les yeux d’un pilote qui le contrôle à distance (en mode « first-person-view »). Enfin, plusieurs drones peuvent être programmés pour voler en essaim et opérer en parallèle. Il est possible de commander toutes ces fonctions à partir d’un smartphone.

Une grande variété de drones est disponible sur le marché, que ce soit dans des magasins spécialisés destinés aux « amateurs » ou sur internet. Ces appareils ne sont pas des jouets, mais des machines capables d’exécuter et de suivre des ordres, soit de façon directe, soit de manière autonome.

Dans un deuxième temps, j’ai examiné les vulnérabilités des centrales nucléaires françaises. Cette tâche a priori difficile a été facilitée par le fait que, à la suite de la catastrophe de Fukushima en 2011, l’ASN a identifié les failles et les vulnérabilités des centrales nucléaires en exploitation et a rendu ces éléments publics.

Le besoin, exprimé par l’ASN d’installer un « noyau dur » sur toutes, je dis bien toutes les centrales en fonctionnement, est particulièrement important. L’absence actuelle de « noyau dur » signifie que les centrales nucléaires françaises sont privées d’une barrière de protection ultime en cas de perte totale des alimentations électriques externes et internes, quelle qu’en soit l’origine. C’est ce qui s’est produit à Fukushima, entrainant la perte catastrophique de trois unités nucléaires.

En France, en cas de perte totale de l’alimentation électrique sur une centrale, l’exploitant serait dans l’incapacité de maintenir le refroidissement du combustible hautement radioactif situé dans le réacteur, mais aussi dans la piscine de désactivation. En l’absence de refroidissement à la suite d’un arrêt d’urgence, il faudrait environ une heure pour que le processus irréversible de fusion du combustible se trouvant dans le cœur du réacteur, en général entre 80 et 100 tonnes, se déclenche.

Concernant les piscines de désactivation, qui peuvent contenir plusieurs centaines de tonnes de combustible, l’ébullition de l’eau pourrait démarrer, dans certaines circonstances, dans un délai de six heures, entrainant une réaction puissante entre les gaines de combustible et la vapeur, l’accumulation d’hydrogène et un risque élevé d’explosion dans un délai d’environ dix à douze heures.

Il existe plusieurs risques graves liés au confinement et à la sécurité des bâtiments de combustible, notamment pour les réacteurs les plus anciens de 900 MWe. Le principal élément problématique réside dans le fait qu’il suffirait à une personne mal intentionnée de priver les piscines de refroidissement ou de l’alimentation électrique, ou des deux, pour enclencher un processus qui, sans intervention ultérieure de sa part, résulte inévitablement dans la destruction brutale du combustible usé.

À Fukushima, l’hydrogène qui s’est accumulée dans le réacteur lors de la fusion du cœur a ensuite détruit totalement les trois réacteurs en fonctionnement. Aucune mesure ne pouvait être prise pour empêcher cette réaction, ni les rejets massifs de radioactivité qui ont suivi dans la région avoisinante et dans l’environnement marin.

Pour pallier les faiblesses et les vulnérabilités identifiées, l’ASN comptait sur la mise en place d’un « noyau dur » sur toutes les centrales d’ici à 2018. Mais, d’après mes recherches, ce processus rencontre des difficultés en termes de ressources et de calendrier. Il y a quelques mois, EDF a reconnu qu’il aurait au minimum quatre ans de retard sur l’échéance prévue au départ.

En raison de l’ouverture dont a fait preuve l’ASN mais aussi de l’impossibilité pour EDF de tenir ses engagements, les centrales nucléaires françaises vont devoir se passer de cette barrière de défense ultime et cruciale pour au moins une dizaine d’années encore.

L’ASN a conscience des graves faiblesses et vulnérabilités de l’ensemble des centrales. J’en ai conscience, vous en avez conscience, et surtout toute personne mal intentionnée qui voudrait s’en prendre à une centrale nucléaire française en a aussi conscience.

Ce constat m’amène au troisième volet de mon évaluation, qui a consisté à établir un lien entre les capacités des drones et les vulnérabilités des centrales nucléaires. En tenant compte de la sensibilité de cette question, et en me gardant bien d’apporter de l’aide à une personne mal intentionnée, j’ai élaboré des scénarios dans lesquels les drones s’en prendraient aux défenses d’une centrale nucléaire standard sur la base du design normalisé appelé SNUPPS (pour Standardized Nuclear Unit Power Plant System), un design semblable sans être identique dans les détails à la filière de réacteur à eau sous pression exploitée en France.

Dans chacun des quatre scénarios d’attaque que j’ai analysés, à vrai dire, la centrale démontre une grande vulnérabilité. Si ces scénarios s’étaient déroulés dans la réalité, il y aurait eu un risque de rejet radioactif majeur, en particulier au niveau du bâtiment du combustible insuffisamment protégé.

Dans le cadre de ces scénarios, l’accès flexible et la maniabilité des drones, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du site nucléaire, leur permettraient de survoler et de franchir les barrières physiques « d’ancienne génération » qui ne peuvent faire face à ce nouveau mode opératoire d’attaque. Les drones pourraient ainsi exercer une surveillance étroite sur le site, communiquer et agir en temps opportun, livrer ou localiser avec précision des agents destructeurs (par exemple un gaz innervant organophosphoré comme le gaz sarin) pour neutraliser rapidement le personnel chargé du contrôle et de la surveillance du site. Ils pourraient introduire du matériel et des armes pour les fournir à un complice interne et/ou déposer à des endroits précis du matériel explosif adapté.

Dans le cadre de ces scénarios, les drones seraient en capacité de dépasser les défenses du site parce que ces défenses sont obsolètes, ayant été pensées et construites pour faire face à des technologies aujourd’hui dépassées, à une époque où l’existence de tels appareils hautement sophistiqués n’était pas concevable.

À ce jour, les forces de sécurité ont éprouvé des difficultés extrêmes pour détecter ces survols, et, le cas échéant, elles sont apparues incapables de les faire cesser. En d’autres termes, la barrière ultime de défense qui consiste à intercepter et à détruire les drones aériens n’est actuellement tout simplement pas opérante.

Ces multiples survols des installations nucléaires françaises, ainsi que l’existence reconnue de vulnérabilités et des failles des centrales en fonctionnement, devraient être une source de préoccupation majeure pour nous tous. C’est en tout cas ce que montre le rapport qui m’a été commandé par Greenpeace France. Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci de ces précisions, nous aurons l’occasion d’en discuter dans les conclusions tout à l’heure. Je donne la parole aux deux derniers intervenants, sachant que si vous en êtes d’accord, nous prolongerons la réunion pour permettre un débat. M. Yannick Rousselet, vous êtes responsable des questions nucléaires à Greenpeace France, dont on vient de parler. Vous avez assuré que votre organisation n’est pas à l’origine du survol des centrales nucléaires, et cela dès leur début, et vous avez dénoncé également leur danger potentiel. Avez-vous été rassuré par les propos des précédents intervenants ?

M. Yannick Rousselet, responsable des questions nucléaires à Greenpeace France. Monsieur le président je vous remercie d’avoir organisé cette réunion, car, a priori, cette affaire dure depuis quelques mois. Malgré quelques propos lénifiants de la part de ministres, comme le ministre de l’intérieur qui, il y a trois semaines, a dit qu’il suffisait de neutraliser ces drones – il en a donné l’ordre –, finalement les choses continuent.

Je considère donc la réunion d’aujourd’hui avec grand intérêt. J’espère qu’elle aura des suites, car il ne s’agit pas, chacun à notre tour, de tenir des propos plus ou moins rassurants, mais que cela aboutisse. Je vous rappelle que nous avons produit notre premier rapport sur les risques aériens sur les centrales après l’attentat du 11 septembre 2001. Nous avons nous-mêmes organisé un survol illégal en novembre 2011, pour souligner que ces drones peuvent poser un problème. Nous avions à l’époque survolé l’établissement AREVA de la Hague, sans que personne ne s’en émeuve. Nous l’avons immédiatement revendiqué en publiant la vidéo expliquant que c’était nous. Personne n’a entendu. La réalité est que maintenant, à nouveau, cette question se pose. J’insiste sur le fait que nous ne sommes absolument pas responsables de ce qui s’est produit là, bien que cela aurait arrangé tout le monde. Ce n’est pas nous, et nous n’avons aucune idée de qui cela peut être.

M. Jean-Yves Le Déaut. Certains disent que ce sont de plus radicaux que vous d’un pays voisin.

M. Yannick Rousselet. Toutes les hypothèses sont possibles. D’autres disent que ce sont les services secrets français voulant tester les services internes. Tout est possible. J’entends parler de petits drones, de drones légers. J’entendais M. Repussard tout à l’heure citant la télévision. Il est problématique de considérer que l’IRSN n’aurait que cette source d’information et en déduise que les risques seraient faibles.

M. Jean-Yves Le Déaut. L’IRSN fait bien son travail.

M. Yannick Rousselet. Absolument, encore faut-il que l’information lui soit donnée. Je ne le remets pas en cause. Mais il est important de parler de la coordination des services et nécessaire que l’ensemble des personnes soient informées au même niveau.

Pour répondre à votre question sur l’inquiétude, ces nombreuses intrusions sont concertées, car, le 31 octobre au soir, six sites ont été survolés en même temps. Nous avons des témoignages de gendarmes sur le site de Creys-Malville qui indiquent des survols dans des conditions de vent de 70 kilomètres-heure avec de la pluie. Des hélicoptères à Golfech ont suivi ces drones pendant 9 kilomètres au moins. Un drone a circulé entre Flamanville et l’établissement AREVA de Le Hague, sur une distance de 18 kilomètres. La thèse des petits drones, des petits jouets avec lesquels il faudrait avoir le nez sur la clôture pour les faire voler, évidemment ne tient pas. Cela doit être pris avec sérieux. Nous pensons, nous, que différents types de drones ont été utilisés, d’après les différents témoignages.

M. Jean-Yves Le Déaut. On nous a dit l’inverse tout à l’heure, aucun hélicoptère n’aurait suivi des drones. On a posé la question. Quelle est la source de vos informations ?

M. Yannick Rousselet. Dans tout gendarme sommeille un citoyen, qui peut supposer que l’installation à côté de chez lui n’est pas forcément au top de la sécurité et de la sûreté. Il peut, régulièrement, nous appeler et nous parler. Il y a des agents EDF qui font de même. Certains appellent directement les médias locaux. Les témoignages que nous avons n’ont que la valeur de témoignages. Nous avons sûrement moins d’informations que les services de l’État, qui pourraient peut-être vous montrer à vous, parlementaires, les vidéos dont ils disposent. Vous auriez ainsi plus d’information, plus de transparence. Nous savons qu’elles existent, et il aurait été souhaitable que ces documents soient produits. Nous avons des professionnels des drones et ils auraient peut-être pu nous aider sur la capacité de ces objets dont tout le monde parle et que personne ne veut montrer. À Flamanville, ces drones ont été filmés, photographiés, il suffirait de les montrer pour avoir plus de transparence.

Jusqu’à présent, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’ensemble des gens qui travaillent autour de la sûreté ont considéré des scénarios dans lesquels les initiateurs étaient des menaces de l’ordre de l’agression naturelle : séismes, inondations, etc. Nous avons un vrai problème ici, la possibilité d’autres initiateurs. Si nous prenons l’exemple des piscines à combustibles, jusqu’à présent l’ASN regarde les ruptures de tubulures, le siphonage, qui nous amènerait à des dénoyages lents de ces piscines. On envisage 4 centimètres carrés de fuite, et lorsqu’existe une bâche ou une cuve prévues à cet effet, nous sommes dans un scénario où nous sommes capables de faire face. Mais si, demain, nous avions une brèche de plusieurs décimètres carrés dans le flan de la piscine, le scénario serait complètement différent. Il est pour nous fondamental de ne pas s’occuper simplement d’une rupture de tuyau, mais de l’éventualité d’une brèche, car, dans ce cas, la question du dénoyage de la piscine devient très importante.

Pour nous, les compétences de l’ASN doivent se renforcer, et cela a été très clairement expliqué par M. Pierre-Franck Chevet tout à l’heure ; il n’est pas question pour l’ASN de prendre la compétence de la sécurité et de faire une enquête sur le terrorisme. Ce n’est pas son domaine. Par contre, si les gens en charge de la sécurité définissent des scénarios découlant d’une explosion à tel ou tel endroit, cela nous semblerait extrêmement important que l’ASN puisse les agréger à ceux concernant son noyau dur, en y incorporant non seulement des risques d’inondation ou de séismes, mais aussi des risques générés par la pénétration d’un drone dans des endroits interdits et se posant sur les accès à la source froide ou sur des transmissions d’énergie.

Nous avons demandé au cabinet de John Large de faire cette étude. Nous avions initialement prévu qu’elle soit diffusée publiquement, mais quand nous avons reçu ce document, nous nous sommes dit que ce n’était pas possible. Son niveau de détail est tel que nous ne pouvions pas rendre publique la recette pour aller poser un drone avec une charge adaptée à chaque endroit de la centrale. C’est pour cela que nous avons décidé de remettre une copie à chacune des entités de sécurité et de sûreté, et à vous-même monsieur le président de l’OPEST.

Nous souhaitons que ce rapport soit suivi d’effet. Nous envisageons de rencontrer l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour en parler, et nous espérons que, dans chacun des services, ce rapport soit lu avec attention et qu’on puisse en tenir compte.

M. Jean-Yves Le Déaut. Merci beaucoup. J’ai une demande de parole du général de brigade Pascal Bonneau, sous-directeur de la défense, de l’ordre public, et de la protection civile, à la direction générale de la gendarmerie nationale.

Général de brigade Pascal Bonneau. Monsieur le président, vous avez fait une remarque, suite aux déclarations de M. Rousselet, selon laquelle, lors de la première audition, la gendarmerie avait indiqué que ces hélicoptères n’avaient jamais été en concomitance avec un drone au-dessus d’une centrale. Je le maintiens. En revanche, M. Rousselet a raison lorsqu’il évoque l’épisode de Golfech, où la gendarmerie a pu suivre un drone. C’était à partir du sol, et non à partir des airs. Pendant plusieurs kilomètres, le PSPG a pu suivre par voiture ce drone, avant qu’il ne disparaisse.

M. Yannick Rousselet. J’ai été peut-être un peu vite. Donc, Golfech à partir du sol, et Flamanville avec un hélicoptère. Cela ne changera pas grand-chose.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je voudrais pour terminer, avant que l’on débatte, donner la parole à M. Jean-Claude Zerbib, ingénieur, expert indépendant en radioprotection et sûreté nucléaire. Il a travaillé dans ce domaine, nous nous sommes d’ailleurs connus il y a un grand nombre d’années.

M. Jean-Claude Zerbib, ingénieur, expert indépendant en radioprotection et sûreté nucléaire. Les malveillances comme les actions terroristes posent à la sûreté nucléaire des problèmes aussi difficiles à traiter que ceux résultant des anomalies qui affectent un dispositif et ses éléments importants pour la sûreté. Pour des raisons évidentes de sécurité, l’étude de ces problèmes ne fait pas l’objet de publications par les organismes chargés de sûreté ou de sécurité nucléaire. Mais, ce qui est frappant, c’est que l’analyse générale des incidents et accidents survenus montre que des éléments technologiquement simples comme des vannes, des pompes, des diesels ou des tuyauteries peuvent, s’ils viennent à être défaillants, mettre en péril une installation de haute technologie. Il est important de noter ce contraste. Pour moi, l’accident le plus redouté est celui de la défaillance malveillante d’un ou plusieurs éléments qui conduiraient à la rupture d’étanchéité d’une piscine d’entreposage, soulevée par M. Yannick Rousselet. Elle conduirait à une dégradation significative des assemblages combustibles nucléaires irradiés. La réduction importante du refroidissement de ces assemblages entraine toujours une détérioration du combustible.

Dans le cas où le combustible a été extrait depuis quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, cette défaillance peut être la fusion du combustible avec le relâchement des iodes. En l’absence de prophylaxie avec des iodes stables, il peut y avoir des impacts sanitaires importants dans l’environnement de l’installation. Aussi la production d’hydrogène peut, par explosion ou inflammation, dès que l’on dépasse 4 % dans l’air, faire des dommages importants. Au bout d’une année de refroidissement, la détérioration du combustible est moindre, la fusion n’est plus possible, mais si la piscine se vide, l’approche humaine est quasiment impossible ou très périlleuse.

Pour fixer quantitativement le risque, il y a à peu près 14 000 tonnes de combustible déchargé aujourd’hui, 4 000 se trouvant dans les piscines des réacteurs nucléaires, et 10 000 dans les quatre piscines d’entreposage de la Hague. Elles sont dans des locaux industriels non blindés. Un orifice d’une dizaine de centimètres sur une piscine, provoqué par un tir de bazooka par exemple, pourrait rendre extrêmement difficile le renoyage du combustible.

L’utilisation malveillante des drones peut consister en une géolocalisation des zones sensibles, qui permettraient de guider un tir d’une ou plusieurs roquettes. Je vous rappelle qu’il y a eu cinq tirs de roquettes sur le réacteur de Creys-Malville lorsqu’il était en construction en 2003. Cela a été avoué récemment par le tireur, un ingénieur suisse.

Un deuxième problème se pose : les survols actuels par des drones civils constituent peut-être des galops d’essai avant l’usage de drones militaires.

Débat

M. Jean-Yves Le Déaut. Je donne la parole à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin, député. Merci monsieur le président d’avoir organisé ces deux auditions au sujet du survol des installations nucléaires par des drones. Je dois avouer qu’après quatre heures et demie passées en audition, je n’ai pas eu de réponse à la principale question que je me posais en entrant : qui est derrière cette opération de survol par des drones ? Cela reste pour moi un sujet de préoccupation. Nous avons bien entendu les différents services de l’État, sans vouloir être désobligeant avec qui que ce soit, se renvoyer la balle. Mais à l’arrivée, nous ne savons toujours pas comment des gens peuvent organiser le survol d’installations nucléaires pendant des semaines et des semaines en échappant à l’ensemble des services de surveillance du pays. Et nous ne savons pas qui est derrière cette opération.

Vous nous avez dit, monsieur le président, que s’il s’agissait de terroristes, ils utiliseraient des moyens plus militaires. Oui, mais si j’entends ce qu’a dit M. John Large par exemple, on peut imaginer qu’existent des loups solitaires en terrorisme, parfois isolés et avec peu de moyens, mais qui peuvent être sur notre territoire et vouloir agir de façon négative. Je n’ai pas de garantie, j’espère me tromper en évoquant cette hypothèse. La mobilisation que l’on a pu constater, je remercie d’ailleurs tous ceux qui sont venus cet après-midi pour évoquer ces sujets, montre le sérieux de la préoccupation.

La question est de savoir si nos installations nucléaires pourraient être la cible demain de gens mal intentionnés. Cette question a été posée au lendemain de l’attentat du World Trade Center, car des missiles sol-air ont été posés à côté de l’usine de la Hague : à l’époque, on avait déjà identifié que, si des gens mal intentionnés voulaient frapper notre pays, les installations nucléaires pourraient être des cibles idéales. Cette question reste posée aujourd’hui. Le fait que l’on ne sache pas qui est derrière cette opération, après tant de temps, après tant de services mobilisés, de mon point de vue est particulièrement préoccupant.

Je voulais poser quelques questions à nos intervenants, notamment à l’ASN et à l’IRSN. M. Jacques Repussard nous dit qu’il n’y avait pas grand-chose à craindre. J’avais relevé, comme M. Yannick Rousselet, que c’était au vu de reportages télévisés. On n’a rien vu à la télévision, simplement des images d’archives. Aucune image actuelle n’a été réellement diffusée.

Quel risque font encourir ces drones pouvant transporter jusqu’à 20 kg d’explosifs, et utilisés, selon les hypothèses évoquées par M. John Large, en essaims de drones combinés? Peut-on affirmer aujourd’hui qu’il n’y aurait pas une grande préoccupation à avoir ?

Ma deuxième question concerne la protection des installations, et notamment des piscines. On l’a entendu dans les interventions – et vous l’avez évoqué, monsieur Chevet, dans une interview récente au journal Les Echos, sur la prolongation de durée de vie des centrales nucléaires –, que la question de la bunkerisation des piscines serait sur la table. Elle est d’ailleurs prévue dans le cadre de l’EPR. On se pose évidemment la question pour la Hague, un équipement dans lequel il y a l’équivalent d’une centaine de cœurs de réacteurs stockés. Il s’agit d’un endroit qui pourrait être inquiétant s’il n’était pas suffisamment protégé, et M. Francis Rol Tanguy le disait tout à l’heure, lors de la première l’audition, faut-il vraiment attendre de prolonger des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans pour bunkériser les piscines ? Ne peut-on pas décider d’ores et déjà que, face à cette accumulation de risques, ce serait une mesure de sécurité importante ?

Autre question, vous avez quasiment plaidé pour que la sécurité, non pas dans le pilotage, mais en termes de référentiel auquel doivent satisfaire les installations nucléaires, soit traitée de concert avec la sûreté, également en matière de contrôle. Qu’est-ce qu’il s’y oppose, ou que faut-il faire pour que dorénavant cette compétence soit transférée ? Faut-il le faire par la loi ? Nous avons un outil législatif en cours, la loi sur la transition énergétique. Est-ce un outil pertinent ou devons-nous mettre en place cette réforme par d’autres dispositifs ? Nous sommes des parlementaires : s’il faut un changement de la loi, dites-le nous et nous verrons comment l’organiser.

Dernier élément, au lendemain de l’accident de Fukushima, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a piloté des évaluations complémentaires de sûreté. Elles ont débouché sur près de 1000 préconisations, dont on nous dit qu’elles vont mettre du temps à se mettre en place par rapport au calendrier fixé. Mais certains enjeux n’ont pas été pris en compte. Ne vous semblerait-il pas pertinent que soient réalisées des évaluations complémentaires de sécurité, face aux enjeux d’agressions extérieures, de piratage informatique, de chute d’avion ? Sur ces trois sujets non traités par les évaluations complémentaires de sûreté, cela vous paraitrait-il pertinent qu’un tel travail soit effectué à l’occasion de cette question des drones, qui vient montrer une vulnérabilité potentielle, et je suis prudent dans les termes.

Il a fallu dix ans après les attentats du World Trade Center pour commencer à modifier les directives de sécurité sur le nucléaire. Des plans doivent se mettre en place d’ici 2016, c’est-à-dire avec des délais encore relativement longs, et nous ne sommes pas certains qu’ils prévoiront la bunkérisation des piscines, par exemple. J’entendais d’ailleurs tout à l’heure le premier orateur nous dire que la question des installations n’était pas la seule, car se posait également celle des réseaux. En quelque sorte, une évaluation supplémentaire de sécurité vous parait-elle pertinente ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Qui souhaite intervenir en réponse ?

M. Francis Duruflé. Une courte réaction puisqu’on a évoqué plusieurs vecteurs de drones notamment dans la présentation de M. John Large, et dans son rapport que je serais très intéressé de pouvoir lire, car pour un drone capable de transporter 10 kilogrammes pendant soixante minutes en silencieux, c’est-à-dire en mode électrique, il y aurait un marché extraordinaire qui s’ouvrirait… Pour l’instant je n’en connais pas. Il faut faire très attention au type de vecteur cité. Je n’ai peut-être pas toutes les informations, mais je ne pense pas que l’on ait pu jusqu’à présent identifier les références, les marques ou les modèles des différents appareils qui ont survolé des centrales. On peut confondre beaucoup de choses et nous n’avons pas encore de produits suffisamment matures pour voler 10 kilomètres et venir se poser précisément à un endroit dans une centrale, avec une charge de 10 kilogrammes. Cela requiert encore des moyens bien supérieurs à ce que l’on peut trouver facilement sur le marché.

M. Jean-Yves Le Déaut. Avant que vous répondiez, monsieur John Large, je viens d’avoir le texte en français de votre intervention, où j’ai vu que vous parliez de survol de centrales pendant une heure. Or, cette question a été posée tout à l’heure, et l’on nous a répondu qu’aucune observation n’avait montré qu’un drone était resté une heure au-dessus d’une centrale. Nous ne sommes pas dans la situation d’un drone militaire. Je me pose la même question que M. Denis Baupin, nous nous posons tous la même question : qui organise cela ? On a dit tout de suite que ce harcèlement était effectué dans un but de communication. On a observé des passages du même ou d’un autre drone une heure après, mais jamais en survol de la centrale.

M. Yannick Rousselet. C’est tout de même en contradiction avec des témoignages précis de travailleurs d’EDF, qui affirment avoir pu en observer à Flamanville trois quarts d’heure d’affilée.

M. Jean-Yves Le Déaut. Ces travailleurs devront venir nous voir. Nous ne sommes pas une commission d’enquête, mais nous avons posé la question tout à l’heure, et nous avons eu cette réponse. A partir du moment où nous avons eu des réponses, nous devons en tenir compte pour essayer de faire une hypothèse.

Mme Isabelle Jouette. Monsieur le président, il se trouve que je connais très bien Flamanville et la région, et trois quarts d’heure au-dessus de cette centrale, ce n’est pas vrai.

M. John Large. Dans mon rapport confidentiel, vous verrez qu’il existe des liens où l’on signale la capacité des drones. On y voit un lien hypertexte montrant des drones d’une autonomie de plus de soixante minutes. La BBC utilisait des drones de 15 000 euros pour un vol de soixante minutes.

Ce sont des drones de type hélicoptère. L’autonomie est inversement proportionnelle à la capacité de charge. Un de ces drones est capable de soulever un homme de 60 kilogrammes. Il ne faut pas regarder l’autonomie, ni la capacité de charge, mais la possibilité d’attaquer les vulnérabilités des systèmes. Cela peut être une question de quelques kilomètres, quelques minutes, quelques kilogrammes, les installations françaises sont vulnérables à ces attaques précises.

L’effort physique peut être minime. Il suffit de chatouiller une installation pour modifier son équilibre et introduire un facteur d’instabilité. C’est ce qui s’est passé à Fukushima et à Tchernobyl. Une toute petite intrusion peut injecter un élément de déséquilibre et mener à une perte catastrophique

M. Jean-Yves Le Déaut. À vos questions et à celles de M. Denis Baupin, nous attendons la réponse de l’ASN. Je voudrais compléter : avez-vous attendu l’affaire des drones pour vous préoccuper de ces questions ?

M. Pierre-Franck Chevet. La réponse est non. Nous sommes abondamment cités dans le résumé du rapport fourni par M. John Large. Nous avons un succès de lecture colossal sur notre œuvre. Nous découvrons ce rapport. Il n’a pas été diffusé largement, et je remercie le sens des responsabilités des uns et des autres. En méthode, je proposerai que nous ayons une réunion de travail après lecture, avec ses auteurs, ses commanditaires et nos collègues du haut fonctionnaire de défense et de la sécurité (HFDS), pour examiner de manière plus détaillée ce qu’il contient. Pour le résumé qui en est fait là, effectivement, il y a des points d’amélioration que nous avons identifiés, juste après Fukushima, pour lesquels le travail est en cours. Nous les avons identifiées justement pour pouvoir mettre en œuvre des mesures. Même si toutes les mesures « en dur » ne sont pas encore installées sur les tranches, des éléments provisoires sont là. C’est l’angle relatif à la sûreté qui est utilisé, qui aboutit à des conclusions de nature sécuritaire. Les choses sont évidemment liées.

Ce que l’on a mis en place après Fukushima, gardant l’idée qu’il faut être très humble sur ce qui peut arriver, comme l’a souligné M. Patrick Lagadec au début, le « noyau dur » cité par M. John Large, est simple. Que faut-il pour résoudre le problème d’un cœur de réacteur ou d’une piscine ? De l’eau, donc des pompes et de l’électricité pour les faire fonctionner. C’est assez rustique et robuste, cela va dans le bon sens en termes de sûreté, et de la même façon en matière de sécurité. Cela ne répond peut-être pas à toutes les questions et c’est pour cela qu’il faut nous rencontrer. Mais n’oublions pas qu’ont été mis en œuvre, dans toutes les installations, des diesels pour l’alimentation électrique et des sources d’appoint en eau, même provisoires, car il peut y avoir des fuites de piscines, ainsi que des scénarios plus improbables et mal appréciés. La possibilité de remettre de l’eau dans une piscine est basique, ce sujet comme d’autres ont été travaillés. Tout n’est pas forcément déployé dans leurs formes définitives, mais ces problèmes sont traités. Avant que les problèmes cités ne se produisent, une des questions est de savoir si, en quelques heures, des forces venant de l’extérieur sont capables de ramener de l’eau. C’est l’un des objets de la force d’action rapide que nous avons demandée à EDF.

Je reviens sur l’évaluation complémentaire de sécurité. Après Fukushima, l’ensemble des autorités européennes s’est occupé de la partie sûreté. Je rappelle que mes homologues sont en charge de la sécurité, et pour être tout à fait clair, ils y ont travaillé. Mais ce ne pouvait pas être traité de la même manière. Des règles de confidentialité existent, même si tout n’est pas confidentiel. Ce n’est donc pas à moi de les décrire, et je pense que mes collègues du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) pourront aller plus loin. 

Sur la question d’une éventuelle réforme, par définition juridique, je vous rappelle enfin qu’une autorité indépendante ne peut être investie d’une mission que par la loi.

M. Denis Baupin. Pensez-vous qu’il faille attendre la prolongation des centrales pour envisager la bunkérisation des piscines ?

M. Pierre-Franck Chevet. Nous travaillons sur cette question, ce n’est pas une surprise car nous en avons vu l’enjeu à Fukushima. Le travail est en cours dans le cadre du débat sur l’extension éventuelle au-delà de quarante ans des réacteurs nucléaires. La bunkérisation vise explicitement les actes de malveillance, mais le fond du sujet, c’est d’abord de remettre de l’eau et de garantir l’inventaire en eau des piscines. Tant qu’il y a de l’eau, il n’y a pas de problème, c’est différent s’il n’y en a pas. Contrairement à ce qui a été dit, le système permettant d’apporter de l’eau n’est heureusement pas unique. Le travail est donc en cours et les conclusions seront faites avec celles sur l’extension au-delà de quarante ans. Peut-être, par cohérence, des mesures anticipées seront préconisées sur d’autres réacteurs.

M. Yves Marignac, directeur de WISE-Paris. Je voudrais faire quelques observations très rapides et poser trois questions à l’IRSN et à l’ASN, questions qui se posent au moins depuis le 11 septembre 2001. Je note avec beaucoup de satisfaction que l’on progresse dans la manière d’en discuter, car trop souvent le secret-défense y est opposé. Nous ne sommes pas dans cette situation, c’est très bien.

Sur le plan institutionnel, l’intervention de M. Francis Rol Tanguy a bien montré que les approches en termes de sécurité et de sûreté nucléaires restent très séparées. Elles sont coordonnées, selon ses termes, mais la situation actuelle appelle au contraire à les intégrer en faisant la distinction indiquée par M. Chevet et par d’autres entre les mesures qui relèvent de la sécurité au sens strict, qui doit rester une mission régalienne organisée comme elle l’est aujourd’hui, et ce qui relève de la robustesse des dispositifs de sûreté aux agressions et aux actes de malveillance. Cette partie doit être intégrée à la démarche de renforcement et être placée sous la responsabilité ou la coordination de l’ASN.

Sur le plan technique, les drones ne sont pas la seule technologie qui permette à la fois de déjouer les barrières de sécurité telles qu’elles existent, et aussi, comme l’a souligné M. John Large, de provoquer des déséquilibres en attaquant des points de faiblesse pourtant supposés robustes et non attaquables dans la démonstration de sûreté classique.

Sous réserve de plus amples informations, les survols observés actuellement relèvent d’une action visiblement concertée, dont la finalité ne semble pas être le simple survol. J’entends M. Jacques Repussard dire que les risques seraient faibles, sous réserve d’inventaire. Dont acte. Face à cette situation assez nouvelle, il serait dangereux, présomptueux d’imaginer que nous sommes capables de prévoir et de penser tous les scénarios possibles. M. Repussard lui-même, après Fukushima, appelait à penser l’inimaginable, cela doit s’appliquer ici aussi.

Cela appelle à renforcer les lignes de défense en profondeur mises en œuvre dans le cadre de la sûreté pour intégrer cette robustesse. Ce n’est possible encore une fois que sous la coordination de l’ASN, qui doit avoir la possibilité de le faire dans les meilleurs délais. Cela veut dire à la fois avoir compétence pour discuter au moins ce que l’on appelle les menaces de références, et à la fois formuler des prescriptions de renforcement associées pour les noyaux durs, avec peut-être des prescriptions intermédiaires.

Je m’adresse à l’IRSN : traite-t-il de l’ensemble de ces questions de manière intégrée, coordonnées ou séparée ?

Je m’adresse à l’ASN : a-t-elle le sentiment que la robustesse aux actes de malveillance pourrait être améliorée ? À ce titre, a-t-elle eu connaissance du test de résistance (stress-test) sur la sécurité mené par son homologue chargé de la sécurité à la demande de la Commission européenne ? Quelle est l’évaluation spécifique de la robustesse des noyaux durs aux actes de malveillance ? L’étude a été menée ou va-t-elle être menée ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Le président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) est dans la salle. Je vous ai cité dans l’ouverture de la première audition, avec la lettre que vous avez écrite au ministre, et j’ai rappelé ce que vous disiez en termes d’information. Je vous donne la parole pour un temps court comme tout le monde, et puis les réponses pourront être faites. Enfin j’essaierai de conclure et de dire ce que nous pouvons faire en suivi de ce délicat dossier.

M. Jean-Claude Delalonde, président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI). Monsieur le président, vous l’avez dit en début de séance, le Parlement – et l’Office que vous présidez y a été pour beaucoup –, a adopté la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et la sécurité nucléaire. Par cette loi, le Parlement a décidé d’officialiser l’existence de la société dite civile par des commissions locales d’information (CLI). Il y en a trente-huit sur le territoire national, auprès de chaque centrale nucléaire, et j’ai l’honneur de présider la fédération qui les regroupe.

Cette société civile a des missions fixées par la loi, qui a créé également un Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Je vous remercie sincèrement de nous avoir invités aujourd’hui. La société civile, que je représente, regroupe 3 000 personnes sur le territoire, dont 1 500 élus, mais aussi des représentants syndicaux, des experts, des personnes qualifiées et des associations, qu’elles soient pour ou contre le nucléaire. Ce haut comité aux missions très précises, plus précises que celles des CLI, que vous avez créées par la loi, monsieur le président, ne fonctionne plus depuis dix mois. Il n’a pas pu être invité aujourd’hui, et je le regrette.

M. Jean-Yves Le Déaut. Je l’ai largement dit lors de la première audition et l’on peut en témoigner. M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, m’a dit qu’il s’en occupait, le relais est donc établi.

M. Jean-Claude Delalonde. L’OPECST a un rôle important comme vous l’avez dit, y compris dans ce fonctionnement, pour que la loi soit appliquée et respectée et que le formidable travail de votre ancien collègue Henri Revol avec la société civile soit utilisé pour pouvoir, au-delà de cette réunion, faire que les propositions de M. Patrick Lagadec soient reprises.

Dans le cadre de cette crise non conventionnelle, je m’associe aux questions de M. Denis Baupin. Nous nous les posons, tous les présidents de CLI se les posent,’je peux en attester, toute la société civile se les pose. Et aujourd’hui, nous n’avons pas de réponse, mis à part le rapport confidentiel que je ne divulguerai pas. Je voudrais insister auprès de vous, monsieur le président, pour que vous réussissiez à faire que cette crise non conventionnelle puisse être traitée par la mise en place d’un vrai et d’un bon comité de pilotage, comme l’a suggéré M. Patrick Lagadec, qui ait une réelle capacité de questionnement et dans laquelle la société civile serait vraiment associée.

Cette société civile, dans le secteur du nucléaire, avec ses 3 000 personnes concernées, dispose vraiment de ce que nous appelons l’expertise citoyenne. Pour reprendre votre propos, monsieur le président, vous avez besoin de nous, vous avez besoin de cette société civile à laquelle vous participez, il est important qu’elle soit associée.

En conclusion, je suis ravi et vraiment très heureux que vous nous ayez invités, et d’avoir entendu tout ce que j’ai entendu. Mais il faut qu’il y ait une suite. Je ne sais pas comment vous allez l’organiser, mais si nous avions la possibilité auprès de toutes les CLI de reprendre le propos de M. Patrick Lagadec par écrit, je pense qu’il y aurait unanimité de l’ensemble de la société civile et de ses 3 000 représentants pour les faire siennes et insister auprès de vous pour qu’il en soit ainsi.

Des questions se posent, nous nous posons celles de M. Denis Baupin, et nous n’avons pas de réponse. La crédibilité et la confiance sont entachées, et cela risque d’entrainer des réactions inappropriées.

M. Pierre-Franck Chevet. Une question précise m’a été posée : ai-je les études complémentaires de sécurité ? La réponse est non. Mais ce n’est pas illogique, car je ne suis pas en charge de la sécurité, d’où la suggestion au haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) d’aller plus loin.

M. Francis Rol Tangy. Je remercie Greenpeace, qui a fait cette étude sur la base de scénarios quant à l’appréciation de la vulnérabilité des centrales françaises, dont on aura à discuter c’est une évidence, de lui garder ce caractère confidentiel. Cela montre notre responsabilité collective, quelle que soit la difficulté que cela représente dans une démocratie comme la nôtre, d’être vigilant sur les informations, les échanges que nous avons, car, en la matière, la transparence ne peut pas être le seul élément qui nous guide. Des menaces terroristes existent sur notre pays et ce n’est pas aux uns ni aux autres, quelle que soit leur position pro ou antinucléaire, de mettre des scénarios ou des possibilités au vu et au su de tout le monde, à l’heure où l’on sait que l’information circule facilement de beaucoup de façons possibles.

Je remercie donc Greenpeace de son initiative, et cela permet à tout à chacun de comprendre que nous menons des exercices, sur la base de scénarios d’intrusions malveillantes, aériennes ou au sol. Nous regardons la robustesse des éléments et des défenses, en conséquence de quoi nous faisons notre débriefing commun, y compris avec l’ASN, car cela aboutit à des préconisations de sûreté comme de sécurité. Sous cet aspect, les deux définitions se ressemblent.

De la même manière, après Fukushima, je vais d’une certaine manière le dire à l’envers de M. Pierre Franck Chevet, à savoir qu’il y a eu une réflexion et une mobilisation européenne sur les mesures à prendre. Pour nous, Français, dans un ensemble européen où beaucoup de pays ont une organisation intégrée sur la sécurité, elles ont été pour une part séparées. Cela ne nous a pas empêché de travailler de manière coordonnée.

Y-a-t-il des évolutions nécessaires, qui devront être législatives ? Je ne me prononcerai pas sur ce sujet aujourd’hui, mais je voudrais rappeler que la coordination est complète entre nos services. Des réunions toutes les deux semaines se sont tenues sur ces échanges. On pourrait vous faire une liste détaillant la façon avec laquelle la direction de la sécurité nucléaire du ministère de l’écologie travaille avec l’ASN. Tout processus peut-être amélioré, mais cette coordination existe aujourd’hui. Le débat sur la possibilité d’évolution est ouvert, je ne me permettrais pas de le fermer ce soir, mais ne tirons pas comme conclusion qu’aujourd’hui on ne se parle pas ni ne travaille en commun. Nous le faisons, et ce qui a été dit au sujet des piscines fait partie de nos échanges.

Je me félicite d’une séance comme celle d’aujourd’hui, qui nous permet d’échanger
– et de mesurer qu’il y a une limite à cet échange dans la situation actuelle. Nous n’allons mettre sur la place publique ni quand Greenpeace y travaille, ni quand mes services y travaillent, ni les scénari auxquels on réfléchit en commun avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pour pouvoir faire face à la menace. Enfin, nous sommes animés du même souci, finir par savoir qui est derrière ces intrusions. Il s’agit certainement d’un mélange de choses. Nous pensons à un élément organisé, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’y rajoute pas des candidats à la une des journaux. Tout le monde comprendra que, dans ces moments d’enquête, tout ne peut pas être public.

M. Jean-Yves Le Déaut, président. Je vais essayer de conclure cette réunion en trois minutes. D’abord en vous remerciant. L’exercice était compliqué, car à la fois le président de l’ANCCLI demande de l’information, et il a raison, et nous sommes sur des sujets qui pour certains sont confidentiels défense.

Nous avons réussi, en deux réunions, à aborder les sujets au fond. La menace augmente-t-elle de manière significative avec les drones ? Cela nous conduit à n’avoir peut-être pas les mêmes avis. Certains disent devoir interdire les drones, et on a dit non, car ils sont importants. D’autres disent, ce n’est pas mon cas, qu’il faut interdire le nucléaire. Vous voyez que les traitements du sujet sont différents suivant les avis. Il est important d’avoir ce débat ici, public et organisé. Il montre deux points. Des informations nouvelles peuvent-elles être apportées par ces intrusions de drones sur les centrales ? Nous travaillons chaque année avec l’ASN dans des discussions animées – M. Denis Baupin peut le confirmer – : non, il n’y a pas d’information supplémentaire à attendre avec ce survol des drones. La quasi-totalité des sujets abordés aujourd’hui, sur la défense en profondeur, et M. Large a raison de les aborder, l’ont déjà été. Nous nous posons déjà ces questions.

Plusieurs scénarios ont été envisagés. Même si les drones se militarisent, et j’ai entendu ce qu’a dit M. Zerbib tout à l’heure, nous sommes à des niveaux d’agression qui ont déjà été abordés par l’IRSN et l’ASN sur des chutes d’aéronefs ou sur d’autres types d’agressions physiques touchant l’intérieur d’une centrale. Même s’il faut rester modeste, on a l’impression qu’il s’agit d’une opération organisée pour faire de la communication et inciter à réfléchir sur ce sujet. C’est bien, mais c’est irresponsable. Nous arriverons au dénouement. Il y avait des tenants du secret, et des tenants pour que le Parlement s’en préoccupe. Nous avons eu raison d’en parler. Cela pose des questions sur la coordination technologique, notamment sur la détection de petits engins et de drones. Ce sont des vraies questions sur lesquelles nous avons des solutions à trouver, sur des traçages ou des signatures. Il y a peut-être quelques modifications législatives à envisager : sur les drones, sur les intrusions dans certains périmètres, sur la formation des pilotes, sur les liens et sur une meilleure coopération entre sécurité et sûreté. Nous pouvons sans doute progresser sur ces points. L’Office parlementaire jouera son rôle.

Au sujet de la reconstitution du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), nous sommes tout à fait partisans de demander qu’enfin, dix mois après la désignation par l’Office de personnalités incontestables, elles soient nommées. Des associations environnementalistes, comme Robin des bois, réclament la reconstitution de ce Haut comité, et j’attends une avancée rapide sur ce sujet après notre audition.

Je vous remercie toutes et tous d’avoir été présents et d’avoir joué le jeu, en respectant les devoirs d’information, de concertation, de dialogue, d’expertise publique et contradictoire et de confidentialité.

La séance est levée à 19 h 20

Membres présents ou excusés

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du lundi 24 novembre 2014 à 16 h 30

Députés

Présents. - M. Denis Baupin, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Jean-Yves Le Déaut

Excusés. - M. Alain Marty, Mme Dominique Orliac, M. Bertrand Pancher, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean-Sébastien Vialatte

Sénateurs

Présent. - Mme Catherine Procaccia

Excusés. - M. Michel Berson, Mme Marie-Christine Blandin, M. François Commeinhes, M. Alain Houpert, Mme Fabienne Keller, M. Jean-Pierre Leleux, M. Christian Namy