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Commission des affaires sociales

Mercredi 16 septembre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 60

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 septembre 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous recevons ce matin M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, qui vient nous présenter le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (RALFSS), publié hier.

En cette première vraie réunion de rentrée, je tiens à souhaiter, en notre nom à tous, la bienvenue à trois collègues qui viennent de rejoindre la commission : Mme Marie Le Vern, députée du groupe Socialiste, républicain et citoyen, élue de la sixième circonscription de Seine-Maritime, M. Pierre Ribeaud, député du groupe Socialiste, républicain et citoyen, élu de la cinquième circonscription de l’Isère, et M. Arnaud Viala, député du groupe Les Républicains, élu de la troisième circonscription de l’Aveyron.

Nous en venons maintenant au rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Monsieur le Premier président, vos rapports sont toujours très attendus, parfois redoutés et toujours abondamment commentés. Cette année, vous pointez notamment la poursuite en 2014 de la hausse des dépenses, qui provoque un ralentissement du rythme de réduction des déficits sociaux – tendance qui semble se confirmer en 2015.

Vous insistez sur certaines catégories de dépenses qui vous paraissent mal maîtrisées, telles les dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie.

Vous suggérez également des pistes de réflexion, notamment sur les pensions de réversion et l’accès aux soins des ménages défavorisés.

J’invite tout particulièrement mes collègues à se pencher sur la comparaison entre la France et l’Allemagne qui figure à la fin de ce rapport.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Madame la présidente, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, c’est comme toujours très volontiers que je réponds à votre invitation à venir vous présenter notre rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

La sécurité sociale constitue l’une des composantes majeures du pacte social de notre pays, à titre symbolique, politique, et bien sûr financier – en 2014, les différents régimes qui la composent ont versé 458 milliards d’euros de prestations. Mais la permanence des déficits sociaux et le gonflement de la dette sociale qui en résulte la fragilisent considérablement. En 2014, une part des prestations a une nouvelle fois été financée à crédit, alors même qu’il s’agit de dépenses courantes. La Cour considère qu’il s’agit là d’une anomalie profonde et dangereuse, d’autant que des marges de manœuvre importantes existent pour réduire ce déficit.

La Cour met en effet en évidence les progrès d’efficience notables qui peuvent permettre dans certains secteurs une dépense davantage maîtrisée. Ce faisant, elle s’efforce d’apporter un éclairage utile aux citoyens, assurés sociaux, mais surtout aux décideurs – Parlement et Gouvernement –, à qui appartient la responsabilité d’opérer des choix. Il n’y a pas à redouter nos rapports, qui ne visent qu’à jeter quelque lumière sur la situation de nos finances !

Pour vous présenter ce document, j’ai auprès de moi MM. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce travail, et Mathieu Gatineau, auditeur et rapporteur général adjoint.

La Cour formule trois messages principaux. Premièrement, le retour à l’équilibre des comptes sociaux se poursuit, à un rythme modeste ; il est désormais reporté à un terme indéterminé. Deuxièmement, un équilibre durable des comptes sociaux est nécessaire mais aussi possible ; des économies structurelles peuvent améliorer l’efficience de la dépense sociale. Enfin, le redressement à mener doit s’accompagner d’une modernisation des prestations, de la gestion et du pilotage financier de la protection sociale.

En premier lieu, trois constats s’imposent : en 2014, les déficits ont continué à se réduire, mais dans une mesure limitée, et ils demeurent élevés. Pour la treizième année consécutive, la sécurité sociale est demeurée en déficit. En 2015, la trajectoire de baisse des déficits devrait ralentir de manière marquée et le retour à l’équilibre des comptes sociaux s’en trouver décalé de plusieurs années.

En 2014, le déficit agrégé des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est élevé à 12,8 milliards d’euros. Il s’est ainsi réduit de 3,2 milliards par rapport à 2013 : ce niveau est conforme à la prévision de la loi de financement initiale pour 2014, et meilleur que le montant anticipé, à partir d’hypothèses plus pessimistes, par la loi de financement rectificative d’août 2014.

Cependant, cinq constats moins favorables doivent être soulignés. Le premier est que la réduction du déficit en 2014 est du même ordre que celle de 2013, et ralentie par rapport au rythme des années 2011 et 2012. Par ailleurs, le déficit comporte toujours une composante structurelle importante – près de 4 milliards d’euros –, cinq années déjà après la récession économique de 2009. Nous constatons aussi qu’en 2014, les mesures nouvelles d’augmentation des recettes, qui ont porté sur 5,3 milliards environ, ont encore joué un rôle déterminant dans la réduction du déficit. Sans ces mesures, le déficit aurait augmenté, et non pas baissé. Le quatrième constat porte sur la progression des dépenses qui s’est élevée à 2,2 % : ralentie, dans un contexte de faible inflation, elle est néanmoins nettement plus vive que celle de la richesse nationale, qui n’a été que de 1,3 %.

Au total, le déficit reste très supérieur à celui constaté avant la récession économique de 2009, lui-même très élevé. La dette sociale augmente à nouveau, représentant 158 milliards à la fin de l’année 2014. Chaque année, il faut trouver 16 milliards d’euros pour le paiement des intérêts et le remboursement du principal.

En 2015, le rythme de réduction des déficits pourrait connaître un ralentissement marqué : le déficit pourrait être plus élevé qu’en 2014, voire qu’en 2012. Même s’il n’est pas impossible que la prévision gouvernementale de juin 2015 soit révisée dans un sens plus favorable, 2015 marquera en tout état de cause un infléchissement prononcé dans le recul des déficits.

Sous l’effet de la conjoncture économique et en l’absence de mesures nouvelles significatives d’augmentation des recettes, le ralentissement de la masse salariale pourrait en effet conduire à une croissance spontanée des recettes relativement faible. Les dépenses continueraient, elles, à augmenter en termes réels, selon un rythme comparable à celui de 2014, et toujours plus élevé que celui de la richesse nationale.

Selon les hypothèses macro-économiques qui sous-tendaient la loi de financement pour 2015, la réduction des déficits devait reprendre de l’ampleur à partir de 2016. Elle devait alors s’accompagner, pour la première fois depuis 1990, d’une amorce de réduction de la dette sociale. Dans son prolongement, la loi de financement rectificative d’août 2014 fixait à 2017 le rétablissement de l’équilibre des comptes sociaux.

Cette trajectoire a été remise en cause par le programme de stabilité 2015-2018 d’avril 2015. Celui-ci prend acte de la dégradation de la conjoncture économique et décale de plusieurs années, sans plus déterminer d’échéance précise, le retour à l’équilibre des comptes. Au regard du scénario macro-économique sur lequel il repose, le déficit devrait encore s’élever à 5 milliards d’euros en 2018. Le retour à l’équilibre des comptes sociaux n’interviendrait pas avant 2021.

Cette nouvelle trajectoire se fonde sur des hypothèses jugées réalistes par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis d’avril dernier. C’est un progrès à souligner. Pour autant, ce report du retour à l’équilibre à un terme de plus en plus éloigné est préoccupant.

Par ailleurs, la persistance de déficits élevés de l’assurance maladie et de la branche famille fait porter un risque croissant sur la dette sociale. Contrairement à ceux de l’assurance vieillesse et du FSV, leur transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) n’est pas organisé. Dès lors, la part de la dette sociale financée par la voie d’emprunts émis à très court terme, et donc exposée à un risque de taux, n’a cessé d’augmenter. Portée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), elle devrait atteindre en 2015 près de 32 milliards d’euros, soit 20 % du total, contre 4 % en 2011. Elle s’établirait encore à 30 milliards d’euros à fin 2018, voire à 35 milliards si certains risques se réalisaient.

Dès lors, la Cour recommande d’organiser une reprise rapide par la CADES des déficits portés par l’ACOSS, dont ce n’est pas la mission. À cette fin, des ressources adéquates devraient être prévues pour assurer l’extinction complète de la dette sociale d’ici à son terme, aujourd’hui prévu en 2024.

J’en viens au deuxième message de la Cour : en dépit de conditions macro-économiques difficiles, le retour à l’équilibre des comptes sociaux est possible, à condition de faire porter prioritairement l’effort sur la maîtrise des dépenses sociales.

Des marges d’optimisation des recettes sociales demeurent, à taux de prélèvement inchangé. La Cour a déjà invité les pouvoirs publics à réexaminer plus en profondeur les niches sociales – travail qui a commencé, mais qui doit se poursuivre –, et elle a formulé des recommandations pour réduire la fraude aux cotisations sociales. En revanche, la situation de l’emploi limite les possibilités d’augmentation des cotisations, qui ne représentent plus aujourd’hui que 60 % des ressources de la sécurité sociale.

Afin de soutenir l’emploi des salariés faiblement qualifiés, les cotisations sociales font en effet l’objet d’allégements généraux croissants, en dernier lieu dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité présenté au printemps 2014. Ces allégements ont cependant pour effet de déconnecter de plus en plus les cotisations sociales réellement payées par les entreprises du barème affiché des taux de prélèvement. Ce mode de financement est de moins en moins cohérent et lisible pour les entreprises comme pour les salariés. Dès lors, la Cour réitère sa recommandation d’intégrer les allégements généraux de cotisations au barème des cotisations.

L’annonce par les pouvoirs publics de la transformation à l’horizon 2017 du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en allégements généraux supplémentaires de cotisations en offre l’occasion. La Cour souligne néanmoins le caractère délicat de certaines pistes d’évolution. Elles pourraient affecter la logique contributive de financement des régimes de retraites complémentaires et d’assurance chômage, et celle, de nature assurantielle, des accidents du travail et maladies professionnelles.

Par ailleurs, l’effort contributif des travailleurs indépendants devrait être progressivement porté au niveau de celui des employeurs et des salariés du régime général de sécurité sociale. Si un écart d’effort contributif devait persister, ce sont les entreprises et les salariés du régime général qui en supporteraient les conséquences.

Devant la réduction des marges de manœuvre sur les recettes, l’effort de retour à l’équilibre des comptes sociaux doit désormais porter prioritairement sur les dépenses.

L’an dernier, la Cour avait constaté que les limites méthodologiques de la construction de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) avaient facilité son respect. Elle avait recommandé une approche plus rigoureuse. Elle a constaté plusieurs améliorations notables en ce sens, ce dont elle se réjouit, même si des marges de progrès subsistent.

Le respect de l’ONDAM pour la cinquième année consécutive en 2014 s’est cependant traduit par une progression des dépenses de 2,4 %. C’est la plus forte hausse depuis 2011. L’objectif de dépenses progresse ainsi plus vite que le PIB.

Les dépenses de soins de ville ont été particulièrement vives : elles ont augmenté de 2,9 %. La Cour met en lumière à cet égard la dynamique particulièrement forte des dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie, ainsi que l’efficience insuffisante de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale. J’y reviendrai.

Le programme de stabilité 2015-2018 prévoit un ONDAM resserré pour les années à venir. Il appelle la mise en œuvre d’économies structurelles d’ampleur, d’autant plus nécessaires que plusieurs facteurs de modération des dépenses vont s’inverser. Je pense notamment à la remontée prévisible du niveau de l’inflation, à la renégociation en 2016 des conventions avec les médecins et d’autres professionnels libéraux de santé, et à l’annonce récente de mesures de reprofilage des carrières dans la fonction publique hospitalière.

À ce stade, malgré l’adoption d’un plan triennal ONDAM 2015-2017 et les éléments du programme de stabilité 2015-2018, une grande partie des mesures précises permettant de réaliser les objectifs d’économie annoncés demeurent cependant à définir.

Le resserrement de l’ONDAM invite instamment à remédier aux faiblesses persistantes de l’organisation de notre système de soins.

Le bilan que dresse cette année la Cour de la réorganisation de l’offre de soins menée depuis vingt ans par les pouvoirs publics est en effet décevant. De nombreuses actions ont été menées, mais leur cadence et leur portée se sont affaiblies.

Le système de santé demeure insuffisamment efficient, en raison notamment d’un volontarisme moindre des pouvoirs publics à partir des années 2000. La portée des instruments contraignants, comme la planification, s’est affaiblie. Le champ des normes de sécurité et de fonctionnement est resté circonscrit, et leur respect s’est parfois émoussé. La convergence des tarifs entre secteur public et secteur privé a été abandonnée. Les outils essentiellement incitatifs ont été privilégiés mais se sont avérés moins efficaces. Cet état de fait est préjudiciable à la maîtrise de la dépense, voire à la qualité et à la sécurité des soins, ainsi qu’à leur accessibilité à tous du fait du creusement des disparités territoriales – point que vous, députés, connaissez bien.

Une action plus déterminée de recomposition de l’offre de soins apparaît aujourd’hui indispensable. À cet égard, la Cour formule des recommandations quant à l’application de normes de fonctionnement aux domaines de la médecine et la chirurgie comme au renforcement et à l’extension à l’ensemble des professions de santé du conventionnement conditionnel dans les territoires sur-dotés.

Un renforcement du pilotage par le ministère de la santé est également indispensable. Au-delà du dualisme de ce pilotage entre l’État et l’assurance maladie, l’organisation des responsabilités devrait être clarifiée au sein même du ministère.

Pour illustrer son propos sur les limites de la réorganisation de l’offre de soins, la Cour s’est penchée sur deux types d’établissements de santé : les maternités et les centres de lutte contre le cancer.

Le cas des maternités montre la convergence des objectifs d’efficience accrue du système de santé et de ceux de renforcement de la qualité et de la sécurité des soins. Au regard des enjeux soulevés par la sécurité des patientes et des nouveau-nés, et compte tenu de la situation fragile des maternités, une poursuite de la recomposition ordonnée de l’offre de soins est aujourd’hui indispensable.

Le cas des centres de lutte contre le cancer illustre quant à lui la difficulté rencontrée pour dépasser les cloisonnements institutionnels existants. Leur spécificité dans la prise en charge des patients s’est atténuée, avec la généralisation de leurs innovations aux autres établissements de santé. Une majorité de ces centres connaît par ailleurs une situation financière fragile. Alors qu’une démarche de fusion interne entre ces établissements a été engagée, les démarches de coopération avec les centres hospitaliers universitaires (CHU) pourraient être renforcées. La fusion avec des CHU, le plus souvent installés à leur côté sur les mêmes sites, devrait également être envisagée chaque fois que cela peut accroître l’efficience de l’organisation des soins de cancérologie.

La progression accélérée de certaines dépenses d’assurance maladie n’est pas toujours justifiée par des besoins objectifs. Elle peut résulter, au moins pour partie, d’une organisation inadaptée de l’offre de soins. Le cas des soins infirmiers et de masso-kinésithérapie et celui du traitement de l’insuffisance rénale chronique terminale illustrent cette situation. Il apparaît possible, à qualité de soins préservée, de gagner fortement en efficacité et donc en efficience.

Les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes exerçant à titre libéral apportent une contribution majeure et appréciée au maintien à domicile des personnes dépendantes.

Les dépenses d’assurance maladie liées aux soins infirmiers – 6,4 milliards d’euros en 2014 – et de masso-kinésithérapie – 3,6 milliards – connaissent toutefois une croissance accélérée, de respectivement 6,6 % et 4,3 % par an en euros constants depuis 2000. L’augmentation d’environ 500 millions d’euros par an de la dépense d’assurance maladie qui en résulte n’est cependant pas uniquement corrélée au vieillissement de la population et au développement des maladies chroniques. En réalité, cette progression importante procède en grande partie de celle du nombre de ces professionnels et de leur répartition inégale sur le territoire. Autrement dit, l’offre entretient la demande.

Cette situation devrait amener les pouvoirs publics à réguler plus efficacement la démographie globale et la répartition sur le territoire des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes. La mise en œuvre d’une gestion médicalisée de la dépense – aujourd’hui particulièrement peu développée – apparaît nécessaire. Elle doit concerner à la fois le corps médical, prescripteur, et les auxiliaires médicaux concernés. Elle devrait s’accompagner d’une adaptation des modes de rémunération, de manière à renforcer l’efficience des prises en charge. Sur ce dernier point, la Cour recommande d’instaurer des forfaits de rémunération par patient pour les actes récurrents liés à des maladies chroniques. Elle suggère au-delà la mise en place d’une enveloppe limitative d’actes par médecin, fonction des caractéristiques de sa patientèle.

Des progrès importants sont également possibles pour renforcer l’efficience des prises en charge des patients atteints d’insuffisance rénale chronique terminale. Enjeu de santé publique majeur, cette maladie particulièrement lourde touche environ 73 500 personnes. Celles-ci sont traitées soit par une greffe du rein – 32 500 transplantés –, soit par une dialyse – 41 000 dialysés. Les dépenses engagées pour ces traitements étaient de l’ordre de 3,8 milliards en 2013 ; elles pourraient être mieux maîtrisées tout en améliorant la qualité des prises en charge, en termes de qualité de vie des patients comme de bonne adaptation des traitements. Pour ce faire, la Cour recommande de réorienter l’effort financier vers la prévention, de développer plus fortement la greffe et de réviser les modes de tarification de la dialyse.

Le coût moyen par patient de la dialyse est d’ailleurs substantiellement plus élevé en France que chez nos voisins européens. La Cour formule plusieurs recommandations visant à le réduire substantiellement à terme.

Le troisième et dernier message de la Cour découle de ce qui précède. La protection sociale doit être modernisée pour s’adapter mieux encore aux évolutions de la société. Sa gestion doit être encore davantage axée sur des objectifs de gains de productivité et d’amélioration du service rendu. Le pilotage financier doit être au rendez-vous de l’enjeu d’un redressement financier durable.

La Cour s’est d’abord intéressée, dans le domaine de l’assurance vieillesse, aux pensions de réversion. Celles-ci bénéficient à 4,4 millions de conjoints survivants pour une dépense totale proche de 34 milliards d’euros en 2014. Elles jouent encore un rôle majeur, en réduisant les écarts de pensions entre les hommes et les femmes – quoique de manière moins marquée pour les générations récentes.

Cependant, elles n’ont pas été adaptées aux évolutions de la société. L’extrême diversité des critères d’attribution conduit à de grandes disparités entre assurés, sans différences objectives de situations. Elles pourraient être à moyen terme harmonisées et modernisées. Des garanties claires doivent naturellement être apportées en termes de stabilité des situations acquises, d’équité entre les différentes catégories de retraités, de prévisibilité des évolutions et de progressivité de mise en œuvre. La Cour met sur la table un scénario de référence qui pourrait guider la mise en œuvre d’une convergence souhaitable des différents dispositifs de réversion, sur le moyen ou long terme.

La Cour s’est ensuite penchée sur les conséquences d’une baisse du non-recours à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et à l’aide à la complémentaire santé (ACS).

Le bilan de ces dispositifs est en demi-teinte. Ils ne préviennent pas complètement le renoncement aux soins, et surtout ils n’atteignent qu’une partie limitée de leurs bénéficiaires potentiels. Depuis 2005, les pouvoirs publics ont en effet privilégié l’extension de l’attribution de l’ACS et de la CMU-C à des publics de plus en plus larges, plutôt que le recours effectif à ces dispositifs par ceux qui y avaient déjà accès. Les efforts portent désormais sur une résorption de ce non-recours : évidemment souhaitable du point de vue de l’effectivité de la protection sociale des populations les plus fragiles, les conséquences financières de cette évolution doivent être correctement anticipées. Dans l’hypothèse, certes largement conventionnelle, d’une disparition totale du non-recours, de ressources supplémentaires de l’ordre de 1,2 à 2,2 milliards d’euros devraient être dégagées. Dès à présent, un déséquilibre financier est attendu à compter de 2016.

Le chemin vers l’équilibre des comptes sociaux passe par des mesures de réorganisation que favorisent notamment les nouvelles technologies. Comme la Cour l’a déjà évoqué pour certaines administrations territoriales de l’État, le maillage territorial des organismes de protection sociale peut encore gagner en pertinence.

Alors que l’organisation des réseaux d’organismes locaux du régime général de sécurité sociale n’avait pratiquement pas bougé depuis 1945, la Cour a relevé des évolutions importantes depuis la fin des années 2000. Les caisses d’allocations familiales et les caisses primaires d’assurance maladie ont été départementalisées ; les URSSAF ont été départementalisées, puis régionalisées.

Le réseau a été ainsi significativement resserré. Cependant, beaucoup de caisses conservent une taille réduite, et les implantations géographiques sont restées largement figées. Des organismes de taille homogène affichent de substantiels écarts de coûts de gestion. Des mutualisations fonctionnelles complexes risquent d’entraver de nouvelles réorganisations plutôt que de les préparer, faute de schéma d’ensemble.

De nouveaux modèles organisationnels sont nécessaires pour atteindre les objectifs d’économies fixés par les pouvoirs publics, ce que la dématérialisation des flux d’information rend possible. À ce titre, les lieux d’accueil du public devraient être plus nettement dissociés de ceux de production. Les écarts de taille et de coûts doivent être plus activement réduits et les démarches de réorganisation s’inscrire plus délibérément dans une perspective interbranches, voire inter-régimes.

L’efficacité de la gestion de la sécurité sociale est également tributaire de celle des hôpitaux publics, dont l’assurance maladie est le principal financeur. Or la Cour et les chambres régionales des comptes ont observé à plusieurs reprises la qualité insuffisante des comptes hospitaliers. À la suite de ces constats, le législateur a instauré en 2009 une certification obligatoire des comptes des principaux hôpitaux publics par un commissaire aux comptes.

Au terme de la première campagne de certification, plusieurs points de vigilance doivent être soulignés. Il s’agit notamment, outre des faiblesses dans les dispositifs de contrôle interne relatifs aux actes de soins facturés à l’assurance maladie, de fragilités des systèmes d’information.

La modernisation de la sécurité sociale devrait enfin concerner son pilotage financier. Dans ce domaine, l’apport des comparaisons internationales est précieux. Cette année, la Cour a réalisé une comparaison approfondie des systèmes de retraites et d’assurance maladie français avec leurs homologues allemands.

Les systèmes de retraites et d’assurance maladie français et allemands présentent des traits communs nombreux, mais aussi des différences importantes. Ces dernières portent non seulement sur certains aspects d’organisation, mais aussi sur les priorités et les modalités du pilotage financier. Si elles n’en sont pas la seule cause, ces différences concourent à éclairer les résultats très contrastés de ces deux systèmes de protection sociale.

En matière de retraites, l’Allemagne et la France sont confrontées à des défis de même nature, mais d’intensité différente. L’Allemagne a engagé plus tôt que la France et avec plus d’intensité un processus de réformes, dans le contexte d’une démographie plus dégradée. Elle privilégie un objectif d’équilibre durable et le met en œuvre par la voie d’ajustements continus, et même automatiques, des paramètres du système de retraites – méthode à comparer à celle de réformes d’ensemble se succédant à intervalles plus ou moins longs. Par ailleurs, une partie de l’effort d’ajustement a porté sur les personnes déjà retraitées, dont la pension a baissé en termes réels de 10 % depuis 1991, quand le pouvoir d’achat des pensions de retraite a été globalement préservé dans notre pays.

En définitive, les retraités français partent plus tôt que les retraités allemands et bénéficient de pensions en moyenne supérieures sur une durée plus longue. Les réformes en cours en France devraient cependant conduire, à terme, à appliquer des conditions en grande partie analogues à celles en vigueur en Allemagne.

Depuis 2006, l’assurance vieillesse de base des salariés allemands enregistre des excédents, tandis que son homologue français est en déficit depuis 2005. Entre 2000 et 2014, alors que l’Allemagne dégageait 16 milliards d’euros d’excédents cumulés, la France accumulait 65 milliards de déficits.

Pour ce qui est de l’assurance maladie, l’Allemagne a privilégié le maintien d’un niveau élevé de remboursement, mais sur un champ de prise en charge plus étroit qu’en France. Dans le même temps, notre voisin a mis en place un « bouclier sanitaire » plafonnant le reste à charge en fonction des revenus. En France, on constate en revanche un désengagement de l’assurance maladie obligatoire de base, sauf pour les dépenses liées aux affections de longue durée sur lesquelles est concentré l’effort de remboursement. En contrepartie, l’assurance santé complémentaire, désormais en voie de généralisation, joue un rôle de plus en plus important, alors que sa place est très modeste en Allemagne. La France a mieux maîtrisé au cours de la période récente l’évolution des dépenses de soins à travers l’ONDAM. L’Allemagne a privilégié, comme pour les retraites, un objectif d’équilibre durable des comptes, érigé en principe de valeur constitutionnelle – en France, nous avons plutôt pris l’habitude des déficits… Le succès repose notamment, de façon frappante, sur une forte responsabilisation à tous les niveaux de l’ensemble des acteurs du système de soins. Elle concerne aussi les médecins prescripteurs, qui sont soumis à des enveloppes limitatives – tout en gagnant plus que leurs homologues français.

Entre 2004 et 2013, l’assurance maladie allemande a constamment été excédentaire, tandis que son homologue française connaît un déficit persistant depuis les années 1990. Entre 2000 et 2014, l’Allemagne a dégagé 12 milliards d’excédents cumulés. Sur la même période, la France a accumulé 105 milliards de déficits.

Il ne saurait être question de transposer en tant que tels en France des éléments de l’architecture des systèmes allemands d’assurance maladie et de retraite, qui s’inscrivent dans un cadre institutionnel particulier. Néanmoins, les règles d’équilibre, les modes de pilotage et les mécanismes de responsabilisation mis en œuvre en Allemagne sont riches d’enseignements. Les différences sont nettes : le niveau de prescription est notamment plus élevé en France.

Il y aura tout juste soixante-dix ans le 4 octobre prochain qu’une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République a créé la sécurité sociale. La France d’aujourd’hui n’est plus celle de la Libération. Notre société et notre économie ont formidablement changé. Mais la sécurité sociale demeure plus que jamais l’expression privilégiée de la République et de ses valeurs. Elle est aujourd’hui menacée, fragilisée par ses déficits persistants.

Des choix doivent être faits sans tarder pour permettre d’assurer un équilibre financier durable, comme la plupart de nos voisins l’ont réussi. De premiers progrès ont été enregistrés. Mais les déficits résistent opiniâtrement. Il faut aller plus loin et plus vite. Des réformes structurelles sont possibles. Elles sont indispensables à l’adaptation de la sécurité sociale aux besoins de notre temps, dans la fidélité aux principes qui l’ont fondée.

Parmi eux, l’un est plus que jamais essentiel : la responsabilité. La responsabilisation de tous les acteurs à tous les niveaux, pour chaque euro dépensé, est le vrai bouclier de la solidarité. C’est là le message principal des constats et recommandations qu’adresse la Cour aux pouvoirs publics.

Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent, à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je donne maintenant la parole aux différents rapporteurs de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Gérard Bapt, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général. S’agissant de la situation générale des comptes, vous attendez en 2015 une progression limitée des recettes et une croissance des dépenses supérieure à celle de notre produit intérieur brut. Vous avez, dans votre propos liminaire, évoqué différentes pistes de réflexion pour réduire davantage les dépenses, puisqu’il est difficile, dans la situation actuelle, de prévoir des augmentations de recettes significatives. Pouvez-vous néanmoins développer ces points ?

Une part croissante de la dette est portée par l’ACOSS, et la Cour demande que ces quelque 30 milliards d’euros soient repris sans délai par la CADES. Nous profiterions ainsi de l’actuelle faiblesse des taux d’intérêt, car une éventuelle remontée des taux dégraderait les conditions de financement de notre dette sociale. Pour cela, une modification législative serait nécessaire, puisque la reprise de dette par la CADES est aujourd’hui plafonnée à 10 milliards d’euros annuels, pour une enveloppe globale de 62 milliards à transférer entre 2011 et 2018. Ces reprises supplémentaires supposeraient l’affectation à la CADES de recettes supplémentaires, que vous évaluez à 0,23 point de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Dans la situation actuelle, cela paraît difficile. Il serait également possible d’allonger une nouvelle fois la durée de vie de la CADES – ce serait aussi un nouveau renoncement.

Une troisième possibilité consisterait à faire sauter, dans la loi de financement de la sécurité sociale, le verrou des 10 milliards d’euros afin de transférer dès 2016 le solde des 62 milliards d’euros à la CADES. Cette dette-là étant déjà financée, il ne serait pas nécessaire de trouver de nouvelles recettes, ni d’allonger la durée de vie de la CADES. Des questions se poseraient certes ultérieurement : il faudra bien transférer à la CADES la dette résultant des déficits enregistrés à partir de 2016. La Cour a-t-elle une opinion sur cette troisième option ?

Enfin, le Président de la République a annoncé l’intégration du CICE aux allégements généraux de cotisations patronales ; la Cour demande l’intégration dans le barème de ces mesures. Compte tenu de la nécessité d’aménager une transition entre la situation actuelle et les futurs allégements, comment pourrait selon vous s’établir le calendrier de ces mesures ?

Je vous avais transmis ces questions par écrit. J’en ajoute deux autres, d’actualité.

Le Figaro annonce ce matin que l’État se substituera aux Laboratoires Servier pour indemniser une partie des victimes du Mediator, à hauteur d’au moins 750 000 euros, qui viennent ainsi augmenter le déficit de l’assurance maladie. Que pense la Cour d’une telle situation ? Une réforme semblable à celle de la loi Badinter pour les accidents de la circulation pourrait apporter une recette supplémentaire à l’Office national des accidents médicaux (ONIAM), sous la forme d’une taxe sur le chiffre d’affaires de tous les producteurs : la Cour a-t-elle une opinion sur ce point ?

D’autre part, l’émission de télévision Cash Investigation, présentée par Élise Lucet, nous a fait découvrir, à l’occasion d’un reportage sur les rattrapages de facturation sur erreur de codage des hôpitaux, que des prestataires extérieurs envoient des agents, absolument pas habilités pour cela, manipuler des dossiers médicaux personnels, et surtout que ces facturations rétroactives, qui rétribuent également le prestataire de services, pourraient expliquer les difficultés de trésorerie de certains établissements. L’hôpital de Saint-Malo n’est certainement pas le seul concerné. Vous êtes-vous intéressés à ce point ?

Mme Michèle Delaunay, rapporteure pour l’assurance maladie. Je salue la qualité du rapport de la Cour, en insistant particulièrement sur l’effort que vous demandez pour la fiabilisation de la construction de l’ONDAM.

J’ai toutefois choisi de poser aujourd’hui des questions très concrètes.

Vous soulignez l’augmentation des actes infirmiers : nous regrettons fort d’apprendre qu’elle est liée au nombre d’infirmiers disponibles plus qu’à tout autre facteur. Mais ces actes sont majoritairement prescrits à des personnes âgées. Dès lors, la question du lien entre le travail des professionnels de l’autonomie et celui des professionnels du soin me paraît centrale : cette intégration n’est pas même amorcée. Ainsi, une aide à domicile peut passer le soir chez une personne âgée pour fermer les volets, et une demi-heure après un infirmier pour donner les médicaments – je caricature à peine. Il y a là, je crois, un gisement d’économies considérables.

Dans le même ordre d’idées, il faut rapprocher la gestion des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et des équipes spécialisées Alzheimer à domicile (ESAD).

Quant aux séances de kinésithérapie, leur augmentation dépend aussi du nombre de professionnels libéraux installés. Mais il faut également évoquer la nature exacte de ces séances : aujourd’hui, bien souvent, il s’agit de pratiquer une électrostimulation, grâce à des électrodes placées sur le corps. C’est une technique efficace, mais qui ne nécessite pas un acte de kinésithérapie. Les contrôles doivent être renforcés, et il nous faut réfléchir à la question de l’éducation des patients – qui pourraient être aidés pour acheter ces appareils. Nous économiserions ainsi beaucoup de fausses séances de kinésithérapie.

Ma troisième question est majeure, et je crains que nous ne l’abordions pas dans sa totalité au cours des semaines à venir : c’est celle des transports.

Aujourd’hui, les patients sont majoritairement transportés en taxi, c’est-à-dire par des véhicules ne bénéficiant d’aucune installation sanitaire, conduits par des personnes n’ayant aucune formation spécifique. Il y a donc une dissociation complète du transport et du soin. Dès lors, l’assurance maladie doit-elle continuer de rembourser l’intégralité de ces transports ? C’est un problème que nous ne pouvons pas passer sous silence.

Les précédents PLFSS proposaient aux patients le remboursement du moyen de transport le moins onéreux entre taxi conventionné, véhicule sanitaire léger (VSL) et ambulance. Mais le transport par véhicule personnel ou le transport en commun n’étaient pas pris en considération – or ils sont vraiment moins onéreux que les précédents. C’est là encore une question qui se pose. Il faut avoir une attitude très ferme, et dissocier le confort du soin, ou du problème social, qui peut exister.

Enfin, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) vient de publier une actualisation du coût social et sanitaire des drogues dans notre pays, et notamment du tabac et de l’alcool. Ce sont des chiffres spectaculaires, et malheureusement exacts : le seul coût sanitaire du tabac s’élève à 25 milliards d’euros par an. Sans mesures fortes de prévention, nous finirons par ne plus pouvoir assumer le coût du progrès médical. Avez-vous des réflexions sur ce sujet ?

Mme Joëlle Huillier, rapporteure pour le secteur médico-social. Le secteur médico-social constitue pour ce Gouvernement une priorité, et l’ONDAM médico-social est chaque année supérieur à l’ONDAM global. De plus, le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, en cours d’examen au Parlement, apportera des réponses ambitieuses à cette question, grâce aux ressources nées de la Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA).

Je salue le soin que la Cour met chaque année à suivre le secteur médico-social.

Vous considérez que « le développement autonome de l’offre sanitaire du secteur médico-social apparaît […] en partie comme une occasion perdue d’accompagnement des restructurations hospitalières ». À votre sens, les évolutions de la gouvernance sanitaire et médico-sociale envisagées par le projet de loi relatif à la santé, notamment par son article 38, et par le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement – avec notamment des transformations d’établissement facilitées –, permettront-elles d’améliorer cette situation ? Quels changements sont possibles au cours des toutes prochaines années ?

Les départements regrettent régulièrement l’insuffisance des compensations qui leur sont versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) comme de la prestation de compensation du handicap (PCH). Considérez-vous qu’il sera nécessaire de prévoir de nouvelles recettes pour les départements, et quand ?

Je voudrais également aborder la question des adultes et enfants handicapés français résidant dans des établissements belges. Nous entendons de nombreux témoignages de familles. Disposez-vous d’une évaluation des enjeux budgétaires de l’inadaptation de l’offre à destination des personnes handicapées en France ? Comment améliorer cette offre dans un contexte budgétaire contraint ? Faut-il notamment agir sur le plan réglementaire, puisque la création d’établissements en Belgique obéit à des règles d’autorisation et à des normes bien plus souples qu’en France ?

Enfin, Mme Delaunay a évoqué la question des transports. La MECSS, dont les deux co-présidents sont présents ce matin, a réalisé sur ce sujet un rapport dont nous ferions bien de nous inspirer.

M. Pierre Morange. Merci.

Mme Michèle Delaunay. C’est tout à fait vrai.

Mme Joëlle Huillier. J’ai déjà reçu des familles de personnes handicapées qui devaient se faire rembourser par l’assurance maladie 180 euros de taxi par jour… Comment peut-on déplorer le déficit de la sécurité sociale tout en laissant perdurer de telles situations ? Nous devons vraiment nous pencher sur la question des transports.

M. Michel Issindou, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Merci, monsieur le Premier président, de ce rapport malgré tout redoutable.

Le déficit de la branche vieillesse se réduit : il devrait atteindre, selon vos prévisions, 0,8 milliard d’euros en 2015, alors que la branche vieillesse et le FSV affichaient en 2010 un déficit de 13 milliards. Toutefois, et vous le notez très justement, le second demeure largement déficitaire – l’estimation pour 2015 s’élève à 3,6 milliards. Vous appelez à nouveau à mettre fin au sous-financement structurel du FSV : quelles mesures permettront selon vous d’y parvenir ?

Vous notez l’intégration en 2015 de la branche vieillesse du régime social des indépendants (RSI) – dont on sait par ailleurs qu’il rencontre de grandes difficultés – au régime général. Cela rend nécessaire un alignement du taux de cotisation des travailleurs indépendants sur celui du régime général. Que préconisez-vous pour que nous parvenions à augmenter progressivement le taux de cotisation vieillesse des indépendants ?

Je vous sais gré d’avoir largement insisté sur la question des pensions de réversion. Dans la loi sur les retraites de 2014, nous avions voté un amendement tendant à demander au Gouvernement un rapport sur ce sujet, et notamment sur les possibilités d’harmonisation. Vous présentez différentes mesures possibles de façon précise – fixation de conditions d’âge et de ressources, harmonisation notamment entre les différents régimes, proratisation des pensions en fonction de la durée du mariage rapportée à la durée de l’assurance, variation du taux de réversion en fonction des droits propres du conjoint survivant… Ces mesures semblent pertinentes ; une harmonisation entre régimes me paraît à tout le moins nécessaire. Lesquelles seraient selon vous les plus faciles à mettre en œuvre, sans mettre en péril bien sûr les régimes de retraite ?

Enfin, vous vous livrez à une longue comparaison entre la France et l’Allemagne. La situation de nos économies respectives explique certainement en grande partie les excédents des uns et les déficits des autres ; mais vous insistez aussi sur la différence de nature du pilotage des régimes de retraite. La réforme de 2014 a mis en place un comité de suivi des retraites, qui donne des indications au Gouvernement : avec ce comité, mais aussi avec le Comité d’orientation des retraites (COR), nous avons les moyens d’agir presque en temps réel. L’Allemagne a, elle, choisi de mettre en place des mécanismes semi-automatiques, qui lient évolution des cotisations, montant des pensions et subvention apportée par le budget fédéral. Vous suggérez en quelque sorte un pilotage beaucoup plus fin : concrètement, comment transformer nos régimes de retraite, en allant dans ce sens d’un établissement de mécanismes automatiques ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous prie d’excuser l’absence de M. Denis Jacquat, rapporteur pour les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP).

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour la famille. La branche famille participe pleinement au redressement des comptes sociaux, et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a notamment vu la mise en place d’un plan d’économies qui doit permettre la stabilisation des comptes de la branche dès cette année.

L’an dernier, nous avons pris une mesure emblématique, dont nous attendons pour cette année une économie de 400 millions d’euros : la modulation du montant des allocations familiales. Nous concentrons ainsi nos efforts sur les populations fragiles et les classes moyennes ; la Cour avait d’ailleurs souligné en 2012 le caractère insuffisamment redistributif d’une grande part des prestations familiales. Quel est votre sentiment sur cette réforme, sur les gains attendus et sur les conditions de sa mise en œuvre par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ? Si nous voulons améliorer le caractère redistributif des prestations familiales, ne faut-il pas maintenir à un niveau élevé les ressources du Fonds national d’action sociale (FNAS) ?

Le réseau des caisses d’allocations familiales poursuit sa modernisation, conduisant avec succès son plan de réduction des effectifs tout en améliorant les conditions d’accueil des allocataires. La Cour relève cependant des difficultés dans la mutualisation des moyens avec l’assurance maladie, et s’interroge sur la pertinence de l’échelon départemental. D’où viennent ces difficultés, et comment y remédier ? Comment moderniser encore le réseau, par exemple grâce à une dématérialisation accrue des dossiers ?

Tirant notamment les conséquences des observations de la Cour, la CNAF a lancé un plan ambitieux de lutte contre la fraude : le nombre de fraudes détectées a augmenté, de 2013 à 2014, de près de moitié. Le taux de recouvrement vous semble-t-il satisfaisant ? Comment renforcer encore la lutte contre la fraude ?

Enfin, s’agissant des pensions de réversion, vous rappelez qu’elles concernent essentiellement des femmes ; vous soulignez aussi que ces pensions contribuent à la réduction des écarts de pension entre hommes et femmes. Quelles mesures proposez-vous afin de continuer à réduire ces écarts ?

M. Gérard Sebaoun. Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je salue ce rapport, qui est comme chaque année aiguisé comme une lame. Il pourrait nous glacer d’effroi ou nous plonger dans la dépression. Mais, je l’ai bien compris, le rôle de la Cour n’est pas de nous rendre optimistes, mais rigoureux.

Vous avez conclu, monsieur le Premier président, en insistant sur les risques courus aujourd’hui par la sécurité sociale. Elle a soixante-dix ans et nous devons lui permettre de bien vieillir.

Vous avez raison sur trois points. Chaque euro dépensé doit être justifié. Chaque acteur doit se sentir responsable : les prescripteurs, mais aussi les citoyens, qui financent notre système. Enfin, la gouvernance peut être améliorée.

Notre groupe veut néanmoins souligner l’effort constant mené par cette majorité pour diminuer les déficits sociaux. L’évolution des recettes remet malheureusement en cause le retour à l’équilibre. Mais on ne peut déconnecter la réalité des chiffres du vécu de la santé de nos concitoyens, qui demeure de haut niveau : le pourcentage de notre PIB consacré à la santé est à peu près équivalent à ceux des grands pays qui nous entourent, les États-Unis demeurant une exception.

Le resserrement de l’ONDAM à 1,75 % pourrait affecter le fonctionnement de nos hôpitaux, déjà sous tension. La maîtrise des dépenses est évidemment indispensable. Elle doit s’accompagner de réformes structurelles. Mais celles-ci ne peuvent se faire d’un claquement de doigts : les résistances sont fortes, nous le vivons en ce moment avec le projet de loi relatif à la santé. Si le dialogue avec les professionnels de santé doit être la règle, nul ne pourra s’exonérer de l’exigence d’efficience, dans le respect des normes sanitaires bien sûr. Nous devons prendre en considération les changements nombreux qui touchent notre société : le coût des innovations thérapeutiques, le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques, la diminution des durées de séjour à l’hôpital – ce qui signifie un transfert de charge de l’hôpital vers les soins de ville.

La Cour évoque un « désengagement croissant » de l’État. Le reste à charge semble pourtant à peu près constant ces dernières années : je ne partage donc pas cette opinion. La faible couverture par le régime général des soins dentaires ou optiques n’est pas une chose nouvelle, et nous connaissons bien la part massive dans ce domaine des assurances complémentaires. Mais des efforts sont en cours, notamment sur l’optique, il faut le souligner. Il faut noter également l’intérêt de la généralisation de la complémentaire santé pour tous les salariés. Quant à la couverture par la CMU-C et l’ACS, elle doit en effet être poursuivie, de façon plus ordonnée : il faut faire reculer autant que possible le renoncement aux soins – dont les causes sont toutefois complexes.

S’agissant enfin des actes infirmiers et des actes de masso-kinésithérapie, les remarques de la Cour sont naturellement légitimes. Toutefois, le coup de projecteur jeté sur ce point précis par les médias met en difficulté deux professions très honorables, et qui rendent de très grands services à nos concitoyens. La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) souhaite ainsi que les patients reviennent aussi vite que possible à leur domicile après une hospitalisation : l’action des masseurs-kinésithérapeutes au domicile des patients, souvent âgés, permet d’améliorer rapidement leur état de santé, d’évaluer leur environnement, de les éduquer ou de leur prescrire des dispositifs médicaux… Bref, il s’agit d’une action sociale majeure, qui permet par exemple aux personnes âgées ayant subi une chirurgie orthopédique de remarcher plus rapidement. Il faut donc calculer le vrai bénéfice de ces soins : moins d’hospitalisation, de transports… Et je n’évoque pas ici le cas des infirmiers !

M. Jean-Pierre Door. L’intérêt de cet exercice annuel est certain pour les parlementaires de tous bords, comme d’ailleurs pour le Gouvernement. Vous rappelez les menaces qui pèsent sur notre système social : un déficit à nouveau supérieur aux prévisions, un retour à l’équilibre renvoyé à 2020, au mieux… Vous confirmez que les prévisions de croissance ont été surévaluées, et que le fort chômage que nous connaissons fait diminuer les recettes. Nous avions dénoncé tout cela lors des débats du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

Vous notez que l’ONDAM est respecté depuis plusieurs exercices – mais il était fixé au-delà de 2 %. Le Gouvernement va proposer cette année un taux très inférieur, autour de 1,75 % : ce chiffre vous paraît-il tenable ?

Votre rapport met sur la sellette certaines professions de santé, notamment les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes. Ces professionnels sont indispensables : ils prennent en charge les personnes atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées… et permettent les sorties précoces de l’hôpital. Ils représentent donc un maillon nécessaire de notre système de santé.

Je note avec un très grand intérêt que votre rapport met en avant l’outil de la convergence tarifaire entre le public et le privé. Nous espérons que ce message sera entendu au plus haut niveau.

La comparaison que vous établissez entre la France – et ses déficits – et l’Allemagne – et ses excédents – me paraît également du plus haut intérêt. Les Allemands ont voté des réformes, et surtout, ils les ont mises en œuvre : en France, au contraire, la politique du yo-yo fait des ravages. Nos réformes sont impuissantes à redresser les comptes mais aussi à modifier les attitudes des acteurs. Aujourd’hui, le Gouvernement présente un projet de loi relatif à la santé, qui est encore en discussion – et qui sera de toute façon très insuffisant.

Il faut faire bouger les acteurs ! Vous montrez qu’il y a en France trop de frais administratifs, trop de dépenses hospitalières – les dépenses de santé sont inférieures en Allemagne de 1,5 point de PIB, soit quelque 30 milliards par an, malgré un vieillissement de la population comparable. La politique de prévention est en revanche bien plus forte outre-Rhin, ce qui me paraît fondamental.

Vous évoquez les différences dans les modes de rémunération. Nous avions pu nous-même les observer lors d’une mission en Allemagne : les unions professionnelles y jouent un rôle majeur, puisque l’assurance maladie leur attribue une enveloppe annuelle répartie ensuite par les professionnels. Les résultats semblent bons, puisque les rémunérations sont meilleures. J’ignore ce qu’en diraient nos propres syndicats, mais j’aimerais vous entendre développer ce point.

Enfin, vous évoquez un « bouclier sanitaire », mis en place depuis plusieurs années en Allemagne, mais aussi en Belgique. Un tel dispositif semble permettre un accès aux soins plus égalitaire. Quel est le point de vue de la Cour ?

M. Stéphane Claireaux. Au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, j’aimerais revenir sur quelques points.

Vous faites le constat que le retour à l’équilibre des comptes sociaux est reporté désormais sine die, malgré la claire diminution en 2014 du déficit de la sécurité sociale. La branche maladie demeure la plus déficitaire – 6,5 milliards en 2014, 7,2 milliards en 2015 : c’est près de la moitié du déficit du régime général et du FSV.

Nous voulons ici saluer l’approche adoptée par votre rapport, qui ne se concentre pas, comme l’an dernier, sur la fraude aux cotisations sociales. Nous ne nions pas que celle-ci joue un rôle dans les déficits sociaux ; mais votre rapport souligne aussi le non-recours massif à la CMU-C et à l’ACS, pourtant destiné à favoriser l’accès de tous aux soins. Vous dressez de ces dispositifs un bilan en demi-teinte. Vous soulignez que si la résorption de ce non-recours est souhaitable, ses conséquences financières pourraient être lourdes – 1,2 à 2,2 milliards d’euros supplémentaires – et devraient donc être anticipées. Il nous semble toutefois important que tous ceux qui remplissent les conditions d’attribution bénéficient effectivement de ces dispositifs.

Vous proposez également différents moyens de réaliser des économies et de rétablir l’équilibre de nos comptes sociaux : régulation renforcée de l’assurance maladie, recomposition plus poussée de l’offre de soins… Des réformes structurelles sont jugées indispensables par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF), et notre groupe ne peut que souscrire à ces propositions. Nous y sommes revenus lors de chaque discussion des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Toutefois, la proposition de fermeture de certaines maternités est un sujet sensible. Vous fixez un seuil de 300 accouchements par an en dessous duquel une maternité n’est pas viable. Mais vous comprendrez aisément que pour une petite communauté isolée comme celle dont je suis l’élu, Saint-Pierre et Miquelon, ce seuil n’est pas adapté du tout. Plus généralement, les fermetures de maternités, de centres de lutte contre le cancer, voire d’hôpitaux, nous semblent inconcevables – même si les problèmes que vous soulevez sont réels. Ces services sont des services de proximité, plus que nécessaires. La Cour des comptes regrette l’insuffisante efficience de notre système de soins. Mais, dans un contexte de vieillissement de la population et d’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques, il nous semble pour le moins paradoxal de proposer la fermeture de centres de lutte contre le cancer.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Avant de donner la parole à nos collègues, je me permets quelques remarques personnelles.

Depuis treize ans, dites-vous, nous n’avons pas retrouvé l’équilibre des comptes sociaux : cela nous ramène à l’année 2002.

Vous souhaitez à raison une harmonisation des cotisations entre le RSI et les caisses des salariés. J’apprécie également votre insistance sur un sujet souvent tabou : la sous-déclaration des revenus par les libéraux, commerçants, artisans… – c’est ce que l’on appelle « le black ». Il faut en parler.

S’agissant des soins infirmiers et des soins de masso-kinésithérapie, vous notez l’envolée des dépenses, mais vous n’analysez pas vraiment cette hausse.

La comparaison entre la France et l’Allemagne est tout à fait éclairante et vous ouvrez de nombreuses pistes de réflexion. Je voudrais toutefois citer quelques chiffres qui n’apparaissent pas dans le rapport. Depuis quelques années, l’Allemagne a dix fois plus de nouveaux pauvres que nous. Un rapport allemand a souligné l’augmentation « inquiétante » depuis 2006 du nombre de personnes pauvres : aujourd’hui, il y a près de 16 % de pauvres en Allemagne, contre 13 % en France – c’est déjà beaucoup trop, nous en sommes bien d’accord. Parmi les plus de soixante-cinq ans, il y a en Allemagne 14 % de pauvres contre 10,6 % en France – là encore, nous limitons les dégâts. Enfin, 15 % des chômeurs sont en France en situation de pauvreté, contre 70 % en Allemagne.

Gardons bien ces chiffres en tête si nous voulons assurer la cohésion sociale dans notre pays.

M. Michel Liebgott. Je vais apparaître bien modéré après les propos de Mme la présidente !

Ce rapport n’est pas un rapport à charge : il note aussi des évolutions positives, comme la réduction des déficits. C’est le signe d’un effort réel de cette majorité, alors même que nous traversons une période de crise : il est bien plus facile de réduire les déficits lorsque l’économie va bien, conclusion que vous aviez vous-même tirée en analysant le régime alsacien et mosellan, qui se portait plutôt mieux que le régime du reste de notre pays. C’est sans doute la meilleure situation économique de notre région qui était à l’origine de ce résultat, même si l’on ne peut pas exclure une plus grande discipline de chacun, caractéristique culturelle que nous partageons, dit-on, avec les Allemands !

C’est un facteur qui me paraît important : en Allemagne, la discipline des médecins est réelle. Vous notez en effet une dérive des dépenses en soins infirmiers et en soins de masso-kinésithérapie, mais pour cela, il faut bien un prescripteur, c’est-à-dire un médecin ! Il ne s’agit nullement pour moi de stigmatiser quelque profession que ce soit, mais les médecins doivent être conscients de leurs responsabilités. La loi relative à la santé, qui prévoit – entre bien d’autres mesures – le tiers-payant chez les médecins et, à terme, une certaine régulation, devrait apporter de bonnes réponses à ces dérives.

M. Bernard Perrut. Nous aurions aimé, bien sûr, entendre de meilleures nouvelles ; malgré quelques évolutions positives, on ne peut que regretter que le retour à l’équilibre financier s’éloigne.

Vous soulignez l’ampleur des déficits, ce que nous ne pouvons pas accepter. Vous montrez que l’Allemagne a, au contraire, su dégager des excédents importants. Ne pourrions-nous pas adopter des modes de pilotage similaires ?

S’agissant des soins infirmiers et des soins de masso-kinésithérapie, vous décrivez notamment une augmentation des actes, mais aussi une organisation inadaptée de l’offre de soins et une mauvaise répartition des professionnels. Vous demandez donc une régulation. Quelles mesures pourrions-nous concrètement mettre en œuvre ? Ne montrez-vous pas du doigt des professionnels de santé qui mènent un travail admirable ? Je ne pense pas que le nombre de professionnels qui sont installés puisse provoquer une telle augmentation des dépenses : pensons au vieillissement de la population, au renforcement du maintien à domicile et donc au transfert de prise en charge de l’hôpital vers les soins de ville… Vous êtes bien sévères : avez-vous pris véritablement en considération tous ces éléments ?

M. Jean-Louis Touraine. Ma première question porte sur l’insuffisance rénale chronique terminale, dont la prise en charge coûte très cher, pour diverses raisons : en particulier, le nombre de personnes greffées est insuffisant, alors que la qualité de vie est bien meilleure avec une greffe qu’avec une dialyse. L’insuffisance des transplantations est liée uniquement à la pénurie d’organes. Dans la loi relative à la santé, je propose d’améliorer les conditions des dons d’organes. Avez-vous d’autres propositions pour développer encore la transplantation rénale ?

Ma seconde question porte sur le tabac et l’alcool, dont le coût humain est absolument considérable : chaque année, 80 000 Français sont tués par le tabac, et 50 000 par l’alcool. Mais le coût financier est également faramineux : le tabac coûte à la France 120 milliards d’euros chaque année, et l’alcool 120 milliards également. La loi relative à la santé propose des mesures efficaces pour lutter contre ces fléaux : paquet neutre, maintien de la limitation de la publicité, par exemple. Mais il faut aller plus loin. Que proposez-vous ? Comment contrer l’effet néfaste de l’action des lobbyistes des grands groupes ? Sans tomber dans une prohibition qui serait aussi inacceptable qu’inefficace, comment réduire cette facture humaine et financière terrible ?

M. Jean-Louis Costes. Votre conclusion, monsieur le Premier président, est forte : la sécurité sociale court aujourd’hui des risques graves, et il nous faut faire des choix. C’est un avertissement que doivent entendre les pouvoirs publics, et notamment tous les parlementaires. L’écart entre l’ONDAM et la croissance du PIB me paraît particulièrement inquiétant.

Vous qualifiez les centres de lutte contre le cancer de « modèle original et précurseur », tout en indiquant que leur spécificité s’estompe et que leur stratégie doit être repensée. Pouvez-vous préciser ces points ? Il s’agit là d’une priorité de santé publique, et je crois voir poindre dans vos écrits une certaine inquiétude.

Mme Gisèle Biémouret. Je reviens sur la question de l’accès aux soins des ménages les plus modestes. Depuis le lancement du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, des mesures ont été prises pour réduire le non-recours à l’ACS, et le plafond d’éligibilité a été relevé. La réforme de l’ACS, entrée en vigueur le 1er juillet 2015, devrait constituer un levier important pour améliorer l’accès aux soins des 3 à 4 millions d’assurés qui ont droit à cette prestation.

D’autres obstacles freinent l’accès aux soins des populations les plus vulnérables, ce qu’ont montré les travaux préparatoires à la conférence contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : complexité et empilement des dispositifs, juxtaposition des législations, méconnaissance des droits, lourdeurs administratives. Je voudrais signaler que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) travaille actuellement sur ce sujet : j’y conduis depuis le mois d’avril un groupe de travail sur la simplification administrative. La coordination et l’échange d’informations entre les différents acteurs apparaissent notamment très insuffisants : comment améliorer ces points ?

M. Gilles Lurton. Je salue à mon tour la qualité de ce rapport.

Je reviens sur la question de l’insuffisance rénale chronique terminale. On ne peut que partager l’idée de développer de la prévention, ce que font d’ailleurs déjà nos collectivités territoriales en organisant des dépistages gratuits. On ne peut également que souhaiter le développement des greffes, qui permettent une qualité de vie bien supérieure à une dialyse ; mais vous n’êtes pas sans savoir que nous souffrons d’un manque important de greffons. La loi relative à la santé aborde ce sujet, et les débats ont été particulièrement animés. Vous demandez enfin une meilleure maîtrise des coûts de la dialyse : une comparaison avec d’autres pays européens vous permet de montrer qu’ils sont particulièrement élevés en France. À quoi est liée cette différence ? Le nombre de personnes dialysées est-il en cause, ou cela est-il lié à un choix dans d’autres pays de ne plus traiter les personnes trop âgées ou trop malades ? En France, nous traitons tout le monde, ce que je ne peux qu’encourager. Certains pays font-ils des économies sur les soins apportés aux patients, alors que ceux-ci sont déjà très optimisés, notamment grâce au développement des dialyses à domicile ?

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Merci, monsieur le Premier président, de cette présentation. S’agissant des recettes insuffisantes de la sécurité sociale, la Cour avait pointé en 2014 une aggravation de plus de moitié de la dette de l’État vis-à-vis de la sécurité sociale. L’État n’est certainement pas le seul en cause, mais quelles sont vos préconisations pour le recouvrement de ces créances ?

S’agissant des soins infirmiers et des soins de masso-kinésithérapie, je souscris à toutes les remarques de nos collègues. L’augmentation de ces actes ne découle-t-elle pas logiquement du développement des soins ambulatoires ? Vous recommandez la mise en place d’un forfait : une telle mesure ne serait-il pas préjudiciable aux plus démunis, et source d’inégalités dans l’accès aux soins ?

Je souscris entièrement aux excellentes remarques de notre présidente sur la France et l’Allemagne : comparaison n’est pas raison. Je retiens toutefois l’idée d’un bouclier sanitaire, afin de plafonner le reste à charge en fonction des revenus : je n’y serais personnellement pas hostile. En effet, malgré toutes les dispositions que nous avons prises, beaucoup de nos concitoyens ont encore des difficultés pour se soigner, et renoncent parfois faute de pouvoir avancer les frais ou de pouvoir payer le reste à charge. Cela concerne notamment les soins de masso-kinésithérapie, qui ne sont pas toujours jugés nécessaires par ces malades.

Mme Bérengère Poletti. Le vieillissement de la population va s’amplifier : aujourd’hui, notre pays compte 500 000 personnes âgées de plus de quatre-vingt-dix ans, mais il en comptera 3,5 millions en 2050. L’essentiel du problème est donc devant nous.

Or l’insuffisance des relations et du réseau entre l’hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social est bien identifiée depuis plusieurs années : elle tarde néanmoins à se réduire. Ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes souligne ce point, et cela finit par être désespérant.

Vous pointez l’augmentation de certaines dépenses, par exemple des soins infirmiers. Les départements soulignent, eux, le glissement des soins médicaux vers l’APA. Dans vos analyses, avez-vous bien tenu compte du vieillissement de la population ?

La surprescription et la surconsommation des médicaments en établissement sont elles aussi connues et analysées depuis longtemps : non seulement cela coûte cher, mais c’est délétère pour les personnes âgées. L’expérimentation des pharmacies à usage interne a malheureusement été arrêtée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Enfin, l’hypermédicalisation de la grossesse et de l’accouchement est également bien connue. Vous avez, l’an dernier, demandé une revalorisation du rôle des sages-femmes, insuffisamment mises en valeur. Nous pourrions sur ce point nous inspirer de l’exemple néerlandais. Quelles sont vos analyses sur ce sujet ?

Mme Marie Le Vern. Le rapport de la Cour montre un taux préoccupant de non-recours à la CMU-C et plus encore à l’ACS. Vous pointez notamment la tendance des pouvoirs publics à élargir le champ des bénéficiaires sans assurer l’effectivité des droits. Vous vous inquiétez également du coût potentiel de ces mesures, si tous ceux qui y ont droit devaient en demander le bénéfice. La Cour plaide donc pour un ciblage accru, évoquant notamment une harmonisation de la définition des ressources prises en comptes, qui devraient être alignées sur le seuil de pauvreté monétaire. Comment cette harmonisation ferait-elle évoluer le nombre et le profil social des bénéficiaires ?

La Cour évoque également la possibilité de redéfinir les prises en charge au titre de la CMU-C et de l’ACS si une « surconsommation de soins gratuits » devait apparaître. Pouvez-vous préciser les contours d’une telle redéfinition ? Vous demandez également la mise en place d’une véritable politique de gestion du risque : pouvez-vous nous dire en quoi elle pourrait consister ?

Quels critères objectifs vous permettent d’envisager une augmentation des soins gratuits, au-delà de la première année ?

M. Richard Ferrand. Je commence par rendre hommage à la constance de la Cour et à son sens de la litote, en particulier lorsque vous évoquez le bilan « décevant » de vingt ans de recomposition territoriale de l’offre de soins. De manière constante, vous avez suggéré, notamment dans les zones en surdensité, l’extension du conventionnement conditionnel à toutes les professions de santé, y compris les médecins. J’avais déjà souligné l’an passé la pertinence d’une telle recommandation.

Je forme le vœu que, forts de ces analyses réitérées, nous soyons très majoritaires au sein de cette commission pour, dès que ce sera possible, mettre en œuvre cette recommandation si évidemment bien fondée.

Vous appelez également à une refonte du pilotage de notre système de soins. Je forme également le vœu que vos recommandations nos 17 à 25 soient appliquées dans les plus brefs délais, et que notre commission y contribue de toute son énergie.

M. Didier Migaud. Merci de ces nombreuses questions. Je ne réussirai certainement pas la mission impossible de répondre à toutes, et nous vous apporterons le cas échéant des précisions par écrit.

Je commence par dire que nous ne désespérons jamais, et que nous nous efforçons de demeurer constants !

Monsieur Bapt, nous nous réjouissons de l’approche pluri-annuelle de l’ONDAM, qui correspond à l’une de nos recommandations. L’association à une trajectoire sur trois ans des axes d’économie qui mettent sous contrainte l’ensemble des acteurs constitue un progrès. Nos interrogations portent sur les dispositions qui permettent d’atteindre les objectifs : les fixer ne suffit pas, il faut les respecter ! Nous souhaitons que soit donné un nouveau souffle à l’effort de réorganisation des soins, dont les ambitions se sont émoussées, et dont les instruments ont perdu en efficacité. Nous estimons en particulier qu’il faudrait fixer des normes d’activité, de fonctionnement et d’équipement dans les domaines qui en sont aujourd’hui dépourvus – la médecine ou la chirurgie par exemple. Nous pensons également que les dépenses de soins de ville devraient être plus fortement régulées : nous recommandons par exemple la fixation de forfaits par patient, d’enveloppes de prescription…

Nous constatons que la dépense relative aux analyses de biologie médicale est certes encadrée par une enveloppe, mais que celle-ci entérine en fait des tarifs excessifs au regard des gains de productivité réalisés par les laboratoires.

Nous recommandons aussi l’abaissement du seuil d’alerte, afin qu’il conserve son efficacité et son rôle de régulation de la dépense d’assurance maladie. Nous souhaitons des dispositifs plus complets de suivi et de régulation infra-annuelle des soins de ville.

Vous évoquez la CADES et l’ACOSS, et vous nous demandez si nous jugeons opportune une possibilité évoquée par les ministres dans leur réponse. En matière de déficits, les miracles sont vraiment exceptionnels, et la magie fonctionne très rarement. Le transfert à la CADES de la dette sociale dans la limite du plafond de 62 milliards d’euros pourrait en effet permettre de profiter des très faibles taux d’intérêt actuels et de limiter la part de la dette sociale portée par l’ACOSS. Mais, pour nous, cette mesure n’aurait vraisemblablement qu’un effet transitoire : en anticipant la reprise des déficits maladie et famille par saturation de l’enveloppe de 62 milliards dès la fin de l’année 2015, elle laisserait entière la question de la reprise des déficits prévisionnels vieillesse et FSV de 2016 à 2018, qui représentent tout de même 7,6 milliards d’euros. De même, il faudrait toujours prévoir la reprise des déficits prévisionnels maladie et famille de 2016 à 2018, soit 13,9 milliards. Par ailleurs, cela laisserait à l’ACOSS 7 milliards de déficits antérieurs en 2016. Ainsi, même en tenant compte du léger excédent prévisionnel de la branche AT-MP entre 2016 et 2018, il resterait de l’ordre de 26 milliards de dette sociale à l’ACOSS à la fin de l’année 2018. À cela, il faut ajouter les risques de déficit supplémentaire liés au cadrage macro-économique et aux éventuelles remontées de taux d’intérêt – on pourrait atteindre 4 à 5 milliards d’euros.

En définitive, vous le voyez, les déficits portés par l’ACOSS à la fin de 2018 resteraient proches de l’ordre de grandeur évoqué par la Cour dans son rapport – d’où notre proposition. Il ne sert à rien de repousser certains sujets à plus tard ; en tout cas, cela ne les règle pas obligatoirement à moyen et long terme.

S’agissant du CICE et des intentions du Gouvernement à son égard, notre rapport formule différentes interrogations. À niveau constant de soutien public, les arbitrages gouvernementaux devront tenir compte de facteurs qui jouent dans des sens opposés… C’est toute la difficulté de l’exercice.

S’agissant du tabac et de l’alcool, nous partageons entièrement les préoccupations qui ont été exprimées notamment par Mme Delaunay. Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée a rendu un rapport sur ce sujet, de même d’ailleurs que la Cour. Nous allons nous-même y revenir dans notre rapport public annuel, et une évaluation du coût de l’alcoolisme est en cours. Il s’agit en effet de fléaux très coûteux, et il faut beaucoup de volonté pour réduire leurs effets catastrophiques pour notre société.

S’agissant des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes, ne nous méprenons pas. La Cour ne cherche absolument pas à stigmatiser ces professions ! Nous reconnaissons au contraire leur rôle essentiel dans la chaîne du soin. Mais, malgré toute la sympathie que nous éprouvons pour ces professions, nous devons constater certains phénomènes : cela pose le problème de l’interprétation, voire de la surinterprétation de certains messages de la Cour. Notre récent rapport sur la masse salariale des fonctionnaires a également été l’occasion de quelques présentations caricaturales : il a été présenté comme anti-fonctionnaires, ce qui est d’autant plus absurde que la Cour des comptes est elle-même composée de fonctionnaires… Il s’agissait simplement d’expliquer que certaines situations méritent des réflexions, notamment de la part de la représentation nationale. Lorsque nous formulons des observations sur la durée du travail, nous ne disons pas que globalement les fonctionnaires ne travaillent pas, mais que dans beaucoup de situations la durée effective du travail est inférieure à la durée légale !

Pour les masseurs-kinésithérapeutes, il en va de même : nous constatons une augmentation sensible des actes qui n’est pas semble-t-il totalement corrélée avec le vieillissement de la population et les soins rendus nécessaires par les maladies chroniques. Nous constatons aussi des inégalités très fortes : là où il y a beaucoup d’infirmiers et de masseurs-kinésithérapeutes, les dépenses augmentent très sensiblement, alors que dans les territoires où ils sont absents, la dépense est beaucoup plus contrainte. Nous ne disons nullement que cette situation résulte d’une faute des professionnels concernés ! Mais nous formulons certaines recommandations, y compris à destination des prescripteurs, c’est-à-dire des médecins.

La question des tâches remplies par les uns et les autres a été soulevée : nous appelons aussi à une organisation plus coordonnée – le cloisonnement demeure fort entre les différents professionnels médicaux, para-médicaux et médico-sociaux.

S’agissant des séances de kinésithérapie qui reposent sur la pose d’électrodes, c’est une évolution importante qui peut tout à fait aller dans le bon sens, mais qui doit s’accompagner d’une évolution de la nomenclature. Nous soulignons plus généralement la nécessité de réformer en profondeur la nomenclature des actes infirmiers et masso-kinésithérapeutiques, qui nous apparaît obsolète.

Les transports constituent effectivement un sujet important – 3,8 milliards d’euros de dépenses. Les recommandations que vous avez formulées dans le cadre de la MECSS rejoignent pour beaucoup celles qu’avait faites la Cour des comptes en son temps. Nous avions estimé les économies possibles à 400 à 500 millions d’euros. Tout reste à faire, et il serait heureux que vos recommandations soient suivies d’effet.

S’agissant des établissements médico-sociaux, nous constatons en effet le développement des capacités depuis les années 2000. Celui-ci n’appelle pas de critique en lui-même, mais nous soulignons le faible degré de coordination avec la reconversion des activités hospitalières. De ce point de vue, le développement des capacités médico-sociales est comparable à celui du nombre d’actes de soins à domicile ou dispensés par des professionnels de santé libéraux, qui ne s’est pas accompagné d’un redimensionnement de l’offre hospitalière. Nous n’avons pas évalué précisément le nombre d’hôpitaux qui pourraient être transformés – c’est un sujet sur lequel nous pourrons travailler, d’autant que le projet de loi de modernisation de notre système de santé prévoit des mesures dans ce domaine.

Nous n’avons pas enquêté sur l’accueil des enfants et adultes handicapés, et je ne peux donc pas évaluer les enjeux budgétaires des questions évoquées par Mme Huillier. Nos pouvoirs sont d’ailleurs limités en la matière, puisque nous n’avons pas encore la possibilité de contrôler les établissements privés médico-sociaux. Un amendement au projet de loi de modernisation de notre système de santé, déposé par Mme Delaunay, tend à donner compétence à la Cour pour contrôler les personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social. Il a été adopté à l’unanimité, et même si cela représentera pour la sixième chambre de la Cour et pour les chambres régionales des comptes une charge de travail supplémentaire, nous nous en réjouissons. Nous pourrons ainsi vous offrir une vision plus globale de notre système de soins.

Le FSV est un fonds de financement du risque vieillesse non contributif ; il est insuffisamment financé. Nous formulons différentes propositions. Il faut commencer par éviter de lui retirer des ressources, comme ce fut le cas en 2009 ; il faut également éviter de lui transférer de nouvelles charges sans prévoir les ressources correspondantes ; il faut encore revoir les modalités de détermination des prises en charge de cotisations au titre du chômage indemnisé et non-indemnisé, de même que sa contribution au financement du minimum contributif. Il faudrait enfin prévoir une structure stable de financement par la CSG et par des impôts affectés.

S’agissant du RSI, il faudra sans doute étaler l’augmentation que causerait un alignement : cela représenterait me semble-t-il quelque 150 millions d’euros supplémentaires, et environ 4 % de la masse des cotisations vieillesse prélevées au titre du RSI. Pour assurer le caractère progressif de ce changement, un décret pourrait en effet prévoir une augmentation des taux sur plusieurs années.

S’agissant des pensions de réversion, nous ne formulons pas de préconisations ou de recommandations. Nous faisons quelques constats et suggérons des pistes de réflexion pour corriger des inégalités de situation. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’en matière de retraites, ces économies attendues ou des corrections doivent évidemment s’apprécier à long terme.

Nous n’avons pas examiné la question de la modulation des allocations familiales. Sur le fond, nous nous interdisons d’ailleurs de formuler des appréciations sur une mesure qui relève d’un choix politique. Nous avions en effet noté que l’objectif de redistribution et de réduction des inégalités n’était pas atteint par les politiques publiques. Dans le cadre de notre mission de certification des comptes de la branche famille, nous examinerons les modalités de mise en œuvre de la réforme des allocations familiales. C’est dans notre rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale de l’an prochain que nous pourrons mesurer les conséquences financières de cette réforme par rapport aux gains attendus.

Sur la comparaison, enfin, entre la France et l’Allemagne, nous ne disons nullement qu’il existe un modèle qui devrait s’imposer. Nous nous efforçons d’examiner l’un et l’autre système. Deux points me frappent particulièrement.

D’une part, l’Allemagne a un souci d’équilibre. Honnêtement, ce n’est pas mal ! C’est plutôt responsabilisant, y compris pour les responsables publics. Lorsque la Cour dit que le déficit des comptes sociaux est une anomalie, c’est parce qu’elle constate que ce déficit naît des dépenses courantes : on peut douter de la légitimité de faire financer une partie de ces dépenses par les générations futures, qui auront déjà suffisamment de mal à les financer pour eux-mêmes – et pour nous, qui allons vieillir… Si l’on peut concevoir que l’on tire des traites sur l’avenir pour un temps déterminé, en France, on s’est habitué aux déficits sociaux, et l’on est complètement anesthésié. La dette est cachée sous le tapis à la CADES, l’ACOSS joue un rôle qu’elle ne devrait pas jouer, on oublie les déficits et la dette sociale augmente : 158 milliards d’euros, je le rappelle ! Un principe d’équilibre, sur une certaine période, nous paraît donc assez pertinent. C’est peut-être une leçon à tirer.

D’autre part, il y a la question de la responsabilité, soulignée par M. Sebaoun. L’ensemble des acteurs sont mieux responsabilisés en Allemagne, prescripteurs comme assurés sociaux. L’organisation des prescripteurs est effectivement très différente – chaque pays ayant son histoire propre, tout n’est pas toujours comparable. Les pratiques sont également différentes : par exemple, le recours au générique est beaucoup moins contesté en Allemagne qu’il l’est en France.

Il ne nous paraît donc pas inutile de garder ces points à l’esprit.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Je serai très rapide.

S’agissant de la recomposition de soins, les normes sont fixées par des décrets qui remontent déjà à plusieurs années : la Cour se contente de souligner qu’elles doivent, dès lors qu’elles existent, être appliquées rigoureusement. Il existe des possibilités de dérogation, mais cela ne doit pas signifier une dégradation de la sécurité. Dans certains cas, les inspections compétentes font apparaître des failles dans la sécurité, mais les maternités continuent de fonctionner sans les corriger : le résultat, c’est que les fermetures se font à la suite d’accidents graves, quelquefois mortels pour la mère ou l’enfant.

S’agissant des centres de lutte contre le cancer, nous n’appelons pas à leur fermeture. Nous disons simplement que ce sont souvent de petites structures, qui ont besoin d’être adossées. Elles peuvent s’adosser les unes aux autres. Mais nous notons également que quatorze d’entre elles se situent sur un même site qu’un CHU. Des coopérations existent, mais ce sont des coopérations que je qualifierai de « résignées » : nous les préférerions positives, allant jusqu’à la fusion.

S’agissant de l’insuffisance rénale chronique terminale, des progrès en matière de greffe ont été faits ; d’autres sont possibles. Ainsi, les prélèvements sur des personnes décédées représentent en Grande-Bretagne 40 % des greffons alors que seuls trois établissements sont dans notre pays autorisés à procéder à ce type de prélèvement. C’est infinitésimal. Il est également possible de développer les « dons du vivant ». Dans le domaine de la dialyse, en revanche, nous avons régressé : depuis plus de quinze ans, les pouvoirs politiques ont favorisé une dialyse conforme aux attentes et à la situation sanitaire des patients. Ils ont privilégié des modes de dialyse doux – à qualité égale, bien sûr, d’épuration extrarénale. Or nous constatons l’effondrement de la dialyse à domicile et la stagnation de la dialyse péritonéale, de même que la très faible progression, en douze ans, des dispositifs d’auto-dialyse. En revanche, la dialyse en centres lourds continue de peser bien plus que chez nos voisins ; les unités de dialyse médicalisée qui se juxtaposent aux centres de dialyse lourds ont très fortement augmenté. Des progrès sont donc nécessaires. Les reculs sont insatisfaisants, notamment pour les associations de patients. Nous formulons donc différentes propositions.

En matière, enfin, de politique familiale, le FNAS est évidemment une composante très importante de notre dispositif. En 2015, il représentera 4,8 milliards d’euros, et demeure donc à un très haut niveau. Il est vrai qu’une partie des fonds disponibles, par exemple pour la petite enfance, ne sont pas utilisés, les communes hésitant aujourd’hui à s’engager dans des investissements dans des modes de gardes coûteux.

La gestion de la CNAF nous paraît encore perfectible, tant pour la gestion des prestations, qui présente encore de nombreuses erreurs et anomalies, que pour le recouvrement. Les progrès sont lents, et quelquefois nous constatons même des reculs. Nous documentons tout cela chaque année dans notre rapport de certification des comptes du régime général.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci beaucoup de ces précisions.

La séance est levée à onze heures trente-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 septembre 2015 à 9 heures 30

Présents. – M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Valérie Boyer, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Gérard Cherpion, M. Stéphane Claireaux, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Richard Ferrand, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, Mme Joëlle Huillier, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, Mme Marie Le Vern, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Gilles Lurton, M. Pierre Morange, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Pierre Ribeaud, M. Arnaud Richard, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Jean-Louis Touraine, M. Arnaud Viala, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – Mme Sylviane Bulteau, M. Christophe Cavard, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Isabelle Le Callennec, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean Jacques Vlody