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Commission des affaires sociales

Mercredi 4 novembre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 11

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’État, sur le rapport « La négociation collective, le travail et l’emploi »

– Information relative à la commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 4 novembre 2015

La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission procède à l’audition de M. Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’État, sur le rapport « La négociation collective, le travail et l’emploi ».

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mes chers collègues, notre Commission doit désigner un rapporteur sur la proposition de loi n° 3022 de M. Bruno Le Roux et de M. Laurent Grandguillaume, d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée. J’ai reçu la candidature de M. Laurent Grandguillaume. Y a-t-il des oppositions à sa nomination ?

En l’absence d’opposition, M. Laurent Grandguillaume est nommé rapporteur de la proposition de loi qui sera examinée en commission le mercredi 18 novembre et en séance publique le mercredi 25 novembre. Auparavant, elle aura fait l’objet d’un examen par la section sociale du Conseil d’État – ce sera la semaine prochaine.

Je suis heureuse d’accueillir M. Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’État, qui va nous présenter son rapport sur « La négociation collective, le travail et l’emploi ». Nous aurions souhaité que cette audition ait lieu bien plus tôt, ce que l’agenda de notre Commission n’a malheureusement pas permis. C’est d’autant plus regrettable que Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, remet aujourd’hui même au Premier ministre un rapport présentant ses premières conclusions sur la réforme à venir du code du travail, qui devrait venir en séance publique en mars prochain.

Le rapport que vous allez nous présenter, monsieur Combrexelle, a été très commenté dès sa sortie et continue à susciter des controverses ; votre audition était donc très attendue par tous.

M. Gérard Cherpion. Je voudrais tout d’abord féliciter M. Grandguillaume pour sa nomination.

Par ailleurs, je sais que vous n’y êtes pour rien, madame la présidente, mais je m’étonne que l’audition du président de la section sociale du Conseil d’État ait lieu exactement en même temps que la présentation du rapport de Mme la ministre du travail, ce qui est un peu gênant pour les personnes s’intéressant au rapport de M. Combrexelle, appelé à déboucher sur une loi au printemps prochain.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je suis d’accord avec vous pour considérer que cette concomitance est regrettable, mais je n’y peux effectivement rien, d’autant que la présentation du rapport de Mme El Khomri devait initialement avoir lieu dans le courant de la semaine dernière. C’est aussi un effet de la séparation des pouvoirs, qui veut que le Parlement et le Gouvernement se réfèrent chacun à un calendrier qui leur est propre.

Monsieur Combrexelle, vous avez la parole pour présenter votre rapport. Ce sont ensuite les représentants des groupes politiques qui interviendront, avant que chaque député qui le souhaite ne s’exprime pendant deux minutes.

M. Jean-Denis Combrexelle. Je commencerai par souligner que le rapport que je vais vous présenter ne constitue pas un aboutissement : il a avant tout été conçu comme un document destiné à être discuté au Parlement et à faire l’objet d’une concertation avec l’ensemble des partenaires et des acteurs économiques et sociaux.

Le premier de ses axes repose sur un constat un peu paradoxal : d’un point de vue juridique, le droit du travail français est sans doute, de tous les droits européens – cela résulte d’une évolution engagée en 1982, qui s’est poursuivie avec les lois Fillon, Larcher, Bertrand, Sapin et Rebsamen –, celui qui va le plus loin en matière de renvoi à la négociation collective. Cela ne se traduit pourtant pas par une réduction du volume du code du travail, car le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État exigent que le renvoi à la négociation collective fasse l’objet d’un encadrement.

Le deuxième axe du rapport exprime le fait que la négociation collective est actuellement insatisfaisante. Non qu’elle soit inexistante : durant les treize années où j’ai été directeur général du travail, j’ai signé tous les ans le bilan de la négociation collective au niveau des branches et des entreprises, qui faisait apparaître une activité importante en la matière. Toutefois, du point de vue qualitatif, nous sommes un peu en arrière de la main en matière de négociation, les acteurs semblant avoir un peu de mal à négocier sur des points importants, tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau des branches et des entreprises. Il existe donc un décalage entre un droit et une volonté politique – assez largement partagée – plutôt favorables à la négociation, et un retard dans les faits.

Il y a deux raisons à cela. La première réside dans l’idée que le droit du travail renvoie à la négociation collective, mais que sa lourdeur sature complètement le dialogue social et empêche la négociation en en épuisant les capacités. En réalité, ce n’est pas tant la taille du code du travail – pas si importante que l’affirment certains – que le fait qu’il se soit constitué en strates successives qui pose problème : cela lui donne une structure où le syndicaliste comme le chef d’une entreprise moyenne ont du mal, même avec la meilleure volonté du monde, à faire la part entre le « dur » et ce qui peut être soumis à négociation. Il faudrait donc envisager un travail de réécriture du code. D’autres codes présentent la même complexité technique, mais là où le code de la propriété intellectuelle, par exemple, concerne un petit nombre de spécialistes, le code du travail est par excellence le code de la vie quotidienne, à la fois pour les entreprises et les salariés.

Cela dit, il est probable que, même si l’on supprimait d’un seul coup 2 000 pages du code du travail, il ne se passerait rien de notable en matière de négociation. En effet, la France n’a pas vraiment une culture de la négociation : c’est là un point essentiel de notre rapport – que la presse a pourtant très peu évoqué – et qui constitue à mon sens la deuxième raison du retard de notre pays en la matière. Certains seront tentés d’en imputer la responsabilité à des syndicats jugés archaïques, et il faut bien reconnaître que ce que l’on appelle la « liturgie de la négociation » ne parle plus vraiment aux jeunes générations. De ce point de vue, le syndicalisme a sans doute matière à réflexion pour améliorer sa relation avec les jeunes, notamment en développant le syndicalisme de services.

Je ne suis pas certain que les entreprises possèdent non plus une culture de la négociation. À quelques exceptions près, les dirigeants des grands groupes ont, mondialisation oblige, une vision worldwide de leur groupe, où la négociation collective peut apparaître comme un folklore franco-français. Cette situation est illustrée par la place des directeurs des ressources humaines dans les comités exécutifs des grands groupes, par les conditions dans lesquelles ils sont nommés, par leurs profils, et par ce qu’en disent les conseils en stratégie qui entourent en permanence les dirigeants de ces groupes : il en ressort clairement que la question du dialogue social n’est pas prioritaire.

Le nombre de branches professionnelles en France – on en compte actuellement 700 à 800 –, ne résulte pas du code du code du travail, mais des partenaires sociaux et surtout des organisations représentant les entreprises. Quand les gouvernements, de droite comme de gauche, renvoient à la négociation de branche, ils peuvent renvoyer à de grosses branches comme celles de la métallurgie ou de la chimie, mais aussi à des branches situées très en dessous de la taille critique : j’ai, dans le cadre de mes fonctions de directeur général du travail, présidé de nombreuses commissions de l’extension où j’ai pu constater qu’à l’évidence, certaines branches ne possédaient pas la capacité de négocier – ni du côté syndical, ni du côté patronal.

La carence en matière de culture de la négociation se fait également ressentir au niveau de l’État. Ainsi, lorsqu’un texte de loi prévoit de renvoyer certaines dispositions à la négociation collective, la consultation des partenaires sociaux, notamment des organisations professionnelles, se traduit généralement par un allongement du texte. Le passage devant le Conseil d’État a le même effet, au nom de la sécurité juridique. L’examen par le Parlement se traduit encore par des ajouts, de même que celui par le Conseil constitutionnel, qui émet des réserves d’interprétation. Chacune de ces institutions est légitime, mais le fait est que l’addition de leurs interventions aboutit à un alourdissement du texte et à une limitation des négociations.

J’en viens aux propositions contenues dans le rapport. En matière de culture et d’habitudes, je dois souligner que nous nous trouvons dans une société de défiance, alors que la négociation collective suppose l’établissement d’un rapport de confiance. Certes, on ne peut pas faire une loi qui prescrirait aux partenaires sociaux de négocier avec confiance, mais ce n’en est pas moins une condition essentielle au développement de la négociation collective. Le DRH d’une grande entreprise, dont je ne citerai pas le nom, nous a expliqué que son groupe avait décidé, pour débloquer les choses, de mettre sur la table les vrais chiffres, les vraies données et la véritable stratégie mise en œuvre : cela a eu pour effet d’instaurer progressivement le climat de confiance recherché, qui a permis d’aboutir à une négociation collective.

La question de la formation des cadres à la négociation collective doit être posée, ainsi que celles de la préparation de la négociation et du suivi de l’accord dans un cadre minimal de confiance et de loyauté – des questions passées sous le radar de la presse, alors même que tous les acteurs concernés les estiment extrêmement importantes. De ce point de vue, l’une des différences essentielles entre la France et l’Allemagne réside dans le fait qu’outre-Rhin, il est tenu compte de ces questions essentielles – du côté patronal comme du côté syndical –, alors que dans notre pays, chacun reste figé sur des textes et des postures.

En ce qui concerne le code du travail, nous proposons une réécriture complète, basée sur la distinction entre ce qui relève du « dur » – l’ordre public –, ce qui relève de la négociation de branche et ce qui relève de la négociation d’entreprise. Pour faire cela sérieusement, il faut laisser le temps au temps : en l’occurrence, j’estime qu’un délai de quatre ans est nécessaire pour parvenir à ce que les institutions procèdent ensemble à cette réécriture en ne perdant jamais de vue l’article 34 de la Constitution, selon lequel la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail. Pour des raisons dont la responsabilité est partagée par tous – qu’il s’agisse des ministres successifs et de leurs administrations, du Parlement ou encore du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel –, ce principe essentiel a été un peu oublié, ce qui fait que la partie législative du code contient aujourd’hui bien d’autres choses que les grands principes du droit du travail. Or, on ne peut simplifier le code du travail que par la loi.

Cela dit, la situation économique du pays, notamment en matière d’emploi, ne nous permet pas d’attendre. Nous proposons donc de cibler dans le code du travail – à court terme, c’est-à-dire à l’horizon 2016 – un certain nombre de sujets qui nous paraissent les plus importants à la fois pour les salariés et les entreprises, et de mettre en œuvre des réformes sur ces sujets, au moyen d’accords sur les conditions et le temps de travail, l’emploi et les salaires (ACTES). Il s’agit moins d’inverser la hiérarchie des normes que de répondre à une question simple : qu’est-ce qui relève de la loi, de la branche, et de l’accord d’entreprise ? En matière de temps de travail, ce sont par exemple les limites maximales, généralement fixées par les directives communautaires, qui relèvent de la loi ; d’autres dispositions relèvent de la branche parce qu’elles sont propres à un secteur ; enfin, il y a l’accord d’entreprise, qui occupe une place centrale.

L’importance de l’accord d’entreprise s’explique par deux préoccupations. La société moderne est tellement complexe qu’il est devenu impossible de légiférer de façon précise sur tous les secteurs de la société et toutes les entreprises. La loi de 2011 relative à la création de la prime dividendes posait la question de la remontée des bénéfices à l’intérieur des grands groupes ; or, au sein même du CAC40, les groupes se trouvent dans des positions tellement différentes qu’il s’est révélé extrêmement difficile de mettre au point un texte prévoyant d’appréhender de façon uniforme la situation de tous. Comme on le voit, la loi ne peut plus aller aussi loin dans le détail qu’elle le faisait auparavant.

La même difficulté se pose au sujet des salariés. De nos jours, les jeunes ont besoin que le droit du travail prenne en compte au plus près leurs choix de vie, notamment en matière d’organisation du temps de travail. De même, je pourrais citer le rapport remis récemment par le DRH d’Orange, Bruno Mettling, sur les effets de la transformation numérique sur le monde du travail.

Afin que la régulation se fasse dans les meilleures conditions possibles au sein des entreprises, le rapport propose que les accords ACTES soient conclus à court ou moyen terme, par voie d’accord majoritaire.

En matière de dialogue social territorial, le groupe de travail a considéré que la négociation territoriale, pour importante qu’elle soit, se situe pour le moment en marge, en quelque sorte « à côté » du droit. Dès lors, le plus grand service qu’on puisse lui rendre est de ne pas chercher à l’encadrer par des dispositions législatives. Des points extrêmement importants pour les salariés sont déterminés dans le cadre de cette négociation territoriale – notamment en matière de crèches ou de cantines, ou même de dispositifs relatifs à l’emploi – et puisque le système fonctionne plutôt bien, nous ne devons pas chercher à légiférer trop tôt en la matière.

Il est une question délicate qui passionne les juristes, celle du rapport existant entre la négociation collective et le contrat de travail. Dans le cadre de mes études de droit, j’ai toujours entendu dire que le droit du travail s’était construit pour compenser l’inégalité de base entre un employeur et un salarié, par la mise en place de protections collectives. À l’origine uniquement prévues par la loi, ces protections collectives ont commencé à apparaître dans les accords collectifs négociés avec les syndicats, après 1936 et au cours des années 1950. L’idée était que le salarié, placé en situation défavorable par rapport à son employeur quand il négocie avec celui-ci, voit ses intérêts mieux défendus par des protections collectives que par des protections individuelles.

Quand il a fallu réviser la directive de l’Union européenne sur le temps de travail, MM. Gérard Larcher, Xavier Bertrand et Michel Sapin ont tous dit la même chose à nos voisins européens qui défendaient une logique d’opt out, selon laquelle il était possible de dépasser les maxima en matière de temps de travail par la voie du contrat de travail : pour les ministres français, l’intérêt des salariés passait forcément par l’accord collectif, plus protecteur que le contrat individuel.

Aujourd’hui, il semble paradoxal d’entendre dire, par des acteurs faisant profession de défendre les salariés, que la meilleure protection est le contrat de travail. Afin d’éviter de déclencher une guerre de religions sur cette question, j’ai considéré que c’était aujourd’hui le contrat de travail qui prévalait – du moins dans la jurisprudence de la Cour de cassation – et j’ai proposé qu’en ce qui concerne les accords visant à protéger l’emploi au sein d’une entreprise, on parte du principe que l’emploi correspond à l’intérêt général et que, dès lors, les accords défendant l’intérêt général de l’ensemble des salariés doivent prévaloir sur le contrat de travail. Peut-être posera-t-on à nouveau, dans cinq, dix ou quinze ans, la question du rapport entre les accords collectifs et le contrat de travail, mais dans l’immédiat, l’intérêt général des salariés et la survie de l’entreprise doivent primer sur les autres aspects.

M. Christophe Sirugue. Je suis tout à fait d’accord avec la première partie de votre rapport, et l’idée que la France n’a pas vraiment une culture de la négociation – étant précisé que la construction du droit social dans notre pays s’est tout de même faite grâce à la négociation, dans le cadre d’une évolution des marchés du travail et des attentes des différents acteurs. Cela dit, si l’on veut favoriser le dialogue, encore faut-il se poser la question des moyens et des capacités d’évolution des acteurs concernés, en particulier les organisations patronales et syndicales.

Au cœur de votre rapport, il y a la volonté de trouver des leviers de nature à favoriser la négociation d’entreprise. Toute négociation comportant des risques, les partenaires sociaux doivent avoir la capacité de porter ce qui excède les capacités d’un seul représentant des salariés au sein d’une entreprise. J’ai été un peu étonné de vous entendre dire que c’est l’emploi qui prime. Au nom de ce principe, on pourrait considérer que le contrat « zéro heure » en Allemagne est pertinent, et que n’importe quelle forme de travail, et n’importe quel contrat la formalisant, peuvent être acceptés et même favorisés.

M. Jean-Denis Combrexelle. J’ai dit que c’est l’accord d’emploi qui prime.

M. Christophe Sirugue. Sauf erreur, vous avez bien évoqué l’Allemagne.

Derrière tout cela, la question qui est posée est bien celle de l’inversion de la hiérarchie des normes, sur laquelle vous ne vous prononcez pas vraiment. Dès lors que l’on est attaché au dialogue social et convaincu, comme vous dites l’être, que l’évolution du monde du travail a rendu certaines adaptations nécessaires, et que le dialogue passe par des interlocuteurs ayant eux-mêmes des difficultés dans leur positionnement, comment, selon vous, peut-on donner à ces interlocuteurs la capacité d’être de vrais intervenants ? Par ailleurs, au niveau de l’entreprise, de quelle manière peut-on préserver les droits des salariés tels qu’ils sont actuellement définis dans le code du travail ?

M. Gérard Cherpion. Je félicite M. Combrexelle et son équipe pour le travail qu’ils ont accompli. Alors que, depuis longtemps, on tourne autour du pot en matière de dialogue social, en se contentant de procéder à de modestes révisions par ajouts successifs, ce rapport propose des solutions intéressantes, de nature à conduire à une amélioration de la situation de l’emploi, tout en répondant aux évolutions de la société et du monde du travail.

La situation difficile dans laquelle nous nous trouvons actuellement – les chiffres du chômage sont très élevés, et rien ne permet de penser qu’ils vont baisser de manière significative à court terme – conduit le Gouvernement à légiférer à marche forcée et de manière plutôt désordonnée. Ainsi, cette année, deux lois importantes ont été promulguées à dix jours d’écart : celle sur le dialogue social de François Rebsamen et celle sur l’activité et la croissance, dite loi Macron, étant précisé que la seconde corrigeait des dispositions sur la sécurisation de l’emploi et la concurrence déloyale, ainsi que sur les prud’hommes, qui avaient été votées moins d’un an auparavant.

Avec ce rapport, vous ouvrez la possibilité de revoir globalement le code du travail. Je viens de lire sur Internet que lors de la présentation par la ministre du travail de ses propositions de réforme, le Premier ministre avait annoncé une refonte du code du travail pour 2018, ainsi que la constitution d’une mission d’experts présidée par M. Badinter. Cela rejoint ce que j’avais proposé l’année dernière dans une proposition de loi sur le travail, qui avait été repoussée – mais l’essentiel est que l’on finisse par progresser.

Vous avez expliqué que votre rapport n’était ni de droite ni de gauche, mais politique – au sens de ce qui intéresse la cité – et je suis d’accord sur ce point. Le moment est venu de se mettre tous ensemble autour de la table pour parvenir à réformer ce qui doit l’être, afin d’améliorer la situation de ceux qui se trouvent en dehors de l’emploi, que le code du travail protège insuffisamment – il serait même un obstacle à la libération de l’emploi. Nous avons besoin d’une réforme d’ampleur, conçue sans esprit partisan.

Il y a trois jours, avant même la parution de votre rapport, le Président de la République s’est empressé de poser des barrières en affirmant que l’on ne toucherait ni au contrat de travail, ni aux dispositions relatives au salaire et au temps de travail, les 35 heures devant être préservées. Si un socle législatif de base doit évidemment être mis en place afin de protéger les salariés, il me paraît difficile de mettre en œuvre une réforme efficace sans introduire un peu de souplesse dans les domaines que je viens de citer, considérés comme intangibles par M. François Hollande : pour moi, il doit être fait une place au dialogue social, y compris territorial, sur tous les points. Vous dites dans votre rapport que l’État doit jouer le rôle de Bison Futé – c’est très bien, mais prenons garde à ne pas nous laisser imposer des déviations rallongeant exagérément notre parcours, car nous devons parvenir rapidement à des solutions.

Entre la loi du 4 mai 2004 sur la négociation d’accords dérogatoires dans les entreprises, qui permet l’ouverture de négociations entre les branches et l’entreprise, et la loi de 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, qui aboutit à une inversion de la norme, vous ne dites pas où va votre préférence : est-ce l’entreprise qui doit primer sur l’accord de branche, ou l’inverse ?

Par ailleurs, après vos propositions et les déclarations que vient de faire l’exécutif, que vont pouvoir faire demain les salariés et leurs représentants qu’ils ne peuvent faire aujourd’hui ?

M. Francis Vercamer. J’ignore si ce phénomène est saisonnier ou s’il s’explique par l’ardente obligation de réfléchir à l’avenir du travail en France, mais force est de constater que, ces dernières semaines, de nombreux rapports ont été publiés sur la réforme du droit du travail. Le vôtre, monsieur Combrexelle, a le mérite de tenter de replacer la négociation collective à sa juste place parmi les autres sources du droit social que sont la loi, la jurisprudence ou la norme européenne. De fait, vous avez raison, le dialogue social joue, en France, un véritable rôle dans la construction de la règle de droit, comme en témoignent la pratique de la négociation collective ou le paritarisme des juridictions prud’homales. Mais la convention collective est fréquemment en concurrence avec la loi, laquelle entre bien souvent dans le détail au point d’empiéter parfois sur le domaine du règlement alors qu’elle devrait se limiter à la détermination des grands principes fondamentaux et renvoyer la définition des autres règles aux accords collectifs.

Mais, pour donner davantage de place à la négociation collective, comme vous le proposez, il faut également agir sur les mentalités. À cet égard, pensez-vous que la formation des DRH, des conseils d’entreprise ou des experts-comptables soit suffisante pour faire émerger ce que vous avez appelé une culture de la négociation ?

En outre, la légitimité des partenaires sociaux peut sembler affaiblie, en dépit de leur « représentativité », par le nombre réduit de salariés et de professionnels syndiqués. On pourrait, dès lors, s’interroger par exemple sur l’opportunité de maintenir l’effet erga omnes des accords négociés, qui n’incite pas les salariés à adhérer à un syndicat. Dans certains pays, je le rappelle, il faut être adhérent du syndicat signataire des accords pour bénéficier de ces derniers. Ne craignez-vous pas que la négociation collective pâtisse de l’absence d’une forte représentativité des organisations syndicales ? Par ailleurs, je partage votre souci de favoriser la fusion de certaines branches afin de rendre la négociation collective plus efficace.

En ce qui concerne l’inversion de la hiérarchie des normes, certains ont estimé que votre rapport n’allait pas assez loin, d’autres qu’il allait trop loin. Sans doute doit-on en conclure que votre proposition est équilibrée… Quoi qu’il en soit, il me semble qu’elle pourrait être retenue par la ministre du travail. J’ajoute que, parmi les secteurs thématiques propices à l’innovation sociale, il ne faut pas oublier l’économie sociale et solidaire.

Par ailleurs, je regrette que le Gouvernement fasse preuve d’une certaine frilosité dans la définition du périmètre ouvert à la négociation collective, dont il exclut notamment la question du temps de travail. C’est, me semble-t-il, une erreur : si la négociation aboutit, le Gouvernement n’est pas pour autant obligé de transcrire l’accord dans la loi.

Enfin, si l’accord d’entreprise doit être placé au centre de la construction du droit social, c’est aussi un thème cher aux centristes, comme en témoigne la mission d’information sur le paritarisme dont le groupe Union des démocrates et indépendants a récemment demandé la création et dont Arnaud Richard assure la présidence. C’est pourquoi nous sommes plutôt en accord avec les propositions contenues dans votre rapport.

Mme Dominique Orliac. Dans votre rapport, monsieur Combrexelle, vous vous interrogez sur le rôle de la négociation collective dans la régulation économique et sociale, au moment où le code du travail est régulièrement dénoncé comme un obstacle à la compétitivité de notre économie. Dressant un bilan mitigé du fonctionnement de la négociation collective en France, vous considérez cependant qu’elle est un outil indispensable à la cohésion sociale et qu’elle favorise l’adaptation de l’économique au social, et réciproquement. Vous proposez donc de la renforcer, d’une part, en créant chez les partenaires sociaux, les chefs d’entreprise et les salariés les conditions d’un besoin et d’une volonté réelle de négociation et, d’autre part, en ouvrant de nouveaux champs de négociation dans le cadre d’une répartition plus équilibrée entre ce qui relève, d’un côté, du code du travail et, de l’autre, des accords collectifs de branche ou d’entreprise.

Vous recommandez de stabiliser au préalable le flux des textes normatifs sur le travail. Ainsi, le nombre des réformes législatives devrait être limité dans le cadre d’un agenda social annuel et l’adoption d’une nouvelle disposition du code du travail devrait entraîner l’abrogation d’une disposition devenue obsolète. L’architecture du code du travail pourrait également être modifiée pour être composée de trois divisions : les principes fondamentaux du droit du travail, les champs ouverts à la négociation, qui feraient l’objet d’un encadrement législatif minimal, et les dispositions de niveau réglementaire appliquées en l’absence d’accord collectif.

Pour modifier le code du travail, vous avez retenu un scénario dans lequel les problématiques nouvelles des relations du travail seraient traitées en priorité par la négociation. Pour les autres pans du droit social – les conditions et le temps de travail, l’emploi et les salaires, définis comme les quatre priorités, que vous nommez « ACTES » –, vous proposez de clarifier les champs respectifs de l’ordre public, composé des principes fondamentaux communs à tous les salariés, et de la négociation.

Nous approuvons votre proposition n° 24, qui vise à limiter le nombre des réformes législatives du droit du travail en fixant un agenda social annuel, et votre proposition n° 25, consistant à gager toute nouvelle disposition du code du travail par l’abrogation d’une disposition devenue obsolète. En effet, il nous semble important d’éviter de complexifier un code du travail qui devient parfois confus, pour l’employeur et pour l’employé, comme l’a déclaré le Premier ministre lors du dernier congrès du parti radical de gauche.

Par ailleurs, une certaine généralisation de la négociation collective nous paraît intéressante, à condition qu’elle offre aux salariés une protection plus effective. Nous souscrivons également à votre proposition n° 4, qui vise à dispenser des formations de qualité au dialogue social dans les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs, l’université et les grandes écoles de la fonction publique. Nous jugeons en effet utile de sensibiliser dès que possible les futurs employeurs et chefs d’entreprise au dialogue social et à ses problématiques.

D’autres propositions nous paraissent, en revanche, plutôt régressives. Nous tenons ainsi à réaffirmer notre attachement à l’accord de branche, qui garantit une équité de traitement entre salariés et entreprises de toutes tailles d’un même secteur d’activité, et à rappeler que l’accord d’entreprise ne peut prendre le pas sur la branche ou le contrat.

Enfin, même si le Gouvernement a clairement annoncé qu’il n’entendait pas toucher à la durée légale du travail, j’aurais souhaité connaître votre position sur les 35 heures, puisque vous avez indiqué que l’emploi devait primer. Ce sujet occupe en effet les esprits : les uns veulent les supprimer mais s’abstiennent de le faire lorsqu’ils sont au pouvoir ; les autres, dont je fais partie, saluent une réforme qui est aujourd’hui acquise et bien assimilée par tous nos concitoyens.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. Monsieur Combrexelle, vous avez souligné les difficultés que pourrait soulever la généralisation de la négociation collective, notamment en raison de l’insuffisante préparation des responsables des services de ressources humaines. Mais vos propositions suscitent d’autres questions, que je souhaiterais vous soumettre afin d’alimenter la réflexion.

Tout d’abord, la fin de la primauté du contrat de travail – qui constituerait un changement radical – ne conduirait-elle pas à mettre de côté le rapport de travail, en particulier le lien de subordination entre l’employeur et le salarié, pour qui le contrat de travail constitue un ultime rempart ? Ensuite, on entend souvent dire que le code du travail nuit à l’emploi. Je crois, quant à moi – et cela m’a été confirmé par des entrepreneurs du bâtiment –, que les embauches dépendent surtout de l’activité économique. Par ailleurs, la multiplication des accords dans les entreprises ou les branches diverses et éparses ne rendrait-elle pas plus complexes et moins lisibles les règles en vigueur, pour les salariés comme pour les employeurs ? Enfin, la primauté des accords d’entreprise ne risque-t-elle pas de poser problème dans les petites entreprises où il n’existe pas de représentation du personnel ?

Mme Isabelle Le Callennec. La ministre du travail a annoncé, cet après-midi, une réforme ambitieuse du droit du travail et l’examen, en mars prochain, d’un projet de loi – un de plus ! Quelles sont, selon vous, monsieur Combrexelle, celles des propositions figurant dans votre rapport qui ont une chance d’être retenues par le Gouvernement ?

Alors que le chômage atteint une ampleur inégalée dans notre pays et que des entreprises évitent d’embaucher de peur de ne pas pouvoir se séparer de leurs salariés si leurs carnets de commandes ne se remplissent pas, les emplois détruits s’ajoutant ainsi à tous ceux qui ne sont pas créés, il ne nous paraît ni raisonnable ni responsable de se donner quatre ans pour réécrire le code du travail. En outre, à peine avez-vous présenté votre rapport que le Président de la République a annoncé qu’il n’y aurait de discussion ni sur la durée légale du travail ni sur le SMIC ni sur le contrat de travail et le CDI. Je me demande donc bien ce qu’il y aura dans ce projet de loi…

Par ailleurs, vous proposez de faire primer l’accord collectif sur le contrat de travail mais, vous l’avez dit vous-même, en France, ni les salariés ni les entreprises n’ont la culture de la négociation. Nous avons encore pu le constater ce matin, lorsque nous avons auditionné le PDG et l’intersyndicale d’Air France. Comment va-t-on s’en sortir ? Certes, l’intervention des diverses institutions que vous avez citées est légitime mais, à un moment donné, il faut se poser la question de savoir qui prendra les décisions.

Enfin, qu’en est-il des accords offensifs, des référendums d’entreprise, que les partenaires sociaux peuvent bloquer, et de la place du paritarisme ? Je crois, quant à moi, que nous devons repartir d’une page blanche.

M. Denys Robiliard. La présentation de votre intéressant rapport devant notre Commission, monsieur Combrexelle, coïncide avec les annonces de la ministre du travail, mais il va de soi qu’un rapport est destiné à alimenter le travail politique et qu’il ne saurait être confondu avec le projet de loi qui s’en inspire.

J’en viens à mes questions. Tout d’abord, les salariés et les chefs d’entreprise, en particulier de petites entreprises, souhaitent davantage de simplicité. Or, je ne suis pas certain que le redécoupage du code du travail ou la priorité donnée, le plus souvent, à l’accord d’entreprise contribuent à améliorer la lisibilité du droit du travail, voire la fluidité du marché du travail. Sans aller jusqu’à parler, comme M. Supiot, d’un code du travail par entreprise, je crains que, dans un tel système, le salarié qui veut changer d’emploi ne doive faire de longues recherches pour connaître le droit du travail applicable dans sa future entreprise.

Par ailleurs, vous avez évoqué la culture de la négociation. Celle-ci exige en effet des connaissances, un important travail préalable et la définition d’un calendrier. Ces compétences sont-elles réunies au sein de l’entreprise ? Peut-être faut-il raisonner en fonction de sa taille, comme vous le suggérez, mais c’est un sujet d’inquiétude.

Enfin, la règle s’appliquant aux rapports entre négociation collective et contrat de travail a été fixée à deux reprises. Il est en effet prévu que, s’il refuse l’application à son contrat de travail d’un accord de maintien dans l’emploi, le salarié doit faire l’objet d’un licenciement pour motif économique. Mais cela signifie simplement que l’accord collectif ne peut modifier de façon unilatérale le contrat de travail, et non que l’un prime sur l’autre. Si une telle règle devait être adoptée – et je reconnais que nous devons en discuter –, elle pourrait aller à l’encontre du principe de faveur, dès lors que le contrat de travail peut être plus favorable que la norme collective. Au demeurant, je m’étonne que les libéraux souhaitent que l’accord collectif prime sur le contrat de travail.

M. Bernard Perrut. Monsieur Combrexelle, vous estimez, dans votre rapport, que l’accord de branche permettrait d’améliorer le sort des très petites entreprises (TPE), dont vous dites, à juste titre, qu’« elles constituent traditionnellement l’angle mort des réformes du droit du travail ». Pour surmonter leur incapacité juridique à bénéficier des effets de la négociation collective – incapacité qui est notamment due à l’absence d’institutions représentatives du personnel –, vous reprenez à votre compte certaines idées défendues par des organisations représentatives des petites et moyennes entreprises, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Vous proposez en effet de confier à la branche le soin de négocier des accords-types avec des paramètres ajustables à chaque entreprise ; resterait alors au dirigeant à les compléter et à les faire approuver par ses salariés par le biais du référendum.

Mais ne reprenez-vous pas d’une main ce que vous offrez de l’autre lorsque vous optez, plus loin, pour la généralisation de l’accord majoritaire d’entreprise à compter de 2017 ? Seuls les accords signés par une ou des organisations recueillant au moins 50 % des voix aux élections professionnelles seraient valides, de sorte qu’en pratique, aucune entreprise ne pourrait se passer des voix de deux grandes organisations syndicales françaises.

Il n’est pas certain que les salariés voient cela comme une prime au syndicalisme d’adhésion, la recette mise en avant pour restaurer la légitimité des syndicats français. Or, je rappelle qu’en vingt-cinq ans – c’est une grande préoccupation –, le taux de syndicalisation est passé de 25 % à 7 %. Mais cette évolution n’a, me semble-t-il, rien d’inéluctable puisque les Allemands et les Britanniques affichent respectivement un taux de syndicalisation de 20 % et de 25 %.

Mme Chaynesse Khirouni. La problématique, si je l’ai bien comprise, pourrait être formulée ainsi : la réforme du code du travail et le renforcement de la négociation collective sont-ils une solution au problème du chômage de masse ? Votre rapport, monsieur Combrexelle, ne permet pas de confirmer ce postulat, si c’en est un.

Au reste, je m’étonne que vous n’ayez auditionné ni Pôle emploi, qui est pourtant le premier opérateur d’accompagnement des demandeurs d’emploi et des entreprises, ni représentants des TPE et des PME, ni avocats spécialisés en droit social, ni experts-comptables, ni inspection du travail, ni conseillers prud’homaux. C’est d’autant plus dommage que ces acteurs auraient pu témoigner de leur situation concrète et nous renseigner notamment sur les normes qui leur posent problème.

Par ailleurs, je constate que vous n’intégrez pas dans votre rapport l’évolution législative récente, notamment la loi de sécurisation de l’emploi, votée en 2013, et la loi relative au dialogue social et à l’emploi, votée l’été dernier. Ne conviendrait-il pas d’évaluer l’impact de ces lois avant d’imaginer de nouvelles dispositions ?

Enfin, ne craignez-vous pas que la multiplication des négociations augmente la complexité de la réglementation ? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec autant de cadres et de règles que d’entreprises ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Combrexelle, vous consacrez deux pages de votre rapport aux TPE, qui, avec les PME, créent la plupart des emplois puisqu’elles ne délocalisent pas. Or, vous dites très bien que le code du travail est fait pour les grandes entreprises et qu’il ne prend en compte les PME qu’à travers des exceptions, de sorte que la situation est devenue ingérable pour ces petites entreprises : personne n’y comprend rien, et cela fait la joie des avocats spécialisés en droit du travail. Votre proposition n° 38 va donc dans le bon sens. Je tenais à faire cette observation car je crois qu’en ce domaine, nous sommes attendus par les patrons de TPE mais aussi par les salariés.

M. Jean-Denis Combrexelle. Je commencerai par faire une remarque liminaire sur un point commun aux différentes questions qui m’ont été posées. En matière de droit du travail, que ce soit en Allemagne, aux États-Unis, en Pologne ou en Russie, la régulation – même si je n’aime pas ce mot, qui me paraît trop « techno » – se fait soit par la loi, soit par la négociation collective, soit par le contrat de travail, donc par le juge.

Mme Isabelle Le Callennec. En France, on fait un peu des trois…

M. Jean-Denis Combrexelle. Tous les pays utilisent un peu les trois ; ils se différencient les uns des autres par l’importance relative qu’ils accordent à chaque élément.

M. Robiliard s’est étonné que les libéraux défendent la convention collective plutôt que le contrat de travail. Mais, selon la ligne majoritaire au sein de l’Union européenne – le débat est très présent dans le cadre de la révision de la directive sur le temps de travail –, les protections collectives, qui se justifiaient dans le contexte de la révolution industrielle, sont aujourd’hui rendues inutiles par l’élévation du niveau culturel des salariés, de sorte que la régulation doit désormais se faire au niveau du contrat de travail. On aboutit ainsi à une situation très paradoxale dans laquelle les deux extrêmes se rejoignent autour de la défense du contrat de travail. Dans mon rapport, j’estime que la loi doit rester la gardienne des grands équilibres et des grandes protections, que le contrat de travail doit également jouer son rôle, mais que le centre de gravité de la régulation est la négociation collective. Je n’ai pas une vision idyllique du dialogue social, mais, si l’on estime que la faiblesse des organisations syndicale est telle que la négociation collective ne peut pas occuper cette position centrale, que reste-t-il ? La loi et le contrat de travail, c’est-à-dire le juge. Peuvent-ils tout régir ? La question est posée. En tout état de cause, le choix n’est pas très étendu. Il me semble qu’en dépit de toutes les difficultés et de l’appréciation que l’on peut porter sur les organisations syndicales et professionnelles, le choix doit plutôt se porter sur la négociation collective, d’autant que c’est le pari qu’ont fait des pays qui n’ont pas trop mal réussi au plan économique.

Par ailleurs, ne me faites pas dire, monsieur Sirugue, que l’emploi doit primer sur tout le reste. J’ai été, pendant treize ans, directeur général du travail au ministère de l’emploi et du travail, et pendant ces treize années, j’ai dit à mon collègue délégué à l’emploi que, si la question de l’emploi était importante, la qualité et la protection du travail étaient également essentielles. Je n’ai pas changé d’avis. Ce que je dis, c’est que, sur la question particulière des rapports entre accords collectifs et contrat de travail, les accords qui visent à protéger l’emploi doivent prévaloir sur le contrat de travail. C’est tout ! Il n’est pas question pour moi de faire passer à la trappe toutes les protections au nom de l’emploi. Il ne faut pas opposer le travail à l’emploi : les entreprises les plus compétitives, c’est-à-dire celles qui embauchent le plus, sont peut-être également celles qui ont le plus réfléchi à la qualité des conditions de travail de leurs salariés.

M. Cherpion m’a interrogé sur les lois Fillon du 4 mai 2004 et Bertrand du 20 août 2008. Il s’agit de lois essentielles. La première, qui « autonomise » l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche, n’a pas été appliquée. En effet, si vous interrogez les DRH des grands groupes – je parle de ceux qui ont une vision sociale –, la plupart d’entre eux reconnaîtront, s’ils sont honnêtes avec vous, qu’ils négocient les accords d’entreprise en aveugle, c’est-à-dire sans vérifier que l’accord de branche les y autorise. Quant à la loi du 20 août 2008, qui va plus loin, puisqu’elle procède à une sorte d’inversion des normes en faisant primer l’accord d’entreprise en matière de temps de travail, on constate qu’elle n’est pas non plus utilisée.

Dans les deux cas, ces lois ont été discutées, votées, et cela n’« embraye » pas. C’est pourquoi il faut beaucoup insister sur la lisibilité et la compréhension du code du travail. Même les DRH des plus grandes entreprises, celles dont les services juridiques sont les plus performants, ne parviennent plus à suivre. Ce n’est donc pas uniquement une question de formation : le flux législatif et jurisprudentiel est tel, que même les grandes entreprises sont en difficulté. Il faut changer de méthode.

Peut-on faire plus, m’a demandé M. Cherpion ? Le projet de loi de Mme El Khomri montrera, je pense, en quoi on peut négocier davantage qu’aujourd’hui sur les questions de temps de travail, par exemple. Dans ce domaine, des champs importants qui relevaient jusqu’à présent de la loi ou du règlement peuvent être transférés à la négociation.

Il est vrai, monsieur Vercamer, que de nombreux rapports sortent actuellement. Je crois qu’ils témoignent d’une prise de conscience collective. Chacun de leurs auteurs a sa sensibilité propre, mais tous constatent une sorte de découplage entre la vie économique et sociale et notre code du travail. Il n’est pas anodin, d’un point de vue politique et sociologique, que plusieurs personnes réfléchissent actuellement à ces questions.

La formation des DRH est-elle suffisante ? Non. L’ensemble des dirigeants doivent, selon moi, être formés à ces questions. J’ai de bonnes raisons de penser qu’en matière de management et de dialogue social, la formation des écoles de commerce, des écoles d’ingénieurs et de certaines écoles prestigieuses de la fonction publique est lacunaire. Il ne suffit pas de faire venir pendant trois jours un cabinet qui dispensera une prétendue formation en management pour faire des dirigeants des adeptes du dialogue social. Au-delà de mon rapport, la véritable question est celle de savoir si les dirigeants, qu’ils soient commerçants, ingénieurs ou fonctionnaires, considèrent qu’ils font mieux tourner la structure dont ils ont la responsabilité en pratiquant le dialogue social ou en affichant une forme de mépris pour leurs personnels. Je ne suis pas un adepte de tout ce qui se fait en Allemagne mais force est de constater que la relation entre dirigeants et salariés y est différente de ce qu’elle est en France.

M. Vercamer m’a interrogé sur l’application des accords erga omnes. Pour inciter les salariés à se syndiquer, une solution a été adoptée en Scandinavie qui consiste à prévoir que les accords négociés par les syndicats ne profitent qu’aux adhérents de ces syndicats. Mais, outre qu’elle est assez radicale, une telle solution soulèverait, me semble-t-il, des problèmes constitutionnels.

S’agissant des propositions nos 24 et 25, qui visent à limiter le flux législatif, elles sont motivées par le constat, je l’ai dit, que même les plus grandes entreprises peinent à suivre l’évolution de la réglementation. Il est bien évident que c’est encore plus difficile pour les chefs de petites entreprises. C’est du reste la raison pour laquelle certaines professions, notamment les experts-comptables – qui conseillent souvent les petits commerçants en matière sociale –, prennent une place très importante dans l’appropriation du droit du travail. Je me souviens qu’il y a quelques années de cela, trois lois sur l’épargne salariale ont été votées en l’espace de quelques mois. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la réglementation dans ce domaine ne soit comprise que par une centaine de spécialistes en France et qu’elle soit très éloignée de l’intention initiale, qui était de favoriser l’intéressement et la participation.

Quel est mon sentiment sur les 35 heures ? Celles-ci ne sont, comme je le rappelle dans mon rapport, que le seuil de déclenchement de la majoration des heures supplémentaires. La loi du 20 août 2008 a déjà considérablement ouvert le champ de la négociation en matière de temps de travail, et cette possibilité n’a pas été utilisée. Les partenaires sociaux souhaitent-ils négocier sur la question du temps de travail ? Voilà la véritable question. Comme le dit M. Mettling dans son rapport, nous assistons à un bouleversement complet des méthodes et de l’organisation du travail, de sorte que la question qui se pose est celle de savoir si les cadres peuvent négocier des forfaits-jours et les salariés une adaptation de leur temps de travail. Les 35 heures ont peut-être une très grande importance politique, mais elles ne sont pas forcément au centre de tout.

Par ailleurs, on m’a interrogé sur la multiplication des accords qui résulterait du rôle central conféré à la négociation collective. Dans mon rapport, je ne parle jamais de simplification ; je préfère évoquer une réécriture ou une clarification du code du travail. De fait, le renvoi à la négociation n’est pas forcément un signe de simplification. Il y a là un choix très politique à faire, qui relève du Parlement, entre le maintien du système actuel, c’est-à-dire une règle uniforme fixée par la loi pour toutes les entreprises, et une diversité de règles adaptées à la variété des attentes des salariés et des situations des entreprises. Dans le second cas, il faut admettre une certaine forme de complexité. Lorsque la journée de solidarité a été instituée, soit on imposait à tous le lundi de Pentecôte, soit on laissait chaque entreprise choisir une journée dans le cadre d’une négociation. En France, renvoyer à la négociation à l’échelle de l’entreprise est perçu comme un facteur de désordre. Mais le choix doit se faire entre l’uniformité et la diversité.

Il en va de même pour le référendum. Celui-ci aboutit à « court-circuiter » les syndicats. Il peut y avoir de bonnes raisons de l’instituer mais, là encore, il faut choisir : soit la régulation se fait par l’intermédiaire de syndicats représentatifs, soit elle se fait en recourant à la démocratie directe au sein de l’entreprise. On ne peut pas choisir l’un et l’autre, car la démocratie directe aboutit, de fait, à fragiliser les syndicats. Or, j’ai pu constater, en tant que directeur général du travail, que, dans les situations les plus délicates, tout le monde, Gouvernement et chefs d’entreprise, était bien content de pouvoir discuter avec des syndicats responsables. Il faut être cohérent : on ne peut pas, d’un côté, vouloir renforcer les syndicats et la négociation collective et, de l’autre, choisir le référendum.

Je ne connais pas les propositions de la ministre du travail, mais il me semble qu’elles consistent à appliquer dans un champ particulier les propositions contenues dans mon rapport.

Enfin, comme l’a dit Mme la présidente, le droit du travail se construit, de fait – et nous en sommes tous responsables –, en référence aux grandes entreprises, ne serait-ce que parce que leurs DRH sont davantage présents et que les organisations professionnelles sont plus proches de ces grandes entreprises. On construit ainsi le code du travail en ayant en tête une entreprise de 1 000 personnes, dont le patron et le DRH veulent faire les choses intelligemment, avec des syndicats qui jouent le jeu. Aussi s’aperçoit-on, lorsqu’il s’agit d’appliquer cette belle règle au petit commerce, que cela ne fonctionne pas ; on crée alors un seuil. Toute la difficulté est de construire un code du travail qui ne parte pas toujours de la grande entreprise, mais parfois aussi de la petite. En tout état de cause, les branches doivent, selon moi, être prestataires de services pour ces petites entreprises en partant de leur situation.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le débat ne fait que commencer. Je vous remercie, monsieur Combrexelle, et je remercie mes collègues pour leur assiduité, au terme de cette longue journée d’auditions.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné :

– M. Laurent Grandguillaume, rapporteur sur la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux et Laurent Grandguillaume d'expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée (n° 3022)

Présences en réunion

Réunion du mercredi 4 novembre 2015 à 16 heures 15

Présents. – M. Pierre Aylagas, M. Alexis Bachelay, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, Mme Valérie Boyer, M. Gérard Cherpion, M. Jean-Louis Costes, M. Laurent Grandguillaume, M. David Habib, Mme Monique Iborra, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Gilles Lurton, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, M. Bernard Perrut, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue, M. Francis Vercamer

Excusés. – Mme Michèle Delaunay, M. Dominique Dord, M. Henri Guaino, M. Patrick Lemasle, M. Michel Liebgott

Assistaient également à la réunion. – Mme Fanélie Carrey-Conte, Mme Sophie Dion, M. Arnaud Richard