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Commission des affaires sociales

Mercredi 3 décembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Beaugrand, directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 3 décembre 2014

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission)

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Beaugrand, directeur du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je remercie M. Vincent Beaugrand et Mme Raphaëlle Verniolle d’avoir accepté notre invitation. Le Fonds CMU, créé par la loi du 27 juillet 1999, a trois missions principales : financer la CMU complémentaire et l’Aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) ; suivre et analyser le fonctionnement des dispositifs et, à ce titre, formuler des propositions d’amélioration ; élaborer et publier la liste nationale des organismes complémentaires habilités à gérer la CMU complémentaire.

Il est également en charge de la rédaction de rapports et d’études et, notamment, des rapports d’évaluation de la loi du 27 juillet 1999, qui sont présentés tous les deux ans au Parlement et dont la sixième et dernière édition a été publiée à la fin du mois d’octobre dernier. Disponible sur le site du Fonds CMU depuis un mois, un lien permettant d’accéder à ce rapport a été envoyé aux membres de la commission hier.

Auditionner le directeur du Fonds CMU permettra d’aborder nombre de questions liées à ce mécanisme social majeur, instauré par la majorité de gauche en 1999, à un moment où la généralisation de la complémentaire santé à tous les Français se met en place de manière progressive. Ainsi, deux décrets, concernant respectivement la sélection des contrats éligibles à l’ACS et le contenu des contrats responsables, ont été pris le 8 octobre et le 19 novembre derniers.

M. Bernard Perrut. Je voudrais souligner le fait que le rapport de 250 pages nous est parvenu hier soir et que nous n’avons pas pu le lire entièrement, ce qui est regrettable, car il apporte nombre de précisions, de chiffrages et de propositions très intéressants.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Comme je viens de le rappeler, ce rapport est en ligne depuis plus d’un mois. Le lien qui vous a été envoyé hier soir n’était qu’un rappel. Par ailleurs,  j’ai toujours l’idée de fournir à tous les parlementaires de cette commission la liste exhaustive des rapports que nous recevons et qui peuvent les intéresser.

M. Vincent Beaugrand, directeur du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie (Fonds CMU). Cette audition est, pour nous, l’occasion de présenter nos analyses et de vous faire part de nos propositions afin de discuter des enjeux liés à la protection sociale complémentaire des personnes les plus démunies.

Le Fonds CMU est un petit établissement public national – nous sommes dix équivalents temps-plein (ETP) –, créé en 2000, suite à la loi de 1999 portant création d’une couverture maladie universelle.

Nous gérons le financement de deux dispositifs.

D’une part, la CMU complémentaire (CMU-C), c’est-à-dire le financement d’une complémentaire gratuite, qui s’adresse aux personnes en situation de pauvreté – personnes seules ayant un revenu de moins de 720 euros par mois. Ces personnes, qui sont bien au-dessous du seuil de pauvreté, bénéficient d’une complémentaire gratuite correspondant à un panier de soins et du tiers payant intégral ; elles ne paient ni franchise ni participation forfaitaire ;

D’autre part, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, créée en 2004 pour gérer les effets de seuil liés à la couverture maladie universelle complémentaire. Il s’agit d’une aide du type « chèque santé », qui participe au financement d’une complémentaire santé pour les personnes qui sont au-dessous du seuil de pauvreté et qui disposent, pour une personne seule, d’un revenu mensuel de 720 à 973 euros.

Concernant ces deux dispositifs, le Fonds CMU a deux domaines de compétences principaux. Premièrement, il garantit l’accès aux soins et aux droits des personnes les plus précaires. Deuxièmement, il a un rôle d’assureur complémentaire et d’observatoire, en quelque sorte, des complémentaires santé, dans la mesure où le financement de cette assurance complémentaire provient d’une taxation sur leur chiffre d’affaires.

Le Fonds CMU est, en effet, financé à hauteur de 85 % par la taxe de solidarité additionnelle sur le chiffre d’affaires des complémentaires santé, soit 2 milliards d’euros. Les 15 % restants, soit environ 400 millions d’euros, proviennent d’une part affectée des taxes sur le tabac.

Ces recettes, dont nous assurons le recouvrement dans le cadre d’un partenariat avec l’URSSAF – principalement de Paris – et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), restent dynamiques, même dans la période actuelle, qui connaît une croissance proche de zéro. Cette année, le chiffre d’affaires des complémentaires santé a augmenté de 3 %. C’est une augmentation forte et supérieure à l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), qui nous permet de financer la hausse des dépenses. Des réformes sont en cours, telles que la définition d’un panier de soins minimal par l’Accord national interprofessionnel (ANI), et les décrets sur les contrats responsables qui vont probablement bouleverser cette croissance et ce mode de financement. Néanmoins, nous restons assez confiants dans la perspective de croissance de nos ressources.

Vous venez d’adopter une disposition concernant la fusion de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d’assurance (TSA) et de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), qui taxe les contrats complémentaires santé en fonction de leur caractère responsable ou non. Cette disposition n’aura pas d’impact financier sur nos recettes, mais elle en aura du point de vue organisationnel.

Comme nous traversons une phase d’accroissement de la pauvreté, les dépenses sont, elles aussi, dynamiques. Elles évoluent en fonction du nombre de bénéficiaires et du coût moyen par personne. Le nombre de bénéficiaires est en forte hausse depuis plusieurs années, du fait de l’intensification de la crise, donc de la pauvreté. Fin juin, la CMU-C comptait 5,1 millions de bénéficiaires, soit une hausse de 9,6 % en un an, et l’ACS 1,18 million, en hausse de 11,4 %. Les chiffres concernant la CMU-C suivent à peu près la même courbe que celle du taux de chômage, avec un décalage d’un an.

Dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le Gouvernement a décidé de relever exceptionnellement les plafonds d’entrée dans la CMU-C et l’ACS. Grâce à cette mesure, le retard pris dans la généralisation de la complémentaire santé va être rattrapé : à terme, entre 600 000 et 750 000 personnes seront couvertes par une complémentaire santé à travers la CMU-C et l’ACS.

Les bénéficiaires des dispositifs consomment plus de soins, mais ils ne surconsomment pas par rapport à leur état de santé. Il s’agit de personnes qui ont été longtemps éloignées des soins. Quand elles rentrent dans le système de soins, il y a donc une phase de rattrapage. Toutes les études montrent que l’état de santé des personnes justifie pleinement les soins qu’elles consomment, autrement dit il y a adéquation entre le besoin de soins et les soins pratiqués.

Je rappelle qu’il existe de fortes inégalités sociales en matière de santé. Les personnes qui sont en bas de l’échelle sociale ont un état de santé plus dégradé et une espérance de vie inférieure à la moyenne constatée dans les classes sociales plus aisées. Par conséquent, leur besoin de soins est plus élevé quand elles entrent dans le système.

Il semble néanmoins que le coût moyen de la prise en charge par la CMU complémentaire baisse depuis environ un an et demi, ce qui tendrait à justifier les hypothèses selon lesquelles, d’une part, plus il y a de personnes qui entrent dans le dispositif, plus la différence de consommation de soins par rapport à la moyenne diminue ; d’autre part, après un certain temps, une fois le retard de soins rattrapé, les personnes ont des consommations de soins qui se rapprochent davantage de la moyenne.

En revanche, le coût moyen des chèques ACS versés aux complémentaires santé a légèrement augmenté depuis l’année dernière, en raison notamment de la disposition que vous avez adoptée l’an dernier, portant le montant de l’ACS de 500 euros à 550 euros par an pour les personnes de plus de soixante ans. À ce jour, le coût moyen de l’ACS est de 290 euros.

On observe donc une croissance positive des recettes et une croissance maîtrisée des dépenses. En termes de soutenabilité financière du Fonds, nous avons une visibilité tout à fait correcte jusqu’en 2017. Nous n’avons pas de besoin de financement jusqu’en 2017, et nous n’en aurons pas après si, comme nous l’espérons, le nombre d’entrées dans le dispositif diminue, car nous estimons être dans la phase basse de la crise économique.

La répartition des bénéficiaires du dispositif est inégale selon les régions ; elle est le reflet de celle de la pauvreté en France. Lorsque, en moyenne, 6 % des Français bénéficient de la CMU complémentaire, dans les départements les plus défavorisés – Nord, Bouches-du-Rhône, Seine-Saint-Denis –, le taux dépasse 10 % ; il avoisine 30 % dans les départements ultramarins. Rappelons qu’à ce jour, la CMU-C n’existe pas à Mayotte.

Du point de vue de la pyramide des âges, la CMU complémentaire suit les contours de la pauvreté en France. Aujourd’hui, 45 % des bénéficiaires ont moins de vingt ans, 5 % seulement plus de soixante ans, le minimum vieillesse étant au-dessus du plafond de la CMU-C, et le nombre de femmes, plus important, atteint 55 %. Le profil de la pauvreté, chez les bénéficiaires de la CMU-C, correspond fréquemment à des familles monoparentales. Les jeunes sont plus souvent des ayants droit issus de familles monoparentales que des jeunes indépendants pauvres.

Contrairement à certaines caricatures, ces personnes respectent le parcours de soins : 92 % d’entre elles font le choix d’un médecin traitant, soit 0,3 % de plus que la moyenne des Français. Il y a très peu de fraude : 841 cas ont été relevés en 2012, pour un montant représentant 600 000 euros. Cela étant, l’intérêt de frauder est très faible, car pour bénéficier de la CMU complémentaire, il faut être malade. Il ne s’agit pas de percevoir un revenu.

Parmi les bénéficiaires, 85 % choisissent une prise en charge par le régime général, 15 % par des organismes complémentaires. Leur état de santé étant plus dégradé que dans la population générale, ils ont besoin de plus de soins, mais, encore une fois, ne surconsomment pas.

L’ACS s’adresse davantage à des profils de travailleurs pauvres. Il y a également plus de personnes âgées : 30 % ont plus de soixante ans, ce qui s’explique par le fait qu’on est juste au-dessus du seuil de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Enfin, 30 % ont moins de vingt ans.

Initialement, l’objectif des dispositifs était de faire baisser le renoncement aux soins, qui a de multiples facettes, parmi lesquelles le frein financier, que la CMU-C et l’ACS participent à lever. On estime que le renoncement aux soins a été divisé par deux grâce à la CMU complémentaire, qui l’a fait passer de 40 % à 20 %. Néanmoins, il existe toujours, car il a d’autres causes.

Pour ce qui est de l’ACS, le taux de recours étant plus bas, nous sommes un peu moins affirmatifs. Nombre de personnes qui pourraient bénéficier de l’ACS n’en bénéficient pas.

Avec l’ACS, les bénéficiaires ont aujourd’hui accès à l’ensemble du marché et peuvent acheter n’importe quelle complémentaire santé. Toutefois, les couvertures offertes sont très peu élevées, si bien que, outre le coût d’adhésion, ils doivent acquitter un reste à charge sur prestation. Des réformes sont en cours pour y remédier.

En permettant d’accéder aux soins, ces dispositifs contribuent à améliorer l’état de santé de la population. S’ils n’existaient pas, les inégalités sociales en matière de santé seraient encore plus fortes dans notre pays. Cela étant, il existe, hors du soin, d’autres facteurs déterminants que ces dispositifs ne suffisent pas à résoudre.

Beaucoup est fait pour améliorer le taux de recours. Au sein des administrations, des travaux d’information et de simplification sont en cours, en particulier pour aplanir les difficultés à remplir les dossiers. Toutefois, les critères d’entrée sont définis dans la loi par le législateur, sur proposition du Gouvernement, et ils sont différents selon les dispositifs. Une simplification absolue nécessiterait de revoir l’ensemble des dispositifs ainsi que l’ensemble des droits d’accès. Plus qu’une simplification administrative, c’est un vrai travail de fond au niveau législatif qu’il faudrait mener.

Des travaux portent également sur l’animation des réseaux, assurée par les caisses primaires d’assurance maladie, les caisses d’allocations familiales, les conseils généraux, les centres communaux d’action sociale (CCAS), et tous les intervenants auprès des personnes en situation de précarité. Des approches telles que les rendez-vous des droits ou les guichets uniques traitant l’ensemble des droits des bénéficiaires fonctionnent bien ; il faut continuer à les développer. La Mutualité sociale agricole (MSA), par exemple, qui fonctionne en guichet unique, est très efficace et performante en matière d’ouvertures de droits de la CMU complémentaire.

Des réformes de fond sont également menées. En particulier, celle de l’ACS a conduit, depuis deux ans, à une très nette amélioration. Dans le cadre de l’avenant 8 à la convention médicale, un droit au tarif opposable a été mis en œuvre, grâce auquel les bénéficiaires de l’ACS ne subissent plus les dépassements d’honoraires. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale de 2014 a instauré une procédure de sélection des contrats à partir d’un panier de soins défini par l’État. Seuls les meilleurs contrats seront retenus et accessibles aux bénéficiaires de l’ACS. La qualité de la couverture sera ainsi grandement améliorée. Vous venez également de voter une mesure sur le tiers payant généralisé, pour les bénéficiaires de l’ACS dans un premier temps, ainsi que la suppression des franchises et des participations forfaitaires, ce qui lève un frein financier en matière d’accès aux soins. Par ailleurs, dans le projet de loi relatif à la santé, la ministre a proposé la mise en place par les ordres d’un observatoire sur les refus de soins.

Le dispositif de l’ACS s’est donc fortement amélioré. Tout l’enjeu sera d’améliorer la communication pour atteindre les bénéficiaires potentiels, car 30 à 40 % seulement des personnes éligibles au dispositif y accèdent réellement.

La loi portant création de la CMU, qui a quinze ans, n’a connu que des avancées, et cela continue. De nombreux petits chantiers de simplification et d’amélioration concernant les droits sont en cours, ainsi que des études sur le panier de soins CMU-C. Des améliorations sont toujours possibles, et le rôle du Fonds CMU est de faire des propositions dans ce but.

La réforme de fond de l’ACS entre progressivement en vigueur. Les décrets viennent d’être publiés et la mise en concurrence va être lancée. Nous avons donc tous les outils pour la réussir sur le fond. Ensuite, il s’agira de la réussir de manière effective, c’est-à-dire d’atteindre, par un travail de communication adapté, les personnes éligibles à l’ACS pour les en faire bénéficier.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous dites, monsieur Beaugrand, que la CMU reflète les contours de la pauvreté. Sans doute, mais dans les limites retenues pour la CMU, car le seuil de pauvreté au niveau européen est un peu plus élevé. Votre dispositif ne cible pas cette frange de la population, et pourtant, avec 950 euros par mois, on vit dans une grande précarité.

Par ailleurs, en quoi consistent les 600 000 euros de fraude que vous avez évoqués, dans la mesure où aucune prestation sociale directe n’est versée ?

Quant au refus de soins, mes collègues souhaiteront sans doute y revenir.

M. Gérard Bapt. Monsieur le directeur, vous avez annoncé la visibilité du financement du Fonds CMU jusqu’en 2017. C’est une bonne nouvelle.

Que le coût de l’accès aux soins pour les bénéficiaires de la CMU-C soit équivalent au coût moyen observé dans la population générale est un élément à prendre en compte dans nos discussions, notamment celles touchant au tiers payant.

Nous avons significativement relevé le plafond permettant de bénéficier de l’ACS et augmenté l’aide pour les plus de soixante ans. Avant le relèvement du plafond, seule une minorité de personnes accédait à cette aide. Je crains que la réforme, en limitant le nombre des organismes complémentaires éligibles à des contrats acquis avec l’ACS, n’accentue cette situation. Avez-vous bien appréhendé la question de l’information ? Pour une personne âgée, la migration de sa mutuelle d’origine vers un autre organisme peut poser problème. Par ailleurs, pourra-t-on encore parler de liberté de choix quand les contrats éligibles ne pourront être que des contrats responsables ?

La fusion de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d’assurance et de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance n’aurait pas d’impact sur le financement, avez-vous dit. La dématérialisation que nous avons votée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour l’an prochain sera-t-elle facilement suivie par les organismes ? Alors qu’ils pourraient y gagner en simplification, je m’étonne que la majorité ne l’ait pas encore mise en place.

Enfin, au regard du taux élevé de jeunes issus de famille monoparentales parmi les bénéficiaires, une étude pourrait-elle être réalisée sur les difficultés d’accès aux soins de ce public particulier, souvent touché par la pauvreté ?

Deux autres publics posent problème : les étudiants, en raison de la situation souvent difficile de leurs organismes complémentaires, et les personnes handicapées ne percevant pas l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

M. Dominique Tian. La bonne nouvelle, c’est que le Fonds CMU est équilibré financièrement. Je crois même, si j’ai bien lu les calculs qui nous sont parvenus, qu’il est excédentaire. Vous auriez reversé 126 millions d’euros de budget non consommé à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Bien que les besoins croissent, le Fonds CMU gagne de l’argent.

La mauvaise nouvelle, c’est la montée de la pauvreté. Vous avez raison, monsieur le directeur, d’insister sur cette tendance sans précédent dans notre pays, que nous soulignons, au groupe UMP, depuis un an. La pauvreté a augmenté en France de près de 10 % en un an. Aujourd’hui, plus de 5 millions de personnes bénéficient de la CMU-C, en augmentation de 11 %, avez-vous mentionné.

Selon vous, le renoncement aux soins est, pour ainsi dire, imposé par les procédures administratives trop complexes, qui découragent beaucoup de gens. Il faut y remédier par la simplification administrative. Le Gouvernement vous a-t-il donné des pistes sur ce point ?

Vous avez relevé des inégalités territoriales. Cela signifie-t-il que l’accès à la CMU et le refus de soin sont très différents selon les territoires ?

Enfin, vous n’avez pas parlé de l’Aide médicale d’État (AME), qui a pourtant un lien direct avec la CMU. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je ne vois pas en quoi il y a un lien direct entre la CMU et l’Aide médicale d’État. C’est votre lecture, monsieur Tian…

M. Jean-Louis Roumegas. Les dispositifs en place semblent jouer leur rôle, même s’il faut sans doute les améliorer. Leurs publics correspondent à la tranche la moins avantagée en termes d’espérance de vie, notamment d’espérance de vie en bonne santé. Les inégalités sont peut-être même encore plus fortes selon ce dernier critère. Avez-vous des chiffres sur ce sujet ?

Les bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS présentent-ils des pathologies spécifiques ? Les maladies liées à l’alimentation, à l’obésité, au diabète ont-elles une incidence plus forte chez ces populations ? N’y observe-t-on pas, par ailleurs, un taux plus faible de recours à la contraception ?

Dans le panier de soins que vous proposez, essayez-vous de développer des mesures de prévention et d’éducation à la santé, qui me paraissent particulièrement indiquées pour ces populations ?

Mme Dominique Orliac. Selon votre dernier rapport d’évaluation, certaines personnes ne font pas valoir leurs droits par réticence aux démarches administratives, gêne ou crainte de la stigmatisation, ou bien en raison de leur bon état de santé pour les plus jeunes, de la barrière linguistique pour les personnes de nationalité étrangère, mais aussi à cause des refus de soins de la part de certains médecins ou chirurgiens-dentistes. Ceux-ci sont totalement inacceptables et j’aimerais en avoir une évaluation. Le groupe des radicaux de gauche et apparentés est sensible à l’accès à la santé pour tous. Nous avons voté la suppression des franchises médicales pour les bénéficiaires de l’ACS, comme c’était le cas préalablement pour les bénéficiaires de la CMU-C, car ces mesures tendent vers plus de justice sociale et un meilleur accès aux soins pour les plus démunis.

Quel est votre champ d’action pour contrer ce renoncement aux soins, au regard de la complexité des démarches administratives, probablement couplées aux difficultés d’ordre linguistique ?

Concernant l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, vous avez parlé de l’institution d’un label ACS. La mise en place de ce label n’a pas été possible, car elle était soumise à la signature d’une convention entre l’État, l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM) et le Fonds CMU, qui n’a pas abouti, faute d’accord entre les parties. Quels ont été les problèmes rencontrés et les raisons qui ont débouché sur cette impossibilité de trouver un accord ?

Enfin, j’aurais voulu connaître vos orientations et les plans d’action que vous comptez mettre en place pour les prochains mois à la direction du Fonds CMU. D’ailleurs, quel est votre sentiment sur l’action du Fonds CMU depuis votre accession au poste de directeur, l’an dernier ?

Mme Jacqueline Fraysse. Dans un contexte de chômage de masse et d’augmentation de la précarité, la CMU, la CMU-C et l’ACS sont des dispositifs extrêmement importants qui permettent aux plus démunis de mieux se soigner. De ce point de vue, si l’on peut regretter que l’augmentation du nombre de bénéficiaires témoigne d’une situation économique difficile, elle permet de mesurer l’importance du dispositif.

Je suis préoccupée par le taux de non-recours à la CMU-C et à l’ACS, dont nous devons rechercher les raisons. Les critères d’éligibilité sont très précis, peut-être trop compliqués. Faut-il, comme vous le suggérez, que nous réfléchissions à une meilleure harmonisation des plafonds ?

J’ai lu, dans divers rapports, que le recours à la CMU-C était stigmatisant pour les bénéficiaires et que certains professionnels de santé y mettaient un frein, de même que des agents de l’assurance maladie, au motif que ce n’est pas leur travail d’ouvrir les droits. Du reste, ces agents, qui sont soumis à de plus en plus de pressions, sont-ils en mesure de rendre ces services ? On peut se le demander.

Quant aux associations qui assurent le suivi des allocataires du RSA et qui sont à l’origine de près de la moitié de l’ouverture des droits à la CMU-C, elles sont aussi en difficulté, car elles manquent de moyens et de personnels. Comment faire pour que ces droits bénéficient pleinement à ceux qui en ont tant besoin ?

Enfin, je plaide depuis longtemps pour que les caisses d’assurance maladie, qui ont de moindres coûts de fonctionnement, proposent une assurance complémentaire non pas assise sur l’assistanat, mais appuyée sur une logique assurantielle solidaire, avec une cotisation qui tiendrait compte des revenus des familles. Cela permettrait de lisser les seuils et serait moins stigmatisant. Même si vous n’êtes pas en situation de trancher, monsieur le directeur, que pensez-vous de cette suggestion ?

M. Christophe Sirugue. La présentation que vous venez de faire, monsieur Beaugrand, montre bien l’intérêt de la généralisation de la complémentaire santé pour les enjeux de santé publique et de solidarité. En matière de santé publique, il importe, en effet, de lutter contre le renoncement aux soins, qui a un coût humain et économique extrêmement important.

En matière de solidarité et d’aide aux plus démunis, je souhaite vous interroger au titre de président du groupe d’études Pauvreté, précarité et sans abri. D’abord, le plafond de prise en charge, dont je comprends parfaitement la nécessité, n’est-il pas en contradiction avec la volonté de faciliter l’accès aux soins pour les populations particulièrement défavorisées, donc avec l’économie générale du dispositif ?

Ensuite, parmi les publics qui sont exclus du dispositif, les étudiants sont exposés à des incidences extrêmement lourdes. On sait, en effet, que les carences contractées à un jeune âge ont souvent des effets à très long terme. Quelle passerelle peut-on envisager pour avoir une couverture plus large ?

Enfin, il est important qu’un réseau se mette en place. Quels sont les liens entre vos services et les partenaires – les institutionnels et les divers acteurs de santé ? Quel est votre plan de communication pour mieux faire connaître les dispositifs dont nous parlons ?

M. Jean-Louis Costes. Je ne partage pas votre optimisme à propos de l’enveloppe de la CMU-C. Compte tenu du décalage entre l’augmentation du nombre de chômeurs et sa répercussion sur la CMU-C, je ne pense pas que la situation s’améliorera d’ici à un an. Au contraire, les besoins de financement vont augmenter substantiellement.

Très attaché au principe de liberté, je suis absolument contre l’évolution qui consisterait pour le Gouvernement à décider d’un nombre de mutuelles parmi lesquelles les bénéficiaires de la CMU-C feraient leur choix. Pourquoi ne pas pousser le raisonnement jusqu’au bout et prévoir une délégation de service public, au titre de laquelle le Gouvernement négocierait des tarifs avec une seule mutuelle ?

Vous indiquez que Mayotte ne fait pas partie du dispositif. Je suis toujours étonné de voir qu’il y a une France à deux vitesses et que l’on exclut une partie du territoire parce que l’on n’a pas su ou voulu prendre les décisions qui s’imposaient dans d’autres domaines.

Sur quels indicateurs est fondée votre analyse selon laquelle les bénéficiaires de la CMU-C consomment plus de soins que les autres assurés sociaux, sans pour autant être surconsommateurs ?

Mme Monique Orphé. Votre rapport établit que les ressortissants des DOM comptent pour 12,6 % des bénéficiaires de la CMU-C alors qu’ils ne représentent que 2,8 % de la population. Au sein même des DOM, 30 % de la population bénéficie de la CMU-C, contre 6 % en métropole. À elle seule, La Réunion concentre 52 % des bénéficiaires de tous les DOM. Ces chiffres ne m’étonnent pas du tout et révèlent une situation particulièrement grave. Dans mon département, 42 % de la population se situent sous le seuil de pauvreté. Ce n’est pas normal pour un territoire d’une grande puissance mondiale. Au fil de mes interventions ici, je ne cesse de tirer la sonnette d’alarme : il faut réagir, ne serait-ce que parce que la pauvreté et la précarité ont un impact énorme sur la santé en outre-mer !

Existe-il une analyse détaillée sur les DOM en particulier, qui montrerait l’évolution de ces chiffres ? Les allocataires en outre-mer sont-ils plus nombreux que par le passé ? Sachant que le chômage à La Réunion atteint 30 %, et 60 % chez les jeunes, il est bien évident que c’est d’abord en résolvant ce problème que l’on parviendra à diminuer la pauvreté.

Mme Isabelle Le Callennec. Comme M. Costes, je ne partage pas votre optimisme eu égard à la situation économique et sociale de notre pays aujourd’hui. Au contraire, les besoins risquent de s’amplifier.

De même, je partage les craintes de mes collègues s’agissant des mutuelles de proximité, qui ont vivement réagi au décret du 8 octobre 2014 relatif à la sélection des contrats d’assurance complémentaire de santé susceptibles de bénéficier du crédit d’impôt. Selon elles, si une trentaine seulement de groupements peut prétendre demain participer au dispositif de l’ACS, ce sera au détriment des personnes auxquelles pourtant sont adressés ces contrats, c’est-à-dire les plus démunies. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Lorsque le RSA activité a été généralisé, Martin Hirsch avait demandé que soit engagé un chantier sur les droits connexes. J’ai le sentiment que ce chantier a été abandonné, alors que les effets de seuil, qui étaient déjà l’objet de toutes les craintes à l’époque, continuent de préoccuper l’ensemble des acteurs intervenant dans le champ des minima sociaux.

Enfin, vous avez rappelé que le nombre de jeunes qui bénéficient de la CMU-C est très élevé, puisque 45 % ont moins de vingt ans. Avez-vous évalué les conséquences de la mise en place de la garantie jeunes sur le recours ou non à la CMU-C et à l’ACS ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. La loi relative à la sécurisation de l’emploi a prévu une couverture complémentaire obligatoire pour l’ensemble des salariés, et le relèvement des plafonds d’éligibilité à l’ACS a permis à de nouveaux publics d’entrer dans le champ de la complémentaire. Il reste que les personnes non salariées qui sont au-dessus des plafonds ACS ne pourront pas en bénéficier. Nous devons trouver des solutions.

S’agissant du taux de non-recours à l’ACS, vous avez parlé de la dynamique d’animation des réseaux qui, à mon sens, est essentielle. À cet égard, j’imagine qu’un travail important est réalisé en direction des services sociaux et diverses institutions publiques. Le Fonds CMU entretient-il le même type de lien avec le tissu associatif et les structures intervenant auprès des personnes éligibles à l’ACS ?

Je partage l’inquiétude de Gérard Bapt s’agissant des personnes dont les contrats ne seront plus éligibles à l’ACS en raison de la nouvelle procédure de sélection. Quels dispositifs sont prévus pour accompagner ces migrations ?

J’ai cru comprendre que les critères de sélection des contrats éligibles étaient basés essentiellement sur le prix. Certains de ces critères pourraient-ils être qualitatifs ? M. Roumegas a évoqué l’offre de prévention, la mise à disposition de services d’accompagnement. Certaines complémentaires santé et associations ont, semble-t-il, travaillé sur la question des obsèques.

M. Rémi Delatte. On ne peut que se féliciter que, malgré la montée de la pauvreté, les moyens de la CMU-C soient pleinement mobilisés pour lutter contre le renoncement aux soins et améliorer l’état de santé de nos concitoyens.

On pourrait aussi se réjouir de ce que la situation financière du Fonds CMU soit assurée jusqu’en 2017. Pourtant, votre propos optimiste doit être nuancé par la forte dégradation de la situation économique, qui entraîne l’augmentation du nombre de bénéficiaires, et certains éléments comptables qui ne se pérenniseront pas. Ainsi, je remarque, dans le tableau récapitulatif des comptes du Fonds CMU, des excédents cumulés de 129 millions d’euros jusqu’en 2010, puis rien pour les années suivantes, alors que la loi de financement de la sécurité sociale prévoit que ces excédents soient reversés, à compter de 2013, à la CNAMTS.

Par ailleurs, la même loi de financement avait prévu de diversifier les recettes du fonds avec une fraction du produit de la taxe sur les tabacs. C’est une idée généreuse, mais qui ne s’avère pas vraiment nécessaire dans l’immédiat au regard des excédents dégagés.

Mme Sylviane Bulteau. Lorsque la CMU a été créée, en 1999, j’étais assistante sociale. Je peux témoigner que ce dispositif a contribué à aider les gens à s’orienter vers les soins dont ils avaient besoin. Je suis fière qu’aujourd’hui encore, dans notre pays, la solidarité nationale permette aux personnes les plus en difficulté de se soigner, qu’elles soient françaises ou étrangères.

Quelles actions avez-vous prévu de développer dans les réseaux pour que les gens puissent bénéficier d’un meilleur accès aux soins ? Vous avez parlé de simplification : effectivement, en quinze ans, la construction de l’accès aux soins, des parcours et des aides a pris la forme de véritables usines à gaz. Bien sûr, le législateur a toute sa responsabilité en la matière, et l’avis des professionnels doit nous permettre de mieux légiférer. Mme Fraysse a plaidé pour que les caisses d’assurance maladie proposent des complémentaires santé. Des réflexions sont-elles menées en la matière ?

M. Bernard Perrut. La crise économique de ces dernières années a touché les ménages, notamment les plus précaires. L’amélioration de l’accès aux droits est une priorité ; elle passe par le relèvement des plafonds de ressources.

Certaines situations particulières doivent pouvoir être prises en considération. La prise en compte des revenus, notamment sur les douze derniers mois, pénalise les personnes dont la situation personnelle entraîne une diminution importante des ressources. Comment entendez-vous y remédier ?

L’accès à la complémentaire santé reste globalement inégalitaire. Des réformes doivent être engagées au profit des personnes en situation de pauvreté ou de précarité, notamment pour faciliter les démarches de demande d’attribution de la CMU-C ou de l’ACS, trop complexes : simplification des dossiers, automatisation du renouvellement des aides pour des situations peu évolutives, meilleure information et meilleur accompagnement.

S’agissant des étudiants, disposons-nous d’études révélant combien n’ont pas de complémentaire santé ? Il me paraît essentiel de les aider à accéder à une complémentaire santé, de manière gratuite ou aidée.

Mme Gisèle Biémouret. Au sein du Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE), dont je suis membre pour l’Assemblée nationale, une commission a été mise en place, qui comprend notamment les membres du huitième collège représentant les personnes en difficulté. Cette commission travaille sur un simulateur des droits afin d’essayer de faciliter l’accès aux droits. Je tenais à livrer cette information qui me semble importante.

M. Gilles Lurton. Le rapport d’activité du Fonds CMU démontre qu’avec la CMU, la CMU-C et l’ACS, notre pays dispose de tout un arsenal permettant aux personnes en situation de précarité d’avoir accès aux soins. Je comprends parfaitement que des personnes qui ne font pas les démarches administratives nécessaires pour accéder à la CMU-C ne puissent pas en bénéficier, mais j’ai relevé dans le rapport que 20,4 % des bénéficiaires de la CMU-C déclaraient renoncer aux soins. J’aimerais savoir pourquoi.

Mme Françoise Dumas. Pour parachever la généralisation de la complémentaire santé, trois types de population ont été particulièrement ciblés – étudiants, chômeurs de longue durée et retraités –, qui ne sont pas encore couverts de manière satisfaisante même si des efforts importants ont été réalisés. Pour être, moi aussi, ancienne assistante sociale, je sais que la barrière de la langue, l’accès à l’écrit, les réticences culturelles, le manque de confiance en soi et d’appréhension de ses propres problèmes de santé, les réflexes de résilience peuvent constituer des freins. Comment intégrez-vous les difficultés psychologiques particulières des personnes dans votre travail de généralisation de l’accès aux soins ? Comment les mettez-vous en lien avec les réseaux de santé ?

M. Bernard Accoyer. Mme la présidente a indiqué qu’il n’existait pas de lien entre l’AME et la CMU. Pourtant combien de ceux qui quittent l’AME basculent-ils sur le Fonds CMU ?

Par ailleurs, comment a été établie l’évaluation du chiffre de 600 000 euros de fraude ?

M. Vincent Beaugrand. Plusieurs questions ont porté sur le résultat du Fonds CMU et le reversement de son excédent à la CNAMTS. En fait, le coût moyen de prise en charge de la CMU-C par la CNAMTS est de 440 euros par bénéficiaire, soit un montant supérieur au forfait de 400 euros que le Fonds CMU lui reverse en cours d’année. En fin d’exercice, le Fonds reverse non pas l’intégralité de son éventuel résultat positif, mais la différence entre 440 et 400 euros multipliée par le nombre de bénéficiaires. Il ne s’agit donc pas d’un reversement illicite qui viendrait combler quelque trou, mais le versement du reste à charge de la CNAMTS.

J’ai dû mal m’exprimer : je n’ai pas voulu dire que le nombre de bénéficiaires allait baisser. D’ailleurs, nous bâtissons toujours nos perspectives financières sur l’hypothèse qu’il va augmenter. L’excédent que nous enregistrons, nous le devons à la croissance dynamique de nos ressources, assises sur le chiffre d’affaires des complémentaires santé, celui-là toujours en hausse. Nous accuserons un déficit à partir de 2015. Néanmoins, grâce au report à nouveau, nous pourrons maintenir un résultat positif jusqu’en 2017. À partir de cette date, il faudrait que la croissance du nombre de bénéficiaires soit plus faible. Mais peu d’économistes peuvent dire aujourd’hui quelle sera alors la situation.

Il n’y a pas d’études permettant de savoir quelles sont les pathologies des bénéficiaires de la CMU-C – c’est, pour nous, une voie d’amélioration. La seule chose que l’on sache, c’est que 20 % d’entre eux sont en affection de longue durée (ALD), ce qui explique nos coûts un peu plus élevés.

Les raisons que j’ai cru comprendre, n’étant pas encore directeur à l’époque, à l’échec de la création d’un label ACS tiennent à un désaccord sur le niveau de précision, que l’État souhaitait très élevé alors que l’UNOCAM demandait plus de souplesse. Faute d’accord, le mode de régulation finalement choisi est le dispositif, adopté par l’Assemblée nationale l’année dernière, d’une mise en concurrence avec sélection de contrats.

Face aux craintes de voir trop peu de mutuelles retenues, le Parlement a adopté, dans le cadre de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale de l’été dernier, la possibilité de faire de la co-assurance, c’est-à-dire que les organismes complémentaires sont autorisés à s’unir pour répondre à la mise en concurrence. Aujourd’hui, on sent un mouvement de partenariat en ce sens entre certaines mutuelles, y compris des petites.

La question de la transition fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’État, du Fonds CMU, des caisses primaires d’assurance maladie et des organismes complémentaires. D’ores et déjà, une obligation légale est faite aux organismes complémentaires qui ne seront pas retenus d’indiquer aux bénéficiaires comment procéder. Nous travaillons aujourd’hui sur un modèle de lettre et sur les supports d’information à leur fournir. En tout état de cause, le dispositif deviendra plus lisible ; les offres plus restreintes et certifiées par l’État faciliteront le choix.

La qualité des offres sera déclinée en trois paniers de soins : le minimum, répondant principalement aux besoins des jeunes ; l’intermédiaire, ciblant un peu plus les familles ; le plus élevé, davantage destiné aux personnes un peu plus âgées qui ont besoin de plus de soins. Bien sûr, chaque bénéficiaire sera libre de choisir entre ces trois paniers. Les organismes complémentaires devront soumettre des prix pour chaque panier de soins. Le cahier des charges prévoit également des critères hors prix, comme les réseaux de santé, les réseaux de soins, les actions de prévention, la diffusion et l’accompagnement. Ces critères ne constitueront certes pas la part déterminante de la sélection, mais ils apporteront néanmoins une plus-value.

Actuellement, 47 % des bénéficiaires de l’ACS choisissent un contrat de catégorie E dans la classification DRESS, c’est-à-dire un contrat qui ne serait plus responsable aujourd’hui. La mise en concurrence va donc très largement améliorer les choses.

Pourquoi ne pas aller jusqu’à une délégation de service public en ne choisissant qu’un organisme complémentaire ? Entre un dispositif totalement régulé, c’est-à-dire une CMU-C étatisée, et un libre marché comme c’est le cas aujourd’hui, le Gouvernement a finalement retenu une position intermédiaire que je n’ai pas à commenter.

S’agissant d’autres critères de sélection qui pourraient être retenus, ATD Quart Monde se bat beaucoup pour une garantie obsèques. Ce critère n’a pas été intégré dans le panier de soins, car il ne fait pas partie du domaine de l’assurance maladie tel que défini légalement ; ce n’est pas un soin.

Le refus de soins, qui consiste à ne pas accepter un patient au motif qu’il est allocataire de la CMU-C ou de l’ACS, a été soulevé par plusieurs d’entre vous. Ce sujet, qui en recouvre d’autres, est très compliqué à traiter avec les professionnels de santé. Le refus de soins existe bien, mais pas dans tous les territoires ni dans tous les secteurs – il est surtout observé en secteur 2 et soins dentaires –, ainsi que l’ont montré des tests en situation effectués par le Fonds CMU en 2006 et 2008 et, plus récemment, par le Défenseur des droits. Des voies de recours et de conciliation existent au niveau des caisses primaires d’assurance maladie, les différents ordres, tel l’Ordre des médecins, étant chargés des mesures disciplinaires. Cela dit, quand on est victime d’un refus de soins, la priorité n’est pas de le signaler mais de se faire soigner. Finalement, peu de de signalements sont faits par voie judiciaire.

Le refus de soins est non seulement très stigmatisant, mais il induit un renoncement aux soins. Celui qui en a été victime aura beaucoup de mal à s’adresser de nouveau à un professionnel de santé. L’intérêt de la CMU-C, c’est qu’elle n’implique pas une sous-offre de soins ; elle permet aux plus pauvres d’accéder, comme n’importe quel autre Français, à l’ensemble du système de soins. C’est sa force par rapport aux systèmes d’autres pays. Pour autant, l’existence du refus de soins a beau être avérée, celui-ci n’est pas caractérisé. Le projet de loi relatif à la santé prévoit de confier aux ordres la mise en place d’un observatoire du refus des soins aux fins de le caractériser. À cet égard, je vous engage à lire la thèse qui a été soutenue à Marseille sur ce sujet. En fait, les professionnels sont très peu conscients de ce que peut être le refus de soins. Nombreux sont les jeunes internes qui pensent pouvoir refuser des soins à un bénéficiaire de la CMU-C à ce seul titre, et pouvoir lui appliquer des dépassements d’honoraires. Or ce n’est ni déontologique ni légal. Il est donc nécessaire de faire un peu de pédagogie, car les internes et les professionnels de santé connaissent mal ces dispositifs sociaux. Des circulaires ont bien été rédigées, mais elles n’ont pas de valeur législative ni réglementaire. À terme, une clarification législative sera nécessaire, une fois connus les résultats du travail qui aura été réalisé dans les observatoires.

Le taux de recours est notre principale préoccupation. Il est plus faible sur l’ACS, à 40 %, que sur la CMU-C, qui est de 70 à 80 %. Cette faiblesse de l’ACS est due à une difficulté du dispositif, que nous sommes en train d’améliorer. Par ailleurs, l’animation des réseaux est importante et pertinente, et beaucoup d’actions sont en cours. Ainsi, des échanges entre les systèmes d’information des caisses d’allocations familiales et des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) permettent à ces dernières d’envoyer automatiquement, en fonction du niveau de ressources des personnes, un courrier aux potentiels bénéficiaires de l’ACS. Les conventions d’objectifs et de gestion (COG) de la CNAMTS et de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) comportent des objectifs d’amélioration des taux de non-recours. Celle de la CNAF prévoit ainsi 100 000 rendez-vous des droits, tandis que celle de la CNAMTS définit comme objectif prioritaire d’améliorer le taux de non-recours à l’ACS. Les réseaux sont donc mobilisés.

Autres exemples : une convention entre la CNAMTS et l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS) vise à mieux informer les CCAS, à les rapprocher des caisses primaires d’assurance maladie, et à faire en sorte que les dossiers soient traités avec plus d’efficacité et d’efficience ; au sein du Fonds CMU, un comité avec les associations se réunit deux à trois fois par an pour échanger et mobiliser les réseaux ; les CAF pré-instruisent les dossiers CMU au moment de la constitution du dossier de RSA, les bénéficiaires du RSA socle étant au-dessous du seuil de la CMU-C ; le renouvellement automatique du droit à l’ACS pour les bénéficiaires de l’ASPA est inscrit dans la loi relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées : si ce texte est adopté ils n’auront plus à faire cette demande tous les ans, on évitera ainsi les pertes en ligne. C’est grâce à de telles actions, complémentaires de la réforme centrale de l’ACS, que l’on augmentera le taux de recours.

Une étude sur le recours des étudiants aux complémentaires santé est consultable sur notre site. Le Gouvernement a pris une mesure permettant à 3 000 étudiants isolés en situation d’urgence de bénéficier de la CMU-C. L’acceptation de leur dossier tient compte de leur situation familiale : ils doivent être non pas rattachés au foyer de leurs parents mais vraiment autonomes.

Vous vous demandez si les différences départementales en matière de recours aux dispositifs sont liées à l’action des caisses et des associations sur le terrain. C’est possible, mais à la marge. Ce qui détermine le nombre de bénéficiaires, c’est plutôt la pauvreté ou la richesse des territoires. La réalité difficile outre-mer se traduit dans les chiffres, et les caisses des DOM sont plutôt actives. Quand, dans un département, le taux d’allocataires est faible, cela ne veut pas dire que les caisses primaires d’assurance maladie ou les CAF ne font rien, c’est seulement la traduction de la richesse du département.

Le taux de renoncement aux soins que j’ai indiqué, de 20 %, est d’ordre général. Nous disposons aujourd’hui de chiffres par type de soins. D’autres facteurs de renoncement aux soins que financier sont identifiés. En la matière, je vous renvoie à deux études très approfondies réalisées par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), l’une sur les causes socio-anthropologiques, l’autre sur les causes financières du renoncement aux soins.

Parmi celles-ci, on l’a dit, se trouve le reste à charge. Même si la réforme en cours de l’ACS devrait lever grandement les barrières financières, il y aura encore des restes à charge, soit au moment de l’achat du contrat, soit sur les prestations. Toutefois, la mise en place du tiers payant pour les bénéficiaires de l’ACS et la suppression des franchises et des participations forfaitaires permettront d’améliorer très nettement les choses. Des restes à charge subsistent également avec la CMU-C, notamment sur certains soins dentaires reconnus comme des alternatives thérapeutiques et qui peuvent donner lieu à des dépassements du panier de soins. Néanmoins, c’est principalement le non-recours à la CMU-C qui explique le renoncement aux soins.

Une littérature abondante traite des causes socio-anthropologiques du renoncement aux soins. En la matière, l’indice de précarité a une très forte influence. Les personnes les plus précaires renoncent quinze fois plus aux soins que les moins précaires, à ceci près que, pour ces derniers, renoncer aux soins c’est ne pas se rendre chez l’ostéopathe, ce qui est différent de renoncer à consulter un dentiste. L’origine sociale est un autre facteur : le renoncement aux soins est trois fois plus élevé chez les catégories situées plutôt en bas de l’échelle. Le niveau d’études est, lui aussi, déterminant.

Les fraudes sont le fait de personnes qui déclarent des ressources mensuelles inférieures à 720 euros, alors que leurs revenus sont supérieurs. En 2012, 841 fraudes à la CMU-C ont été détectées. La somme de 600 000 euros représente le montant des soins qui ont été payés indûment dans la mesure où ces gens n’avaient pas droit à cette prise en charge.

Nous vous remercions d’avoir voté la dématérialisation de la taxe de solidarité additionnelle et de la taxe sur les conventions d’assurances : cela va grandement simplifier les choses et pour les déclarants et pour nous, puisque nous avions à traiter 600 déclarations par trimestre. Ce gain d’efficience administrative nous permettra de consacrer plus de temps à l’observation et aux contrôles que nous effectuons chaque année sur les organismes complémentaires, autrement dit à notre cœur de métier.

Le bilan que l’on peut dresser de notre action, c’est qu’il faut encore affiner la connaissance de l’état de santé des bénéficiaires. Pour ce qui est de la prévention, c’est bien, mais il faut savoir qu’elle accroît plutôt les inégalités de santé : les plus aptes à comprendre les messages de prévention, de type Plan national nutrition santé, appartiennent plutôt aux couches supérieures de la société ; on a du mal à sensibiliser les personnes qui sont le plus en situation de pauvreté. Il faut encore travailler à l’organisation de l’offre de soins, notamment par le rapprochement avec les offreurs de soins primaires, de manière à insérer les bénéficiaires dans un système qui les prenne bien en charge. Des études ont été lancées en la matière. Enfin, nous devons affiner notre connaissance de la part complémentaire des dépenses hospitalières, dont le coût moyen baisse. Nous devons comprendre pourquoi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pourriez-vous faire œuvre de pédagogie en nous expliquant qui bénéficie de la CMU de base et qui bénéficie de la CMU-C ?

M. Dominique Tian. M. Beaugrand n’a pas répondu à la question posée par M. Accoyer sur l’AME. Quelle est la proportion de ceux qui la quittent pour basculer sur le Fonds CMU ?

M. Vincent Beaugrand. Il n’y a pas d’étude de cohorte permettant de savoir combien de gens passent de l’AME à la CMU. L’éligibilité à la CMU-C est claire, définie par les textes que vous avez votés. Notre public est composé de personnes en situation régulière et l’AME ne fait pas partie de notre champ.

Le nom exact du Fonds CMU est : « Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ». Son objet est donc bien le financement de la protection complémentaire. Voilà pourquoi j’ai centré mon propos sur la CMU complémentaire et sur l’aide à la complémentaire santé.

La CMU de base, qui couvre les prestations de base, s’adresse aux personnes qui n’ont pas la possibilité d’être affiliées à un régime général ou à une section locale mutualiste, c’est-à-dire qui ne sont ni étudiantes, ni salariées, ni au RSI ni à la MSA pour la partie obligatoire. Elle bénéficie à 2,2 millions de personnes. Ce chiffre n’évolue pas en fonction de la pauvreté, car les critères ouvrant droit à la CMU de base n’y sont pas liés. Elle est gratuite pour les assurés ayant un revenu inférieur à 9 900 euros par an environ. Au-delà, une cotisation est demandée, équivalente à 8 % de la part de revenu supérieure à ce plafond. Les populations affiliées à la CMU et à la CMU-C sont largement différentes. Néanmoins, la grosse masse des bénéficiaires de la CMU de base est depuis longtemps au chômage, en fin de droits ; 75 % perçoivent le RSA socle. Désormais, les frontaliers suisses peuvent aussi en bénéficier, mais on ne connaît pas leur nombre faute du recul nécessaire.

M. Dominique Tian. C’est incroyable ! Nous venons d’avoir des précisions sur les frontaliers suisses mais on ne sait rien sur ceux qui basculent de l’AME vers la CMU. Cela fera probablement l’objet d’une question au Gouvernement, car l’AME coûte tout de même un milliard d’euros.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous n’avons aucun doute là-dessus puisque les deux tiers de vos interventions portent sur ce sujet !

Monsieur Beaugrand, Je vous remercie pour votre présentation et pour les réponses que vous avez apportées à nos questions.

La séance est levée à onze heures quinze.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 3 décembre 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Joël Aviragnet, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Gisèle Biémouret, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, Mme Luce Pane, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumegas, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. François Vannson, M. Olivier Véran

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Véronique Besse, Mme Kheira Bouziane, M. Stéphane Claireaux, M. Christian Hutin, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Laurent Marcangeli, M. Hervé Morin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean Jacques Vlody

Assistaient également à la réunion. - Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Gérard Sebaoun