COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 14 avril 2015
La séance est ouverte à dix-sept heures.
(Présidence de M. Jean-Patrick Gille, vice-président)
La Commission procède à l’audition de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfant (n° 2652).
M. Jean-Patrick Gille, président. Nous sommes réunis aujourd’hui pour l’audition de Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, Mme Laurence Rossignol, sur la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.
Cette proposition de loi, qui est en distribution, nous vient du Sénat. Elle y a été déposée par Mmes Michelle Meunier et Muguette Dini, dans le prolongement des travaux d’une mission d’information rapportée en juin 2014 par les deux mêmes sénatrices. Notre rapporteure, Mme Annie le Houerou, nous en parlera sans doute dans quelques instants.
Cette proposition de loi vise à améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, à sécuriser le parcours de l’enfant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), et à adapter le statut de l’enfant quand il fait l’objet de placements longs.
Le Sénat a adopté cette proposition en première lecture le 11 mars dernier, à l’unanimité, après cependant des modifications substantielles du texte initial, en l’occurrence la suppression de plusieurs articles.
Cette proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le mardi 12 mai après-midi et soir. Notre commission l’examinera le mardi 5 mai après-midi, après la suspension de nos travaux du printemps.
Notre commission est saisie au fond, mais je vous indique que, comme cela a été le cas au Sénat, la commission des lois de l’Assemblée s’est saisie pour avis de dix articles, dont certains ont été supprimés lors de la discussion au Sénat.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé. Il est des coïncidences funestes : l’examen de cette proposition de loi par votre commission intervient deux semaines après un nouveau drame, la mort d’une petite fille à la suite de mauvais traitements infligés par sa famille. Cette affaire vient nous rappeler les dysfonctionnements en matière de protection de l’enfance, mais aussi les douloureuses réalités auxquelles nous avons dû faire face lors de l’affaire Marina. Les destins tragiques d’enfants qui échappent au pare-feu de la protection de l’enfance sont malheureusement plus fréquents qu’on ne le pense. Au demeurant, les chiffres sont insuffisamment précis, ce qui est révélateur du problème.
Ces drames nous amènent à nous interroger sur notre capacité collective à protéger les enfants des situations de maltraitance, y compris les situations connues des services ou ayant fait l’objet d’enquêtes sociales. Pour autant, la protection de l’enfance ne peut se réduire à la prévention ou au traitement de ces drames.
La protection de l’enfance, ce sont avant tout des professionnels et des élus qui s’engagent pour accompagner au quotidien les 284 000 enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Nous devons saluer de la même manière ce travail formidable et appréhender la vérité des dysfonctionnements qui subsistent. Ces dysfonctionnements interpellent le législateur, ainsi que tous les acteurs de la protection de l’enfance.
Ils interrogent notre fonctionnement, le traitement des situations, alors que chaque acteur est, au quotidien, pleinement investi dans sa mission.
Ils interrogent surtout la coordination des acteurs de la protection de l’enfance. Comment est-il possible que des enfants meurent aujourd’hui en France de mauvais traitements infligés par leurs parents, alors que ces mêmes parents ont été identifiés ? Comment des enfants peuvent-ils encore passer à travers les mailles du filet de la protection de l’enfance, qui a été mis en place ?
Ils interrogent aussi nos conceptions, notre regard. Je pense à la réticence qui subsiste à voir un éducateur, un assistant social ou encore un juge pousser les portes réelles ou symboliques de la vie domestique et poser son regard sur la manière dont on élève ses enfants. Je pense aussi à la place de l’enfant dans notre société.
Globalement, ces dysfonctionnements interrogent sur notre politique publique de protection de l’enfance. Car si cette politique a déjà beaucoup évolué ces dernières années, elle doit encore être améliorée.
C’est précisément l’objet de cette proposition de loi, fruit d’un travail déjà largement engagé lors de ma prise de fonctions de secrétaire d’État. Face au besoin d’agir vite, le Gouvernement a choisi de soutenir pleinement ce véhicule législatif.
En effet, non seulement cette proposition de loi permet de faire sortir la protection de l’enfance de l’angle mort des politiques publiques, mais elle apporte également des avancées indispensables – elle pourra d’ailleurs faire l’objet d’autres avancées grâce au travail de l’Assemblée.
Sans revenir sur toutes les dispositions de ce texte, permettez-moi de citer l’article 4, qui affirme la nécessité d’un médecin référent pour la protection de l’enfance au sein de chaque département, ou encore l’article 5 qui replace le projet pour l’enfant (PPE) comme clé de voûte de l’harmonisation et du travail commun des différentes cultures professionnelles.
Il nous faut donc agir vite. Non pas en réaction aux tragédies qui nous ont fortement interpellés ces derniers mois – car aussi douloureuses soient ces tragédies, on ne légifère pas dans l’émotion –, mais en écho au travail qui a été mené, d’abord, par les rédactrices elles-mêmes de cette proposition de loi, dans le cadre du rapport d’information extrêmement riche sur l’application de la loi de 2007, ensuite, par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) dans le cadre de la modernisation de l’action publique (MAP) et d’un travail relatif à la gouvernance de la protection de l’enfance, mais aussi par Adeline Gouttenoire, professeure de droit, que vous allez peut-être auditionner sur le rapport qu’elle a rédigé, par André Vallini et la pédiatre Anne Tursz, suite à l’organisation de leur colloque au Sénat en 2013 et qui a donné lieu à un rapport, mais aussi par François de Singly, dans le cadre de la mission confiée à France stratégie… et bien d’autres encore. Vous le voyez : je ne manquais pas de rapports sur mon bureau ; j’ai donc jugé inutile d’en commander un autre. Sur la base de ce travail important, il nous faut maintenant passer à l’acte en examinant cette proposition de loi qu’il convient d’appréhender avec beaucoup de respect.
Nous nous appuyons sur la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance. À cet égard, je tiens à saluer le travail mené par Philippe Bas, alors ministre de la famille, qui a permis de réelles avancées. Je rappelle que cette loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale ; je forme des vœux pour que cette PPL le soit également, en tout cas que le débat permette de dégager un consensus.
Il ne s’agit pas d’une proposition de loi sur la famille : elle n’interroge pas nos conceptions différentes de la famille, elle concerne uniquement les enfants, plus particulièrement les enfants en danger, c’est-à-dire les plus vulnérables.
De quoi parle-t-on quand on évoque la protection de l’enfance ? On entend un ensemble de missions exercées par les départements qui consacrent 20 % de leurs dépenses d’action sociale à la protection de l’enfance, ce qui représente un total de 7 milliards d’euros par an dans notre pays pour accompagner 284 000 mineurs et 21 500 jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance – la moitié d’entre eux étant accompagnés à domicile, l’autre moitié accueillis chez des assistants familiaux ou dans des foyers.
Dans la grande majorité des cas, les décisions de protection sont prises par le juge des enfants. Elles permettent le plus souvent de protéger les enfants quand ils subissent des violences, quand ils sont exposés à des situations de carence, de négligence, voire lorsque les enfants se mettent eux-mêmes en danger.
Mais la protection de l’enfance, c’est aussi la mise en place d’actions de prévention pour préparer l’arrivée d’un bébé, garantir une présence éducative auprès des jeunes en difficulté, soutenir la parentalité, répondre aux parents qui viennent demander de l’aide aux services de l’aide sociale à l’enfance.
C’est dire si l’enjeu est de taille pour ces centaines de milliers d’enfants qu’il s’agit de mieux protéger, de mieux soutenir, en leur proposant le plus tôt possible des réponses adaptées à leurs besoins. Cela fait maintenant huit ans que la loi de 2007 est à l’épreuve du terrain, du quotidien des nombreux acteurs qui interviennent dans la mise en œuvre de cette politique.
Ce sont sans doute les présidents des actuels conseils départementaux, dans leurs nouvelles responsabilités de chefs de file de la protection de l’enfance, qui se sont le plus mobilisés depuis les lois de décentralisation pour faire entrer cette politique publique dans la modernité. Je n’ai entendu aucun acteur de la protection de l’enfance évoquer avec nostalgie la DDASS des années 70 ! La loi de 2007 a permis des avancées considérables, à commencer par la mise en place des cellules de recueil des informations préoccupantes, les CRIP, qui constituent aujourd’hui un véritable pilier de la politique de protection de l’enfance dans les départements.
Pour autant, ces huit années nous ont montré aussi qu’il faut encore apporter des améliorations à la politique de protection de l’enfance. Je partage avec Muguette Dini et Michelle Meunier, les deux sénatrices à l’origine du texte, la conviction que ces avancées ne seront possibles que dans le cadre de la définition d’une politique nationale pour la protection de l’enfance. Car si les départements conduisent les politiques de protection de l’enfance, l’État doit en être le garant. En effet, trop de disparités existent entre les territoires, si bien que le destin d’un enfant peut être considérablement modifié en fonction du côté de la frontière départementale où il vit, ce qui n’est pas acceptable. À cet égard, le rôle de l’État est d’apporter un cadre propice à l’épanouissement des initiatives locales, tout en garantissant à chaque enfant la même qualité de réponse aux difficultés qu’il rencontre.
Le rôle de l’État consiste aussi à faciliter les coordinations entre les nombreux acteurs mobilisés dans la politique publique de protection de l’enfance : les conseils départementaux, les magistrats, les associations, les professionnels – travailleurs sociaux, médecins, psychologues, assistants familiaux.
Le besoin d’une harmonisation des pratiques, d’un décloisonnement des différents univers professionnels, d’une cohérence entre les actions – qui se fait éminemment sentir en matière de protection de l’enfance – a été souligné par l’ensemble des rapports qui se sont intéressés à la question. Surtout, ce besoin a été confirmé dans le cadre de la concertation que je mène depuis plusieurs mois avec l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance.
J’ai souhaité que cette concertation soit la plus large possible. J’ai en effet tenu à rencontrer les parents d’enfants placés, mais aussi les premiers concernés, à savoir les jeunes ou plutôt les adultes qu’ils sont devenus après des parcours jalonnés par l’aide sociale à l’enfance et souvent marqués par des affectations chaotiques. Les chefs de file de cette politique publique ont également été associés, puisque j’ai rencontré à plusieurs reprises les président-e-s et vice-président-e-s chargés de la protection de l’enfance dans les départements. J’ai également constitué un groupe de travail réunissant quatorze départements, l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) et l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), et qui vient nourrir chaque étape de la concertation et participer à la construction d’une feuille de route pour la protection de l’enfance.
Cette concertation arrive à son terme. D’ici à votre examen en séance publique de cette proposition de loi, j’aurai rencontré tous les acteurs. Je tiens ici à insister sur deux points saillants de la concertation : la doctrine et la gouvernance.
La doctrine, tout d’abord. Il nous faut expliciter clairement la doctrine en matière de protection de l’enfance et définir des orientations nationales qui fixent un cadre de référence transparent et partagé par tous les acteurs du territoire.
Notre appréhension de la protection de l’enfance doit évoluer pour se recentrer sur l’enfant, le respect de ses droits, la prise en compte de ses besoins, tels que définis par la Convention internationale des droits de l’enfant, mais aussi sur la base des progrès de la connaissance, du travail en matière de psychologie de l’enfant – construction du lien, attachement, environnement sécurisé. En effet, si les parcours au sein de l’aide sociale à l’enfance sont émaillés de ruptures, c’est parce que l’approche par les dispositifs l’emporte trop souvent sur la mobilisation des ressources de l’environnement des enfants, ou encore que le maintien des liens avec les parents l’emporte sur la prise en compte des besoins de stabilité des enfants.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé au Sénat un amendement qui ajoute, au sein du code de l’action sociale et des familles, une nouvelle finalité aux missions de la protection de l’enfance. Aux côtés de la protection de l’enfant et de la restauration de l’autorité parentale lorsqu’elle est défaillante, j’ai souhaité placer, au même niveau, la stabilité du parcours de l’enfant – la stabilité physique. Il s’agit de restreindre le plus possible les allers-retours, encore trop nombreux aujourd’hui, entre un établissement et la famille, entre le placement ou l’accueil et la famille. Il s’agit aussi de restreindre les ruptures dans l’accueil entre les foyers et les assistants familiaux. Car la stabilité affective, cruciale pour le développement de l’enfant, est une priorité.
Ces dispositions pourront être complétées par de nouveaux amendements permettant de mieux accompagner les sorties de placement et le passage à l’âge adulte, avec toujours cette préoccupation de limiter les ruptures auxquelles sont trop souvent exposés les enfants et les jeunes confiés à l’ASE. Je déposerai moi-même des amendements pour la séance publique, compte tenu du délai assez court qui nous sépare de l’examen de ce texte dans l’hémicycle.
Nous devons également améliorer le repérage et la prise en compte des situations de maltraitance, en précisant les conditions de saisine de l’autorité judiciaire et en définissant un cadre pour l’évaluation de l’information préoccupante.
Il nous faudra aussi nous attarder beaucoup plus sur la prévention. Le poids des réponses a posteriori, c’est-à-dire curatives, est encore prédominant. Là encore, un changement de paradigme s’impose : nous devons soutenir les parents dès la période prénatale en renforçant l’entretien précoce de périnatalité prévu par la loi de 2007, et veiller à la qualité des premiers liens d’attachement à l’enfant.
Comme vous le constatez, l’enjeu pour les prochaines semaines est d’enrichir encore ce texte, afin que la nouvelle loi porte une définition actualisée des missions de la protection de l’enfance, recentrée sur l’enfant et ses besoins, tout en réaffirmant la nécessité de mieux soutenir les parents dans l’exercice de leurs responsabilités, notamment quand ils rencontrent des difficultés.
Si l’ensemble des acteurs adhèrent à ces changements de perspective dans l’exercice des missions de protection de l’enfance, ces prises de conscience ne suffisent pas à modifier les pratiques sur le terrain. Voilà pourquoi la qualité de la gouvernance, second point saillant de la concertation, se pose avec autant de pertinence. C’est l’autre enjeu majeur du texte : mettre en place un pilotage national pour la protection de l’enfance. Il existe d’ailleurs un consensus avec les présidents de conseil départemental sur ce point. Je continuerai donc de défendre la mise en place d’une instance nationale de pilotage qui s’attachera de manière ciblée à la protection de l’enfance et accordera une place importante à la prévention.
Parallèlement, il faudra poursuivre le soutien aux observatoires de la protection de l’enfance, dans sa coordination nationale, comme dans ses déclinaisons départementales. Nous devrons également promouvoir les missions d’évaluation et de contrôle. L’actualité récente, comme certaines enquêtes sur les établissements de protection de l’enfance, montrent la nécessité d’améliorer la surveillance et le contrôle des personnes et des institutions auxquelles sont confiés les enfants les plus vulnérables.
Avant de conclure, je souhaiterais attirer votre attention sur un dernier point que je considère comme un levier incontournable du changement de perspective que nous appelons de nos vœux. Je veux parler de la formation des différents acteurs de la protection de l’enfance. Il est, en effet, indispensable de mieux former au repérage des signes de maltraitance et, surtout, d’instaurer un corpus de formation dont pourront bénéficier tous les acteurs quelle que soit leur culture professionnelle. Ce point ne relève pas nécessairement du domaine législatif, mais il est crucial au regard de la nécessité de renforcer l’efficacité de nos politiques en matière de protection de l’enfance. Il s’agit là d’une volonté politique forte.
Évolution de la doctrine et des pratiques, évolution législative, évolution de la formation, tel est le triptyque qui doit nous guider. Cette proposition de loi recouvre de nombreux aspects. Les enjeux de ce texte sont considérables puisqu’il y est question de la manière dont notre société est capable de protéger les plus fragiles, tout en leur garantissant un environnement propice au « bien grandir ». Cet enjeu fédérateur nous permettra, j’en suis sûre, de faire naître le consensus dans l’objectif, encore une fois, du meilleur intérêt de l’enfant.
Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales. La mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a constitué une avancée majeure. Elle a permis de clarifier les missions des différents acteurs et d’accroître l’efficacité de la politique menée. Si de nombreuses dispositions font aujourd’hui l’objet d’un consensus, force est de constater que, plus de sept ans après l’entrée en vigueur de cette loi, son application est marquée par des inégalités territoriales, des retards et des inerties. Elle n’apporte, en outre, pas de réponse satisfaisante au problème de l’instabilité des parcours des mineurs pris en charge ; vous en avez fait état, madame la secrétaire d’État.
La proposition de loi des sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini vise donc à modifier la législation sur certains points précis, tout en préservant l’esprit et l’équilibre issu de la loi de 2007. Comme l’a dit notre président, elle a pour ambition d’améliorer la gouvernance de la protection de l’enfance, de contribuer à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé, et d’adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme. Je partage l’orientation générale de cette proposition de loi consensuelle. La construction d’un véritable projet de vie pour l’enfant suppose de trouver des solutions d’accueil qui apportent à l’enfant une stabilité affective durable, ce qui est indispensable à son épanouissement personnel. Ce texte y contribue.
Le texte adopté par le Sénat est néanmoins en retrait, c’est le moins que l’on puisse dire, par rapport à la proposition de loi initiale, déposée par Mmes Meunier et Dini. Le texte initial a, en effet, fait l’objet de nombreuses modifications, adoptées en commission puis en séance publique au Sénat : onze articles ont été supprimés et trois articles ont été créés.
Je souhaiterais connaître votre point de vue, madame la secrétaire d’État, sur les modifications apportées par le Sénat sur plusieurs points.
Concernant la gouvernance, l’article 1er, qui visait à améliorer la gouvernance de la politique de protection de l’enfance grâce à la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, a été supprimé en séance publique. Cet article paraissait pourtant essentiel dans la mesure où il existe des pratiques et des interprétations disparates entre les départements, situation qui menace l’égalité de traitement des enfants sur tout le territoire.
Concernant la coopération entre les acteurs de la protection de l’enfance, je partage votre point de vue sur la formation professionnelle. Plusieurs articles permettent de renforcer la coopération entre les professionnels de la protection de l’enfance et de développer une approche pluridisciplinaire, en particulier l’article 4 et l’article 7. Ce dernier, supprimé par le Sénat, prévoyait un examen du projet pour l’enfant (PPE) par une commission pluridisciplinaire.
J’aimerais aussi connaître votre avis sur les articles réformant les règles de l’adoption, en particulier les articles 12 et 14, supprimés par la commission des affaires sociales du Sénat.
Enfin, la question des jeunes majeurs n’est pas abordée dans ce texte. Il est pourtant essentiel d’anticiper la sortie des dispositifs de protection des jeunes pour leur donner des outils leur permettant de bien aborder leur vie d’adulte. La loi de 2007 replaçait la famille au cœur du dispositif. Il me paraît impératif de rechercher l’intérêt de l’enfant : ce seul intérêt doit prévaloir, car le temps est court quand il s’agit de construire le socle sur lequel repose l’avenir d’un enfant. Nous vous proposerons des amendements en ce sens.
Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois. Mme Le Houerou a parfaitement défini la problématique. Pour ma part, je tiens à attirer votre attention sur le fait qu’un projet de vie pour l’enfant suppose une meilleure articulation entre le juge et les conseils départementaux, afin d’éviter que des enfants ayant fait l’objet de placements ou de mesures éducatives ne soient exclus du bénéfice, du fait d’une procédure d’abandon ou de délaissement, d’un projet tel qu’il est défini dans le texte.
Certains articles ont été supprimés, notamment concernant l’adoption. Or l’adoption simple ou une forme de parrainage peut constituer un projet de vie, et ce dans l’intérêt de l’enfant. J’aimerais connaître ce qui a justifié la suppression de ces articles, madame la secrétaire d’État.
Pour finir, je ne peux que relever qu’il est vrai que le temps dont nous disposons pour examiner cette proposition de loi est très court.
Mme Françoise Dumas. Cette proposition de loi a un objectif somme toute assez simple : mettre l’enfant au cœur du sujet et s’assurer du respect de son intérêt supérieur, c’est-à-dire garantir sa protection et la prévention contre les maltraitances, les carences sociales, éducatives ou affectives qu’il peut subir.
Pendant longtemps, la protection de l’enfance a été pensée à travers le prisme du droit des familles, des parents, avec une trop grande prévalence du maintien du lien familial biologique, souvent chaotique et déstructurant pour les enfants. Nous avons su évoluer, prendre en compte la notion d’environnement affectif stable, continu, bâtir pour chaque enfant un parcours sécurisé, c’est-à-dire replacer son bien-être et son épanouissement au cœur de l’action publique, et ce dans la durée.
Depuis les lois de décentralisation, qui ont fait des départements les chefs de file de la politique en faveur de l’enfance, de la prévention et de la protection de l’enfance, les conseils départementaux doivent s’adapter aux évolutions sociales, familiales, médico-sociales, en lien avec les autres politiques publiques. Il est de notre devoir de les accompagner dans cette évolution.
Malgré un texte globalement reconnu de bonne qualité, il était néanmoins nécessaire d’aller plus loin, pour pallier la multiplicité des intervenants, le cloisonnement des services, les ruptures et les incohérences de prise en charge. Dans ce contexte, on peut, d’une certaine manière, parler de « maltraitances institutionnelles », auxquelles s’ajoutent des disparités territoriales, qui peuvent certes parfois s’expliquer, mais qu’il convient de limiter pour ne pas rompre le principe d’équité.
Sur la base de ce constat, et pour y répondre, la proposition de loi issue des travaux de nos collègues sénatrices Meunier et Dini se donne trois objectifs nouveaux : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfant ; sécuriser le parcours de l’enfant protégé dans un environnement familial ; adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme.
Outre les modalités d’une harmonisation territoriale, le texte contient un certain nombre de mesures de nature à faire évoluer notre droit, à commencer par l’article 1er qui proposait de créer un Conseil national de la protection de l’enfance. Je pense également notamment aux articles 5 et 6, qui précisent, respectivement, le contenu du projet pour l’enfant et la définition des actes usuels de l’autorité parentale, compte tenu de l’actuel flou juridique préjudiciable.
En plus d’un déficit de gouvernance nationale, on observe une faiblesse de la coopération au niveau local : la coordination des services départementaux est pour le moins perfectible. Par ailleurs, les mesures concrètes du quotidien que sont la prévention, le repérage, la prise en charge, c’est-à-dire le cœur du système, appellent des améliorations. Il nous faut aussi sécuriser davantage le parcours de l’enfant confié, par la reconnaissance de garanties et de droits nouveaux qui seront tout autant profitables à l’enfant qu’aux adultes qui l’entourent.
Deux objectifs majeurs de la proposition de loi initiale répondent au besoin de stabilisation du parcours de vie des enfants protégés : faciliter l’identification du délaissement de l’enfant protégé ; favoriser l’adoption simple des enfants confiés pour lesquels un retour dans leur famille est improbable, en évitant le parcours difficile, voire douloureux, qui passe par la déclaration judiciaire d’abandon, puis l’admission en qualité de pupille de l’État.
Grandir et s’épanouir dans une famille requièrent stabilité et sécurité. Conformément à cet impératif, l’esprit initial de la proposition de loi est donc un rééquilibrage du texte de 2007. Le succès de ce rééquilibrage passe par une conception résolument recentrée sur l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant est une fin en soi, un devoir, qui peut appeler, selon les cas, une distance réfléchie vis-à-vis de la famille naturelle.
La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat ; nous pouvons nous en réjouir. Mais ce résultat ne doit pas nous faire oublier que le texte ainsi adopté a subi de nombreuses suppressions, notamment d’articles structurants. D’un texte « non révolutionnaire », de l’aveu même de Michelle Meunier, mais tout de même porteur de mesures nécessaires, il est devenu un texte qui doit être fortement amendé pour retrouver tout son sens.
C’est pourquoi le groupe SRC portera, madame la secrétaire d’État, de nombreux amendements de rétablissement. Je sais que vous ne manquerez pas de le faire vous-même.
Pouvez-vous nous détailler la façon dont vous appréhendez, en particulier, la question de la gouvernance nationale avec la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, qui permettra une réelle impulsion nationale de pilotage et d’harmonisation ?
Mme Isabelle Le Callennec. Vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, des enfants meurent encore de mauvais traitements, et toujours trop d’enfants souffrent de carence affective dans notre pays.
Le texte que nous examinons aujourd’hui reprend un certain nombre de propositions d’un rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat, qui établit un bilan de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance dont l’objectif était d’améliorer la prévention, le signalement et les interventions sociales et judiciaires. Huit ans après le vote de cette loi, ce rapport met en lumière des difficultés de mise en œuvre.
Les principales limites identifiées sont nombreuses : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, manque de coopération entre les différents secteurs d’intervention, insuffisance des formations dispensées, prévalence assez marquée du lien familial biologique à tout prix, réponses encore trop lacunaires face à l’enjeu de stabilisation des parcours des enfants placés. L’objectif de cette proposition de loi consiste donc à repousser ces limites.
La protection de l’enfance, vous l’avez rappelé, concerne près de 300 000 mineurs et jeunes majeurs, soit 1,8 % de jeunes de moins de vingt et un ans, et elle représente une dépense d’environ 7 milliards d’euros. Nous venons de renouveler les assemblées départementales de notre pays ; la protection de l’enfance est une de leurs compétences majeures. Dans mon département, l’Ille-et-Vilaine, 2 600 enfants, dont 300 mineurs étrangers isolés, sont concernés : 31 % sont accueillis en établissement et les autres dans des familles d’accueil qui attendent beaucoup de cette proposition de loi.
La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat. Améliorer le repérage des enfants en danger, créer un référentiel commun, définir les actes usuels de l’autorité parentale en cas de placement, mais surtout améliorer les échanges et la coordination entre les services de l’aide sociale à l’enfance et les magistrats, telles devraient être les priorités de ce texte, auxquelles j’ajouterai ce qui ne relève pas de la loi, à savoir l’amélioration des pratiques professionnelles.
Pour le groupe UMP, cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous débattrons certainement de la modification des règles de l’adoption, que vous souhaitez apparemment, Madame la secrétaire d’État. Nous essaierons également d’en savoir davantage sur ce que vous renvoyez au décret : les modalités de transmission des informations aux différentes parties prenantes, le référentiel commun, la durée du placement, la stabilité du parcours de l’enfant et la formation des travailleurs sociaux. Nous tenterons de faire accepter l’idée de cultiver, non pas le principe du secret professionnel, mais celui du secret partagé, condition sine qua non de la bonne coordination entre ceux qui ont à connaître de situations préoccupantes ou dramatiques – vous avez cité, madame la secrétaire d’État, les professionnels mais aussi, notamment, les élus.
Par ailleurs, l’article 23 évoque les éventuelles conséquences financières résultant de cette proposition de loi. J’imagine qu’elles ont été calculées, mais nous souhaiterions avoir quelques informations en la matière.
Enfin, vous avez annoncé des amendements gouvernementaux à venir pour favoriser un travail de qualité. Sur un sujet aussi sensible, nous aimerions ne pas les découvrir en séance publique, madame la secrétaire d’État.
Mme Véronique Massonneau. Madame la secrétaire d’État, nous reconnaissons certainement tous que la loi de 2007 relative à la protection de l’enfance est une bonne loi. Malheureusement, les lois ne font pas tout. Encore faut-il que les moyens de leur application ne fassent pas défaut. C’est déjà ce qui était reproché à l’époque à ce texte.
Au-delà du manque de moyens pour mettre en œuvre l’aide sociale à l’enfance, des lacunes sont apparues en termes de coordination. Cette proposition de loi a le mérite d’apporter des solutions : amélioration de la formation des professionnels, désignation d’un médecin référent labellisé « protection de l’enfance » dans chaque département, établissement du projet pour l’enfant afin de garantir un suivi personnel et continu des mineurs bénéficiant de l’intervention de l’ASE mais aussi pour répondre aux besoins de l’enfant en termes de vie sociale, de développement, de scolarité et de santé, de stabilisation des conditions de vie des enfants accueillis s’il y va de leur intérêt et de prise en compte de leur avis s’ils sont capables de discernement.
L’enfant est placé au cœur de cette proposition de loi, et nous nous en félicitons.
Je souhaite vous poser une question, mais je ne sais pas si elle entre dans le cadre de la proposition de loi. Elle concerne le cas des mineurs isolés étrangers. En théorie, ces enfants font partie intégrante du dispositif de protection de l’enfance. Mais, dans les faits, ils ont bien souvent du mal à faire valoir leurs droits. Accusés de mentir sur leur âge, sur leur situation familiale, sur la réalité des risques qu’ils ou elles encourent, certains sont purement et simplement renvoyés à leur errance, ce qui constitue le plus sûr moyen de les livrer aux réseaux d’exploitation de toutes sortes. Les bénéficiaires d’une protection pendant leur minorité ne sont pas pour autant assurés de pouvoir demeurer en France à leur majorité. Que proposez-vous pour remédier aux difficultés que rencontrent ces mineurs étrangers qui doivent avant tout être accueillis pour ce qu’ils sont : des enfants ?
En conclusion, nous appréhendons ce texte avec bienveillance et intérêt. Nous attendons que les débats et les auditions permettent de l’enrichir.
Mme Sylviane Bulteau. Le Conseil national de la protection de l’enfance est l’outil qui permettra une observation globale des différentes pratiques sur toute la France.
J’ai été marquée par l’excellent reportage qui avait été diffusé sur Arte et qui mettait en lumière les manques – et le mot est faible – en matière de suivi et de contrôle du financement des associations auxquelles avait été confiée la mission de protection de l’enfance. Le président du conseil général de la Mayenne, Jean Arthuis, avait été le seul à oser en parler, ce qui avait ouvert les yeux de nombre d’élus départementaux, et peut-être plus encore dans mon département où la protection de l’enfance a été souvent confiée à des associations d’obédience catholique. Je me demande si la protection de l’enfance ne devrait pas faire partie intégrante du service public.
La protection de l’enfance relève de la compétence du conseil départemental. Ce sont donc les élus départementaux qui choisissent quels moyens lui attribuer. Il n’y a aucune obligation à y consacrer plus de moyens ou à procéder à davantage de contrôles. Si la proposition de loi vise à encadrer les choses, les élus départementaux sont autonomes en termes de choix politiques. Les instances départementales viennent d’être renouvelées. Il est temps, je crois, qu’elles remettent la protection de l’enfance au centre de leurs préoccupations car le social est le cœur de leurs compétences.
M. Rémi Delatte. La proposition de loi relative à la protection de l’enfant vise à recentrer la protection de l’enfant autour de l’intérêt supérieur de celui-ci. Pour autant, le texte n’aborde pas la question du syndrome dit « d’aliénation parentale ». Or les séparations parentales ne cessent d’augmenter et nous rencontrons nombre d’enfants qui rejettent un de leurs parents sans raison apparente. Ces enfants ne parviennent pas à expliquer les causes de ce rejet, mais ils expriment des sentiments de haine à l’égard du parent vu comme fautif, traduisant par là même une très grande souffrance.
Cette réalité est particulièrement néfaste pour le développement de l’enfant car ce dernier cesse d’être un simple spectateur du conflit entre ses parents pour en devenir un acteur à part entière. La lutte contre ce syndrome passe par le développement de l’autorité parentale partagée. Certes, la reconnaissance de la résidence alternée est affirmée, mais elle n’est pas encore de plein droit. Elle demeure en effet soumise à la décision du juge. Elle fait encore débat et rencontre de nombreux points de blocage. De surcroît, le taux de résidences alternées est extrêmement variable d’un tribunal de grande instance à un autre.
Après plusieurs années d’application de la loi de mars 2007, on constate une dérive préjudiciable aux droits de l’enfant. En effet, le parent qui s’oppose à la recherche d’une solution d’équilibre obtient souvent gain de cause. Par conséquent, il nous faut être dissuasifs à l’égard du parent qui prend le risque de rendre son enfant otage d’un conflit dont il n’est pas responsable. Ne faudrait-il pas, à la faveur de ce texte, comme j’ai pu le proposer dans le cadre d’une proposition de loi que j’ai déposée en octobre 2012 avec mon collègue Jean-Pierre Decool, inverser la charge de la preuve et obliger dorénavant celui qui souhaite s’opposer à la résidence partagée à l’exprimer et à devoir justifier sa position ?
M. Michel Liebgott. Je souhaite insister sur les mesures de prévention qui peuvent être prises plus globalement avant que des situations individuelles ne deviennent dramatiques, et en particulier assurer ici la promotion de l’ensemble des politiques d’État. À cet égard, je me félicite que la prise en charge des enfants en difficulté puisse relever d’une dimension étatique.
Je citerai deux exemples qui concernent la prévention. D’abord, dans le cadre de la politique de la ville, les projets de réussite éducative qui concernent les enfants de deux à seize ans permettent souvent d’empêcher certains enfants de sombrer dans des dérives qui conduisent à une prise en charge par l’ASE. Ensuite, je veux rappeler le succès des clubs de prévention qui concernent les enfants de seize à vingt-cinq ans. Il ne faut pas perdre de vue l’importance que représentent les prises en charge préventives qui dépendent souvent des moyens qu’un département veut ou non consacrer à cette politique. Il faut donc réinsérer une dimension nationale pour que les enfants soient traités de la même manière sur l’ensemble du territoire et non en fonction des moyens des départements, a fortiori si les départements devaient être maintenus, le débat sur leur existence n’étant pas nécessairement définitivement clos à moyen ou à long terme.
Les magistrats nous ont invités, à plusieurs reprises, à visiter leurs services. Nous avons malheureusement pu constater qu’ils disposent souvent de moyens qui ne sont pas à la hauteur au vu du nombre élevé de dossiers qu’ils doivent traiter. Il ne faut pas perdre de vue qu’il est important de renforcer les effectifs, notamment dans l’administration de la justice. À cet égard, je me félicite que ce Gouvernement ait réalisé un effort en ce sens. En effet, il ne suffit pas de tenir des discours, encore faut-il donner des moyens.
En conclusion, il me paraît important qu’un enfant puisse trouver, après des mois d’exclusion de la famille et de l’école, une stabilité, même si ce n’est pas dans sa famille biologique.
M. Bernard Perrut. Nous sommes tous très attachés à placer l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur du dispositif de protection de l’enfance. Cet intérêt supérieur de l’enfant consacre l’enfant comme sujet de droit depuis 1989, grâce à la Convention internationale des droits de l’enfant. Auparavant, on parlait simplement d’objet de droit.
Aujourd’hui, on ne peut que se réjouir des objectifs de cette proposition : vouloir améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance, rendre le dispositif le plus efficace possible à tous les stades, enfin sécuriser les parcours de l’enfant protégé.
Les dispositions qui figurent dans le texte sont non seulement utiles mais aussi indispensables. Le Conseil national de la protection de l’enfance permettra de promouvoir la convergence des politiques au niveau national et local. Un médecin référent « protection de l’enfance » sera désigné. Il sera chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les acteurs de la protection de l’enfance : services départementaux, professionnels de santé, médecine de ville, hôpital, santé scolaire, etc.
Je souhaite insister sur la mise en place d’un référentiel commun pour définir le contenu du projet pour l’enfant aujourd’hui très inégalement mis en œuvre par les départements.
Enfin, il est nécessaire de mieux pouvoir repérer, détecter, accompagner les enfants qui éprouvent de graves difficultés dans leur famille. À cet égard, je tiens à saluer le rôle de l’éducation nationale. En effet, il est clair que nos enseignants peuvent identifier certains de nos jeunes en difficulté.
M. Jean Jacques Vlody. Nous discutons aujourd’hui d’un sujet extrêmement sensible et je salue cette proposition de loi.
Je souhaite appeler votre attention sur quelques aspects qui ne figurent pas dans le présent texte, notamment la question des familles d’accueil. L’un des éléments clé du bien-être des enfants concerne la qualité de l’accompagnement de ces enfants par des familles d’accueil. Or celles-ci se retrouvent souvent exclues du secret professionnel, du secret médical. Aussi faut-il s’interroger sur le statut et le rôle de ces familles, sur leur professionnalisation et sur la question de leur association ou non au secret médical ou professionnel.
Le lien entre la justice et le département fonctionne relativement bien, même si quelques aspects techniques doivent être précisés. En revanche, pour avoir été en charge de la mise en œuvre de la politique de l’ASE du conseil général de La Réunion sur l’arrondissement sud qui regroupe une dizaine de communes, j’ai pu constater que des problèmes se posent en matière de prévention. D’abord, il n’y a pas de continuité dans la prise en charge des enfants qui ont été suivis par les services du conseil général lorsqu’ils parviennent à l’âge adulte. Ensuite, on n’arrive pas à trouver comment associer les familles et les services du conseil général et de la justice. Nous avons souvent été alertés sur le fait que des jeunes, des adolescents étaient en difficulté. Mais il n’existe aucun moyen de les prendre en charge. Ce n’est que lorsqu’il y a passage à l’acte, violence, méfaits sur l’enfant que l’on peut prendre des décisions de justice.
Mme Bérengère Poletti. La communication tardive de l’ordre du jour ne nous a pas permis d’anticiper correctement un texte relatif à un sujet fondamental et complexe. J’espère que nous disposerons de davantage de temps lorsque nous l’aborderons en séance.
Sur le sujet de la protection de l’enfance, notre pays a encore un long chemin à parcourir. Se penchant régulièrement sur le sujet, le Parlement et le Gouvernement tentent sincèrement et avec détermination d’améliorer le sort des enfants et de les protéger contre les violences physiques, sexuelles, psychologiques, les négligences lourdes.
En France, cette protection est récente puisqu’elle ne date que de la fin du XIXe siècle. Le dernier texte qui a été voté, texte majeur, a été effectivement la loi du 5 mars 2007 que cette proposition de loi sénatoriale vise à faire évoluer. Les disparités territoriales, l’instabilité de l’environnement de l’enfant, l’insuffisance de la formation des professionnels, le repérage tardif constituent des fragilités majeures de cette protection et font l’objet de modifications intéressantes.
Ce qui fait du tort aux enfants dans ce pays, c’est que leur protection réelle n’est malheureusement pas toujours au cœur de nos priorités. Préserver le lien familial à tout prix nous a amenés à commettre un certain nombre d’erreurs.
Pour avoir participé en 2007 au texte sur la réforme de la protection de l’enfance, je me souviens d’avoir entendu les mêmes arguments que ceux qui ont déclenché cette proposition de loi aujourd’hui. La mise en place du partage de l’information devait résoudre de nombreux problèmes. Or force est de constater aujourd’hui que nous n’y sommes pas. La triste affaire de la petite Marina en est une illustration douloureuse. Sommes-nous certains, après l’adoption de ce texte, ne plus replacer des enfants martyrs dans des situations familiales délétères ? Allons-nous cesser de faire de la protection des agresseurs parfois notre priorité ?
Récemment, dans ma région, une assistance maternelle assez gravement maltraitante s’est vue retirer son agrément par la justice seulement pour une durée de cinq ans. Un enseignant est venu me voir récemment parce qu’il avait fait un signalement mais qu’il n’a ensuite plus entendu parler de rien par personne, l’enfant étant toujours dans la classe.
Je terminerai mon intervention sur la remarque que vous avez faite, madame la secrétaire d’État, concernant la prévention. Je parlerai plutôt en tant que professionnelle sage-femme. Quand on travaille en maternité, on sait que certaines situations familiales vont engendrer malheureusement des difficultés. Il pourrait être intéressant de mettre en place des démarches de prévention avec ces professionnels qui sont au plus près des familles, des femmes et des enfants.
M. Joël Aviragnet. Nous sommes tous d’accord, je crois, pour affirmer que la stabilité des parcours des enfants est nécessaire Malheureusement il y a des enfants, et notamment des adolescents, pour lesquels les parcours n’arrivent pas à se mettre en place. Je pense évidemment à ces jeunes qui ont des troubles associés, souvent des troubles du comportement, et qui dépendent d’autres secteurs, du secteur médico-social voire du secteur sanitaire. Peut-être faudrait-il envisager, dans le cadre du PPE, une coordination avec les autres services. La protection fait souvent écran et ne permet pas de traiter les autres questions.
M. Dominique Dord. La protection de l’enfant est une question sensible qui nous touche de près, et nous avons tous en tête des situations locales.
Bernard Perrut a souligné, à juste titre, le rôle de l’éducation nationale en matière de détection. Pour ma part, j’insisterai sur le rôle des associations qui interviennent notamment à l’école.
La présente proposition de loi est très intéressante mais elle manque de fondement comparatif. Existe-t-il des études qui montrent comment la protection de l’enfance fonctionne à l’étranger ? Peut-être pourrions-nous nous inspirer des bonnes solutions, si tant est qu’elles soient meilleures. Y a-t-il des éléments de comparaison qui permettraient de situer notre système français qui est à la fois centralisé en ce qui concerne la justice, décentralisé s’agissant des moyens de détection et départementalisé dans ses moyens de traitement ?
Mme Linda Gourjade. Le constat est partagé : il existe de fortes disparités s’agissant des moyens et des services mis à disposition de la protection de l’enfance dans les conseils départementaux, des retards dans le développement de la prévention à travers les services d’aide à domicile, comme l’aide éducative à domicile (AED) ou le service éducatif de jour. L’état des lieux plaide en faveur d’un réajustement de ces dispositifs. Il est nécessaire d’améliorer la gouvernance nationale et locale et de sécuriser le parcours de l’enfant. La présente proposition de loi va dans ce sens et renforce les dispositifs de 2007. Elle prévoit la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, des missions complémentaires de suivi des formations des personnels de la protection de l’enfance pour harmoniser les pratiques ainsi que des outils supplémentaires pour une meilleure prise en charge des enfants dans le cadre de la protection, notamment la désignation d’un médecin référent « protection de l’enfance » pour renforcer le lien entre l’ASE et la PMI, les professions médicales et les hôpitaux, les services de santé scolaire.
Le texte prévoit également un repositionnement de l’intérêt de l’enfant dans le projet pour l’enfant. Peut-être conviendrait-il de préciser les modalités des droits de visite. Ils sont trop souvent définis en favorisant le maintien du lien familial à tout prix, ce qui n’est pas toujours pertinent pour l’enfant. De plus, ils sont insuffisants parce que les services ne peuvent pas organiser des visites plus fréquentes.
Il est évident que ces nouvelles dispositions donneront lieu à un travail socio-éducatif et administratif conséquent. Dans ces conditions, ne serait-il pas utile de définir les moyens nécessaires en fonction du nombre d’enfants placés pour que chaque enfant puisse bénéficier des mêmes services sur l’ensemble du territoire ?
L’article 350 du code civil a été modifié pour définir le délaissement parental manifeste. Ne serait-il pas utile de préciser les éléments sur lesquels le service gardien peut s’appuyer pour faire cette déclaration au magistrat ? Cette décision est trop souvent différée pour privilégier le maintien du lien avec les parents, même s’ils sont inexistants. Parfois, les services gardiens manquent d’éléments précis pour pouvoir s’appuyer sur cette déclaration.
Mme la secrétaire d’État. Lorsque j’ai ouvert ce dossier, j’ai acquis assez vite la conviction que la protection de l’enfance était l’angle mort des politiques publiques. Comme cette politique est confiée aux départements, elle obéit aux règles constitutionnelles de libre administration des collectivités territoriales. C’est par ailleurs rarement un sujet de débat politique. En effet, je n’ai jamais vu un conseiller départemental se faire élire ou réélire en mettant au cœur de la campagne électorale la question de la protection de l’enfance. On sait tout sur les ronds-points, mais peu sur la protection de l’enfance. Cela montre bien le secret qui entoure les politiques de protection de l’enfance. Il faut les extraire de cet angle mort.
Comme les départements conduisent les politiques qu’ils veulent dans le cadre des compétences qui leur sont données, on aboutit à une diversité des politiques, c’est-à-dire à une diversité des points de vue. Permettez-moi de dire que l’essentiel ne se joue sans doute pas dans la loi. Certes la loi doit exister, car elle manifeste la volonté politique, l’intérêt de l’État à se porter garant du sort des enfants, mais l’essentiel se joue dans les pratiques professionnelles et les doctrines sur lesquelles s’appuient les élus mais aussi les services des conseils départementaux. De fait, on peut toujours faire une loi, mais dans quatre ou cinq ans on s’apercevra qu’elle est diversement appliquée, comme toutes les précédentes.
M. Vlody a évoqué la place des assistants familiaux. Font-ils ou non partie des équipes des travailleurs sociaux ? Oui, en tout cas, c’est ce que prévoit la loi de 2005. Mais leur inclusion ou non dans les équipes des travailleurs sociaux dépend de la volonté des uns et des autres. Si l’on veut améliorer les choses, il faut pouvoir retrouver la volonté politique de l’État dans la politique que mène le département. En la matière, les élus doivent jouer tout leur rôle. Je suis partie du principe que si l’on ne faisait pas travailler tout le monde ensemble, cela ne servirait à rien de modifier la loi. Il est indispensable que les deux mouvements soient concomitants et complémentaires.
Certains orateurs sont troublés par les lacunes qui existent en matière de repérage de la maltraitance. La Haute autorité de santé a publié il y a quelques mois un avis dans lequel elle considère que la maltraitance des enfants est une question de santé publique, ce qui n’était pas le cas auparavant. Quand vous discutez avec différents acteurs, notamment avec les médecins dont on a remarqué qu’ils font peu de signalements par rapport au nombre de personnes et de familles qu’ils voient, on sent un certain malaise où se soupèse le lien de confiance avec la famille et la nécessité de transmettre des informations préoccupantes. Vous avez déploré que certains signalements ne soient pas suivis d’effet. Mais on touche là au secret. On ne peut pas en effet partager le secret avec le parent d’élève qui a été alerté parce que son fils est « copain » avec un enfant qui lui aura raconté certaines choses. Cela dit, en la matière on peut néanmoins incontestablement améliorer la situation. Les observatoires départementaux de la protection de l’enfance permettent de réunir les acteurs et ainsi de mieux travailler. Par ailleurs, les CRIP ont permis de progresser.
Mme la rapporteure me demande pourquoi le Sénat a supprimé certains articles. Le Conseil national de la protection de l’enfance a été supprimé par une espèce de rigueur que je qualifierai d’ « anti-machin ». Or l’absence de coordination des différents acteurs et d’élaboration d’une doctrine commune de la protection de l’enfance justifie la création de ce conseil. Si l’Assemblée nationale propose de rétablir l’article 1er, j’y serai très favorable.
L’article 7 qui prévoyait la validation du projet pour l’enfant par une commission pluridisciplinaire a été supprimé en raison de la charge de travail supplémentaire que risque d’entraîner cette mesure. Seul un peu moins de 15 % des enfants protégés par l’ASE bénéficient d’un projet pour l’enfant. Les travailleurs sociaux estiment que c’est compliqué, qu’ils n’ont pas le temps, bref ce n’est pas dans leur culture. D’où l’idée de créer un référentiel. Monsieur Dord, nous avons procédé à des comparaisons, notamment avec le Québec. Mais comme l’approche culturelle des autres pays est parfois assez orthogonale par rapport à la nôtre, il est difficile de s’en inspirer. D’abord, les travailleurs sociaux n’aiment pas les référentiels. Contrairement aux Québécois, ils n’aiment pas avoir une grille d’identification. Il faut donc travailler avec eux sur la conception d’un tel référentiel.
Les doctrines sont un peu différentes selon les pays, notamment sur la manière dont on coupe ou non les liens avec la famille biologique. Dans certains pays, on ne s’encombre pas de certaines questions, on ne s’interroge pas, par exemple, sur la place de la famille biologique et des différentes figures d’attachement autour de l’enfant. Du coup, leurs politiques d’adoption sont infiniment plus rapides que les nôtres. En France, l’histoire de la protection de l’enfance est faite de grands mouvements de balancier successifs. Jusque dans les années quatre-vingt, le respect de la famille biologique ne dominait pas la protection de l’enfance. La direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) n’était pas toujours très attentive à cette notion. Depuis le rapport Bianco-Lamy, on a assisté au mouvement de balancier inverse : tout est fondé sur les parents, sur l’autorité parentale. Il nous faut parvenir à placer le curseur du balancier au bon endroit, sans repartir dans l’autre sens, c’est-à-dire celui d’avant 1980.
Certains aimeraient que l’on retire les enfants des parents biologiques et que l’on favorise l’adoption, que l’on « prenne les enfants des pauvres pour les confier aux riches ». La pauvreté est une maltraitance sociale de ces familles mais ce n’est pas la maltraitance des enfants dans la famille. Certains courants de pensée considèrent que la famille biologique est l’alpha et l’oméga de la vie qu’on doit offrir à un enfant. Il faut donc parvenir, dans un contexte sensible, à trouver le bon équilibre en sachant qu’il faut être prudent dans la loi.
Madame Poletti, s’agissant du repérage précoce, l’entretien pendant la grossesse doit être davantage centré sur le « repérage » car c’est le moment où l’on peut aider à construire le lien. Sinon, on risque d’aboutir au placement de l’enfant et à ces fameux aller et retour dommageables dont on a parlé tout à l’heure.
L’irrévocabilité de l’adoption simple pourrait constituer une solution pour bon nombre d’enfants pour lesquels la vie dans la famille d’origine n’est pas possible. L’adoption simple est insuffisamment utilisée dans notre pays en raison de sa révocabilité. Le texte initial de la proposition de loi proposait l’irrévocabilité de l’adoption simple, c’est-à-dire une stabilisation de l’adoption simple car actuellement n’importe quel membre de la famille de l’adopté peut demander la révocation de l’adoption simple. Cette situation est donc extrêmement précarisante tant pour l’adoptant que pour l’adopté. Je suis favorable au rétablissement de l’article 12.
S’agissant des jeunes majeurs, je suis en train de réfléchir à une ou deux propositions. Le code de la famille et de l’action sociale prévoit déjà que l’accompagnement va au-delà de dix-huit ans, c’est-à-dire à vingt et un ans. Toutefois, l’application de cet article est différente d’un département à l’autre car il n’est pas très directif. Or on ne peut pas le rendre totalement directif. Je vous proposerai des amendements qui prévoient que le jeune majeur soit suivi et qu’un travail soit fait avec lui avant la rupture. Je précise que certains conseils départementaux font des choses formidables en matière d’accompagnement des jeunes majeurs.
Les mineurs isolés étrangers relèvent, comme les autres mineurs, de l’aide sociale à l’enfance. Ce sont des mineurs. C’est d’ailleurs toute la noblesse de la loi française de les traiter d’abord comme des mineurs. Il existe des problèmes en ce qui concerne leur répartition sur l’ensemble du territoire. Je proposerai un amendement afin de donner une base légale à la circulaire Taubira et faire en sorte que les départements prennent leur part de manière équitable. Paris est l’une des villes les plus sollicitées sur la question des mineurs isolés étrangers.
Mme Isabelle Le Callennec. La Seine-Saint-Denis aussi !
Mme la secrétaire d’État. La Ville de Paris vient de présenter un plan en faveur des mineurs isolés étrangers. Il est vrai qu’il existe des cas où l’on a un doute sur le fait qu’ils soient mineurs.
Monsieur Delatte, le syndrome d’aliénation parentale est une maladie curieusement spécifique à la France, aussi interpelle-t-elle un certain nombre de personnes. L’existence de ce syndrome ne fait pas consensus. Mais les enfants dont les parents se séparent ne relèvent pas de la protection de l’enfance, du moins pas systématiquement, notre but étant même qu’ils en relèvent le moins possible. Votre question porte surtout sur la résidence alternée. Je souhaite que l’on se concentre sur l’objet du texte, c’est-à-dire la protection de l’enfant, et pas sur l’ensemble des questions liées à l’évolution du droit de la famille.
M. Jean-Patrick Gille, président. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour vos réponses et votre disponibilité.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la proposition de loi relative à la protection de l’enfant sera examinée par notre commission le mardi 5 mai, après-midi, et qu’elle est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le mardi 12 mai, après-midi et soir. Par ailleurs, je vous indique que la date limite de dépôt des amendements à cette proposition, en ligne depuis la mi-mars, est fixée conformément au règlement au jeudi 30 avril, à dix-sept heures.
La séance est levée à dix-huit heures vingt.
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Réunion du mardi 14 avril 2015 à 17 heures
Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Gérard Bapt, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Sylviane Bulteau, M. Gérard Cherpion, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Richard Ferrand, M. Jean-Patrick Gille, Mme Joëlle Huillier, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, M. Laurent Marcangeli, Mme Véronique Massonneau, M. Bernard Perrut, Mme Martine Pinville, Mme Bérengère Poletti, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Jean Jacques Vlody
Excusés. - M. Philip Cordery, M. Michel Issindou, Mme Catherine Lemorton, Mme Dominique Orliac, M. Jean-Louis Roumegas, M. Christophe Sirugue, M. Jean-Sébastien Vialatte
Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Linda Gourjade