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Commission des affaires sociales

Mercredi 18 mai 2016

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 54

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. François Bourdillon, dont la désignation en tant que directeur général de l’Agence nationale de santé publique (ANSP) est envisagée par le Gouvernement, en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 18 mai 2016

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission des affaires sociales procède à l’audition de M. François Bourdillon, dont la désignation en tant que directeur général de l’Agence nationale de santé publique (ANSP) est envisagée par le Gouvernement, en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous accueillons aujourd’hui M. François Bourdillon, actuel directeur général de l’Institut de veille sanitaire (InVS) et directeur général par intérim de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), dont la nomination en tant que directeur général de l’Agence nationale de santé publique (ANSP) est envisagée par le Gouvernement. Celui-ci a également activement participé à la préfiguration de cette nouvelle agence nationale de santé publique.

L’article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé a prévu la création de cette agence par le regroupement de l’InVS et de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS). L’agence, dont l’existence est effective depuis le 1er mai, exercera une triple mission de surveillance, de prévention, d’alerte et de réponse aux urgences sanitaires.

Cette audition a lieu en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique. L’Agence nationale de santé publique fait en effet désormais partie des organismes dont les dirigeants pressentis doivent être auditionnés par le Parlement – en l’espèce, les commissions des affaires sociales des deux assemblées – avant leur nomination. Je précise que, comme pour l’audition précédente de ce jour, nous ne sommes pas dans le cadre de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution. Il ne s’agit que d’une simple audition et non d’un avis demandé aux commissions compétentes. C’est pourquoi cette audition ne sera pas suivie d’un vote. Je précise aussi que le curriculum vitae de M. Bourdillon est en distribution dans la salle.

Monsieur Bourdillon, pourriez-vous tout d’abord nous présenter votre parcours professionnel ainsi que les raisons pour lesquelles vous avez postulé ou accepté cette fonction de directeur général de la nouvelle Agence nationale de santé publique ? Comment concevez-vous cette fonction ? Quelles orientations entendez-vous donner à l’agence ? Plus généralement, quelle est votre vision de la politique à mener en matière de santé publique ? Enfin, pourriez-vous évoquer la mise en place de la structure de l’agence, ses moyens futurs et l’articulation de son action avec celle des autres acteurs ?

M. François Bourdillon. Ma candidature à la direction de l’Agence nationale de santé publique vous étant proposée par le Gouvernement, je vais me présenter et témoigner du travail de préfiguration que j’ai effectué pendant vingt mois au sein de l’InVS, de l’INPES et avec l’ÉPRUS. Je voudrais d’abord remercier le Gouvernement et notamment la ministre de la santé pour la confiance, le temps et le soutien indispensable qu’ils m’ont accordés pendant ces vingt mois. Je remercie aussi la commission des affaires sociales pour tous les échanges fructueux que nous avons eus lors de l’élaboration de la loi de modernisation du système de santé.

Avant d’être le directeur général de l’InVS et de l’INPS, j’étais chef du pôle de santé publique, de l’évaluation et des produits de santé à la Pitié-Salpêtrière. J’y étais responsable de la santé publique, de la pharmacie et de l’addiction. Je suis depuis trente ans un professionnel de santé publique. C’est ma marque de fabrique, si bien que lorsqu’on m’a proposé de créer une agence nationale de santé publique, il m’a été difficile de refuser, même si j’étais particulièrement bien intégré au sein de la Pitié-Salpêtrière. Je suis aussi un professionnel de santé issu de la génération SIDA : j’ai été clinicien du SIDA jusqu’en juin 2014 avant d’être le directeur général de l’InVS, et recevais en consultation une fois par mois. J’ai bien sûr des compétences en épidémiologie. J’ai été vice-président du Conseil national du SIDA et vice-président de Médecins sans frontières où j’étais chargé de cette maladie. Enfin, depuis vingt mois, je préfigure l’Agence nationale de santé publique, dont la marque « Santé publique France » figure dans la loi de modernisation du système de santé, et suis candidat à sa direction générale.

Vingt mois constituent un temps appréciable pour préfigurer la création d’une agence. J’ai travaillé en plusieurs étapes. Nous avons tout d’abord établi un diagnostic de l’existant. Puis nous avons rédigé un rapport de préfiguration définissant la vision politique de la future agence. Nous avons ensuite œuvré à l’élaboration de la programmation de l’année 2016. Enfin, nous avons travaillé sur l’organisation et sur les textes constitutifs de cette nouvelle agence – l’ordonnance puis le décret parus en avril dernier.

Le diagnostic de l’existant a constitué une étape extrêmement importante, faisant suite à la lettre de mission par laquelle Mme Marisol Touraine me confiait la préfiguration de l’agence. J’ai utilisé une méthode très participative : en m’appuyant sur l’ensemble du personnel ainsi que sur des groupes de travail et en recourant à des lettres de mission, j’ai réussi à mobiliser deux cents des six cents personnes de l’agence. L’ensemble de leurs contributions m’a permis d’écrire le rapport de préfiguration de la future agence et de la doter d’une vision politique.

Je voudrais insister sur la phase de dialogue social que j’ai instituée avec les agents. J’ai réuni tous les deux mois en assemblée générale l’ensemble du personnel pour pouvoir lui présenter l’avancement de nos travaux, et, tous les mois, une douzaine de personnes issues du personnel, toutes catégories sociales confondues, afin d’avoir des tête-à-tête avec l’ensemble des agents. Nous avons rencontré les organisations syndicales tous les mois et rédigé une lettre d’information. Cette approche très sociale, dans la construction de cette future agence, est, je crois, un gage de réussite.

Le rapport de préfiguration est crucial en ce qu’il exprime les valeurs et principes fondateurs, les missions et la vision qui est la nôtre, ainsi que la définition des grands enjeux à venir. Notre objectif est de construire une agence nationale de santé publique ambitieuse à l’image de ce qui a été fait aux États-Unis ou en Angleterre et de mettre à plat certains éléments en termes de prévention – domaine dans lequel la France a pris du retard. Nous avons depuis longtemps misé sur les soins plutôt que sur la prévention, le budget consacré à cette dernière ne représentant que 7 % du budget de la santé. Nous avons donc essayé de donner du sens à la fusion entre organismes, en faisant comprendre aux professionnels de santé de l’agence que l’épidémiologie devait induire la prévention. Nous avons essayé de repenser la prévention et la promotion de la santé afin de prendre de la distance avec une stricte logique de campagnes – l’INPES ayant souvent été perçue comme l’agence de communication du Gouvernement en matière de prévention. Nous avons voulu dire qu’il était très important aujourd’hui de moderniser nos pratiques et de nous appuyer de manière plus visible sur le numérique, les réseaux sociaux, les applications de smartphone et internet, à des coûts moins élevés. Nous avons souhaité affirmer, à l’image de ce que font les grandes agences nationales de santé publique, que l’on pouvait travailler dans une logique de marketing social, consistant à mettre en cohérence l’ensemble des actions de prévention issues des connaissances épidémiologiques sur les comportements.

Parmi les autres enjeux à souligner, citons, en matière d’épidémiologie, le passage au big data. L’InVS gère aujourd’hui d’immenses bases de données et de multiples sources qu’il faut mettre en cohérence. Il s’agit de faire en sorte que celles-ci soient analysables et qu’on puisse leur donner du sens. Il serait bien que nous puissions demain faire la « météo » des maladies et que tout un chacun puisse suivre sur son smartphone les épidémies – de grippe, de zika ou de gastro-entérite par exemple – qui sévissent chaque année dans notre pays.

L’enjeu, en matière d’urgences sanitaires, réside dans une meilleure évaluation des besoins grâce à l’épidémiologie. Il s’agit aussi d’offrir demain la possibilité aux agences régionales de santé (ARS) de saisir autant que de besoin les réservistes sanitaires et d’avoir des stocks stratégiques à notre disposition, qui répondent aux attentes de la société.

Une fois rédigé notre rapport de préfiguration, nous avons travaillé à l’élaboration de notre programmation. Notre objectif était de rendre lisibles pour le grand public les 600 actions de l’ensemble des trois agences et donc de les regrouper sous trente programmes et cinq axes. Le premier concerne la population, avec un travail sur les différents âges et étapes de la vie – la petite enfance, l’enfance, l’adolescence, la vulnérabilité et le grand âge. Le deuxième est consacré aux déterminants de santé – cruciaux en matière de prévention, avec un sous-axe consacré à l’addiction au tabac et à l’alcool ainsi qu’à la toxicomanie. J’ai demandé que l’on puisse disposer très vite dans notre pays d’une mesure annuelle du nombre annuel de fumeurs – puisque nous n’en disposons aujourd’hui que tous les cinq ans. Le troisième axe vise les pathologies, le quatrième, les infrastructures et le cinquième, les territoires – une attention particulière étant portée aux départements d’outre-mer.

Il reste encore beaucoup à faire, notamment à regrouper l’ensemble du personnel. Car nous sommes aujourd’hui situés sur quatre sites différents : l’un à Saint-Maurice, deux en Seine-Saint-Denis et un autre dans le vingtième arrondissement. Nous espérons pouvoir regrouper l’ensemble des agents en janvier 2017 et avons entrepris un projet immobilier ambitieux visant à construire sur le site de Saint-Maurice un troisième bâtiment pour accueillir dans de bonnes conditions l’ensemble du personnel.

Je remercie la direction générale de la santé pour son soutien et son appui dans la construction de l’agence. Dans le système d’agences, la DGS est le chef d’orchestre et pilote les différentes politiques de santé. Nous avons maintenant une agence qui est clairement au service des populations, Santé publique France ; une agence d’analyse des risques, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), dont vous avez auditionné le futur directeur général tout à l’heure ; l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; enfin, la Haute autorité de santé, agence consacrée aux pratiques médicales.

Je dirai quelques mots de nos priorités de travail rénovées pour l’année en cours et l’année à venir.

Nous porterons une attention très forte au tabac. Mme Marisol Touraine vient d’ailleurs d’annoncer, à quelques jours de la journée mondiale sur le tabac, la création d’un Fonds tabac doté de 32 millions d’euros – décision dont je me réjouis. Nous construisons de manière extrêmement volontariste et proactive une opération que nous voudrions de la taille du Téléthon pour le mois de novembre, intitulée « Mois sans tabac ». On considère en effet que qui arrête de fumer pendant vingt-huit jours a cinq fois plus de chances d’arrêter définitivement. L’expérience qui a été menée depuis plusieurs années en Angleterre étant très constructive, nous espérons enfin réussir, grâce à cette opération, à diminuer le nombre
– désespérément haut – de consommateurs de tabac dans notre pays.

Nous souhaitons aussi rénover notre manière de parler de la santé sexuelle afin de ne plus seulement parler de maladies ou d’infections sexuellement transmissibles. Il nous paraît important de pouvoir aborder les questions de sexualité non seulement sous l’angle des maladies mais aussi sous celui du plaisir et de la contraception. Nous proposerons très rapidement, une fois l’ensemble de nos sites fusionnés, une approche rénovée en ce domaine.

Les maladies émergentes sont un souci permanent. Le rapprochement entre l’InVS et l’INPES permet de disposer en temps de crise d’une capacité d’information et d’éducation à la santé en la matière. Nous avons vu à quel point il était précieux, face à l’épidémie de zika, de pouvoir allier les différents métiers. L’ÉPRUS nous a permis d’envoyer de très nombreux réservistes dans les départements français d’Amérique pour suppléer les services de réanimation sur place – avec les complications de Guillain-Barré qui peuvent survenir à la suite de cette épidémie – et pour améliorer le suivi des femmes enceintes.

En matière de vaccination, nous allons nous mobiliser pour accompagner le secrétariat de la Conférence nationale sur la vaccination animée par le professeur Alain Fischer. Notre ambition est de pouvoir disposer d’un site sur la vaccination qui soit le premier site référencé des autorités publiques sur internet. Aujourd’hui, lorsque vous recherchez un site à ce sujet, vous tombez plutôt sur des sites anti-vaccinaux. Or, il importe que ceux qui veulent s’informer puissent accéder à des renseignements validés par les autorités publiques.

Nous avons également des ambitions en matière d’environnement, s’agissant notamment de la pollution atmosphérique ainsi que des sites et sols pollués. L’InVS a effectué, à la demande des agences régionales de santé, plus de cent investigations en cinq ans car notre pays a été pollué par de nombreuses industries. Il faut donc trouver des réponses pour protéger les populations.

Enfin, nous voulons pouvoir aborder dans le cadre du parcours éducatif en santé, mesure prévue par la loi de modernisation du système de santé, toutes les questions relatives à la santé des jeunes et des adolescents – notamment les addictions mais aussi la santé sexuelle et le renforcement des compétences psychosociales. L’objectif est d’apprendre aux jeunes à gagner en autonomie et à savoir dire non à une cigarette ou à un verre d’alcool de trop, compte tenu du développement du binge drinking.

Voilà ce que je souhaitais vous dire en introduction.

Mme Michèle Delaunay. Je voudrais vous dire le plaisir que nous avons de vous accueillir, à la fois parce que vous êtes pressenti pour diriger cette grande agence de santé publique dont nous sommes très fiers, après en avoir assuré la préfiguration, et en raison de votre parcours personnel que je crois être en parfaite adéquation avec cette fonction. Vous l’avez dit vous-même, la santé publique fait partie de votre ADN. Vous en avez fait l’expérience à trois étages : celui de l’action collective, dans le cadre de la Société française de santé publique ; celui de la politique, puisque vous avez participé au cabinet de M. Bernard Kouchner avant de diriger l’Institut national de veille sanitaire ; celui de la médecine, enfin, puisque vous consultez encore. J’espère que vous continuerez à avoir le temps de pratiquer cette activité, même si cela vous est difficile.

Nous nous réjouissons grandement de la création de cette grande agence de santé publique qui, comme vous l’avez souligné, nous mettra à hauteur internationale et que vous voulez construire sur le modèle des grandes agences anglo-saxonnes de santé publique. Jamais la santé publique n’a eu plus d’importance. La médecine pastorienne a basculé de la médecine lésionnelle ou microbienne qu’elle représentait vers une prédominance de la médecine comportementale visant à résoudre des problèmes de santé sociale et de santé publique. Jamais les élus et les responsables décisionnaires n’ont eu davantage besoin de mener une politique qui soit fondée sur des certitudes scientifiques et sur des données épidémiologiques fortes. On ne peut pas décider des crédits à apporter pour traiter de l’autisme, par exemple, si l’on ne sait pas combien il y a d’autistes dans ce pays. Je suis persuadée que vous concevez cette grande agence de santé publique comme réunissant à la fois les actions de santé – l’exécution de ce qui est décidé –, la recherche et l’épidémiologie. C’est pour moi un tournant important.

Qu’apportera concrètement cette fusion par rapport aux agences antérieures, en plus d’une simplification et d’une meilleure coordination du dispositif ?

Le tabac est en train de devenir une maladie sociale, une maladie de la pauvreté. La plupart des députés arrêtent de fumer aujourd’hui. Ce sont les chômeurs et les personnes vulnérables qui fument le plus. Or, ce sont ces personnes que nous savons le moins toucher par nos politiques et nos campagnes de prévention. Qu’en pensez-vous ?

Je vous remercie d’ores et déjà de votre action. Votre notoriété vous a précédé et mon souhait est qu’elle ne fasse que s’amplifier.

M. Gilles Lurton. Comment envisagez-vous le fonctionnement de l’agence nationale de santé publique, qui a été créée par la loi de modernisation du système de santé et qui reprend les missions de l’Institut de veille sanitaire – que vous connaissez bien pour en avoir été récemment encore le directeur –, de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ? Comment envisagez-vous de fusionner les équipes et les attributions de ces trois structures et de créer des synergies entre elles ? Quelle coordination comptez-vous assurer avec les cellules interrégionales d’épidémiologie, le réseau national de cellules de santé publique et celui des centres nationaux de référence pour lutter contre les maladies transmissibles ?

L’ordonnance du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique précise que cette dernière procède à l’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, le transport, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population. De quels moyens financiers et humains disposerez-vous pour assumer cette mission ? L’ordonnance précise aussi que l’agence est construite autour d’un axe populationnel : que signifie pour vous cette expression ? Cette nouvelle agence va devoir imprimer sa marque dans la population : comment comptez-vous la faire connaître et communiquer sur tout le travail qu’elle accomplit ?

M. Gérard Sebaoun. Je me félicite moi aussi de la naissance de cette agence de santé publique, comparable à celle de grands pays comme les États-Unis et la Grande Bretagne ou de provinces comme le Québec.

Je vous poserai les questions que j’ai adressées à la ministre de la santé lors de l’examen de la mission santé du dernier projet de loi de finances.

Le regroupement de trois établissements vous permettra de réaliser des économies d’échelle. Celui-ci s’effectue-t-il à personnel équivalent ? Compte tenu des baisses budgétaires de ces cinq dernières années, aurez-vous les moyens de mener l’action d’une grande agence de ce niveau ?

En termes de communication, aurez-vous la capacité de faire face à des lobbies aux moyens considérables lorsqu’il s’agit de contrer des messages de santé publique ?

Nous débattons chaque année de façon polémique de l’aide médicale d’État : la nouvelle agence aura-t-elle les moyens d’apaiser le climat en la matière, de suivre les populations précarisées qui en bénéficient et de donner, en termes de santé publique, une certaine objectivité à des discussions qui confinent quelquefois à des diatribes entre groupes politiques ? Les travaux de nos collègues Christophe Sirugue et Claude Goasguen ont en effet bien montré qu’avec des approches différentes, on arrivait à une réalité : pourriez-vous l’objectiver de façon régulière afin d’éclairer la décision publique ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je me réjouis de la fusion de ces trois agences et que vous soyez pressenti pour prendre la direction de l’ANSP.

Jusqu’à maintenant, les messages envoyés aux jeunes concernant les substances illicites, les substances licites dont ils abusent par addiction ou encore la gratuité de la contraception pour les moins de dix-huit ans ont été assez déficients en France. J’ai le sentiment, au vu des adolescents et jeunes que j’ai rencontrés dans mon parcours de professionnelle de santé, que les spots qui leur sont diffusés ne leur parlent pas, faute d’être suffisamment offensifs. On ne va pas chercher les jeunes là où ils sont, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les milieux du sport ou dans ceux de la culture. Lorsque nous avons interrogé le Gouvernement concernant sa communication sur la gratuité de la contraception pour les mineurs, celui-ci nous a renvoyés à son portail internet. Or, je ne connais pas de jeunes filles de seize ans qui soient susceptibles d’aller consulter ce portail sur un tel sujet. Serait-il possible d’améliorer rapidement cette communication ?

M. François Bourdillon. Pourquoi cette fusion ? Pour faire des économies, certes. Mais la ministre de la santé a aussi exprimé l’ambition par ce biais d’améliorer la santé publique et de faire en sorte que cette agence soit capable non seulement de mesurer l’état de santé de la population, mais également de déterminer des priorités étayant la décision publique et d’identifier, d’expérimenter et d’innover en matière de prévention. Il faut que l’ANSP soit une agence d’expertise scientifique s’appuyant sur des faits probants pour faire en sorte que l’argent public soit le mieux utilisé possible. Il convient aussi de faire en sorte que les actions de prévention qui seront proposées aux niveaux national, régional et local aient préalablement fait la preuve de leur efficacité. Je fais là écho à votre réflexion relative à l’importance des faits probants en matière de prévention. On a trop souvent eu tendance à se fier au bon sens alors que la santé publique est aussi un métier, une spécialité et une discipline scientifique sur laquelle on doit s’appuyer.

L’apport majeur de l’agence est de regrouper l’ensemble des disciplines. Pour reprendre l’exemple de l’épidémie de zika, nous sommes l’un des pays les mieux organisés en matière de surveillance puisque nous avons détecté dès le mois de janvier les premiers cas de cette maladie en Martinique et en Guyane. Très vite, nous avons été capables, semaine après semaine, de mesurer le niveau d’épidémies et d’évaluer le nombre de cas nouveaux, de cas hospitalisés et de femmes enceintes séropositives puis de déclencher immédiatement, via les conseils généraux ou l’État, la lutte anti-vectorielle et, avec l’appui des professionnels de santé, le suivi des femmes enceintes. Et lorsque nous avons eu besoin de la réserve sanitaire, nous avons été capables de la mobiliser. C’est vraiment le regroupement des trois structures qui nous permet d’agir. Je pourrais en dire autant d’autres domaines dans lesquels il nous faut affirmer que l’épidémiologie doit induire la prévention. En matière de tabagisme, par exemple, nous devons être capables, grâce aux méthodes d’épidémiologie, de mesurer le nombre de fumeurs mais aussi d’évaluer les mesures de prévention qui sont prises. Une opération aussi importante que « Mois sans tabac », qui démarrera en novembre prochain, comportera ainsi un volet d’évaluation permettant de vérifier la pertinence de cette approche et la bonne utilisation des fonds publics.

La fusion des agences permettra aussi une amélioration des fonctions supports. J’ai mentionné tout à l’heure trois établissements – l’InVS, l’INPES et l’ÉPRUS – mais en réalité, cette fusion en concernera quatre, avec le groupement d’intérêt public Addictions Drogues Alcool Info Service (ADALIS) de l’INPES. Souvent, en cas de fusion, on se retrouve avec autant de directeurs généraux, de directeurs généraux adjoints et de services de documentation que d’établissements fusionnés. Le temps de la préfiguration de l’agence nous a permis de définir un organigramme ne comprenant qu’une seule direction et de faire en sorte que les personnes ne pouvant occuper les fonctions auxquelles elles auraient légitimement pu prétendre puissent rejoindre d’autres structures ou, grâce à un travail de co-construction, de retrouver une place au sein de la nouvelle agence. Notre organigramme, aujourd’hui fondé sur une dizaine de directions métiers et six directions supports, a été validé par les organisations syndicales en comité technique, sans aucun licenciement – ce dont nous nous réjouissons. Je dois remercier la direction générale de la santé et la direction du budget d’avoir permis la stabilité budgétaire et de l’emploi pendant cette période de fusion. En 2016, le budget de la nouvelle agence s’élève à 190 millions d’euros, permettant de financer 625 équivalents temps plein.

La fusion nous a conduits à nous retrouver avec quatre systèmes informatiques différents qu’il nous a fallu unifier. Elle a donc un coût au départ. Nous avons en effet besoin d’un système informatique unique et moderne pour assurer l’ensemble des fonctions supports et traiter des big data. Nous avons ainsi décidé de moderniser, en le dématérialisant, le système des déclarations obligatoires, qui concerne trente-deux maladies, ces déclarations étant encore aujourd’hui adressées sous format papier aux ARS. Nous avons rendu possible depuis quelques semaines la déclaration du SIDA par voie électronique. Suivront la tuberculose et les autres maladies. Cela représente un gros investissement et pouvoir bénéficier de l’ensemble des fonctions supports des quatre instituts nous aide beaucoup. Les économies d’échelle, en matière de fonctions supports, sont prévues mais ne pourront survenir que dans deux ou trois ans. Ce que je dis de l’informatique vaut aussi en matière de ressources humaines : il nous faut, en ce domaine, mener une politique globale afin de pouvoir reprendre, à droit constant, l’ensemble des contrats des 625 personnes.

Vous m’avez interrogé concernant notre marketing social et nos moyens de résister au poids des lobbies. Une campagne dans les médias, sur internet et sur application mobile coûtant bien évidemment fort cher – entre trois et quatre millions d’euros –, nous nous interrogeons chaque fois quant à la pertinence de tels investissements, en décalage avec le coût des enquêtes des épidémiologistes, de l’ordre de 20 000 à 30 000 euros. Le coût de ces campagnes est néanmoins très en deçà des montants investis par l’industrie agro-alimentaire, les producteurs d’alcool ou, de manière indirecte – notamment par le biais du cinéma –, par l’industrie du tabac. Pour autant, il nous faut agir – et ce, de manière cohérente et coordonnée. Pour démontrer l’originalité de notre action, nous avons retenu comme axe principal le tabac. Nous espérons en ce domaine pouvoir mobiliser, dans l’ensemble des régions, les échelons national et local. Notre but est de communiquer auprès du grand public tout en touchant tout un chacun – y compris les plus démunis. Comme vous le savez, la prévalence du tabagisme est de 50 % chez les chômeurs, contre 23 ou 24 % parmi les catégories socio-professionnelles les plus élevées. Dans le cadre de l’opération « Mois sans tabac », nous accordons une attention tout à fait particulière aux catégories socio-professionnelles les plus basses et aux chômeurs. Nous avons fait en sorte que Pôle Emploi s’associe à l’opération et pris contact avec les associations de patients – notamment la Ligue contre le cancer – de manière à ce que ceux qui sont atteints de maladies cardiovasculaires ou d’un cancer puissent bénéficier de conseils pour arrêter de fumer. Nous ferons aussi en sorte que les fumeurs, qui appartiennent en majorité aux catégories socio-professionnelles les plus basses, puissent bénéficier de consultations de tabacologie.

La question des jeunes est effectivement cruciale, surtout en matière de tabagisme
– l’idée étant, dans ce domaine, d’agir le plus tôt possible pour retarder l’entrée dans le tabagisme et éviter que les gens ne deviennent fumeurs. Pour toucher les jeunes, il faut procéder comme la publicité qui recourt beaucoup à internet. Nous avons donc diffusé sur Youtube un spot intitulé « Esquive la tise » dans lequel nous utilisons le même langage que les jeunes et un humour de second degré. Cela nous coûte beaucoup moins cher qu’un spot télévisé, c’est plus ludique qu’un portail officiel et c’est visionné 300 000 fois. Cela étant, l’émission Youtube « Les Recettes Pompettes », présentée par des animateurs de télévision très connus, qui promeut dans des clips de trois minutes l’absorption d’une quinzaine de shots d’alcool et qui fait rire tout le monde parce qu’au bout du quinzième cul-sec, les buveurs sont saouls, est vue 500 000 fois. Disposant des mêmes outils, nous devons pouvoir toucher tout le monde. Notre force est d’être une structure publique et d’utiliser les réseaux de promotion de la santé. Pour toucher les jeunes, il nous faut travailler avec les familles et l’école et construire avec les enseignants le parcours éducatif en santé. Il faut oublier l’idée que l’Agence nationale de santé publique serait en mesure d’intervenir auprès des jeunes : c’est le métier des enseignants. Ce sont eux qui doivent aider les enfants à développer leurs compétences psycho-sociales et leur autonomie. Il faut donc mettre les enseignants en mesure d’aborder la question sanitaire. La future agence comportera des unités « Enfance et adolescence » et « Petite enfance et grossesse ». Dans le cadre de cette dernière, nous mènerons des actions pour éviter que les femmes enceintes ne boivent et fument et pour pouvoir suivre les données de périnatalité.

L’axe populationnel vise à s’intéresser à l’état de santé des Français, à prioriser des actions grâce à nos données et connaissances et à faire en sorte d’agir au plus près de la population. Les moyens dont nous disposons ne sont pas négligeables, même s’ils restent encore loin de ceux des Anglais ou des Américains. Je me réjouis que la ministre de la santé, Mme Marisol Touraine, ait réussi à obtenir la création d’un Fonds tabac afin de nous permettre de démultiplier nos actions de marketing social en ce domaine.

Une question a été posée concernant les cellules d’épidémiologie en région. Comme vous le savez, la loi a rattaché ces cellules à l’Agence nationale de santé publique. Notre agence dispose donc de délégations en région. Cette colonne vertébrale de l’épidémiologie nous confère la capacité de lancer des alertes dès que des premiers signaux sont identifiés, de professionnaliser au sein de chacune des ARS le métier d’épidémiologie, d’être en mesure de faire de l’investigation de situations pré-épidémiques ou épidémiques et d’éclairer, sur le plan scientifique, les directeurs généraux d’ARS lorsqu’ils en ont besoin. Cela fait partie du réseau national de santé publique que nous avons l’ambition d’élargir à l’ensemble des acteurs de la prévention présents sur le territoire français.

M. Arnaud Richard. Je vous félicite et vous souhaite bien du courage car il n’est pas facile de fusionner quatre établissements et quatre systèmes informatiques. Cela peut donner lieu, comme on l’a vu pour le régime social des indépendants (RSI), à des accidents industriels. Cela étant, je suis convaincu que vous ferez merveille dans l’exercice de cette mission passionnante.

M. Gérard Sebaoun. Le conseil d’administration de l’agence nationale de santé publique comprend deux élus représentant les collectivités territoriales – communes et départements –, ce qui est une bonne chose. Cela dit, Gérard Bapt et moi-même nous sommes demandé pourquoi les parlementaires, qui votent le budget de la sécurité sociale et qui portent un regard intéressé sur l’ensemble des agences, n’y étaient pas représentés.

D’autre part, pourriez-vous évoquer le comité d’ouverture et de dialogue avec la société, qui nous a paru curieux ?

M. François Bourdillon. Je vous remercie de mentionner ce comité dont j’ai oublié de parler dans ma présentation et auquel j’ai pourtant porté beaucoup d’attention. Comme l’a souligné Mme Michèle Delaunay, j’ai participé à la rédaction de la loi relative aux droits des malades. Je suis donc très sensible à la question de la démocratie en santé. Les agences dont j’ai eu l’honneur de préfigurer la transformation en Agence nationale de santé publique sont très scientifiques et très peu ouvertes sur la société et aux questions de santé publique les plus controversées – qu’il s’agisse de la vaccination, des perturbateurs endocriniens, des radiofréquences ou de la maladie de Lyme. Dans le cadre de notre programmation, nous souhaitons accorder la priorité au « fardeau des maladies » qui tient compte à la fois du poids, de la fréquence et de la gravité des maladies et de nos capacités à les prévenir et à les éviter. D’autres enjeux sont néanmoins également importants : l’aspect politique, d’une part – vous devez pouvoir promouvoir des priorités par le biais du ministère de la santé – mais aussi la vision citoyenne, d’autre part. C’est pourquoi nous avons institué un comité d’ouverture et de dialogue, réunissant des personnalités représentatives de l’ensemble de la société civile
– patients, consommateurs et familles. Par ailleurs, nous sommes soucieux, sur chaque thème, de disposer de comités d’interface pour pouvoir être en résonance avec les attentes du public. Nous ne pouvons aujourd’hui dans le domaine de la santé publique nous draper uniquement dans la science en disant : « circulez, il n’y a rien à voir ». On le voit notamment sur la question des vaccinations, merveilleux outil de prévention primaire qui suscite cependant de la défiance. C’est afin de redonner confiance en elles que ce comité a été créé. C’est une première dans le système des agences, en laquelle nous fondons beaucoup d’espoir. Nous apprendrons en marchant, espérant pouvoir favoriser la démocratie en santé. Nous voulons que l’Agence nationale de santé publique soit au service de l’état de santé des populations mais aussi au service des populations mêmes.

Quant à la composition du conseil d’administration de l’agence, elle est très classique. L’État, et en particulier notre ministère de tutelle, y est majoritaire. Ce conseil d’administration présente néanmoins une particularité concernant l’ÉPRUS : pour des questions de défense nationale et afin de garantir le secret de notre sécurité intérieure, nous avons la possibilité de réunir un conseil d’administration restreint. Cela nous permet notamment d’évoquer les stocks stratégiques auparavant gérés par l’ÉPRUS et désormais, par Santé publique France.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous vous remercions de cette intervention. Il est vrai que la tâche n’est pas facile dans un pays plus habitué au cure qu’au care, plus accoutumé au curatif qu’au préventif. Nous sommes tout même sous la pression de lobbies qui ont intérêt à ce que l’on soit un peu malade ou à faire de la prévention trente-cinq ou quarante ans à l’avance avec des médicaments plutôt que de la prévention fondée sur le care. Nous savons tous de qui il s’agit. Au nom de la Commission, je suis heureuse que vous soyez pressenti, monsieur Bourdillon, à la tête de cette agence. Il y a bien du travail à faire pour éduquer la population. Votre axe populationnel est parlant. Le vaccin contre le cancer du col de l’utérus, par exemple, est aujourd’hui utilisé par les populations qui procèdent déjà régulièrement au dépistage du col. En d’autres termes, les populations qui ne procèdent pas à ce dépistage sont aussi celles qui ne se font pas vacciner. C’est à ces dernières qu’il faudrait s’adresser car elles n’entendent pas nos messages. Cela étant dit, je terminerai sur une note positive en vous indiquant que le spot qui a été diffusé dernièrement à la radio concernant ce même cancer m’a semblé très parlant et très réussi.

Nous vous remercions et vous souhaitons bon courage.

La séance est levée à dix-neuf heures dix.

——fpfp——

Présences en réunion

Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 18 heures 15

Présents. – Mme Michèle Delaunay, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Richard, M. Gérard Sebaoun

Excusés. – M. Philip Cordery, M. Richard Ferrand, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Sébastien Vialatte