Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires sociales > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Mercredi 4 novembre 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente, de Mme Frédérique Massat, Présidente de la Commission des affaires économiques, et de M. Jean-Paul Chanteguet, Président de la Commission du développement durable

– Auditions, communes avec les commissions des affaires économiques, du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur le dialogue social et la situation économique d’Air France :

• de M. Frédéric Gagey, président-directeur général d’Air France

• de l’Intersyndicale d’Air France

• de la CFDT et de la CFE-CGC d’Air France

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 4 novembre 2015

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission,
de Mme Frédérique Massat, présidente de la Commission des affaires économiques,
et de M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable
et de l’aménagement du territoire)

La commission procède d’abord à l’audition, commune avec les commissions des Affaires économiques, du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur le dialogue social et la situation économique d’Air France, de M. Frédéric Gagey, président-directeur général d’Air France.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous innovons ce matin à plus d’un titre, puisque les réunions que l’actualité économique et sociale nous conduit à organiser sont communes à trois Commissions permanentes de l’Assemblée et que nous auditionnerons successivement M. Frédéric Gagey, président-directeur général d’Air France, les représentants de l’intersyndicale d’Air France, et enfin les syndicats CFDT Air France et CGC d’Air France. Je souligne qu’il ne s’agit pas d’une procédure exceptionnelle, ni de la création d’une mission d’information sur la situation de la compagnie.

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, en charge des transports, n’a pas attendu les événements du 5 octobre dernier, lors du comité central d’entreprise (CCE), pour qu’Air France soit au centre de ses préoccupations. Depuis le début de la législature, nous n’avons pas manqué de nous intéresser tout particulièrement au contexte de plus en plus tendu de la concurrence dans le transport aérien et à la situation de notre compagnie nationale. Nous avions d’ailleurs prévu depuis trois semaines d’auditionner M. Gagey, mais, en accord avec lui, je n’ai pas souhaité précipiter cette audition afin de ne pas interférer avec la reprise des négociations.

Deux points ont toujours guidé notre attention : d’une part, le contexte stratégique dans lequel évolue le groupe Air France-KLM et sa réaction face au bouleversement du marché aérien, et, d’autre part, le contexte interne à l’entreprise et les modalités du dialogue social, clé de la réussite des plans stratégiques successifs.

Sur le premier point, vous êtes, monsieur le président-directeur général, venu en septembre 2013 nous présenter le plan Transform 2015. Le 30 septembre 2014, M. Alexandre de Juniac, président-directeur général d’Air France-KLM, nous a présenté le plan Perform 2020, basé sur la restructuration de l’activité moyen-courrier et l’amélioration de la productivité en vue de réduire les coûts. À cette occasion, il nous a également expliqué l’échec de la création de Transavia Europe et les modalités du développement de Transavia France.

Depuis lors, les annonces se sont multipliées. Il serait utile que vous rappeliez les raisons et le contenu des plans successifs annoncés, qui semblent soit se superposer soit entrer en contradiction les uns avec les autres. Récemment, il a beaucoup été question dans les médias du plan de restructuration, dit plan B, qui comporterait une réduction de l’offre long-courrier et pourrait conduire à la suppression de 3 000 postes, dont un millier d’emplois par la voie des départs volontaires dès 2016. Il y a peu, a été avancée la proposition de moduler les contrats de travail des pilotes et de différencier leur rémunération selon les efforts de productivité qu’ils accepteraient.

Je pourrais résumer nos premières interrogations par une seule : où en êtes-vous des plans de restructuration de la compagnie et comment s’articulent-ils avec les propositions que vous avez formulées au cours des comités centraux d’entreprise des 22 et 23 octobre ?

En ce qui concerne le dialogue social dans l’entreprise, second volet de nos interrogations, il nous a toujours semblé nécessaire que celui-ci se renouvelle, et qu’il ne soit pas fondé sur le conflit mais bien sur la concertation et la négociation. Il faut bien reconnaître que les deux dernières années n’ont pas été exemptes de conflits : la grève qui a affecté la compagnie en septembre 2014, la plus longue depuis 1993, laissera d’autant plus de traces qu’elle n’a pas débouché sur la conclusion d’un accord formel avec les syndicats de pilotes et qu’elle a marqué durablement la clientèle.

Pourtant, les plans de restructuration Transform puis Perform ont fait l’objet de consultations avec les syndicats ou ont été élaborés avec les salariés, les propositions de croissance selon les secteurs ayant été non seulement discutées mais bâties avec eux.

Alors que les négociations doivent reprendre sur les dernières propositions que vous formulez, il semble que les premières listes de salariés concernés par les départs en 2016 commencent à être envoyées. Ne craignez-vous pas que de tels télescopages perturbent les négociations internes à l’entreprise ?

M. Frédéric Gagey, président-directeur général d’Air France. Permettez-moi, dans un premier temps, de vous reprendre sur deux points. Tout d’abord, le conflit de septembre 2014, qui a douloureusement marqué la vie de la compagnie, a abouti à un accord concernant la compagnie Transavia France. Une partie du débat, lors de ce conflit, portait sur la possibilité d’augmenter la flotte de Transavia, créée en 2007 avec une contrainte limitant sa flotte à quatorze avions. J’avais souhaité pouvoir me libérer de cette contrainte, d’où, en partie, le conflit de septembre 2014. Si ce conflit s’est terminé sans accord, quelques semaines plus tard un nouvel accord a été finalisé, portant la flotte de Transavia à quarante avions. C’est ainsi que Transavia a pu exploiter au départ d’Orly vingt et un aéronefs l’été dernier.

Ensuite, il n’y a pas eu de courriers envoyés à des salariés susceptibles de quitter l’entreprise. Aucun plan de départs involontaires n’a pour l’instant été engagé.

Ces deux remarques étant faites, je souhaite vous présenter la situation d’Air France, ce qui a été fait et ce que nous souhaitons faire. Le secteur du transport aérien présente de grandes opportunités. Une part importante de la population mondiale n’a pas encore l’habitude de voyager, et c’est souvent un des premiers souhaits des gens quand leur niveau de vie augmente. Il est donc clair que ce secteur restera en forte croissance, même si le centre de gravité s’est déplacé vers des zones où l’activité n’a pas la maturité que connaissent l’Europe et les États-Unis.

La deuxième caractéristique forte de ce secteur est le niveau de la concurrence. Sur les mêmes aéroports et les mêmes voies, avec des aéronefs correspondant aux mêmes contraintes de sécurité et des pilotes obéissant aux mêmes contraintes de formation, les nouveaux entrants augmentent très fortement l’intensité concurrentielle de cette activité.

Dans ce contexte, Air France se réforme et progresse. Partant de résultats très négatifs en 2009, 2010 et 2011, la compagnie, après la déclinaison du plan 2011-2015, le fameux plan Transform, devrait parvenir à l’équilibre opérationnel autour de 2015. C’est un progrès considérable, attesté par une augmentation de la performance économique proche du milliard d’euros. On ne peut afficher une telle performance sans un travail intense et un engagement quotidien de l’ensemble des salariés.

Même si les résultats se sont améliorés, il est important d’atteindre une performance économique en ligne avec notre chiffre d’affaires. Il est de notre responsabilité, avec l’ensemble des parties prenantes de la compagnie – les salariés mais également les partenaires sociaux –, que nous poursuivions dans cette voie, en nous appuyant sur un élément essentiel de la vie d’Air France : la cohésion de l’entreprise. Air France se caractérise par la coexistence de trois catégories, les personnels du sol, les personnels navigants commerciaux et les pilotes, et une entreprise ainsi constituée ne peut fonctionner sans une forte cohésion de l’ensemble. De ce point de vue, les images du 5 octobre ne sont pas le vrai visage d’Air France.

Selon les statistiques de l’IATA (International Air Transport Association), le transport aérien devrait croître de 4 à 5 % par an, et ce beaucoup plus dans les zones en développement qu’au départ de l’Europe. Air France, et notre pays, doivent prendre leur place dans ce développement. La France possède une longue tradition aéronautique, et un énorme savoir-faire dans l’aérien nous est reconnu. L’idée qu’Air France ne participe pas au développement du transport aérien remettrait en cause notre souveraineté nationale : il n’y a pas de grand pays sans grande compagnie aérienne et sans grands aéroports. Le transport aérien contribue de manière significative à notre rayonnement international, participe au développement des régions et soutient le dynamisme du tourisme sur le territoire français. En outre, le transport aérien représente en France un million d’emplois, 300 000 directs, 650 000 indirects, et contribue à hauteur de près de 2 milliards d’euros à la balance des paiements française.

Le transport aérien est aussi un secteur extrêmement difficile, dont le mode de fonctionnement s’est par ailleurs largement modifié au cours des dernières décennies. Alors que nous étions très protégés en matière de droits de trafic, nous avons assisté à une forte libéralisation, et ce d’abord en Europe, avec la totale liberté des vols intra-européens. En dépit de cela, le secteur reste très fragmenté, alors que certains de nos fournisseurs, les avionneurs, les aéroports, les motoristes, les systèmes de distribution, se sont organisés, par un fort mouvement de consolidation conduisant à des monopoles ou oligopoles.

L’ouverture du ciel ne concerne pas seulement l’Europe. Des accords de ciel ouvert sont signés entre des pays lointains et la France ou d’autres pays européens. Par ailleurs, de nouveaux acteurs de long-courrier émergent, dont certains se développent de manière spectaculaire en profitant de l’ouverture du marché européen. Certains, vous les connaissez, bénéficient en outre d’un soutien massif de leurs États actionnaires, qui font du développement de leurs compagnies un outil stratégique majeur. Elles n’ont pas les mêmes contraintes fiscales, sociales et réglementaires, et sont donc des concurrents terribles pour le transport aérien français et, plus généralement, européen.

Les compagnies low cost, qui ont introduit une nouvelle approche très imaginative du marché, ayant conduit à des billets de moins en moins chers, constituent un autre élément concurrentiel nouveau et, de ce point de vue, le développement de Transavia France à la suite du conflit de septembre 2014 est pour le groupe Air France un point très important. Par ailleurs, le développement du TGV a également heurté de plein fouet l’économie de nos lignes intérieures. Le client, enfin, qui est au cœur de nos préoccupations, change ses habitudes, se tourne vers d’autres modes de commercialisation. Avec la digitalisation des moyens d’information, il a aujourd’hui accès en quelques clics à toutes les offres possibles pour se rendre d’un point A à un point B.

Nous ne pouvons donc rester inactifs, ni ne pas chercher à saisir les opportunités que nous offre le marché. Les choses sont, de mon point de vue, extrêmement claires : il nous faut poursuivre notre réforme interne. Le plan Transform a introduit entre 2011 et 2015 un ensemble de modifications stratégiques majeures – restructuration du moyen-courrier avec Hop! Air France, nouvelle offre en matière de long-courrier, restructuration de l’activité de cargo, développement de l’activité de maintenance… – qui auront permis d’améliorer considérablement les résultats de la compagnie. En 2011, ces résultats étaient proches de moins 600 millions ; en 2013, proches de moins 200 millions ; ils devraient être cette année positifs de quelques centaines de millions. Cette amélioration de près d’un milliard est la première trace du travail en profondeur entrepris par Air France et ses salariés, avec le support des organisations syndicales. Il aura permis de sortir enfin du rouge la compagnie nationale.

Qui plus est, alors que l’écart de profitabilité entre Air France et KLM était proche de 800 millions d’euros en 2011, il était de 475 millions d’euros en 2013, et les deux compagnies devraient présenter au cours de l’année 2015 des résultats d’exploitation à peu près équivalents.

Ces chiffres traduisent les deux piliers de l’économie de l’entreprise : la maîtrise des coûts unitaires et la performance commerciale. Sur la période 2011-2015, la réduction des coûts unitaires a oscillé chaque année entre 2,9 % et 1,5 %, là aussi avec l’appui de l’ensemble des parties prenantes. Ces résultats sont extrêmement encourageants. Ils sont associés à des performances commerciales de plus en plus grandes : des évolutions en matière de produit, sur le long-courrier, mais également les réseaux moyen-courrier européens, avec une nouvelle cabine introduite au printemps de cette année, la restructuration des forces de vente sur l’ensemble du réseau domestique, avec la création de la structure Hop! Air France, ainsi que la digitalisation et les évolutions de nos modes de service, centrées autour du concept de relation attentionnée.

Les résultats du troisième trimestre, annoncés il y a quelques jours, sont en ligne avec ce que je viens d’indiquer. Rien n’aurait été possible, dans une structure focalisée sur le service au client, sans la contribution des personnels. Ces résultats confirment également le succès de la stratégie mise en œuvre par le plan Transform, même si nous avons également bénéficié sur la période d’un allégement de la facture pétrolière.

Au regard de la taille d’Air France – 15 milliards de chiffre d’affaires –, ces résultats, je l’ai dit, restent insuffisants. Une entreprise de cette taille devrait produire, pour s’assurer d’une croissance de l’ordre de 2 à 3 %, un résultat d’exploitation autour de 740 millions d’euros par an. Nous avons donc fait une bonne moitié du chemin. Nos grands concurrents, Lufthansa et IAG British Airways, présentent sur le trimestre des résultats qui sont soit le double soit le triple de ceux d’Air France. Ne rien faire serait donc la pire des options.

Le contexte fiscal et social français ne nous aide pas toujours. À cet égard, le rapport de M. Bruno Le Roux insiste sur différents éléments, tels que la maîtrise des dépenses de sûreté, l’élargissement de l’assiette de la taxe de solidarité, la modération de l’évolution des redevances aéroportuaires, la possibilité d’envisager un régime sectoriel en matière de charges sociales. Si l’État accompagnait les réformes, cela aiderait beaucoup la compagnie.

La suite, c’est le plan, largement discuté avec nos organisations syndicales, Perform 2020. Ce plan est centré sur la croissance et a trait essentiellement à la poursuite de la restructuration du réseau long-courrier, dont 45 % des lignes ne sont aujourd’hui pas rentables. C’est ce point qui illustre le mieux la fragilité d’Air France. La croissance ne pourra se poursuivre qu’à la condition que nous soyons capables de ramener notre réseau long-courrier à la performance économique. Cela suppose l’ouverture de nouvelles lignes, l’arrivée de nouveaux avions, la conclusion de nouvelles alliances. Nous poursuivrons naturellement l’amélioration de nos produits, et il nous faut en même temps continuer de réduire l’écart en termes de coûts unitaires avec nos grands concurrents.

Ce plan prévoit en outre un partage des fruits du redressement. Il est normal, si nous atteignons notre objectif de 740 millions de résultat d’exploitation en 2017, qu’une partie de ce succès soit partagée avec nos salariés.

L’idée, depuis le début de l’année 2015, était donc d’ouvrir des négociations. C’est dans ce cadre qu’a également été évoqué avec nos personnels un plan alternatif. Si nous ne parvenons pas par le dialogue et la signature d’accords à évoluer en matière de coûts unitaires, le développement du long-courrier pourrait être remis en cause, ce qui n’est en aucun cas une option pour la direction d’Air France.

Le compromis est une tradition dans notre compagnie. Une centaine d’accords ont été signés avec les partenaires sociaux en 2013, quatre-vingt-dix en 2014. C’est d’ailleurs par des accords que le plan Transform avait été initié. Nous consacrons aujourd’hui toute notre énergie à la défense de l’emploi futur et au développement d’Air France par des accords qui permettent de travailler à l’optimisation de notre performance commerciale et de nos coûts unitaires. L’impact, en termes d’emplois, d’un scénario de reprise de la croissance dès 2017 serait le moins sensible des scénarios envisageables. Repousser les problèmes, au lieu de les régler le plus tôt possible, c’est mettre en cause l’avenir, et personne, je crois, ne saurait s’y résoudre.

Le dialogue social, une activité quotidienne chez Air France, doit, dans le cadre du plan Perform 2020, nous permettre de trouver les moyens d’une maîtrise de nos coûts unitaires, qui nous pénalisent aujourd’hui vis-à-vis de certains de nos concurrents et grèvent l’opportunité pour Air France de profiter du formidable potentiel qu’offre le développement du transport aérien.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission des affaires sociales. Je m’attendais à une réponse positive de M. de Juniac et de M. Broseta pour parler du dialogue social. Néanmoins, je reconnais, monsieur Gagey, votre disponibilité. J’avais demandé à vous voir en avril 2014, après avoir posé une question au Gouvernement concernant l’aéroport de Blagnac, au sujet duquel les salariés d’Air France m’avaient alertée. Nous nous étions rencontrés dans mon bureau et vous m’aviez informé que la compagnie était en voie de recouvrer une situation financière saine. Je me demande donc ce qui a bien pu se passer entre avril 2014 et le 5 octobre dernier.

Il ne faut pas tomber dans le manichéisme, il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre : nous sommes ici pour faire le point et savoir où en est le dialogue social avec les salariés – nous en avons reçu, avec d’autres députés, il y a deux semaines, au moment d’une manifestation devant l’Assemblée. C’est, par exemple, par voie de presse qu’a été connue la proposition de trois types de contrats pour vos salariés : pourquoi ces trois types, et pourquoi cette méthode de communication ? De quelle manière pensez-vous avancer avec l’ensemble, je dis bien l’ensemble des salariés ?

Mme Frédérique Massat, présidente de la Commission des affaires économiques. Nous nous réjouissons, monsieur Gagey, des chiffres qui viennent de sortir concernant l’activité de votre groupe, tout en ayant conscience que l’équilibre de celui-ci est encore fragile. Vous avez souligné que cette amélioration n’était pas suffisante, par rapport au chiffre d’affaires : quels niveaux seraient selon vous suffisants ? Une telle embellie ne permettrait-elle pas de revoir à la baisse la pression sur la masse salariale dans votre stratégie de développement ? La Commission des affaires économiques est demandeuse de points réguliers sur la situation, car, comme vous l’avez rappelé, l’entreprise est très importante pour notre pays, au plan tant national qu’international. Il convient d’adopter une stratégie gagnant-gagnant, pour tous les acteurs.

M. Bruno Le Roux. Le secteur doit faire face à une concurrence faussée du fait de certaines compagnies bénéficiant de stratégies d’État, notamment dans les pays du Golfe, qui cherchent à faire passer par leurs hubs le plus de passagers possible le plus rapidement possible.

La situation d’Air France est pour nous une question capitale, car il s’agit de la souveraineté de notre pays par sa connectivité avec le monde. Le dialogue social, je tiens à le rappeler au nom de mon groupe, est au cœur de la performance de l’entreprise. Le métier reste un métier de service et de compétence : s’il s’appuie sur un matériel de haute technologie, les compétences humaines restent centrales. L’objectif est que vous restiez, ou redeveniez, une des meilleures compagnies aériennes mondiales, car nous en avons besoin pour la France. Cela passe par le réseau, le service, les coûts unitaires. Dans quelle mesure êtes-vous aujourd’hui maîtres de ce développement, notamment quant à la question des alliances ? La capitalisation boursière d’Air France est cinq fois moindre que celle d’EasyJet, neuf fois moindre que celle de Ryanair. Cela peut vous mettre en situation difficile.

Ma seconde question porte sur l’une des mesures à laquelle nous avons travaillé dans le cadre de mon rapport : la mise en place d’un régime spécifique pour les navigants, comme cela existe déjà pour les marins. Un tel régime permettrait de faire participer au financement de la protection sociale de nos navigants les compagnies étrangères qui faussent la concurrence.

M. Yves Albarello. Ce n’est pas la première fois que nous vous recevons, monsieur Gagey, mais votre audition revêt aujourd’hui un caractère tout particulier eu égard aux événements que la compagnie Air France vient de connaître. Je ne reviens pas sur les incidents qu’ont vécus certains de vos cadres ; je les condamne. Je ne veux pas non plus m’immiscer dans les négociations : ce n’est pas le rôle du Parlement.

On note un léger mieux dans la situation de la compagnie, mais elle avait pris beaucoup de retard, et je ne peux que vous encourager à poursuivre vos efforts. Je note que les bons résultats du trimestre sont dus au plan Transform et aux efforts de restructuration accomplis par la compagnie et ses salariés, aidés toutefois par la baisse de la facture des carburants et le résultat positif de l’été dernier. Le résultat d’exploitation arrêté au 31 octobre est de 666 millions d’euros, en hausse de 304 millions par rapport à 2014. C’est une amélioration continue depuis 2011. Cependant, par comparaison, l’EBITDA, ou bénéfice, d’Aéroports de Paris (ADP), votre principal fournisseur, s’élève à 1,1 milliard, soit la moitié de votre résultat d’exploitation.

Vous estimez que l’endettement, de 6,5 milliards en 2011, devrait passer à 4,5 milliards à la fin de l’année. Les coûts unitaires ont quant à eux baissé de 8 %. J’approuve donc les plans qui ont été décidés et mis en œuvre. Toutefois, la compagnie se trouve dans un état fragile, et je regrette que le Gouvernement n’ait pas, ces dernières années, pris des mesures plus en amont.

Des études ont pourtant été réalisées. Notre collègue Bruno Le Roux est l’auteur d’un rapport, rendu public en novembre 2014, dont la troisième partie, intitulée « Agir tant qu’il est encore temps », propose des solutions afin d’améliorer la compétitivité du transport aérien français. Pourquoi ce rapport n’a-t-il pas été suivi d’effets ? Pourquoi les mesures proposées n’ont-elles pas été étudiées ? C’est malheureusement son manque de compétitivité qui limite la croissance d’Air France.

La taxe de solidarité, que l’on nomme communément taxe Chirac, n’a de solidaire que le nom car elle pénalise Air France-KLM à hauteur de 70 millions d’euros par an. Il serait bon de réfléchir au moyen de rendre cette taxe véritablement solidaire, de façon qu’elle n’impacte plus notre seule compagnie nationale.

La France entière a été témoin des événements qui ont lieu à Air France et que je regrette. Nous aurions pu imaginer que les négociations sociales au sein de ce fleuron de l’économie française se déroulent dans le calme et la dignité ; ce ne fut pas le cas. Avec mes collègues du groupe Les Républicains, nous demandons que les sanctions qui seront prises soient marquées par la rigueur et la justice.

M. Bertrand Pancher. Bravo, monsieur le président-directeur général, pour ces premiers résultats, obtenus grâce à votre action et à celle de la direction, ainsi qu’à la mobilisation de l’ensemble du personnel d’Air France. Cependant, vous l’avez rappelé, ces résultats sont fragiles et ont bénéficié de la baisse des prix du carburant. Ils n’atteignent pas non plus ceux de vos concurrents.

Avez-vous réellement les coudées franches dans la négociation en cours ? Nous l’espérons. Le Premier ministre a rappelé, en réponse à une question au Gouvernement il y a quelques semaines, qu’il n’avait qu’un objectif : celui fixé par la direction. Or la presse se fait l’écho de négociations à l’Élysée portant sur une promesse d’Air France de lever des mesures disciplinaires contre l’assurance qu’il n’y aurait pas de manifestations en décembre lors de la COP21. Qu’en est-il ? De même, la nomination de M. Gilles Gateau, ancien directeur de cabinet adjoint et conseiller social de Manuel Valls, trouble les conditions de la négociation. Pouvez-vous nous rassurer sur ces points.

Enfin, que peut faire l’État ? La société Aéroport de Paris pratique des tarifs de redevance parmi les plus chers d’Europe. Y a-t-il là des réformes possibles ? De quelle manière l’État pourrait-il vous accompagner ?

Mme Michèle Bonneton. Le groupe Air France-KLM, une des compagnies les plus prestigieuses au monde, est détenu à 16 % par l’État. Nous nous interrogeons sur le mode de gouvernance et de management qui prévaut au sein du groupe, où éclatent régulièrement des conflits coûtant cher à tout le monde. Près d’un an après une longue grève, la tension est de nouveau vive, bien qu’elle se soit légèrement apaisée depuis peu. Selon nos informations, la direction demande encore une augmentation de productivité importante au personnel, alors que celui-ci a déjà consenti des efforts.

Quelles propositions le groupe Air France-KLM est-il prêt à faire pour sortir de ce qui ressemble fort à une impasse du dialogue social ? Ne serait-il pas nécessaire de nommer un médiateur ? Il semble que la direction joue parfois certains personnels contre d’autres ; c’est un jeu dangereux et malsain. La situation économique et financière est-elle à ce point mauvaise, malgré l’embellie, qu’il ne reste d’autre solution qu’une dégradation des conditions de travail ou bien des licenciements par milliers ? N’est-il pas possible de proposer aux salariés des perspectives d’avenir moins sombres ? Dans quels secteurs de l’entreprise y a-t-il eu le plus de réductions de personnel ces dernières années, et dans quels secteurs y en aurait-il le plus si les licenciements annoncés avaient lieu ?

M. Olivier Falorni. C’est avec stupéfaction et consternation que nous avons découvert les images du comité central de votre entreprise le 5 octobre dernier, qui témoignaient d’un climat social extrêmement tendu. Les violences qui ont suivi, totalement inacceptables en démocratie, ont nui à l’image et à l’attractivité de notre pays, et il est désormais urgent de renouer avec le dialogue social.

Nous sommes très attachés au dialogue social, qui doit selon nous être privilégié pour faire face aux difficultés et éviter des suppressions d’emplois. Le plan de restructuration de 2 900 postes, 1 000 en 2016 puis 1 900 en 2017, annoncé lors du CCE du 5 octobre, fait suite à l’échec des négociations du plan dit A, qui prévoyait de nouveaux efforts des pilotes en termes de productivité. Depuis lors, vous avez fait savoir qu’il serait possible d’éviter la suppression de 1 900 postes en 2017 si un accord était trouvé entre les pilotes et les personnels au sol. Quelles sont, selon vous, les conditions qui permettraient d’aboutir à un tel compromis ?

Comment recréer les conditions favorables au dialogue social ? Alors que votre compagnie a subi d’importantes pertes à la suite d’un mouvement de grève des pilotes sans précédent en septembre 2014, c’est à nouveau le syndicat des pilotes qui est l’origine du blocage. La CFDT a expliqué qu’il fallait revenir à la table des négociations avec ce syndicat. Quel est votre sentiment sur ce point ? Dans Le Parisien du 26 octobre, Xavier Broseta affirme avoir proposé aux pilotes une sortie de crise par la création de trois contrats de travail différenciés, ce qui a provoqué une réaction immédiate des syndicats. Quel constat tirez-vous de ces blocages quant aux méthodes de négociation choisies par la direction d’Air France ?

Enfin, comment analysez-vous les bons résultats du troisième trimestre ? N’offrent-ils pas l’opportunité de trouver une solution plus satisfaisante pour les syndicats ? L’avenir du groupe est-il uniquement lié à sa compétitivité coût ?

M. Patrice Carvalho. Air France en est à son quatrième plan de réduction d’emplois en quatre ans. Ce simple énoncé montre que la compagnie a un problème de stratégie et de dialogue social. Les incidents survenus en marge du CCE, le 5 octobre, n’ont pas surgi dans un ciel serein. En septembre 2014, Air France a connu la plus longue grève de son histoire, et un accord formel n’aura été conclu qu’en novembre. Le conflit portait sur la revendication des pilotes d’un contrat de travail unique dans la filiale à bas coût Transavia.

Le 15 juin 2015, la direction annonce qu’elle engage une procédure en référé contre le syndicat des pilotes de ligne, lui reprochant de ne pas avoir totalement mis en œuvre les engagements du plan Transform 2015. Ce plan d’économies de trois ans prévoyait 20 % d’effort de compétitivité pour toutes les catégories de personnel. Les pilotes étaient, disait-on, loin du compte, n’ayant réalisé que 130 millions d’économies sur les 200 millions demandés. On leur opposait les résultats des personnels au sol – 100 % – et des hôtesses et stewards – 96 %. Pour diviser le personnel, difficile de faire mieux !

Le 30 septembre était la date butoir fixée par la direction pour obtenir un nouvel accord de productivité et lancer le plan Perform 2020, réclamant un effort de 17 %. Faute d’accord, la direction a annoncé, le 5 octobre, un plan B programmant 2 900 suppressions de postes et une réduction de 10 % de l’activité long-courrier. Cerise sur le gâteau, les pilotes apprennent dans la presse qu’on leur propose trois niveaux de rémunération selon les sacrifices consentis.

Entre la grève de 2014, la saisine de la justice et le plan B, avez-vous vraiment le sentiment d’avoir créé les conditions du dialogue social ? N’avez-vous pas au contraire tout préparé pour aller à l’affrontement ? Je l’ai vécu dans ma circonscription avec Continental.

Le transport aérien est soumis à une concurrence féroce, c’est incontestable : on nous joue donc, là comme ailleurs, le refrain du coût du travail. Les pilotes, les salariés coûteraient trop cher ou ne travailleraient pas assez. L’air du temps est libéral, c’est l’heure de la revanche du capital sur le travail. (Murmures divers) Les responsabilités, dans cette situation, sont cumulées : elles sont françaises, elles sont européennes, mais elles relèvent aussi de la compagnie que vous présidez, des conditions du dialogue social, ou plutôt de son absence, que vous avez créée pour imposer l’austérité, laquelle ne saurait pourtant représenter une stratégie d’avenir.

Mme Chaynesse Khirouni. Dans un contexte très concurrentiel, Air France doit prendre des mesures afin d’assurer son avenir, comme d’autres compagnies aériennes à vocation mondiale. Depuis dix ans, près de 9 000 emplois ont été supprimés par le biais de plans de départs volontaires, ce qui n’inclut pas les emplois des sous-traitants. Les contacts que nous avons pu avoir avec les salariés montrent un grand investissement de leur part, un très grand attachement à la marque, un fort sentiment d’appartenance. C’est là, me semble-t-il, une force, qui devrait faciliter le dialogue social. Pourtant, d’évidence, celui-ci fonctionne mal, alors qu’il n’y a pas, nous le savons, d’efficacité économique sans efficacité sociale. Des tensions récurrentes menacent la cohésion de l’entreprise.

Il est surprenant que certaines annonces soient communiquées par voie de presse, avant que les instances représentatives de concertation entre la direction et les salariés soient saisies. De même, certaines déclarations, comme celles, désormais célèbres, de Royaumont, ont suscité de vives réactions de la part des salariés. Pouvez-vous nous préciser la méthode du dialogue social dans l’entreprise ? Quelles mesures concrètes avez-vous engagées pour renouer celui-ci ?

Enfin, le différentiel de cotisations sociales entre la compagnie et ses principaux concurrents européens est souvent avancé comme un élément nuisant à la compétitivité du groupe. Pouvez-vous nous indiquer le montant perçu par l’entreprise au titre du CICE, et son affectation ?

M. Jacques Kossowski. En 2003, l’alliance entre Air France et KLM était qualifiée d’exemplaire par de nombreux observateurs. Elle devait permettre aux deux sociétés de mutualiser leurs dessertes et de rationaliser leurs coûts d’exploitation. Depuis cette fusion, un accord de co-entreprise a été signé entre Alitalia et Delta Airlines. Or le nouvel actionnaire majoritaire d’Alitalia, la compagnie émiratie Etihad Airways, ne semble pas favorable à un renouvellement de cette alliance en 2017. Dès lors, Delta Airlines ne serait-elle pas tentée elle aussi de quitter le pacte liant les quatre constructeurs ?

Dans cette période d’incertitudes, lourde de menaces, ne serait-il pas temps d’envisager un regroupement stratégique au niveau européen ? Je pense à une alliance avec Lufthansa mais, à défaut, ce pourrait être avec un acteur du Moyen-Orient. Aux États-Unis, il existait sept grandes compagnies en 1990 ; elles se sont regroupées au sein de trois géants aériens. N’est-il pas temps de s’inspirer, en Europe, de ce mouvement de concentration ?

M. Yannick Favennec. Un rapport de la commission du dialogue publié récemment affirme que la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pourrait aboutir à la création d’emplois par votre compagnie. L’installation d’une base de la compagnie Régional, filiale du groupe Air France, sur le site de Notre-Dame-des-Landes conduirait en effet à la création de 200 emplois supplémentaires. Confirmez-vous cette information ?

M. Gabriel Serville. Vous avez quasiment passé sous silence l’allégement de la facture pétrolière. Quelle est l’incidence de cet allégement sur votre marge de manœuvre ? Par ailleurs, envisagez-vous de revoir à la baisse les prix des billets sur un certain nombre de lignes, notamment la ligne Paris-Cayenne, sur laquelle vous n’avez pas la plus forte concurrence ?

M. Jean-Pierre Blazy. Député du territoire de Roissy, j’ai dans ma circonscription de nombreux salariés du groupe : ils sont inquiets. On lit chaque jour des annonces différentes dans la presse. Je souhaiterais par exemple que vous réagissiez à l’annonce par M. Alexandre de Juniac de la possible création d’activités low cost long-courrier. Quel est votre point de vue sur le sujet ? De même, comment réagissez-vous à l’annonce par M. Xavier Broseta de trois types de contrats ? Tout cela nuit à la qualité du dialogue social que vous appelez de vos vœux. Ne conviendrait-il pas de nommer un médiateur, comme le demande Mme Bonneton ? L’État vous vient en aide par l’application de quelques mesures du rapport de Bruno Le Roux, mais aussi par le chèque que vous avez perçu au titre du CICE : pouvez-vous nous en préciser le montant et l’affectation ? Enfin, comment réagissez-vous à l’annonce que vient de faire l’aéroport d’Amsterdam d’une baisse de ses redevances, en 2016, de 11,6 % ?

Mme Isabelle Le Callennec. Vous devez faire face à une très vive concurrence internationale qui oblige la compagnie à se réformer. Qu’attendez-vous, dans ce contexte, de l’État actionnaire, certes minoritaire, mais dont le rôle est central, ne serait-ce qu’au nom de notre souveraineté nationale ? Par ailleurs, comment comptez-vous poursuivre la baisse des coûts unitaires ? De même, si l’allégement de la facture pétrolière ne devait pas durer, la réduction des effectifs est-elle une condition sine qua non du retour à l’équilibre ? Vous avez, enfin, évoqué un partage des fruits du redressement ; sur quelle base cela pourrait-il se faire et au profit de quelles catégories de salariés ?

M. Daniel Goldberg. Jean-Paul Blazy et moi avons une sensibilité particulière par rapport à ce conflit social, ayant vécu la fermeture de l’usine d’Aulnay à cheval sur nos deux territoires.

Je ne comprends pas, alors qu’une réunion du comité d’entreprise avait eu lieu le jeudi 22 octobre, que des propositions nouvelles aient été dévoilées le lundi suivant dans le journal Le Parisien, sans, apparemment, qu’elles aient été discutées au CCE. Le Premier ministre a déclaré qu’Air France était la France, et j’approuve ce propos, mais cela signifie que le dialogue social dans votre entreprise doit être exemplaire.

La recherche de compétitivité, justifiée, doit avoir aussi une dimension hors coûts. La première qualité d’Air France, ce sont ses salariés ; c’est un véritable avantage compétitif vis-à-vis d’autres entreprises. Aussi, quand la part des ouvriers est amenée à diminuer pour un renforcement des catégories de cadres et d’agents de maîtrise, il est possible de réfléchir à la manière dont l’accompagnement personnel des voyageurs peut évoluer.

Par ailleurs, quel doit être selon vous le rôle de l’État stratège ? Les salariés que nous avons reçus sont très demandeurs à cet égard.

Enfin, mon sentiment est que le plan B était peut-être le plan A. La stratégie à long terme est-elle un mariage avec une compagnie du type Etihad ? Nous avons assisté à des départs de hauts dirigeants d’Air France pour la SNCF et Etihad ; cela pose question.

M. Jean-Claude Mathis. Selon la direction, il paraît impossible, dans les actuelles conditions de productivité des salariés d’Air France, d’accélérer la réduction de la dette du groupe, supérieure à 4 milliards d’euros, et de moderniser la flotte d’avions. Si, d’ici au mois de janvier prochain, un accord avec les salariés n’est pas trouvé, le plan d’austérité prévu pour 2017, supprimant de très nombreux emplois, pourrait-il réellement redresser la compétitivité du groupe ? Quel rôle l’État peut-il encore jouer dans ces négociations ? Quelle place sera accordée, dans le futur développement du groupe, à la filiale à bas coûts lancée en avril 2013 pour les vols régionaux ? Cette filiale pourrait-elle aussi se développer sur les vols à l’étranger, voire proposer des vols long-courriers ?

M. Henri Jibrayel. Comment peut-on en arriver à la situation du 5 octobre ? Vous avez évoqué à plusieurs reprises la participation du personnel, et j’approuve cette déclaration, mais on n’en a pas moins le sentiment qu’il y a un manque de dialogue social et des difficultés chroniques dans l’échange avec les partenaires sociaux.

M. Daniel Fasquelle. L’amélioration des chiffres d’Air France n’est pas structurelle mais conjoncturelle, et les autres compagnies européennes connaissent une amélioration parfois double de celle d’Air France. C’est pourquoi il ne faut pas se satisfaire de ces chiffres, et poursuivre les réformes.

Plusieurs maladresses ont été commises dans la communication, à l’instar des annonces faites dans la presse avant que les informations soient communiquées en interne. Quelles mesures entendez-vous prendre pour rétablir le dialogue social ?

Il faut ensuit que l’État prenne ses responsabilités, avant qu’Air France ne finisse, comme Airbus, par délocaliser son siège à Amsterdam. Avez-vous obtenu des garanties d’engagement de la part de l’État ?

Enfin, face à la concurrence déloyale des pays du Golfe, quelles mesures l’Europe peut-elle prendre ? Vous êtes-vous tournés vers Bruxelles ? Avez-vous obtenu là aussi des garanties ?

M. Philippe Martin. Nous sommes à la veille de la COP21 et la lutte contre le réchauffement climatique fait partie de l’agenda prioritaire des États. Le transport aérien représente 3 % des émissions de CO2 et contribue à hauteur de 6 % au réchauffement climatique. Comment le rendre compatible avec les impératifs climatiques et diviser les émissions de COpar quatre d’ici à 2050 ? Comment évaluez-vous l’impact de la suppression de la défiscalisation du kérosène pour les vols intérieurs ?

Mme Sophie Rohfritsch. Vous avez annoncé la fermeture de la ligne Strasbourg-Orly à compter d’avril 2016, date de la mise en œuvre de la seconde phase de la LGV Est. Cette décision, prise sans aucune concertation, est contreproductive, car l’aéroport de Strasbourg-Entzheim a renoué avec la croissance en baissant ses redevances et en consentant de gros efforts, soutenus par les collectivités locales. De même, cette décision témoigne d’une vision à court terme. Vous avez vous-même souligné qu’il était essentiel de faire transiter les passagers internationaux sur les gros aéroports parisiens. Or, lors de la suppression de la ligne Strasbourg-Roissy, la plupart des passagers à l’international se sont tournés vers Francfort. Cette nouvelle suppression, qui conduira à ce que la capitale européenne n’ait plus aucune liaison aérienne avec Paris, risque d’avoir les mêmes effets. Est-il possible de renouer un dialogue localement à ce sujet ?

M. Denys Robiliard. Quels investissements sont nécessaires pour qu’Air France ait une offre adaptée au marché ? Avez-vous les moyens de les financer, et quelles sont vos attentes à l’égard de vos actionnaires de ce point de vue ?

Au plan social, la baisse des coûts unitaires de 8 % qui a déjà eu lieu n’est pas négligeable. Vous estimez que le dialogue social est de bonne qualité, mais ce n’est pas ce qui ressort dans la presse, ni dans les discussions que nous avons eues avec l’intersyndicale. Quelle est donc la nature des accords que vous signez et qui font parler de bonne qualité du dialogue social ? Comment expliquez-vous l’écart avec l’image, très mauvaise, de celui-ci ? On a le sentiment qu’une partie des négociations se passe dans la presse et non dans les institutions représentatives du personnel. Il semble par ailleurs que la direction tende à opposer les différentes catégories du personnel : est-ce le cas ? Quel est votre espoir de voir aboutir les négociations, et sur quels points ?

M. Jean-Marie Sermier. Le transport aérien vit depuis vingt ans un changement de paradigme. L’offre évolue rapidement et les clients sont plus soucieux du tarif, dans un marché hyper-concurrentiel. Les compagnies historiques doivent s’adapter ou disparaître. Quelle est l’évolution de la part de marché et du chiffre d’affaires de vos deux filiales Hop! et Transavia destinées à concurrencer l’offre des compagnies low cost ?

M. Guillaume Chevrollier. L’État actionnaire devrait accompagner le nécessaire redressement d’Air France. Comment appréciez-vous, à cet égard, les deux nouvelles mesures prises par le Gouvernement, qui vont en sens contraire, à savoir les nouvelles autorisations données à des compagnies du Golfe d’atterrir sur les aéroports de province comme Lyon et Nice, et la hausse de 1 % par an des redevances aéroportuaires alors que le rapport Le Roux recommandait un gel de ces redevances ?

Mme Marie Le Vern. Air France traverse depuis plusieurs années une période de turbulences, avec de graves conséquences sociales. Nous en connaissons les raisons : concurrence accrue, manque d’harmonisation fiscale et sociale au niveau européen, manque global de compétitivité.

Il semble que chaque catégorie du personnel ait consenti d’importants efforts pour permettre à Air France de se restructurer. Encore faut-il savoir dans quelle direction on restructure. La stratégie du plan B, celle de l’attrition, de la réduction du nombre de lignes et de la suppression de postes, est surprenante alors que vous envisagiez il y a quelques mois une stratégie d’expansion et de développement de l’activité. Face aux entreprises fortement concurrentielles qui investissent tous les secteurs du marché, le salut peut-il venir de la disparition de lignes et d’appareils ? Je crains que cette diminution de la présence d’Air France sur le marché international ne soit un mauvais signal envoyé aux salariés, aux clients – poussés de fait vers la concurrence –, aux investisseurs. Comment Air France conjuguerait-elle la stratégie de l’attrition avec son ambition, que nous partageons tous, de demeurer l’une des premières compagnies au monde ?

M. Hervé Pellois. Vous avez indiqué souffrir du poids des taxes françaises, notamment celles collectées par ADP. Vos concurrents asiatiques mais aussi européens bénéficient de régimes plus favorables dans leurs pays. Vous considérez, comme certains syndicats, que l’État français pourrait contribuer à améliorer la situation économique d’Air France. Pouvez-vous nous indiquer quelques pistes d’action concrètes pour améliorer votre situation ? Par ailleurs, quels moyens la Commission européenne peut-elle apporter ? Peut-on envisager une harmonisation fiscale et sociale au plan européen ?

M. Gérard Sebaoun. Parmi les préconisations du rapport de Bruno Le Roux, l’exonération de la taxe sur les passagers en correspondance a été appliquée, pour un coût d’environ 50 millions d’euros en année pleine. Vous avez rappelé dans la presse qu’Air France et ses passagers versaient 500 millions d’euros par an à ADP, dont la santé financière est, je crois, florissante. Il y a par ailleurs la taxe de solidarité, dite Chirac, de 60 millions. Comment remédier aux difficultés sans que l’État, actionnaire majoritaire d’ADP, n’intervienne ? Une répartition différente des taxes ne permettrait-elle pas d’éviter que la masse salariale soit la seule variable d’ajustement ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Je suis élue de Pau, dans un territoire où l’avion n’est pas concurrencé par le train et où Air France est donc en situation de monopole. Les conseils généraux des Pyrénées-Atlantiques et des Landes ont réalisé l’an dernier une étude sur la politique tarifaire d’Air France qui montre que ses tarifs, même si nous bénéficions depuis un an de la présence de Hop! Air France, sont extrêmement élevés. J’aimerais qu’Air France développe une politique tarifaire soucieuse de l’aménagement du territoire.

Mme Pascale Got. J’associe à ma question notre collègue David Habib. Le ministre Laurent Fabius a mis en place un conseil de promotion du tourisme, qui a organisé un atelier sur le transport. Cet atelier a pointé un déficit de dessertes aériennes vers certaines destinations. Or vous annoncez une réduction de 10 % de votre activité et la fermeture de vingt-deux lignes, à l’encontre des chiffres attendus par le Gouvernement en matière de développement touristique. Comment entendez-vous mieux coupler le développement du transport aérien avec les politiques de tourisme ?

Mme Sylviane Alaux. Nous avons besoin d’éclaircissements au sujet du CICE, ainsi que de la politique tarifaire d’Air France, notamment dans des territoires où le rail ne lui fait pas concurrence.

M. Guy Bailliart. Air France a longtemps mené des campagnes publicitaires fondées sur l’élégance, le confort, la douceur, la maîtrise. Le moins que l’on puisse dire est que les événements récents démentent cette image. Il y a eu un gros loupé, au plan non seulement social mais aussi commercial, car les attentes des gens sont à la hauteur de la réputation d’Air France.

Vous avez cité le chiffre de 45 % de lignes non rentables. Entendez-vous les supprimer toutes ou seulement certaines ?

Plusieurs collègues vous ont suggéré de recourir à un médiateur, comme si les choses ne pouvaient être réglées en interne, ou encore de conclure des alliances avec d’autres compagnies. Dans ce dernier cas, Air France sera-t-elle toujours Air « France » ? La question de son statut en tant que compagnie nationale est-elle posée ?

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Avec Daniel Goldberg et quelques autres collègues, nous avons rencontré des salariés d’Air France et je suis frappée par la différence entre la froideur des chiffres, nécessaire à l’analyse, et l’inquiétude humaine du personnel. Les salariés ont le sentiment d’avoir consenti des efforts en termes de productivité. Certains seraient même allés plus loin que ce que vous attendiez. Ils ne comprennent donc pas l’évolution de la situation. Comment entendez-vous améliorer les conditions du dialogue et lever les incompréhensions du personnel, le rassurer ?

M. Philippe Kemel. Comme mes collègues, je suis surpris par la forme prise par le dialogue social à Air France, de même que par le fait que vous imaginiez des contrats de travail à différentes vitesses pour les mêmes catégories de personnel. Existe-t-il chez votre partenaire KLM, dont vous avez évoqué les résultats positifs, de tels contrats de travail ? Quelles sont les différences entre KLM et Air France qui expliquent que vous soyez en crise et que KLM ne le soit pas ?

M. Frédéric Gagey. Plusieurs d’entre vous pensent que la direction d’Air France a monté les catégories de salariés les unes contre les autres. Pendant la grève de septembre 2014, j’avais réuni l’ensemble du management d’Air France pour lui dire que nous travaillerions à une issue du conflit avec nos collègues pilotes car la cohésion est absolument indispensable. Imaginer que notre stratégie, quelques mois plus tard, puisse consister à monter les catégories les unes contre les autres est sans fondement. Une compagnie aérienne est composée d’hommes et de femmes qui concourent au même but : avoir des passagers dans l’avion. Ces passagers sont là car les collègues de la maintenance ont satisfait leurs obligations vis-à-vis de l’état de l’avion, les pilotes satisfont les leurs en matière de qualifications, les gens de Servair ont apporté les bons plateaux, les agents du sol ont procédé à l’enregistrement et à l’embarquement dans de bonnes conditions, et le personnel navigant commercial est prêt à assurer le service conformément à nos pratiques. La cohésion, au jour le jour, est fondamentale.

J’ai décidé d’aller en justice sur un point de détail. Il était prévu dans l’accord que le président, en cas de différences de points de vue entre les parties, puisse arbitrer. Parce qu’à mon sens une catégorie du personnel était un peu en deçà de ses engagements, il me paraissait important de trouver une solution, et nous l’avons tenté par la négociation. J’ai proposé l’arbitrage ; comme cela n’a pas été accepté, j’ai jugé bon de faire interpréter le texte de l’accord par une tierce personne, en l’occurrence le juge, qui a d’ailleurs considéré que la procédure d’arbitrage pouvait être utilisée. Il ne s’agit pas d’un défaut de dialogue social mais au contraire du souci porté au plus haut de maintenir la cohésion de l’entreprise, qui passe par la nécessité que chaque catégorie remplisse sa part du contrat.

Les images du 5 octobre ne traduisent pas la situation du dialogue social. Ces débordements n’arrivent pas fréquemment. Ils peuvent traduire un sentiment de lassitude et ne résument pas la vie sociale de la compagnie, qui passe par des réunions et un dialogue permanents.

Je reconnais cependant, madame Catherine Lemorton, que ce dialogue est parfois difficile, mais c’est parce que nous avons trois catégories de personnel représentées par des syndicats de nature différente et régies selon des règles qui peuvent elles aussi être très différentes. Une grande partie des textes concernant les pilotes sont à durée indéterminée, tandis que ceux des personnels navigants commerciaux sont plutôt à durée déterminée. De ce fait, la cohésion nécessaire rencontre parfois des difficultés, la convergence n’est pas toujours facile, mais, attachant une immense importance à la cohésion, je considère qu’Air France ne peut progresser qu’en adoptant une démarche collective. Il faut que l’ensemble des catégories s’engagent, dans un même élan, à poursuivre ce que nous avons enclenché. Nous avons progressé, et ce n’est pas seulement du fait du prix du pétrole.

Beaucoup de choses ont été dites sur les supposées annonces de notre directeur des ressources humaines, M. Xavier Broseta, dans un article du Parisien. Il faut ramener la chose à sa juste proportion. Un document intitulé « Repenser le métier de pilote : pistes de travail du programme New Deal » a été diffusé auprès des pilotes le 13 août. Ce document évoque, parmi les leviers possibles, l’idée de modularité du temps de travail, et notamment de modularité des contrats : chaque pilote, selon sa situation, pourrait travailler selon trois types de contrat, un contrat type, un contrat plus ou un contrat allégé. Ce New Deal dressait la liste des voies possibles dans le cadre de l’évolution du métier de pilote. Lorsque M. Broseta s’est exprimé dans Le Parisien, il n’a fait que reprendre cette proposition, qui n’avait pas encore été négociée mais avait été communiquée à l’ensemble des pilotes. Juger, sur le fondement de ces propos, que le dialogue social se fait par voie de presse est erroné.

Quand nous avons présenté au comité central d’entreprise, madame Frédérique Massat, les objectifs du plan Perform, j’ai indiqué que notre cible était un résultat d’exploitation de 740 millions en 2017. Ce chiffre permettrait à l’entreprise, une fois sortis les remboursements des frais financiers, d’investir à hauteur de 2 à 3 % de son capital productif. C’est ce niveau qui garantirait, sans recourir à l’endettement, une croissance entre 2 et 3 % chaque année. Cela indique le chemin qu’il nous reste à faire pour revenir à une situation que je qualifierai de normale. Ces 740 millions ne visent pas à verser des dividendes exorbitants ; c’est le chiffre standard qui permettrait à la compagnie de financer de manière stable une croissance de 2 à 3 %.

Avec Alexandre de Juniac, nous avons reçu récemment tous les syndicats représentatifs de la compagnie Air France, et nous avons fixé différents calendriers de négociation pour les différentes catégories de personnel. Les contacts ont été repris avec les pilotes. Nous nous sommes engagés, notamment vis-à-vis des syndicats de pilotes, à ne pas nous exprimer à l’extérieur sur l’état d’avancement de ces négociations. Je me bornerai donc à vous dire que les contacts ont été repris et que la direction réitère sa volonté de parvenir par la négociation à faire évoluer notre structure de coûts unitaires.

Nous ne sommes pas obsédés par les coûts. Une entreprise se caractérise par deux leviers : l’efficacité économique et la performance commerciale. Nous travaillons évidemment sur les deux leviers. L’amélioration du produit, la modification des règles tarifaires sur le réseau européen, la nouvelle cabine introduite sur ce même réseau avec le siège en cuir qui procure un vrai saut dans la satisfaction de nos passagers, tous ces éléments, que nous devons poursuivre, sont très exigeants en matière de dépenses. Cela montre que nous ne travaillons pas seulement sur nos coûts mais également sur notre performance commerciale. J’indique toutefois qu’Air France, par rapport aux autres compagnies, a une recette unitaire élevée, qui ne procède pas seulement des tarifs – car nos tarifs sont parfois alignés sur ceux de nos concurrents – mais aussi d’une très bonne maîtrise du coefficient de remplissage. En matière de vente et de yield management, nous savons faire.

Ce que nous attendons de l’État – mais c’est vrai de toute entreprise –, c’est de pouvoir évoluer dans un environnement qui facilite la vie de la compagnie. Les ingrédients ont été amplement décrits dans le rapport de M. Bruno Le Roux. Toute mesure allant dans ce sens nous satisfait, bien sûr, mais nous sommes en même temps conscients que de telles mesures ne peuvent nous dédouaner de poursuivre notre réforme interne. Le discours du dédouanage serait irrecevable, d’abord parce que vous connaissez mieux que moi les contraintes financières de l’État, ensuite parce qu’il est logique que, dans un secteur concurrentiel, les compagnies cherchent d’abord à régler leurs problèmes par l’évolution interne, le développement de leur savoir-faire, le dialogue social.

Nous avons, monsieur Bertrand Pancher, les coudées franches dans les négociations. M. Gilles Gateau n’a pas été contacté le 6 octobre ; le recrutement d’un cadre de haut niveau prend des mois, et il n’y a aucun lien entre les événements du 5 octobre et l’arrivée de M. Gateau. Nous n’avons aucune information sur un échange du calme social pendant la COP21 contre une levée de sanctions, et je ne peux l’imaginer un seul instant.

S’agissant du tourisme, Air France est l’une des compagnies européennes qui a le réseau long-courrier le plus étendu et a le plus ouvert de lignes sur la période 2012-2015. L’idée que la direction envisagerait l’attrition est totalement fausse. Le groupe Air France-KLM est par exemple l’un des plus présents sur la destination Chine, notamment sur des villes secondaires où les autres compagnies européennes sont absentes. Le hub de Paris est un outil extrêmement puissant pour permettre à nos passagers de rejoindre les autres grandes villes françaises. Strasbourg est relié par le train. C’est un produit air-rail qui a été mis en place : pour la liaison des villes proches de Paris, nous avons réalisé des aménagements de produit en coopération avec la SNCF.

Nous collaborons sur le hub de Paris avec ADP, même si j’ai parfois pu contester l’évolution de leurs redevances. Je continue de le faire, tout en indiquant que, sur les aspects opérationnels, nous restons très proches des équipes d’ADP afin d’améliorer l’efficacité du hub. Le débat sur les redevances aéroportuaires est logique, mais ADP est un grand partenaire d’Air France. Comme l’a indiqué récemment M. Augustin de Romanet, il est difficile d’imaginer un grand Air France sans un grand ADP et un grand ADP sans un grand Air France.

Depuis deux ans, les redevances aéroportuaires à Schiphol sont très nettement orientées à la baisse, de l’ordre de moins 7 % cette année. Si c’est l’occasion de réfléchir à nouveau sur les élasticités prix et la façon dont on peut promouvoir le trafic en diminuant les redevances, tant mieux. L’exemple de Schiphol est à cet égard éloquent.

Je ne pense pas, monsieur Yannick Favennec, qu’un développement de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes modifierait de manière importante les emplois d’Air France à Nantes. Si l’aéroport devait être transféré, les effectifs le seraient aussi.

Les chiffres d’affaires de Hop! Air France et de Transavia sont de 1,3 milliard d’euros pour la première, sur l’ensemble du réseau domestique, et de quelque 400 millions pour la seconde.

Dès le 5 octobre, nous avons pris la parole à la radio et à la télévision pour souligner que les images qui ont fait le tour du monde n’étaient pas le vrai visage d’Air France. Nous avons tout de suite après envoyé 14 millions d’e-mails à nos clients pour nous excuser de ce qu’ils avaient vu et leur indiquer notre stratégie en matière de service au client. Nous avons par ailleurs envoyé à tous les vendeurs hors de France des explications sur ce qui s’était passé, afin qu’ils puissent relayer ce message auprès des clients en Chine, aux États-Unis, en Allemagne, en Amérique du Sud… Nous avons ainsi fait le nécessaire pour que ces images ne brouillent pas l’image de la compagnie. Les résultats sur les réservations ou le trafic dans les jours et semaines qui ont suivi ne montrent pas que ce qui s’est passé le 5 octobre ait eu un quelconque impact, et c’est heureux.

Si je pensais que le dialogue social est bloqué, je souhaiterais peut-être recourir à un médiateur, mais je ne pense absolument pas que ce soit le cas. J’ai évoqué les raisons qui rendent parfois ce dialogue difficile dans toute compagnie aérienne.

Je ne crois pas que les discussions avec Etihad et Alitalia mettent en danger le lien qui nous unit à Delta. La joint-venture sur le Nord-Atlantique représente près de 9 milliards de dollars, soit quasiment l’équivalent du volume d’activité de KLM. Le premier lien avec Delta date des années 2000, celui entre KLM et Northwest Airlines est encore plus ancien. La coopération est intense. Les forces de vente aux États-Unis sont essentiellement celles de Delta, et en Europe uniquement celles d’Air France-KLM.

Les joint-ventures sont le bon outil pour poursuivre la consolidation, car les règles régissant les prises de participation dans les compagnies d’autres pays restent complexes. Pour l’instant, c’est donc le développement d’alliances que nous poursuivons. Nous avons des liens avec des compagnies chinoises, China Southern et China Eastern. Les discussions avec Etihad sont plus compliquées. Celles portant sur le maintien d’Alitalia, qui elle-même hésite, au sein de la joint-venture se poursuivent.

En ce qui concerne les baisses de personnel, les catégories ont évolué à peu près de la même façon en pourcentage. Les gains de productivité nous ont permis de produire autant avec un nombre de collègues à la baisse. Entre 2012 et 2015, le chiffre d’affaires d’Air France, je le souligne, n’a pas baissé. Les restructurations ont permis de le maintenir. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu des évolutions différentes selon les activités : les restructurations ont été particulièrement importantes pour les avions tout cargo et les bases de province. J’envisage aujourd’hui avec un relatif optimisme le retour à l’équilibre de l’activité domestique d’Air France d’ici à 2017.

En ce qui concerne la COP21, Air France-KLM est le leader du secteur des transports au Dow Jones Sustainability Index. Par ailleurs, l’aviation s’est engagée, par des accords relevant de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), à mettre en œuvre des dispositifs de contrôle puis de réduction des émissions sur la période 2015-2050. Je serai demain à Toulouse pour célébrer la première année de vols avec une partie de carburant vert chargé au départ de Toulouse. C’est ce que nous appelons la Lab’line, un ensemble d’activités en faveur du contrôle des émissions et du développement durable.

Le low cost long-courrier, qui a été évoqué dans un article des Échos, n’est pas à ce stade un projet de la compagnie.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci, monsieur le président-directeur général. Afin de ne pas dépasser davantage le temps qui nous est imparti, je suis obligé de vous interrompre pour que nous puissions à présent recevoir les représentants des organisations syndicales.

La commission procède ensuite à l’audition, commune avec les commissions des Affaires économiques, du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur le dialogue social et la situation économique d’Air France, de l’Intersyndicale d’Air France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour cette deuxième séquence, nous accueillons l’intersyndicale d’Air France. Je remercie M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, d’avoir organisé ces auditions conjointement avec Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques, compte tenu des récents événements et, plus généralement, de l’évolution de la compagnie Air France.

Je vais laisser les intervenants se présenter et préciser à quelle délégation ils appartiennent, car nous avons bien compris qu’il y a plusieurs catégories de personnels chez Air France. Vous aurez tous la parole, mais je vous demande de respecter le temps imparti, c’est-à-dire deux minutes chacun, car nous avons quarante-cinq minutes de retard. Il n’y a pas de raison de vous contraindre alors que nous avons laissé la direction de la compagnie dépasser le temps prévu pour pouvoir répondre aux nombreuses questions des députés. Je remercie les collègues présents, notamment les quelques députés de l’opposition qui sont restés pour entendre les syndicats de salariés.

M. Arnaud Richard. Ce n’est pas possible ce genre de remarque !

M. Yves Albarello. C’est inadmissible !

M. Alain Suguenot. C’est un procès d’intention !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il n’y a pas de procès d’intention.

M. Alain Suguenot. Nous sommes aussi attachés aux salariés que vous !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Absolument, monsieur le député, d’ailleurs vous êtes là !

M. Philippe Evain, président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Bonjour madame la présidente, bonjour messieurs les députés…

Plusieurs députées : Et mesdames !

M. Philippe Evain. Je vous prie de m’excuser, mesdames et messieurs les députés. Je suis Philippe Evain, président du Syndicat National des Pilotes de Lignes (SNPL) et commandant de bord à Air France. Je vous assure que j’ai beaucoup de plaisir à voler avec mes collègues féminins qui sont de plus en plus nombreux dans les postes de pilotage.

En premier lieu, je souhaite vous remercier car cette délégation de salariés d’Air France est très contente de pouvoir s’exprimer devant la représentation nationale pour tenter d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés là. Nous serons toujours à la disposition de la représentation nationale, des députés qui le souhaitent ou du Gouvernement pour essayer de faire avancer les choses.

Comme l’a rappelé le président Frédéric Gagey, le groupe Air France-KLM représente 26 milliards d’euros de retombées économiques et 350 000 emplois directs et indirects dont 44 % sont situés en Île-de-France, ce qui en fait le premier employeur de la région parisienne.

Alors que des communications ministérielles et des rapports parlementaires ont mis en avant les problèmes spécifiques au transport aérien en France et l’urgence de prendre des mesures de sauvegarde du pavillon français, les salariés ne peuvent que constater l’inertie dont font preuve la direction, d’une part, et le Gouvernement, d’autre part, face aux défis auxquels la compagnie est confrontée.

Selon nous, Air France affronte trois grands problèmes : un dialogue social que je vais décrire, une stratégie illisible, un État actionnaire qui s’est montré passif au cours des dernières années.

Selon la direction d’Air France, le dialogue social existe et fait partie de l’histoire de la compagnie. Malheureusement, ce dialogue social fructueux n’est plus qu’un vestige du passé ; la communication interne et externe de l’entreprise est désormais basée sur la manipulation des salariés. Toutes les propositions sociales sont systématiquement présentées à la presse avant de l’être aux salariés et aux instances représentatives : le débat a donc lieu hors de ces instances dont le rôle est nié et qui ne trouvent finalement aucun espace de négociation.

Notre employeur ne respecte pas les instances qui représentent le personnel. La direction des ressources humaines (DRH) tente régulièrement de contourner ces instances plutôt que de travailler en intelligence avec elles : utilisation de référendums ; recours à des groupes de travail où les syndicats sont absents ; très peu de réponses apportées aux questions du personnel ; blocage de l’accès à certains locaux par des vigiles ; peu de moyens mis à disposition du comité d’établissement (CE) et du comité central d’entreprise (CCE). Nous sommes finalement face à une stratégie du rouleau compresseur : l’encadrement prend une décision et l’applique quelles que soient les tentatives des syndicats pour imposer un débat ; les salariés ont l’impression de n’avoir aucune prise sur leur avenir.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il faut abréger, monsieur Evain, parce que vous empiétez sur le temps de parole de vos collègues.

M. Philippe Evain. Au cours des derniers mois, la communication interne a été basée essentiellement sur la division des personnels. « La direction d’Air France déclare la guerre à ses pilotes » a-t-on pu lire dans la presse. Finalement, la direction a tenté d’imposer l’idée que les problèmes d’Air France étaient incarnés par ses pilotes et que d’eux seuls dépendait le sort de l’entreprise. Nous avons été soumis à un odieux chantage sur le mode : faites des efforts, sinon je vais licencier vos collègues. Ce n’est pas une méthode de dialogue social.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vais être obligée de vous interrompre car vous en êtes à cinq minutes.

M. Philippe Evain. Je vais expliquer très vite que la stratégie de l’entreprise est illisible. Une grande part de notre activité est transférée vers KLM. Faites vous-mêmes l’exercice : si vous recherchez un billet Paris-Pékin, vous constaterez qu’il vous coûtera 20 % moins cher si vous passez par le « hub » d’Amsterdam. Il y a une vraie stratégie de transfert de l’activité française vers un pays étranger. En fait, le modèle Ryanair – construit sur la mise en concurrence des différents systèmes sociaux – est utilisé par Air France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci. Vous nous avez présenté l’architecture globale, je vais demander aux autres intervenants de rester dans la limite d’une minute trente et, surtout, de ne pas répéter les propos de M. Evain.

M. Patrice Carvalho. La direction a eu un long temps de parole !

M. Philippe Evain. Il ne me restait qu’une à deux minutes d’exposé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est déjà trop : vous en êtes à six minutes. Je vous accorde une minute pour terminer.

M. Philippe Evain. J’expliquais donc que la direction a une stratégie illisible et une politique de développement qui ne repose que sur des partenariats extérieurs et des alliances. Rien n’est prévu pour développer notre hub et les emplois français – rappelons qu’un million de passagers représentent 4 500 emplois en France. La direction d’Air France cherche plutôt à utiliser les différences qui existent en Europe en matière de charges sociales et de taxes.

Pour conclure, je soulignerais que l’État est resté trop passif. En 2013, M. Frédéric Cuvillier, alors secrétaire d’État aux transports, expliquait qu’il fallait un grand plan pour le transport aérien français. Il y a eu ensuite le rapport de Bruno Le Roux, puis celui de Claude Abraham. Tout le monde, et y compris le Gouvernement, s’accorde à reconnaître qu’il est urgent de prendre des mesures pour restaurer l’environnement économique dans lequel évolue Air France. Ces décisions, nous les attendons toujours. Le transport aérien viendra en discussion demain à l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, et je pense qu’il ne fera toujours pas l’objet d’une mesure de soutien de la part de l’État. Au-delà de l’avenir d’Air France, c’est une partie de la souveraineté du pays qui est en jeu. Ce problème nous dépasse tous.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour les autres orateurs, le temps sera un peu plus contraint puisque nous avons eu l’architecture générale de l’intervention de l’intersyndicale.

Mme Christelle Auster, secrétaire générale adjointe du Syndicat national du personnel navigant commercial – Force Ouvrière (SNPNC-FO). Notre syndicat étant représentatif, nous sommes invités à négocier les accords d’entreprise pour les hôtesses et les stewards. Nous n’avons pas encore commencé ces négociations puisque, en juin dernier, l’entreprise avait l’intention de passer en force sur des accords qui devaient encore produire leurs effets pendant dix-huit mois. Dans un premier temps, nous avons refusé d’anticiper l’application des accords : nous attendions que les efforts consentis dans le cadre du plan Transform 2015 produisent tous leurs effets avant de venir à la table des négociations.

M. Jean-Marc Quattrochi, secrétaire général de l’Union des navigants de l’aviation civile (UNAC). Je suis Jean-Marc Quattrochi, secrétaire général de l’UNAC, syndicat représentatif d’hôtesses et de stewards, c’est-à-dire de personnels navigants commerciaux (PNC).

Nous sommes conscients d’évoluer dans un secteur stratégique, en pleine mutation. L’adaptation de notre industrie – et plus particulièrement de notre compagnie – est conditionnée par l’implication de trois types d’acteurs : l’État qui doit a minima être le garant des conditions d’une concurrence équitable et loyale ; la direction de l’entreprise qui se doit d’établir une stratégie cohérente, efficace et tournée vers la croissance, qu’elle doit partager avec les représentants des salariés ; les salariés et leurs représentants qui doivent définir les adaptations qu’ils estiment pertinentes et acceptables.

Or à chaque phase de la mutation, seuls les salariés sont réellement mis à contribution. On nous demande d’être responsables et raisonnables, alors que les deux autres acteurs manquent de clarté dans leurs engagements. S’il est clair qu’un travail de réflexion parlementaire a été entrepris – notamment par le biais des rapports de Bruno Le Roux, de Claude Abraham, et du sénateur Éric Bocquet –, les décisions effectives de l’État restent très en dessous de ce que nous pourrions attendre.

L’UNAC a participé à toutes les réunions – qui n’étaient pas réellement des séances de négociation puisque les conditions n’étaient pas réunies – avec la direction d’Air France. Cette dernière nous a présenté sa stratégie de manière tout à fait succincte. Ses demandes sont si simplistes qu’elles semblent indiquer que sa stratégie n’est pas vraiment précise. En effet, faute d’être innovante, la direction se contente de contester le modèle social français. Ses demandes tiennent de la posture idéologique : elles se concentrent sur les marqueurs de la réduction du temps de travail pour ce qui est des efforts demandés aux salariés, et sur la recherche des moyens d’éviter le paiement des cotisations sociales vis-à-vis de l’État. Si la raison et la responsabilité sont recherchées, les trois types d’acteurs doivent jouer de concert et dans un respect mutuel.

M. Sébastien Portal, secrétaire général du Syndicat national du groupe Air France (SNGAF). Au nom de mon syndicat, je voudrais vous alerter sur des erreurs de gestion inquiétantes. L’étude des bilans d’Air France montre que les stratégies ont souvent des conséquences très coûteuses. La compagnie a payé plus d’un milliard d’euros d’amendes pour une entente illicite sur le cargo, dénoncée par Lufthansa. Cette dénonciation a permis à Lufthansa d’échapper aux poursuites. La politique de couverture en matière de carburant ne permet pas de profiter de la baisse des prix, ce qui a coûté environ un milliard d’euros à la compagnie en 2014. Le système de retraite à prestations définies dites « chapeaux » concerne trente-sept cadres d’Air France et coûte plus de 110 millions d’euros, alors que les grandes entreprises rentables limitent ce système à une poignée de dirigeants. La direction a aussi fait le choix de solutions informatiques externes coûteuses et inadaptées au réseau de l’entreprise.

Lors des CCE, les seuls développements annoncés de l’activité aérienne dans le plan A, dit « de croissance », passent par de nouvelles alliances ou des partenariats avec des compagnies étrangères. On constate que le développement est faible, voire inexistant, dans des domaines où les concurrents osent. Norwegian, une compagnie à bas coûts, a ouvert des lignes entre les Antilles françaises et l’Amérique du Nord. Pourquoi ne pas y développer Air France ou sa filiale Transavia ?

La direction a fait le choix de céder des avions peu chers ou amortis sans toutefois investir dans de nouveaux appareils, laissant ainsi un vide dans le ciel français. La décroissance prévue par la direction, y compris dans son plan A, conduira à la disparition d’Air France à plus ou moins court terme.

M. Arnaud Dole, délégué syndical de l’Union nationale des syndicats autonomes pour les personnels navigants commerciaux (UNSA-PNC). Pour ma part, je souhaitais rappeler que tous les syndicats ont négocié des réductions de coûts assez importantes puisque nous avons amélioré notre productivité de 20 %, alors que certains discours laissent penser que les salariés et leurs représentants n’ont pas joué leur rôle. Or, nous avons vraiment le sentiment d’avoir participé largement au redressement d’Air France en améliorant la productivité de l’entreprise au prix d’efforts difficiles.

Les mesures ont été prises et les efforts ont porté leurs fruits mais les salariés ont l’impression de ne rien recevoir en retour. En 2012, on nous a expliqué que c’était Transform 2015 ou l’attrition. Nous avons accepté le projet de l’entreprise et nous nous sommes engagés à faire 20 % d’économies, mais l’accord prévoyait aussi un développement d’Air France. À présent, nous avons l’impression que nos efforts n’ont servi à rien puisqu’on nous rejoue la même scène : c’est Perform 2020 ou l’attrition. Tous ces efforts vont-ils avoir un sens un jour ? Sans intervention de l’État, le transport aérien est mort, explique M. Bruno Le Roux dans son rapport. Comprenez que les salariés ont du mal à accepter de faire encore des efforts.

M. Mathieu Santel-Leborgne, de l’Union syndicale Solidaires de l’aérien (SUD Aérien). De mon côté, je voudrais insister sur un point : nous parlons ici d’Air France, mais c’est l’ensemble du secteur aérien qui est touché. Ce qui affecte la compagnie nationale a des conséquences concrètes directes sur les filiales et les sous-traitants. Nous assistons à une précarisation de l’emploi et à une « low costisation » des conditions de travail dans l’ensemble du secteur aérien.

Vendredi dernier, Les Echos titraient : « Air France-KLM va bien mais ses concurrents se portent encore mieux ». C’est la clef du problème : Air France-KLM va bien mais, au vu des résultats très positifs de certains concurrents, notre direction nous explique que nous ne sommes pas assez compétitifs. L’outil industriel fonctionne mais ce n’est pas le problème.

À vous, députés, j’aimerais poser deux questions. Est-ce légitime qu’une entreprise comme Air France, qui opère dans un secteur en pleine croissance et qui va annoncer des résultats nets très positifs cette année, touche un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de 100 millions d’euros sur deux ans pour supprimer 2 900 postes ? Est-ce légitime de supprimer 2 900 emplois dans une entreprise qui œuvre dans le transport aérien, un secteur qui enregistre 5 % de croissance par an ?

M. Pierre-Henri Lienemann, de l’Union nationale des syndicats autonomes de l’aérien (UNSA Aérien). Je suis Pierre-Henri Lienemann, de l’UNSA Aérien qui représente les personnels au sol. À mon avis, il est très important d’affirmer que l’avenir d’Air France passera par l’innovation et la croissance et non pas par l’attrition. Or un tableau officiel de la direction montre que seulement 40 millions d’euros seront consacrés à la croissance et à l’innovation en trois ans dans une entreprise qui, rappelons-le, réalise 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Que nous propose-t-on actuellement ? On nous propose de ne pas acheter d’avions, de ne prendre aucune initiative. Un exemple très simple va illustrer mon propos. Toutes les compagnies concurrentielles internationales ont installé un accès wifi à bord de leurs avions. Pour Air France, un tel équipement représenterait un investissement d’environ 500 000 euros par avion, soit 50 millions d’euros au total. Aucune décision n’est prise en ce sens alors que la clientèle dite à haute contribution, la plus rentable, demande ce type de prestation. En ce qui concerne la révolution digitale, Air France a fait des efforts réels et importants, mais on n’en fait jamais assez dans ce domaine à l’heure actuelle.

Dans les services informatiques, qui agissent sur la totalité de nos activités, 300 à 400 emplois ont été supprimés en trois ou quatre ans. Air France avait un savoir-faire informatique reconnu, des outils qui généraient des recettes. Actuellement, nous en sommes à acheter des solutions externes à Lufthansa ! Alors que nous avions des traitements de très haute qualité, nous avons arrêté nos développements et nous avons acheté à Lufthansa Systems le logiciel qui permet de calculer les plans de vol. Ces traitements sont importants pour la sécurité mais aussi pour les finances : ils permettent d’optimiser les frais de carburants et de redevance.

Pour le traitement de nos recettes commerciales – le calcul de l’estimation de nos rentrées et leur répartition par réseaux et par vols – nous avions un logiciel de très haut niveau mais, depuis l’externalisation de l’informatique, nous avons également acheté un logiciel à Lufthansa Systems. Notre compagnie, qui dit vouloir préparer son avenir, paie des royalties à nos concurrents pour disposer de traitements informatiques particulièrement sensibles. Il est clair que la logique d’attrition, qui nous est proposée à travers Perform 2020, ne nous permettra pas d’être compétitifs et de retrouver le chemin de la croissance ; elle condamne notre compagnie.

M. Denis Jacq, vice-président du Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF). J’interviens au nom du SPAF, l’autre syndicat représentatif des pilotes d’Air France. Comme beaucoup de choses ont déjà été dites, je vais essayer d’innover. Tout d’abord, je ne voudrais pas laisser dire, comme on l’entend régulièrement, que les bons résultats d’Air France sont liés à des événements conjoncturels tels que la baisse des cours du pétrole : ils sont le fruit des efforts de tous les salariés qui se battent au quotidien pour que leur compagnie soit présente et importante. Laisser croire que les bonnes performances sont dues à des facteurs conjoncturels c’est sous-entendre que les salariés ne font pas d’efforts. Cela me choque beaucoup. Le blocage actuel du dialogue s’explique notamment par cette négation de l’effort des salariés.

Pour les pilotes, c’est très clair. À notre entrée dans la compagnie, nous sommes placés sur une liste de séniorité. En novembre 2009, le dernier pilote recruté était 4212e. Si nous laissons faire la direction, nous serons environ 3 200 à la fin de 2017, c’est-à-dire 1 000 pilotes de moins que huit ans auparavant. La baisse représenterait 25 % des effectifs, ce qui est colossal.

Venons-en au dialogue social, la raison de notre présence ici. Quand vous négociez pour l’achat d’une maison ou d’une voiture, savez-vous dès le départ le prix que vous allez obtenir ? Pour notre part, depuis tout ce temps, nous sommes face à des gens qui nous disent d’entrée de jeu : vous choisissez ce que vous voulez, mais c’est nous qui décidons. Moi, je n’appelle pas cela un dialogue.

M. Miguel Fortéa, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT). Avant tout, nous avons besoin d’un État stratège dans cette situation où énormément d’emplois et tout le tissu économique et social du pays sont concernés, comme le soulignait M. Philippe Evain. Selon l’étude réalisée en 2011 par M. Herbert Castéran, un universitaire strasbourgeois, il y a cinq emplois induits pour chaque emploi d’Air France, c’est-à-dire que plus de 356 000 emplois étaient concernés à l’époque de l’étude. L’impact est perceptible dans toutes les régions de France.

Depuis 2010, il y a eu 15 000 départs non remplacés sans que la charge de travail ne diminue. En 2012, on nous a demandé de faire des efforts de manière contrainte, en nous promettant qu’Air France arriverait au niveau d’Emirates, au troisième rang dans le classement des compagnies aériennes internationales. Aujourd’hui, on nous demande de creuser avec nos ongles, tout en gardant le sourire, et on nous reproche d’être encore trop nombreux malgré les bons résultats obtenus sur les neuf premiers mois de l’année, et en particulier au dernier trimestre. Ce n’est pas possible.

Entre 2012 et 2014, les dix plus gros salaires de personnels au sol ont augmenté de près de 10 %, à un moment où les salariés étaient contraints de faire des efforts. Les salariés en ont plus que ras-le-bol, ils n’en peuvent plus. Ce que vous avez vu le 5 octobre, c’est surtout la manifestation d’une exaspération. Les salariés ne comprennent pas le sens des efforts qu’on leur demande, et personne ne sait expliquer la stratégie de l’entreprise. On est vraiment dans un tunnel sans fin, sans perspectives.

Pour en revenir à l’État stratège, je pense qu’il faudrait organiser une réunion tripartite entre la direction, les organisations syndicales et l’État, où seraient définis le plan de développement et la stratégie, comme savent le faire d’autres compagnies étatisées. Tant que nous n’aurons pas un plan d’investissement, le pavillon français et tous nos emplois seront menacés. Actuellement, Air France ne peut pas investir dans les avions de nouvelle génération qui consomment près de 20 % de carburant en moins, alors que sa facture s’élève à 5 milliards d’euros. Lufthansa mène une politique qui lui permet d’avoir une facture de carburant inférieure de 500 millions d’euros à celle d’Air France sur un semestre, c’est-à-dire que la différence va atteindre un milliard d’euros sur l’année. Nous avons des problèmes de gestion et de stratégie : une stratégie fondée uniquement sur l’attrition, ce n’est pas possible.

Les salariés d’Air France ne sont pas des voyous ; ils se battent pour maintenir les emplois directs ou induits. On a voulu nous faire passer pour des gens que nous ne sommes pas. Afin de faire baisser la tension sociale qui règne au sein de l’entreprise, j’invite la direction à abandonner les poursuites disciplinaires en cours et à cesser de jeter de l’huile sur le feu. Laissons la justice trancher.

M. Laurent Le Gall, de la Confédération française des travailleurs chrétiens pour les personnels navigants commerciaux (CFTC PNC). Je voudrais souligner un point qui n’a pas été abordé : M. Frédéric Gagey nous demande de faire plus d’efforts, et sans attendre, pour la survie de la compagnie, mais je rappelle que pendant la présidence de M. Christian Blanc, en 1996, nous avions déjà fait énormément de gains de productivité. M. Gagey ne parle que de Transform 2015 mais nous faisons beaucoup d’efforts de productivité depuis bien longtemps. En réalité, les gains de productivité demandés sont supérieurs aux 20 % affichés car certains éléments n’ont pas été pris en compte. À titre d’exemple, je signale que quelques mois avant la signature du plan, il a été décidé de mettre un Personnel Navigant Commercial (PNC) en moins dans les Airbus A320 pour les vols court-courrier : nous ne sommes plus que trois au lieu de quatre sur ces vols, mais ce gain de productivité n’est pas comptabilisé dans les efforts consentis dans le cadre de Transform 2015.

Pour ce qui est du rôle de l’État, nous aimerions bien une application du rapport de M. Bruno Le Roux. À ma connaissance – et cela fait un moment que je suis dans la compagnie –, les PDG et les DRH sont nommés par le Gouvernement. Nous souhaiterions un peu d’aide de la part de l’actionnaire qui nomme les dirigeants responsables de la stratégie de l’entreprise.

M. Karim Belabbas, élu au comité central d’entreprise pour Force Ouvrière. Je suis ravi de pouvoir m’adresser au propriétaire moral de notre entreprise : Air France est le patrimoine de tous les Français dont vous êtes les représentants. Cela m’amène à vous poser une simple question : que veut-on faire du transport aérien dans notre pays ?

Nous y réfléchissons et nous avons quelques réponses à donner. Nous ne sommes évidemment pas favorables à un transport aérien français qui muterait vers un système construit sur le dumping social pratiqué par des sociétés comme Ryanair et Easy Jet. En revanche, nous travaillons sur un modèle de transport aérien français doté d’une stratégie de développement et capable de pérenniser un emploi de qualité dans le pays.

Cette question-là, nous ne pouvons pas y répondre seuls. Je remercie encore l’Assemblée nationale de s’en saisir aujourd’hui car l’État doit être partie prenante de cette ambition que nous avons pour l’entreprise. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la gestion actuelle de notre compagnie, de ce qui est décrit comme une stratégie : les salariés sont déboussolés par la perspective de fermeture de lignes qu’on nous laisse entrevoir alors que le marché est en croissance. Nous disons clairement que les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux. L’État doit s’impliquer dans le dossier car toute la société, que vous représentez, a un intérêt immédiat à ce qu’Air France se porte bien. C’est l’affaire de tous, c’est notre patrimoine que nous défendons.

M. François Hamant, membre du bureau d’Alter. Je représente le syndicat Alter, un syndicat de pilotes qui est notamment affilié à l’Union syndicale Solidaires. Je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui. Vous aurez noté que nous sommes dans une configuration particulière, peu classique – une intersyndicale très vaste regroupant toutes les catégories de salariés – qui témoigne de la gravité du moment que nous vivons.

Certaines images, que vous n’avez pas vues le 5 octobre, méritent pourtant toute votre attention, à défaut des autres : 2 500 salariés exaspérés ont manifesté entre le siège social d’Air France et les aérogares ; ils sont venus plus tard, le 22 octobre, devant votre assemblée ; ils reviendront tant qu’ils ne seront pas entendus. Nous venons vous voir ici de manière un peu offensive. Nous respectons la représentation nationale, mais nous mesurons également la dureté de certains commentaires émanant du plus haut sommet de l’État : il y a quelques jours, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, M. Emmanuel Macron s’est permis de dire qu’il fallait faire des efforts, niant ceux qui ont été enchaînés depuis des décennies et que mon collègue vient de rappeler. C’est nier l’apport du collectif de travail.

La compagnie Air France est un petit concentré de société française, et elle craque de tous les côtés sous l’effet d’un discours en vogue dans l’Union européenne. La représentation nationale a aussi une part de responsabilité dans les événements. J’en appelle à votre responsabilité, en faisant un parallèle qui peut vous toucher : le dialogue social actuellement promu à Air France est un peu l’équivalent de l’application de l’article 49-3 de la Constitution pour vous. Ce n’est pas mieux : les objectifs sont toujours imposés même si la direction doit trouver quelqu’un qui appose sa signature en bas des documents. Essayez d’y réfléchir car je crois qu’il y a une autre audition après la nôtre. J’ai l’air de distribuer les mauvais points mais je ne suis pas là pour faire croire que ça se passe en douceur.

La chance d’Air France, c’est son collectif de travail, son outil industriel. Regardez les résultats actuels. Mesdames et messieurs, où que vous vouliez vous rendre dans le monde, vous pouvez prendre une autre compagnie aérienne qu’Air France. Si nous sommes si nuls, comment expliquez-vous que nous ayons un taux de remplissage annuel de 88 % et l’une des recettes unitaire les plus fortes du secteur ? C’est absolument inconcevable.

J’effectue des vols moyen-courrier. Les gens nous donnent des témoignages de leur sympathie qui nous vont droit au cœur. Mais ne doutez pas de notre détermination à aller plus loin. Nous ne sommes pas de petits enfants venus quémander de l’assistance. Nous sommes capables de nous défendre ; nous le ferons ; nous nous battrons pour notre outil de travail ; nous ne laisserons pas détruire un peu plus notre sentiment de fierté et d’appartenance. Souvenez-vous d’Erika, cette magnifique hôtesse qui s’est exprimée en marge du CCE, face à des cadres de haut niveau incapables de lui répondre car déconnectés de la réalité qu’elle décrivait. Souvenez-vous de sa fierté émue. Voilà une belle image !

Je vous prends à témoin : ce collectif intersyndical est prêt à se battre. Comme mon collègue, je demande la levée préalable des sanctions disciplinaires que la direction maintient à ce jour. Deux pilotes sont concernés, et il y a des mises à pied. Je voudrais rendre ici hommage aux collègues du sol qui sont venus hier manifester leur soutien à l’un des deux pilotes qui va passer demain en commission disciplinaire. De la même manière, des pilotes et des hôtesses se rendent aux audiences disciplinaires qui visent nos collègues du sol. Il ne faut pas se tromper : quand on pousse les gens à l’exaspération, on obtient ce genre de résultat. N’oubliez pas les marches des 5 et 22 octobre. MM. Valls et Macron sont trop prompts à réagir et trop péremptoires dans leurs jugements.

M. Marc Malloï-Cantara, Syndicat national du personnel navigant de l’aéronautique civile (SNPNAC). Après mes collègues, je répète que l’État ne prend pas ses responsabilités. Nous représentons les salariés d’Air France et notre compagnie. Nous voyons que l’État français défend des compagnies étrangères comme Qatar Airways ou Emirates, et qu’Air France passe après tout le monde. Cela fait réagir toutes les catégories de personnels. Nous sommes contents d’être ici, entendus par des députés. Il va falloir réagir d’une manière ou d’une autre pour sauver cette compagnie qui est une vitrine de la France. Je préfère m’en tenir là parce que, sinon, je ne pourrai plus m’arrêter. Nous sommes tous remontés, nous ressentons un ras-le-bol total.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie d’avoir tenu globalement votre temps de parole. Je donne la parole à Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques.

Mme la présidente Frédérique Massat. La présidente Catherine Lemorton et le président Jean-Paul Chanteguet m’ont associé à cet exercice qui consiste à entendre toutes les parties pour recueillir les informations directement au lieu de les avoir par la presse. Tel est le principal intérêt de ces échanges. Vous serez invités à répondre aux questions des parlementaires et votre parole ne sera pas brimée. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour vous entendre.

Nous avons interrogé la direction qui nous a fait part de l’embellie constatée au troisième trimestre et dont nous ne pouvons que nous réjouir tous ensemble. Il est évident que vous participez à cette embellie. Vous estimez que la stratégie de la direction est illisible ; vous aimez votre entreprise et vous avez une vision de son avenir. Pouvez-vous nous dire autour de quels points se déclinerait votre stratégie ? La direction actuelle utilise la masse salariale comme variable d’ajustement mais elle nous annonce aussi des ouvertures de lignes et des produits supplémentaires. Selon vous, que faudrait-il faire pour que l’embellie constatée se poursuive ?

Au passage, je me permets d’excuser M. Bruno Le Roux qui est retenu dans une réunion qui avait été programmée avant cette audition et qu’il n’a pas pu décommander. Je puis vous assurer qu’il suit nos travaux et qu’il interviendra sur ce sujet.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je donne maintenant la parole à M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je ne vais pas allonger inutilement les débats puisque des parlementaires souhaitent vous poser des questions. C’est un moment important pour la compagnie Air France et ses salariés. Nous nous interrogeons sur son avenir, sur la place qu’elle occupera aux niveaux européen et international. Dans le cadre de l’échange que nous avons eu ce matin avec le président d’Air France, beaucoup de choses ont été dites. J’entends les messages que vous adressez les uns et les autres sur la responsabilité et le rôle de l’État, sur des décisions qui ont été prises concernant notamment les compagnies du Golfe et les nouveaux droits de trafic. Sur ce point particulier, je souhaiterais que vous soyez plus précis parce que c’est une dimension à laquelle nous devons être sensibles.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes, en commençant par Mme Isabelle Le Callennec, pour le groupe Les Républicains.

Mme Isabelle Le Callennec. Au préalable, je ferai un rappel de la part de mes collègues : notre groupe – et le groupe de l’Union des démocrates et indépendants aussi, si j’ai bien compris – se soucie à la fois de la compétitivité économique de nos entreprises et de la cohésion sociale.

Je voudrais revenir sur vos propos liminaires concernant le Gouvernement et sa passivité. Qu’attendez-vous précisément et concrètement du Gouvernement ? Quels sont les lieux où vous allez pouvoir dialoguer avec lui ?

S’agissant de la direction, sachez que votre PDG nous a déclaré qu’il constatait une amélioration de la productivité et qu’il vous rendait hommage pour cela. Quand je l’ai interrogé à ce sujet, il a même parlé de partager les fruits du redressement à un moment donné, alors que l’on entend parler de licenciements.

De mon point de vue, il faut avoir des ingrédients pour entretenir un dialogue social. Il faut d’abord partager le diagnostic. Manifestement, vous ne partagez pas le diagnostic de la direction sur l’environnement concurrentiel d’Air France. Il faut aussi partager les objectifs. Votre président nous a indiqué qu’il souhaitait améliorer la performance commerciale et la maîtrise des coûts. Vous ne semblez pas vous rejoindre sur la manière de maîtriser les coûts.

J’ai été notamment frappée par l’un de ses propos : le calendrier des négociations ne sera pas le même pour toutes les catégories de salariés de l’entreprise. Or vous avez créé une intersyndicale pour que ne se vérifie pas l’adage « diviser pour mieux régner ». Après vous, nous allons auditionner deux autres organisations syndicales. Pourquoi ne sont-elles pas avec vous ? Le principe de négociations par catégories de personnels vous convient-il alors que vous clamez votre intention d’avancer ensemble ?

Cela étant, nous ne pouvons pas oublier la réalité de marché du transport aérien mondial qui nous a été rappelée tout à l’heure.

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

M. Daniel Goldberg. Merci à tous d’avoir tenu des propos très dignes. Vous êtes fiers de votre travail, de vos métiers, de votre entreprise. Pour avoir déjà eu l’occasion d’échanger avec certains d’entre vous, je reste frappé par l’unité de votre discours, quels que soient vos métiers et vos organisations syndicales. Ce n’est pas toujours le cas dans d’autres entreprises et cette caractéristique doit être prise en compte par la direction. Je me réjouis de pouvoir vous poser les mêmes questions qu’à la direction et vous donner l’occasion de rétablir votre part de vérité sur la situation et les récents événements.

Quelles sont les conditions à réunir pour rétablir un dialogue serein dans l’entreprise, condition sine qua non du maintien d’Air France ?

L’un d’entre vous a appelé de ses vœux l’organisation d’une réunion tripartite entre la direction, les syndicats et l’État. Dans le cas présent, où l’État est actionnaire, le CCE n’est-il pas cette instance tripartite ? Au nom de mon groupe, je vous indique que nous questionnerons les administrateurs représentant l’État sur leur position concernant le développement de l’entreprise.

Il y a une évolution de la structure des salariés dans l’entreprise : la proportion des ouvriers et des employés diminue par rapport à celle des cadres. Quelles conséquences cette évolution peut-elle avoir sur la vie quotidienne de l’entreprise ? Peut-elle nuire à l’avantage compétitif que représentent les salariés d’Air France par rapport à d’autres compagnies, compte tenu de leur rôle en matière d’accompagnement des passagers et de sécurité des vols ?

Plusieurs d’entre vous ont évoqué le risque global que présente la diminution des coûts. Mettons à part les compagnies qui jouent sur le low cost et qui exercent des pressions insupportables sur certaines collectivités françaises. Si on exclut celles-là, avez-vous en tête un modèle de compagnie qui ressemble à ce que vous souhaitez pour Air France ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Tout d’abord, madame la présidente, j’aimerais comprendre votre réaction concernant notre présence, et nous nous en expliquerons tous les deux. En quoi la présence de l’opposition à l’audition des syndicats d’Air France serait-elle une bonne nouvelle ? Madame la présidente, j’ai beaucoup d’estime pour vous, mais votre réaction m’a profondément choqué.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je me réjouis de votre présence.

M. Arnaud Richard. Nous sommes face à l’une des deux intersyndicales du premier employeur d’Île-de-France, qui œuvre dans un secteur en très forte croissance mais extrêmement complexe. Il semblerait que les acteurs – État, délégation intersyndicale et direction – aient du mal à se comprendre. Votre président estime que les événements du 5 octobre entachent l’image de la compagnie ; elles entachent aussi l’image de notre pays.

Avant de poser ma première question, je précise qu’elle n’est pas une attaque contre qui que ce soit, qu’elle ne vise personne en particulier. Selon vous, est-ce responsable de la part de l’État, de mettre à la tête de l’un des fleurons de notre pays, des hommes et des femmes qui n’ont pas une réelle connaissance, compétence, expertise, ou passé professionnel dans le transport aérien, secteur d’activité très complexe ?

Manifestement, le dialogue social est malade dans cette compagnie. L’un ou l’autre d’entre vous pourrait-il diagnostiquer cette maladie ? Est-ce une schizophrénie ? Nous avons une délégation intersyndicale et par ailleurs une délégation de la CFDT et de la CFE-CGC, ce qui est tout de même un peu surréaliste. Vous nous parlez de réunion avec l’État et, comme mon collègue Goldberg, il me semble que le CCE devrait être l’instance de ces échanges tripartites.

Que pensez-vous de l’absence d’un tiers de confiance – un médiateur, disait l’une de nos collègues lors de la précédente audition – capable de faire le lien entre l’État, la direction et les syndicats ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe Écologiste.

Mme Isabelle Attard. Avant mon intervention, je signale que notre cher président Chanteguet a oublié de me passer la parole durant la précédente audition. C’est le genre d’erreur qui peut se produire mais, en l’occurrence, compte tenu de l’importance du sujet, elle est extrêmement dommageable. Je compte sur vous, madame la présidente Lemorton, pour que, en toute justice parlementaire, mes propos liminaires ne soient pas décomptés de mon temps de parole.

Mesdames et messieurs les représentants syndicaux des salariés d’Air France, bienvenue à l’Assemblée nationale.

Le 5 octobre dernier, votre grand patron Alexandre de Juniac, PDG d’Air France-KLM, a transmis à la presse un plan de suppression de 2 900 postes, qui n’avait pas encore été présenté au CCE. Cela constitue un délit d’entrave, prévu à l’article L.2328-1 du code du travail et puni d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende. M. Alexandre de Juniac a ainsi causé une grande souffrance morale à des dizaines de milliers de salariés, légitimement inquiets pour leur avenir. Condamnez-vous ce délit, passible de prison, commis par votre patron ?

Le PDG, M. Frédéric Gagey, répète à qui veut l’entendre, encore ce matin, que le plus grand problème d’Air France, c’est le coût de ses salariés. En bonne gestionnaire, j’estime plus intéressant de savoir ce qu’ils rapportent. Les chiffres sont clairs : 898 millions d’euros en un trimestre. Mesdames et messieurs les représentants des salariés, vous pouvez être fiers de votre productivité ! Souvenons-nous du secteur textile français ou du secteur manufacturier. Dans la course à l’économie du moindre centime, ils ont disparu, définitivement battus par la Chine. L’histoire montre que dans la course au moins-disant social, on trouve toujours quelqu’un pour vendre moins cher, alors que viser la qualité rapporte. La direction d’Air France vous a-t-elle dit jusqu’où elle comptait réduire les coûts salariaux d’Air France ? Jusqu’à zéro ?

La direction d’Air France a osé proposer aux pilotes de travailler plus pour gagner autant. Cette proposition devrait faire bondir certains de mes collègues qui, en 2007, vantaient le « travailler plus pour gagner plus ». Lorsque je prends l’avion, je ne veux pas avoir en tête que les pilotes sont surmenés et que la sécurité du vol n’est pas assurée. Le droit du travail n’est pas conçu que pour défendre les salariés, il permet aussi aux entreprises d’avoir des personnels compétents et en bonne santé.

Selon vous, syndicats représentatifs, le modèle de société qui vous est présenté lors des réunions de CCE est-il le même que celui qu’avait promu M. Alexandre de Juniac en décembre 2014 à Royaumont, à savoir un monde où l’on travaille jusqu’à sa mort sans retraite, où les grévistes sont automatiquement mis en prison, et où même les enfants travaillent ? (Applaudissements des représentants de l’intersyndicale.)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, Mme Attard. Cela valait le coup de vous laisser le temps de parole nécessaire.

La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Tout d’abord, je voulais remercier chacun de vous pour les explications données et les points de vue exprimés. Lors de l’audition de votre président, notre groupe a rappelé son attachement au dialogue social et à la responsabilité de tous. Il en va de l’image et du pouvoir d’attraction de votre entreprise comme de ceux de notre pays. Nous sommes tous désireux de dessiner un avenir meilleur pour Air France.

Vous avez appelé à une nouvelle journée de manifestation, le 19 novembre prochain, pour demander l’arrêt des procédures disciplinaires à l’égard de vos collègues mis en cause dans le cadre des événements du 5 octobre dernier. Pouvez-vous nous faire un point sur l’état d’avancement de ces procédures ? Quelles sont vos attentes ?

Afin d’obtenir des réponses à vos questions et de vous assurer de la situation économique réelle de l’entreprise, vous avez voté à l’unanimité pour le lancement d’une procédure de droit d’alerte, pour questionner la direction sur sa stratégie. Quel est le calendrier d’un tel audit ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La parole est à M. Patrice Carvalho pour le groupe Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrick Carvalho. Quand un patron veut faire passer une politique, ce n’est pas compliqué : il crée les conditions pour y parvenir. Je l’ai vécu dans l’entreprise où je travaillais : quand on était en grève pour les salaires, le patron publiait le salaire moyen brut de l’entreprise pour nous opposer les uns aux autres et calmer le jeu. Quand on veut mettre en cause la fonction publique, on dit que les fonctionnaires sont des nantis. En cas de conflit à la SNCF, on dit la même chose des cheminots. C’est toujours un peu le même procédé et je regrette que notre Premier ministre ait traité des salariés d’Air France de voyous, même si je ne prône pas le déshabillage des gens. Dans un conflit aussi dur, on vise l’apaisement et on ne se positionne pas comme ça. À mon sens, le Premier ministre a pris une position politique claire.

Dans un autre registre, je pense qu’il n’est pas légitime qu’Air France bénéficie du CICE. Il est tout aussi anormal que les dirigeants d’Air France se distribuent des salaires à de tels niveaux, et qu’ils ne participent pas aux efforts qu’ils demandent aux autres. Quant aux médias qui vivent de la publicité d’Air France, ils ne peuvent pas être de votre côté. Le jour où les syndicats seront capables de donner des millions à ces journaux, vous pourrez faire passer vos messages, mais il va falloir attendre longtemps : les cotisations syndicales risquent d’être un peu chères pour assumer ce coût…

Vos interventions m’inspirent aussi une question : est-on toujours en sécurité quand on prend l’avion ? Vous annoncez que 1 000 postes de pilotes ont été supprimés, tandis que le PDG explique que le volume du travail est toujours le même, c’est-à-dire qu’il y a toujours autant d’avions dans le ciel. Comment la sécurité est-elle assurée ? Je suis un peu inquiet.

Vous avez déclenché le droit d’alerte et vous avez demandé une étude économique au CCE. Pourrait-on avoir les conclusions de cette étude qui pourraient nous éclairer ?

Enfin, chers collègues de droite, vous étiez quarante lors de l’audition du PDG et vous n’êtes plus que sept à présent. C’est un peu dommage.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits.

Mme Annick Le Loch. Je souhaitais interroger le PDG tout à l’heure mais je n’ai pu le faire car je me suis absentée quelques minutes. Ma question concerne HOP ! la compagnie régionale d’Air France, qui est régulièrement interpellée sur les conditions de desserte aérienne de mon territoire, je fais allusion à la liaison entre Quimper et Orly, importante pour l’attractivité du territoire. La direction commerciale de HOP ! a encore exprimé récemment son souhait d’améliorer la ponctualité et de développer des offres tarifaires attractives sur cette ligne. Dans quelle mesure la compagnie Air France peut-elle accompagner sa filiale dans cet effort d’amélioration du service ?

M. Jean-Marie Sermier. À de nombreuses reprises, vous avez interpellé l’État actionnaire qui doit apporter des réponses claires. Mais une entreprise a au moins autant besoin de ses clients que de ses actionnaires. Et les clients nous questionnent car le marché change et la demande doit sans cesse s’adapter aux prix et aux prestations. J’ai interrogé votre président sur l’offre d’Air France et de ses filiales sur les créneaux du low cost. Quelle est la position de l’intersyndicale sur ce point ?

M. Henri Jibrayel. Comme Mme Frédérique Massat, nous ne pouvons que nous réjouir du résultat positif de la compagnie, obtenu essentiellement grâce aux salariés.

M. Frédéric Gagey a été interrogé à plusieurs reprises sur le dialogue social mais ses réponses nous ont laissés sur notre faim. En 2014, il y a eu un long conflit qui aurait pu apporter une certaine expérience du dialogue social, une aptitude à anticiper les événements. Pourtant, le dialogue social est malade dans cette entreprise, comme vous avez tous eu l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître. Comment peut-on arriver à la situation du 5 octobre ? D’ailleurs, sans revenir longuement sur ces événements, je voudrais abonder dans le sens de M. Hamant : nous n’avons pas vu la séquence la plus intéressante.

M. Frédéric Gagey nous parle de rencontres permanentes comme celles du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui répondent à des obligations légales. Je m’inquiète de l’avenir du dialogue social dans une entreprise de 65 000 salariés qui annonce la suppression de 2 900 postes et qui est en mutation. Quelques-uns d’entre vous demandent la levée des sanctions. J’ai l’impression que le dialogue social va être très difficile dans l’entreprise. Que peut-on faire pour que la situation évolue ? Les parlementaires s’inquiètent, mais les citoyens pensent aussi qu’il y a un problème dans cette entreprise. Ce matin, je n’ai pas eu l’impression que le PDG ait voulu s’engager vers le rétablissement d’un véritable dialogue social au sein de l’entreprise. Il y a certes trois catégories de personnels et plusieurs syndicats, mais ce pluralisme constitue aussi une richesse.

M. Yves Albarello. Je vais rebondir sur les propos de mon collègue car nous sommes là pour parler de la panne visible du dialogue social dans cette entreprise. Êtes-vous d’accord sur le diagnostic concernant l’environnement concurrentiel de la compagnie ? Sans accord sur le diagnostic il n’y aura jamais de dialogue social.

M. Karim Belabbas, vous qui avez parlé de votre attachement à la compagnie, soyez rassuré : nous sommes tous amoureux de notre compagnie nationale et fiers de ce patrimoine. En tant qu’élus locaux, il nous arrive régulièrement de décerner la médaille du travail à des personnels d’Air France, qu’ils soient stewards, pilotes ou autres. Peut-être est-ce davantage le rôle du chef d’entreprise de remettre de telles médailles ? En fait, c’est généralement un maire qui le fait avec beaucoup de fierté. Nous tenons à notre compagnie nationale qui, effectivement, fait partie de notre patrimoine. Notre compagnie doit être à la hauteur de notre réseau d’ambassades, l’un des meilleurs du monde. Elle représente le pays des Lumières, la gastronomie française. Encore faut-il qu’il y ait une certaine homogénéité.

Revenons à l’environnement concurrentiel et oublions les compagnies du Golfe – Etihad Airways, Qatar Airways, etc. – pour ne retenir que les trois grandes compagnies européennes : British Airways, Lufthansa et Air France. Les deux premières ont fait leur révolution ; Air France doit faire ou poursuivre la sienne. Quel est le rapport entre le nombre de personnels employés par Air France et le nombre d’avions dont dispose la compagnie ? J’ai posé la question au PDG sans obtenir de réponse. Or il serait intéressant de comparer ce ratio dans les trois compagnies européennes.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je vous remercie, madame et messieurs les représentants syndicaux, pour vos interventions. Avec quelques autres parlementaires, j’avais eu l’occasion de vous entendre à l’issue de votre dernière manifestation et j’avais pu constater votre fort attachement à l’entreprise Air France et votre souci de son avenir.

Cette audition doit être pour vous l’occasion d’exprimer devant la représentation nationale vos propositions pour l’avenir de l’entreprise, dont nous savons qu’elles sont nombreuses et riches. Pour ma part, j’ai la conviction qu’Air France doit relever un défi de modernisation et d’élévation de sa compétitivité, coûts et hors coûts, comme l’a rappelé M. Daniel Goldberg. À cet égard, il est un débat important qui a été peu abordé : l’élévation de la qualification et de la formation professionnelle des salariés qui représentent une richesse pour l’entreprise. Comment se passe la formation professionnelle ? Quelles sont vos suggestions et demandes en la matière pour les différents métiers ?

M. Alain Suguenot. M. Frédéric Gagey nous disait tout à l’heure que le dialogue social n’était pas en butée à Air France. Apparemment, il était très optimiste : il y a un fractionnement de la représentation syndicale et, au nom de la délégation syndicale, treize intervenants s’expriment autour de cette table. Il y a de quoi s’inquiéter, même si c’est très exceptionnel, parce que ce n’est pas le meilleur moyen de négocier. Sans compter qu’il y a une partie qui n’est pas forcément présente même si elle est représentée, l’État, dont les positions peuvent paraître quelque peu contradictoires : d’un côté, on prétend défendre et sauver Air France ; de l’autre, on augmente les droits de trafic accordés aux compagnies concurrentes et on crée des taxes d’aéroport très élevées. Qu’au moins l’État sache jouer au jeu de la concurrence s’il veut aider sa compagnie nationale !

Au-delà des problèmes de représentation lors de la négociation, il me semble se poser une question essentielle : quelles solutions proposez-vous ? Nous sommes d’accord sur le constat : les efforts consentis depuis 1996, auxquels les salariés ont participé très largement, ont porté leurs fruits. Cependant, les coûts d’Air France restent supérieurs de 25 % à ceux de ses rivales. Nous nous gargarisons des 500 millions de bénéfices qu’Air France va peut-être réaliser mais les bénéfices d’International Airlines Group (IAG) atteignent 2 milliards d’euros et ceux de Lufthansa 1,5 milliard d’euros. Cela fait une grosse différence. Quelles solutions
– qui seraient consensuelles parmi vos différentes organisations syndicales – proposez-vous pour atténuer cette différence ?

M. Jean-Pierre Blazy. Tout d’abord, je remercie M. Mathieu Santel d’avoir répondu à la question sur le montant du CICE, que j’avais posée à M. Frédéric Gagey sans obtenir de réponse. Reste à savoir à quoi sert le CICE à Air France. Peut-être avez-vous des idées sur le sujet ?

Comme beaucoup d’autres ici, je suis convaincu que les salariés de la compagnie ont produit des efforts – nécessaires et importants – depuis vingt ans. Ce sont des salariés exaspérés, et non pas des salariés voyous, qui ont commis des violences que l’on peut condamner. Même si c’est difficile, il faut que le dialogue social puisse avoir lieu. Alors que le président Frédéric Gagey a beaucoup parlé de l’existence d’un dialogue social qui rendait inutile l’intervention d’un médiateur, vous nous dites qu’il s’agit en fait d’un vestige du passé. C’est dire où l’on en est ! Pour votre part, pensez-vous qu’il faut un médiateur pour que le dialogue reprenne entre les uns et les autres, et au plus vite parce qu’il y a urgence ?

En dressant l’état de la compagnie, vous avez mentionné des éléments que j’ignorais et qui mériteraient d’être approfondis par le Parlement : les pratiques d’achat de carburants et les ententes illicites sur le cargo qui obèrent manifestement les résultats de la compagnie.

M. Lionel Tardy. Quand on voit qu’Air France est en danger alors que le marché aérien est en pleine croissance, on peut s’interroger. Quand on voit qu’Air France n’est jamais présente dans le top 10 des compagnies « les plus appréciables », on peut aussi s’interroger, même s’il est difficile de rivaliser avec certaines compagnies du Golfe.

Les syndicats tiennent parfois un discours paradoxal : d’un côté, ils mettent en cause la concurrence et, de l’autre, ils freinent l’entreprise lorsqu’elle tente de s’y adapter. À titre d’exemple, je citerai la fermeture de la ligne déficitaire qui reliait Roissy-Charles-de-Gaulle à Vérone. Pour ne pas déroger aux accords sur le périmètre d’activité d’Air France, le SNPL n’a pas accepté que Transavia, la filiale à bas coûts, exploite cette ligne au départ d’Orly.

Ces constats me conduisent à vous poser la même question qu’à votre PDG. La compagnie Air France a-t-elle suffisamment anticipé la concurrence ? Autrement dit, n’a-t-elle pas continué à raisonner comme si elle était toujours en situation de monopole, lorsqu’elle a effectué ses choix, au cours des dernières années ? Ma dernière question vous concerne plus directement : les syndicats ont-ils une part responsabilité dans cette attitude ?

Mme Chaynesse Khirouni. Je remercie aussi M. Mathieu Santel de nous avoir donné le montant du CICE perçu par Air France.

Je souhaiterais revenir sur le contraste saisissant qui existe entre les deux branches du groupe Air France-KLM. Tandis que les salariés faisaient grève en France, KLM est parvenue à un accord avec ses 2 800 pilotes pour faire évoluer leurs conditions de travail. Comment analysez-vous ce contraste ? Quels ont été les éléments négociés chez KLM ? N’y a-t-il pas un risque de délocalisation des emplois de la France vers les Pays-Bas dans le cadre de la holding ?

Dans un contexte extrêmement concurrentiel, Air France doit prendre des mesures afin d’assurer son avenir, comme d’autres compagnies aériennes à vocation mondiale. Quelles orientations stratégiques l’intersyndicale soutient-elle ? Quelles mesures doivent accompagner ces orientations stratégiques ?

Enfin, je souhaiterais revenir sur le dialogue social. Je l’ai dit à plusieurs reprises : il n’y a pas d’efficacité économique sans efficacité sociale. Nous sommes particulièrement inquiets pour le climat social qui règne dans l’entreprise. En tant qu’organisations syndicales, pouvez-vous mesurer les risques psychosociaux dans l’entreprise ? Existe-t-il un accompagnement particulier des salariés ?

M. Gabriel Serville. Depuis 2012, mes nombreuses questions sont demeurées sans réponse de la part de la direction, notamment celles se rapportant à la confection des prix des billets d’avion pour les outre-mer. La Commission nationale d’évaluation des politiques publiques d’État en outre-mer a tenté d’y voir plus clair, hélas sans succès, car nous avons toujours buté sur une véritable opacité. Résultat : les clients crient en général au scandale, la situation de monopole sur certaines lignes ne favorisant pas une régulation transparente.

Air France n’est pas une œuvre philanthropique et tout le monde comprend qu’elle a besoin de dégager des marges. Toutefois, en raison de la nécessité d’assurer une bonne continuité territoriale entre la France hexagonale et les outre-mer, nous considérons que l’État et Air France doivent assumer leurs responsabilités et faire en sorte que le prix des billets pour les outre-mer obéisse à une logique à la fois économique et politique.

Une fois n’est pas coutume, je ne poserai pas de question mais je souhaiterais profiter de cette opportunité pour témoigner ma sympathie à l’intersyndicale à laquelle je souhaite bon courage. Son combat est aussi le nôtre.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Merci à tous d’être venus rétablir votre part de vérité. Cela nous fait du bien.

Monsieur Evain, vous avez parlé de stratégie illisible, un qualificatif repris par nombre d’entre vous. Sachez que, depuis nos territoires, elle est également illisible. Je fais ici référence aux bases qui ont été ouvertes à Marseille, Nice et Toulouse dans le but de concurrencer les compagnies à bas coûts, sachant qu’Air France a plus de contraintes que ces concurrentes. Des lignes ont été ouvertes puis fermées entre Marseille et le Liban ou Rome. Du coup, l’idée de fermer les bases pour faire quelques économies a été évoquée, puis abandonnée après la mobilisation des élus locaux.

Vous avez raison, on ne comprend rien à cette stratégie. Quelle est votre position concernant les bases ? Les salariés qui travaillent sur celle de ma région me tarabustent à ce sujet. L’un d’entre eux, qui est pilote, s’est battu à nos côtés pour le maintien des bases régionales d’Air France. Met-on en péril l’équilibre d’Air France en faisant cela, en essayant de développer des lignes depuis des territoires qui vont devenir de grosses métropoles et qui ont besoin d’établir des liens économiques avec d’autres pays ? Nous n’avons plus qu’une ligne au départ de Marseille en direction du Maghreb. Ne pensez-vous pas que c’est une anomalie ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Comme il n’y a plus de questions, je vous propose, madame, messieurs, de reprendre la parole à tour de rôle pour y répondre.

M. Philippe Evain. Les questions sur la stratégie d’Air France rejoignent celle concernant le profil de ses dirigeants. Les décideurs placés à la tête de la compagnie sont plutôt issus du monde politique mais ils ont un profil de financiers. Ils conduisent donc une politique essentiellement fondée sur des considérations financières et, en la matière, ils sont assez forts. Pour afficher une bonne rentabilité financière à court terme, il vaut mieux tailler dans les coûts et réduire la voilure plutôt que de prendre des risques et de proposer du développement. C’est leur profil qui est un problème : nous avons des financiers alors que nous voudrions des entrepreneurs. Est-ce que leur profil tient au fait qu’ils sont nommés par l’État ? Je ne sais pas et je ne prendrai pas parti là-dessus.

Que faire pour atteindre une rentabilité proche de celle de compagnies telles que Lufthansa ou Iberia ? Il faut investir, oser, se développer. En fermant des lignes, comme les dirigeants d’Air France le font depuis cinq ou six ans, il n’y a aucun espoir d’atteindre les niveaux de rentabilité de nos concurrents qui, eux, osent. En tant que navigant, je vois tous les jours les avions se multiplier sur les aérogares : d’autres compagnies osent pendant qu’Air France réduit la voilure.

Pour répondre à votre question, Mme Carlotti, je vais vous raconter une conversation que nous avons eue avec le président Gagey. Alors que nous l’incitions à développer Transavia au départ des régions, il nous a répondu : ne me demandez pas d’ouvrir des lignes long-courrier au départ de la province. En fait, prendre un risque, essayer quelque chose, faire ce que font les autres, c’est contraire à l’ADN de nos dirigeants. Transavia n’est pas dans les villes de province et il n’y a pas d’offre long-courrier dans les régions. On a fermé les lignes internationales ou moyen-courrier au départ des régions.

Sachez que nous avons subi ces décisions. Pour notre part, nous n’avons jamais souhaité la fermeture des bases régionales d’Air France, bien au contraire. Dans le flou qui a régné au moment où il était question de le faire, nous n’arrivions pas à trouver un accord avec la compagnie en raison d’un problème de dialogue social. Nous considérons que le développement de ces bases régionales est absolument indispensable. De même, nous ne sommes pas opposés au développement de l’offre low cost, à condition que cela consiste à développer une clientèle à part, ayant toute sa raison d’être, et non à siphonner les passagers d’Air France pour les transformer en clients low cost.

M. Karim Belabbas. Beaucoup de questions tournent autour de l’environnement concurrentiel. S’agissant des compagnies à bas coûts, en particulier de Ryanair, nous ne pouvons adopter certaines de leurs pratiques pour des raisons à la fois techniques et éthiques. Si Ryanair crée des filiales sur l’Île de Man, à Jersey et Guernesey ou au Luxembourg, vous pouvez imaginer à quelles fins. Nous ne souhaitons pas qu’Air France recoure à ce genre d’ingénierie financière pour résoudre certains problèmes de concurrence en privant la communauté nationale de recettes.

Lors de la grève des pilotes, en septembre 2014, nous avons eu connaissance que cette idée de jouer avec les différences de compétitivité à l’intérieur de l’Europe avait effleuré M. Alexandre de Juniac. À la faveur de ce conflit, nous avons eu connaissance qu’il avait monté une coquille au Portugal. Nous pensons que ce genre de développement n’est bénéfique pour personne. Nous ne pourrons donc jamais avoir la même compétitivité que ces compagnies, à moins d’entrer dans des logiques qui posent des problèmes éthiques et techniques. On dit pudiquement que ce sont des pratiques d’optimisation fiscale mais, pour ma part, j’ai un autre terme pour qualifier ce que fait Ryanair. Ces méthodes pèsent, y compris sur le financement de la flotte, et expliquent la différence de compétitivité de 25 % qu’Air France pourrait avoir avec les uns et les autres. Il faut regarder au-delà du chiffre et analyser comment est fabriquée cette différence de compétitivité. En ce qui concerne Ryanair, les choses sont claires : l’intersyndicale rejette ses pratiques de A à Z. Nous ne voulons pas casser le droit social ni profiter des logiques d’optimisation fiscales. Nous voulons continuer à être productifs pour nous – salariés et entreprise – et pour l’ensemble de la nation.

Quel est le rapport entre le nombre de personnels employés par Air France et le nombre d’avions dont dispose la compagnie ? La question peut paraître pertinente. En réalité, ce ratio est biaisé parce que toutes les compagnies n’ont pas les mêmes savoir-faire, notamment en termes de maintenance d’avion ou d’informatique. Comme un collègue l’a rappelé, Air France a longtemps été à la pointe dans le domaine informatique : nous sommes les développeurs d’Amadeus. À quoi peut servir ce genre de ratio ? A priori à justifier toujours davantage de suppressions d’emplois.

Mme Christelle Auster. Vous avez été nombreux à nous interpeller sur le dialogue social à Air France et certains d’entre vous se sont interrogés sur le fait que nous soyons treize autour de cette table. Nous nous sommes regroupés pour diverses raisons : les informations que nous recevions, les menaces sur l’emploi, la volonté de la direction de nous diviser depuis plusieurs mois. Nous nous sommes dit que nous devions rassembler nos forces et revendiquer ensemble la survie de notre compagnie. Si d’autres représentations syndicales ne sont pas avec nous, c’est parce qu’elles se sont abstenues de nous rejoindre. Elles étaient invitées. Cela étant, il n’y a pas treize organisations syndicales à négocier en permanence avec la direction. Les 13 500 hôtesses et stewards sont représentés par trois syndicats, et la direction n’a que ces trois interlocuteurs lorsqu’elle négocie avec cette catégorie de personnels.

Les diagnostics et les remèdes sont-ils partagés ? L’une des conséquences de la panne de dialogue social est de nous priver des moyens de vérifier les dires de la direction en ce qui concerne les prétendus sureffectifs. On nous dit que nous sommes trop nombreux, que nous ne volons pas suffisamment. Mais lorsque nous demandons à la direction de nous fournir les plans de l’emploi des PNC pendant les trois dernières années et le plan où elle définit ses besoins pour les mois à venir, nous nous heurtons à une fin de non-recevoir. Jusqu’en 2012, nous avions accès à ces données ; depuis, la direction refuse obstinément de nous les fournir. Comment partager un diagnostic dans ces conditions ? Comment juger de la pertinence des efforts qui nous sont demandés ? Pas plus tard qu’hier, nous avons encore écrit à la direction pour lui demander ce fameux plan. Une fois encore, elle a obstinément refusé de nous le donner.

Mme Carrey-Conte nous a interrogés sur la formation. Nous faisons des métiers spécifiques qui demandent des formations obligatoires auxquelles tous les moyens sont consacrés. Actuellement, aucune formation n’est destinée à la reconversion professionnelle des hôtesses et stewards alors que les plans de départs volontaires se succèdent. Diverses mesures, comme le compte personnel de formation qui est entré en vigueur le 1er janvier 2015, ont été adoptées au cours des dernières années. Mais chez Air France, 100 % du budget de la formation est destiné au maintien dans l’emploi en vertu d’un dogme : puisque des formations sont obligatoires pour que les personnels puissent rester à un certain niveau de qualification et tenir leur emploi, tout le budget y est consacré. Or les plans de départs volontaires sont ouverts à tous – à trente-huit ans, je pourrais tout à fait en bénéficier – et ils aboutissent à un résultat : un grand nombre de personnes arrivent chez Pôle emploi sans formation, incapables de retrouver du travail. Actuellement, nous demandons à la direction de ne pas utiliser la formation professionnelle pour le seul maintien dans l’emploi mais de permettre aux salariés d’envisager une vraie reconversion professionnelle accompagnée par l’entreprise. Non seulement Air France a largement les moyens de le faire mais elle en a aussi le devoir dans la mesure où elle enchaîne les plans de départs volontaires.

M. François Hamant. À entendre nombre de questions et de commentaires, que ce soit dans les médias ou dans cette salle, je redoute que le dialogue social ne soit considéré que comme une technique de communication. Or c’est le contenu de l’échange qui compte, pas la manière de parler.

Je regrette que M. Lionel Tardy soit parti parce que j’aurais aimé le lui redire : le collectif de travail et l’outil industriel d’Air France ne sont pas malades ; le taux de remplissage des vols atteint quasiment 90 % en moyenne annuelle et l’entreprise affiche l’une des plus fortes recettes unitaires du secteur. Où est ce canard malade que l’on voudrait achever à coup de licenciements boursiers et de dépeçage progressif ?

Philippe Evain vient de fort bien expliquer le problème qui se pose dans la compagnie comme ailleurs : la culture des dirigeants, peu importe qui les nomme. M. Gagey a été élevé à la finance, et il est arrivé chez Air France avec un DRH et une chargée de communication. Ce style de triumvirat, vous l’avez à la tête de tous les grands groupes industriels. Vous qui êtes parlementaires, vous savez que d’autres secteurs industriels souffrent de cela, de cette maladie qui fait craquer le pays. Nous en avons assez d’entendre dire partout que la France est nulle, qu’il faut en finir avec l’héritage du Conseil national de la Résistance. M. Alexandre de Juniac s’est aventuré à commenter cet héritage de façon extrêmement légère lors de cette fameuse réunion patronale de décembre 2014 à Royaumont. Il s’est mis à ergoter sur le travail des enfants en s’interrogeant : « C’est quoi l’âge d’un enfant, de nos jours ? » Et d’estimer que finalement la notion est floue. Comment peut-on dire cela aujourd’hui, au XXIsiècle ? C’est hallucinant ! Voilà ce que l’on a à la tête de nombreux grands groupes industriels.

Pour en revenir à Air France, j’affirme que c’est de cette maladie que nous souffrons. Nous allons mourir si nous nous laissons entraîner sur cette voie-là. Mais nous avons confiance et nous n’allons pas le laisser faire. Nous sommes venus vous le dire. L’avenir d’Air France ne passe pas par l’externalisation, le dépeçage en petits morceaux. Un projet ne pourra générer le dialogue que s’il permet de valoriser notre outil et notre savoir-faire qui ne se mesure pas qu’en ratios de personnels employés par avion. Les gens font confiance à cette entreprise.

Pourquoi la France attire-t-elle 85 millions de touristes chaque année ? Viennent-ils pour trouver du low cost ? Non, ils viennent pour la haute-couture, la bonne nourriture, le bon vin, les beaux châteaux, ce genre de choses qui nous rendent fiers d’être Français et que le capitalisme moderne, désinhibé et déshumanisé, s’efforce méticuleusement de casser, jour après jour, avec l’aide du Gouvernement et de l’Union européenne telle qu’elle est construite. Voilà le mal dont nous souffrons.

Face aux menaces qui pèsent sur 2 900 emplois, nos soucis de formation paraissent lointains. Stabilisons l’emploi avant de parler de formation. Pour résumer ma pensée je vous dirais ceci : halte au dépeçage de cette entreprise car elle est sa meilleure chance ! Faites-nous confiance et convainquez au plus haut niveau de l’État que c’est par nous que la solution passera.

M. Jean-Marc Quattrochi. Plusieurs d’entre vous nous ont interrogés sur le partage du diagnostic. Évidemment, nous vivons dans le transport aérien et nous voyons ce qui se passe dans le monde. Nous savons que le secteur est en mutation. Quelle stratégie faut-il adopter face à cette mutation ? Telle est la bonne question. Pour nous, la stratégie passe par l’innovation, par le courage de développer des projets et notamment les bases régionales dont a parlé Philippe Evain, par la montée en gamme. Les salariés sont prêts à s’adapter à l’évolution de la demande et à monter en gamme. Ils sont prêts à répondre au défi de la compétitivité, mais pas à n’importe quel prix : nous devons obtenir certaines garanties.

Nous devons notamment obtenir la garantie d’évoluer dans des conditions de compétition loyales, que seul l’État peut nous apporter. Nous ne demandons pas l’aumône. Nous demandons au législateur de clarifier la situation des faux indépendants, de définir ce qu’est une base flottante. Actuellement, Norwegian va encore plus loin que Ryanair : l’entreprise théoriquement norvégienne est juridiquement établie en Irlande pour profiter d’une fiscalité particulière, et ses navigants ont des contrats de travail singapouriens. Il faut élaborer des outils de lutte contre ces pavillons de complaisance.

Quant aux taxes sur le transport aérien, elles nous placent dans une situation défavorable par rapport à nos concurrents : nous sommes tous censés courir un cent mètres, mais on nous équipe de semelles de plomb et on nous ajoute dix mètres supplémentaires et des haies dans notre couloir. Je parle bien des taxes annexes qui s’appliquent uniquement au transport aérien et qui nous rendent la tâche encore plus difficile, et non pas des cotisations sociales : notre modèle social, nous le revendiquons.

Nous avons donc de fortes attentes vis-à-vis de l’État qui peut nous garantir que les efforts que nous serions susceptibles d’accepter – ce qui n’est pas évident – ne soient pas des sacrifices. Faire des efforts qui ne servent à rien, c’est comme aller à l’échafaud en se faisant couper un bras en chemin. Ce n’est pas notre jeu.

M. Sébastien Portal. Une question portait sur la délocalisation d’emplois vers KLM. On peut constater qu’à la fermeture d’une ligne par Air France succède en général une augmentation du nombre de rotations des avions de KLM vers cette destination. Nous l’avons encore vérifié récemment pour Kuala Lumpur. Ce transfert d’activité vers la filiale KLM aux Pays-Bas entraîne aussi une perte de recettes sociales pour l’État français.

M. Blazy, vous étiez surpris du coût des amendes et des erreurs stratégiques. Fin 2015, la dette d’Air France atteignait 4,4 milliards d’euros. Les amendes et les erreurs stratégiques représentent 1,3 milliard d’euros, c’est-à-dire le tiers de cette dette. Rappelons que les amendes concernent des ententes illicites sur le fret et des problèmes d’émoluments d’anciens dirigeants.

Pour ce qui est des concurrences loyales ou déloyales, on nous compare souvent avec des compagnies du Golfe qui sont aidées par leurs États à hauteur de 2,5 milliards d’euros par an. Qu’on nous donne les mêmes conditions, et nous ferons la même chose ! Les salariés d’Air France aiment leur compagnie et ils sont prêts à défendre son histoire. Air France a été la première compagnie à proposer des suites à bord de ses Super Constellation. Qu’on nous donne les moyens de revenir au cœur de notre métier : aller vers le client.

On constate aussi que l’État français préfère privilégier la vente d’Airbus et de Rafale que de défendre sa compagnie aérienne nationale : on donne des lignes et la légion d’honneur au président de Qatar Airways en échange de la vente d’avions Rafale. Qu’en est-il pour Air France ?

M. Arnaud Dole. Laissez-moi vous dire que je suis assez surpris que l’on puisse encore avoir des doutes sur le diagnostic des représentants des salariés : nous avons signé un accord, baptisé Transform 2015, construit sur une amélioration de la productivité des salariés de 20 %, ce qui est quand même énorme et peu simple à accepter pour un syndicat. Nous estimons avoir joué notre rôle : nous avons signé un accord et nous l’avons respecté. Le diagnostic est partagé puisque nous avons signé cet accord.

Qu’en est-il des autres diagnostics et de nos interlocuteurs ? M. Bruno Le Roux et d’autres ont rédigé des rapports. Partagez-vous leur diagnostic ? On demande toujours aux salariés de partager des diagnostics qui ne portent en général que sur leur compétitivité. Pour ma part, à la lecture du rapport Le Roux, j’ai l’impression que, quoi que je fasse, je suis condamné. Ça limite beaucoup l’envie de dialogue. Partagez-vous le diagnostic dressé dans ce rapport ? Si c’est le cas, quelles mesures comptez-vous prendre ?

Venons-en aux ratios qui ont baissé pour les PNC puisque leur nombre a été énormément réduit dans les avions. Au moment où ces économies vont porter leurs fruits, on fait d’autres comparaisons pour montrer du doigt la productivité des hôtesses et des stewards. La direction crée les conditions d’une dégradation mécanique de la productivité des salariés pour négocier autre chose, ce qui est purement scandaleux. Ce genre de comportement bloque complètement le dialogue.

Enfin, j’aimerais faire une remarque sur les propos de M. Gagey qui se dit tout à fait prêt à partager les fruits du redressement. Nous avons signé Transform 2015 et augmenté la productivité de 20 %, et que nous promet-il ? Des licenciements. Il faut que vous compreniez que ce genre de choses bloque beaucoup le dialogue social.

M. Mathieu Santel-Leborgne. J’aimerais aussi intervenir sur les ratios et les changements intervenus dans la structure du personnel. De quoi parle-t-on ? Comment compte-t-on ? Depuis la libéralisation du transport aérien intervenue au milieu des années 1990, il y a eu un recours massif à la sous-traitance. Certains postes au sol et sur les pistes ne sont plus occupés par des salariés d’Air France. En fait, on constate une précarisation de l’ensemble des salariés du transport aérien. Les conditions de travail et de rémunération des gens qui travaillent sur les pistes se dégradent aussi très vite.

S’agissant des risques psychosociaux au sein d’Air France, je peux vous parler du service informatique auquel j’appartiens : en un an et demi, trois salariés du service se sont suicidés, dont l’un sur le lieu de travail. L’an dernier, les salariés de l’escale d’Orly Ouest ont exercé leur droit de retrait parce qu’ils n’étaient plus assez nombreux pour faire le travail et qu’ils se faisaient cracher dessus par les passagers. Quand les collègues ne sont plus assez nombreux, ils doivent affronter des passagers mécontents de ne pas avoir le service auquel ils s’attendent. La réponse de la direction, l’été dernier, a été d’employer des vigiles pour empêcher les passagers d’attaquer nos collègues. Voilà le genre de réponses imaginées par la direction d’Air France ! Pour notre part, nous demandons d’avoir les moyens de faire correctement notre travail.

J’en viens maintenant aux commentaires sur les résultats : Air France a fait un bon troisième trimestre mais Lufthansa va engranger 2 milliards d’euros de bénéfice, ce qui est génial, etc. À quoi vont servir ces 2 milliards d’euros ? Personnellement, c’est la question que je me pose. En fait, les syndicats de Lufthansa ne sont pas euphoriques, bien au contraire : ils appellent à la grève parce qu’ils ne voient pas le produit de leur travail. Si la direction d’Air France nous fixe comme objectif d’atteindre un milliard d’euros de bénéfice net, je vais lui demander : pour quoi faire ? Je ne suis pas sûr qu’elle veuille investir, embaucher et augmenter les salaires. Je refuse de faire des efforts si je ne suis pas sûr que les salariés vont en bénéficier. Si le seul but de nos financiers de dirigeants est d’augmenter la rémunération des actionnaires, je ne me sens pas concerné en tant que représentant des salariés.

M. Denis Jacq. Vous avez posé beaucoup de questions intéressantes. Vous aurez compris que nous partageons à peu près le diagnostic de la direction mais pas forcément ses objectifs et ses solutions. S’il s’agit de délocaliser, de laisser d’autres compagnies opérer sous des numéros de vol Air France via des accords de partage, je ne suis évidemment pas d’accord. S’il s’agit de baisser continuellement les salaires des personnels pour entrer dans la logique de bas coûts, je ne suis évidemment pas d’accord.

Vous avez raison : le CCE devrait effectivement être le lieu du dialogue social, et la direction fait du délit d’entrave. Rappelons que les représentants de l’État siègent au conseil d’administration – qui est complètement verrouillé – mais pas au CCE. Que puis-je faire, en tant que salarié, pour me faire entendre au conseil d’administration ? Certaines personnes y parlent en mon nom, mais elles sont minoritaires et il ne s’y passera jamais rien.

De quelle maladie souffre le dialogue social ? Sans être médecin, je vais me risquer à en diagnostiquer deux. La direction est atteinte d’une forme de surdité : ce que l’on vous dit, personne ne l’écoute. Plus grave encore, elle souffre d’une espèce de syndrome de Gilles de la Tourette des médias : elle ne peut s’empêcher de faire des annonces à droite et à gauche, partout sauf dans les endroits spécifiques où elle est supposée les faire.

Quel est le nombre de salariés par avion ? Voici ce ratio qui gêne et qui nous a obsédés pendant longtemps : 120 pour British Airways, 140 pour Air France et 145 pour Lufthansa. En fait, comme l’ont très bien dit mes collègues, ce chiffre n’éclaire rien. Il est beaucoup plus intéressant de savoir ce que font ces salariés par avion.

M. Carvalho, vous avez posé la question fondamentale, celle de la sécurité des vols. Les pilotes sont de moins en moins nombreux alors qu’il y a toujours autant de vols, dites-vous. En fait, ce n’est pas le cas et c’est bien le drame : il y a de moins en moins de vols. Il fut un temps où 135 Airbus A320 assuraient des liaisons moyen-courrier ; il n’y en a plus qu’une centaine ; il n’en restera bientôt que 70.

Comment se fait-il qu’Air France n’apparaisse pas dans les palmarès ? Compte tenu des critères retenus pour la confection de ces classements – nombre de passagers, notamment – il est logique que nous n’y figurions pas. En revanche, Air France est la compagnie qui a le plus progressé dans les récents palmarès, signe que nos efforts ont porté leurs fruits.

Quel usage a été fait du CICE ? La direction d’Air France s’est servie de ces millions pour négocier un crédit auprès d’une banque.

Quant aux bases régionales, M. de Juniac ne les a jamais perçues autrement que comme un laboratoire social où il pouvait procéder à des expérimentations en matière de casse du modèle français.

J’aimerais revenir sur l’octroi de créneaux horaires sur nos aéroports aux compagnies des pays du Golfe. À chaque fois que l’on accorde un créneau à ces compagnies, on donne à des pays de 2 à 3 millions d’habitants la possibilité de venir prendre des passagers à un pays de 66 millions d’habitants qui est la première destination touristique du monde, un pays qui joue un rôle fondamental dans l’industrie touristique et aéronautique mondiale. Trouvez-vous cela équitable ?

En France, on ne peut pas faire du low cost, on fait du low fair. Nos coûts sont ce qu’ils sont, liés à notre histoire et à notre structure fiscale. On ne peut pas les baisser. Résultat : Transavia perd beaucoup d’argent parce qu’elle vend ses billets moins chers qu’Air France tout en ayant des coûts équivalents.

M. Pierre-Henri Lienemann. Pourquoi Lufthansa réussirait-elle mieux que nous ? Premier facteur : le manque de capacité d’anticipation dont a fait preuve notre direction depuis plusieurs années. Sans jeter des anathèmes, je rappelle que le remplacement de Pierre-Henri Gourgeon, ancien directeur général du groupe Air France-KLM, n’a pas été le fruit du hasard : il lui a notamment été reproché des stratégies mal définies, et une lenteur de réaction notamment dans le domaine informatique. Rappelons qu’Air France a été l’une des dernières compagnies à s’outiller pour la vente de billets par internet. On parle des cabines BEST mais Lufthansa a pris dix ans d’avance sur nous dans ce domaine du très haut de gamme, ce qui a contribué à relancer sa recette unitaire. Et contrairement à Air France, Lufthansa a déjà équipé ses appareils en wifi.

Deuxième facteur : notre entreprise a peur du risque ; elle n’ose pas. Nous devrions investir beaucoup plus pour améliorer la fluidité dans les aéroports. On parle beaucoup des vols et des services à bord, mais chacun sait que le parcours dans l’aéroport est l’aspect le plus rasoir du voyage. À l’ère du numérique, des personnels équipés de tablette seraient capables de prendre le client très en amont pour l’informer et le guider. Proposer un service de qualité de ce type permet de fidéliser le client : le passager se sent pris en main, adopté par la compagnie dès son arrivée dans l’aéroport.

Troisième facteur : nous sommes une entreprise ultra-bureaucratisée. Nos cadres passent leur temps à faire du reporting. Il y a une telle trouille de prendre la moindre initiative que les cadres se retrouvent à justifier chacun de leurs actes. On ne leur demande pas de prendre des initiatives et d’aller au-delà de la consigne quand ce serait nécessaire. S’il y a un incident ou un dérèglement – et Dieu sait si cela peut se produire dans le transport aérien ! – il ne s’agit pas de faire face mais de respecter la consigne et ensuite de pouvoir se justifier. La démotivation touche particulièrement les cadres qui se sentent infantilisés. Cela joue négativement sur la productivité, la polyvalence et l’efficacité des personnels.

Il y a un point sur lequel nous n’avons peut-être pas suffisamment insisté : l’immense différence qui existe entre Air France et KLM sur le plan social. Lors d’une audition, il y a six ou sept ans, le président Jean-Cyril Spinetta expliquait très bien pourquoi le dialogue social se situait à des niveaux totalement différents dans les deux entités et que cela poserait inévitablement de graves problèmes.

M. Miguel Fortéa. Qu’est-ce que le dialogue social chez Air France ? Durant le plan Transform 2015, les cinquante enquêtes lancées par le CHSCT ont été systématiquement contestées par la direction devant le tribunal. Ensuite, on s’étonne que les salariés soient exaspérés. Les missions du CHSCT sont systématiquement entravées par des procédures judiciaires qui sont beaucoup plus lentes que celles qui concernent les salariés poursuivis après le 5 octobre. Les membres de la direction ont le temps et l’argent. Le décalage de calendrier me fait dire que la justice n’est pas la même pour les puissants et ceux qui les combattent.

Pourquoi ne pas poursuivre la direction en application de l’article L.2328-1 du code du travail sur le délit d’entrave ? Nous sommes dans l’urgence et les procédures sont beaucoup trop longues. Tout le monde sait que nous avons raison : les salariés, vous, les médias, etc. Pour autant, la direction commence à avancer car elle a le temps et l’argent. Nous pourrions nous faire plaisir mais nous devons raisonner en termes d’efficacité.

Une question nous a été posée sur les procédures disciplinaires engagées après les événements du 5 octobre. Certains salariés ont reçu des courriers par erreur. On les a contactés pour leur indiquer que, finalement, la procédure de licenciement ne les visait pas. Je peux vous affirmer que tous les dossiers des salariés poursuivis pour des faits de violences physiques sont vides. Je peux vous le dire et vous le répéter : il n’y a rien dans ces dossiers. Ces salariés ont été pris au hasard pour faire des exemples. Ils sont condamnés par avance. Avant même l’entretien préalable, la direction a dit à ces salariés – notamment ceux du fret – qu’ils seraient licenciés. Le droit de la défense et la présomption d’innocence sont totalement bafoués. Quand le Premier ministre les qualifie de voyous, au siège social d’Air France, il les condamne aussi par avance et conforte la direction.

Les salariés sont tellement écœurés par ce procès qu’ils refusent tous les conseils de discipline. Ils sont dans la précarité puisqu’ils font l’objet d’une mise à pied conservatoire sans solde. Puisqu’ils ne sont pas entendus et qu’ils sont jugés avant l’heure, ils ne voient pas l’intérêt de passer par un conseil de discipline qui va rallonger la procédure de deux mois. Ils sont sans ressources et ils ont le sentiment que l’on s’est aussi attaqué à leur famille, aux leurs. La direction d’Air France annonce que les sanctions seront prises avant le 2 décembre, avant même que les salariés soient entendus par la justice. C’est complètement scandaleux. Et je vous le dis : nous n’accepterons aucun licenciement. Si la direction veut en faire des exemples, ce sera Spartacus, on sera tous sur la place et on aura un conflit sans précédent !

Quand on parle de British Airways et Iberia, il me semble que l’on compare les SMIC européen. De quelle Europe sociale veut-on ? De quoi parle-t-on ? Demander aux navigants, qu’ils soient pilotes, hôtesses ou stewards, de travailler plus pour le même salaire revient à remettre en cause le temps de travail, ni plus ni moins.

Entre 2008 et 2014, le nombre d’agents d’exécution a baissé de 59 % tandis que le nombre d’agents de maîtrise diminuait de 1,27 %. Les agents d’exécution ne sont pas devenus agents de maîtrise, mais on a supprimé près de 60 % de leurs postes. On veut se débarrasser de nous ; on veut nous chasser de l’entreprise. Il y a pourtant des marchés naturels. Vous parliez des bases régionales, Mme Carlotti, il y a des citoyens qui demandent à pouvoir partir vers telle ou telle destination. On ne leur offre pas cette possibilité. Vous citiez le Maghreb à partir de l’escale de Marseille. Les salariés d’Air France regardent se construire Transavia alors qu’on leur dit qu’ils sont en sureffectif. À quoi bon le développement du pavillon français s’il se fait sans ses salariés ?

Pour terminer, je reviens sur mon idée : nous avons besoin d’un État stratège. Il nous faut un plan d’investissements mais ne donnez pas l’argent comme ça, comme pour le CICE. Il faut contrôler de l’utilisation des fonds et veiller notamment à ce qu’ils contribuent à maintenir l’emploi en France, que ce soit dans la compagnie ou dans tout le tissu économique et social du pays.

M. Laurent Le Gall. De temps en temps, on nous demande pourquoi M. de Juniac n’est pas présent lors des négociations. C’est une question qu’on se pose aussi : il n’est jamais là pour négocier, il préfère passer à la télévision ou aller dire des atrocités dans des réunions de patrons comme celle de Royaumont. C’est l’une des raisons de la panne du dialogue social. Au mois de mai, on nous a annoncé par voie de presse qu’il y aurait 3 000 licenciements à Air France. Nous n’en avions pas entendu parler auparavant. Dans la foulée, la direction a publié un démenti. Au mois de septembre, on a appris qu’il y aura 2 900 licenciements. Effectivement, la direction n’avait pas menti : 2 900 ce n’est pas 3 000. Voilà qui prouve la qualité du dialogue social dans la compagnie.

En ce qui concerne les risques psychosociaux, on constate qu’il y a beaucoup de personnes en burn-out dans la catégorie des PNC. Il suffit de consulter l’inspection du travail ou la sécurité sociale : nous avons un nombre d’arrêts maladie impossible.

Quant aux comparaisons avec des compagnies comme British Airways ou Lufthansa, elles sont sujettes à caution. Pour ce qui est des salaires, on donne le coût d’un salarié d’Air France et ce que perçoit le salarié de British Airways ou de Lufthansa, sachant que les charges sociales sont différentes, que les impôts peuvent être prélevés à la source, etc. Le rapport est faussé. Il s’écrit aussi beaucoup de choses inexactes sur la productivité des personnels. D’après l’hebdomadaire Le Point, il faudrait nous demander d’effectuer 750 heures de vol, ce que permettent déjà les accords que nous avons signés. En fait, la direction a la possibilité de le faire mais elle ne parvient pas à nous utiliser comme il faut.

M. Marc Malloï-Cantara. En cette fin d’audition, je ferai une remarque sur les taxes aéroportuaires, qui n’ont été que très brièvement évoquées : Air France croule sous les taxes. Et contrairement à ce qu’on avait pu croire un moment, la taxe de solidarité sur les billets d’avion, dite taxe Chirac, est bien maintenue.

Je voudrais aussi vous faire part d’un constat fondé sur mon parcours personnel. Venant d’Air Inter, je me dis parfois qu’à chaque fois qu’une compagnie marche très bien, on la tue. Grâce à ses salariés, Air France marche bien. Où est le problème ? La direction ne joue pas son rôle. Quand on veut la voir, elle refuse. Veut-on la survie d’Air France ? C’est la question que je me pose.

M. Philippe Evain. En quelques mots, je vais essayer de résumer nos attentes à votre égard : rétablir une concurrence juste, permettre l’investissement, rétablir le dialogue social, imposer un changement de stratégie.

Pour rétablir une concurrence juste, il faut bloquer les nouveaux droits de trafic qui doivent être accordés aux compagnies du Golfe ; ils ont été annoncés cet été mais ils ne sont pas encore octroyés. Pour permettre l’investissement, l’État doit reprendre à sa charge les coûts de sûreté qui sont assumés par les compagnies alors qu’il s’agit d’une tâche régalienne. Ces 500 millions d’euros, il faut les rendre à la compagnie pour qu’elle puisse investir. Le tableau du dialogue social a été dressé par mes collègues et je crois que vous avez compris la situation. Il faut imposer ce dialogue et abandonner les pratiques actuelles. L’État actionnaire a un rôle et des consignes à donner aux dirigeants. La stratégie de la décroissance, à l’évidence, n’apportera rien de bon. Il faut changer de stratégie et, de l’avis de tous les spécialistes, il faut le faire maintenant.

Je me fais le porte-parole de mes collègues pour vous remercier de nous avoir écoutés.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie au nom de tous les parlementaires. Votre audition, très attendue, aura permis de contrecarrer un peu ces images qu’on nous mettait toujours en avant. Je vous rejoins et j’assume : certains propos tenus au plus haut lieu n’avaient pas à être tenus et les qualificatifs employés n’étaient pas appropriés. Ces propos n’engagent que moi. (Applaudissements des représentants de l’intersyndicale.)

La commission procède enfin à l’audition, conjointe avec la Commission des affaires économiques et la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, sur le dialogue social et la situation économique d’Air France, de la CFDT Air France et de la CFE-CGC Air France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame, messieurs, à la suite des événements du 5 octobre, la représentation nationale a décidé d’auditionner les interlocuteurs apparemment incapables de dialoguer : la direction et l’intersyndicale d’Air France. Vos organisations ayant souhaité, elles aussi, être entendues, il nous fut difficile de respecter l’horaire initialement prévu. Je vous prie donc d’excuser les nombreux députés qui n’ont pas pu rester pour cette dernière audition – dont ils pourront consulter l’enregistrement – et vous garantis que nous vous laisserons tout le temps nécessaire pour vous exprimer.

M. Ronald Noirot, secrétaire général de la CFE-CGC. Comme le montrent les élections de mars 2015, nos deux syndicats représentent 35 % du personnel d’Air France ; mais nous ne faisons pas partie de la soi-disant intersyndicale dont vous avez vu le nombre pléthorique de représentants. Lors de la précédente audition, vous avez laissé la parole à des représentants de syndicats non représentatifs, qui ne comptent donc pas dans l’entreprise. Certes, en démocratie, chacun doit pouvoir s’exprimer ; mais il est dommage que nous bénéficiions d’une audience de députés bien moindre qu’eux !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous avais proposé de reporter l’audition afin de rassembler davantage de députés.

M. Ronald Noirot. C’était impossible. Mais nous essayerons malgré tout de faire passer notre message.

Pour la CFE-CGC, trois responsables se partagent les torts. L’État d’abord, ou plutôt le Gouvernement, qui doit être le garant d’une concurrence loyale dans le transport aérien au lieu de laisser perdurer des dispositions aberrantes telles que des taxes qui n’incombent qu’aux compagnies aériennes françaises ou des redevances aéroportuaires bien plus importantes qu’ailleurs. Ainsi, la redevance dont s’acquittent nos amis de KLM – qui font partie du même groupe que nous – à l’aéroport de Schiphol a baissé cette année de 11 % et baissera encore de 11% en 2016 alors que la nôtre augmente largement plus que l’inflation. Certes, les taxes sont injustifiables et l’on ne va pas remettre en cause la taxe carbone à la veille de la COP21 ; mais pourquoi n’y a-t-il que les compagnies aériennes françaises qui la paient, alors que les Américains et les Chinois ont refusé de le faire ? Nous devrions être sur un pied d’égalité avec les autres concurrents, afin de défendre notre savoir-faire.

Le deuxième responsable, c’est la direction générale qui, depuis plus de quinze ans, a fait preuve d’un grand laxisme en matière de relations sociales dans l’entreprise, nous amenant à une situation où un directeur général adjoint chargé des ressources humaines se retrouve sans chemise. C’est une honte pour le syndicalisme d’Air France que d’en arriver à des débordements pareils, alors que tout avait été fait pour encourager le débat. C’est également la preuve de l’incapacité de la direction générale à faire passer ses messages. Le 5 octobre, au comité central d’entreprise (CCE), l’on n’a pas annoncé de licenciements, mais 2 993 pertes d’emplois qui seraient couvertes par des départs volontaires – un procédé pratiqué depuis plus de cinq ans, dans le plus grand respect des salariés. La CFE-CGC s’est toujours battue pour éviter les licenciements secs dans cette entreprise, et a toujours su trouver des solutions. Le 5 octobre, l’on avait également annoncé que l’on reprenait le dialogue social jusqu’à la fin de l’année pour tenter de corriger les écarts avec la concurrence.

Le troisième responsable, ce sont les syndicats. Le dialogue social est en panne non parce que la direction générale est mauvaise, mais parce que pour négocier, il faut être deux ! Nous avons, pour notre part, autant de mal avec les organisations syndicales qu’avec la direction. En effet, en moyenne, par an, chez Air France, l’on signe une centaine d’accords, soit un tous les trois jours en dehors des vacances ; cela montre que, contrairement à ce qu’affirment certains, le dialogue social existe et donne des résultats. Le personnel navigant technique, représenté par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), n’a pas assisté à dix des seize réunions prévues, optant pour la politique de la chaise vide. Certains syndicats du personnel navigant commercial ont également refusé de siéger alors qu’ils étaient invités dans la négociation. Il faut dénoncer toutes les contre-vérités au profit des faits. Les médias ont abondamment couvert les violences qui ont eu lieu chez Air France au lieu de mettre en avant le dialogue social qui existe dans l’entreprise, mais nous arrivons à travailler avec certains représentants de la direction générale et à leur faire passer des messages.

Mon syndicat, qui appelle à des réformes de structure capables de rendre l’entreprise plus compétitive dans le paysage du transport aérien mondial et défend le principe de négociation, dans le plus grand respect du personnel, est devenu la première organisation d’Air France, toutes catégories confondues. Les salariés d’Air France ont la volonté de trouver, par la discussion, des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui.

Mme Béatrice Lestic, secrétaire générale de la CFDT. En affirmant qu’on n’a pas de visibilité sur le diagnostic économique de l’entreprise, les représentants de l’intersyndicale s’égarent puisque depuis 2012, on a accumulé une dizaine d’expertises. Les élus au CCE disposent d’un expert qui, tous les ans, passe en revue les comptes et nous fait un point en milieu d’année. Avec le cabinet Secafi Alpha, nous avons conduit des contre-expertises sur à peu près tous les projets de la direction générale. On avait de la visibilité au moment du plan Transform – c’est pourquoi la CFDT s’est engagée dans ce travail – et on en a aujourd’hui. Au mois de juin encore, nous avons eu des informations sur l’analyse des comptes de l’entreprise.

À la CFDT, nous estimons que l’entreprise va mieux ; c’est pourquoi nous avons signé Transform, contrairement à nombre d’intervenants de tout à l’heure, et cet accord commence aujourd’hui à porter ses fruits. L’entreprise avait perdu de l’argent pendant sept années consécutives, mais grâce au dialogue social, il n’y a eu aucun licenciement sec. Arrêtons donc de dire que le dialogue n’existe pas chez Air France ! Cependant, si la situation s’améliore – et nous nous en félicitons –, elle reste moins favorable que celle de nos concurrents, et les gains ne suffisent pas à rétablir les fondamentaux. Tous les élus du CCE le savent : les fonds propres sont négatifs et la dette atteint 4,5 milliards d’euros – sans d’ailleurs en rien être constituée par les amendes. En 2016, il nous faudra financer des échéances importantes de remboursement ; or les résultats d’exploitation actuels n’y suffisent pas, y compris de l’avis de l’expert mandaté par les salariés. Secafi Alpha a estimé, avant la direction, qu’à moins de 750 millions d’euros de résultats d’exploitation, l’on n’arriverait pas à résorber la dette tout en finançant les investissements – un besoin impérieux pour Air France.

Le transport aérien est en pleine période de mutation et de nouveaux acteurs entrent sur le marché international. Il y a dix ans, on n’était pas confronté aux compagnies du Golfe, ni à la montée des compagnies asiatiques. Aujourd’hui, nous sommes bien obligés de nous adapter. Les commerciaux – dont je suis – s’y adaptent : notre recette unitaire est quasiment la meilleure de l’industrie, car on sait bien vendre les billets, mais elle s’effrite, comme le savent tous les élus du CCE. Cette question a fait l’objet de multiples expertises et contre-expertises, donc affirmer que nous ne connaissons pas le diagnostic est faux : nous en avons bel et bien une vision partagée. La CFDT estime que nous n’avons pas besoin d’un médiateur pour conduire les négociations, mais nous sommes tout à fait disposés à faire intervenir des personnalités qualifiées pour refaire le point sur le diagnostic économique afin de mettre toutes les parties d’accord sur ce point. Nous sommes également demandeurs d’observateurs de la négociation. On ne peut pas laisser dire aujourd’hui dans tous les journaux et à l’Assemblée nationale qu’il n’y a pas de dialogue social à Air France. C’est faux ; on sort d’une négociation sur l’égalité professionnelle, on entre en négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les instances du dialogue se réunissent, les discussions se déroulent ; certains syndicats choisissent simplement de ne pas y participer. Ceux qui affirment le contraire sous-entendent que les organisations qui s’engagent dans le dialogue social signent la copie de la direction ; mais nous négocions au contraire point par point. La CFDT n’accepte donc pas des déclarations comme celle-ci. Nous avons porté une bonne partie des accords aujourd’hui en vigueur. Je vous invite à regarder le niveau social de l’entreprise ; on est loin de Germinal, et c’est grâce au dialogue social que le droit social Air France est très largement supérieur à ce qu’on peut observer dans d’autres entreprises françaises. Il faut donc sortir de la caricature.

S’agissant du rôle de l’État, la CFDT avait déjà interpelé le Gouvernement au moment de la sortie du rapport Abraham, puis du rapport Le Roux. Tous les syndicats de l’entreprise sont réunis au sein du collectif intersyndical – indépendant de l’intersyndicale que vous avez reçue aujourd’hui – qui travaille sur ces questions depuis plus d’un an et demi. Nous demandons que soient mises en œuvre toutes ou une partie des mesures indispensables préconisées dans ces deux rapports. Nous souhaitons au moins que l’État travaille sur la question de la taxe de l’aviation civile, qui représente une dérogation à l’universalité de la comptabilité publique dans la mesure où ce sont les compagnies aériennes qui financent une partie de l’administration. Nous voulons également qu’il réfléchisse à la taxe de sûreté ; en effet, dans la plupart des pays, la sûreté est une fonction régalienne, assumée par l’État, alors qu’en France, ce sont les compagnies aériennes qui la prennent en charge, via les taxes payées par les passagers. En matière de taxes aéroportuaires, Ronald Noirot a souligné à juste titre que nos collègues néerlandais bénéficient d’une baisse de 7,7 % cette année, et de 11 % l’année prochaine. Une baisse des taxes bénéficierait à l’ensemble des compagnies, mais profiterait surtout à la compétitivité d’Air France dont Paris est la plateforme principale.

M. Arnaud Richard. Votre présentation apparaît assez complémentaire de la table ronde précédente. Vous affirmez que le dialogue social fonctionne ; c’est peut-être vrai dans votre cas – ce qui est déjà positif –, mais la situation semble toutefois tendue. L’événement du 5 octobre ne nous rend pas très fiers, et il faut en tirer les conséquences. Sans accuser quiconque de déni ou de mensonge, il nous faut préserver ce joyau qu’est Air France. L’histoire des compagnies aériennes dans le monde montre que les choses peuvent aller très vite. Il faut que toutes les parties prenantes reviennent au dialogue pour débloquer la situation. Le secteur est en expansion, Air France est une belle entreprise ; ses salariés sont éminemment compétents et ses avions, pleins. Mais la concurrence voudrait vous voir disparaître ; alors, de grâce, faites ce qu’il faut pour résoudre le problème !

M. Denys Robiliard. Il était important pour nous, parlementaires, d’entendre tous les points de vue : celui de la direction et celui des salariés, à travers leurs organisations représentatives, majoritaires et minoritaires. Si la CGC et la CFDT réunies représentent 35 % du personnel, l’intersyndicale que nous avons reçue comprend également nombre de syndicats représentatifs.

Quels éléments des diagnostics établis par la direction et par certains de vos collègues partagez-vous et lesquels contestez-vous ? Quel est votre propre avis sur ce qu’il faudrait faire pour qu’Air France croisse ? Qu’est-ce qui vous paraît important et souhaitable pour le personnel ? Les actions ne sont pas des titres de propriété, mais nous sommes très attachés à cette compagnie nationale.

Une procédure d’alerte a été lancée par le CCE ; quelle est votre position sur cette initiative, son opportunité et l’information qu’elle peut apporter ?

Vos collègues estiment que la qualité du dialogue social laisse à désirer. Vous mentionnez des accords signés. Sur quoi doit aujourd’hui porter la négociation ? Quelles revendications de la direction vous paraissent légitimes ? Sur quels sujets souhaiteriez-vous voir porter le dialogue social ? En effet, le dialogue ne peut être unilatéralement défini par l’une des parties ! Votre demande de dialogue social est-elle satisfaite ? Que peut-on faire à ce propos ?

Mme Isabelle Attard. Arnaud Richard a évoqué, à propos du 5 octobre, l’image déplorable d’Air France ; mais c’est ce qui se passe avant qui est déplorable ! C’est l’exaspération des salariés qui aboutit aux images en question. Ce qui doit nous alerter, en tant qu’État actionnaire, ce sont les annonces faites à la presse et non aux salariés, la manière de la direction de parler aux salariés et le fait de bloquer les décisions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Je suis donc très gênée qu’on nous rabâche les oreilles avec les images du 5 octobre qui ne renvoient, après tout, qu’à deux chemises déchirées – à mettre en parallèle avec les licenciements, le stress, les suicides et le burn-out des salariés. Je suis triste, mais satisfaite que ces propos aient pu être tenus dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

En tant que syndicalistes, avez-vous compris quelle était la stratégie à long terme de la direction d’Air France ?

M. Henri Jibrayel. Cette réunion nous éclaire. Vos collègues de l’intersyndicale condamnent le manque de dialogue social ; la direction botte en touche quand on lui pose des questions fondamentales en cette matière ; de votre côté, vous insistez sur l’existence du dialogue. Au final, le bilan de l’exercice 2014-2015 est plutôt positif par rapport aux années antérieures où la compagnie était dans le rouge.

Au-delà des images du 5 octobre, que se passe-t-il ? Aujourd’hui, la compagnie est confrontée à la concurrence venant du Golfe et de l’Asie, mais aussi des autres pays européens ; en même temps, elle traverse une mutation et songe à supprimer 2 900 postes. N’est-il pas plus intéressant, pour les syndicats, d’opter pour l’unité ? Je comprends vos différences et vos divergences ; quand une entreprise réunit trois catégories de personnels
– pilotes, personnel au sol, personnel navigant commercial –, la multiplicité des organisations semble normale. Mais la direction ne profite-t-elle pas de la division syndicale pour faire passer des accords ? Ne pensez-vous pas que ce manque de cohésion constitue une faille ? Sans faire de l’ingérence et en respectant votre indépendance, je pense qu’il s’agit d’un handicap pour l’avenir de cette entreprise en pleine mutation.

Mme Marie-Arlette Carlotti. Sachez que nous vous écoutons avec la même attention que vos collègues reçus plus tôt.

Je comprends que vous soyez blessés en entendant dire qu’il n’y a pas de dialogue social chez Air France, puisque vous y travaillez, que vous sollicitez des experts, vous entourez de professionnels et signez des accords. Je vous remercie de pratiquer un syndicalisme constructif et je comprends votre ligne. Mais aujourd’hui, la situation est extrêmement tendue et les discussions semblent rompues. Les représentants de l’intersyndicale nous ont fait part de leur malaise ; dans quelques semaines, des salariés de votre entreprise feront l’objet de procédures disciplinaires, le tribunal est saisi le 2 décembre. Certaines organisations ont affirmé vouloir passer à l’étape supérieure, décidées à résister. Mais il y a bien quelque chose à faire, désormais, du point de vue de l’ensemble des salariés, pour revenir à une situation normale ! Il faut trouver une voie de retour vers l’apaisement. Qu’attendez-vous de la procédure d’alerte ? Que pensez-vous des propositions formulées tout à l’heure ? Si vous condamnez le syndicalisme excessif, l’agression physique et l’image que cela donne de votre entreprise, que pensez-vous de l’abandon des poursuites disciplinaires ? Cela permettrait-il de calmer le jeu ou bien cela encouragerait-il ce genre d’attitudes ? Je respecte, comprends et salue votre position, mais la situation est explosive ; que peut-on faire pour que cela cesse et pour qu’on reparte d’un bon pied ?

Mme Chaynesse Khirouni. J’ai rappelé, lors de l’audition de M. Frédéric Gagey, que depuis dix ans, près de 9 000 emplois propres à Air France – sans compter ceux de ses sous-traitants – ont été supprimés par le biais de plans de départ volontaires. Les salariés semblent fortement investis dans leur travail et très attachés à la marque, avec un fort sentiment d’appartenance. Il s’agit d’une grande force qui devrait faciliter le dialogue social. Pourtant, à l’évidence, celui-ci fonctionne mal. Les tensions récurrentes – qui ne datent pas du 5 octobre – menacent la cohésion de l’entreprise. Vous avez évoqué le fait que la direction générale ne sait pas faire passer les messages ; mais au point où nous sommes arrivés, la direction et les salariés ne devraient-ils pas porter une stratégie claire et partagée ? De votre côté, vous faites des efforts et essayez d’engager la coordination pour faire fonctionner le dialogue ; mais quelles sont les limites de la politique des ressources humaines dans le cadre du changement conduit au sein d’Air France ?

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Madame, messieurs, je vous remercie pour votre patience ! Ce matin, j’ai été frappée par la froideur du représentant de la direction d’Air France ; en rencontrant des salariés de l’entreprise, j’ai été marquée par leur souffrance. Votre intervention, monsieur Noirot, montre la tension qui existe entre différents syndicats. Cela me désole car vous poursuivez, au fond, le même objectif : la défense des intérêts des salariés. Notez d’ailleurs que certains syndicats que nous avons auditionnés tout à l’heure sont également représentatifs.

Quel sera l’impact des 2 900 postes supprimés – sans licenciements – sur l’exploitation ? L’entreprise souhaite développer des activités, mais comment le faire avec 2 900 employés en moins ?

Vos collègues auditionnés plus tôt avaient évoqué le profil des dirigeants d’Air France, plus financiers qu’entrepreneurs ; vous avez également indiqué que la faiblesse de l’investissement pouvait se révéler préjudiciable pour l’avenir de l’entreprise.

Quelle est votre position par rapport aux conclusions du CHSCT contestées par la direction ?

Comment pouvez-vous, en tant que syndicats, améliorer le climat social – terme que vous préférez à celui de dialogue – pour qu’on se concentre sur l’exploitation, le fonctionnement et la vie de l’entreprise ?

Mme Annick Le Loch. Les échanges de ce matin n’ont rien pour nous rassurer quant à l’avenir de l’entreprise ! Il est très difficile d’y voir clair lorsque vous affirmez que le dialogue social se porte bien chez Air France, alors que vos collègues soutiennent qu’il n’existe pas, que l’entreprise a grand besoin d’investissements et que la stratégie de la direction est illisible. Vous dites en avoir discuté, accompagnés de cabinets, et disposer de tous les éléments. Ce qui est en jeu, c’est la survie et l’avenir de la compagnie nationale à laquelle nous sommes tous attachés. À ce stade, je suis très inquiète !

Un de vos collègues a affirmé tout à l’heure que le dialogue social, inexistant chez Air France, se portait bien chez KLM. Comment expliquez-vous cette différence ?

Mme Béatrice Lestic. Certains continuent à faire vivre le dialogue social chez Air France, mais il est clair que le climat social est absolument délétère. Nous ne nions pas ce constat, mais pensons qu’il n’y avait pas de raison d’en arriver aux extrêmes du 5 octobre. Ce jour-là, comme le 22 octobre, 90 % des salariés n’étaient pas en grève et l’exploitation n’avait en rien été perturbée. Une bonne partie du personnel – sans doute proche de nos syndicats – ne partage pas l’outrance dans laquelle on est entré aujourd’hui. La direction porte évidemment une part de responsabilité dans ce blocage, et cette situation dure depuis un an et demi. Les choses ont commencé à se dégrader dans le cadre du dialogue entre la direction générale et les pilotes – personnel central dans une compagnie aérienne. Il nous est difficile d’apprécier la part de responsabilité de chacun dans cet échec car dans cette entreprise, les négociations sont depuis toujours conduites par catégorie : pilotes, personnel navigant commercial, personnel au sol. La CFDT, première organisation syndicale parmi le personnel au sol, ne participe donc jamais aux discussions avec les pilotes.

Vous demandez ce qu’il est possible de faire. Même si nous sommes d’accord sur tout un ensemble de points, nous ne formons pas une intersyndicale, la CFDT comme la CFE-CGC tenant à leur autonomie de fonctionnement, à leur libre arbitre et à leur indépendance de parole. Dès le mois de juin, avons suggéré à la direction d’instaurer des négociations intercatégorielles pour parvenir au moins à un accord de cadrage intercatégoriel, quitte à revenir à des négociations catégorielles pour tenir compte des spécificités de chaque métier. Mais la direction comme les syndicats de pilotes et de personnel navigant commercial refusent le principe de négociations intercatégorielles. Nous y voyons l’une des raisons du blocage. En effet, les négociations catégorielles sont possibles lorsque tout va bien et que chacun récupère un peu du fruit de la croissance et des résultats de l’entreprise ; mais lorsque la situation se corse – et elle est problématique depuis maintenant sept ans –, l’exercice montre vite ses limites. Je ne sais pas si c’est la direction qui monte les salariés les uns contre les autres, mais la grève des pilotes, l’année dernière, quelle qu’en aient été les raisons, fut un séisme pour l’entreprise. Air France n’avait pas connu de grève aussi longue depuis 1998, et un conflit aussi dur laisse forcément des traces. Quant à nous, nous sommes fatigués du rôle de spectateurs observant la discussion entre la direction générale et ses pilotes.

Pour récapituler : oui, la direction générale porte une énorme responsabilité dans ce qui se passe ; non, les salariés n’en comprennent pas la stratégie. Nous sommes suspendus, de mois en mois, voire de semaine en semaine, aux résultats des négociations entre la direction et les pilotes. Cette situation dure depuis un an. Le management est parfaitement démotivé et ne sait plus quoi dire aux équipes. Il y a donc un problème majeur de communication. Mais les raisons de cette détérioration invraisemblable de la situation remontent au blocage entre la direction et les pilotes – personnel essentiel dans une compagnie aérienne. La CFDT n’accepte plus ce rôle de simple spectateur, sachant qu’au final, ce sont nos syndiqués – le personnel au sol – qui serviront de variable d’ajustement.

Nous avons été à l’initiative du droit d’alerte, donc nous l’avons évidemment voté. En effet, la CFDT est absolument opposée au plan B – un plan d’attrition qui consiste à supprimer quatorze avions de la flotte en cas d’échec des négociations. La direction entretient cette menace depuis plus d’un an, mais lorsque la date butoir tombe, le conseil d’administration redonne finalement du temps à la négociation en votant la mise en œuvre du plan B en deux temps : le retrait de cinq avions en 2016, puis le reste en 2017. Pour apprécier les positions de chacun, vous pouvez consulter les procès-verbaux du CCE. Alors que la direction cite l’exemple de British Airways et de Delta – qui ont réussi à rebondir après avoir mis en place des plans difficiles –, ce n’est pas ce scénario-là qui nous attend, mais celui d’Alitalia, inacceptable. Le plan B n’étant pas totalement enclenché, il reste encore du temps pour la négociation, et la CFDT demande précisément à négocier pour parvenir à un accord de cadrage intercatégoriel. À chacun de prendre ses responsabilités et de mesurer sa capacité de dialogue, mais le plan B est inenvisageable pour notre syndicat.

M. Ronald Noirot. Madame Attard, il ne s’agit pas que d’une chemise arrachée : on a bafoué l’honneur d’un homme devant plus de 500 millions de téléspectateurs. Or le respect des salariés – tous les salariés – fait partie des valeurs que défend la CFE-CGC ; ce qui s’est passé nous apparaît donc inacceptable, et les autorités compétentes doivent absolument se prononcer. Aujourd’hui, le procès est en cours, et une décision de justice sera prise le 2 décembre. Je ne ferai donc pas plus de commentaires.

Comme la CFDT, nous sommes contre le plan B qui prévoit l’attrition des lignes d’Air France, alors que d’autres solutions peuvent être envisagées. Mais nous n’en parlons aujourd’hui qu’à cause de l’échec, depuis plus d’un an, des négociations avec les pilotes. Or pour une compagnie aérienne, le refus d’évoluer est bien plus grave lorsqu’il vient des pilotes que du personnel au sol ou du personnel navigant commercial. Par conséquent, si le SNPL, syndicat majoritaire des pilotes, n’est pas capable de trouver des solutions pour revenir à la table des négociations, le blocage perdurera. La CFE-CGC ne fait pas partie de cette intersyndicale précisément parce qu’elle ne souhaite pas joindre sa voix à celle du SNPL. Ce matin, c’est un représentant de ce syndicat qui était le porte-parole de l’intersyndicale ; on peut s’interroger sur sa bonne conscience alors qu’il y a un an, le SNPL expliquait que ce n’étaient pas les pilotes, mais le personnel au sol qui coûtait cher à Air France, et qu’il fallait en virer 5 000 ! Dans l’état actuel des choses, il ne saurait donc y avoir d’unité syndicale. Finissons-en avec la pensée unique : ce n’est pas parce qu’on crie le plus fort, ou que l’on entreprend des actions en dehors de toutes les règles de bienséance, qu’on a raison ! J’ai la prétention de penser que la majorité du personnel d’Air France partage aujourd’hui les positions réformistes et intelligentes que notre syndicat défend depuis deux ans : le refus de tout licenciement sec et de toute baisse de rémunération, en toute transparence et en toute équité. Ce matin, alors que je me rendais à pied à cette audition, les membres d’un autre syndicat m’ont traité de vendu, simplement parce que nous n’avons pas défendu les mêmes positions qu’eux. La direction générale a des torts et doit faire bien des efforts ; mais nous tous, syndicats, devons également nous poser des questions pour savoir si nous sommes là pour défendre les salariés de l’entreprise ou pour tout autre chose.

Ce matin, j’ai entendu des discours très militaires, mais il faut relativiser : Air France, ce n’est pas la guerre, mais une compagnie malade qui, il n’y a pas longtemps, était au bord de la mort. En 2010, lorsqu’on a lancé le plan Transform à l’initiative d’Alexandre de Juniac, l’entreprise était pratiquement en cessation de paiement. Grâce à ce plan, signé par la CFE-CGC, on a sauvé l’essentiel. Aujourd’hui, on est dans la deuxième phase – Perform – qui court jusqu’en 2020 et qui, si l’on exclut l’hypothèse du plan B, doit nous permettre de redevenir la première compagnie mondiale. C’est la place que nous occupions jusqu’en 2008 ; on mesure le déclin survenu depuis. Si l’on n’est pas capable de se poser les vraies questions de la réforme et de la restructuration, on n’arrivera pas à concurrencer Lufthansa et British Airways. Ne nous comparons pas aux compagnies du Golfe, mais aux compagnies européennes voisines. Certes, tout le monde se gausse des bénéfices qu’Air France fait cette année ; mais l’entreprise en réalise trois fois moins qu’International Airlines Group (IAG)
– British Airways et Iberia – et 2,5 fois moins que Lufthansa. Cela montre le chemin qu’il nous reste à parcourir. Ne pas mener ces réformes ne nous empêchera pas de fonctionner ; mais nous fonctionnerons mal, et un jour, dans le cadre des regroupements qui marquent le paysage du transport aérien, nous serons victimes d’une prise de participation hostile, et Air France ne sera plus maître de son destin. C’est ce que nous aimerions éviter en donnant à l’entreprise les moyens de rentabiliser son activité et de la rendre encore plus performante qu’elle n’est aujourd’hui. C’est la seule petite ambition que nous avons, et tout le monde doit en prendre conscience. Ce n’est pas parce qu’on dit le contraire de la majorité de nos collègues – dont certains ne défendent que des avantages corporatistes – qu’on doit être si mal traités !

Certaines centrales syndicales se livrent aujourd’hui à une manipulation pour essayer de faire passer des messages fallacieux : le 5 octobre, on a ainsi annoncé qu’il y aurait 2 993 licenciements. Cette annonce, qui a mis le feu aux poudres, était fausse. Je ne défends pas la direction générale, mais la vérité. M. Frédéric Gagey est dans l’entreprise depuis trente ans ; le classer en tant que politique mis en place par les pouvoirs publics est donc pour le moins abusif. Issu d’Air Inter, comme lui, je sais de quoi je parle : ce n’est pas un technocrate parachuté selon le bon vouloir des politiques. MM. Frédéric Gagey et Alexandre de Juniac ont commis deux erreurs : dire au SNPL qu’il ne cogérerait plus l’entreprise avec la direction générale, puis annoncer qu’on allait s’attaquer frontalement à un bastion de la CGT, Marseille. Cette escale – la seule du réseau où l’on n’a pas pu faire les mesures de modernisation et de restructuration introduites partout ailleurs – pose aujourd’hui d’énormes problèmes à la lumière des comparaisons avec la concurrence parce qu’elle fonctionne toujours comme il y a trente ans. D’où vient la différence, du simple au double, du coût de la touchée entre Marseille et d’autres escales telles que Bordeaux ? Une fois qu’on l’a constaté, on peut choisir l’inaction, mais en tant que syndicaliste, je me dois de dire la vérité même quand elle est difficile à entendre pour les salariés. Il faut absolument se poser les bonnes questions, car sinon, un jour, c’est la totalité de l’entreprise que l’on perdra.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous vous remercions pour vos réponses et vous renouvelons nos excuses pour ce retard ! Des auditions auront également lieu au Sénat. Les parlementaires vous ont entendus ; ils peuvent désormais se faire leur opinion au regard de l’ensemble des témoignages.

La séance est levée à quatorze heures trente-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 4 novembre 2015 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Pierre Aylagas, M. Gérard Bapt, M. Thierry Benoit, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec, Mme Hélène Geoffroy, M. Laurent Grandguillaume, M. David Habib, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Laurent Marcangeli, Mme Véronique Massonneau, M. Philippe Noguès, M. Robert Olive, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Arnaud Viala, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – M. Bernard Accoyer, M. Stéphane Claireaux, Mme Michèle Delaunay, M. Henri Guaino, M. Patrick Lemasle, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean Jacques Vlody

Assistaient également à la réunion. – Mme Isabelle Attard, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Dino Cinieri, Mme Virginie Duby-Muller, M. Patrick Hetzel, M. Bruno Le Roux, M. Olivier Marleix, M. Paul Molac, M. Christophe Premat