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Commission des affaires sociales

Mercredi 22 juin 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 61

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition de M. Patrick Errard, président, de M. Philippe Lamoureux, directeur général, de M. Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales, et de Mme Clémentine Body, responsable des études économiques et statistiques des entreprises du médicament (LEEM) ainsi que de MM. Cyril Schiever et David Setboun, vice–présidents de l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR).

M. Maurice–Pierre Planel, président, et Dr Jean–Patrick Sales, vice–présidentComité économique des produits de santé (CEPS)

Mme Magali Léo, chargée de mission assurance maladie au Collectif interassociatif sur la santé (CISS), et de M. Fabrice Pilorgé, chargé de mission démocratie sanitaire et plaidoyer de AIDES ; de M. Pierre Chirac, directeur de publication de la Revue Prescrire, président de l’Association Mieux Prescrire et du Dr Françoise Sivignon, présidente, et de M. Olivier Maguet, responsable de la campagne « Prix des médicaments » de Médecins du monde

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 22 juin 2016

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission procède à l’audition de M. Patrick Errard, président du LEEM - Les entreprises du médicament, de M. Philippe Lamoureux, directeur général, de M. Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales, et de Mme Clémentine Body, responsable des études économiques et statistiques ainsi que de MM. Cyril Schiever et David Setboun, vice-présidents des laboratoires internationaux de recherche (LIR), de M. Bruno Erhard, responsable des affaires publiques de l’Association et de Mme Delphine Caroff, directrice des affaires publiques.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons notre cycle d’auditions sur la fixation du prix des médicaments. Je rappelle que ces auditions avaient été programmées lorsqu’est parue dans la presse la tribune des cent dix hématologues et cancérologues ; leur concomitance avec la campagne lancée par Médecins du monde est donc purement fortuite.

Il n’était évidemment pas concevable de ne pas entendre ceux qui cherchent, développent et commercialisent les médicaments. Nous recevons donc ce matin des représentants des Entreprises du médicament (LEEM), ainsi que de l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR), qui rassemble pour l’essentiel les laboratoires des entreprises de médicament représentées par le LEEM.

M. Patrick Errard, président des Entreprises du médicament (LEEM). Mon message est très simple ; il tient en trois points.

En premier lieu, si nous sommes réunis aujourd’hui pour évoquer la question des coûts en santé et du coût des médicaments innovants en particulier, c’est parce que l’innovation est de retour, et c’est la première bonne nouvelle pour nos concitoyens et pour les patients. Cette innovation se développe de manière particulièrement exponentielle depuis deux ou trois ans, résultat des investissements engagés il y a dix ans. Voir aujourd’hui le cancer, les maladies virales ou certaines maladies auto-immunes près d’être vaincues par les traitements allopathiques que nous avons mis au point il y a déjà dix ans est la première victoire dont nous devons nous réjouir.

Ensuite, je me réjouis que nous puissions mener le débat sur le prix des médicaments ici, à l’Assemblée nationale, avec des parlementaires, plutôt que sur la place publique où l’on s’interpelle à coup d’invectives et par le biais de campagnes publicitaires, dont la dernière en date est absolument inacceptable et irrespectueuse dans son parti pris de dénigrement. S’il est indispensable que les industriels du médicament participent aux discussions dans un esprit responsable, le débat ne peut avoir lieu que dans un climat serein et équitable, entre des personnes qui connaissent le système. Faire parler l’émotion, même si je comprends celle que peut susciter chez nos concitoyens la problématique du coût de la santé et de l’avenir du système de soins, ne résoudra rien, et il nous faut demeurer rationnels.

Enfin, envisager cette problématique par le seul biais du prix ou du coût n’est guère pertinent. Il faut privilégier une approche holistique et nous interroger globalement sur la capacité de notre système de santé à se réformer, à s’adapter au progrès scientifique et technologique.

Le LEEM et les industries du médicament sont déterminés à faire preuve de responsabilité dans les réflexions à mener, ce dont témoigne déjà la signature, en janvier de cette année, d’un nouvel accord-cadre, qui améliore la lisibilité et la prévisibilité en matière de fixation des prix.

M. Cyril Schiever, vice-président de l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR). Nous vous remercions en premier lieu d’avoir convié l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR) à échanger avec vous sur le financement de l’innovation dans les années à venir. La mission du LIR est de contribuer à trouver des solutions permettant à notre système de santé d’adopter et d’intégrer les innovations – technologiques, thérapeutiques ou organisationnelles – qui améliorent la prise en charge des patients. Nos entreprises sont toutes membres du LEEM, et je partage donc entièrement les propos de Patrick Errard.

Nos laboratoires consacrent une part très importante de leurs investissements à la recherche – plus de 20 % en moyenne, jusqu’à 40 % pour certains laboratoires. La France où plus de 700 millions d’euros sont investis chaque année dans la recherche est donc un pays attractif en la matière.

Comme ont pu en témoigner vos précédentes auditions, les acteurs du médicament sont au moins unanimes sur un point : nous sommes dans une période d’intenses innovations, ce qui nécessite que l’on s’interroge sur leurs modalités de financement et que l’on réfléchisse aux évolutions et aux réformes envisageables à moyen et long termes.

Notre système de santé est l’un des plus performants aujourd’hui, et nous avons un modèle d’accès à l’innovation qui fonctionne : comme l’a rappelé devant vous, la semaine dernière, la professeure Agnès Bazin, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS), aucun patient ne rencontre de difficultés pour avoir accès au médicament, le budget du médicament étant l’un des mieux maîtrisés actuellement.

Cela étant, un débat oppose les partisans de deux modèles différents. Selon le premier modèle, défendu par le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), le prix d’un médicament devrait correspondre à l’addition des coûts de recherche et de production, augmentée de la marge destinée au laboratoire. Si ce modèle convient pour calculer le prix des médicaments génériques, il n’est pas adapté aux médicaments innovants, car il ne prend pas en compte les risques d’échec de développement des médicaments, qui sont très importants : moins de 5 % des molécules que nous testons ont une chance d’être mises un jour à disposition des patients. Ainsi dans la recherche menée sur la maladie d’Alzheimer ces dix dernières années : 123 essais cliniques sur 127 ont échoué.

Ce modèle n’intègre pas non plus le coût de la recherche dans les domaines où les laboratoires ne peuvent escompter aucun retour – je pense notamment à l’antibiorésistance, qui nous oblige à développer des antibiotiques destinés à être conservés pour n’être utilisés qu’ultérieurement, lorsqu’ils seront une réponse à des enjeux majeurs de santé publique.

Certains ont donc du mal à entendre que ce que nous finançons aujourd’hui, c’est la recherche de demain, et si nous parlons aujourd’hui d’éliminer l’hépatite C ou de faire des cancers des maladies chroniques, c’est précisément parce que nous avons investi depuis vingt ans dans la recherche sur ces pathologies.

Pour autant, le besoin d’investissement ne justifie nullement que le prix des médicaments innovants ne connaisse aucune limite. Ces limites sont celles qui s’inscrivent dans le second modèle de calcul des prix, qui consiste à aborder ce dernier en fonction de la valeur qu’apporte le médicament au patient. Jusqu’à présent, cette valeur correspondait essentiellement à la valeur thérapeutique du médicament pour le patient. Il convient désormais de se référer à la valeur d’efficience globale pour le système de santé. C’est à évaluer cette valeur que nous devons travailler ensemble. Nous en avons les moyens et avons des propositions à faire afin de mieux prendre en compte la performance des médicaments dans la vie réelle.

M. Philippe Lamoureux, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM). En premier lieu, il faut remettre en perspective la question du coût des médicaments dans la problématique globale du remboursement des médicaments. Depuis le début de la législature, les dépenses de remboursement sont restées stables et, si l’arrivée des nouveaux traitements contre l’hépatite C a suscité beaucoup d’inquiétude, la bosse financière qu’ont générée ces nouveaux traitements s’est quasiment résorbée en dix-huit mois. Autrement dit, le système a fonctionné, avec une enveloppe budgétaire parfaitement maîtrisée.

En deuxième lieu, quand nous raisonnons non plus en dépenses remboursées mais en chiffre d’affaires, force est de constater que celui de l’industrie pharmaceutique en France décroît. Je rappelle ici que le Parlement vote chaque année, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFSS), le fameux « taux L », fixé à -1 % depuis deux ans. On a ainsi inventé le concept de taxation de la croissance négative puisque, quand notre chiffre d’affaires baisse de 0,5 %, nous sommes amenés à verser une contribution, alors même que nous sommes en récession !

Enfin, le coût des traitements anticancéreux, qui mobilise beaucoup l’opinion aujourd’hui, ne représente que 2 % des dépenses de l’assurance maladie, et il est donc excessif de prétendre qu’ils la mettent en péril, d’autant que le médicament est la plupart du temps une solution efficiente en termes de coût, le prix des médicaments étant en France extrêmement bas ou du moins à un niveau concurrentiel par rapport aux quatre autres grands marchés européens que sont l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Il n’y a pas d’exception française en matière de prix des médicaments.

Par ailleurs, les derniers PLFSS de la législature précédente comme ceux de la législature en cours témoignent d’une véritable « addiction » à la baisse du prix des médicaments pour boucler le budget : ne représentant que 15 % de la dépense de l’assurance maladie, nous assumons pourtant 50 % des plans d’économies votés chaque année par le Parlement. C’est une tendance qui, selon nous, touche à sa fin, car nous sommes au bout de la « falaise des brevets » ; de nombreux brevets vont tomber en 2017, après quoi le mouvement va se tarir. On sait en outre que le modèle du biosimilaire ne permettra pas des économies de même ampleur et que la baisse des prix, réitérée d’année en année pour un montant d’un milliard d’euros, menace aujourd’hui notre attractivité industrielle. Tandis que l’Allemagne et le Royaume-Uni ont renoué avec la croissance grâce aux innovations thérapeutiques, la France, dans un mouvement contracyclique, est en perte de vitesse.

Il nous faut donc trouver de nouveaux mécanismes. C’est ce à quoi nous avons réfléchi pour nourrir nos propositions. Nous venons d’abord de renégocier avec les pouvoirs publics un accord-cadre dans lequel nous avons essayé d’introduire un certain nombre de dispositions nous permettant d’aborder de façon plus sereine la problématique de l’innovation. Cela passe, d’une part, par le développement des études d’impact budgétaire, afin de mesurer, en marge de leur coût, l’efficience globale des médicaments dans le système de soins ; cela passe, d’autre part, par le développement d’une boîte à outils qui nous aide à adapter nos mécanismes de régulation aux différents traitements, selon qu’ils guérissent une pathologie mortelle, qu’ils transforment en maladie chronique une maladie grave ou qu’ils améliorent la qualité de vie des patients dans la durée. Nous entendons ainsi développer les contrats de performance, des mécanismes de remise adaptés au profil des produits, voire un système de fixation des prix ou du niveau de remboursement en fonction des indications thérapeutiques, sachant que les innovations thérapeutiques posent au système de santé un problème global en transformant en maladies chroniques des pathologies qui, jusqu’à présent, étaient fatales à très court terme.

Nous proposons ensuite que le Parlement vote demain un objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour le médicament qui soit au niveau de l’ONDAM général, c’est-à-dire 1,75 % : cela nous dispenserait sans doute d’évoquer comme nous le faisons aujourd’hui la question du coût de l’innovation. En effet, une telle révision de l’ONDAM injecterait dans le système de quoi financer les produits innovants.

J’insiste enfin sur le fait que, si l’innovation a un coût, elle est aussi une formidable chance de moderniser notre système de soins, pour peu qu’on aborde la question sous un angle plus large que celui du seul prix des médicaments innovants, car nous ne trouverons aucune solution en raisonnant en silo.

J’en veux pour preuve l’étude que nous avons menée sur l’introduction des anti- TNFα en Allemagne et en France, qui montre que l’Allemagne est parvenue à baisser sensiblement ses coûts de production en restructurant ses services de rhumatologie et en étendant l’usage de ces traitements à la médecine de ville, tandis que la France n’a pas touché à l’organisation de la rhumatologie et réservé l’usage des anti-TNFα à l’hôpital. En fin de compte, le coût de prise en charge des patients a baissé de 6 % en Allemagne, contre seulement 0,5 % en France. Une étude prospective de ce type sur le cancer de la prostate montre que, grâce à l’innovation, des gains d’efficience de l’ordre de 12 à 15 % sont possibles en matière de prise en charge des patients, dès lors que notre système se montre capable de capturer les économies générées par les innovations dans l’organisation des soins.

M. David Setboun, vice-président de l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR). Le LIR procède à de nombreuses études afin d’évaluer à la fois l’impact des innovations sur la vie et la qualité de vie du patient et sur son accès au système de soins. Il est évident en effet que chaque innovation modifie le parcours de soins d’un patient. Dans la plupart des cas, elle lui permet d’être traité plus efficacement, en ayant moins recours aux services hospitaliers.

Une étude américaine a démontré récemment qu’une meilleure coordination des soins permettrait d’économiser 200 milliards de dollars. En transférant cet ordre de grandeur au modèle français, il apparaît que l’innovation peut avoir des incidences majeures sur la coordination des soins, sachant que 15 à 20 % du temps des professionnels de santé est actuellement absorbé par des tâches liées à cette coordination.

Si la France avait, comme certains pays où le traitement de certaines maladies est davantage pris en charge par la médecine de ville, la capacité de mieux intégrer les innovations dans le système de santé, elle économiserait en trois ans et sur une seule pathologie, 70 millions d’euros. Il est donc important à nos yeux que les patients puissent non seulement bénéficier de ces nouveaux traitements mais également avoir accès à l’information, en particulier lorsqu’ils sont atteints de maladies chroniques.

M. Éric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales des Entreprises du médicament (LEEM). L’opinion publique nous interpelle à travers les médias sur la soutenabilité du système face à l’arrivée des innovations et sur la rationalité des prix. En d’autres termes, on nous demande comment les industriels fabriquent leurs prix et si les arbres peuvent monter jusqu’au ciel.

Le prix du médicament en France est administré, c’est-à-dire qu’il est fixé par l’État, à l’issue d’une négociation, souvent très longue, avec les industriels. Pour comprendre la manière dont ces derniers élaborent le prix qu’ils vont soumettre à la négociation, il faut comprendre que ce prix doit avant tout leur garantir la capacité de pouvoir continuer à investir dans la recherche et le développement de nouvelles innovations, afin d’alimenter, dans un cercle vertueux pour la société, le système de production du progrès thérapeutique.

Le parcours de recherche et développement d’un médicament est très long – là où il faut en moyenne six ans pour mettre au point un Airbus, il en faut douze pour un médicament –, très coûteux – il faut compter 1,5 milliard de dollars pour mettre au point une nouvelle molécule – et très risqué. C’est cette triple contrainte que les industriels intègrent dans le prix d’un médicament, et c’est pourquoi nous récusons toute construction analytique du prix d’un médicament. On ne peut en effet construire ce prix à partir de la somme des coûts de production, pas plus qu’on ne peut le construire à partir de l’évaluation des coûts de recherche et développement auxquels s’ajouterait la marge de l’industriel. Il est en effet impossible d’individualiser ces coûts par pays ou par produit : lorsqu’un industriel investit dans un « pipeline » d’innovations, il le fait dans le cadre d’une enveloppe globale.

Nous proposons donc une nouvelle lecture, transactionnelle et holistique, du prix du médicament, considéré comme la résultante des enjeux croisés défendus par tous les acteurs ayant légitimité à négocier le prix d’un médicament, à savoir le vendeur – c’est-à-dire l’industriel –, l’acheteur – en l’occurrence, le Comité économique des produits de santé (CEPS), qui fait office de régulateur –, auxquels s’ajoute désormais un troisième acteur : les utilisateurs.

Considérant l’ensemble des attentes de ces trois acteurs, nous vous proposons trois pistes de réforme. En premier lieu, nous admettons, avec les associations de patients, que l’accès aux traitements innovants ne peut être la variable d’ajustement du coût de l’innovation ; en d’autres termes, tous les patients qui ont besoin d’une innovation doivent y avoir accès. Pour aller au-delà de l’incantation, nous proposons que chaque lancement d’une innovation de rupture s’accompagne d’un plan de diffusion, qui détermine avec précision et dans une perspective dynamique, c’est-à-dire sur la durée, les populations cibles. Nous proposons surtout que ces plans de diffusion intègrent les réformes organisationnelles du système de santé nécessaires pour que ces innovations arrivent dans les meilleures conditions d’efficience aux patients.

En second lieu, nous plaidons pour une meilleure prise en compte du bénéfice thérapeutique ajouté. Il est inconcevable en effet que certains prétendent décorréler le prix d’une innovation de sa valeur sociale, c’est-à-dire de ce qu’elle représente comme bénéfice pour la société. Il n’y a pas meilleure motivation en effet pour un industriel que la perspective d’être mieux rémunéré pour ces innovations, à hauteur du progrès thérapeutique qu’il apportera aux patients.

En troisième lieu, afin d’améliorer la démocratie sanitaire et de répondre à tous ceux qui nous interpellent de manière parfois irrationnelle et nous reprochent une trop grande opacité, nous sommes disposés à ce que les associations de patients soient associées, à titre consultatif, au processus de détermination du prix des médicaments.

Mme la présidente Catherine Lemorton. J’aimerais rappeler que, sous cette législature, ont été prises deux décisions facilitant les essais cliniques : d’une part, le vote d’une proposition de loi sur les cellules souches embryonnaires, et, d’autre part, la signature par Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, et Geneviève Fioraso, ministre de la recherche, d’une convention unique limitant à soixante jours les délais de contractualisation pour les essais cliniques.

M. Gérard Bapt. Cette série d’auditions sur le prix du médicament se justifie d’autant plus que, depuis que s’est posée la question de la prise en charge du Sovaldi, premier antiviral d’action directe (AAD), nous sommes interpellés non seulement par l’opinion publique mais par les plus grands noms de la médecine et de la cancérologie – la commission a auditionné la semaine dernière les professeurs Maraninchi et Vernant –, sans parler de la revue Prescrire, que je ne considère pas comme la Bible mais qui enrichit indéniablement la réflexion sur le médicament, et qui a publié un article intitulé : « L’année du médicament : peu de progrès et des menaces sur l’accès pour tous à des soins de qualité ». Enfin, comment ne pas s’interroger sur le fait que l’industrie pharmaceutique est réputée l’une des plus rentables du secteur industriel – réputation que l’on peut d’ailleurs étendre à l’industrie chimique qui fabrique les pesticides ?

Par ailleurs, malgré les efforts que nous avons faits pour faciliter l’accès rapide aux médicaments innovants, qu’il s’agisse des dispositions législatives ou réglementaires que vient d’évoquer notre présidente, des autorisations temporaires d’utilisation (ATU), des recommandations temporaires d’utilisation (RTU) ou de l’accord-cadre que vous avez signé avec le Gouvernement, il semble que nous n’ayons pas tiré tous les bénéfices attendus de l’essor des biotechnologies, votre industrie ayant mal négocié ce virage et la France se retrouvant avec un nombre de sites de production de biomédicaments inférieur à celui de ses concurrents.

M. Lamoureux a souligné que la bosse du surcoût de l’innovation historique qu’a constituée l’arrivée des AAD dans le traitement de l’hépatite C avait été rapidement résorbée, mais il a également critiqué la façon dont cela avait été possible : grâce à la création d’un taux W et d’un taux L négatif.

Pour la première fois dans notre pays, la prescription d’un médicament fait l’objet de restrictions obéissant à des raisons financières puisque, en fonction des recommandations de la HAS, la prise en charge des traitements contre l’hépatite C dépend du degré de fibrose.

Enfin, une étude de la Commission des comptes de la sécurité sociale montre que, par rapport aux autres pays européens, le coût à long terme des traitements anticancéreux est plus élevé en France, en raison d’un accès plus rapide aux médicaments innovants et d’un prix initial moins avantageux.

Face à cette situation, vous vous dites prêts à des réformes, et nous vous rejoignons lorsque vous affirmez que l’accès aux traitements innovants ne peut en aucun cas constituer une variable d’ajustement. Il importe donc que vous engagiez avec la HAS un travail permettant d’améliorer la prédiction en la matière.

En ce qui concerne le bénéfice thérapeutique ajouté, vous insistez sur la nécessité de corréler le prix du médicament avec sa valeur sociale, mais n’est-ce pas déjà ce que fait la HAS à travers la notion de service médical rendu (SMR) ? Il faudrait donc que vous précisiez votre proposition sur ce point.

Quant à la démocratisation sanitaire, la loi de modernisation de notre système de santé comporte des dispositions en ce sens, même si les décrets ne sont pas encore sortis. Pour ce qui me concerne j’aurais souhaité que les parlementaires et notamment les rapporteurs du budget de la sécurité sociale soient associés aux négociations menées au sein du CEPS, qui demeurent opaques à nos yeux.

J’aurais voulu enfin une précision technique : dans le document accompagnant l’accord-cadre, vous évaluez à 5 milliards d’euros le coût de la recherche et développement pour nos entreprises et à 40 millions d’euros le montant de la recherche publique. Or le professeur Vernant nous a déclaré que les laboratoires pharmaceutiques se nourrissaient de la recherche académique : n’y a-t-il pas une contradiction entre votre analyse et la sienne ?

M. Jean-Pierre Barbier. Vous nous avez délivré ce matin un formidable message d’espoir car, dans une société où le médicament est largement décrié et où le progrès est accusé de tous les maux, il importe d’avoir confiance dans l’innovation et de croire dans ces molécules qui, demain, pourront soulager, soigner et guérir des personnes pour lesquelles il n’y avait, il y a quelques années, aucun espoir. Mais lorsque naît un grand espoir, il s’accompagne souvent de grandes peurs, en l’occurrence celle qu’éprouvent nos concitoyens à l’idée de ne pouvoir bénéficier de médicaments dont le prix prohibitif fait l’objet d’une publicité quelque peu anarchique dans les médias. Dans ces conditions, le premier défi auquel nous sommes confrontés est d’assurer la pérennité de la recherche au sein de l’industrie pharmaceutique française.

En ce qui concerne ensuite la solidarité nationale, vous avez souligné que l’innovation ne représentait que 2 % des sommes consacrées au médicament. Il est donc plus que temps d’en finir avec l’équation financière qui régit le PLFSS et fait peser sur les 98 % restants le poids d’un milliard d’euros d’économies, avec le risque de voir le prix du médicament descendre en France en deçà de son niveau moyen sur les marchés allemand, anglais, espagnol ou italien et de devoir affronter des situations de rupture de stock pour certaines molécules.

Par ailleurs, il faut cesser de raisonner à court terme en matière de médicament et instaurer dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, une gestion pluriannuelle, qui tienne compte des économies futures que permettra de réaliser un médicament innovant, en entraînant la disparition de traitements connexes. On ne peut en effet faire peser sur le seul médicament le poids des économies demandées à notre système de santé.

Enfin, vous appelez à faire participer tous les acteurs concernés aux négociations sur le médicament. Il me semble que cela doit également inclure les grossistes, les répartiteurs et les pharmaciens, qui délivrent les médicaments.

J’en termine par une mise en garde : le médicament innovant ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, et nous devons tout faire pour éviter de mettre davantage en difficulté l’industrie du médicament.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que le père du projet de loi de financement de la sécurité sociale voté annuellement est Alain Juppé.

M. Jean Leonetti. En tant que présidente, vous n’avez pas à faire de telles interventions !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Leonetti, je voudrais que vous ne vous mépreniez pas sur mes propos. Si j’évoquais la mise en place du PLFSS par Alain Juppé c’est qu’il me paraît propre à garantir une certaine transparence.

M. Arnaud Richard. Le médicament représente un secteur d’activité majeur de notre économie. Certes, il est rentable, monsieur Bapt, mais il n’est pas encore interdit de gagner de l’argent dans notre pays ! Le Gouvernement en a d’ailleurs fait sa vache à lait, au travers du PLFSS, alors même que, compte tenu des enjeux en matière de sécurité sanitaire et d’accès aux soins, l’industrie pharmaceutique ne peut être traitée comme n’importe quel autre secteur industriel ; si nous ne changeons pas de politique, il est plus que probable que les fabricants de médicaments iront voir ailleurs, et nous nous en mordrons les doigts. Devons-nous donc nous satisfaire de la manière dont est élaboré le PLFSS et dont nous en débattons, sachant qu’il représente un montant supérieur à celui du budget de l’État ?

Je rejoins néanmoins Gérard Bapt sur un point, celui de l’opacité des procédures servant à fixer le prix et le remboursement des médicaments. Quel rôle pourrait donc jouer le Parlement dans cet exercice complexe ?

M. Dominique Dord. Il est intéressant, messieurs, que vous ayez insisté sur le fait que le prix du médicament intégrait le coût de la recherche future. Sur deux arguments que l’on vous oppose souvent, vous ne vous êtes néanmoins pas exprimés. Le premier est que la recherche fondamentale est le plus souvent financée par de la dépense publique, ce qui ne justifie pas que les laboratoires intègrent son coût dans leurs prix ; l’autre touche à la différence de prix qui existe, pour une même molécule, d’un pays développé à l’autre : pourquoi certains médicaments innovants sont-ils en France de deux à trois fois plus chers que dans des pays comparables aux nôtre ?

M. Gérard Sebaoun. Il est légitime qu’en tant qu’industriels vous défendiez le modèle français. Je constate toutefois que vos arguments ont évolué et ont changé de nature. Tandis que vous invoquiez auparavant la question des emplois délocalisables dans une industrie qui est l’un des fleurons de notre pays, vous vous référez plutôt aujourd’hui à une forme de responsabilité sociale de l’industrie pharmaceutique. S’agit-il d’une réelle prise de conscience ou n’est-ce pas plutôt – et j’ai conscience de ce que cette hypothèse a de polémique – un positionnement qui vise à vous rallier les faveurs de nos concitoyens, lesquels se sentent particulièrement attaqués par l’explosion du prix des médicaments ?

Vous n’en demeurez pas moins une industrie – florissante –, avec des coûts de fonctionnement, d’investissement – il s’agit d’ailleurs moins d’investissement dans la recherche pure que dans le développement de molécules que vous avez achetées très cher et qui ne sortent pas de vos laboratoires –, et des comptes à rendre aux actionnaires. Votre changement de discours n’est-il pas simplement le signe que le lobbying à l’ancienne a vécu ?

M. Bernard Perrut. L’industrie pharmaceutique apporte chaque jour de nouveaux espoirs aux malades et sauve des vies. C’est donc dans le respect de ce qu’elle est que nous devons aborder le dialogue sur le prix du médicament. La tribune publiée par cent dix cancérologues nous a néanmoins interpellés, comme elle a interpellé nos concitoyens. Elle aura au moins eu le mérite de porter le débat sur la place publique et de donner à cet enjeu toute la transparence qu’il mérite. Il est normal en effet que nos concitoyens obtiennent sur la fixation des prix des explications fiables et documentées, tout comme il est important qu’ils comprennent que ce prix est celui de l’innovation et donc de la médecine de demain.

On ne peut néanmoins admettre que des traitements soient écartés en raison de leur coût. Il ne peut y avoir dans notre pays de médecine à plusieurs vitesses.

Qu’en est-il plus spécifiquement des maladies rares, qui affectent moins d’une personne sur deux mille dans notre pays et pour lesquelles la recherche souffre de difficultés de financement ? Où en sont les propositions faites par le LEEM au sujet de ces maladies rares, et comment entendez-vous faciliter le développement et la mise à disposition des médicaments innovants indispensables au traitement de ces maladies ?

Mme Michèle Delaunay. La question du médicament nous renvoie au manque de cohésion de l’Europe en la matière. Ne devrait-on pas envisager que les ministères de la santé européens procèdent à des achats de médicaments groupés, non seulement pour harmoniser les prix mais également pour les faire baisser ? Une telle proposition se heurte hélas à l’individualisme des États membres, l’opposition des Allemands étant particulièrement forte – et l’on comprendra sans mal pourquoi.

M. Arnaud Viala. Dans ce domaine comme dans d’autres, il faut arrêter de dire aux Français qu’on fera toujours mieux avec moins. J’aimerais savoir, cela étant, si les difficultés que vous avez évoquées ont une incidence sur le rang occupé par la France au niveau international en matière de recherche et développement ?

Quelles sont par ailleurs, en matière de recherche appliquée, les difficultés que vous pouvez rencontrer avec votre tutelle, en phase d’élaboration de molécules nouvelles et de traitements nouveaux avant que ces derniers puissent être mis sur le marché ?

M. Fernand Siré. J’ai été médecin généraliste pendant quarante ans, et je suis bien obligé de constater que la médecine a changé : alors qu’auparavant les gens entraient en maison de retraite à soixante-quinze ans, ils y entrent aujourd’hui à quatre-vingt-quinze ans. Si on doit se féliciter de cet allongement de la durée de vie et des progrès thérapeutiques, on a oublié que la recherche coûtait de plus en plus chère. Il nous faut définir un nouveau système, dans lequel la sécurité sociale, les mutuelles et les organisations internationales devront prendre toute leur part, assumer une portion des pertes financières liées à la recherche et contribuer au financement de médicaments choisis non pour leur rentabilité mais pour leur efficacité. Cette mutualisation devrait permettre d’obtenir les médicaments à leur coût réel.

M. Jean-Louis Touraine. Nous sommes à l’aube d’un tournant important pour l’industrie pharmaceutique et l’innovation. D’abord parce que les progrès thérapeutiques connaissent une progression exponentielle, ensuite parce que le modèle des médicaments blockbusters fait progressivement place à un modèle qui repose sur les biotechnologies et des médicaments plus nombreux, mieux ciblés vers des groupes de patients plus limités. Nous devons donc repenser nos schémas pour les adapter au XXIe siècle.

Quant à l’innovation, insuffisante dans notre pays, elle est assez peu le fait de l’industrie pharmaceutique et provient surtout de start-up, de la recherche publique ou d’autres organismes, l’industrie pharmaceutique prenant le relais en rachetant soit des brevets soit ces start-up innovantes. Alors qu’auparavant l’industrie disposait d’un important secteur de recherche, celle-ci est désormais externalisée. Elle est donc financée par les pouvoirs publics, à charge pour les industriels d’en assurer le développement.

Nous disposons actuellement de moyens comme les ATU, qui permettent une mise en place rapide des traitements, ce qui représente un avantage par rapport aux autres pays européens ; mais, à l’avenir, nous devons faire en sorte que la concertation entre les pouvoirs publics et les industriels interviennent beaucoup plus en amont – cinq ans au moins – avant la mise sur le marché. Cette concertation doit permettre au Parlement de prendre des dispositions qui, tenant compte du volume et du coût des médicaments, permettront d’éviter les excès. Je pense, comme Michèle Delaunay, que cette concertation devrait se faire au niveau européen, compte tenu de la dimension internationale de la plupart des groupes pharmaceutiques.

M. Arnaud Richard. Quel regard portez-vous sur l’accord-cadre signé entre le LEEM et le CEPS, et notamment sur le délai de 75 jours imposé à ce dernier pour proposer un projet de convention ?

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur Schrever, vous nous avez dit que les industries pharmaceutiques investissaient en moyenne 20 % de leur chiffre d’affaires dans la recherche. Qu’intégrez-vous précisément dans ce poste ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Ne pensez-vous pas, messieurs, que le fait que le développement des génériques ait été largement freiné en France par rapport aux autres pays, notamment l’Allemagne, vous a privé d’une manne qui vous aurait permis d’investir davantage dans la recherche ?

Par ailleurs, vous avez évoqué Airbus, mais l’industrie pharmaceutique occupe une position très spécifique : non seulement elle bénéficie du crédit impôt recherche, du crédit impôt compétitivité emploi, du pacte de responsabilité mais, de surcroît, elle est solvabilisée par la sécurité sociale.

M. Patrick Errard. Monsieur Bapt, vous avez insisté sur le fait qu’on ne doit pas restreindre la population cible des médicaments innovants en fonction du prix de ces médicaments ; je ne peux que partager votre avis. Néanmoins je ne peux vous laisser dire que telle serait, indirectement, l’intention de la HAS, qui est souveraine dans la définition du SMR et de la population-cible – je préfère d’ailleurs que cela incombe à la HAS qu’à Prescrire. Vos propos remettent en question l’indépendance de la HAS.

M. Gérard Bapt. Sans doute me suis-je mal exprimé, car vous m’avez mal compris.

M. Patrick Errard. Il faut faire en sorte que la définition de la population-cible tienne compte du rapport bénéfice-risque, d’où le fait que, en particulier en cancérologie, on cible d’abord, par mesure de sécurité, des populations restreintes, que l’on élargit progressivement au fur et à mesure des avancées de la recherche.

M. Barbier a rappelé combien il était important de définir les objectifs assignés au médicament dans un cadre pluriannuel. Le LEEM soutient depuis longtemps une telle proposition, car plusieurs années sont nécessaires pour mesurer tous les effets d’une innovation. Nous plaidons donc pour une élaboration quinquennale des budgets et des politiques de santé.

Je suis également d’accord sur le fait que l’ensemble des acteurs de santé doivent être impliqués dans ce débat, tout comme je considère le rôle du Parlement comme essentiel. C’est à lui que revient de fixer, de façon pluriannuelle, les lignes directrices en matière de financement des innovations. Cela ne signifie pas qu’il doive se substituer au CEPS, d’autant que je conteste le fait que celui-ci agisse dans l’opacité. À l’initiative de la refondation de l’accord-cadre en début d’année, le LEEM ne peut que se féliciter des clarifications qu’elle a apportées et considère que le CEPS doit rester le maître d’œuvre de la régulation conventionnelle avec les industriels du médicament. Il procède selon des règles connues, les prix des médicaments étant fixés en fonction de leur valeur ajoutée, de leur efficience et de leur impact budgétaire. Par ailleurs des remises sont consenties par les industriels sur certains médicaments pour que le prix moyen payé par la collectivité ne soit pas supérieur à leur efficience telle qu’elle a été évaluée par la HAS.

Monsieur Sebaoun, vous avez évoqué une évolution du discours des industriels du médicament, allant jusqu’à laisser entendre qu’il s’agirait d’une posture. Nous ne sommes pas dans la posture. Nous sommes des industries responsables, qui évoluons avec notre temps et nos innovations. Si l’emploi reste une question majeure, comme dans toute industrie, nous assumons et revendiquons notre volonté de nous inscrire dans une forme de responsabilité sociale. Au-delà des impératifs économiques, c’est la santé des patients que nous avons entre les mains. Nous ne sommes ni des vendeurs de cigarettes ni des marchands d’armes !

Monsieur Touraine, les start-up ne sont pas « hors-sol » par rapport à l’industrie du médicament, mais en font partie. Notre industrie en effet ne se limite pas au Big Pharma, mais se compose d’une multitude d’entreprises, dont en effet beaucoup de jeunes pousses axées sur la recherche. Je ne sais d’où sort l’idée que la recherche fondamentale serait pour l’essentiel une recherche publique, mais c’est totalement faux. Je vous invite à visiter les centres de recherche de certaines de nos entreprises : vous verrez que l’on y fait de la recherche fondamentale et que la découverte de nouveaux médicaments ne découle pas uniquement de la recherche publique.

Les ATU sont des mécanismes d’une grande importance pour l’accès précoce au marché. Nous avons d’ailleurs proposé d’intégrer dans l’accord-cadre un mécanisme qui fixe plus en amont les conditions d’accès précoce au marché pour les médicaments innovants.

Pour conclure, je voudrais rappeler que ce ne sont pas les industriels du médicament qui fixent leurs prix mais l’État, à partir des propositions que nous faisons. Quant aux variations de prix d’un pays à l’autre, elles s’expliquent par les différences qui existent entre les systèmes de prise en charge des soins. Néanmoins, l’accord-cadre prévoit que le prix moyen européen est garanti. À cet égard, la France, grâce à son système de remises et de taxes, contribue de manière significative à maintenir les prix dans le bas de la fourchette.

Quoi qu’il en soit, les mécanismes de fixation des prix doivent être clarifiés et connus de tous afin qu’ils ne viennent pas parasiter le débat sur le prix du médicament. En effet, il est parfaitement inapproprié de prétendre que l’État et les hauts fonctionnaires qui président à la régulation entretiendraient un système opaque.

M. Éric Baseilhac. Monsieur Bapt nous a interrogés sur la part exacte de l’investissement public dans le total de l’investissement en recherche et développement. C’est un chiffre difficile à reconstituer, ce qui confirme que l’on aurait tort d’opposer recherche publique et recherche privée, a fortiori à un moment où le secteur est en pleine mutation et où l’on s’oriente vers un système d’open innovation, véritable écosystème dans lequel recherche publique et recherche privée sont très étroitement intriquées, à tous les niveaux.

Néanmoins, pour aller au-delà des chiffres cités par une revue à laquelle vous faisiez référence – qui est une publication du ministère de la recherche – je vous invite à consulter une étude de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) datant de 2012, selon laquelle, en additionnant tous les financements publics consacrés à la recherche, à travers les instituts hospitalo-universitaires (IHU), le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), on obtient une somme de 482 millions d’euros. Si l’on y ajoute les 473 millions du crédit impôt recherche, et si l’on considère qu’en 2012 le coût total de la recherche en France s’établissait à 4,789 milliards d’euros, le financement public de la recherche est donc de l’ordre de 20 %.

M. Philippe Lamoureux. Compte tenu du coût et de la durée de la recherche, de la durée d’immobilisation des capitaux et des risques – sur cent molécules sélectionnées en essais de phase 1, sept seulement arrivent sur le marché, toutes n’obtenant malheureusement pas une amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau I à III et étant donc commercialisées à faibles prix –, l’industrie pharmaceutique doit assurer un minimum de rentabilité afin de pouvoir lever des capitaux. De ce point de vue, la comparaison avec le secteur du luxe, où l’on achète une marque et non de l’efficacité et du soin, est erronée. En revanche, nos taux de rentabilité sont relativement comparables à ceux de la high-tech, à cette différence près que nous sommes financés grâce à des fonds publics.

En matière de biotechnologies, il n’est pas exact de dire que nous sommes derrière nos voisins. En revanche, nous avons un problème de taille et de capitalisation des entreprises, et nous devons faire en sorte qu’elles atteignent la masse critique, afin de leur donner toutes leurs chances.

Monsieur Bapt, nous nous sommes en effet opposés très vivement à l’instauration du taux W et du taux L dans le PLFSS, d’abord parce qu’il nous semblait que nous aurions pu trouver des solutions aussi efficaces par la voie conventionnelle, ensuite parce que le dispositif qui a été voté était parfaitement illisible, les industriels devant, pour le calcul de leur contribution, déclarer des sommes dont ils n’avaient pas connaissance – autant dire que cela n’a pas contribué à rallier les maisons-mères internationales au système français…

En ce qui concerne les maladies rares, un troisième plan national est annoncé, dont nous espérons qu’il reprendra une partie des propositions faites par la plateforme « maladies rares ».

Quant à la place de la France en matière de recherche et développement, nous sommes globalement en recul, mais nous gardons des positions relativement fortes dans certaines aires thérapeutiques, comme l’oncologie, certaines maladies rares ou l’infectiologie ; dans le champ des maladies métaboliques ou cardiovasculaires, nous avons en revanche perdu du terrain, comme d’ailleurs l’ensemble de l’Europe. C’est une des raisons pour lesquelles nous insistons largement sur ce point dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) et du comité de filière, car tout ce qui permettra de fluidifier et de faciliter la prise de décision renforcera notre compétitivité.

M. Cyril Schiever. Notre pays bénéficie d’un excellent tissu de recherche en oncologie, et nombreux sont les groupes pharmaceutiques qui ont privilégié la France pour leurs développements cliniques.

Le développement des médicaments anticancéreux s’accompagne de nombreuses questions qui concernent l’immunothérapie, la manière dont les patients répondent ou ne répondent pas aux traitements, la durée de ces derniers, l’emploi combiné de différentes molécules. Sur les milliers d’essais cliniques ont lieu partout dans le monde, nous avons envie que ce soient les mille qui ont lieu en France qui permettent d’apporter les réponses à ces questions. Cela implique d’évaluer ces médicaments dans la vraie vie, sachant que de cette évaluation au fil de leur prescription vont découler des évolutions dans leur prise en charge.

Il y a une vingtaine d’années, lorsqu’un nouveau médicament arrivait dans une classe thérapeutique, il fallait attendre près de dix ans pour voir apparaître une nouvelle innovation dans cette classe thérapeutique. Depuis cinq ans et pour cinq ans encore, chaque année apporte son innovation. Si la France veut prendre part à cette marche du progrès et améliorer son positionnement mondial, nous devons faire en sorte que le coût des médicaments et la réglementation permettent à la recherche de se développer et offrent aux patients un accès rapide aux traitements innovants, de manière soutenable pour notre système de santé, sachant qu’avec la diffusion de l’innovation, les coûts baissent.

M. Patrick Errard. Le LEEM souhaite que, au-delà des divergences de vues entre les uns et les autres, le médicament puisse faire l’objet d’un débat serein. C’est la raison pour laquelle nous avons été extrêmement peinés de la réaction de nos confrères oncologues, de celle de la Ligue contre le cancer, qui a été jusqu’à afficher de manière surréaliste sa campagne dans des bureaux de tabac, ou encore de celle de Médecins du monde, que je connais bien pour avoir voulu, à une époque, m’engager en tant que médecin dans l’action humanitaire. Je voudrais plutôt qu’ils nous rejoignent, avec les parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, dans un débat auquel les industriels sont prêts à participer avec toute la hauteur de vue que le sujet mérite.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous aurez compris qu’en tant que législateur, nous nous devons d’assurer la solvabilité du système afin de garantir l’accès aux soins pour tous. Il était donc important que nous entendions votre voix, qui vient rééquilibrer celles qui se sont antérieurement exprimées, notamment dans la tribune déjà évoquée. Nous vous en remercions.

Puis, elle procède à l’audition de M. Maurice-Pierre Planel, président, et de Dr Jean-Patrick Sales, vice-président du Comité économique des produits de santé (CEPS).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Après les Entreprises du médicament (LEEM) et l’Association des laboratoires internationaux de recherche (LIR), nous recevons maintenant deux représentants du Comité économique des produits de santé (CEPS) : son président, M. Maurice-Pierre Planel, et son vice-président pour la section des médicaments.

Messieurs, les auditions de notre commission sur les prix des médicaments ont été décidées après la parution dans la presse de la tribune des cent dix cancérologues et hématologues. Depuis, la campagne de publicité de Médecins du monde est encore venue montrer toute l’actualité de ce problème.

On entend fréquemment critiquer l’opacité du processus de fixation des prix, dont vous êtes chargés, même si tous les acteurs du domaine sont associés à ce processus.

Je vous propose de prendre la parole pour un bref exposé liminaire, après lequel nous vous poserons des questions.

M. Maurice-Pierre Planel, président du Comité économique des produits de santé (CEPS). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je commencerai par exposer le rôle du Comité économique des produits de santé (CEPS) au sein du système de gouvernance du médicament.

Nous sommes compétents en matière de produits remboursables en ville, c’est-à-dire des produits qui sont disponibles dans les officines, ainsi qu’en matière de médicaments inscrits sur la « liste en sus », qui rassemble les médicaments facturés en sus des tarifs hospitaliers. A contrario, nous ne sommes pas compétents en matière de médicaments dispensés lors de séjours à l’hôpital et qui sont facturés à l’intérieur des groupes homogènes de séjour prévus par la tarification à l’activité (T2A). Quant aux médicaments non remboursables, leur prix est libre.

Nous intervenons dans une chaîne de décision qui comporte trois acteurs.

Le premier, c’est l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), établissement public de l’État qui délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) ; elle ne prend ses décisions que sur la base d’informations de sécurité sanitaire, c’est-à-dire d’une évaluation du bénéfice et du risque : elle ne se prononce pas sur le prix du médicament.

Elle délivre également des autorisations temporaires d’utilisation (ATU), c’est-à-dire qu’elle autorise que soient mis à disposition des patients des médicaments qui ne disposent pas encore d’une autorisation de mise sur le marché, c’est-à-dire qui n’ont pas encore été examinés par la Haute Autorité de santé (HAS) et le CEPS, et pour lesquels le processus de fixation du prix n’a pas encore été déclenché.

Le deuxième acteur, c’est donc la HAS, et plus particulièrement sa commission de la transparence. Elle fixe le service médical rendu (SMR) d’un produit : majeur ou important, modéré, faible ; elle décide donc si le produit doit être, ou pas, remboursé. Quand nous examinons le dossier, le principe du remboursement du produit est donc déjà acquis.

La HAS fixe également l’amélioration du service médical rendu des produits (ASMR), dont le code de la sécurité sociale fait l’un des principaux critères de fixation du prix. Il y a cinq niveaux d’ASMR – de I, niveau le plus innovant, à V, le moins innovant. Nous regroupons en pratique les trois premiers niveaux, et nous traitons trois blocs : I à III, IV et V.

La HAS procède enfin pour les produits innovants à une analyse médico-économique des produits qu’elle nous transmet avec les avis de la commission de la transparence fixant l’ASMR.

Le troisième acteur, c’est le CEPS, organisme interministériel, placé sous l’autorité des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie, c’est-à-dire de Mme Touraine, de MM. Sapin et Eckert, et de M. Macron.

Dans sa formation actuelle, il existe depuis 1997. Il a été créé pour mettre fin aux accusations d’opacité du processus de fixation du prix : jusque-là, l’administration centrale fixait un prix « technique », validé ensuite par le cabinet du ou de la ministre.

Le CEPS est composé de dix personnes.

Il comprend d’abord six représentants de l’État, à commencer par le président et le vice-président concerné – il y en a deux, l’un, le docteur Jean-Patrick Sales, pour la section des médicaments et l’autre, André Tanti, pour la section des dispositifs médicaux. Tout ce que je dis sur les médicaments peut d’ailleurs être peu ou prou transposé aux dispositifs médicaux : dans le débat qui nous intéresse aujourd’hui, les différences sont marginales.

Quatre administrations centrales sont également représentées : direction de la sécurité sociale – qui est sous la double tutelle du ministère des affaires sociales et du ministère des comptes publics –, direction générale de la santé (DGS), direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), direction générale des entreprises (DGE).

Le CEPS comprend ensuite trois représentants des caisses d’assurance maladie : deux représentants du régime général, un du Régime social des indépendants (RSI) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA). En pratique, le RSI siège dans la section des médicaments, la MSA dans celle des dispositifs médicaux.

Enfin, le CEPS comprend un représentant de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM).

À ces dix personnes disposant d’une voix délibérative s’ajoutent deux personnes disposant d’une voix consultative : un représentant de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) – qui nous éclaire sur les dossiers relatifs aux médicaments à l’hôpital – et un représentant de la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI), cette dimension étant essentielle dans le domaine du médicament.

Le CEPS a pour mission de contribuer à l’élaboration de la politique du médicament, mais sa mission principale est bien de fixer les prix de certains médicaments dont je vous ai indiqué le détail au début de ma présentation. Cette mission est encadrée par différents textes législatifs et réglementaires.

L’article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale détermine les règles de fixation des prix des médicaments remboursables par la sécurité sociale : il dispose que le prix est fixé par convention entre le CEPS et le laboratoire ; à défaut, le CEPS peut prendre une décision unilatérale, les ministres conservant un droit de regard sur le prix en cas de désaccord avec la proposition du CEPS.

Ce même article dispose également que « la fixation de ce prix tient compte principalement de l’amélioration du service médical rendu apportée par le médicament, le cas échéant des résultats de l’évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament ». Tous ces points figurent ordinairement dans l’avis de la commission de la transparence transmis par la HAS : ASMR, évaluation médico-économique lorsqu’elle existe, points de comparaison éventuels, population concernée.

Une lettre d’orientation des ministres, datée du 2 avril 2013, rappelle au CEPS les objectifs de la politique économique des produits de santé menée par le Gouvernement : garantie d’un accès effectif de tous à des soins de qualité, promotion du bon usage du médicament et de l’efficience de la dépense, valorisation des innovations, sources de progrès thérapeutique, transparence sur le processus de fixation des prix et cohérence des décisions, respect des objectifs annuels d’évolution des dépenses annuelles d’assurance maladie, soutien du dynamisme des industries de santé et développement de l’emploi.

Un accord-cadre a été signé entre le CEPS, avec l’accord et sa tutelle, et le syndicat des entreprises du médicament, le LEEM. Celui-ci prévoit notamment une « garantie de prix européen » pour tout médicament innovant, c’est-à-dire disposant d’une ASMR de I à III. Nous regardons donc les prix pratiqués en Espagne, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni, et nous demandons aux laboratoires que leur prix soit compatible avec les prix dans ces pays. Nous essayons toujours d’avoir le prix le plus bas.

J’insiste sur le fait que cette garantie de prix européen ne vaut que pour le prix public.

Enfin, nous signons une convention avec chaque laboratoire pour chaque produit, les décisions de prix étant prises produit par produit et non globalement par laboratoire.

Si nous fixons du prix initial d’un médicament lors de son entrée sur le marché, notre activité principale est de faire baisser régulièrement les prix des produits qui sont déjà commercialisés : nous révisons environ cinq mille prix chaque année. Ces baisses de prix peuvent être prévues par une clause contractuelle, provoquées par l’arrivée d’un comparateur, d’un nouveau produit, d’un générique ou par la réévaluation d’une classe thérapeutique par la HAS…

Vous savez enfin, en tant que législateurs, que le prix n’est pas le seul mécanisme de régulation de la dépense de médicament : il existe également des mécanismes législatifs. Le taux L permet de récupérer une partie du chiffre d’affaires des laboratoires, au-delà d’un certain seuil ; quant au taux W, il s’applique spécifiquement, pour les années 2014, 2015 et 2016, aux médicaments destinés à traiter l’hépatite C.

M. Gérard Bapt. Nous sommes souvent interpellés par la société civile sur cette question du prix des médicaments. Les représentants de l’industrie pharmaceutique se sont élevés, au cours de l’audition précédente, contre certains discours effectivement choquants ; mais de grands noms de la médecine, et certaines revues spécialisées, ont souligné qu’il existe bien un problème.

Une harmonisation européenne, notamment en ce qui concerne les médicaments à forte valeur ajoutée, serait une bonne chose ; je sais que la ministre de la santé s’efforce d’y parvenir, et le Président de la République lui-même a souligné récemment à Lyon l’importance d’agir au niveau international. Y a-t-il un espoir de parvenir à un résultat, alors que les systèmes européens de prise en charge diffèrent énormément d’un pays à l’autre ? Les Länder en Allemagne, les régions en Italie procèdent par appels d’offres ; au Royaume-Uni, il y a un contingentement, défini en fonction d’un calcul d’efficience, ce qu’il serait difficile de faire admettre en France.

L’affichage d’un taux L négatif ne paraît pas être une bonne chose, notamment en ce qui concerne les médicaments innovants, pour notre industrie, en particulier lorsqu’elle dépend de maisons mères situées à l’étranger.

Vous nous dites que tout est transparent, comme d’ailleurs les industriels. Mais, lorsque chaque année vous nous donnez le chiffre des reversements à l’assurance maladie, vous ne dressez pas de liste par laboratoire, en prenant prétexte du secret en matière commerciale et industrielle. Or cet argument avait été employé pour ne pas divulguer les conventions établies avec certains médecins, et – à l’initiative de l’Ordre national des médecins – il a été récusé par le Conseil d’État.

Si le problème est réel, ne pourrait-il y avoir, comme c’est le cas en matière de renseignement, une information de certains parlementaires – présidents ou rapporteurs de telle ou telle commission – sous réserve de confidentialité ? Il ne faut pas confondre le prix facial et le prix réel, vous l’avez dit ; mais nous n’arrivons pas à connaître le second, puisque vous ne nous donnez pas l’intégralité des chiffres !

S’agissant des délais pour l’accès d’un médicament au marché, l’industrie se plaint de leur longueur. Une directive européenne fixe des dates butoirs. Le directeur général de l’ANSM a indiqué, lors du dernier conseil d’administration, consentir de gros efforts pour raccourcir ces délais ; qu’en est-il au CEPS ? Vos effectifs sont-ils suffisants ?

M. Jean-Pierre Barbier. Merci de cette présentation. Le CEPS ne fait finalement que mettre en œuvre la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) telle que nous la votons. Il me semble que vous menez vos missions en faisant preuve de transparence, et dans le cadre qui vous est imposé – il est important de rappeler, comme vous l’avez fait, que vous ne fixez pas le prix du médicament hospitalier.

Le sentiment d’opacité peut venir des « remises arrière » versées par les laboratoires au système de santé. Ce point mérite peut être d’être mieux expliqué.

Il est bon d’établir des comparaisons avec différents pays européens, en ce qui concerne le prix du médicament mais aussi la consommation par classe thérapeutique. Mais encore faut-il que ces comparaisons servent à quelque chose : en 2013, votre prédécesseur, M. Dominique Giorgi, avait estimé que le médicament avait aujourd’hui atteint un prix plancher ; l’année suivante, les économies réalisées sur le prix du médicament se sont élevées à 1 milliard d’euros… Vos avis sont-ils toujours écoutés comme ils devraient l’être ?

S’agissant enfin des médicaments anti-cancéreux, et plus généralement des médicaments innovants, vous en fixez les prix. Cela veut dire que ce prix est inclus dans l’enveloppe des soins de ville, et non dans celle des médicaments hospitaliers. Or il n’y a pas de fongibilité des enveloppes. Il y a donc un effet pervers : le prix élevé des médicaments innovants entraîne des baisses de prix pour 98 % des autres, et cela provoque des ruptures de stock dans les officines. Quel est aujourd’hui l’intérêt de fixer le prix public de médicaments innovants qui sont prescrits par des médecins hospitaliers et qui, demain, feront faire des économies à l’hôpital et non à la médecine de ville ? J’aimerais vous entendre sur cette question de la fongibilité entre les enveloppes des soins de ville et de l’hôpital.

Vos études, qui sont de qualité, vous permettent-elles d’anticiper l’arrivée de molécules innovantes qui sont aujourd’hui dans les tuyaux, mais dont on connaît à peu près la date probable de sortie ? Sur quelle enveloppe les fonds nécessaires seront-ils prélevés ? Vous l’avez compris, utiliser l’enveloppe des soins hospitaliers me paraîtrait sage si l’on veut éviter des problèmes d’équilibre financier de notre système.

M. Arnaud Richard. Je ne répéterai ni ce qui vient d’être dit, ni ce que j’ai dit tout à l’heure lors de l’audition du LEEM et du LIR.

L’accord-cadre – qui permet d’assurer une certaine transparence, ce qui est une très bonne chose – a mis en place un comité de prospective des innovations médicamenteuses, afin d’examiner les progrès à venir et leurs possibles conséquences financières. Que pouvez-vous nous dire des travaux de ce comité qui partage, j’imagine, nos inquiétudes au sujet des futurs médicaments anti-cancéreux ?

Quel rôle pourrait jouer le Parlement dans le pilotage de la politique conventionnelle mise en place grâce à cet accord-cadre ?

Dans cet accord toujours, vous prenez l’engagement de ne pas laisser s’écouler plus de soixante-quinze jours entre le dépôt du dossier et la proposition de prix aux industriels. Où en êtes-vous sur ce point ?

M. Jean Leonetti. Merci de cet exposé très clair et très complet. J’approuve les propos de Jean-Pierre Barbier, et je voudrais les prolonger par une question : le principal critère de fixation du prix est, avez-vous dit, l’efficacité. Dans quelle proportion est-il pris en considération ? L’évaluation de l’efficacité tient-elle compte de la gravité de la maladie traitée, ainsi que de son caractère plus ou moins rare ?

Dans une logique économique, un médicament destiné à traiter une maladie largement répandue sera facilement amorti : la situation est donc plus favorable que pour un médicament qui traite une maladie très peu fréquente. Tenez-vous compte de ce critère de rentabilité ?

Tenez-vous compte également de la rentabilité médico-économique à moyen terme ? Un médicament qui guérit l’hépatite C de manière définitive entraîne une économie significative : il vaut mieux alors le payer très cher pendant très peu de temps, puisque les anciens malades, guéris, n’ont plus besoin d’être suivis à très long terme et soignés avec des médicaments moins efficaces.

Comment fonctionne la révision annuelle des prix ?

Enfin, existe-t-il en Europe de grandes disparités, ou bien les prix sont-ils équivalents, voire identiques, un peu partout ?

M. Michel Liebgott. Notre système est l’un des meilleurs du monde, nous en sommes tous convaincus. Mais comment faire en sorte que l’ensemble de la planète ait accès aux traitements innovants ? Beaucoup trop de gens meurent encore aujourd’hui de maladies faciles à traiter dans notre pays.

M. Arnaud Viala. Je voudrais revenir sur le traitement du cancer. Le développement des traitements ambulatoires par comprimés – qui semble se répandre de plus en plus – a-t-il des conséquences financières importantes ?

Mme Chaynesse Khirouni. J’ai posé tout à l’heure au LEEM, sans obtenir de réponse, la question suivante. Les laboratoires estiment à 20 % de leur chiffre d’affaires leurs dépenses de recherche ; j’aurais aimé savoir exactement ce qu’ils faisaient entrer dans ces dépenses. Votre expérience permet-elle de nous éclairer sur ce point ?

M. Yves Censi. Notre modèle de régulation économique du médicament est en effet exemplaire.

Avez-vous assez de recul pour faire des propositions de pilotage stratégique, dans une perspective de santé publique, ou bien appliquez-vous simplement les injonctions et les modèles de calcul qui vous sont donnés ? Je pense particulièrement à la tuberculose multirésistante, dont le développement très inquiétant exige des mesures fortes.

Avez-vous des contacts avec les pays africains ? Certaines épidémies ont en effet aujourd’hui des conséquences pour notre pays et notre continent – à nouveau, je citerai la tuberculose multirésistante.

M. Gérard Sebaoun. Ma question est simple : avez-vous les moyens – notamment humains – de remplir vos missions dans de bonnes conditions ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le 8 janvier 2014, l’ANSM a accordé une AMM au Sativex, médicament à base de cannabis déjà autorisé dans dix-sept autres pays européens. Mais, à ce jour, son prix public n’est toujours pas fixé : pourquoi ce blocage ?

M. Maurice-Pierre Planel. Merci de ces questions.

La question de l’opacité est revenue plusieurs fois. Elle nous met en difficulté : nous ne pouvons que redire que nos activités sont encadrées par des textes législatifs, réglementaires et conventionnels, et que les données que nous utilisons sont publiques – avis de la commission de la transparence de la HAS, AMM.

Il nous est souvent reproché de ne pas publier les procès-verbaux de nos délibérations ; mais je ne peux que vous renvoyer aux règles édictées par la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en matière de secret industriel et commercial.

La CADA distingue trois aspects : le secret des procédés, qui nous concerne assez peu puisque le CEPS n’est pas une structure d’expertise médicale ; le secret des informations économiques et financières ; le secret des stratégies commerciales.

La CADA précise que « le secret des informations économiques et financières couvre les renseignements relatifs à la situation économique d’une société, à sa santé financière et à l’état de son crédit », ce qui inclut l’ensemble des informations de nature à révéler le niveau d’activité. Ne sont ainsi pas communicables : le chiffre d’affaires, les volumes de production, les capacités d’exploitation et le montant des investissements, les volumes de matières premières utilisées et, de manière générale, les bases d’imposition ». En particulier, elle considère que le chiffre d’affaires d’un laboratoire pharmaceutique ne peut être communiqué.

M. Gérard Bapt. Dans l’affaire du Sovaldi, j’ai pu suivre trimestre par trimestre l’évolution du chiffre d’affaires de la société Gilead, l’excédent brut, les dépenses de marketing… Tout cela est très facilement accessible sur internet, et vous nous dites que la CADA vous interdit de communiquer ces renseignements ?

M. Maurice-Pierre Planel. Oui, monsieur le député. Dans le cas de Sovaldi, toutes les informations relatives à Gilead sont effectivement disponibles sur le site de la commission des opérations de bourse des Etats-Unis. Vous mettez le doigt sur un point crucial : les obligations de transparence qui pèsent sur les entreprises au titre des opérations boursières sont plus importantes que celles qui pèsent sur ces mêmes entreprises en raison de leur appartenance au champ sanitaire. Mais le CEPS, organisme administratif, ne peut que respecter la réglementation.

Quant aux délais et aux fameux 180 jours, c’est une source récurrente de débat entre l’industrie pharmaceutique et nous. Je suis le premier à reconnaître que les délais d’instruction administrative des dossiers peuvent être longs. J’ai été surpris de découvrir, en prenant mes fonctions, qu’il s’écoulait plusieurs semaines – et parfois deux mois – entre la délibération du CEPS qui fixe un prix, c’est-à-dire la conclusion de la négociation, et sa publication au Journal officiel. C’est trop, même si la validation des autorités de tutelle est nécessaire.

En revanche, pour le reste, nous faisons l’objet d’une injonction contradictoire : je dois conclure une négociation en 180 jours, mais comment dois-je la conclure ? Dois-je, le 180e jour, accepter le prix proposé par le laboratoire ou dois-je refuser définitivement ? Aujourd’hui, si le prix proposé nous semble trop élevé, nous refusons de signer et la négociation continue : si l’industriel veut entrer sur le marché, il doit accepter un compromis. Nous prenons sur nous d’aller au-delà des 180 jours. Empêcher le laboratoire d’avoir accès au marché est notre principal levier de négociation.

A contrario, lorsqu’un médicament dispose d’une ATU, il est déjà sur le marché : le laboratoire négocie avec nous pour fixer le prix d’un médicament déjà disponible ; le temps, cette fois, joue en faveur du laboratoire.

Nous sommes en train d’essayer de traiter la question des délais d’instruction administrative. Cela rejoint la question de nos moyens de fonctionnement. Aujourd’hui, nous sommes seize – quand la HAS a un effectif de 300 personnes environ, et l’ANSM d’un millier.

M. Jean Leonetti. Cela n’a rien à voir !

M. Maurice-Pierre Planel. Nous faisons faire un milliard d’économies par an au système de santé… Et vous nous demandez aussi d’être attentifs à l’évolution des prix en Europe, voire dans le monde. Pour remplir toutes ces tâches, nous avons absolument besoin d’emplois équivalents temps plein (ETP) supplémentaires – qui nous ont d’ailleurs été accordés, puisque nous serons bientôt vingt et un.

Nous pourrons donc raccourcir les délais, mais aussi travailler sur la veille stratégique, tant sur les tarifs en Europe que sur les innovations qui se préparent.

Je souligne que, si notre situation est difficile en ce qui concerne les médicaments, elle l’est bien plus encore en ce qui concerne les dispositifs médicaux, où nous avons près d’un an de retard. Je n’hésite pas à parler de dysfonctionnement de l’action publique dans ce secteur : ces retards posent des problèmes aux patients, qui n’ont pas accès aux innovations, mais aussi aux entreprises, qui dans ce secteur sont souvent des PME et non de grandes multinationales.

S’agissant des autres pays européens, nous connaissons les prix publics pratiqués ; nous effectuons une veille sur les prix en Espagne, en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni. Chaque fois que nous constatons qu’un prix public est plus bas ailleurs, nous adressons un courrier au laboratoire pour lui signifier notre volonté de rouvrir une négociation et de procéder à un alignement de prix, ce qui est loin d’être automatique.

Je ne suis pas du tout sûr que nous soyons au prix plancher. Je ne connais que le prix public des autres pays : je peux bien être persuadé d’être le meilleur négociateur européen, mais il n’en demeure pas moins qu’un doute raisonnable subsiste. (Sourires.) Il est possible que, derrière le prix public, des remises soient pratiquées. Certaines sont d’ailleurs légales et connues : ainsi, en Allemagne, il y a une remise automatique de 7 %.

Vous évoquiez, monsieur Barbier, des « remises arrière ». Le mécanisme n’est pas exactement le même, et ces remises sont évidemment autorisées par la loi et reversées à l’assurance maladie. La forme la plus classique est celle de la remise à la première boîte. Ces remises sont la plupart du temps calculées sur le volume, avec différents seuils dont le franchissement fait augmenter la remise.

M. Jean-Pierre Barbier. Chaque pays a son système de remises : on peut penser qu’elles sont à peu près équivalentes partout. Le doute existe dans les deux sens…

M. Maurice-Pierre Planel. Merci de votre confiance.

Nous sommes en tout cas attentifs à ce qui se passe en Europe, et à ce qu’on lit dans la presse de différents pays ou sur des blogs associatifs – à propos des tarifs pratiqués pour les médicaments destinés à soigner l’hépatite C, par exemple.

M. Jean-Patrick Sales, vice-président du Comité économique des produits de santé (CEPS). Le comité de prospective des innovations médicamenteuses a été installé il y a plus d’un an. Nous entendons dans ce cadre les laboratoires qui disposent d’un portefeuille d’innovations et une recherche et développement suffisamment bien établie ; nous pouvons ainsi examiner, pour les trois années à venir, les produits qui vont arriver. Cette focale est assez étroite, mais nous permet de savoir qui fait quoi. Bien sûr, les données cliniques sont particulièrement confidentielles, mais je peux vous dire que nous allons au-devant de difficultés en matière de financement.

Ainsi, les nouveaux anti-cancéreux qui défraient la chronique aujourd’hui ont deux indications ; mais ils ont des résultats qui semblent prometteurs pour une dizaine d’indications, notamment le mélanome et le cancer du poumon. Nous devons donc nous attendre à une extension.

Parallèlement, on va de plus de plus des « formes sèches » vers les biothérapies. Celles-ci ne sont pas réservées au traitement du cancer : elles peuvent aussi traiter des maladies inflammatoires chroniques, des maladies articulaires, des maladies dermatologiques, voire des affections cardio-vasculaires. Ces recherches vont arriver sur le devant de la scène à très brève échéance, une, deux, trois années.

Les thérapies cellulaires vont également, un peu plus tard, bouleverser nos manières d’évaluer et de financer les produits de santé : elles associeront en effet pour la prise en charge d’un patient la production d’un industriel, les soins de multiples professionnels, l’engagement de plusieurs établissements.

Voilà ce qui émerge des rencontres de notre comité de prospective.

Monsieur Leonetti, nous fondons pour l’essentiel nos décisions sur l’ASMR, donc sur une valeur relative : on compare le produit à l’existant. L’ASMR, comme le SMR, prennent en considération la gravité de la maladie, et en premier lieu le couple efficacité-tolérance, la commission de la transparence étant par doctrine sensible uniquement à l’efficacité et à la tolérance cliniques. Les éléments économiques – directs ou indirects – n’entrent pas dans sa réflexion.

Depuis 2008 pour les stratégies thérapeutiques et depuis 2013 pour les produits de santé, la commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP) de la HAS fournit des avis d’efficience, qu’il faut distinguer des analyses médico-économiques, qui peuvent être plus larges : cet avis nous donne le rapport qualité-prix d’une stratégie par rapport à une autre. Il estime, en euros, une unité de santé qui est soit l’année de vie gagnée, soit l’année de vie gagnée en bonne santé, le Quality Adjusted Life Year (QALY).

Les premiers avis n’ont que dix-huit mois : nous ne sommes donc qu’au début de cette approche.

Je souligne en outre qu’ils ne constituent pour nous qu’un instrument de dialogue avec l’industriel. Nous ne raisonnons pas, comme au Royaume-Uni, en fonction d’un seuil couperet. Dans tous les autres pays, l’évaluation médico-économique joue un rôle dans la décision de remboursement ; ce n’est pas le cas en France, puisque la décision de remboursement est prise indépendamment du prix et des bénéfices éventuels que l’on peut en attendre à l’avenir.

Madame Khirouni, il m’est difficile de vous donner plus d’informations que les industriels eux-mêmes. Dans nos échanges, ceux-ci mettent fréquemment en avant la part de leur chiffre d’affaires consacré à des activités de recherche et développement. Très schématiquement, on peut estimer que cette part va, selon les entreprises, de zéro à 80 % : zéro chez ceux qui fabriquent des génériques, mais 80 % pour de petites entreprises de biotechnologie qui ont développé un produit et sont en train d’en mettre au point un deuxième.

Aujourd’hui, les dépenses de recherche consenties par l’industriel ne font pas partie des critères de détermination du prix. Mais l’accord-cadre aborde ce point.

Monsieur Censi, le SMR intègre, au niveau de la commission de la transparence, la question des intérêts de santé publique. La direction générale de la santé y a d’ailleurs voix consultative. Au CEPS, la DGS a voix délibérative : elle peut à nouveau souligner l’intérêt de tel ou tel produit pour la santé publique.

Au sein de l’accord-cadre, enfin, deux dispositions explicites se sont nourries des réflexions sur le pilotage des plans de santé publique. Afin d’encourager la recherche fondamentale et la recherche clinique sur l’antibiothérapie, la première attribue aux nouveaux antibiotiques qui recevraient une ASMR de niveau IV une garantie de prix européen, comme si elles avaient reçu une ASMR de niveau I, II ou III. La seconde disposition concerne des produits anciens, dont l’industriel pourrait être tenté d’arrêter la production, les jugeant non rentables, ce qui pourrait poser des problèmes en termes de santé publique – disparition de vieux antibiotiques, mais pas seulement. C’est l’un des rares cas où l’industriel peut demander une hausse de prix, en documentant le caractère indispensable du produit ainsi que les coûts de production et les coûts entraînés par la modernisation de l’appareil de production.

M. Maurice-Pierre Planel. S’agissant de la fongibilité et de la capacité du CEPS à appréhender les conséquences de l’usage des produits sur l’organisation du système de soins, l’exercice est extrêmement compliqué pour nous, car il n’entre pas dans nos missions. Mais c’est une question qui va devenir de plus en plus brûlante, aussi bien le champ des médicaments que, surtout, dans celui des dispositifs médicaux. Nous voyons arriver des gammes entières de produits qui, aujourd’hui, n’ont pas la qualification de dispositifs médicaux – je pense notamment aux applications de santé, de celles qui comptent les pas à celles qui permettent de suivre son diabète. Certaines demeureront ludiques, d’autres s’inscriront de plus en plus clairement dans le champ du système de santé.

Aujourd’hui, nous ne savons pas mesurer l’impact d’un produit sur l’organisation du système – souvent, d’ailleurs, parce que nous ne sommes pas en mesure de nous mettre d’accord avec l’industriel sur l’impact du produit. Il ne suffit pas qu’un industriel nous dise que son produit réduit, par exemple, les déplacements des infirmiers – pour un médicament qu’il faut administrer par exemple non plus six fois mais trois fois par semaine – pour que nous prenions cet aspect en compte. Le CEPS a pour principe de se fonder sur des données validées par la HAS : tant que nous n’en disposons pas, nous ne pouvons pas traiter la question.

Le Comité stratégique des industries de santé (CSIS), instance présidée par le Premier ministre, s’est réuni le 14 avril dernier. La question y a été évoquée : je vous renvoie aux mesures nos 2 à 4. Le travail est donc en cours.

S’agissant de l’impact financier du développement du traitement ambulatoire des cancers, nous ne disposons pas d’instrument de mesure pour vous répondre précisément. D’après ce que nous savons, le système de santé n’est pas aujourd’hui organisé pour pratiquer l’oncologie en ambulatoire : les traitements provoquent en effet des effets secondaires, que les médecins de ville ne sont pas formés pour prendre en charge. Dès lors, il semble que les patients subissant ces effets indésirables soient mal pris en charge, voire arrêtent leur traitement, ou bien retournent à l’hôpital. Un ajustement du système de soins est donc indispensable. L’Institut national du cancer (INCa) est extrêmement attentif à cet aspect ; en particulier, un programme de formation des médecins de ville est prévu.

Monsieur Censi, nous n’avons aucun contact avec les pays africains ; nos contacts internationaux sont limités à l’Europe. Cela ne veut pas dire que les industriels ne nous parlent pas des marchés africains, dans un souci de protéger les prix pratiqués en France.

Madame la présidente, en ce qui concerne le Sativex, la situation est assez simple : ce produit a une ASMR de niveau V, c’est-à-dire insuffisante au regard des critères de remboursement. Dans ce cas, le code de la sécurité sociale et la lettre d’orientation des ministres imposent au CEPS que ce produit soit moins cher que les produits existant sur le marché. Jusqu’en octobre de l’année dernière, les négociations ont buté sur des demandes d’un prix très élevé par l’industriel. Elles ont repris il y a quinze jours, et le dossier sera examiné demain par le CEPS. Nous espérons trouver une issue favorable.

Je crois que nous avons répondu à toutes les questions. Nous restons naturellement à votre disposition.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci. Grâce à vous, nous sommes un peu plus prêts pour les discussions du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, elle procède à l’audition de Mme Magali Léo, chargée de mission assurance maladie au Collectif interassociatif sur la santé (CISS), et de M. Fabrice Pilorgé, chargé de mission démocratie sanitaire et plaidoyer de AIDES ; de M. Pierre Chirac, directeur de publication de la Revue Prescrire, président de l’Association Mieux Prescrire, du Dr Françoise Sivignon, présidente, et de M. Olivier Maguet, responsable de la campagne « Prix des médicaments » de Médecins du monde.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons nos auditions relatives à la fixation du prix du médicament. Ces auditions étaient prévues et programmées depuis l’appel des 110 hématologues et cancérologues, bien avant que Médecins du monde ne lance un appel la semaine dernière sur le sujet. Cela étant, cet appel n’a fait que nous conforter dans l’idée qu’il fallait agir.

Sont présents à cette audition M. Pierre Chirac, directeur de Prescrire, revue d’information des professionnels de santé, non financée par l’industrie pharmaceutique, ainsi que deux membres du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), qui représente les associations de patients, et que deux représentants de Médecins du monde.

Mme Françoise Sivignon, présidente de Médecins du monde. L’intérêt de Médecins du monde pour le prix des médicaments n’est pas neuf. Depuis longtemps, les médecins que nous sommes ont constaté sur le terrain qu’un des obstacles à l’accès aux traitements résidait dans leur coût. Nous avons beaucoup plaidé la cause dans les pays du Sud mais, depuis deux ans, nous interpellons les autorités nationales concernant le prix exorbitant de certains médicaments et notamment du Sovaldi. Il est des endroits où les patients n’ont pas eu accès à ce traitement, ce qui nous a alertés.

Nous formulons depuis deux ans plusieurs demandes de façon à la fois plus probante et plus visible. La première concerne la transparence dans la fixation du prix des médicaments. Nous souhaitons que, conformément au préambule de la Constitution de 1946, confirmé par la Constitution de 1958, l’État reprenne la main dans la fixation de ces prix et joue un rôle régulateur sur ce marché atypique – il s’agit de produits de santé, non de pétrole ou d’immobilier. Le caractère exorbitant du prix de certains médicaments ne résiste pas à l’analyse des coûts de recherche-développement et de production. Une étude du Sénat américain rappelle que ces prix sont fixés par les laboratoires en fonction de la solvabilité des États. Nous vous alertons donc de la mise en danger de la protection sociale du fait du prix exorbitant de ces médicaments.

Notre deuxième requête vise à faire participer à la régulation certains acteurs aujourd’hui non impliqués dans la fixation du prix des médicaments. Nous sommes théoriquement dans le cadre d’une démocratie sanitaire. Or, les usagers du système de santé ne contribuent pas à la fixation du prix de ces médicaments et les professionnels de santé, très peu. Médecins du monde questionne aussi le système de brevetabilité, et demande depuis deux ans au ministère de la santé l’activation d’un outil légal appelé licence d’office qui permet de rendre accessible un générique en l’important ou en le produisant sur le territoire français.

Nous demandons ainsi la préservation d’un système de santé solidaire et un accès pour tous à la santé. Nous l’écrivons depuis plusieurs années et le revendiquons de façon plus forte dans le cadre de notre campagne – concernant notamment des molécules particulières telles que le Sovaldi, antiviral à action directe contre l’hépatite C. La fourniture de cette molécule aux patients est aujourd’hui rationnée, ce qui est pour nous inacceptable. C’est la première fois dans l’histoire de notre protection sociale qu’on refuse, sur le fondement de critères que je pourrai préciser, l’accès à ces traitements salvateurs. Médecins du monde et d’autres associations sont donc dans une démarche responsable de demande de régulation de ce marché atypique.

C’est au terme d’interpellations répétées que nous essayons, grâce à notre campagne, d’attirer l’attention de l’opinion publique – nous nous adressons à 66 millions d’assurés sociaux – et de susciter un débat public sur la spirale inflationniste du prix de ces médicaments. Nous ne nous attaquons pas aux stratégies commerciales des laboratoires, comme cela a pu être écrit. Notre demande vise encore une fois la régulation et la transparence, non pas les laboratoires eux-mêmes mais leur modèle économique qui n’est pas soutenable pour notre système de soins. Nous avons donc mis en ligne une pétition qui a recueilli à ce jour 200 000 signatures et a été largement reprise sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook où dix millions de personnes sont allés la consulter. C’est un chiffre à prendre en considération.

M. Olivier Maguet, responsable de la campagne « Prix des médicaments » de Médecins du monde. Nous sommes aujourd’hui à un point de rupture, qui révèle une logique de maximisation du profit s’appuyant sur une certaine conception de la valeur de la vie par l’industrie pharmaceutique. Il y a rupture aussi quant à la population concernée par ces médicaments innovants. Jusque-là, il s’agissait de marchés de niche ne concernant que quelques centaines ou quelques milliers de personnes. L’hépatite C touche plusieurs centaines de milliers de patients, et l’on compte 400 000 nouveaux cancers par an : je vous laisse en imaginer l’impact sur les comptes sociaux. Aujourd’hui, pour la première fois dans notre histoire, des critères d’inclusion concernant des traitements efficaces sont déterminés par des considérations budgétaires. Voilà ce qui nous a poussés à agir.

Je présenterai clairement à la représentation nationale les demandes de Médecins du monde. La première vise à modifier les articles du code de la sécurité sociale relatifs à l’organisation, au fonctionnement et aux mécanismes utilisés par le Comité économique des produits de santé (CEPS), afin de permettre une réelle participation des usagers du système de santé et des professionnels de santé. Je soulèverai également la question du secret industriel : nous débattons aujourd’hui sans pouvoir obtenir les sources ni les preuves des coûts réels effectivement supportés par l’industrie pharmaceutique – coûts qui doivent être légitimement pris en charge. Aujourd’hui, c’est parole contre parole. Il convient donc de renforcer la transparence.

La deuxième proposition que nous soumettons au législateur consiste à assortir le vote de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) d’une incitation forte à utiliser tous les outils juridiques à sa disposition, dont la licence d’office. Nous renouvelons notre demande que l’exécutif émette une licence d’office sur les antiviraux à action directe contre le virus de l’hépatite C, pour réagir au problème de rationnement auquel nous sommes confrontés, et, au-delà du cas de l’hépatite C, qu’il utilise cet outil pour envoyer un signal politique fort de remise à plat du mécanisme de fixation du prix des médicaments.

Enfin, nous demandons à la représentation nationale de créer une commission d’enquête – et non pas une mission d’information – sur la fixation du prix du médicament, comme l’ont fait vos collègues du Sénat des Etats-Unis. Cette commission d’enquête pourrait éventuellement être conjointe entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Nous croyons aux outils du droit. C’est pourquoi nous sommes très heureux que vous nous auditionniez. Nous avons utilisé le seul de ces outils qui était à notre disposition : une opposition au brevet. Nous informons donc que le procès opposant Médecins du monde au laboratoire Gilead aura lieu les 4 et 5 octobre à l’Office européen des brevets. C’est une première, dans l’histoire de la brevetabilité, qu’une organisation issue de la société civile – dans les pays de l’OCDE, en Europe et en France, en particulier – s’oppose à un brevet. L’audience sera publique car le magistrat de l’Office européen des brevets a considéré notre requête comme recevable. Nous ne contestons pas l’innovation mais le caractère d’inventivité d’un médicament breveté – qui est l’un des trois critères de la brevetabilité. Nous dénonçons aussi l’instrumentalisation du mécanisme de la brevetabilité par l’industrie pharmaceutique.

Mme Magali Léo, chargée de mission pour l’assurance maladie au Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Lundi dernier, le CISS, qui rassemble aujourd’hui plus de quarante associations d’usagers du système de santé, a réuni une assemblée interassociative sur le thème du prix du médicament étudié sous l’angle de l’égalité d’accès aux soins.

L'affaire du sofosbuvir, qui a déclenché un débat autour des négociations conduisant à la fixation du prix des médicaments, est également un révélateur de ce que représente le secteur économique qui affiche les taux de marge nette les plus élevés, de l’ordre de 20 % à 30%. Au centre de ce débat s’opposent des notions d’éthique, de spéculation financière, de soutien à l’innovation et de compétitivité économique.

Le sujet est complexe, car les forces en présence défendent des intérêts souvent contradictoires, liés à la soutenabilité des dépenses de santé pour nos mécanismes assurantiels, à la rémunération de l’actionnariat des firmes pharmaceutiques et à l’égalité d’accès aux soins innovants. L’équation n'est pas simple à résoudre, même si nous disposons aujourd’hui d’outils juridiques permettant de concilier tous ces enjeux.

La problématique ne doit toutefois pas, selon nous, être traitée indépendamment des pratiques professionnelles de terrain qui, mieux régulées, permettraient de dégager des marges financières pour soutenir l’innovation et la rendre accessible à tous ceux à qui elle s’adresse.

Pour nous, la question est davantage celle de l’accès aux soins que celle du prix – qu’il s’agisse des médicaments ou des dispositifs médicaux. Le prix ne serait pas un problème s’il ne poussait les pouvoirs publics à sélectionner les malades ou à faire peser sur eux des reste-à-charge insupportables, notamment en ce qui concerne les dispositifs médicaux.

Nous ne sommes pas opposés à l’idée de mener des actions sur le prix des médicaments, mais il nous paraît nécessaire d’envisager celles-ci dans le cadre d’une révision générale des objectifs de prescription, à l’origine de nombreuses dépenses de santé inutiles que l’on pourrait réinjecter dans le financement de l’accès à l’innovation efficace pour tous.

Le marché français du médicament dépasse 28 milliards d’euros par an. On recense 2 800 substances actives différentes commercialisées en 2013, correspondant à plus de 11 000 spécialités. En 2013, environ 3,1 milliards de boîtes ont été consommées. En moyenne, un Français consomme quarante-huit boîtes de médicaments par an. Chaque année, la Cour des comptes dresse le constat des insuffisances de notre système et pointe des dysfonctionnements coûteux. Le rapport 2008 sur l’imagerie mettait par exemple en cause la surprescription de nombreux examens de radiologie, évalués comme inutiles par la Haute Autorité de santé mais toujours remboursés par l’assurance maladie.

Selon plusieurs évaluations et études disponibles, les soins inutiles représentent entre 27 % et 30 % des dépenses de maladie sous forme de surprescriptions d’examens, de médicaments, d’actes médicaux et chirurgicaux inutiles, de parcours injustifiés notamment hospitaliers, au détriment de la prise en charge de vrais traitements pour de vrais malades, au risque de générer des souffrances inutiles et des risques évitables.

On estime que 27 % à 30 % des dépenses de santé sont gaspillées chaque année, sur un total d’environ 200 milliards d’euros de consommation médicale. Ramenés à une estimation basse de 25 %, cela représente environ 50 milliards d’euros perdus chaque année, auxquels il convient d’ajouter les coûts des complications évitables.

La Fédération hospitalière de France (FHF) s’intéresse de près à cette question depuis environ dix ans. Après avoir interrogé 800 praticiens, en ville et à l’hôpital, elle estime à 20 % la proportion d’actes injustifiés. Dans les mois qui ont suivi la communication publique de cette enquête, le nombre de radios du crâne en cas de traumatisme simple, pour lequel un examen clinique suffit selon le consensus scientifique, a baissé de 9 %. On observe de même une surprescription évidente de benzodiazépines ou d'antibiotiques, avec des écarts du simple au double entre régions, pour des populations identiques et indemnes de pathologies pouvant justifier le recours à ces traitements.

À elle seule, l’hypertension artérielle est un mystère : en France, les seuls chiffres disponibles datent de 2007, date à laquelle le nombre de patients traités était estimé à 10 millions dans le rapport de la Haute Autorité de santé ; en 2012, d’après une enquête de la Mutualité française, on comptait 12 millions de Français traités, soit un Français de plus de 35 ans sur trois. En 2011, la prise en compte des conflits d’intérêts de membres de la commission de la Haute Autorité ayant statué sur le traitement de l’hypertension artérielle a conduit la HAS à annuler la recommandation initialement publiée en 2005. Aucune autre recommandation officielle n’a été mise en ligne depuis sur son site.

La politique économique semble aujourd'hui privilégier les intérêts industriels, jusque dans le domaine de la santé. La lutte contre les actes inutiles est donc plus une affaire de système que d’individus. Les médecins eux-mêmes sont piégés. Qu’il s’agisse des professionnels de santé libéraux ou de membres d’établissements de santé, ils sont incités à privilégier le volume : en France, c’est le nombre d’actes, d’interventions, d’hospitalisations ou d’examens facturés qui permet de payer les salaires et les honoraires, d’acheter les équipements, de payer les médicaments ou les dispositifs médicaux hospitaliers.

Parallèlement à la surprescription, de nombreux patients renoncent aujourd’hui à l’achat de médicaments du fait des sommes restant à leur charge après intervention de l’assurance maladie obligatoire et des complémentaires santé. Les chiffres du renoncement à l’achat de médicaments sont notamment à corréler au niveau de prise en charge par l’assurance maladie qui ajuste au fil de l’eau le panier de soins remboursables et les taux de remboursement. Cette politique manque de lisibilité pour les patients qui apprennent le déremboursement d’un médicament au comptoir de l’officine. Elle met également à mal le concept de service médical rendu (SMR), de plus en plus difficile à distinguer de l’amélioration du service médical rendu (ASMR), comme le rappelle Mme Dominique Polton dans son rapport de novembre 2015.

Le problème du prix ne concerne pas seulement le médicament. Les prix des dispositifs médicaux causent, depuis longtemps, de nombreux renoncements aux soins sans qu’aucune mesure générale de limitation n'ait été prise. Le CISS plaide pour qu’un prix limite de vente soit décidé pour tous les dispositifs médicaux remboursables, à l’instar de la pratique applicable au médicament.

Nous avons conscience que décider politiquement de réduire ce gaspillage, outre la très grande difficulté que cela représente scientifiquement, techniquement et politiquement, c’est se heurter à un problème social et de réorganisation des activités et des métiers de la santé. Mais, eu égard aux conséquences humaines et économiques des traitements inutiles, il est urgent d’agir.

M. Fabrice Pilorgé, chargé de mission « démocratie sanitaire et plaidoyer » de l’association AIDES, membre du Collectif interassociations sur la santé (CISS). Appartenant à l’association AIDES qui lutte contre le sida et les hépatites, je parlerai pour le CISS à travers le prisme de cette expérience associative. J’évoquerai l’accès au nouveau traitement de l’hépatite C tout en m’appuyant aussi sur des constats de terrain. Nous nous sommes très tôt engagés sur la question : dès la fixation du prix de l’autorisation temporaire d’utilisation, nous nous sommes dit qu’il y aurait un gros problème de prix susceptible de conduire à un rationnement des traitements. Ce débat préoccupe non seulement notre association mais aussi Médecins du monde, le Comité médical pour les exilés (COMEDE), SOS Hépatites et les collectifs de lutte contre le virus de l’immuno-déficience humaine (VIH) et les hépatites virales.

Je dois dire, en tant qu’acteur de la lutte contre le sida, que je n’aurais jamais pensé devoir m’intéresser au prix des médicaments et que nous aurions préféré ne pas devoir ouvrir ce dossier. Nous pensions que les traitements nous permettant de vivre, de survivre ou de guérir devaient être pris en charge par la sécurité sociale et que la question de l’élaboration du prix relevait de la responsabilité de l’État. Force est de constater que, dans l’affaire du Sovaldi, la capacité de l’État à négocier n’a pas été démontrée.

Nous avons donc dû nous intéresser au marché du médicament et à sa financiarisation – non pas pour remettre en cause le fait que des gens gagnent de l’argent mais pour essayer de comprendre la logique à l’œuvre. L’industrie pharmaceutique est l’une des industries phares en Europe, et encore plus aux États-Unis. Elle est concentrée entre quinze multinationales sur un marché globalisé dans le cadre duquel les accords commerciaux multilatéraux et la reconnaissance des brevets sont très importants. Ayant déjà dû nous y confronter dans les années 2000 pour l’accès des pays du Sud aux antirétroviraux, nous n’aurions jamais pensé devoir le faire dans les pays du Nord. L’industrie pharmaceutique reçoit aussi un fort soutien des politiques industrielles, dans un souci de compétitivité qui peut parfaitement s’entendre. C’est enfin l’un des secteurs industriels les plus rentables, enregistrant un taux de marge nette technologique d’environ 20 %, et même de 50 % dans les biotechnologies – notamment dans les petites structures qui développent les molécules avant leur rachat par de plus gros laboratoires à des fins d’évaluation et d’essais thérapeutiques de grande ampleur.

Nous avons dû nous intéresser à la gouvernance et aux mécanismes guidant ces entreprises du médicament. Il s’agit pour celles-ci – encore une fois, on ne peut leur en vouloir – d’assurer la croissance de leur chiffre d’affaires, de maintenir une marge bénéficiaire, de distribuer des dividendes, de garder la confiance de leurs actionnaires et de la bourse, de soutenir la recherche-développement mais aussi de procéder à des fusions-acquisitions. Nous avons vu dans le cas du Sovaldi que ce n’était pas du tout le laboratoire ayant finalement mis sur le marché la molécule qui l’avait développée au départ : c’est une petite entreprise de biotechnologies créée par le chercheur ayant travaillé sur le Sovaldi et par l’université américaine soutenant ces recherches.

Ces laboratoires cherchent évidemment à développer l’innovation grâce à la recherche et au développement interne et, surtout, grâce à la consolidation et à l’acquisition de start-up, de petites biotechs, de spin-off et de brevets académiques. Nous sommes donc passés en vingt ans d’un modèle dans lequel les chercheurs essayaient de créer de nouvelles molécules à un autre dans lequel les grosses entreprises pharmaceutiques qui développent et mettent sur le marché les molécules les rachètent lorsqu’elles sont convaincues que ces dernières vont arriver sur le marché.

Nous assistons, dans le domaine des molécules innovantes, à une déconnexion entre le prix et le coût. Comment fixe-t-on le prix du médicament sur un marché administré comme la France ? Fait-on le calcul de son coût en développement pour faire une marge raisonnable ? Non : c’est la valeur du médicament qui est en jeu. Dans une enquête, le Sénat américain a montré que le laboratoire Gilead, comme d’autres, avait essayé de déterminer quel prix les prescripteurs et les malades seraient prêts à payer pour obtenir une molécule innovante.

Nous voudrions que les questions de coûts de développement et d’aides à la recherche – crédits d’impôt, recherche publique – fassent partie des critères pris en compte par le CEPS.

Nous souhaitons par ailleurs que l’État utilise les outils qu’il a sa disposition pour négocier : la fixation unilatérale des prix et la licence obligatoire, autorisation accordée par les pouvoirs publics à un opérateur permettant d’utiliser une technologie brevetée sans autorisation du titulaire du droit mais contre rémunération de ce titulaire. Cette disposition n’a rien d’une spoliation : elle consiste, à des fins de santé publique, à suspendre un brevet tout en continuant à rémunérer son titulaire.

Nous plaidons également en faveur d’un renforcement du contrôle démocratique. La consultation des représentants des usagers ainsi que de ceux des associations et des professionnels de santé a progressé : la loi santé a en effet généreusement accordé la conclusion d’une convention entre le CEPS et les associations mais le cadre de cette convention est si large que nous ne sommes pas certains que cela nous permette de mieux travailler.

Nous souhaitions aussi créer les conditions d’un débat et d’un contrôle parlementaire régulier sur ces questions. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous réjouir que vous vous en soyez saisis.

Se pose également la question de la transparence dans la négociation au sein du CEPS : aujourd’hui, les conventions conclues entre l’État et les laboratoires ne sont pas publiques. Le prix « facial » et les marges arrières ne sont pas connues. Nous avons des difficultés à accéder aux résultats des essais cliniques et aux coûts réels. Les crédits d’impôt, les aides et les investissements publics ne sont pas forcément dans le domaine public. Tous les systèmes de rachat de brevets et d’opérations financières sont eux aussi opaques. Nous souhaitons qu’il y ait plus de transparence au sein du CEPS, que vous soyez consultés et que vous effectuiez un contrôle auquel nous serions associés. En l’état, comment le CEPS peut-il négocier des prix s’il n’a même pas connaissance des prix réels pratiqués dans les autres pays ?

M. Pierre Chirac, directeur de publication de la revue Prescrire, président de l’association Mieux prescrire. Je déclare n’avoir pas de lien d’intérêt avec les firmes pharmaceutiques, les assureurs ni les régulateurs. Comme tous les salariés de Prescrire, et notamment la centaine de médecins et de pharmaciens, je dépends des 30 000 soignants qui financent cette revue.

Tout d’abord, une précision sur les mots s’impose. On entend parler de l’innovation et de son prix ainsi que de la capacité de notre système de protection sociale à accueillir cette innovation. En fait, cela a été dit plusieurs fois ici même jeudi dernier et les dirigeants de l’Agence européenne du médicament l’ont reconnu dans un courrier publié sur leur site la semaine dernière : « innovation » veut simplement dire « nouveauté » et non pas « progrès » – ce dont peu de soignants et de patients se doutent. La plupart des innovations n’apportent pas de progrès tangible pour les patients ; certaines s’avèrent des régressions thérapeutiques. Prescrire n’est pas seule à faire ce constat regrettable. Des cancérologues américains ont ainsi publié une étude montrant que les 71 médicaments anti-cancéreux mis sur le marché entre 2002 et 2014 en vue de traiter les tumeurs solides n’avaient permis qu’un allongement de deux mois seulement en moyenne de la durée de vie. Les auteurs de cette étude se demandent si les patients et les responsables politiques en sont bien conscients – sans doute ne le sont-ils pas.

La première chose à faire pour que le débat sur le prix de l’innovation ait un sens pour la population et les malades est de parler de progrès thérapeutique et non d’innovation, et de savoir en effet quel peut être son prix. Comme le montre très bien le communiqué de presse des Entreprises du médicament (LEEM), on peut guérir ou prévenir des maladies graves pour quelques euros. Mais tous les exemples donnés par le LEEM sont fondés sur des médicaments et des vaccins anciens, voire très anciens, qui n’ont jamais été très chers. Il faut bien se rendre compte que depuis quelques années, nous sommes entrés dans une nouvelle époque, celle des prix extravagants, exorbitants, inacceptables. Ces prix d’aujourd’hui ne sont pas corrélés aux coûts – passés et futurs – de recherche et développement des médicaments. Il serait d’ailleurs très intéressant d’imposer la transparence dans ce domaine, car le seul chiffre disponible, calculé par la même équipe aux États-Unis depuis quarante ans, n’est pas crédible : le PDG de GlaxoSmithKline, Andrew Witty, l’a lui-même reconnu il y a quelques années en disant qu’il s’agissait de l’un des plus grands mythes de l’industrie.

Les firmes défendent de plus en plus leurs prix en parlant de la valeur de leurs médicaments ou des économies qu’ils pourraient entraîner. Une étude réalisée par des cancérologues des États-Unis sur 58 médicaments mis sur le marché entre 1995 et 2013 montre que leur prix a augmenté beaucoup plus vite que leur intérêt thérapeutique. L’expérience de la commission d’évaluation économique et de santé publique de la Haute Autorité de santé (HAS) montre que les études médico-économiques des firmes sont extrêmement faibles, voire carrément trompeuses. Ces modèles médico-économiques sont fondés sur des hypothèses fragiles et des données issues d’essais cliniques de plus en plus limités puisque la tendance est aujourd’hui malheureusement à des mises sur le marché sur la base d’une évaluation clinique très limitée et très peu probante.

Dans le domaine de l’hépatite C, la firme Gilead justifie le prix outrancier de son sofosbuvir, Sovaldi, par de prétendues économies à venir. Mais cette analyse est fortement mise en cause par un institut américain, l’Institute for economic and clinical review¸ qui ne voit d’économies qu’en vingt ans dans le meilleur des cas, et à condition de ne traiter que les patients les plus atteints, qui ne sont pas les plus nombreux. Les cancérologues dont je viens de citer l’étude font remarquer que, en réalité, le prix des médicaments anticancéreux correspond aujourd’hui à la « disposition à payer » – willingness to pay – des patients via la collectivité ou les assureurs, disposition qui résulte de calculs économiques extrêmement contestables fixant le prix d’une année de vie en bonne santé entre 100 000 et 200 000 euros selon les pays. Voilà à quoi tient aujourd’hui le prix des anticancéreux. En résumé, dans les domaines du cancer, de l’hépatite C et de biens d’autres maladies, les firmes demandent des prix correspondant à la capacité maximale de paiement des patients et des systèmes de prise en charge financière de soins des pays les plus riches de la planète.

Cette tendance lourde des firmes pose dans le monde entier de très nombreux problèmes éthiques, sanitaires et économiques que chacun peut imaginer. Elle pose aussi de nombreux problèmes à la recherche elle-même. Comme l’a déclaré en 2014 le directeur du centre anticancéreux le plus réputé des États-Unis, tous les efforts de recherche et développement sont aujourd’hui concentrés sur les mêmes micromarchés, niches qui bénéficient de facilités liées au statut de médicament orphelin. Ils prennent l’exemple d’une catégorie de cancer du poumon pour lequel il existe une dizaine de médicaments en développement, concernant quelques milliers de patients aux États-Unis. Ces médicaments seront sans doute mis sur le marché à 100 000 euros.

Dans une déclaration sur les médicaments, le Conseil de l’Union européenne a demandé la semaine dernière que la Commission européenne enquête sur cette situation contre-productive de concentration sur des micro-niches de la recherche et développement pharmaceutique aujourd’hui.

Et, puisque je parle de l’Europe, je terminerai sur cet aspect. La France peut agir dans le domaine du prix des médicaments, notamment si elle s’associe à des initiatives internationales – du G7 ou de l’Europe. Elle doit notamment s’allier à d’autres pays pour négocier les prix avec les firmes, pour demander et obtenir la transparence sur les coûts de recherche et développement et pour refuser que s’impose ce concept de valeur promu par les firmes, qui n’est qu’un modèle économique fondé sur des hypothèses fragiles et contestables.

En conclusion, les prix pratiqués par les firmes relèvent aujourd’hui d’une financiarisation de celles-ci, qui trouvent plus rentable pour leurs actionnaires de vendre un médicament à 100 000 euros à un nombre réduit de patients plutôt que dix fois moins cher à dix fois plus de patients qui en auraient besoin. Soignants, patients et responsables politiques doivent en prendre conscience rapidement pour arrêter cette dérive mortifère. La société a besoin d’une industrie pharmaceutique prospère – mais pas exagérément – qui fabrique à un haut niveau de qualité des médicaments vraiment utiles sans rupture de stock, mais sans non plus monopoliser ni épuiser les ressources de la société et de la collectivité.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie pour vos exposés et donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger.

M. Gérard Sebaoun. Connaissant depuis longtemps le travail d’AIDES, de Prescrire, de Médecins du monde et du CISS, j’avais l’impression que chacun courait un peu dans son couloir mais aujourd’hui, l’affaire du Sovaldi a créé un effet de meute au bon sens du terme. À un moment donné, la société commence à se considérer dans une situation impossible. Non seulement elle met en débat le système – on le fait depuis longtemps, mais de façon souvent un peu confinée – mais elle interpelle aussi la puissance publique. Nous sommes à un moment où les valeurs que nous partageons tous se heurtent au principe de réalité. Vous entendant après avoir auditionné les industries du médicament, nous avons l’impression d’être au début d’une vraie confrontation. Je disais tout à l’heure au président du LEEM que le discours de l’industrie pharmaceutique me semblait changé. Hier, on nous parlait beaucoup de la nécessité de maintenir l’emploi qualifié sur nos territoires. Aujourd’hui, on nous parle de la responsabilité sociale et sociétale de l’industrie pharmaceutique. C’est avec un sourire en coin que j’ai écouté sa réponse…

Vous avez été très virulente, madame Léo. Vous avez certes établi un diagnostic, mais qui a parfois pris la forme d’un vrai réquisitoire, voire d’un cahier des charges exhaustif adressé la puissance publique : « à vous d’agir », sembliez-vous dire. Ayant lu le rapport publié par l’observatoire du CISS en 2014, j’ai été très impressionné du nombre de représentants dont dispose ce collectif – entre 15 000 et 20 000 dans l’ensemble des lieux de décision. Le CISS a-t-il les moyens d’assurer sérieusement toutes ces représentations ?

Je ne peux que partager le combat de Médecins du monde et j’avais l’intention d’interroger ses représentants concernant leur recours auprès de l’Office européen des brevets. S’agissant du régime de la licence d’office, est-ce bien le code de la propriété intellectuelle que vous visez ?

Ayant été médecin dans une autre vie, je connais la revue Prescrire et son combat relatif à la prescription raisonnée, à la régulation, au calcul bénéfice-risque, au risque iatrogène et à la surconsommation de médicaments, quasi culturelle en France. Hier, on parlait essentiellement des difficultés des pays du Sud à accéder à un minimum de soins ; aujourd’hui, les pays du Nord sont totalement bouleversés et confrontés à un défi. La solution consiste-t-elle à tordre le bras à l’industrie pharmaceutique ou à continuer à dialoguer pour mettre un terme à cette inflation mortifère ? Je n’ai pas la réponse à ce stade mais je vous remercie de vos propos.

M. Arnaud Viala. Ayant abordé la question délicate de l’accès du plus grand nombre aux médicaments les plus performants et les plus innovants, vous avez élargi votre approche en évoquant non seulement le prix des médicaments, mais aussi la surprescription et les dispositifs de santé, questions également fondamentales. Nous sommes tous d’accord sur le fait que la totalité de nos concitoyens doivent pouvoir accéder aux traitements les plus performants. Nous nous accordons aussi à dire que le besoin d’innovation ou d’amélioration thérapeutique est avéré et que, la science progressant, elle doit continuer à en avoir les moyens. Nous vous rejoignons lorsque vous dites que notre industrie pharmaceutique a besoin d’être compétitive et doit rester au premier plan parmi les pays d’Europe et du monde, à la fois parce que c’est la marque de fabrique d’un pays moderne et qu’elle représente une certaine réalité économique sur nos territoires. Enfin, il est vrai que le système de santé tout entier dépend du débat qui s’ouvre.

Comment avez-vous élaboré votre diagnostic ? Le caractère élevé du prix des médicaments est une réalité que nous percevons mais qui doit être étayée par des éléments fiables. Or, la plupart des intervenants qui se sont succédés au cours de ces auditions nous ont confié que ces données étaient parfois difficiles à récolter. Disposez-vous d’éléments de comparaison avec les pratiques d’autres pays semblables au nôtre ? Quelles interrogations faites-vous peser sur la formation des médecins prescripteurs ? Cela me semble une question sous-jacente au problème de la surprescription.

Je souhaiterais par ailleurs évoquer en quelques mots votre campagne actuelle.

Avez-vous interrogé le Gouvernement avant de lancer cette campagne en direction du grand public ? J’avoue ne pas le savoir bien que je me retrouve aujourd’hui orateur de mon groupe en lieu et place d’autres collègues plus spécialistes mais ayant certainement d’autres obligations à cette heure.

En tant que responsables d’associations, estimez-vous que la cible de votre campagne – les 66 millions de Français – ait les outils pour apprécier le message que vous lui délivrez ? Cela me paraît fondamental.

Vous êtes-vous concertés quant à la nécessité d’interpeller les individus ? L’un d’entre vous a affirmé que le problème de la surprescription relevait du système et non de ceux-ci ; j’estime pour ma part qu’elle relève des deux. J’ai néanmoins le sentiment que les Français ont besoin de boîtes de médicaments pour se sentir pris en charge et soignés correctement. Ne conviendrait-il pas, dans le cadre de cette campagne nationale, d’aborder le fait que la responsabilité individuelle du citoyen face au système de santé est engagée dès lors que l’équilibre financier de ce système est en jeu ?

Enfin, j’évoquerai les dispositifs médicaux et l’équité territoriale. Nous avons actuellement des débats consécutifs au vote de la loi santé et concomitants avec la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire – qui engendre une angoisse et une inquiétude considérable sur les territoires à faible densité de population et où le coût par individu du dispositif de santé ne sera jamais le même que sur les territoires plus densément peuplés. Il convient donc de veiller au fait que certains arguments pourraient faire de pans entiers de notre territoire national des déserts médicaux.

Mme Jacqueline Fraysse. Je salue l’initiative de notre présidente, particulièrement sensible à ces sujets. Ce n’est pas la première fois qu’ils sont abordés ici : nous les avons soulevés au fil des années précédentes. Pour autant, nous n’avons pas réglé le problème et les avancées restent insuffisantes. Les auditions auxquelles nous participons nous permettent de mesurer à la fois les problèmes posés et la complexité des facteurs de formation des prix et des arguments avancés par les uns et les autres. Je suis, en tant que députée, dans une posture d’écoute, pour essayer de comprendre comment les prix sont fixés. Je constate que cela n’est pas aisé et que nos concitoyens, s’ils veulent le clarifier, ont beaucoup de chemin à parcourir. C’est pourquoi nous avons aussi, les uns et les autres, la responsabilité d’expliquer les choses, tout le monde étant finalement concerné – à la fois en termes de santé publique et en termes financiers. La sécurité sociale étant financée par les citoyens, ceux-ci ont le droit de savoir et nous avons le devoir de clarifier les choses.

Évidemment, je suis tout à fait d’accord quant à l’idée qu’il faille tenir compte des coûts de recherche et de production. Et lorsque je vous écoute, je n’ai pas le sentiment que cela vous pose problème. L’ennui est que nous ne connaissons pas ces coûts. Il est absolument inacceptable que les firmes fixent le prix des médicaments en fonction de la solvabilité des États. Les dysfonctionnements persistent, tant du point de vue des prix qu’en termes d’autorisations de mise sur le marché (AMM) de médicaments déclarés innovants alors qu’ils ne le sont pas. Je lis souvent dans Prescrire, revue à laquelle je suis abonnée et dont je suis une lectrice attentive, que tel ou tel médicament n’apporte rien de nouveau. Il y a là une tromperie et un gâchis. Ces dysfonctionnements pèsent sur les finances de l’assurance-maladie et sur des patients dont le reste-à-vivre les empêche d’accéder aux soins. Cela induit une remise en cause de certains fondamentaux – puisque, dans le cas de l’hépatite C notamment, on est obligé de « trier » les patients, si j’ose dire.

Je retiens les demandes que je crois avoir entendues : revoir le mode de fonctionnement des établissements publics participant à la chaîne de fixation des prix, et notamment du CEPS ; faire davantage participer les usagers et les professionnels à ces travaux ; rendre publiques les conventions entre le CEPS et les laboratoires ; renforcer la transparence sur les coûts de production et de recherche. Enfin, je retiens le propos du président du CEPS qui nous invite à modifier les textes actuels dans la mesure où il ne peut publier des documents quand la loi ne l’y autorise pas. Un collègue a d’ailleurs souligné que certaines informations qui ne sont pas rendues publiques par le CEPS étaient parfaitement accessibles sur Internet.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il est vrai que notre réflexion est très large, car on ne peut pas ne pas évoquer la financiarisation du système. Je rappelle quand même qu’une fusion était prévue, à hauteur de 140 milliards d’euros, entre Pfizer et Allergan, et que le Trésor américain est intervenu pour éviter que cette fusion n’entraîne une relocalisation du siège social de la société en Irlande. On a beau accabler l’État français en accusant sa politique fiscale d’être la cause des départs d’industries pharmaceutiques, il n’en est rien, la vérité est que celles-ci veulent à tout prix partir vers les pays où ils paieront moins d’impôts.

Je ferai le lien entre cette remarque et ce que disait Arnaud Viala concernant la formation des professionnels de santé prescripteurs. Je l’ai dit dans l’hémicycle la semaine dernière : Pfizer a signé un contrat avec la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) pour financer leur installation dans les déserts médicaux. Ce laboratoire contourne ainsi, pour des raisons qui ne me paraissent guère philanthropiques, toutes les dispositions que nous avons adoptées pour éviter les conflits d’intérêts et faire en sorte que la prescription ne soit pas influencée outre mesure. Il faudra que, dans le cadre du PLFSS, le législateur s’en mêle car cela m’inquiète vraiment.

M. Gérard Bapt. S’agissant de la licence d’office, je n’ai pas signé la pétition qui a circulé, animée par quelques élus français, car ce procédé fait un peu figure de « bombe atomique » vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, qui non seulement représente des dizaines de milliers d’emplois mais pourrait aussi prendre des mesures de rétorsion telles que les ruptures de stock ou la non-commercialisation de certains produits dans des zones données. Ce type de mesure ne serait tenable qu’à l’échelon européen, compte tenu de la surface du territoire concerné. Qu’en pensez-vous ?

J’ai bien observé l’évolution du chiffre d’affaires concernant le sofosbuvir. Le laboratoire a, pour développer cette molécule, racheté une petite société dénommée Pharmasset. Le prix de ce rachat n’a reposé que sur une mise aux enchères, le mieux-disant l’ayant emporté. On fait donc reposer sur les systèmes de protection sociale une mise aux enchères concernant un produit commercialisé en avance et apportant une incontestable amélioration du service médical rendu. L’argument selon lequel on fera des économies plus tard puisque l’on guérira radicalement le porteur de l’hépatite C est déjà remis en question puisqu’il semblerait, selon une étude, que cela ne réduise pas l’incidence ultérieure de survenue d’hépato-sarcomes. Voilà déjà qui réduit les économies attendues à terme.

Il est vrai que c’est la première fois que la prescription d’un traitement est régulée – le terme de « rationnement » employé par Mme Léo me paraissant un peu dur. Nous avons néanmoins été les premiers en Europe à prescrire ce traitement à un aussi grand nombre de patients. On sait que cela a été tenable parce que l’évolution de l’hépatite C se fait sur une certaine durée. Priorité a donc été donnée aux cas de fibrose et aux cas d’association, notamment avec le VIH, et la réaction du Gouvernement français ne doit pas être vilipendée. Nous sommes quand même fiers d’offrir l’accès aux soins le plus aisé possible aux patients dans notre pays.

M. Gilles Lurton. Quelle analyse faites-vous du rôle du CEPS, organisme placé sous l’autorité des ministres de la santé et de l’économie et qui a pour rôle de fixer collégialement le prix des médicaments ? Son conseil d’administration comprend six représentants de l’État sur dix membres au total ; comment percevez-vous le travail de cet organisme, indépendamment de l’interdiction qui lui est faite de communiquer certains renseignements ?

Ma deuxième question rejoint celle qu’a posée Arnaud Viala sur les 27 % à 30 % de soins inutiles dont a parlé Mme Léo : le médecin prescripteur en est-il responsable ? Quelle peut être la responsabilité du patient dans cette situation ?

Mme Chaynesse Khirouni. On constate l’existence, dans certaines revues, de publicités médicales et d’informations relatives à des formations organisées par les laboratoires. Ces derniers effectuent aussi des visites directes auprès des médecins même si elles sont aujourd’hui mieux encadrées. Dans quelle mesure ces différentes actions ont-elles un impact sur les prescriptions des médecins ?

La revue Prescrire a constaté depuis plusieurs années que de nombreux médicaments étaient autorisés dans l’Union européenne alors qu’il ressort de leur évaluation clinique que leur effet est minime ou inadapté. Comment renforcer ces évaluations et éviter d’accorder des autorisations de mise sur le marché trop hâtives ?

Enfin, vous semble-t-il nécessaire d’homogénéiser l’évaluation du bénéfice clinique des médicaments au sein de l’Union européenne ? Si oui, de quelle manière ?

M. Yves Censi. L’action des organisations non gouvernementales que vous représentez est importante. Votre expertise critique et votre regard extérieur vous permettent de donner un coup de pied dans la fourmilière lorsque les débats sont difficiles à mener, compte tenu de l’importance des enjeux financiers en cause et de la communication que ces financements permettent de faire.

Vous avez souligné la dichotomie entre la responsabilité du système et la responsabilité individuelle des acteurs et des patients.

Je formulerai deux observations s’agissant du système. Vous donnez souvent l’impression d’agir dans l’urgence – et c’est un peu votre rôle –, quelles que soient vos propositions. Or, je n’ai pas entendu de remarque de votre part concernant la santé mentale – dont on parle relativement peu. D’autre part, on observe une approche différenciée dans la prescription des médicaments d’urgence destinés au traitement de maladies graves et, inversement, une surconsommation d’autres médicaments devant nous conduire à réfléchir à la notion de prévention. Il me semble que vous n’avez guère insisté sur cette notion alors qu’elle peut avoir un fort impact sur l’économie du médicament. On sait que la consommation de benzodiazépine ou d’anxiolytiques est particulièrement élevée en France alors que d’autres pratiques, d’ordre préventif, peuvent être extrêmement efficaces.

Enfin, avez-vous défini des axes stratégiques de pilotage de la santé publique concernant le VIH et la tuberculose multirésistante ? Au-delà de vos opérations coup de poing, sans doute une réflexion mérite-t-elle d’être menée très en amont sur le sujet pour éviter le développement des deux pathologies. On vous entend effectivement moins dans cette approche de fond.

Mme Françoise Sivignon. Nous avons certes un regard extérieur, mais également intérieur : Médecins du monde regroupe des bénévoles, des médecins et des soignants qui sont sur le terrain et qui sont aussi des prescripteurs. L’alerte a été donnée sur nos terrains internationaux. Cela fait deux ans que nous interpellons les autorités. Je me félicite que notre collectif fonctionne et de savoir que le LEEM parle de responsabilité sociétale. Cette inflexion est notable. Notre objectif est de mettre ces sujets dans le débat public car jusqu’à présent, nous n’avons pas été entendus. Or, nous parlons tout de même de vie et de mort, et de produits de santé actifs.

S’agissant de l’efficacité des molécules antivirales, le problème est que seules 30 000 personnes, sur les 200 000 qui en auraient besoin, sont mises sous un tel traitement en France. En d’autres termes, on attend que les patients soient à un stade avancé de la maladie pour les mettre sous traitement. Nous sommes donc bien, monsieur Bapt, face à un rationnement et à un tri des personnes. C’est la réalité. Lors d’une de nos récentes conférences de presse, une personne nous a raconté s’être entendu dire qu’elle n’était pas assez malade pour être mise sous traitement.

Quant à la campagne elle-même, elle interpelle aussi les citoyens : ceux-ci peuvent obtenir des réponses en consultant notre site qui présente des fiches argumentaires. Il faut prendre les citoyens pour ce qu’ils sont : des gens responsables. Cette campagne vous interroge bien évidemment mais le débat public consiste bien à questionner le citoyen sur sa façon de fonctionner et à lui fournir des explications – et, encore une fois, celles qui sont données sur notre site comme sur d’autres sont assez claires.

M. Olivier Maguet. MM. Viala et Censi nous ont interrogés quant à l’effet « coup de poing » de notre campagne. Or – mes collègues du CISS vous le confirmeront –, cela fait deux ans qu’à bas bruit, sans vouloir choquer ni interpeller l’opinion, nous rencontrons l’ensemble des acteurs du système : la direction de la sécurité sociale (DSS), la direction générale de la santé (DGS), le CEPS et le cabinet de la ministre. L’histoire a commencé au tout début de l’année 2014, lorsque le Sovaldi est arrivé pour la première fois sur le marché grâce à une autorisation temporaire d’utilisation (ATU), à un prix de 56 000 euros par traitement. Les autres personnes que vous avez auditionnées vous ont certainement décrit la logique du marché des produits de santé : le prix d’entrée, y compris sous le régime des ATU, fixe le benchmark et la ligne.

Médecins du monde a eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises : nous nous inscrivons très clairement dans un cadre républicain respectueux des institutions. Dans un premier temps, nous menons un travail de pédagogie auprès du décideur public parce que nous voulons jouer le jeu de la démocratie sociale et lorsque nous ne sommes pas entendus, il ne nous reste plus que deux armes : celle du droit, avec l’opposition au brevet, et celle de l’opinion publique – comme vous l’utilisez vous-mêmes dans vos partis respectifs. Je vous remercie d’avoir posé cette question car nous ne sommes pas là pour nous faire plaisir et faire un coup de publicité. Nous avons engagé depuis deux ans un travail de longue haleine sur le Sovaldi, qui nous a paru un point de rupture en matière de médicaments innovants, qui s’inscrit dans un combat bien plus ancien concernant d’autres aspects du système de santé qu’évoqueront mes collègues.

La disposition à laquelle nous faisons référence est bien évidemment l’article L. 613-16 du code de la propriété intellectuelle, et notre objectif n’est pas d’y déroger mais bien de le faire appliquer. Notre demande est simple et vise explicitement les antiviraux à action directe pour lesquels nous disposons de versions génériques de qualité dont les dernières publications, lors de la dernière réunion de l’Association européenne pour l’étude du foie à Barcelone en avril dernier, ont montré l’efficacité.

Je m’adresserai plus particulièrement à vous, monsieur Bapt, avec tout le respect que nous avons pour vous qui avez été un des tous premiers parlementaires à tirer la sonnette d’alarme en interpellant le CEPS en septembre 2014. Nous nous souvenons tous de votre courrier sur lequel nous nous sommes beaucoup appuyés à cette époque. Je voudrais donc vous en remercier au nom de Médecins du monde. Cela étant, nous sommes gênés que vous ayez qualifié de « bombe atomique » une disposition légale codifiée. Dans un débat politique, les mots ont un sens. Cela entretient un bruit de fond négatif à l’égard d’un mécanisme qui a fait la preuve de son efficacité puisque l’Italie et le Canada l’ont utilisé. Je cite volontairement des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et non pas des pays à revenus faibles et intermédiaires auxquels nous sommes plus habitués lorsqu’il s’agit de ce type de dispositifs. La France ne l’a jamais fait, mais a menacé de le faire pour la pilule abortive – que les laboratoires refusaient de produire. Elle a ainsi invoqué l’un des motifs de déclenchement de la licence d’office : l’absence de production en quantité. Nous souhaitons pour notre part en invoquer un autre : le prix anormalement élevé. Mais je ne crois pas qu’il faille utiliser le vocabulaire employé par le directeur de la sécurité sociale lorsque nous l’avons rencontré pour la première fois il y a deux ans. Si le législateur et les directions d’administration centrale emploient ce type de vocabulaire pour parler de dispositions légales applicables à tous, cela ne fera pas progresser le débat.

En revanche, vous avez raison de souligner la dimension européenne du problème. La politique du médicament reste une prérogative nationale même si les industriels font un fort lobbying auprès de Bruxelles pour renforcer l’Agence européenne des médicaments, s’agissant en particulier de la question de la valeur comme principe fondateur du prix. Médecins du monde est une organisation présente dans dix pays d’Europe, et nous envisageons de mener ce type d’action au niveau européen pour éviter la concurrence et la confrontation entre les pays. Il ne s’agit pas de faire de la licence d’office un nouveau mantra ni une doctrine économique qui viserait à une sorte de nationalisation de l’industrie pharmaceutique. Le Sovaldi est un point de rupture qui appelle un signal symbolique permettant de remettre autour de la table l’exécutif, le législatif, les industriels, les usagers du système et les professionnels de santé.

Enfin, vous nous avez interrogés sur le CEPS. Nous sommes d’accord avec ce que Jean-Patrick Sales vous a dit ce matin : la loi ne lui permet pas de faire ce que nous demandons. Ce n’est donc pas lui que nous interpellons, mais le législateur. Et pour contribuer au débat démocratique dans ce pays, nous renouvelons notre demande que soit créée une commission d’enquête, notre seule source d’information véritablement objective étant le rapport qu’a publié le Sénat américain – document de plus de 10 000 pages avec ses annexes, dont il ressort que les coûts de recherche et développement ne justifient pas les prix pratiqués.

M. Fabrice Pilorgé. On peut certes se féliciter – la France l’a beaucoup fait – qu’un certain nombre de personnes aient eu accès au traitement. Si notre pays avait un peu d’avance au départ, c’est notamment parce que des autorisations temporaires d’utilisation ont été délivrées sous la pression des malades pour l’accès à des traitements vitaux qui ont peut-être été dévoyées par la suite. Néanmoins, au cours du temps, parce que les critères n’ont pas été revus assez rapidement et que les négociations sur le prix n’ont pas été rouvertes, on a pris un retard que nous espérons voir rattrapé maintenant. La ministre a finalement entendu notre demande d’accès universel qui devrait être satisfaite en septembre. Je précise que la notion d’accès universel ne veut pas dire que l’on met tout le monde sous traitement : c’est dans la relation thérapeutique entre le médecin et le patient que la mise sous traitement peut être décidée, en fonction de divers indicateurs dont l’état de santé – mais pas seulement.

En revanche, on ne peut pas dire que nous ayons été entendus sur la question du prix. La loi relative à la santé aurait pu être l’occasion de réformer sérieusement le CEPS mais cela n’a pas été le cas. L’actuel président du CEPS a beau dire qu’il applique la loi qui lui est imposée, il a exercé d’autres fonctions à une époque où il aurait pu faire évoluer la législation. De toute évidence, les choses n’étaient pas assez mûres, contrairement à d’autres mesures intéressantes qui ont été votées dans la loi en question à l’initiative de la société civile. Il va donc falloir rouvrir le dossier. Lorsque, en octobre dernier, nous avons proposé avec des sénateurs que le CEPS puisse avoir connaissance du coût de ce traitement, la ministre s’est engagée à créer – après le premier rapport de Dominique Polton, qui devait également traiter de la question du coût mais qui a surtout traité de l’évaluation des produits de santé – un groupe de travail sur le sujet : il n’est toujours pas installé.

J’en viens à la licence obligatoire. Comme l’ont souligné mes collègues, qualifier celle-ci de bombe nucléaire évite d’avoir à se poser la question de son applicabilité. Malgré nos très nombreux contacts avec les différentes institutions et le cabinet de la ministre de la santé, force est de constater que le ministère n’a pas ouvert le dossier. Les seules réponses que nous ayons eues concernant les faiblesses juridiques du recours à la licence obligatoire ont été extrêmement vagues. Nous souhaitions avoir une discussion technique et juridique en mobilisant des experts avec lesquels nous travaillons sur la propriété intellectuelle : ce groupe de travail se fait toujours attendre. On n’a pas saisi l’occasion de la loi de santé pour faire évoluer le fonctionnement du CEPS, notamment pour en renforcer la transparence. On va donc effectivement avoir plus largement accès au Sovaldi et aux traitements de l’hépatite C. Reste encore à s’assurer que les gens y aient réellement accès, car donner la possibilité de prescrire ne veut pas dire que toutes les personnes atteintes auront fait l’objet d’un dépistage et y auront accès. En tout cas, on n’a pas avancé sur le prix du médicament, dont une association comme la mienne – qui fait de l’action de terrain pour inciter les gens à faire du dépistage, leur permettre de mieux se protéger et aider les personnes malades à faire valoir leurs droits – aurait aimé ne pas avoir à s’occuper. Nous avions bêtement imaginé que le prix ne poserait pas de problème…

Il a été dit que nous travaillions dans l’urgence. Or, nous avons au contraire anticipé les choses en ouvrant le débat sur ce dossier et en alertant les pouvoirs publics bien avant la fixation du prix du Sovaldi, au moment de la délivrance des autorisations temporaires d’utilisation, il y a plus de deux ans. Nous l’avons fait calmement et progressivement, en rencontrant l’ensemble des partenaires. Et contrairement à d’autres sujets, il a été difficile d’avancer avec l’État sur ce point.

Enfin, il est évident qu’il faut travailler avec l’Union européenne, s’agissant notamment des moyens de financer le développement de médicaments alternatifs par rapport à ceux qui existent actuellement sur le marché. On pourrait utiliser les crédits européens aujourd’hui consacrés à l’innovation thérapeutique pour distribuer des prix à l’innovation. On pourrait sans doute travailler sur la question des brevets et de la brevetabilité. Encore une fois, si le recours de Médecins du monde est recevable, cela veut dire que, bien que le Sovaldi soit intéressant sur le plan thérapeutique, ce n’est pas une invention. Mais ne nous concentrons pas uniquement sur l’Europe : le débat semble suffisamment mûr pour que de nombreuses mesures puissent être prises ici et maintenant, assez rapidement. Nous ne voudrions pas arriver à la fin de la législature sans avoir avancé sur ce dossier, sans quoi il faudrait tout recommencer au cours de la suivante.

Mme Magali Léo. J’ai entendu parler tout à l’heure de « situation impossible », ce qui m’a fait bondir. Je ne crois pas que nous soyons aujourd’hui dans une impasse. Je suis même assez optimiste quant à la suite des événements. Il existe dans notre économie bien des secteurs moins déterminants sur le plan éthique, mais mieux régulés par la puissance publique que ne l’est la santé : je pense notamment au secteur de l’énergie. De mon point de vue, la régulation est avant tout une question de volonté du législateur et de la puissance publique en général.

Cette volonté doit, selon nous, porter sur plusieurs axes. Nous sommes très attachés à ce que la thématique du prix du médicament soit appréhendée à travers le prisme de l’accès aux soins – qui embrasse des questions bien plus larges. Il sera difficile d’actionner un levier sans actionner les autres. Je pense notamment aux pratiques médicales, aux modalités de financement des établissements de santé – puisque la tarification à l’activité (T2A) et l’intéressement des praticiens au volume des actes ont, en dépit de leurs vertus, des effets collatéraux nuisibles – et à l’application des mécanismes de fixation unilatérale du prix ou de licence d’office, qui existent aujourd’hui en droit positif. Sans doute faut-il toiletter les règles applicables à cette licence, mais on ne peut balayer le dispositif d’un revers de main en se contentant de dire que c’est l’arme thermonucléaire. L’Etat ne doit pas renoncer à des outils qui peuvent l’aider dans la conduite des négociations. Peut-être faudrait-il aussi explorer des stratégies supranationales, la France n’étant pas le seul pays confronté à ce problème d’accès aux soins. C’est un problème général, en Europe comme aux États-Unis où il a fait l’objet de déclarations dans le cadre de la campagne présidentielle – déclarations qui ont eu une incidence majeure sur le cours des biotechs. Il y a un problème mondial de financiarisation de l’économie du médicament, qui a des incidences sur tous les patients du monde entier.

Quant aux leviers d’amélioration des pratiques médicales – enjeu inséparable de celui du prix des médicaments selon le CISS –, il sont multiples.

La formation des médecins, que vous avez citée tout à l’heure, est essentielle : il existe aujourd’hui en France un certificat optionnel à Lyon-Est, qui porte sur la pertinence des actes complémentaires permettant d’étayer ou de corroborer un pré-diagnostic. Finalement, les médecins sont peu sensibilisés à la pertinence des soins qu’ils prescrivent. C’est une difficulté dont il faudrait tenir compte dans les programmes de formation des professionnels de santé.

L’assurance maladie est un autre levier, par le biais de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) qui permet de rémunérer les médecins à la performance en fonction, notamment, d’indicateurs de santé publique. Sans doute la ROSP sera-t-elle reconduite dans la prochaine convention médicale en cours de négociation. Ce levier est pour le moment un investissement coûteux puisque sont versés, en sus du paiement à l’acte, des compléments de rémunération à des médecins. Il conviendra, à terme, de faire le bilan de cette politique. Toujours est-il que l’assurance maladie, ayant fait le calcul, se rend compte que la cartographie est édifiante, les disparités dans les prescriptions et les pratiques médicales étant loin de s’expliquer par la seule épidémiologie régionale. Il est des disparités très coûteuses que l’on ne s’explique pas. Si l’assurance maladie a décidé d’investir massivement dans la ROSP, c’est probablement qu’elle pense faire un retour sur investissement dans les prochaines années et qu’il existe des marges d’amélioration de la pertinence de la pratique médicale.

Il faut, plus généralement, agir sur la rémunération des médecins. Actuellement, plus le temps de la rémunération est court, plus il y a de lignes sur la prescription médicale. Peut-être le patient influence-t-il le prescripteur ; toujours est-il que le prescripteur engage sa responsabilité professionnelle et morale. Il y a sans doute un problème culturel, et c’est là que doit intervenir le concept de codécision. Il est essentiel aujourd’hui que l’on s’achemine vers un travail de partenariat entre le prescripteur et son patient. Aujourd’hui, il nous paraît extravagant qu’un patient reparte sans prescription médicale, car il en attend une de son médecin, mais la prescription mérite d’être expliquée et de donner lieu à un accompagnement du patient, notamment en termes de prévention : cela prend du temps, qui doit être valorisé dans la rémunération du médecin.

Il existe d’autres procédés, tels que « choisir avec soin », qui permettent de tenir compte des consensus professionnels autour de la pertinence des soins. J’insiste aussi sur la transparence. On attend encore les atlas régionaux de la pertinence des soins – qui devraient être publiés incessamment sous peu – pour donner à voir à chacun – professionnels de santé, usagers, patients – les conséquences de la non-pertinence des soins en France. Le chiffre de 50 milliards d’euros annuels de soins non pertinents doit être porté à la connaissance de tous les acteurs. S’il faut évidemment conduire des actions fortes pour faire évoluer le prix du médicament, il existe aussi des économies, à réaliser dans le cadre des pratiques médicales, pour financer l’innovation accessible à tous.

Nous avons également été interpellés quant au rôle des représentants des usagers et à la démocratie sanitaire. Vous avez noté le nombre de mandats dont nous disposons dans différentes instances locales, régionales et nationales : nous en sommes très fiers. C’est la loi du 4 mars 2002 qui le permet, en vue d’assurer la défense des droits collectifs des usagers du système de santé. Le CISS ainsi que toutes les associations agréées ont pour mission de mandater des représentants pour porter la parole des usagers dans les instances de santé. C’est un gros travail, nécessitant un lourd investissement en termes de formation à destination des bénévoles associatifs qui donnent de leur temps et ne sont pas forcément des experts du médicament ni de l’assurance maladie. Une union nationale des associations agréées est en cours de création, grâce à laquelle nous espérons que cette mission sera soutenue et que le financement sera à la hauteur des enjeux. Elle permettra sans doute d’insuffler une nouvelle dynamique dans la représentation des usagers. Si je suis optimiste aujourd’hui, c’est parce que, depuis peu, les représentants d’usagers siègent à la commission de la transparence de la HAS.

M. Gérard Bapt. Vous avez de la chance : les parlementaires n’y siègent pas – pas plus qu’au CEPS.

Mme Magali Léo. Vous avez raison de le souligner.

Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est tout de même nous qui votons les budgets.

Mme Magali Léo. C’est vrai. Cette présence est pour nous une conquête, car cette commission évalue le SMR, déterminant dans la fixation du taux de remboursement des médicaments, et l’ASMR qui est l’un des critères de fixation du prix de ceux-ci. Avoir obtenu ce mandat tenait pour nous de la gageure. Le CEPS est pour nous le dernier bastion à conquérir – les usagers n’étant pas partie prenante à l’accord cadre entre le LEEM et le CEPS, négocié de manière assez feutrée entre l’État, l’assurance maladie et les laboratoires pharmaceutiques. Je suis assez optimiste à cet égard, d’autant que nous avons obtenu des avancées puisque nous pouvons négocier un accord-cadre avec le CEPS. Cela va dans le bon sens et tout le monde a conscience que les représentants d’usagers sont dignes de participer à ces débats et que les mesures sur le prix font principalement grief aux usagers. Je maintiens d’ailleurs qu’il me semble y avoir un rationnement des traitements de l’hépatite C. Le terme vous paraît peut-être excessif, mais si le prix n’avait pas été ce qu’il est, on n’aurait pas eu à faire le choix de traiter les malades les plus graves. Il n’est pas tenable de continuer à négocier des accords sans tenir compte de la voix des représentants des usagers.

M. Pierre Chirac. Je suis d’accord avec le CISS pour favoriser le dialogue entre les professionnels et les patients et pour privilégier la meilleure stratégie de soins et la codécision. Le bon usage des moyens thérapeutiques disponibles est un enjeu important. On a parlé de problème culturel : beaucoup de prescripteurs pensent qu’ils prescrivent en raison d’une demande des patients, alors que ces derniers en jugent autrement lorsqu’on les interroge. Sans doute faut-il effectivement donner aux soignants les moyens d’avoir plus de temps à partager avec les patients. Sans doute faut-il aussi mettre en place un système incitatif pour avoir des consultations de déprescription car, au niveau international, dans les pays riches, l’enjeu est celui du « moins, c’est mieux ». On observe un mouvement, dans les plus grandes revues de médecine, visant à faire le tri et à éviter certains empilements qui représentent des milliards d’euros d’économies potentielles. Parmi les nombreuses innovations, certaines sont effectivement intéressantes, mais on les ajoute aux traitements antérieurs que l’on continue à prescrire alors qu’ils sont moins intéressants. C’est un gâchis incroyable.

La réalité perçue du prix est très documentée, notamment dans le rapport du Sénat américain. Si le sofosbuvir a suscité une réaction si forte, c’est qu’on était pour la première fois face à un prix de traitement de maladie rare pour une maladie qui ne l’est pas. Cela a posé problème dans tous les pays du monde. Il est un fait extrêmement bien documenté que la production de ce traitement coûte 120 euros. Quant aux coûts de recherche, ils n’en sont pas vraiment. L’action de Pharmasset a fait l’objet d’une spéculation financière quelques semaines avant que cette biotech ne soit rachetée par Gilead : on a vu les marchés financiers se ruer sur un médicament ne présentant plus aucun risque. Les actionnaires ont spéculé au moment où la mise sur le marché du traitement était évidente.

M. Viala nous a demandé des comparaisons avec les autres pays : c’est un phénomène mondial et tous les pays sont logés à la même enseigne. Mais nous avons la chance qu’aux États-Unis – pays où les prix sont totalement libres et où le libéralisme est quotidiennement appliqué – soit remise en cause pour la première fois la liberté du prix du médicament. Depuis 2011, les cancérologues y tirent la sonnette d’alarme. Il faut donc se lier à cet État, que ce soit dans le cadre du G7 ou ailleurs, pour trouver une solution au problème.

Pour que le dialogue entre patients et soignants porte tous ses fruits dans le choix de la meilleure stratégie – c’est-à-dire que soient choisis les traitements les plus bénéfiques et les mieux tolérés au prix le plus faible possible –, il convient de former et d’informer le public et les soignants.

Il est vrai, monsieur Lurton, que plusieurs ministères sont représentés au sein du CEPS. Mais qui a le pouvoir ? On le saura peut-être lorsque son fonctionnement sera transparent. Mais Christian Lajoux, l’ancien président du LEEM, raconte dans son livre que lors d’une réunion du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) à l’Hôtel de Marigny, M. Renaudin, alors président du CEPS, lui courait après en lui disant que le LEEM allait enfin pouvoir signer l’accord-cadre que proposait l’État, tant il était bénéfique à l’industrie pharmaceutique ! Le poids du ministère de l’industrie au sein du CEPS et de l’Élysée au sein du CSIS me semble donc surdéterminant.

Vous nous avez interrogés concernant la publicité et la visite médicale. Aujourd’hui, le marché comporte beaucoup de médicaments prescrits par des spécialistes – hospitaliers en particulier – ce qui limite la marge de manœuvre des généralistes qui ont ensuite du mal à corriger le tir si nécessaire et à modifier les prescriptions, étant donné l’aura des spécialistes. Je remarque qu’il a été impossible de réglementer la visite médicale à l’hôpital dans la loi qu’a fait voter Xavier Bertrand. Il ne faut donc pas s’étonner qu’à la sortie des hôpitaux, les prescriptions de médicaments soient extrêmement chères.

Au niveau européen, on assiste plutôt à une fuite en avant qu’à l’esquisse de solutions. Il ne faut malheureusement pas espérer de l’Union européenne qu’elle renforce les exigences applicables aux autorisations de mise sur le marché puisqu’elle va dans le sens inverse au travers de son projet d’adaptive pathways, c’est-à-dire d’AMM fractionnées, ayant pour objet d’autoriser les médicaments à la fin de la phase 2 des essais cliniques – au terme de laquelle on ne sait pas grand chose. On peut être certain que, dans ces conditions, les prix resteront très élevés.

Faudrait-il procéder à une évaluation des bénéfices cliniques au niveau européen ? On assiste aussi à l’émergence d’un mouvement favorable à ce que l’évaluation clinique des médicaments se fasse parallèlement à une évaluation de l’ASMR du type de celle que fait la HAS. Ce n’est pas une bonne idée selon nous car aujourd’hui, les acteurs forts au niveau européen ne sont pas les agences du médicament mais les agences d’évaluation des technologies de santé. Cela risquerait donc d’entraîner un nivellement vers le bas.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie de vos réponses. Notre travail commence et nous avons noté plusieurs pistes. Même s’il ne reste plus beaucoup de textes de loi à voter d’ici la fin de la législature, nous allons voir ce que nous pouvons faire.

La séance est levée à treize heures-vingt.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 22 juin 2016 à 9 heures

Présents. – M. Pierre Aylagas, M. Alexis Bachelay, M. Alain Ballay, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Christophe Cavard, M. Yves Censi, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Dominique Dord, M. Richard Ferrand, Mme Jacqueline Fraysse, M. Renaud Gauquelin, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Gilles Lurton, M. Pierre Morange, M. Philippe Noguès, M. Robert Olive, Mme Luce Pane, M. Bernard Perrut, M. Pierre Ribeaud, M. Arnaud Richard, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Jean-Louis Touraine, M. Arnaud Viala, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, M. Stéphane Claireaux, M. Philip Cordery, M. Christian Hutin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumégas, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean Jacques Vlody

Assistait également à la réunion. –  M. Christophe Premat