COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 17 mai 2016
La séance est ouverte à seize heures vingt.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission des affaires sociales procède à l’audition de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, sur la politique familiale.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous accueillons aujourd’hui Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes qui a bien voulu se rendre à notre invitation pour présenter un bilan de l’action que le Gouvernement mène, depuis bientôt quatre ans, en matière de politique familiale. Nous savons que celle-ci suscite parfois mensonges et contrevérités et ce sera sans doute l’occasion pour vous, madame la ministre, de les réfuter et de nous apporter d’utiles précisions.
Après votre exposé liminaire, je donnerai la parole aux représentants des groupes puis aux députés qui le souhaitent.
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Madame la présidente, je vous remercie de m’avoir invitée pour échanger avec vous sur la politique familiale française. C’est une politique qui fait la force de notre pays et dont nous pouvons être fiers.
La France est aujourd’hui le premier pays d’Europe à conjuguer une natalité forte – près de 800 000 naissances chaque année et un taux de fécondité de près de deux enfants par femme – avec un taux d’activité des femmes élevé et croissant.
La place particulière de notre pays dans le paysage européen repose sur une politique familiale soutenue, qui s’appuie sur deux leviers complémentaires : d’une part, les prestations familiales ; d’autre part, les services aux familles – modes d’accueil des jeunes enfants, accueils de loisirs, lieux d’accompagnement à la parentalité, centres sociaux.
Depuis 2012, la force et la diversité de la politique familiale française ont été renforcées.
D’abord, le Gouvernement a su la faire évoluer pour l’adapter aux transformations que vivent les familles. Dès 2012, il a fait le choix de regarder les 8 millions de familles avec des enfants de moins de dix-huit ans telles qu’elles sont, sans a priori sur un modèle ou un autre. Il a voulu les accompagner au plus près de leurs besoins, en veillant en particulier aux familles les plus vulnérables pour assurer une plus grande justice sociale. Et je me félicite d’être désormais ministre des familles car ce pluriel traduit mieux cette diversité.
Ensuite, dans mon action, je m’attache à ne pas séparer les questions relatives aux familles, aux enfants, aux droits des femmes. C’est en pensant ces sujets en cohérence et en les décloisonnant que nous ferons progresser la politique familiale de notre pays.
J’ai été une secrétaire d’État à la famille « féministe » – qualificatif que j’ai employé lors de ma nomination à ces fonctions. Je suis aujourd’hui une ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes engagée pour faire progresser l’égalité entre les mères et les pères, pour favoriser l’épanouissement des enfants et sortir les violences qu’ils subissent de l’angle mort des politiques publiques. Cela doit évoluer, et pour que cela évolue, il faut penser ces sujets globalement, en cohérence et en articulation les uns avec les autres.
Avoir un ministère qui allie familles, enfance et droits des femmes est une réelle force pour comprendre les interactions entre ces sujets et agir à tous les niveaux. C’est de cette politique familiale, dans toute sa richesse et tous ses aspects, que je souhaite vous parler aujourd’hui ainsi que des actions conduites par le Gouvernement pour adapter cette politique aux besoins des familles et de ce qu’il reste à entreprendre.
Depuis 2012, la politique familiale est redevenue un outil de justice sociale répondant aux besoins des familles.
Le Gouvernement a agi en direction des familles nombreuses modestes, en créant un complément familial majoré, et des familles monoparentales. Ces dernières représentent aujourd’hui une famille sur cinq et l’émergence de la monoparentalité constitue une évolution majeure de la famille ces trente dernières années. S’intéresser aux parents solos – des femmes pour 85 % d’entre eux –, c’est aussi se battre pour les droits des femmes et ceux des enfants.
La monoparentalité s’accompagne généralement d’une plus grande vulnérabilité. Les études montrent que les familles monoparentales sont bien plus que d’autres exposées à la précarité. Les enfants voient ainsi leur risque de pauvreté multiplié par deux lorsqu’ils vivent dans une famille monoparentale.
Cette situation est bien sûr liée au fait qu’un seul parent a à faire face aux charges courantes quand un double revenu permet le plus souvent de les assurer dans les autres familles. Elle est accentuée par les inégalités qui caractérisent la situation des femmes sur le marché du travail – revenus inférieurs à ceux des hommes, taux de temps partiel plus élevé, moindre accès aux responsabilités et aux salaires qui les accompagnent.
À cela s’ajoute le fait que dans plus d’un cas sur trois, la pension alimentaire n’est pas payée ou l’est de façon partielle ou irrégulière. Le Gouvernement a donc décidé de revaloriser l’allocation de soutien familial (ASF) de 25 % sur cinq ans. Son montant est ainsi passé de 89 euros en 2012 à près de 105 euros par mois et par enfant au 1er avril 2016, revalorisation qui sera poursuivie en 2017 et 2018.
La garantie contre les impayés de pensions alimentaires (GIPA), après avoir été expérimentée dans une vingtaine de départements pendant dix-huit mois, a été généralisée le 1er avril 2016. Ce dispositif permet aux caisses d’allocations familiales d’améliorer le recouvrement des pensions alimentaires impayées en les reversant à leurs bénéficiaires. Elle permet aussi de compléter les pensions alimentaires de faibles montants, même si elles sont payées, à hauteur de 105 euros par enfant et par mois. La GIPA sera complétée par la création d’une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires. Nous en sommes à une phase préalable de travail avec trois inspections générales – des finances, des affaires sociales et des services judiciaires – qui remettront leurs conclusions en septembre.
J’en viens à une innovation sociale que j’ai souhaité encourager : la mise en place d’un réseau d’entraide aux familles monoparentales. Sa construction est déjà très avancée dans cinq territoires et les premières conclusions que nous en tirons confirment notre intuition. En partenariat avec les associations et surtout les parents eux-mêmes, nous développons des réponses locales pour prévenir la solitude et l’épuisement de ces mères. Cela offre à des familles un réel soulagement et réaffirme leur pouvoir d’agir.
C’est cette démarche d’analyse des besoins par la concertation, cette méthode d’implication des pairs dans les politiques publiques qui les concernent, et cette approche décloisonnée des sujets que j’ai à cœur de défendre au sein de la politique familiale.
Pour ce faire, nous ne pouvons nous passer de l’appui des organismes de la branche famille : caisses nationale et départementales des allocations familiales – CNAF et CAF – et caisses centrale et locales de la mutualité sociale agricole (MSA).
Services aux familles et prestations familiales sont les deux piliers de l’action de la branche famille de la sécurité sociale. Alors qu’elle vient de célébrer ses soixante-dix ans, cette institution a su préserver ses acquis, c’est-à-dire sa technicité et son universalité, tout en s’adaptant aux évolutions de la société grâce à des organisations nouvelles à même de répondre aux besoins changeants des familles.
L’accueil des CAF a par exemple connu une petite révolution qui devrait conduire à la disparition des interminables files d’attentes. Le déploiement des accueils sur rendez-vous, la mise en place de rendez-vous des droits ou la dématérialisation des échanges sont autant d’avancées qui témoignent de la modernité de ces organismes.
S’adapter aux mutations de la société, c’est aussi s’emparer de nouveaux enjeux. C’est notamment ce que font les CAF en matière de prévention de la radicalisation depuis la mobilisation que j’ai lancée après les attentats de janvier 2015. Elles renforcent des dispositifs existants – lutte contre la fraude après un signalement des services de renseignement, financement des centres sociaux et des services de soutien à la parentalité – et développent des actions spécifiques comme la charte de la laïcité, la mise en place de référents en matière de radicalisation, la participation aux cellules de suivi préfectorales, le financement de projets promouvant l’éducation au numérique comme les « Promeneurs du Net » ou encore la recherche-action menée par l’association Entr’Autres et deux équipes universitaires.
C’est un exemple de décloisonnement réussi, garant d’une plus grande efficacité des politiques publiques bien qu’encore inégalement appliqué.
Face à ce phénomène nouveau auquel nous sommes confrontés, nous avons besoin de trouver des réponses nouvelles pour agir de façon préventive. C’est notamment ce que je m’attache à faire en menant des actions avec les familles et pour elles – je pense à l’émergence de l’association « Syrie prévention familles » – et en formant les têtes de réseau associatif en matière d’accompagnement à la parentalité, grâce notamment à des formations mises en place avec l’Union nationale des associations familiales (UNAF), les centres sociaux, les écoles des parents ou les acteurs de la prévention spécialisée.
Au-delà de la question de la radicalisation, je souhaite mobiliser plus largement les acteurs du soutien à la parentalité en direction des parents d’adolescents. De nombreux adolescents – notamment les jeunes filles – disent être en souffrance. L’adolescence est un moment charnière pour l’enfant en premier lieu mais aussi pour sa famille qui peut se sentir démunie. C’est une question à laquelle je souhaite porter une attention particulière dans les prochains mois.
Le soutien à la parentalité est, pour moi, un puissant outil de la politique familiale à développer. Accompagner les parents, c’est aider et protéger les enfants. À ce titre, l’État et la CNAF ont pris des engagements dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion 2013-2017, notamment à travers le développement d’une offre territoriale diversifiée et mieux structurée pour réduire les inégalités d’accès à ces services. Les financements alloués à cette politique sont passés de 50 millions d’euros par an en 2012 à 92 millions d’euros en 2016 et s’élèveront à 100 millions d’euros en 2017. C’est aussi dans un objectif de décloisonnement et de mise en relation de tous les acteurs qu’ont été généralisés en janvier 2015 les schémas des services aux familles. Cet outil implique la réalisation d’un diagnostic partagé à l’échelle du département et la prise d’engagements pluriannuels pour le développement de ces services.
Dans cette même volonté d’accompagner des parents, j’ai souhaité qu’un livret des parents soit créé. Depuis le 11 avril 2016, il est envoyé à tous les parents qui attendent leur premier enfant au cours du deuxième trimestre de la grossesse. Ce document les informe au sujet des besoins et des droits de l’enfant ainsi que des outils et lieux de ressources pour les accompagner vers une éducation bienveillante et non violente.
Je suis convaincue que la politique familiale comme les politiques publiques de l’enfance se renforceront en étant conçues à partir d’une réflexion transversale sur les droits et les besoins de l’enfant. C’est en ce sens, après une longue concertation avec tous les acteurs concernés, que la feuille de route sur la protection de l’enfance a été construite.
C’est exactement cette démarche que j’ai défendue lors de l’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies en janvier dernier.
C’est également de cette façon que la politique d’accueil du jeune enfant doit se concevoir et il y a encore beaucoup de travail à faire en ce sens. Le rapport que vient de me remettre Sylviane Giampino sur le développement du jeune enfant, les modes d’accueil et la formation des professionnels y contribuera.
En partant de l’intérêt de l’enfant, de son développement complet et de son épanouissement, ce rapport pose les bases d’une politique d’accueil du jeune enfant pensée dans sa globalité, depuis la formation des professionnels jusqu’à l’organisation des modes d’accueil centrée sur les besoins du très jeune enfant, en association avec les parents. Il dresse une liste de cent huit préconisations que nous sommes en train d’analyser pour identifier celles qui pourront être mises en œuvre et déterminer selon quel calendrier. Ceci va donc impliquer, dans les mois à venir, un travail interministériel sur l’accueil du jeune enfant et la formation des professionnels de la petite enfance dans la continuité du travail sur la professionnalisation des intervenants de la petite enfance que j’ai souhaité entamer en matière tant de formation continue, avec la signature d’un accord-cadre national dès février 2015, que de formation initiale avec notamment la refonte du CAP petite enfance et du diplôme d’auxiliaire de puériculture.
Ce travail s’attachera à construire une identité commune aux différents professionnels de l’accueil collectif et individuel. Il s’appuiera entre autres sur un texte cadre national. Sa rédaction sera l’une des premières missions que je confierai à la formation « Enfance » du Haut Conseil de l’enfance, des familles et des âges de la vie qui sera mis en place prochainement. Par ailleurs, une journée nationale des professionnels de la petite enfance sera organisée chaque année sous l’égide du ministère en charge des familles et de l’enfance.
Ces travaux viendront compléter l’action du Gouvernement et de la branche famille en faveur de la création de places d’accueil.
Nous avions fixé en début de mandat des objectifs très ambitieux. Les résultats se situent aujourd’hui en deçà de ce que nous visions. Au total, en quatre ans, ce sont 54 000 nouvelles places en crèche qui ont été créées. Cela constitue un net progrès, puisque le nombre de places d’accueil collectif augmente chaque année, mais cela me semble insuffisant au regard des actions que nous avons entreprises.
Pour soutenir l’investissement des collectivités locales, en plus des aides financières à la création et à la rénovation, la branche famille a financé 2 000 euros supplémentaires par place d’accueil pour toute création de place décidée en 2015, aide reconduite en 2016 dans les territoires prioritaires.
Les aides au fonctionnement ont aussi été fortement revalorisées. Toutefois les collectivités locales ne semblent pas s’être pleinement saisies de ces moyens mis à leur disposition alors même que les solutions d’accueil collectives sont les plus demandées par les parents et participent au dynamisme et à l’attractivité d’un territoire.
Pour autant, le Gouvernement ne baisse pas les bras.
Nous avons mis en place les crèches à vocation d’insertion professionnelle qui permettront l’accueil de jeunes enfants de mères isolées et l’accompagnement de celles-ci vers un retour à l’emploi.
Nous avons relancé la scolarisation des enfants de moins de trois ans qui avait été divisée par trois entre 2001 et 2012.
Nous avons apporté un soutien aux maisons d’assistants maternels (MAM) et les avons sécurisées. Depuis le 1er janvier 2016, une aide au démarrage est versée par les CAF aux nouvelles MAM qui respectent une charte qualité et sont implantées dans les territoires où la couverture en modes d’accueil est faible. Un guide ministériel relatif aux maisons d’assistants maternels vient d’être publié et sera diffusé à l’ensemble des acteurs de terrain. Élaboré de façon partenariale, il constitue un véritable outil. Il aide les assistants maternels porteurs de projet dans leurs démarches, et ce dès le montage de leur projet. Il a vocation à contribuer au rapprochement des critères d’agrément et de suivi par les services de protection maternelle et infantile (PMI) entre lesquels nous constatons beaucoup de disparités. Il diffuse aussi les bonnes pratiques repérées au sein des MAM existantes.
Ces mesures s’inscrivent dans un plan global de soutien aux assistants maternels, profession qui souffre de la conjoncture économique mais aussi d’une démographie vieillissante. Elles sont en cohérence avec les conclusions du rapport sur les MAM rédigé par les sénatrices Michelle Meunier et Caroline Cayeux, qui sera très prochainement rendu public.
Innover socialement avec les familles pour répondre au mieux à leurs besoins, telle est la méthode qui me guide. La politique familiale du Gouvernement est globale, innovante et ambitieuse même si, je le sais, des progrès peuvent être encore accomplis sur certains sujets.
Ce dont je me félicite particulièrement, c’est que cette politique est à la fois juste socialement et responsable budgétairement. Depuis 2012, le Gouvernement a réorienté la politique familiale vers une plus grande justice sociale. Cela s’est notamment traduit par une baisse du plafond du quotient familial pour les familles les plus aisées, lesquelles représentent moins de 5 % des foyers fiscaux, et par la modulation des allocations familiales, autre mesure d’équité dont votre assemblée est à l’origine et dont elle peut être fière. Celles-ci restent universelles puisque toutes les familles qui percevaient cette prestation continuent de la recevoir, mais 455 000 familles – moins de 10 % des familles bénéficiaires – perçoivent désormais un montant moindre.
En contrepartie, les familles les plus vulnérables ont bénéficié de prestations familiales renforcées qui ont directement contribué à réduire la pauvreté des enfants. L’allocation de rentrée scolaire (ARS) a été augmentée de 25 % dès la rentrée 2012. Elle bénéficie aujourd’hui à plus de 2,7 millions de familles. Pour les familles les plus modestes de trois enfants ou plus, le complément familial majoré a été créé et revalorisé de 50 % en cinq ans, passant de 165 euros en 2012 à 219 euros en 2016.
Outre sa dimension essentielle de justice sociale, la politique familiale que nous menons a également permis de garantir la pérennité de la branche famille qui était menacée par un niveau de déficit très important puisqu’il atteignait 2,5 milliards d’euros en 2012. C’est donc dans un contexte économique très contraint que le Gouvernement a décidé de diminuer les aides versées aux familles les plus aisées, tout en les maintenant ou en les augmentant pour les autres familles.
La pertinence de ces mesures est confortée par les résultats de la branche famille : son déficit s’est résorbé de plus d’un milliard d’euros en 2015 pour atteindre 1,6 milliard d’euros. Le solde de la branche famille devrait ainsi se rapprocher de l’équilibre en 2016. Cet effort budgétaire repose sur des choix structurels qui permettront d’inscrire cette tendance dans la durée.
Les arbitrages faits sont donc à la fois responsables socialement et budgétairement : ils garantissent un retour à l’équilibre des comptes et dans le même temps sont porteurs d’une plus grande justice sociale.
Vous l’aurez compris, je suis attachée à mener une politique familiale globale, forte et diversifiée, en direction de toutes les familles, en tenant compte des besoins de l’enfant et des droits des femmes. Bref, une politique ambitieuse, socialement juste et budgétairement responsable.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, madame la ministre, pour cet état des lieux.
Je tiens ici à saluer l’action qu’a menée, deux ans avant que vous ne preniez vos fonctions, Mme Dominique Bertinotti en tant que ministre déléguée à la famille.
Dans le rééquilibrage de la branche famille, vous avez souligné la part qu’a jouée la modulation des allocations familiales. Soulignons ce que cette disposition, qui a beaucoup fait parler d’elle, doit au travail de Marie-Françoise Clergeau et Martine Pinville. C’était une mesure de justice et l’on ne peut pas dire qu’elle a remis en cause le caractère universel des allocations familiales car celui-ci n’a jamais existé : les couples n’ayant qu’un enfant les financent sans les percevoir. J’espère qu’en cas de retour à meilleure fortune, les pouvoirs publics s’intéresseront à ces familles car soixante euros chaque mois, c’est une somme toujours bienvenue pour certaines d’entre elles.
Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes.
Mme Marie-Françoise Clergeau. La politique familiale, depuis maintenant plusieurs années, a enrichi son objectif originel de nature nataliste en prenant en compte l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre la précarité et la pauvreté, la lutte contre les inégalités scolaires. L’idée qui la sous-tend est de conjuguer un taux élevé d’activité des parents, particulièrement des femmes, avec une natalité dynamique. La politique familiale est tout à la fois une politique d’investissement social et une politique qui prépare l’avenir, parce que le dynamisme et le bien-être d’une population sont les premières sources de la richesse d’une nation.
Depuis 2012, cette politique s’est orientée vers l’augmentation des aides aux familles, avec un effort particulier en faveur des plus modestes : augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire, augmentation de l’allocation de soutien familial et du complément familial dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté. Le Gouvernement a par ailleurs développé des solutions d’accueil diversifiées pour toutes les familles et un retour à l’équilibre de la branche famille tenant compte des capacités de chacun a été opéré.
La reconnaissance de la diversité des situations familiales s’est traduite par la loi pour le mariage pour tous pour les familles homosexuelles mais aussi par la mise en place de la garantie des impayés de pensions alimentaires pour les familles divorcées ainsi que par le nouvel intitulé de votre ministère, madame la ministre, grâce au pluriel « des familles ».
En matière de petite enfance, la France peut être fière d’être le seul pays européen à scolariser tous les enfants dès l’âge de trois ans et même parfois avant. Les places en équipements collectifs avant trois ans continuent toutefois à manquer – situation à relativiser car aucun gouvernement n’est jusqu’à présent parvenu à réaliser son plan « crèches ». Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales, a récemment imputé ce retard aux élections municipales de 2014 et aux difficultés financières de certaines communes. Ne faudrait-il pas aussi inviter les différents acteurs – CAF, collectivités locales, éducation nationale – à faire des progrès pour coordonner leurs actions ?
La réforme du congé parental était nécessaire : on connaît ses effets désincitatifs sur le travail des femmes, plus particulièrement celles qui n’ont pas de diplôme. Notre dynamisme démographique s’explique d’abord par toutes les mesures qui permettent de concilier vie familiale et vie professionnelle. Il existe une corrélation entre niveau d’emploi des femmes et nombre de naissances. C’est pourquoi lorsque l’on veut défendre les familles, il faut encourager le travail des femmes et le préserver de mesures discriminantes.
Notons au passage que cette convergence des objectifs en matière de droits des femmes et de politique familiale justifie le nouvel intitulé de votre département ministériel, madame la ministre. Les liens entre droits des femmes et famille se manifestent à travers des questions comme l’équilibre entre temps de vie personnelle, familiale et professionnelle ou encore entre protection professionnelle des femmes et défense des familles.
Le congé parental incite au partage entre les deux parents. Ne peut-on envisager d’en réduire la durée, à condition de mieux le rémunérer, nous rapprochant ainsi des pays nordiques ?
Ma dernière question concernera les suites que vous envisagez de réserver au récent rapport du Défenseur des droits relatif aux droits fondamentaux des étrangers en France. Sont pointées plusieurs difficultés en matière de politique familiale : comment concilier la lutte contre les mariages blancs avec la liberté matrimoniale de tous ? comment garantir le droit au mariage pour les étrangers dont le pays interdit le mariage pour tous ? pourquoi, parmi les conditions pour bénéficier d’allocations familiales, ajouter à la régularité du séjour en France des étrangers la nécessité pour leurs enfants d’être entrés en France par la voie du regroupement familial ?
M. Gilles Lurton. Au fil des différents projets de loi de financement de la sécurité sociale, j’ai eu l’occasion d’exprimer les points de vue du groupe Les Républicains sur une politique qui a longtemps été considérée, et à juste titre, comme l’une des plus grandes réussites de notre État, une politique enviée par de nombreux pays, une politique qui a longtemps contribué à la force démographique de notre pays par rapport à nos voisins.
Je dois vous dire, madame la ministre, combien notre groupe regrette la politique que votre gouvernement mène depuis maintenant quatre années. À chaque PLFSS, il a raboté les avantages octroyés aux familles, si bien que nous avons assisté tout au long de ce quinquennat à un véritable matraquage des familles de notre pays. Plus de 4,5 milliards d’euros ont été retirés à la politique familiale depuis 2012, sans parler bien sûr des hausses d’impôt et de taxes.
Parmi ces reculs, je citerai la baisse du quotient familial, la division par trois de la prime à la naissance laquelle n’atteint plus que 308 euros pour la deuxième naissance et les suivantes, la modulation de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), la réduction du congé parental, la réduction de moitié de l’aide à l’embauche pour les assistantes maternelles pour les familles disposant de plus 4 000 euros de revenus par mois, la baisse des allocations familiales pour les enfants de quatorze à seize ans, la modulation des allocations familiales en fonction des revenus – laquelle remet en cause le principe d’universalité sur lequel elles reposent –, enfin le report du versement de la prime de naissance, désormais perçue à la naissance de l’enfant et non plus au septième mois de grossesse.
Nous le voyons, les familles, des plus modestes aux plus aisées, ont toutes trinqué. Les conséquences se font aujourd’hui sentir, même si vous le contestez. Pour la première fois, en effet, le nombre d’enfants par femme en âge de procréer passe en dessous du seuil symbolique de deux, soit le seuil de renouvellement des générations. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) vient de publier le chiffre des naissances en France pour les neuf premiers mois de 2015 : il y en aurait eu 19 000 de moins, soit un recul de 2,75 % par rapport à 2014 sur la même période. Autrement dit, les naissances n’auraient jamais été aussi peu nombreuses depuis 1999.
Madame la ministre, j’aurais souhaité savoir comment vous comptez enrayer cette chute de la natalité et redonner confiance aux familles. À chaque fois que je vous ai interrogée sur les raisons qui vous ont conduite à moduler les allocations familiales en fonction des revenus, vous m’avez répondu que vous souhaitiez affecter aux familles les plus nécessiteuses les sommes correspondant aux économies effectuées. Nous avons contesté ce choix, estimant que ce n’est pas le rôle des allocations familiales. Pourriez-vous nous préciser le montant des sommes ainsi affectées aux familles les plus modestes ? Je pense pour ma part que ces économies, pour une bonne partie, n’ont servi qu’à réduire le budget de la branche famille. Cela peut être considéré comme une bonne chose, mais je préférerais avoir des indications précises.
Pour ce qui concerne la prime de naissance, vos réponses à mes questions répétées ont été les mêmes : vous avez à nouveau invoqué la redistribution aux familles les plus modestes. Pouvez-vous là encore nous préciser les montants réaffectés ?
Vous m’avez également répondu que les familles les plus vulnérables pouvaient bénéficier de la prime à la naissance dès le septième mois de grossesse lorsqu’elles en avaient besoin. Les caisses d’allocation familiales, que j’ai interrogées à ce sujet, m’ont indiqué qu’en cas de difficultés, elles versaient aux familles une aide avant la naissance prélevée sur les fonds de l’action sociale des CAF. Cela n’a donc rien à voir avec la prime de naissance proprement dite. Je m’interroge d’ailleurs sur les bénéfices financiers pour l’État du versement de cette prime trois mois après la naissance de l’enfant. S’est-il agi de faire des économies la première année ?
S’agissant des places d’accueil pour les enfants, le Gouvernement avait annoncé en juin 2013 la création de 275 000 places de garde nouvelles d’ici à 2017, dont 100 000 en crèche. Nous sommes aujourd’hui loin du compte.
J’ajoute à ce bilan que le Haut Conseil de la famille pointe une dégradation des solutions de garde pour les enfants de zéro à trois ans, dégradation très vraisemblablement liée à la baisse des dotations aux collectivités locales et aux difficultés à recruter des personnels diplômés pour s’occuper des enfants.
Madame la ministre, nous avons reçu ici même il y a peu, dans le même cadre que votre audition, votre collègue Ségolène Neuville, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre les exclusions. Il me semble important de revenir sur ces sujets car je considère que la présence d’un enfant handicapé peut, si elle n’est pas bien prise en compte, constituer un facteur déstabilisant pour l’ensemble de la famille, situation dont la ministre de la famille ne peut se désintéresser pas plus que les autres membres du Gouvernement. Il s’agit d’une politique transversale qui nous concerne tous.
À la question de notre collègue Jean-Louis Costes sur les places dans les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) ou les instituts médico-éducatifs (IME), Mme Neuville a répondu qu’il fallait envisager de nouvelles solutions d’accueil et que le placement en établissement ne devait pas être la seule solution. Je veux bien admettre cette position mais il n’empêche que nous manquons cruellement de places dans nos circonscriptions et que des familles entières se trouvent très cruellement touchées par cette situation.
Mme Dominique Orliac. J’aimerais revenir brièvement sur le livret des parents que vous avez présenté il y a peu, madame la ministre. Le choix des mots est important, nous le savons tous. La preuve en est le changement de l’intitulé de votre ministère, ministère de la famille devenu ministère des familles pour prendre en compte l’évolution de notre société. Or dans ce livret, destiné à préparer les couples à une future parentalité, le terme « grossesse » compte huit occurrences alors que le mot « adoption » n’apparaît pas une seule fois. Voilà qui est très symbolique de notre incapacité à étendre notre conception de la famille au-delà de la famille biologique. Mes collègues du groupe Radicaux de gauche et apparentés et moi-même avons eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises.
La loi relative à la protection de l’enfant a touché à quelques points concernant le placement de l’enfant, mais pas forcément dans le cadre d’une adoption. À quand une réforme véritable de l’adoption qui prendrait pour base unique le bien-être de l’enfant afin de lui donner les meilleures chances pour l’avenir, dans sa nouvelle vie ? Avez-vous prévu de mettre à jour le livret des parents afin d’intégrer les familles adoptantes ?
Dans son rapport, Sylviane Giampino a formulé cent huit propositions dans quatre grands domaines : les fondamentaux du développement de l’enfant avant trois ans, les relations entre parents et modes d’accueil, l’organisation des structures collectives ou individuelles, la formation. En ce qui concerne le mode d’accueil, elle souligne la menace d’une pénurie d’assistantes maternelles du fait de l’âge moyen des professionnels et des départs en retraite. Quelle politique le Gouvernement entend-il mettre en place dans ce domaine ? Je pense au développement de la formation au métier d’assistante maternelle, qui devrait être contenu dans votre plan d’action en faveur des métiers de la petite enfance annoncé récemment.
Enfin, j’en viens à la garantie contre les impayés de pensions alimentaires désormais étendue à tous les départements. Ce dispositif, qui s’inscrit plus largement dans un ensemble de mesures en faveur des familles monoparentales, repose sur quatre piliers complémentaires : la création d’une pension alimentaire avec un minimum garanti de 104,75 euros par enfant à charge et par mois, une aide au parent isolé pour faire fixer une pension, un versement d’allocation de soutien familial dès le premier mois d’impayé d’une pension et un renforcement des outils de recouvrement des pensions impayées. Cette généralisation à tout le territoire est très positive.
J’aurais aimé connaître les dispositions que votre ministère envisage de mettre place pour promouvoir des actions ciblées en direction des familles monoparentales.
Mme Isabelle Le Callennec. Je vous poserai d’abord deux questions, madame la ministre.
La première concerne l’accueil de la petite enfance. Le président du conseil d’administration de la CNAF a déclaré récemment que l’objectif de 100 000 places en crèche ne serait pas atteint. Comptez-vous rattraper ce retard ?
La deuxième porte sur les particuliers employeurs. La politique du Gouvernement a évolué au cours des quatre dernières années : les avantages sociaux et fiscaux des familles employant des personnes à domicile pour s’occuper de leurs enfants ont été remis en cause. Cela a provoqué pendant plusieurs trimestres consécutifs des destructions d’emplois en 2012 et 2013 et une recrudescence du travail dissimulé. Le Gouvernement a à nouveau modifié les règles. Où nous en sommes-nous ?
J’en viens à une remarque sur les maisons d’assistants maternels. Les CAF sécurisent leur création mais demandent ensuite aux collectivités locales de prendre le relais. Or, comme pour la création des places de crèche, nous constatons que celles-ci sont entravées dans leurs actions par la baisse de leurs dotations.
Enfin, je ferai une annonce. Aujourd’hui même a été créé un groupe d’études dédié à la prématurité et aux nouveau-nés vulnérables et je remercie Mme la présidente de son soutien. Nous allons organiser des auditions et serions très heureux de vous entendre à ce sujet, madame la ministre. Il existe des dysfonctionnements sur lesquels il importe d’appeler l’attention. Plus largement, nous souhaitons voir se développer une sensibilisation accrue à ces problématiques.
Mme Chaynesse Khirouni. Madame la ministre des familles, je souhaiterais vous interroger sur les politiques interministérielles relatives à l’assistance médicale à la procréation. La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a permis une avancée sociale importante en faveur des couples infertiles, lesquels peuvent désormais s’absenter pour assister aux différents rendez-vous qui jalonnent leur parcours de soins dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA).
L’infertilité reste un enjeu important à prendre en compte dans notre pays puisque l’on estime qu’elle touche un couple sur six. Les salles d’attente des services de PMA ne désemplissent pas. Pour ces femmes et ces familles, nous relevons des déséquilibres sociaux, territoriaux, financiers. Aujourd’hui, force est de constater que peu à peu s’est mis en place un système à plusieurs vitesses : hôpital public saturé soumis à des contraintes financières, cliniques privées accessibles aux seuls couples aisés, soins à l’étranger. Des milliers de personnes infertiles s’engagent pour une part non négligeable de leur vie dans un parcours de soins médicaux coûteux à de multiples égards, lourds, sources de fatigue physique et de découragement psychique.
De nombreux pays européens, comme l’Espagne, la Belgique ou la République tchèque ont mis en œuvre des politiques volontaristes pour soutenir ces femmes et ces familles. La semaine dernière, le Portugal, rejoignant sept autres pays européens, a adopté grâce à la majorité du bloc de gauche une loi progressiste élargissant aux couples homosexuels féminins et aux femmes seules le recours à la PMA.
Je souhaiterais savoir quelles mesures le Gouvernement entend mettre en œuvre pour faire avancer le traitement de la fertilité. Est-il envisagé d’établir un grand plan interministériel pour la PMA afin d’améliorer la qualité de la prise en charge des personnes infertiles ?
Comme d’autres parlementaires, je soutiens l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Êtes-vous favorable, madame la ministre, à une évolution de notre législation en ce sens ?
M. Arnaud Viala. Madame la ministre, vous avez appelé de vos vœux une « offre territoriale diversifiée » pour l’accueil de la petite enfance.
J’aimerais avoir davantage de précisions sur les maisons d’assistants maternels, notamment sur le dispositif d’aide mis en place depuis janvier 2016.
Par ailleurs, j’appelle votre attention sur le fait qu’en zone très rurale, du fait de la très faible densité de population, il est impossible d’implanter des MAM partout. Cela rend indispensable la présence des assistants maternels qui continuent à exercer à leur domicile, car ils permettent d’assurer un maillage régulier du territoire en modes de garde. La question se pose dès lors de savoir comment les collectivités territoriales et les CAF peuvent les accompagner.
Vous l’aurez compris, ma circonscription est particulièrement concernée par cette problématique. Nous avons contacté le président de la CAF de mon département pour réfléchir à un dispositif d’accompagnement mais il nous a répondu qu’il était impossible à mettre en œuvre dans le cadre législatif et réglementaire actuel. Qu’en est-il ?
M. Gérard Sebaoun. Madame la ministre, vous avez dressé un état des lieux de l’accueil de la petite enfance. Je me félicite que cette politique soit au cœur de votre action quand certains mettent en avant dans leurs programmes électoraux la création d’un salaire maternel.
Disposez-vous d’une vision claire des zones à développer à travers les schémas territoriaux ? Comment comptez-vous accélérer les créations de places ?
Dans la région Île-de-France, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, quatre départements sur huit connaissent d’importants retards, dont le Val-d’Oise dont je suis l’élu. Est-ce dû à une insuffisante implication de l’État en matière de dépenses de fonctionnement ? Peut-on faire courir le risque aux familles de voir leurs restes à charge augmenter ? J’avoue que je n’ai pas de solution. De grandes difficultés demeurent dans les zones périurbaines confrontées à des problèmes de transport.
Le développement des crèches d’entreprises est l’une des solutions avancées mais pour une région comme la nôtre, cela pose le problème du transport des nourrissons et des enfants en très bas âge. Je ne crois donc pas que cela soit adapté.
M. Patrick Hetzel. Le Bas-Rhin est confronté à une difficulté majeure : la CAF a décidé de fermer au public pendant trois mois toutes ses agences hormis celle de Strasbourg. La direction de la CAF nous a indiqué avoir pris cette mesure car les agences ne pouvaient plus faire face à la surcharge de travail induite par les nouveaux dispositifs gouvernementaux. Comment la situation pourrait-elle se débloquer selon vous ?
Vous avez mis en avant les points positifs de la politique familiale mise en œuvre par le Gouvernement. Or l’on constate une baisse significative du pouvoir d’achat des familles avec des enfants. Les études de l’INSEE mettent en évidence deux facteurs principaux : une baisse du quotient familial et une diminution des aides pour les modes de garde. Quelle réponse pouvez-vous apporter à ces familles ?
Enfin, je soulignerai l’interprétation assez discutable qu’ont vos services du coût du congé parental pour la branche famille. Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres. Le coût pour les finances publiques d’un enfant gardé en crèche ou par une assistante maternelle est susceptible d’atteindre 932 euros par mois contre un maximum de 390 euros pour un enfant gardé dans le cadre d’un congé parental. Par voie de conséquence, si les enfants gardés dans le cadre d’un congé parental devaient faire l’objet d’un autre mode de garde, cela entraînerait un surcoût de 5 milliards d’euros pour les deniers publics. J’ai donc du mal à comprendre pourquoi vous ne développez pas davantage le congé parental, auquel n’ont recours aujourd’hui que 4 % des hommes.
M. Patrick Lebreton. Je veux vous alerter, madame la ministre, sur les effets de la récupération sur succession de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) prévue lorsque l’actif successoral net excède 39 000 euros. Cette disposition a un très fort impact sur les familles. Le dispositif permet aux personnes âgées de plus de 65 ans qui n’ont pas ou qui ont peu cotisé à un régime d’assurance vieillesse de percevoir une allocation spécifique leur permettant de disposer du minimum vieillesse. Il y a 25 000 bénéficiaires de l’ASPA à La Réunion mais ce nombre est en baisse continue, non que la situation des retraités s’améliore mais parce que, étant donné le coût croissant du foncier, le seuil fixé pour la récupération sur succession est trop bas, ce qui plonge les héritiers dans de graves difficultés financières. Aussi, certains pensionnés éligibles à cette allocation font le choix douloureux de limiter leur niveau de vie en ne la demandant pas pour ne pas pénaliser leurs enfants ; d’autres la demandent sans mesurer qu’il s’agit d’une avance remboursable et qu’ils sont ainsi à l’origine d’une dette future pour leurs enfants qui seront alors démunis. Le renchérissement du foncier a été tel à La Réunion que le seuil fixé en 2007 pour la récupération sur succession n’a plus grand sens. Je demande donc qu’il soit très nettement réévalué.
M. Dominique Dord. Je ne reviendrai pas sur les difficultés financières de l’État, qui nous concernent tous, sinon pour signaler qu’en ma qualité de maire, j’ai décidé de fermer une crèche familiale qui coûtait très cher au budget communal pour la remplacer par plusieurs maisons d’assistants maternels. L’économie induite a été de 400 000 euros. Outre qu’il est moins coûteux, ce mode de garde présente des avantages pour les enfants, plus largement socialisés, et pour les assistantes maternelles qui, lorsqu’elles travaillent de manière indépendante, souffrent d’isolement. Je suis surpris que l’État n’incite pas de manière plus pressante les collectivités rurales à favoriser l’installation de ces maisons.
Mme la ministre. Quand l’avez-vous fait ?
M. Dominique Dord. Il y a dix-huit mois.
Mme la ministre. C’était trop tôt ! (Sourires)
M. Christophe Sirugue. Le plan de lutte contre la pauvreté comporte un volet consacré à l’enfance et à la famille, car la précarité concerne bien souvent les femmes, particulièrement celles qui sont chefs de familles monoparentales. Vous l’avez souligné, des avancées significatives ont eu lieu avec l’augmentation de l’allocation de soutien familial et le complément familial majoré, et aussi grâce à la création de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires – dont j’aimerais savoir, bien que son entrée en vigueur soit très récente, quels sont les effets. D’autre part, l’accueil d’enfants des familles pauvres dans les crèches est d’une importance cruciale pour favoriser l’insertion professionnelle des femmes chefs de famille.
Enfin, la scolarisation des enfants âgés de deux ans est un enjeu politique dont j’ai constaté dans ma circonscription qu’il peut ne pas être partagé par les mairies. Ainsi, une certaine municipalité a refusé un projet de ce type pourtant défini par l’équipe pédagogique sans demander de moyens supplémentaires à la commune, et l’Éducation nationale a finalement renoncé à l’appliquer. Qui donne l’impulsion nécessaire pour conduire cette politique publique indispensable ? Confrontée au manque d’ambition de certaines collectivités, l’Éducation nationale doit-elle systématiquement s’effacer ?
M. Bernard Perrut. Madame la ministre, je ne doute pas de la volonté qui vous anime, mais le bilan de la politique familiale menée depuis quatre ans fait s’interroger, qu’il s’agisse du double abaissement du quotient familial, de la baisse de la prime de naissance et de l’aide à la garde d’enfant, de la réforme du congé parental, au encore de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus. Cette mise sous condition de ressources a créé un sentiment d’instabilité, non seulement parce qu’elle a remis en cause le principe d’universalité de l’aide auquel nous étions attachés mais aussi parce que le seuil fixé pourrait être abaissé au fil du temps et parce que la même disposition pourrait être décidée pour d’autres prestations et aides sociales. On peut d’ailleurs s’interroger sur les conséquences de ces coups de rabot sur l’évolution de la natalité : qu’en est-il ? Pouvez-vous nous assurer que les mesures que vous avez prises sont sans effet sur le choix d’avoir un troisième enfant ou une famille nombreuse ?
Dans un autre domaine, le projet de loi dit de modernisation de la justice du XXIe siècle prévoit la suppression du recours au juge en cas de divorce par consentement mutuel. Doit-on considérer qu’un mariage est un contrat qui peut se défaire devant un notaire, seulement chargé d’enregistrer la convention passée par les anciens époux ? Nous considérons qu’il convient d’apprécier la réalité du consentement au divorce de chacun des époux et, surtout, d’être certain que l’intérêt de l’enfant sera préservé ; le sera-t-il en tout temps ?
Mme Catherine Coutelle. Parce qu’elle tend à articuler vie familiale et vie professionnelle, la politique familiale du Gouvernement vise à assurer l’égalité entre les femmes et les hommes, à faciliter l’accès des femmes à un emploi à temps plein et à leur permettre de mener une carrière égale à celle des hommes. Maintenant encore, une femme ayant accouché, selon les cas, de son deuxième ou de son troisième enfant, se retire du monde du travail ou voit son salaire stagner, alors que celui d’un père de plusieurs enfants augmente. Si ces politiques convergent pour donner plus d’autonomie aux femmes, des améliorations demeurent nécessaires.
Le partage des tâches familiales et ménagères dépend certes des comportements individuels, mais certaines politiques contribuent à les modifier ; c’est le cas du congé parental partagé. Je considère toutefois qu’il doit être mieux rémunéré mais aussi raccourci, faute de quoi le retour à l’emploi des femmes se fait très difficilement, ce qui entraîne pour elles des carrières très brèves et de faibles pensions de retraite. Peut-on envisager cette évolution, qui inciterait les hommes à prendre en plus grand nombre le congé parental ?
Pour la garde des enfants, l’hypothèse de classes passerelles, solution intéressante et peu coûteuse, a-t-elle été étudiée ? Le cas évoqué par mon collègue Christophe Sirugue me scandalise, car les familles attendent un accueil pour les petits. La garantie contre les impayés de pensions alimentaires est une nouveauté de première importance, mais elle demeure insuffisamment connue. Pour finir, le Gouvernement étudiera-t-il la possibilité d’ouvrir aux couples mariés ou pacsés la possibilité d’opter pour l’imposition séparée ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je partage l’avis que plus long est le congé parental, plus difficile devient le retour à l’emploi. Pour les femmes les moins qualifiées particulièrement, ce dispositif se transforme en piège.
Mme la ministre. Comme vous, madame la présidente, et comme Mme Marie-Françoise Clergeau et Mme Catherine Coutelle, je pense souhaitable une évolution du congé parental consistant à le rémunérer davantage et à le raccourcir pour favoriser une meilleure répartition entre les deux parents. La question est à l’étude mais la décision n’est pas prise, les évaluations financières étant encore hasardeuses.
Mme Clergeau a aussi évoqué la garantie du droit au mariage pour les étrangers ressortissants de pays interdisant le mariage de deux personnes du même sexe. La France a signé avec treize États qui sont dans ce cas des conventions bilatérales ; elles prévoient l’application du droit du pays du futur époux étranger. Actuellement, ces conventions l’emportent sur les autres considérations de droit. Mais la Cour de cassation ayant récemment jugé que l’ordre public international a une valeur supérieure à celle des conventions bilatérales, nous attendons des décisions de jurisprudence qui rétabliraient une hiérarchie des normes plus favorable aux couples de même sexe binationaux.
Enfin, madame Clergeau, le bénéfice des prestations familiales suppose la régularité du séjour du conjoint et des enfants, et le regroupement familial en atteste pour les enfants.
Sur le fond, monsieur Lurton et monsieur Perrut, la politique familiale que nous avons conduite depuis 2012 est dans l’exacte continuité de l’histoire de cette politique en France, dont la force tient aussi à ce qu’elle a toujours su s’adapter aux mutations des familles. La famille n’est pas une donnée sociologique figée : les modes de vie changent et avec eux la manière d’élever les enfants ou de travailler. La loi constate l’évolution des couples et des familles et tend à remplir les interstices entre le droit et la réalité.
Dire que la prime de naissance versée au deuxième enfant a été divisée par deux est faux : elle est demeurée inchangée. Cette hypothèse de travail a pu être évoquée, mais elle n’a pas été retenue et le montant de la prime est resté le même. Seul son versement a été décalé dans le temps et, pour remédier aux difficultés de trésorerie que cela pourrait entraîner pour certaines familles, les caisses d’allocations familiales ont reçu pour consigne de faire des prêts, si nécessaire, après étude des dossiers. Le prêt est, selon les cas, égal, inférieur ou supérieur au montant de la prime et les caisses se remboursent par la suite. Cette mesure d’économie est donc relativement indolore puisqu’elle est assortie du filet de sécurité qu’est la possibilité d’un prêt.
Je ne suis pas sûre de parvenir à vous convaincre avant la fin de ce quinquennat que la modulation des allocations familiales fut une mesure juste. Je rappellerai toutefois que moins de 10 % des allocataires ont vu leur allocation baisser : les ménages dont le revenu mensuel est, selon les cas, supérieur à 6 000 euros ou à 8 000 euros, augmenté de 500 euros par enfant au-delà du deuxième. Ce sont donc des tranches de revenu assez élevées, marginales rapportées à l’ensemble de la population française.
La mesure a permis de réduire de 3 milliards d’euros la dépense de la branche famille. Ce montant a été ventilé en économies pour 2 milliards d’euros et en dépenses nouvelles pour 1 milliard d’euros ; l’économie globale, monsieur Lurton, n’a donc pas été de 4,6 milliards d’euros comme vous l’avez dit. Par ailleurs, je pensais consensuel l’objectif nécessaire de ramener les comptes publics à l’équilibre. Nous l’avons fait pour une somme que nous avons jugée raisonnable et supportable pour la qualité des services publics en décidant d’un ensemble de mesures qui permettent une économie de 40 milliards d’euros. Certains programmes politiques avancent maintenant le projet d’économies à hauteur de 100 milliards d’euros ; je me demande si leurs auteurs pourront préserver la branche famille avec un tel plan. À ce jour, la suppression de la modulation des allocations familiales ne figure nulle part dans ces programmes. Si cette proposition finit par être faite, sera-t-elle financée par des économies dans la branche famille – et si oui, quelles familles seront concernées ? – ou en accroissant le déficit de cette branche ? Il serait bon de le dire clairement.
Nous avons incontestablement réduit le pouvoir d’achat de certaines familles mais, en contrepartie, nous avons augmenté celui des familles les plus modestes, des familles monoparentales et des familles nombreuses, et nous en sommes très fiers. Je considère comme un acte de justice sociale le fait d’accroître le pouvoir d’achat des foyers les plus vulnérables et de diminuer les aides de la branche famille aux ménages les plus aisés – dont beaucoup ont bien compris à quelle forme de solidarité ils contribuent de la sorte.
Vous m’avez interrogée sur les actions ciblées menées en faveur des familles monoparentales au-delà de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires. L’expérimentation conduite dans vingt départements a eu des résultats probants sur le taux de recouvrement des pensions alimentaires impayées, monsieur Sirugue. La subrogation au profit des caisses d’allocations familiales et de mutualité sociale agricole est un immense soulagement pour les mères créditrices ; la création d’une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires facilitera encore la gestion de ces contentieux. D’autre part, des réseaux d’entraide aux familles monoparentales, qui s’appuient sur les structures associatives, ont été créés dans cinq départements pour l’instant. La solidarité de bénéficiaire à bénéficiaire, avec le parrainage d’une grande diversité d’intervenants, est une autre manière de concevoir la politique familiale ; il s’agit de donner aux femmes du temps et du soutien, car tout ne se règle pas par l’argent. Ces réseaux aident à sortir les femmes de leur isolement et de leur solitude.
Le « livret des parents » leur est envoyé pendant la grossesse. Il existe par ailleurs un guide des parents adoptants, publié pour la première fois en 2003 et actualisé en septembre 2015. Une autre brochure concernant les pupilles est en cours de rédaction.
Le rapport de Mme Sylviane Giampino sera publié par la Documentation française et pourra être consulté en ligne gratuitement. C’est une mine de propositions pour les professionnels comme pour les collectivités locales ; qui veut approfondir sa réflexion sur les modes d’accueil de la petite enfance y puisera des préconisations d’un grand intérêt.
L’objectif de création de 100 000 places d’accueil pour les enfants de moins de trois ans que nous avions fixé en début de mandat n’a effectivement pas davantage été atteint qu’il ne l’avait été précédemment. C’est qu’il est difficile de prendre, au cours d’une campagne électorale nationale, des engagements dont la mise en œuvre repose en grande partie sur d’autres, et en particulier sur les collectivités locales… De manière empirique, j’ai observé avec inquiétude que la question des modes de garde a disparu des dernières campagnes pour les élections municipales ; si la question était abordée à cette occasion avec la même intensité qu’elle le fut dans le passé, une émulation se créerait et il y aurait des résultats. Le sujet reste donc entier. J’ai accompagné autant que je le pouvais les collectivités locales : nous travaillons assidûment avec Mme Élisabeth Laithier, présidente du groupe de travail « petite enfance » de l’Association des maires de France (AMF) pour cerner les blocages qui entravent le développement de l’offre d’accueil des enfants en bas âge. Le coût de fonctionnement des crèches est incontestablement élevé, mais une crèche de qualité est un bel investissement pour une commune. Il a été beaucoup question du poids des normes, mais le groupe de travail conjoint AMF-CNAF réuni pour étudier cette question spécifique a jugé que toutes ont leur utilité, et les mairies elles-mêmes ne veulent en supprimer aucune, pour des raisons de responsabilité évidentes. Comme je l’ai dit, nous avons décidé en 2015 et reconduit en 2016 l’aide à l’investissement de 2 000 euros supplémentaire par place d’accueil créée dans les territoires prioritaires.
C’est l’objet des schémas départementaux de services aux familles de définir les zones sous-dotées, monsieur Sebaoun, pour permettre d’élaborer la politique qui permettra de remédier à cette situation. Si un tel schéma n’a pas été défini dans un département donné, il faut solliciter le préfet pour qu’il le soit. Les politiques sociales doivent impérativement être décloisonnées ; ces schémas le permettent.
Pour ce qui est des maisons d’assistants maternels, la situation est paradoxale, monsieur Dord. On trouve beaucoup d’assistantes maternelles dans les lieux où il y a peu d’emplois, ceux, de ce fait, où moins nombreuses sont les femmes qui travaillent, si bien que le besoin d’assistantes maternelles y est faible. C’est l’inverse dans les grands centres urbains où, souvent, les deux parents travaillent mais où les assistantes maternelles manquent faute de trouver à se loger car le foncier est cher. Le déséquilibre géographique entre l’offre et la demande est un problème réel. D’autre part, le premier choix des parents se porte sur les crèches, pour les raisons déjà dites. Des maisons d’assistants maternels existaient, mais le projet devait être affiné. Aussi avons-nous engagé une « démarche qualité » puis décidé une aide visant à favoriser de telles créations dans les territoires ruraux, pour lesquels ces structures sont une excellente option : 3 000 euros sont alloués aux collectivités qui veulent créer une de ces maisons. Ce nouveau mode d’accueil, qui convient aux petites collectivités et aux établissements public de coopération intercommunale, répond aussi au souhait exprimé par les assistantes maternelles de travailler avec des collègues. Je crois beaucoup au développement des maisons d’assistants maternels « nouvelle formule », auxquelles nous nous sommes beaucoup intéressés, comme en témoignent le guide et l’aide financière offerte aux collectivités à cet effet.
Je sais, monsieur Lebreton, que les collectivités sont très attachées à la récupération sur succession. C’est un dispositif que l’on ne peut véritablement contester puisque c’est l’une des formes que prend l’obligation alimentaire.
M. Patrick Lebreton. Il faut creuser cette question, car il s’agit aussi de solidarité.
Mme la ministre. Je sais qu’un problème particulier se pose à La Réunion en raison du prix des propriétés foncières…
M. Patrick Lebreton. … et du taux de chômage.
Mme la ministre. Les ministères de l’économie et des finances ont engagé une réflexion sur cette question et je vous invite à poursuivre avec eux cet échange sur ce sujet à haute sensibilité budgétaire.
M. Christophe Sirugue a évoqué l’enjeu important qu’est l’accueil en crèche des enfants des familles pauvres. En mentionnant les classes passerelles, qui permettent d’accueillir les enfants avant l’âge de trois ans, Mme Catherine Coutelle a rappelé l’outil remarquable qu’est la scolarisation précoce : c’est un instrument de politique familiale bien sûr, mais aussi de lutte contre les inégalités sociales et en faveur de l’égalité des chances à l’école. M. Christophe Sirugue a fait état de réticence des communes ; j’ajoute que les familles elles-mêmes expriment des réserves. L’objectif n’est pas que la scolarisation précoce poursuive un accueil antérieur, mais qu’y aient accès des enfants qui n’avaient pas trouvé de place en crèche auparavant. À cette fin, le ministère a signé une convention avec l’Éducation nationale, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) et la Mutuelle sociale agricole. Dans ce cadre, les caisses d’allocations familiales se sont engagées à promouvoir auprès des familles, et le ministère de l’Éducation nationale auprès des mairies, la scolarisation précoce, l’une des solutions d’accueil possibles des enfants moins de trois ans.
Le nombre de crèches d’entreprise progresse. Cela se fait parfois en liaison avec les municipalités – la structure considérée compte alors des berceaux « mairie » et des berceaux « entreprise » – mais, souvent, ce sont les crèches privées qui assument les crèches d’entreprise.
Comme l’a indiqué M. Sirugue, un chapitre du plan de lutte pluriannuel contre la pauvreté est consacré à l’accueil des jeunes enfants. La convention d’objectifs et de gestion 2013-2017 signé entre l’État et la CNAF a prévu à cet effet que 10 % des berceaux seront réservés aux enfants de familles pauvres. Ce seuil est dépassé : le taux d’enfants de familles en difficulté accueillis en crèche est en réalité de 19 %.
En partenariat avec ma collègue Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, nous visons à articuler l’accueil des jeunes enfants et l’accompagnement du parcours de formation en faveur du retour à l’emploi des mères isolées. Ainsi s’explique la création de crèches « à vocation d’accompagnement professionnel » : les jeunes enfants y sont accueillis et un travailleur social accompagne les mères dans leurs démarches.
J’en viens, madame Khirouni, à l’assistance médicale à la procréation et au manifeste signé par des médecins et biologistes de la reproduction en faveur d’un plan national de lutte contre l’infertilité. J’ai reçu plusieurs des signataires de ce manifeste, dont le Dr René Frydman, gynécologue. Les questions évoquées, passionnantes, ont des implications d’ordre éthique et portent aussi sur l’évolution des services de santé. Je vous invite, pour en traiter, à vous tourner vers ma collègue Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; la prise en charge de l’infertilité et l’organisation des soins sont de sa compétence.
Pour ma part, je suis favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée – c’est-à-dire de l’insémination artificielle – aux couples de femmes ; je ne vois pas pourquoi une technique ouverte aux couples hétérosexuels ne le serait pas aux couples lesbiens. En revanche, je suis opposée à la gestation pour autrui pour tous les couples, quels qu’ils soient ; cela tient au commerce dont font l’objet les mères porteuses, non à la qualité du couple considéré.
J’entends les inquiétudes qui s’expriment au sujet de l’évolution du divorce prévue dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. J’observe qu’actuellement, en cas de divorce par consentement mutuel, les deux époux font le plus souvent appel à un avocat commun ; le risque qu’il soit plus attentif aux intérêts de l’un qu’à ceux de l’autre n’est pas négligeable. J’ajoute que, dans 99 % des cas, la convention sur laquelle le couple sur le point de divorcer s’est mis d’accord est homologuée par le juge au terme d’une audition relativement brève. Il est proposé que chaque époux ait son avocat, ce qui apporte une garantie plus sérieuse qu’un avocat commun. Il est aussi proposé que les époux, s’étant mis d’accord sur une convention de divorce, se rendent chez un notaire qui l’enregistrera ; mais, s’ils ne parviennent pas à s’accorder, ils se retrouveront devant un juge. Je vois donc mal quel danger la procédure nouvelle fait courir à la femme et aux enfants. Savoir si le mariage est une institution ou un contrat est une autre question. Ce que l’on propose dans ce texte est d’ouvrir aux époux qui pensent que le mariage est un contrat et qui veulent divorcer par consentement mutuel la faculté de procéder comme il est dit. La question, qui relève plutôt du garde des Sceaux, sera débattue en séance publique dans les jours qui viennent.
Seule la caisse d’allocations familiales du Bas-Rhin a pris la décision que vous avez rapportée, monsieur Hetzel. Les caisses doivent faire face à la montée en charge des demandes de prime d’activité, c’est exact. Toutefois, le délai moyen de traitement des dossiers est de 7,6 jours dans le Bas-Rhin et de 7,1 jours au niveau national. Cet écart ne justifie pas à lui seul la fermeture des permanences, décision très préjudiciable aux bénéficiaires des allocations familiales. Aussi le directeur de la CNAF a-t-il demandé au directeur de la caisse du Bas-Rhin de lui présenter un plan de résorption du retard pris dans le traitement des prestations nouvelles prévoyant d’autres solutions que la fermeture des deux agences considérées pendant une aussi longue durée. Par ailleurs, des moyens supplémentaires sont actuellement alloués aux caisses d’allocations familiales pour leur permettre de faire face aux difficultés qu’elles éprouvent. Nous n’avons pas été indifférents à cette annonce imprévue.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Le manifeste signé par M. René Frydman et ses collègues soulève des questions complexes, auxquelles les réponses ne sont, selon moi, pas aussi simples que le disent les signataires. Pour cette raison, je souhaite que notre commission reçoive leurs représentants, mais aussi, par souci d’équilibre, les représentants des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), institutions publiques qui peuvent faire valoir des problèmes d’organisation et d’approvisionnement en gamètes. Les questions abordées dans ce texte touchant à l’éthique, nous devons être éclairés au mieux.
Mme la ministre. Les signataires du manifeste posent des problèmes qui appellent une réflexion approfondie – ainsi de la congélation des ovocytes, pour laquelle il n’existe pas encore de position collective.
Mme Chaynesse Khirouni. Je précise que, en posant cette question, je ne me faisais pas la porte-parole des signataires du manifeste.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous l’avions bien compris. Je vous remercie, madame la ministre, de votre présence parmi nous. Il était utile de vous entendre faire le bilan de la politique familiale menée depuis quatre ans par le Gouvernement. Nous avons, de même, entendu Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, et je ne doute pas que, dans le même cadre, nous entendrons Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.
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Réunion du mardi 17 mai 2016 à 16 heures 15
Présents. – M. Pierre Aylagas, M. Alexis Bachelay, M. Alain Ballay, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, M. Renaud Gauquelin, M. Jean-Patrick Gille, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Gilles Lurton, M. Pierre Morange, M. Robert Olive, Mme Dominique Orliac, M. Bernard Perrut, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue, M. Jean-Louis Touraine, M. Arnaud Viala
Excusés. – M. Philip Cordery, M. Richard Ferrand, M. Jean-Sébastien Vialatte
Assistaient également à la réunion. – M. Guillaume Chevrollier, Mme Catherine Coutelle, M. Patrick Hetzel, M. Patrick Lebreton