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Commission des affaires sociales

Mardi 22 septembre 2015

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 61

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente et de M. Gilles Carrez, Président de la commission des finances

– Audition publique, conjointe avec la commission des finances, de M. Christian Noyer, préalable à sa nomination au Haut Conseil des Finances publiques par le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 22 septembre 2015

La séance est ouverte à quinze heures quarante.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission,
et de M. Gilles Carrez, président de la Commission des finances)

La Commission procède à l’audition conjointe avec la commission des finances, de M. Christian Noyer, préalable à sa nomination au Haut Conseil des Finances publiques par le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

M. le président Gilles Carrez. J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à nos collègues de la commission des affaires sociales, avec lesquels nous avons toujours plaisir à siéger en formation conjointe. C’est l’occasion de rappeler que le montant du budget de la protection sociale est infiniment plus important que celui du budget de l’État. Nous siégerons du reste à nouveau ensemble lors de l’examen des crédits des différentes missions liées aux affaires sociales, au titre de la seconde partie du projet de loi de finances – PLF – pour 2016.

Nous sommes aujourd’hui réunis en application des dispositions de l’article 11 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Il revient en effet à nos deux commissions d’auditionner les personnalités que le président de l’Assemblée et le président de la commission des finances ont décidé de nommer membres du Haut Conseil des finances publiques.

Je rappelle que cette instance, créée par la loi organique susmentionnée, est présidée par le Premier président de la Cour des comptes – M. Didier Migaud en l’occurrence – et qu’elle comprend en outre dix membres : quatre magistrats de la Cour désignés par son Premier président, quatre membres nommés par les deux chambres du Parlement, un membre nommé par le président du Conseil économique, social et environnemental et, enfin, un membre de droit en la personne du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Le mandat des membres du Haut Conseil est d’une durée de cinq ans et, pour ceux d’entre eux désignés par les assemblées, n’est pas renouvelable. Ils ne peuvent exercer de fonctions publiques électives, qu’elles soient locales ou nationales. En outre, lors de leur nomination, ils remettent au président du Haut Conseil une déclaration d’intérêts rendue publique sur le site internet de cette institution.

Le Haut Conseil est renouvelé par moitié tous les trente mois. Afin d’assurer la mise en place de ce renouvellement par moitié, la loi organique a prévu que, à titre dérogatoire, la moitié des membres nommés en mars 2013 en vue de l’installation du Haut Conseil, désignés à l’issue d’un tirage au sort, n’exerceraient qu’un mandat de trente mois. Parmi eux se trouvaient la personnalité désignée par le président du Sénat, M. Michel Aglietta, et celle que j’avais moi-même nommée, Mme Marguerite Bérard-Andrieu.

La loi organique pose en outre un principe de parité aux termes duquel un homme doit succéder à une femme et réciproquement. On mesure ainsi à quoi servent les lois et à quel degré de précision – extraordinaire – elles parviennent.

Il convenait donc, cette fois-ci, que le président du Sénat désigne une femme, et il a d’ores et déjà nommé Mme Valérie Plagnol, que les commissions du Sénat ont entendue le 21 juillet dernier. Pour ma part, ainsi que m’y a invité le président du Haut Conseil, il me revenait de nommer un homme garantissant les garanties de compétences nécessaires « dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques ».

Mon choix s’est porté sur l’actuel gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, que les membres de la commission des finances connaissent bien puisque nous l’avons auditionné à de nombreuses reprises au cours des quelque douze années durant lesquelles il a exercé cette fonction. La présente audition diffère de celles auxquelles nous avons procédé à plusieurs reprises ces derniers mois puisqu’elle n’est pas suivie d’un vote, alors que, le 29 septembre prochain, après que nous aurons reçu la personnalité proposée par le Président de la République pour succéder à M. Noyer à la Banque de France, nous voterons.

Nous sommes réunis avec la commission des affaires sociales comme ce fut le cas il y a un peu plus de deux ans pour Mme Bérard-Andrieu, pour M. Jean Pisani-Ferry et, après sa nomination comme commissaire général de France Stratégie, pour son remplaçant M. François Bourguignon.

Enfin, je précise que les fonctions de gouverneur de la Banque de France que M. Noyer exercera jusqu’à la fin du mois prochain n’interféreront nullement avec ses nouvelles fonctions. Il ne participera pas, en effet, au cours de ces quelque cinq semaines, aux travaux concernant la préparation du projet de loi de finances pour 2016. Nous auditionnerons du reste M. Didier Migaud mercredi 30 septembre, juste avant de recevoir le ministre des finances et le secrétaire d’État au budget.

Le Haut Conseil compte de nombreuses personnalités particulièrement compétentes dans le domaine des finances publiques. Nous sommes convenus, le président Migaud et moi-même, qu’une personnalité compétente en matière de politique monétaire serait particulièrement appréciée, et c’est pourquoi j’ai décidé de procéder à la nomination de M. Noyer, qui pourra exercer pleinement ses nouvelles fonctions dès le prochain avis que le Haut Conseil sera amené à rendre, courant novembre, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2015.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je remercie nos collègues de la commission des finances de nous accueillir dans leur salle de réunion.

Les finances sociales répondent à des problématiques spécifiques et ne sauraient donc être appréhendées de la même manière que les finances publiques stricto sensu. Ainsi, si l’on annonce un léger recul de la pauvreté et de l’exclusion en France, les finances sociales n’y sont pas étrangères, en particulier depuis le lancement par Jean-Marc Ayrault du plan contre l’exclusion et la pauvreté. Les finances sociales pèsent lourd, en effet – vous avez raison de le rappeler, monsieur le président Carrez – et, derrière ce budget, il y a la vie de tous nos concitoyens, en particulier de ceux qui se trouvent en grande difficulté sociale.

La plus grande partie de votre carrière, monsieur Noyer, s’est déroulée dans le monde bancaire, économique, financier, monétaire – et il est vrai que nous avons également besoin de ce type de compétence pour gérer les finances publiques ; aussi, au regard de cette expérience, les membres de la commission que je préside souhaitent-ils savoir ce que vous pensez des finances sociales en France.

M. Christian Noyer. Je viens devant vous avec une certaine émotion car c’est, cette fois, au titre de fonctions futures, fussent-elles modestes puisque exercées au sein d’un collège. Lorsque le président Carrez m’a proposé de me nommer au Haut Conseil des finances publiques, je l’ai accepté avec plaisir car j’estime le rôle de cet organisme très important. C’est un des aspects fondamentaux de la réforme de la gouvernance décidée en Europe que d’avoir, dans chaque pays, un « conseil budgétaire » – en France, le Haut Conseil des finances publiques – afin de renforcer la cohésion de la zone euro, la crédibilité de la trajectoire des finances publiques et la confiance des citoyens, des acteurs des marchés financiers et de l’ensemble des observateurs. C’est essentiel pour la qualité des perspectives de croissance et pour le bien-être de tous.

Je ne reviens pas sur le calendrier évoqué par le président Carrez. Naturellement, même s’il n’y a sans doute pas de risque de conflit d’intérêts, il me semble indispensable de ne pas mélanger des responsabilités – fussent-elles modestes – dans le domaine budgétaire, avec les responsabilités que j’exerce en ce moment dans le domaine monétaire.

Pourquoi le Haut Conseil est-il à mes yeux un organisme important, et que pourrai-je y apporter ? Les prévisions macroéconomiques sont évidemment un des facteurs-clefs pour établir des prévisions réalistes en matière d’équilibre – au sens générique du terme – des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Quelle que soit leur qualité – et elle est grande –, les prévisions du ministère des finances méritent d’être confrontées aux questionnements d’experts sur la façon dont elles sont fabriquées, sur la cohérence des éléments qui les sous-tendent ; elles méritent également d’être confrontées à d’autres prévisions émanant d’organismes publics internationaux français ou privés, de façon à délivrer au Parlement un avis éclairé devant nourrir le débat le plus scientifiquement fondé
– aucune prévision n’étant absolument sûre et exacte quoi qu’il arrive –, qui corresponde en tout cas autant que possible à l’état de l’art.

De la même façon, en matière de finances publiques, il est très important de veiller à la cohérence entre les objectifs annuels et les objectifs pluriannuels. Il convient de s’efforcer de détecter ce qui, dans les prévisions annuelles, correspond au fameux solde structurel, à ce qui est normalement réplicable, sauf modification des politiques de recettes ou de dépenses par le Parlement, et ce qui tient à des facteurs temporaires, à des événements ou à des décisions qui n’ont un effet que pour une année donnée. Ainsi, bien identifier les écarts éventuels entre le solde structurel et le solde conjoncturel permettra d’assurer la crédibilité de la trajectoire des finances publiques et de faire en sorte que vos débats, j’y insiste, se fondent sur des éléments aussi robustes que possible. Ensuite, quand des mesures de correction de trajectoire sont prévues, il est important que vous disposiez, de la part d’un organisme indépendant, du maximum d’éclairage sur les effets attendus.

Pourquoi ai-je le sentiment que je pourrai y contribuer utilement ? Il est toujours très difficile de juger soi-même de ses éventuelles compétences et qualités ; reste qu’il me semble que, par de nombreux aspects, mon expérience, les responsabilités que j’ai eu l’honneur d’exercer m’y préparent relativement bien. Mes propres services ont commencé à publier cette année des prévisions macroéconomiques allant au-delà des deux prochains trimestres. En outre, la Banque centrale européenne – BCE – publie des prévisions pour l’ensemble de la zone euro, établies en cohérence avec celles réalisées par chaque banque centrale nationale pour son propre pays. Mes services ont par conséquent modernisé leurs modèles et, à chaque fois que nous publions une prévision – pour le prochain trimestre, pour l’année suivante ou pour les trois années à venir –, je ne la modifie jamais – c’est une question d’éthique personnelle –, mais je m’assure de la cohérence du travail de mes économistes. Je leur pose à chaque fois des questions précises sur la robustesse des données observées – on sait que certaines séries sont révisées plus que d’autres –, sur les raisons pour lesquelles ils ont introduit certains éléments à dire d’expert ; il s’agit, en bref, de tester la résilience de leurs prévisions.

En matière de cohérence entre les prévisions macroéconomiques et les prévisions de finances publiques, nous réalisons également ce type d’analyses mais en publions très peu
– cependant que la BCE, pour sa part, fait paraître des analyses agrégeant les données pour l’ensemble de la zone euro, analyses cohérentes, donc, avec nos propres prévisions pour la France. Je m’étais en outre entendu avec le Premier président de la Cour des comptes pour considérer que nous n’avions pas à brouiller son message, étant entendu que ce type de publication est de sa responsabilité éventuelle. J’ai également l’habitude de discuter avec les économistes des relations, de la cohérence entre l’évolution des grandeurs macroéconomiques et les soldes des principaux éléments de finances publiques.

Je n’insisterai pas sur la nécessaire indépendance du Haut Conseil. J’ai en effet quelque expérience en la matière, et l’indépendance ne signifie pas qu’il faille donner dans l’autisme. Il s’agit non seulement de ne jamais accepter de pressions, de les décourager d’où qu’elles viennent, mais encore de garantir la confidentialité des débats d’un collège et de veiller à l’unicité de sa communication, qui doit essentiellement passer par son président.

Enfin, je n’ai pas qu’une vision extérieure des finances publiques : j’ai été directeur du Trésor, mais aussi directeur de cabinet d’un ministre de l’économie qui avait la responsabilité d’établir les prévisions macroéconomiques pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, puis d’un ministre de l’économie et des finances qui avait également la responsabilité de la présentation et de l’exécution du budget.

M. Dominique Lefebvre. La nomination de M. Noyer au Haut Conseil des finances publiques relève de votre seule responsabilité, monsieur le président, et, vous l’avez rappelé, nous n’aurons pas à nous prononcer par un vote. Je tiens néanmoins à souligner que le parcours, les compétences et l’indépendance d’esprit bien connus de l’actuel gouverneur de la Banque de France en font un choix particulièrement judicieux.

Dans un éditorial portant sur le très intéressant rapport d’activité des années 2013-2014, le président Didier Migaud rappelle que les concepts utilisés par le Haut Conseil, et sur lesquels ce dernier doit se prononcer prochainement – la croissance potentielle et le solde structurel notamment –, sont fragiles et particulièrement difficiles à manier en période de crise. D’un côté, l’appréciation portée sur les hypothèses macroéconomiques par cet organisme indépendant est importante pour le débat public national et international et conduit les gouvernements actuels et futurs à faire preuve de prudence ; d’un autre côté, les concepts dont nous débattons souvent ne sont pas faciles à manier et peuvent aboutir à des interprétations différentes, notamment quant à l’effort structurel réellement accompli et quant à sa pertinence sur la trajectoire des finances publiques.

Je souhaite savoir comment le gouverneur aborde ces notions et comment on peut essayer de clarifier ce débat.

M. Charles de Courson. Cette réunion tient davantage de la conversation que de l’audition et je m’en réjouis ; je considère comme notre collègue Lefebvre que le « futur ex-gouverneur » de la Banque de France est un très bon choix.

Ma première question hante nos débats avec le Haut Conseil. Pensez-vous que le concept de déficit structurel, d’ailleurs sous-tendu par un autre concept, celui du taux de croissance potentiel à moyen et long terme, est encore adapté à la situation économique actuelle ?

Ensuite, que pensez-vous de la fiabilité des modèles macroéconomiques existants en France et, plus largement, du monopole de la direction de la prévision de la direction générale du Trésor sur les éléments nourrissant ces modèles ?

Enfin, a posteriori, que pensez-vous des prévisions macroéconomiques retenues par les gouvernements successifs avant et après la création du Haut Conseil ? En d’autres termes, pensez-vous que le Haut Conseil a exercé une pression sur ces gouvernements pour qu’ils se montrent plus réalistes dans leurs prévisions macroéconomiques ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je me réjouis également du choix du président de la commission des finances puisque l’expérience de M. Noyer à la Banque de France sera une garantie de professionnalisation – s’il en est encore besoin –, en tout cas d’amélioration de la qualité des travaux du Haut Conseil.

Vous avez évoqué, monsieur Noyer, la crédibilité de la trajectoire des finances publiques et le fait que le Parlement et, plus encore, le Gouvernement, ont besoin d’éléments robustes pour l’étayer. Or, au risque de vous paraître d’une grande naïveté, j’ai l’impression que, depuis au moins deux ans, lorsqu’on nous présente le budget, la variable d’ajustement est le curseur entre solde structurel et solde conjoncturel, ce qui me semble intenable à long terme. Aussi aurons-nous besoin d’une vraie explication de texte, de votre expérience, monsieur le gouverneur.

Comme le disait très bien Charles de Courson, nous avons affaire à différents modèles macroéconomiques et on a l’impression qu’en les mixant on parvient à tordre un peu les chiffres de façon à les rendre acceptables. Ce n’est pas la meilleure façon de rendre crédible l’art des finances publiques.

Aussi je souhaite connaître votre point de vue sur le sujet et, reprenant une des questions de Charles de Courson, je ne suis pas sûre que le Haut Conseil influence beaucoup les gouvernements mais au contraire que ces derniers, parfois, cherchent à influencer le Haut Conseil. Or, il faut rappeler, comme vous l’avez fait, monsieur Noyer, la nécessité impérieuse de la neutralité du Haut Conseil des finances publiques.

M. Lionel Tardy. Monsieur le gouverneur, votre expérience est indiscutable et il est presque logique qu’elle soit utilisée au sein du Haut Conseil des finances publiques.

Selon vous, les prévisions de croissance ont-elles encore un sens aujourd’hui alors que les hypothèses sont sans cesse révisées ? Depuis sa création, le Haut Conseil a beaucoup contribué à modérer les prévisions de croissance du Gouvernement. Pensez-vous qu’il devrait, comme certains de ses homologues européens, procéder lui-même à des prévisions macroéconomiques ?

Enfin, le Haut Conseil se penche sur l’ensemble des administrations publiques et donc, parmi elles, sur les collectivités territoriales. À ce titre, pensez-vous que la baisse des dotations de l’État – pour un montant de 11 milliards d’euros en 2017 et dont la moitié concerne les communes – soit soutenable étant donné le poids de la commande publique en France ?

M. Arnaud Richard. Votre curriculum vitae, monsieur le gouverneur, montre combien vous êtes l’homme de la situation pour exercer les nobles fonctions auxquelles le choix du président de la commission des finances vous destine.

Nous sommes très sensibles, au sein de la commission des affaires sociales, à la prise en compte des finances sociales et de leur spécificité dans le cadre des finances publiques. Aussi, trouveriez-vous pertinent, comme le pensent nombre de nos collègues, de fusionner le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS – ou, à tout le moins, que le PLFSS s’inspire davantage de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF ?

La protection sociale est très dépendante des prévisions en matière de finances publiques. Ne serait-il pas pertinent, dès lors, de rapprocher le Haut Conseil du financement de la protection sociale et le Haut Conseil des finances publiques ?

Quelles seraient vos propositions pour améliorer le travail du Haut Conseil ? Celui-ci va-t-il émettre des recommandations fiscales et économiques et aller plus loin dans l’expertise et l’analyse indépendante qu’il doit proposer au Gouvernement ?

Enfin, votre parcours vous conduira-t-il à faire preuve d’indulgence ou de sévérité pour les prévisions des gouvernements successifs ?

M. Éric Straumann. L’État soutiendra à hauteur de 3 milliards d’euros les collectivités territoriales qui ont souscrit des emprunts déstructurés – on parle aujourd’hui d’emprunts toxiques. Cette intervention vous paraît-elle justifiée, sachant que l’État demande un effort non pas de 11 milliards d’euros jusqu’en 2017, mais bien de 30 milliards – montant de la baisse des dotations aux collectivités locales ? N’aurait-il pas été préférable de laisser ces 3 milliards d’euros à la charge des banques elles-mêmes ?

M. Éric Alauzet. En ce qui concerne le débat autour du déficit structurel et du déficit conjoncturel, ne court-on pas après un mythe ? Pensez-vous que cette séparation est toujours aussi pertinente ? Une partie du déficit conjoncturel ne devient-elle pas en effet progressivement structurelle quand on prévoit un taux de croissance annuel, à moyen et long terme, d’environ 1 % ?

Ensuite, vos futurs collègues – que nous auditionnons régulièrement – évoquent souvent le respect de la trajectoire des finances publiques, c’est leur rôle, et presque exclusivement le respect de la maîtrise de la dépense. Pensez-vous avoir à vous occuper également des recettes ? Je fais allusion non pas à une augmentation des impôts, mais à l’amélioration de leur collecte…

M. Dominique Dord. Je vais poser une question impertinente. Le Président de la République vient d’annoncer son intention de baisser les impôts. N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir baisser les impôts, ce qui risque d’accroître les déficits, tout en prétendant réduire ces derniers par la baisse des dotations aux collectivités ?

M. Jean-Louis Costes. Après une question impertinente, une remarque pertinente : j’ai l’impression que, dans notre pays, plus on prédit, moins on agit !

Mme Véronique Louwagie. Les prévisions macroéconomiques sont essentielles pour nous ; voilà pourquoi les analyses du Haut Conseil des finances publiques nous sont précieuses. Dans ce cadre, plusieurs éléments substantiels ont été retenus, notamment en vue des comptes 2015. Parmi eux, la baisse de près de 40 % du prix du baril de pétrole, la dépréciation de l’euro, d’environ 20 %, mais aussi les baisses d’impôts et de cotisations pour les entreprises au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, annoncées dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité, dans le but de réduire le coût du travail. Or, aujourd’hui, certaines de ces exonérations sont reportées. Dans ce contexte, comment ajouter foi aux prévisions ?

M. Pascal Terrasse. J’aimerais vous interroger, monsieur le gouverneur, sur les modèles de calcul de la croissance. Plusieurs pays européens – sans parler de certains pays africains – bénéficient aujourd’hui d’une croissance très forte mais ne créent pas d’emplois pour autant. En outre, notre modèle pose un problème eu égard à ce que l’on appelle communément l’économie collaborative : une économie de pair à pair dans laquelle les échanges passent par des plateformes, parfois situées à l’étranger, et se font en cash ; bref, une économie souterraine, qui échappe à tout contrôle. Le Sénat s’est emparé de ce dossier. Selon certains experts, dans une dizaine d’années, ce sont quelque 350 milliards de dollars qui, au niveau mondial, transiteront par l’économie collaborative. Comment les prévisionnistes économiques, dont vous êtes, intègrent-ils celle-ci à leurs calculs ?

M. Gérard Sebaoun. La commission des affaires sociales a auditionné M. Didier Migaud il y a quelques jours. Parmi les préconisations de la Cour des comptes figure le transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale de la dette de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, notamment pour se prémunir contre la possible évolution des taux d’intérêt. Qu’en pensez-vous ?

M. le président Gilles Carrez. Lors de nos échanges avec le Haut Conseil, nous parlons beaucoup de solde conjoncturel, de solde structurel, de solde nominal. Mais, au-delà de l’analyse des prévisions macroéconomiques et du taux de croissance, le Haut Conseil va devoir s’intéresser de plus en plus à l’amélioration des règles de gouvernance des finances publiques. Ma question, très simple, rejoint le point de vue que nous expose régulièrement M. Didier Migaud : pouvons-nous nous autoriser un déficit de l’assurance maladie ? N’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Et ne s’agit-il pas là d’une singularité française ?

M. Christian Noyer. Merci beaucoup de ces questions.

Madame la présidente, la sécurité sociale – pour ne considérer que ses aspects économiques, abstraction faite de sa dimension politique ou morale – est dans son principe un facteur fondamental de croissance. En effet, ce filet de protection, du moins s’il est suffisamment bien géré, rassure les citoyens, ce qui les encourage à arbitrer de manière optimale entre épargne et consommation. A contrario, pourquoi, en Chine, le taux d’épargne est-il proche de 50 %, après avoir dépassé ce chiffre pendant plusieurs années ? C’est qu’en dépit de l’accroissement très rapide du niveau de richesse individuelle grâce à la très forte croissance économique que connaît le pays depuis dix ou quinze ans, le consommateur a été incité à épargner une part importante de son revenu – quel qu’en soit le niveau – par l’absence de système généralisé de retraite, de couverture maladie – et, d’ailleurs, d’un enseignement supérieur qu’il soit possible de financer sur ses revenus courants, du moins pour la majeure partie de la population. Les autorités chinoises ont décidé de passer d’un système économique largement fondé sur la croissance des exportations, et qui atteignait ses limites, à un modèle faisant davantage appel à la consommation intérieure : ce basculement implique un immense chantier de réformes structurelles, notamment la création d’un filet basique de sécurité sociale.

Ma seconde conviction s’agissant des finances sociales est la suivante, monsieur le président : il est contre nature d’accumuler des déficits en matière sociale de manière constante – je ne parle pas des situations accidentelles, conjoncturelles. En particulier, l’assurance maladie correspond par essence à des dépenses courantes : son budget doit être équilibré. Financer ces dépenses à crédit, cela revient à emprunter pour acheter des biens de première nécessité : on n’imagine pas demander à son boulanger un crédit sur vingt-cinq ou trente ans que l’on fera rembourser par ses enfants ! Il s’agit d’une grave anomalie, sans doute propre à la France, en effet.

De même, un système de retraites par répartition doit par définition répartir ce qui est collecté. Certes, là encore, on peut observer un léger désajustement d’une année sur l’autre ; mais l’accumulation d’une dette sociale n’a pas de sens dans un régime par répartition. La possibilité d’un désajustement temporel implique un système de capitalisation.

Comment revenir à l’équilibre à travers les dépenses, les recettes, et à quel rythme, sans nuire excessivement à l’évolution économique ? C’est un autre sujet. Quoi qu’il en soit, l’objectif d’équilibre me paraît encore plus essentiel en matière de comptes sociaux que s’agissant du budget de l’État. Dans ce dernier domaine, dès lors que la dette reste à un niveau soutenable, on peut justifier en théorie un déséquilibre affectant les dépenses d’investissement, qui produiront des rendements économiques futurs. En revanche, on peut appliquer aux dépenses de fonctionnement le même raisonnement qu’aux finances sociales.

Les finances sociales ne sont-elles pour autant qu’un pan des finances publiques, de sorte que l’on aurait intérêt à fusionner le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou en tout cas à les soumettre l’un et l’autre à la LOLF ? C’est une question importante, monsieur Richard, mais sur laquelle je n’ai pas à ce jour de position arrêtée. Intuitivement, il me semble préférable de conserver deux instruments différents pour traiter deux ensembles aussi massifs, tout en assurant leur cohérence par la loi de programmation des finances publiques, afin d’offrir au Parlement un point de vue global, donc la possibilité d’un choix également global.

En ce qui concerne les modèles macroéconomiques, il est certain qu’aucun n’est infaillible : tous dépendent des hypothèses dont on les nourrit, concernant par exemple l’évolution des cours de change, du prix du pétrole, ou la déformation de la demande mondiale. Si certains éléments sont fondés sur l’observation du passé ou la poursuite de séries, d’autres supposent l’injection de dires d’experts. Pour que la prévision soit la plus robuste possible, il convient, j’en suis convaincu, de croiser différents types de modèles, tous fondés, naturellement, sur des données scientifiques bien établies : modèles d’équilibre économique général, modèles dynamiques et stochastiques d’équilibre général – DSGE pour Dynamic Stochastic General Equilibrium –, ou modèles se focalisant davantage sur certains aspects de l’évolution économique et de la croissance.

La différence entre conjoncturel et structurel a-t-elle encore un sens ? Quant au fond, oui : une décision entraînant une dépense ou une recette exceptionnelle, qui a vocation à n’exister qu’une seule année, constitue bien un élément conjoncturel ne modifiant pas le solde structurel. Cela dit, la détermination du solde structurel lui-même dépend du taux de croissance potentiel, de l’hypothèse de rattrapage des écarts de production entre le PIB réel et le niveau de PIB que l’on pourrait atteindre si l’économie tournait à plein régime en utilisant au mieux tous les facteurs de production disponibles. Or, cette notion est assurément fragile.

S’agissant du calcul du PIB potentiel, il existe en effet des divergences significatives entre le Fonds monétaire international et l’Organisation de coopération et de développement économiques, notamment ; on peut s’accorder sur des ordres de grandeur, des fourchettes, mais chaque organisme a sa propre appréciation. La situation est d’autant plus difficile que tous concluent à une baisse du PIB potentiel du fait de la crise : les facteurs de production deviennent obsolètes par suite d’un sous-investissement de plusieurs années, et le facteur travail lui-même souffre d’une perte de qualification puisque les travailleurs tenus à l’écart du marché du travail ne peuvent suivre de près l’évolution des techniques. Tout cela ne signifie pas que le PIB potentiel ne pourra pas augmenter à nouveau, mais ce ne sera que progressivement, et à condition de stimuler l’investissement et d’accélérer la réinsertion de ces personnes sur le marché du travail, le cas échéant en les formant à nouveau, pour tenir compte de l’évolution des techniques ou de celle de l’offre de travail en fonction de la compétitivité des différents secteurs dans un pays donné, ainsi que de la demande.

Lorsque l’on s’attache à l’effort structurel consenti d’une année sur l’autre, la précision est bien plus grande et les écarts bien moindres entre les estimations issues des différents modèles macroéconomiques, même nourris de quelques dires d’experts. En d’autres termes, le Haut Conseil des finances publiques devrait être en mesure de vous indiquer avec une relative certitude si l’effort structurel consenti dans un projet de loi de finances ou dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale est de l’ordre de 0,5 %, deux fois moindre, ou une fois et demie plus élevé. En revanche, en ce qui concerne le solde structurel, les estimations du déficit varient bien davantage – de 4 % à 1 %, 2 %, 3 % ou 6 %. Ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain : nous avons là un instrument de mesure de ce qui est fait d’une année sur l’autre et de l’effet des dispositions que vous votez, non seulement d’une année sur l’autre mais de manière continue si ces dispositions sont réplicables.

J’en viens au problème délicat des collectivités territoriales. Je ne crois pas que le Haut Conseil des finances publiques ait à suggérer une autre politique budgétaire que celle que le Gouvernement projette et que le Parlement vote : il est là pour éclairer les conséquences des choix qui peuvent être faits, donc pour vous donner des éléments de décision. S’agissant de la baisse des dotations, je serai d’autant plus prudent et modeste que je connais beaucoup moins bien les finances locales que les commissaires ici présents. Mais il me semble que l’on a pu observer au niveau macroéconomique une croissance, difficile à expliquer de l’extérieur, des dépenses courantes et en particulier des dépenses de personnel, par l’évolution non seulement des effectifs mais aussi de la rémunération moyenne par tête. La croissance des dépenses locales n’est donc pas liée aux seuls besoins d’investissement, mais également à une évolution, peut-être inéluctable, qui met sous tension l’ensemble des finances publiques.

S’agissant des emprunts dits toxiques, si ma mémoire est bonne, le fonds d’intervention est alimenté pour partie par le budget de l’État et pour partie par les établissements de crédit, même s’ils ne sont pas créanciers de ces emprunts : la prise en charge étant forfaitaire, il y a des gagnants et des perdants. J’ai toujours jugé insupportables ces emprunts baroques, avant même que le scandale n’éclate. J’avais d’ailleurs conseillé aux ministères des finances et de l’intérieur – pas publiquement, hélas – de les interdire purement et simplement. À l’époque, on m’avait opposé le principe de libre administration des collectivités territoriales. Il est regrettable qu’une alerte publique n’ait pas été lancée et je prends ma part de responsabilité à cet égard.

Chaque cas est un cas d’espèce, mais il faut probablement distinguer deux types de collectivités. D’une part, les petites collectivités qui n’avaient pas les moyens d’analyser, de juger et de comprendre ce dont il retournait et à qui l’on a fait valoir la possibilité d’accroître leurs dépenses sans effet immédiat sur le budget – ce qui aurait assurément dû alerter les responsables, car on fabrique rarement de l’argent à partir de rien. D’autre part, les grandes, qui ont parfois cherché des services financiers de conseil en structuration d’emprunt et lançaient des appels d’offres mentionnant explicitement des emprunts structurés dont la charge d’intérêts soit faible ou nulle au cours des deux ou trois premières années, souvent avant des échéances électorales. Dans certains cas, la banque est entièrement à blâmer ; dans d’autres, elle n’aurait peut-être pas dû se laisser entraîner dans une concurrence absurde au point de fournir un produit inadapté, mais la responsabilité des collectivités de l’époque est engagée.

Pour toutes ces raisons, le sujet est extrêmement délicat. Un dispositif dans lequel les banques paient un peu et les collectivités paient une partie, tandis que l’État les aide à sortir de ces emprunts dans les meilleures conditions possibles, est sans doute la meilleure issue. Mais, je le répète, je le dis avec prudence et, je l’espère, modestie.

L’équilibre entre la maîtrise des dépenses et celle des recettes relève d’un choix éminemment politique qui ne peut que vous appartenir. À cette fin, le Haut Conseil peut et doit vous apporter des éléments permettant de juger de l’effet macroéconomique de telle ou telle mesure. De manière générale, on sait qu’au niveau de dépenses où nous sommes, l’effet négatif d’une réduction des dépenses est supérieur à celui d’une hausse des recettes. Toutefois, ce qui est vrai globalement ne l’est pas toujours dans le détail. Ce point justifie donc une confrontation, assez complexe au demeurant, fondée sur la mise en œuvre de différents modèles macroéconomiques et sur la vérification de diverses hypothèses.

En outre, tout dépend des circonstances : une très forte baisse du prix du pétrole, donc des produits pétroliers, comme celle que nous connaissons cette année améliore le pouvoir d’achat des ménages et, toutes choses égales par ailleurs, les flux de trésorerie des entreprises, ce qui devrait soutenir la demande de consommation comme d’investissement. Mais de tels éléments sont généralement considérés par les ménages et les entreprises comme temporaires, non sans raison, de sorte qu’ils ont des effets beaucoup moins marqués sur la consommation et l’investissement qu’une mesure qui semble plus pérenne car plus structurelle. Ainsi, la légère augmentation de la fiscalité des produits pétroliers – la hausse de 2 centimes de la taxe sur le diesel – adoptée en loi de finances pour 2015 a sans doute sur la croissance et la consommation un effet négatif limité. Néanmoins, je le répète, tout cela peut varier selon le contexte et mérite d’être vérifié.

La relation entre croissance et emploi est complexe. C’est toujours avec retard que l’accélération de la croissance se traduit par la reprise du marché de l’emploi, car il existe souvent dans les entreprises, de manière cachée, des facteurs de production inexploités. Ainsi, les entreprises ont tendance à réagir à la hausse de la demande en faisant travailler à plein temps l’ensemble du personnel et en utilisant mieux le capital. C’est seulement, sauf cas d’obsolescence, lorsque les capacités de production sont pleinement utilisées ou lorsque l’on prévoit qu’elles vont l’être que le multiplicateur d’investissement entre en jeu : commandes d’investissement, créations ou améliorations de l’emploi chez les fabricants de biens en capital, de biens d’investissement ; bref, un cercle vertueux se crée.

En outre, la manière dont la croissance se traduit par des emplois varie assez fortement selon les secteurs d’activité et selon que les entreprises y sont ou non suffisamment compétitives pour que la demande, française ou étrangère, puisse être largement satisfaite en France. Enfin, cette année, il est un facteur qui joue beaucoup aux États-Unis – moins en Europe, sauf dans certains pays, mais cela peut changer : la variation du taux de participation à la population active. La France est peu concernée : son système de protection sociale en cas de chômage étant l’un des plus généreux au monde, l’incitation à la reprise d’emploi y est plus faible.

L’économie collaborative, comme de manière générale l’économie non apparente, complique l’évaluation de la croissance. Elle peut aussi réduire l’assiette de l’impôt. C’est donc un phénomène qu’il convient de suivre de près. Elle est difficile à mesurer, puisque, par définition, elle n’est pas déclarée. Quant au choix des moyens de la combattre, il relève des pouvoirs publics.

M. le président Gilles Carrez. Merci, monsieur le gouverneur, pour cet exposé très complet.

La séance est levée à seize heures quarante-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 22 septembre 2015 à 15 heures 30

Présents. – M. Jean-Louis Costes, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun

Excusés. – Mme Véronique Massonneau, Mme Dominique Orliac