Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires sociales > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Mercredi 13 juillet 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 67

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen de la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (COM[2016] 128 final) (n° 3885) (M. Gilles Savary, rapporteur)

– Examen du rapport d’information sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 (M. Gérard Bapt, Mmes Michèle Delaunay, Joëlle Huillier, MM. Michel Issindou, Denis Jacquat et Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteurs)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 13 juillet 2016

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission examine d’abord, sur le rapport de M. Gilles Savary, la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (COM[2016] 128 final) (n° 3885).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre collègue Gilles Savary a rejoint notre commission pour être rapporteur de la présente proposition de résolution européenne, après s’être beaucoup investi, depuis quatre ans, dans ce dossier du détachement des travailleurs. Je l’en remercie et lui souhaite la bienvenue parmi nous.

Nous aurions pu nous contenter, en application de notre Règlement, de laisser s’écouler le délai de trente jours au terme duquel les propositions de résolution de la commission des affaires européennes deviennent définitives, mais le sujet m’a semblé mériter un véritable débat, qui a d’ailleurs été entamé lors de l’examen du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Cette proposition, qui tend à améliorer le statut des travailleurs détachés, est aussi une manière de réconcilier nos concitoyens avec l’Europe.

M. Gilles Savary, rapporteur. Merci de m’accueillir au sein de votre commission, dont je sais qu’elle a beaucoup travaillé sur le sujet.

La réglementation européenne fondatrice en matière de détachement des travailleurs est la directive de 1996. Aujourd’hui, le travail détaché concerne 1,9 million de travailleurs dans l’ensemble de l’Union européenne, soit 1 % seulement des salariés de l’Union, mais ce nombre a très fortement augmenté, de 44,4 % par rapport à 2010.

En France, en 2015, il y avait 286 025 travailleurs détachés déclarés, ce qui représente une hausse de 25 % par rapport à 2014. Cette augmentation considérable résulte paradoxalement de la législation que nous avons instaurée, très dissuasive pour les donneurs d’ordre. Il y avait jadis autant de travailleurs détachés, sinon davantage, mais ils étaient bien plus souvent clandestins ; désormais, la loi commence à faire effet, malgré des décrets d’application relativement tardifs. Au total, en dix ans, le nombre de travailleurs détachés déclarés dans notre pays a été quasiment multiplié par dix. Quant au nombre total de jours de détachement, il atteint aujourd’hui 10,7 millions, soit une augmentation de 11 %.

Par ailleurs, 290 000 salariés français sont détachés à l’étranger, dont 18 000 du Luxembourg en Lorraine ! C’est un cas bien spécifique : le patronat recourt à un artifice consistant à faire recruter certains salariés haut de gamme – ingénieurs, informaticiens – pour travailler chez eux, en zone frontalière, mais en étant employés au Luxembourg, où la couverture sociale n’est pas négligeable, mais où sont alors payées les charges sociales plutôt qu’en France.

Le problème des travailleurs détachés a pris un relief particulier à la faveur de deux événements. Le premier est l’élargissement : en 1996, au moment de la première directive, les écarts de salaire minimum – ou de rémunération minimale, tous les États membres n’ayant pas de salaire minimum – étaient d’un à trois au sein de l’Union ; ils sont aujourd’hui d’un à dix, l’Union ayant accueilli des pays où les salaires sont beaucoup plus bas, dont la Roumanie, la Bulgarie ou la Pologne.

Le second appel d’air est venu de la crise de 2008. Du fait de la violence de la crise en Espagne et au Portugal, ce sont surtout les régions du sud de la France qui ont alors été concernées, victimes d’une forte pression de la part de ces pays et de montages qui n’étaient pas toujours très rigoureux.

Aujourd’hui, le SMIC horaire brut mensuel est de 1 466,62 en France, tandis que le salaire minimum est de 218 euros en Roumanie, de 410 euros en Pologne, de 184 euros en Bulgarie et de 1 473 euros en Allemagne. Six pays membres n’avaient toujours pas d’équivalent du SMIC en 2015 : l’Autriche, Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède.

La loi du 10 juillet 2014, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur dans notre assemblée, a été confortée par la loi Macron qui a considérablement alourdi les sanctions. Notre législation repose sur la responsabilité du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre, dans tous les secteurs et dans toute la chaîne de sous-traitance. D’une part, le donneur d’ordre est tenu, en responsabilité civile, de vérifier que tout travailleur détaché sur son chantier, à quelque niveau de la chaîne de sous-traitance qu’il intervienne, est bien déclaré à la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). D’autre part, il est solidairement responsable, du point de vue financier, du paiement des salaires et du logement, dans des conditions salubres et dignes, de l’ensemble des ouvriers. Ce n’est pas rien : auparavant, dans ce domaine, il se passait tout et n’importe quoi.

En 2015, 9 120 actions de contrôle ont été menées, grâce à la réorganisation des services de la DIRECCTE qui a résulté de la loi Rebsamen : chaque région dispose désormais d’un service spécifique d’inspecteurs du travail dédiés à la lutte contre le travail illégal, relié à une cellule nationale qui est en train d’établir un fichier. Depuis septembre dernier, il y a en moyenne 1 303 contrôles par mois – davantage que le nombre total de contrôles effectués avant 2013.

Le manque à gagner pour la sécurité sociale est de 380 millions d’euros, détachement légal compris, puisqu’un travailleur détaché paie ses charges sociales dans son pays d’origine.

Entre juillet 2015 et mars 2016, l’administration a infligé 291 amendes, pour un montant de 1,5 million d’euros au total, concernant 1 382 salariés détachés ; quinze fermetures immédiates de chantier ont été prononcées par les préfets sur proposition de la DIRECCTE ; 639 infractions ont été transmises au parquet, dont les trois quarts relèvent du travail illégal. Les pouvoirs publics et le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) ont conclu une convention nationale de lutte contre le travail illégal et contre les fraudes au détachement.

Bref, même si la mise en œuvre de la loi ne fait que débuter puisque le dernier décret d’application date de septembre 2015, le dispositif législatif que vous avez voté fonctionne. D’où l’augmentation brutale du nombre de salariés détachés déclarés. Il faudra toutefois approfondir cette question : pourquoi y a-t-il quelque 286 000 travailleurs détachés en France ? Nous devrons le faire sans tabou ; il y a toujours eu des formes de détachement dans notre pays et il y en aura probablement toujours, car le détachement est la forme moderne de l’immigration de travail. Autrefois, on quittait son pays pour toujours ; ce n’est plus le cas aujourd’hui, grâce aux moyens actuels de transport qui permettent d’aller travailler à l’étranger en détachement.

Je viens de passer huit jours en immersion en Pologne pour étudier ce sujet, dans le cadre d’une visite non officielle qui fut très fructueuse. J’ai constaté que des entreprises françaises, notamment les Chantiers de l’Atlantique, demandent des travailleurs détachés pour des segments d’activité dans lesquels il n’existe pas, à les croire, de salariés français compétents. J’ai également observé que le coût du travail pour un salarié détaché était légèrement supérieur à ce qu’il est pour un salarié français, si l’on additionne le paiement des charges sociales par l’entreprise polonaise, le financement du transport, de la nourriture, de l’hébergement et les temps de pause du week-end en France. Une note du Trésor vient de le confirmer : grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et au pacte de responsabilité, qui ont considérablement réduit les charges sur les bas salaires, si notre législation est respectée, on observe une convergence très rapide des salaires dans la plupart des métiers, abstraction faite du transport routier international.

Pour y voir clair à ce sujet, nous devrions demander au Gouvernement une étude précise. Car, comme le disait le général de Gaulle à propos de l’Europe, on peut toujours répéter « Le travail détaché ! Le travail détaché ! Le travail détaché ! », en réclamant son interdiction, mais ce serait absurde. Ce qu’il faut comprendre, c’est pourquoi nous aurons toujours en France une part de travail détaché, et tenter d’en tirer les conséquences dans les politiques publiques nationales, en créant des incitations, en particulier dans l’agriculture, qui est très friande de ce dispositif et le seul secteur à refuser de se joindre à notre lutte. La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), en particulier, considère en effet le détachement des travailleurs comme une précieuse facilité. Autrefois, lorsque l’on recrutait des travailleurs saisonniers, on en était individuellement responsable au titre du contrat de travail saisonnier. Aujourd’hui, le contrat est « bouclé » – trois jours de prestation de service à un prix donné pour vendanger quatre hectares ; que la personne soit malade, qu’il faille évacuer trois personnes, cela ne peut plus poser aucun problème.

J’en viens au projet de révision de la directive européenne.

Voici ce que disait la directive de 1996.

D’abord, le travail détaché recouvre trois types de détachement. Le premier correspond au cas où une entreprise envoie des travailleurs dans un autre pays pour faire de la prospection commerciale, honorer une commande, assurer le service après-vente, poursuivre une collaboration, former un salarié, etc. Mais il peut aussi s’agir d’une administration, d’un orchestre qui envoie un chef en résidence, du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) qui envoie des chercheurs. Cette conception du détachement, très ancienne, a préexisté de longue date à l’Europe. Le deuxième type de détachement est le détachement intra-groupe. Il ne suffit pas d’avoir un établissement en Slovaquie pour pouvoir faire venir votre ouvrier slovaque au tarif slovaque en France : encore faut-il déclarer un détachement à l’intérieur du groupe. Ce n’est pas facile à contrôler, mais de retentissants procès ont eu lieu à ce sujet, en particulier, récemment, celui du transporteur Dentressangle. Le troisième type de détachement est le détachement d’intérim : on peut détacher un travailleur intérimaire de Pologne ou de Bulgarie en France ou en Allemagne. Je reviendrai sur ce sujet très sensible.

Ensuite, la directive dispose qu’il faut respecter le salaire minimum du pays d’accueil – bien que celui-ci n’existe pas dans certains États ; c’était le cas en Allemagne, qui a ainsi pu recruter dans ses abattoirs des travailleurs très bon marché et faire sombrer les abattoirs bretons. La matière étant subsidiaire, il revenait à chaque État d’organiser ses conditions sociales à sa guise, et nul ne pouvait obliger l’Allemagne à fixer le salaire minimum au niveau français. C’était là une faille de la directive.

Le « noyau dur » des conditions de travail à respecter incluait également la durée des congés payés, les temps de pause, le temps de travail.

Enfin, pour contrôler la mise en œuvre de ces mesures, des bureaux de liaison ont été instaurés dans chacune des administrations du travail de tous les pays d’Europe. Ainsi, lorsque le pays d’accueil peine à identifier un travailleur détaché, il peut contacter son pays d’origine pour vérifier que celui-ci y est bien employé et que les conditions sociales requises sont remplies.

On l’a vu, cette directive ne fonctionne plus, en particulier depuis que les écarts de salaire se sont terriblement creusés avec l’entrée des pays de l’Est en 2004. Une nouvelle directive a donc été demandée à José Manuel Barroso. Il a refusé, préférant une directive d’application en 2014.

Celle-ci introduit la responsabilité du maître d’ouvrage, mais uniquement dans le BTP et au premier niveau de sous-traitance ; elle est donc en retrait par rapport à la loi française.

La directive de 2014 a également imposé des délais maximaux concernant l’échange d’informations entre États membres, qui ne fonctionnait pas. Mais il ne fonctionne pas davantage depuis : si la Bulgarie a intérêt à ce que les travailleurs bulgares enrichissent leur famille ou améliorent leurs conditions de vie – ce qui est tout à fait normal – alors qu’il n’y a pas d’emploi sur place, elle s’abstient de répondre à nos demandes d’information, ou le fait avec un tel retard que le travailleur concerné a déjà disparu pour réapparaître ailleurs. Bref, le système des bureaux de liaison est inopérant.

La directive dresse également une liste fermée d’exigences administratives vis-à-vis desquelles le travailleur doit être en règle – cotisations sociales, emploi par une entreprise. Elle permet aux syndicats d’exercer une action judiciaire pour le compte du travailleur ou en appui à celui-ci. Enfin, elle prévoit la reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires.

Voilà la directive de 2014 : de l’eau tiède, vu l’ampleur du problème.

Notre législation nationale, je l’ai dit, est beaucoup plus avancée. En outre, nous avons durci les sanctions administratives : aujourd’hui, il est possible d’intervenir très rapidement par l’intermédiaire des préfets et des DIRECCTE, alors même que la justice, embolisée, a beaucoup de mal à instruire ces dossiers, très complexes et qui nécessitent de se rendre sur place. Ainsi, le défaut de déclaration d’un seul travailleur détaché est passible d’une amende qui peut atteindre 500 000 euros : c’est considérable. Des procès retentissants ont eu lieu en France : EDF Flamanville, Ryanair, Dentressangle. Bref, nous progressons, même si les contrôles ne sont jamais exhaustifs. Je tiens à rendre un hommage particulier aux DIRECCTE, que je croyais, à tort, trop conservatrices et trop peu disposées à prendre leurs ordres à Paris pour s’engager dans tel ou tel chantier. En réalité, je vous invite à le vérifier dans vos régions respectives, les cellules de lutte contre le travail illégal installées par la loi Rebsamen sont particulièrement véloces et efficaces, même si les contrôles ont tendance à se concentrer sur le BTP.

Sous la pression de la France et de quelques autres pays – l’Allemagne, la Belgique –, la commissaire Thyssen a proposé cette fois une directive véritablement nouvelle, beaucoup plus ambitieuse. Après s’être longtemps abritée derrière l’observance scrupuleuse des principes du traité de Rome – libre circulation, libre prestation de service –, l’Europe s’est donc décidée à intervenir. Jean-Claude Juncker n’y est pas pour rien ; il a mesuré les dégâts politiques que la situation entraînait dans les esprits, la montée des populismes, la manipulation démagogique. À cet égard, nous ne sommes pas en reste : nous avons tous entendu dire à telle ou telle tribune, y compris celle de l’Assemblée nationale, qu’il fallait interdire le travail détaché. Mais le résultat en serait une France sinistrée. Nous ne pourrions plus envoyer personne à l’étranger pour y vendre des Airbus ou du vin, nos ouvriers ne pourraient plus se rendre sur des chantiers à l’extérieur de nos frontières pour le compte de nos entreprises de travaux publics. Bref, ce faisant, un pays exportateur comme le nôtre ne ferait que se tirer une balle dans le pied. Ce genre de propos démagogiques attire peut-être des voix, mais nuit surtout à notre emploi, à nos ambitions internationales et à notre balance commerciale.

Que propose la directive Thyssen ?

D’abord, elle clarifie la durée maximale de détachement, jusqu’alors très floue et en partie jurisprudentielle, en la limitant à vingt-quatre mois et en appliquant cette limite à la mission elle-même. Sera comptabilisé dans ces vingt-quatre mois le détachement de travailleurs venus remplacer un premier travailleur détaché dont la mission aura duré au moins six mois. Autrement dit, un travailleur détaché pendant six mois peut être remplacé, mais son successeur ne pourra exercer ses fonctions que pendant dix-huit mois. Jusqu’à présent, il suffisait de remplacer un salarié détaché et le décompte repartait de zéro.

Ensuite – c’est essentiel –, elle pose le principe « à travail égal, salaire égal », au lieu de celui qui garantissait au travailleur détaché le paiement du salaire minimum du pays d’accueil. En effet, le salaire minimum n’est pas adapté à tous les salariés quelle que soit leur qualification. Aux termes de la proposition de directive, si un chaudronnier français touche un salaire de 3 000 euros, la même rémunération est garantie à un chaudronnier polonais détaché, au lieu du SMIC jusqu’à présent.

Les États membres sont encore tenus d’élaborer un portail numérique énonçant les règles applicables au salaire des travailleurs détachés : ils doivent se montrer clairs et transparents, pour éviter tout contentieux.

La proposition de directive Thyssen reprend notre loi en étendant le champ d’application de la directive détachement à tous les secteurs d’activité et à toute la chaîne de sous-traitance. Il s’agit, en ce sens, d’une forme de transposition inversée : la loi française devient la loi européenne.

En outre, selon le texte, les conditions d’emploi et de salaire des intérimaires détachés doivent être identiques à celles qui s’appliquent aux intérimaires du pays d’accueil.

Enfin, la proposition de directive instaure une coopération renforcée entre la Commission et les États membres, notamment en esquissant un service européen non d’inspection du travail, mais d’information sur les travailleurs détachés. Il s’agit de permettre aux Européens d’intervenir dans les États membres les plus hermétiques afin d’y recueillir les informations demandées par d’autres États membres.

Cette directive, soutenue par la France, fait l’objet d’un « carton jaune », procédure instituée en 2009 qui permet à certains pays membres de contester un projet de directive avant même que celui-ci ne soit soumis au Parlement européen et au Conseil. La procédure oblige la Commission soit à revoir sa copie, soit à la retirer, soit à la maintenir en l’état, mais en la motivant. Elle nécessite un nombre minimal de voix au Conseil pour être mise en œuvre. En l’occurrence, onze États membres – l’ensemble des pays de l’Est, auxquels s’ajoutent la Croatie et le Danemark – se sont opposés, au nom du principe de subsidiarité, à toute nouvelle législation européenne sur le sujet.

La situation politique n’est donc pas simple, surtout après le Brexit, alors qu’il va nous falloir aller chercher des voix à droite et à gauche et faire preuve de la plus grande cohésion possible pour réagir à ce nouvel événement. Car, en Europe, toutes les négociations se tiennent : c’est « passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné », « je lâche sur l’agriculture, mais tu m’aides sur l’industrie », etc. Tout cela est dans la boîte noire du Conseil.

Je vous propose donc une résolution qui défend des solutions politiques, afin d’aider le Gouvernement autant que nous le pouvons. L’Assemblée nationale doit s’exprimer fermement pour soutenir Mme Thyssen, mais aussi aller plus loin qu’elle dans ses préconisations, de manière à faire entendre la voix de la France. Pour ma part, j’ai entamé un tour d’Europe ; je me suis rendu au Bundestag, qui est très intéressé par notre action. Nous pourrions d’ailleurs trouver des alliés au niveau parlementaire dans différents pays membres, mais cela requerrait du temps et des déplacements. Nous, Français, avons déjà adopté une loi très avancée ; nous devons maintenant placer notre gouvernement en position de force, pour qu’il puisse montrer qu’il ne fait pas un simple caprice, mais qu’il est mandaté par son parlement. C’est à cela que servent les résolutions européennes : à témoigner d’un consensus maximal, balayant le plus large spectre politique possible – même si chacun d’entre nous se prononcera comme il l’entend –, et de la mobilisation, de la vigilance et du dynamisme de l’Assemblée nationale sur le sujet.

Voici maintenant les termes de la proposition de résolution européenne.

D’abord, il est rappelé dans les considérants que l’on assiste à un dévoiement du détachement, qui a créé un véritable marché du travail low cost, lequel pervertit les principes concurrentiels. Car si la concurrence est bonne quand elle suscite une émulation qui améliore la qualité des services et encourage l’innovation, la concurrence par le nivellement social est en réalité une entrave à la concurrence ou un déséquilibre concurrentiel. Il s’agit, en somme, ici de prendre l’Europe au mot s’agissant de ses valeurs – le marché intérieur, la concurrence libre et non faussée ou équitable –, en visant non seulement les fraudes au détachement, mais aussi son dévoiement, qui perturbe gravement la concurrence et est socialement douloureux.

Nous soutenons ensuite la démarche de la Commission, en particulier le fait que la nouvelle directive obéisse au principe cardinal « à travail égal, salaire égal », c’est-à-dire rémunération égale.

Nous regrettons que la Commission, d’habitude si sourcilleuse sur le respect de conditions de concurrence équitables – elle ne cesse d’engager des procédures d’infraction pour entrave à la concurrence –, ait réagi si tardivement pour réguler ce marché du travail.

J’en viens au détachement d’intérim. Je considère personnellement que, si l’Europe n’est en rien à l’origine de la procédure de détachement et si elle est peu responsable des fraudes – qu’il appartient aux États membres de gérer –, la directive de 1996 a néanmoins introduit un loup dans la bergerie en créant ce type de détachement.

Le détachement est sain et utile quand il accompagne les échanges économiques : lorsque l’on vend des Airbus et que l’on envoie des salariés les mettre au point et en assurer le service après-vente, lorsque l’on détache une force commerciale dans un pays auquel on vend du vin, lorsque l’on envoie des chercheurs à l’étranger. Il ne faut pas revenir sur cette forme de détachement.

En revanche, le détachement d’intérim est opportuniste : c’est un détachement de placement. Dans ce cas, les fraudes sont très difficiles à identifier ainsi qu’à poursuivre dans un autre pays. La plupart des agences d’intérim concernées se sont considérablement développées pour faire du trading de main-d’œuvre bon marché – du moins au début, puisqu’aujourd’hui les salaires convergent : elles placent des travailleurs, indépendamment d’une quelconque activité permanente dans le pays d’origine, et obtiennent un marché chez nous. En réalité, il s’agit de placer des chômeurs : des plâtriers, des électriciens, des maçons, des ingénieurs qui sont récupérés sur le marché du travail. Ces secteurs ne correspondent même pas, pour la plupart, à l’activité de l’agence d’intérim dans son pays. En Pologne, j’ai étudié un dossier où vingt-cinq entreprises d’intérim sont domiciliées au même endroit, chez un avocat polonais à Varsovie : elles n’ont aucune existence matérielle ; elles se contentent de s’adresser à l’équivalent polonais du Pôle Emploi pour nous proposer ensuite, sous le nom de « prestation de service internationale », des travailleurs qui coûtent moins cher. C’est à ce phénomène qu’il faut mettre fin.

Dans la proposition de résolution, je me félicite donc que la Commission veuille l’encadrer, tout en estimant que ce n’est pas suffisant et que ce dévoiement devrait être tout simplement supprimé.

À l’occasion de colloques, j’en ai discuté notamment avec des Polonais, très présents dans les discussions sur le sujet – des gens très bien, d’ailleurs –, qui m’objectent que cette proposition est discriminatoire et contraire au principe de libre prestation de service. À quoi je réponds que ce n’est pas du tout le cas : il suffit que ces agences viennent s’établir en France. Nous avons indéniablement besoin de main-d’œuvre polonaise ou roumaine. Nous avons toujours eu besoin de main-d’œuvre étrangère. Les étrangers ont fait la France, au côté des Français. Aujourd’hui, il existe des secteurs dans lesquels les Français ne veulent plus travailler ou ne le peuvent plus, faute de formation. Mais il faut que les sociétés d’intérim s’installent chez nous, pour nous proposer des travailleurs au prix et aux conditions françaises, y compris s’agissant des cotisations sociales qui devraient être acquittées en France. Car ce que le détachement d’intérim a d’injustifiable, c’est que, créant un marché du travail déconnecté des échanges, il tarit nos régimes de sécurité sociale. Voilà pourquoi le combat en vaut la peine.

Il sera sans doute très difficile d’obtenir satisfaction à Bruxelles, mais c’est une affaire de longue haleine, et surtout de principe. Car c’est le détachement d’intérim qui constitue le principal dévoiement du détachement, et il explose : il a augmenté de plus de 3 000 % au cours des cinq dernières années, même s’il ne représente encore que 23 % de la totalité du détachement. Détacher des travailleurs intérimaires, cela revient à détacher directement des personnes inscrites au Pôle Emploi en Pologne, en Roumanie ou en Bulgarie – ou dans un autre pays, d’ailleurs. J’ai averti les Polonais qu’ils risquaient eux-mêmes de voir bientôt arriver des Biélorusses ou des Ukrainiens, parce que leur marché du travail est très tendu et que le chômage est quasi nul à Varsovie. Il faut leur faire comprendre que la régulation est dans notre intérêt à tous : sans elle, ceux qui profitent aujourd’hui du système en seront les victimes demain.

En ce qui concerne la procédure du « carton jaune », les États qui l’ont engagée ont eu tort de s’opposer à la directive au nom du principe de subsidiarité. Ce principe veut que l’on traite une affaire au niveau le plus approprié. Or, s’agissant des travailleurs étrangers temporaires ou hautement mobiles, comme les routiers, c’est l’Europe qui est la plus à même de dépasser les blocages nationaux. La position de Manuel Valls sur le sujet est la suivante : si l’on considère qu’il s’agit d’une affaire subsidiaire, alors on peut tout s’autoriser et les dispositions en la matière peuvent être prises unilatéralement. Voilà pourquoi il importe que l’Assemblée nationale souligne le danger inhérent à l’objection de subsidiarité. Nous devons ici soutenir notre gouvernement : si l’objection est suivie d’effet, nous agirons unilatéralement. Ce n’est pas souhaitable, mais l’on ne peut pas opposer la subsidiarité à un État dès qu’il soulève un problème désagréable. Ce sujet doit être traité au niveau européen.

En ce qui concerne le champ de la réforme proposée, nous approuvons la définition d’une durée maximale de détachement fixée à vingt-quatre mois. En revanche, le seuil de six mois devrait, à notre sens, être réduit, car la durée moyenne des détachements est de trente-trois jours. Il s’agit d’éviter de faire courir un nouveau délai de vingt-quatre mois à chaque remplacement.

Nous saluons le fait que le texte rende le donneur d’ordre pleinement responsable.

Nous nous déclarons favorables à l’instauration d’une durée minimale d’emploi de trois mois dans le pays d’origine avant le détachement de travailleurs. À l’heure actuelle, les personnes sont directement récupérées sur le marché du travail pour être détachées.

Nous regrettons que la proposition de la Commission soit un peu faible s’agissant du détachement intra-groupe, le plus difficile à contrôler.

Nous déplorons l’absence de législation européenne sur les opérations de cabotage autorisées à l’occasion d’un transport international. Ce problème du transport routier fait l’objet d’un traitement séparé à Bruxelles : il ne relève pas de la commissaire Thyssen, mais de la direction générale de la mobilité et des transports (DG MOVE). Nous ne demandons pas à Mme Thyssen de s’en occuper, ce qui ne serait pas souhaitable, car cette question agrégerait contre nous les Espagnols, les Finlandais et les Suédois : au niveau européen, les clivages à propos des transports sont très différents des autres. Mais nous souhaitons que quelque chose soit fait au sujet du transport routier international.

Aujourd’hui, en effet, qu’est-ce que le détachement s’agissant de travailleurs qui franchissent les frontières ? Le transport sous pavillon français n’est plus international qu’à 10 %, et cette activité repose uniquement sur des travailleurs sous-payés, car rémunérés au tarif de leur pays d’origine. Geodis emploie des chauffeurs roumains payés quelque 210 euros par mois. S’il devait recourir à des chauffeurs français, le coût en serait renchéri au point qu’il devrait renoncer au transport international. Le problème est le même que pour les marins, qui sont maintenant tous philippins.

À ce sujet, je suis personnellement favorable à l’exonération totale de charges sociales pour les chauffeurs routiers français qui travaillent à l’international, sur le modèle de ce qui a été fait pour les marins dans le secteur du shipping. C’est le seul moyen de perpétuer leur présence dans ce segment d’activité, et cela ne coûterait pas très cher, puisqu’il n’y a plus de chauffeurs français à l’international !

Ce qui ne doit pas nous empêcher d’insister auprès de Bruxelles pour qu’une législation soit adoptée concernant ces personnels hautement mobiles. Il en existe une en France, mais elle est, à mon avis, impraticable, sans compter qu’elle fait l’objet d’une procédure d’infraction de la part de la Commission. L’Allemagne, qui voulait nous imiter, a dû renoncer pour les mêmes raisons. Un travailleur sédentaire venu d’un pays donné est détaché dans un autre pays ; mais qu’en est-il de personnes qui, tous les jours, franchissent les frontières luxembourgeoise, belge, française ? Voilà pourquoi il faut adopter un statut du travailleur hautement mobile international au niveau européen, et appliquer à ces travailleurs une exonération de charges sociales en France.

M. Denys Robiliard. Au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, je commence par féliciter notre rapporteur de sa persévérance, tout au long de la législature, sur cette question des travailleurs détachés : il a notamment déposé une proposition de loi et a largement contribué à renforcer les différentes lois qui ont abordé ce sujet – loi pour la croissance et l’activité, loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, loi Travail…

Quinze jours après le référendum sur le Brexit, le travail détaché est l’un des terrains sur lesquels l’Union européenne joue sa survie : après la délocalisation des emplois, ce n’est rien d’autre que la délocalisation des salariés. Il y a un jeu sur les différences de cotisations sociales, de conditions de travail d’un pays à l’autre. Mais il y a aussi, soyons clairs, des fraudes : une législation qui, dans son principe, n’est pas discutable sert à faire subir à des travailleurs des durées du travail qui n’ont plus rien de légal et des conditions d’hébergement scandaleuses. Souvent, le travail détaché légal n’a pas un fort intérêt économique ; son attrait principal, c’est qu’il sert de support à une illégalité – qui n’est pas systématique, mais qui est très fréquente.

Le nombre de travailleurs détachés augmente, vous l’avez dit, dans des proportions gigantesques. Vous avez donc raison, monsieur le rapporteur, de sonner le tocsin.

La France a fait ce qu’elle pouvait faire : obligations des donneurs d’ordre, alourdissement des sanctions, réforme du contrôle… Nous en sommes, vous le rappeliez, à 1 300 contrôles par mois : cela représente une multiplication par plus de dix. L’efficacité est donc réelle.

Parallèlement, il fallait intervenir pour modifier la directive elle-même et corriger ses failles. Michel Sapin a le premier mené ce combat au sein des instances européennes, et a obtenu des résultats, puisque la commissaire Thyssen propose cette nouvelle directive. La méthode que vous nous proposez est intéressante : cette résolution européenne permettra de montrer que nous sommes tous derrière notre gouvernement pour modifier la législation communautaire en matière de travail détaché.

Je ne m’attache pas ici aux détails techniques, mais j’insiste sur la pertinence particulière des dispositions qui concernent le transport routier, qui est l’un des secteurs qui souffrent le plus du détachement. Les dispositions que nous avons adoptées au niveau national sont aujourd’hui débattues au niveau communautaire.

Enfin, la question du travail détaché commence à faire changer le regard porté sur l’inspection du travail par la Fédération française du bâtiment ou la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) : c’est la première fois que j’entends des chefs d’entreprise se plaindre du manque d’inspections ! Aujourd’hui, ces secteurs commencent à comprendre qu’une juste concurrence passe par de véritables moyens de contrôle.

Mme Isabelle Le Callennec. Merci, monsieur le rapporteur, de votre constance sur ce sujet. Du fait des dispositions sur le travail détaché, le droit communautaire est vécu par nos concitoyens comme un outil de concurrence déloyale, de dumping social, en un mot, de développement d’un travail low cost, à la suite notamment de l’intégration dans l’Union européenne de pays aux réalités socio-économiques bien différentes des nôtres.

Malgré de très nombreux recours en justice et même l’interruption d’une quinzaine de chantiers dans notre pays, le flux des travailleurs détachés ne cesse d’augmenter – il a crû de plus de 25 % entre 2014 et 2015, pour s’établir à environ 286 000 travailleurs aujourd’hui, mais il faut tout de même rappeler qu’il y a des Français qui partent travailler à l’étranger. Il faut souligner également que le détachement d’intérim bat tous les records.

Cette proposition de révision intervient dans un climat européen tendu et, vous l’avez rappelé, onze pays ont fait usage de la procédure du « carton jaune ». La résolution ne traite pourtant pas des problèmes qui fâchent le plus : la réforme du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale ou le cas des travailleurs hautement mobiles.

Au niveau national aussi, le climat est un peu tendu, puisqu’il semble que la majorité ne soit pas tout à fait unanime : le Premier ministre a même menacé de cesser d’appliquer la directive européenne si elle n’était pas révisée, mais la rapporteure générale du budget lui a fait remarquer que la baisse des cotisations sur les bas salaires rendait l’emploi d’un travailleur local moins cher que celui d’un travailleur détaché – au niveau du SMIC en tout cas.

J’ai beaucoup discuté de ce sujet avec Élisabeth Morin-Chartier, députée européenne du groupe du parti populaire européen (PPE) et corapporteure du texte. Notre objectif commun n’est pas de lutter contre le détachement, vous l’avez dit, mais bien contre les dérives et les fraudes. La France a beaucoup réagi et l’opposition a toujours soutenu la majorité en ce sens.

Il est nécessaire de redéfinir le détachement comme le fait d’exécuter, sur une courte période, une mission que l’on exécute habituellement dans son pays d’origine.

Nous ne sommes pas favorables à la suppression totale du détachement d’intérim ; il doit juste être redéfini et contrôlé. Vous faites des propositions que l’on peut tout à fait retenir.

S’agissant des contrôles, il faut continuer de les renforcer. Il ne faut surtout pas abandonner la traque des sociétés-écrans et autres boîtes aux lettres, qui doit rester au cœur des tâches de l’inspection du travail. Une procédure européenne pourrait se révéler utile, mais il faut veiller à ne pas créer d’usine à gaz.

En ce qui concerne les secteurs d’emploi sinistrés, il est vrai que le détachement déstabilise des pans entiers de notre économie, en particulier l’agriculture. Cela doit nous amener à nous interroger sur les offres d’emploi non pourvues, et donc sur l’indemnisation du chômage ; certains Français restent au chômage alors que l’on a par ailleurs recours à une main-d’œuvre étrangère.

Nous sommes donc plutôt favorables à votre proposition de résolution européenne. Il faudrait néanmoins s’assurer de sa compatibilité avec les dispositions contenues dans la loi Travail, que nous n’avons pas pu voter.

Madame la présidente, je pense également qu’il pourrait être utile d’entendre la commissaire Marianne Thyssen : une coopération renforcée entre ce qui se passe à Bruxelles et ce qui se passe à Paris serait utile.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous verrons, en fonction de notre calendrier, s’il est possible d’entendre la commissaire Thyssen.

M. Michel Liebgott. Je me félicite, sur un sujet connexe, des dispositions anti-dumping prises par la Commission européenne concernant le secteur de la sidérurgie. Ces dispositions efficaces font suite à une mobilisation du patronat, notamment d’Eurofer.

Mais l’Europe ne doit pas défendre uniquement les intérêts des entreprises : l’examen de cette résolution montre qu’elle se préoccupe aussi des salariés.

Peut-on espérer résoudre le problème ? Beaucoup estiment qu’il naît surtout de l’intégration de nouveaux États membres ; pourtant, les pays qui attirent le plus de travailleurs détachés sont l’Allemagne, la Belgique et la France, mais ceux qui en détachent le plus sont la Pologne, l’Allemagne et la France. Peut-on donc vraiment estimer que l’arrivée des pays d’Europe centrale et de l’Est est à l’origine du problème ?

M. Arnaud Viala. Je comprends bien l’intérêt de cette révision. Mais je crois que l’on soigne le symptôme, non la cause. J’aimerais que l’on s’interroge sur le fait qu’aujourd’hui, des entrepreneurs, des PME, des exploitations agricoles et autres n’ont pas d’autre solution que de faire venir des travailleurs de l’étranger. Ce matin même, l’ambassadeur allemand en France a dit devant la commission des affaires européennes que l’indemnisation du chômage en Allemagne était nettement moins avantageuse qu’en France, et qu’il n’était pas envisageable que l’Allemagne revienne sur cet état de fait.

La France doit donc s’interroger sur les charges qu’elle fait peser sur le travail, qui la rendent si peu compétitive par rapport à ses voisins, notamment l’Allemagne.

M. Gérard Sebaoun. Merci, monsieur le rapporteur, pour la clarté de vos propos.

Vous évoquez une durée maximale de détachement de vingt-quatre mois. Mais ces missions peuvent-elles être éternellement reconduites ?

Peut-on imposer, comme le texte le propose, de payer le travailleur détaché au salaire moyen du pays d’accueil ? Le droit des contrats le permet-il ?

La Fédération française du bâtiment semble, je le constate également, satisfaite du renforcement des contrôles. L’introduction de la carte BTP sur les chantiers vous semble-t-elle avoir montré son efficacité pour lutter contre le travail détaché ? Dans mon département, j’observe surtout la présence de nombreux travailleurs turcs : il ne s’agit plus alors d’un problème communautaire.

M. Jean-Louis Roumégas. Merci, monsieur le rapporteur, de votre pédagogie et de votre constance dans cet engagement : c’est l’idée même d’Europe qui est discréditée par le dumping social. N’oublions pas que le principal problème est lié à la délocalisation des activités économiques et des emplois. Or le détachement touche des emplois que l’on considérait jusque-là comme non délocalisables, que ce soit dans l’agriculture ou dans le bâtiment. On importe ainsi des conditions de travail et de salaires qui sont celles des pays européens les moins avancés.

Je soutiens cette proposition de résolution. Au-delà des règles qui doivent être révisées, c’est surtout un usage illégal du détachement qui est en cause : l’inspection du travail dispose-t-elle de moyens à la hauteur des besoins ? Vos chiffres montrent un renforcement des contrôles, mais ne faut-il pas aller plus loin encore ?

Ces gens ne viennent pas tout seuls ; ils font l’objet d’un commerce mené par de véritables négriers, qui disparaissent après avoir sévi quelque temps. Ne faudrait-il pas également renforcer la coopération judiciaire à l’échelle européenne pour pourchasser ces malfaiteurs ?

M. Yves Censi. Je salue, à mon tour, l’opiniâtreté du rapporteur sur ce sujet.

Vous trouvez le groupe Les Républicains à vos côtés pour demander la révision de la directive Bolkestein : il faut respecter les règles, la décence tout simplement, et il faut « dé-ensauvager » les relations de travail à l’intérieur de l’Europe. Nos concitoyens ne supportent plus cet état de fait.

Les distorsions de concurrence sont à l’origine des problèmes causés par le détachement : nous devons ici nous interroger sur une convergence minimale, fiscale ou sociale. Je souhaiterais, pour ma part, que la France remette ce sujet sur la table.

Le travail détaché est un fléau qui frappe particulièrement certains secteurs, comme le transport et le bâtiment. Dans d’autres, comme l’agriculture, il est nécessaire. Il faut donc agir prudemment, et éviter toute mesure massive qui semble tout résoudre. Il faudrait notamment éviter de durcir notre législation nationale : tout le monde ne doit pas payer pour les agissements néfastes de quelques-uns.

Il est donc opportun de soutenir la commissaire Thyssen, en agissant intelligemment pour ne pas tuer le détachement, qui peut être un phénomène très positif. Il faut aussi expliquer la situation à nos concitoyens.

M. Philip Cordery. Je remercie, moi aussi, le rapporteur pour son engagement de longue date sur ce sujet.

Il ne s’agit aucunement d’interdire le détachement, qui est une réalité utile : un salarié français doit pouvoir partir en mission en conservant sa protection sociale française. Ce sont bien les abus qu’il faut réprimer. La législation française a, depuis 2012, vraiment amélioré la situation.

Cette proposition de directive est un pas supplémentaire dans la bonne direction, comme l’a été, d’ailleurs, l’introduction du salaire minimal en Allemagne. Le principe « à travail égal, salaire égal » est très juste. On peut regretter, en effet, que la question du détachement d’intérim ne soit pas mieux traitée, tout comme celle du transport routier : ce sont deux sujets sur lesquels il faudra revenir.

J’estime regrettable qu’ait été utilisée la procédure du « carton jaune », mais seuls onze pays l’ont déclenchée. C’est peut-être la procédure elle-même qui pose problème. La Commission pourra, de toute façon, avancer ; le processus n’en est que retardé.

Il faudra aller plus loin dans la convergence salariale à l’échelle européenne, ce qui passe par l’introduction de salaires minimaux dans tous les pays européens. Je me permets d’ailleurs, madame la présidente, de vous proposer de présenter devant votre commission le rapport que j’ai remis à la commission des affaires européennes sur le salaire minimum au sein de l’Union européenne : à moyen terme, une stratégie de convergence salariale est indispensable.

M. Christophe Sirugue. Lors des auditions que nous avons menées pour préparer la loi Travail, nous avons compris qu’avec l’article relatif à la lutte contre la fraude au travail détaché, la législation française poussait au maximum de ce que nous pouvions faire : la suite devait donc nécessairement intervenir à l’échelle européenne. Cette résolution y contribuera. Je soutiens le rapporteur, notamment en ce qui concerne l’affiliation à la sécurité sociale.

La dix-neuvième proposition évoque un éventuel durcissement unilatéral de la législation française : à quoi faites-vous allusion, dans la mesure où, je l’ai dit, nous croyons être allés aussi loin qu’il nous était possible ?

M. Richard Ferrand. M. le Premier ministre a indiqué que, si d’aventure la directive modifiée ne convenait pas à la France, nous ne l’appliquerions pas. Le droit européen le permettrait-il ?

M. Jean-Patrick Gille. Je salue, à mon tour, la ténacité du rapporteur sur ce sujet de plus en plus crucial. Il faut aussi être très clairs sur notre opposition au détachement d’intérim.

Je connais le pragmatisme foncier du rapporteur, mais je suis un peu dubitatif sur la proposition de suppression des charges sociales sur les chauffeurs routiers internationaux. Le raisonnement se comprend, mais ne serait-ce pas mettre le doigt dans un engrenage dangereux ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je me félicite que la France soit à l’avant-garde sur ce sujet.

En revanche, je regrette le lien un peu rapide fait par Mme Le Callennec entre des offres d’emploi non pourvues et le travail détaché. Nos concitoyens au chômage sont aussi courageux que d’autres, mais ils veulent travailler dans des conditions dignes. Évitons les raccourcis qui mènent vite au populisme.

M. le rapporteur. Merci de ces nombreuses questions et interventions.

Il ne faut pas laisser s’installer dans les esprits l’idée que nous serions en train de réviser la directive Bolkestein. Celle-ci porte sur l’établissement d’entreprises d’un État membre dans un autre État membre : le droit d’établissement est l’une des composantes de la libre prestation de services. Elle autorisait notamment un plombier polonais à venir s’installer en France : la discussion – curieuse, au demeurant – avait pour objet de se demander s’il pouvait s’installer aux conditions polonaises ou s’il devait respecter l’ensemble du droit interne français.

Revue et corrigée par la rapporteure de l’époque, Mme Gebhardt, cette directive permet aujourd’hui de s’établir dans un pays intégralement aux conditions de ce pays : la directive Bolkestein est ainsi devenue un antidote aux fraudes au détachement.

Ainsi, Ryanair avait recruté, à l’aéroport de Marignane, 120 personnes, toutes provençales mais toutes soi-disant détachées de Dublin, et avec des contrats de travail irlandais. Une enquête remarquable de la DIRECCTE et de l’Office central de lutte contre le travail illégal, unité spécialisée de la gendarmerie, a prouvé que ces personnes ne se rendaient jamais à Dublin et qu’il n’y avait donc aucun travail effectif en Irlande. L’établissement de Ryanair à Marignane était donc bien un établissement permanent, camouflé en établissement temporaire de travailleurs détachés irlandais. Ryanair a donc dû payer plusieurs années de cotisations sociales, ainsi que des sanctions considérables. Et c’est grâce à la directive Bolkestein, telle qu’elle est sortie du Parlement européen, que la requalification a été possible. Elle n’est donc pas l’épouvantail que nous en avons fait.

Ce que nous révisons ici, ce sont les directives sur le détachement : nous travaillons sur la délocalisation des travailleurs, selon la formule heureuse de Denys Robiliard, et non sur la délocalisation des entreprises.

S’agissant des offres d’emploi non pourvues dont a parlé Mme Le Callennec, je ne suis pas sûr qu’elles soient liées au niveau d’indemnisation du chômage ; c’est un débat de fond dans lequel nous ne pouvons pas nous engager maintenant. J’observe simplement que nous avons considérablement dévalorisé les métiers manuels en France ; même les centres d’information et d’orientation de l’éducation nationale détournent les jeunes de ces filières.

Monsieur Liebgott, la France, l’Allemagne et la Pologne sont très concernées, mais elles ne sont pas les seules. Les travailleurs détachés viennent parfois, cela a été dit, de pays non communautaires : la législation européenne doit s’appliquer à tous. Politiquement, il est vrai que tout tourne autour de la France, de l’Allemagne, du groupe de Visegrád, de la Roumanie. Si la procédure du « carton jaune » a été déclenchée, c’est à l’initiative de ce groupe de Visegrád. Le Danemark ne s’est joint au mouvement que parce qu’il est particulièrement attaché au principe de subsidiarité, et donc très peu intégrateur.

Monsieur Viala, vous demandez que les PME n’emploient pas de travailleurs détachés. Notre législation va déjà dans ce sens, et le patronat lui-même, notamment celui du secteur du bâtiment et des travaux publics, souhaite son durcissement. Face au travail détaché qui déséquilibre la concurrence, il n’entrevoit comme options que soit basculer dans le travail low cost, soit nous demander une législation protectrice – ce que nous devons faire.

Je vous rappelle aussi que, grâce au pacte de responsabilité et au CICE, entre autres mesures, le coût moyen du travail en France est repassé en deçà du coût moyen du travail en Allemagne.

Monsieur Sebaoun, avec une mission localisée et identifiée d’une durée maximale de vingt-quatre mois, il sera très compliqué de reproduire en permanence des missions de vingt-quatre mois sur le même site. Cela ne serait pas impossible, mais cela concernerait des chantiers considérables qui feraient l’objet d’une grande vigilance.

Est-il juridiquement fondé que la rémunération minimale soit établie en fonction du salaire moyen du pays d’accueil ? Je pense que cela doit être possible, surtout si c’est autorisé par une directive européenne. Sur le marché foncier, on établit la valeur fiscale d’un bien en fonction de la valeur moyenne de ceux qui se trouvent à proximité.

Je n’étais pas très favorable à la généralisation d’une carte dans le bâtiment. J’ai peur qu’elle n’alimente la fraude. La caisse de congés payés du secteur a évidemment intérêt à en délivrer pour récupérer des cotisations : elle n’est pas totalement désintéressée. Sera-t-elle pour autant responsable des cartes qu’elle délivrera ? S’assurera-t-elle vraiment qu’elle n’a pas affaire à de faux travailleurs détachés ? L’identification de tous les travailleurs détachés constitue une tâche difficile, car il faut vérifier qu’ils ont un travail réel et sérieux. Il ne faudrait pas que la carte de congés payés du bâtiment soit un faux nez qui affaiblirait nos propres contrôles. Par ailleurs, ces cartes sont-elles falsifiables ? Pourra-t-on en donner à de vrais travailleurs illégaux ?

Nous avons accepté d’introduire le dispositif dans la loi Macron, mais il faudra en faire une évaluation sérieuse. Certaines branches professionnelles n’y étaient pas très favorables, car elles ne voulaient pas porter la responsabilité du contrôle des travailleurs détachés. Si l’on ne contrôle pas qu’un travailleur détaché est en conformité avec les règles de son propre pays, nous allons nous retrouver avec des travailleurs qui transgresseraient les règles de leurs pays d’origine mais qui seraient détenteurs de la carte de congés payés française. Il faudra que nous restions vigilants sur ce sujet dans les mois à venir.

Pour ma part, j’ai préféré proposer à l’Europe de mettre en place progressivement une carte du travailleur mobile, équipée d’une puce susceptible d’être informée et interrogée dans tous les pays d’Europe. Cette mesure se trouve dans la proposition de résolution, de même que la création d’une agence européenne du travail mobile parce que les bureaux de liaison ne fonctionnent pas bien.

Monsieur Roumégas, le contrôle n’est jamais exhaustif. Les mailles du filet doivent seulement être assez serrées pour avoir un effet dissuasif, de sorte que des opérations de contrôle puissent déboucher sur des sanctions très lourdes. C’est ce que nous cherchons, et c’est bien parti. J’ai la faiblesse de penser que nos services ont fourni un travail remarquable dans un délai très bref. La mobilisation a été exceptionnelle, même si je ne dis pas qu’elle a été suffisante.

Les services de contrôles du travail illégal sont nombreux : il y en a au sein des douanes, dans les DIRECCTE, dans les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ou dans la gendarmerie. La coordination en est normalement assurée par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), et le problème est davantage là que dans le manque de moyens. Il est peut-être souhaitable de recruter, mais il faut surtout taper fort. Et taper fort, c’est faire de la dissuasion !

Vous posez une excellente question sur les négriers. Je n’ai pas de réponse mais il faudra nous pencher sur le sujet. Pour des raisons fiscales, une grande partie des agences de travail temporaire sont installées à Chypre. Elles nous envoient des Bulgares ou des ressortissants d’autres pays. C’est devenu un job, du trading de main-d’œuvre low cost.

S’agissant de l’affiliation à la sécurité sociale, évoquée par Christophe Sirugue, je veux dissiper toute ambiguïté : elle doit se faire dans le pays d’origine. Les Français détachés sont plutôt des cadres. Si nous devons proposer à des ressortissants nationaux de travailler quatre mois en Bulgarie avec la sécurité sociale et la retraite bulgares, nous n’enverrons plus personne à l’étranger. C’est aussi pour cela qu’il faut remettre le détachement dans son lit : il ne peut s’agir que d’une démarche liée aux échanges de biens et de services. Dans ce cas, le détachement est sain, il constitue la respiration sociale de l’économie, notamment des échanges internationaux. Il ne peut, en revanche, pas y avoir de marché du détachement comme aujourd’hui. C’est pour cela que nous voulons mettre fin au détachement d’intérim, qui ne constitue pas une fraude mais un dévoiement.

Ne confondons pas tout en affirmant que tout le monde doit cotiser à la sécurité sociale en France. Si c’était le cas, la sécurité sociale des travailleurs des plateformes pétrolières devrait être payée au Gabon ou au Congo : on ne trouvera alors pas grand monde en France pour s’affilier à ces régimes sociaux aux niveaux de prestations très faibles.

À ce sujet, nous souhaitons que la révision du règlement européen de coordination de sécurité sociale permette d’organiser des compensations entre pays en fonction du volume de travailleurs détachés, de façon plus ou moins forfaitaire afin que les systèmes de sécurité sociale ne pâtissent pas du dispositif. Par principe, je continue de penser que le détachement d’intérim et les marchés de placement de main-d’œuvre ne devraient pas exister.

Monsieur Ferrand, nous appliquerons évidemment la directive. Le Premier ministre a seulement voulu dire que si les onze États membres à l’origine de la procédure du carton jaune faisaient jouer la subsidiarité et ne voulaient rien entendre, nous prendrions des mesures unilatérales. L’expression du Premier ministre a été malheureuse, j’en ai discuté avec lui. On ne peut pas s’affirmer Européen et ne pas appliquer une directive, car cela entraîne au moins des pénalités, une traduction devant la Cour de justice de l’Union européenne, et une insécurité juridique qui est préjudiciable à nos propres citoyens.

Monsieur Gilles, la proposition que je faisais n’était qu’incidente. Elle ne reflète que l’état de ma réflexion sur les moyens de retrouver des chauffeurs routiers français. Elle m’a été inspirée par le shipping, ce régime actuellement en vigueur pour les marins français, qui permet une exonération totale de charges sociales. Dans un contexte de concurrence mondiale, on n’a pas su faire autrement pour éviter de ne plus avoir à bord que des Philippins. Je ne vois pas comment nous trouverions d’autres solutions solides pour le transport routier international : avec de tels écarts de charges sociales et de coût du travail, la sélection se fera, à l’international, par les chauffeurs. Je suggère, en conséquence, au Gouvernement d’adopter cette mesure, mais cela n’engage pas la proposition de résolution. Cette solution a toutefois un énorme défaut : les pilotes de ligne, qui gagnent 18 000 euros par mois, demandent que le même régime leur soit appliqué au nom de l’effort de compétitivité qu’on leur demande. Le problème, c’est qu’ils sont nombreux et qu’à ce niveau de salaire, cela constituerait pour notre pays un véritable manque à gagner.

M. Jean-Patrick Gille. Je comprends le raisonnement du rapporteur, mais j’ai aussi entendu ce qu’il a dit sur l’usage de la notion de subsidiarité. Je suis réticent à l’idée que nous commencions à décider que telle ou telle profession est exonérée de charges sociales. En la matière, l’Europe me semble constituer le bon niveau de réglementation. Il faut se servir de ces sujets comme d’un levier pour parvenir, par exemple, à fixer un forfait de charges sociales au niveau européen. Mieux vaut définir collectivement un niveau minimal plutôt que de s’en tenir au zéro charge.

M. le rapporteur. C’est précisément ce que nous observons à l’alinéa 25 de la proposition de résolution qui prévoit « que le principe de subsidiarité […] vaut dans les deux sens, et qu’il trouve opportunément matière à s’appliquer au profit d’un accroissement des règles et des compétences communautaires dans un domaine comme le travail international ». Ce n’est qu’à la toute fin de la résolution que nous soulignons, pour faire pression au niveau européen, que si la subsidiarité doit jouer dans un sens souverainiste, nous prendrons des mesures de façon unilatérale. La question du transport routier n’est pas traitée spécifiquement. La mesure que je propose d’appliquer à ce secteur serait, en tout cas, aujourd’hui parfaitement conforme aux règles européennes : il s’agit d’une mesure nationale interne.

M. Rémi Delatte. Madame la présidente, je voudrais lever toute ambiguïté sur ce qu’a voulu dire Isabelle Le Callennec, pour éviter une mauvaise interprétation de ses propos
– d’autant que vous avez constaté la convergence de l’ensemble des membres de cette commission. Notre collègue a tout simplement expliqué qu’à partir du moment où certains emplois étaient pourvus avec des travailleurs détachés dans des conditions de salaire ou de travail qui ne sont acceptables, ils n’étaient pas proposés à des personnes en recherche d’emploi. Elle n’a pas du tout prétendu que quiconque serait satisfait de ne pas trouver d’emploi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mme Le Callennec a fait un lien avec le niveau d’indemnisation du chômage, qu’elle a évoqué dans la même phrase.

M. Rémi Delatte. Elle se contentait de relever que cet état de fait devait conduire à mener une réflexion sur l’indemnisation du chômage mais, en aucun cas, ne faisait un lien qui n’existe pas, ni ne sous-entendait que certains se complairaient dans la situation de demandeur d’emploi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le doute est ainsi levé.

Dans un contexte européen tendu après le vote en faveur du Brexit, nous cherchons tous à éviter un phénomène de contagion. Cette proposition de résolution montre que l’Europe ne peut pas se construire dans une confrontation entre les États membres sur la question de la libre circulation des travailleurs. Il faut une régulation pour éviter de tomber dans la caricature du plombier polonais, séquence de stigmatisation que j’avais, pour ma part, très mal vécue.

La Commission en vient à l’article unique de la proposition de résolution.

La Commission est saisie de l’amendement AS1 de M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. L’Union européenne compte actuellement neuf régions ultrapériphériques (RUP) dont six françaises : la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Martin et la Guyane. Toutes sont soumises aux politiques communes.

Ces régions souffrent d’un réel blocage de développement qui peine à se résorber malgré les fonds de soutien et de nombreux programmes européens dont elles ont pu bénéficier au nom de la politique de cohésion. Elles sont fortement impactées par le chômage – le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est de 65 % à la Martinique. Le niveau de vie y est aussi particulièrement dégradé : le PIB moyen par habitant correspond globalement à la moitié de celui de l’Union européenne.

La situation économique et le risque d’explosion sociale rendent indispensable un rattrapage en matière d’équipements collectifs et d’infrastructures, non seulement pour améliorer le cadre vie des populations, mais également pour générer des emplois, étant donné que le secteur du BTP est l’un des seuls pourvoyeurs en la matière, notamment en périodes de grands chantiers.

Or, au cours des dernières années, alors que de grands chantiers ont été lancés, on a observé que la majorité des marchés de la construction étaient remportés par des entreprises françaises ou des multinationales qui avaient quasi systématiquement recours à des travailleurs détachés, et parfois même au travail dissimulé via des agences d’intérim aux pratiques douteuses, au détriment de la main-d’œuvre locale.

On nous dit que les services de l’inspection du travail s’attachent, notamment dans les RUP françaises, à vérifier le respect de la réglementation européenne applicable aux prestations de services internationales, et du droit du travail et des conventions collectives applicables. Pourtant, nombre de contrevenants passent entre les mailles du filet – c’est manifestement encore plus facile chez nous qu’en métropole. Quant aux grands donneurs d’ordres, ils ne sont pas toujours exemplaires en matière d’anticipation des besoins en emplois et compétences nécessités par leurs chantiers, et ils ne cherchent pas non plus à initier l’intégration des compétences locales.

À l’évidence, l’adaptation des normes européennes à la réalité des outre-mer est indispensable et légitime – l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est expressément prévu à cet effet. Mon amendement vise à faire en sorte que la proposition de résolution tienne compte des spécificités des RUP françaises et permette à la Commission européenne de prévoir, dans sa révision de la directive concernant le détachement des travailleurs, des dispositions visant à favoriser la mobilisation de la main-d’œuvre locale dans les régions ultrapériphériques françaises.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que les trois autres RUP européennes sont les Açores et Madère, portugaises, et les îles Canaries, espagnoles.

M. le rapporteur. J’ai bien conscience des difficultés particulières que rencontrent nos régions ultrapériphériques d’outre-mer. Toutefois, cet amendement me pose un double problème. D’une part, il ne se rattache à aucune législation en vigueur s’agissant du traitement différencié de la métropole et des RUP, et, d’autre part, sur le sujet particulier des travailleurs détachés, je ne vois pas de spécificité de ces territoires.

Ce problème affecte également en métropole des régions touchées par des taux de chômage considérables, comme l’ancienne région du Nord. La réponse est la même : application de la législation et de la directive européenne et renforcement des contrôles. Ce dernier relève peut-être d’une problématique particulière dans les régions ultrapériphériques, mais, globalement, je constate qu’il n’existe les concernant ni de spécificité juridique ni de spécificité du phénomène lui-même.

De plus, je ne vois pas comment nous pourrions demander que ne soient protégées que les régions ultrapériphériques françaises. Ce serait envoyer un bien étrange message à l’Europe. Il me semble fort peu probable qu’elle veuille se pencher sur un cas particulier.

Monsieur Nilor, si vous acceptiez de retirer votre amendement, je suis prêt à en présenter un moi-même afin qu’une attention particulière soit portée aux régions ultrapériphériques. L’alinéa 13 de la proposition de résolution – « Considérant que les dérives du détachement de travailleurs sont contraires au principe de concurrence libre et non faussée du marché intérieur européen, en cela qu’elles tendent à contourner le principe de subsidiarité des politiques salariales et sociales en proposant sur les marchés du travail nationaux une main-d’œuvre qui ne bénéficie ni des mêmes conditions d’emploi et de travail, ni de la même couverture sociale que les travailleurs nationaux, » – serait ainsi complété par les mots : « en Europe continentale comme dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne, ».

M. Jean-Philippe Nilor. Les régions ultrapériphériques bénéficient d’un statut spécifique, qui atteste bel et bien de leur différence. C’est non seulement leur éloignement géographique, mais aussi leurs handicaps et leur situation spécifique qui sont ainsi reconnus, et cela par les instances européennes elles-mêmes. Ne soyons pas plus stricts que l’Europe ! La législation européenne est beaucoup plus ouverte que ce que vous dites, et je répète que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet un traitement spécifique des RUP.

Bien sûr, le problème des travailleurs détachés touche toutes les régions. Cependant, lorsque, à la Martinique, où le chômage touche 65 % des moins de vingt-cinq ans, pour certains formés, une entreprise comme EDF fait venir pour un gros chantier 600 travailleurs détachés, il y a de quoi être choqué. Je ne viens pas pleurer mais pour rappeler que nos territoires ne présentent pas les mêmes conditions économiques que la métropole, ce qui rend les comparaisons avec certaines de ses régions non pertinentes. La micro-insularité et la distance font que l’application des règles nationales ou européennes ne se fait pas outre-mer dans les mêmes conditions que dans l’hexagone. C’est pourquoi j’insiste sur la situation spécifique et particulière des outre-mer.

Cela dit, rien n’empêche que vous défendiez l’amendement que vous venez de proposer, et que je maintienne le mien.

M. Jean-Louis Costes. La République française est une et indivisible. La question des travailleurs détachés est suffisamment compliquée, et le message de la France est déjà assez difficile à faire passer sans que nous demandions en plus un traitement dérogatoire en faveur de nos outre-mer. Cela ne serait absolument pas crédible. Nous voterons contre l’amendement de M. Nilor.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous serez surpris d’entendre, monsieur Costes, que depuis la Constitution de 1958 et le début de la déconcentration des services de l’État voulue par le général de Gaulle, la République n’est plus qu’« indivisible ».

M. le rapporteur. Je sais l’extrême sensibilité des problèmes d’emplois dans les outre-mer, mais les exemples que Jean-Philippe Nilor avance recevront comme réponse de l’Europe que la question est franco-française.

En tout état de cause, même si je ne vois toujours pas la spécificité du phénomène, je répète qu’il faudrait au moins se battre au niveau européen avec les autres régions ultrapériphériques de l’Union. De plus, pour reprendre l’exemple d’EDF, j’imagine qu’elle n’a pas embauché 600 personnes dans la région des Caraïbes.

M. Jean-Philippe Nilor. C’était des Roumains, des Ukrainiens, des Polonais…

M. le rapporteur. Si j’étais commissaire européen, je suggérerais à la France de balayer devant sa porte, en l’occurrence d’expliquer à EDF, qui reste une entreprise publique, que cette pratique est légale mais pose des problèmes politiques. Je m’étonne aussi que l’on transporte de la main-d’œuvre de Roumanie vers la Martinique – en termes de coût, cela n’a rien à voir avec un déplacement de travailleurs roumains vers l’Autriche. La question est donc de savoir s’il existe vraiment sur place une main-d’œuvre qualifiée pour les métiers à pourvoir, et elle interroge directement la France. Ne sommes-nous pas coupables de n’avoir pas mis en place les qualifications nécessaires ou de n’avoir pas demandé à EDF d’assurer des formations ? Quoi qu’il en soit, le sujet ne me semble pas être du ressort de l’Union européenne.

J’ajoute que je ne voudrais pas que nous affaiblissions le message que nous voulons envoyer à l’Europe en posant des problèmes particuliers franco-français. La confrontation avec nos partenaires est déjà suffisamment difficile.

J’émets, en conséquence, un avis défavorable à votre amendement, monsieur Nilor. Non pas que vos préoccupations soient inintéressantes, négligeables ou marginales, bien au contraire, mais elles me semblent malvenues ici. Je me propose, en revanche, de faire clairement mention des RUP en présentant un amendement à l’alinéa 13.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour aller dans votre sens, monsieur le rapporteur, je rappelle que les îles Canaries connaissent un taux de chômage de près de 29 %, indicateur qui est de 19 % à Madère.

M. Jean-Philippe Nilor. Je veux bien qu’il n’y ait pas de spécificité des RUP françaises, mais le statut des RUP européennes ne fait aucun doute : l’Europe reconnaît que les régions ultrapériphériques ont des difficultés spécifiques et subissent des blocages de développement liés à l’ultrapériphérie. Je ne cherche pas du tout à me démarquer des autres régions ultrapériphériques européennes.

Les problèmes que nous rencontrons sont bien réels et, un peu partout sur nos territoires, nous sommes au bord de l’explosion sociale. L’indivisibilité de la République se traduit par une injustice profonde, car elle ne permet pas de mener des politiques publiques intelligentes adaptées à nos territoires. Il serait important d’engager dès maintenant une réflexion sur ce point.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS2 du rapporteur.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle qu’il s’agit d’ajouter, à la fin de l’alinéa 13, les mots : « en Europe continentale comme dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne, », cette mention permettant d’inclure les autres RUP européennes que sont les Açores, les Canaries et Madère, qui n’étaient pas prises en compte par l’amendement de M. Nilor.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte la proposition de résolution modifiée.

La Commission procède ensuite à l’examen du rapport d’information sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 (M. Gérard Bapt, Mmes Michèle Delaunay, Joëlle Huillier, MM. Michel Issindou, Denis Jacquat, et Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteurs)

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que cet examen de rapport d’information vise principalement à assurer le suivi de la parution des textes réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de la loi de financement de la sécurité sociale que nous avons adoptée en novembre dernier.

Nos rapporteurs s’étant, cette année, astreints au respect du délai fixé par le Règlement de notre assemblée, l’exercice ne peut être que partiel, car un semestre ne suffit pas pour publier plusieurs dizaines de textes réglementaires. Ce rapport nous permet cependant de prendre la mesure de la diligence avec laquelle ont été publiés certains textes majeurs. En outre, il nous appelle à la vigilance s’agissant des textes non parus.

Ce bilan d’étape à la mi-année sera complété par le rapport que la Cour des comptes présentera au mois de septembre prochain, ainsi que par les données qui seront fournies lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2017.

Mme Joëlle Huillier, rapporteure. Le rapport que je vous présente, au nom de l’ensemble des rapporteurs du projet de loi de financement de la sécurité sociale, fait état de l’exécution réglementaire de la loi de financement pour 2016. Il est de coutume qu’il soit présenté par le rapporteur pour les recettes et l’équilibre général du PLFSS, mais notre collègue Gérard Bapt, empêché, m’a demandé de bien vouloir le remplacer.

Le projet de rapport soumis aujourd’hui à votre approbation est rédigé par les rapporteurs du PLFSS 2016. Comme vous le savez, certains rapporteurs changeront pour l’examen du PLFSS 2017 : Annie Le Houerou remplacera Michel Issindou pour la branche assurance vieillesse, Philip Cordery me remplacera pour le secteur médico-social, et Arnaud Viala prendra la suite de Denis Jacquat pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Le Règlement de notre assemblée prévoit que le rapport sur l’application d’une loi est rédigé six mois après la publication de ladite loi. Contrairement aux deux années précédentes, nous réussissons cette année à tenir ce délai en vous présentant notre rapport à la mi-juillet et non à la fin du mois de septembre. Sur le plan statistique, les résultats s’en ressentent évidemment : alors que le taux d’exécution réglementaire des dispositions législatives était de 42 % en septembre 2015, il est seulement de 25 % en juillet 2016. L’avancement de la date de présentation de ce rapport en constitue sans doute une explication.

Il faut, par ailleurs, souligner que les informations figurant dans ce rapport résultent de l’exploitation de l’échéancier de mise en application de la loi, publié par le Gouvernement sur le site internet Légifrance. Habituellement, les informations de cet échéancier sont complétées et précisées par le Gouvernement en réponse à un questionnaire que nous lui adressons. Mais cette année, compte tenu des délais contraints, aucune réponse n’a été apportée par le Gouvernement.

Ce constat pourrait conduire notre commission à s’interroger sur la pertinence de l’exercice auquel nous nous livrons, d’autant que cette réflexion est amplifiée par au moins deux éléments. Tout d’abord, les dispositions organiques prévoient déjà que soit annexé au PLFSS de l’année N + 1 un document « rendant compte de la mise en œuvre des dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale » de l’année N. Ensuite, le suivi que nous assurons dans notre propre rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale est strictement juridique, contrairement au rapport éponyme que la Cour des comptes viendra nous présenter à la mi-septembre, dont la dimension analytique est beaucoup plus poussée.

Il s’agit là, j’en ai bien conscience, de réflexions qui ont davantage vocation à être menées en début de législature, mais, à l’occasion du dernier exercice du genre pour la législature en cours, il n’est pas interdit d’envisager des perspectives pour l’avenir.

Sur les quatre-vingt-douze articles que compte la loi promulguée, cinquante-huit doivent être présumés d’application directe. L’échéancier liste, en effet, seulement trente-quatre articles devant faire l’objet d’une ou plusieurs mesures d’application. Les autres articles appellent, outre la remise par le Gouvernement de quatre rapports au Parlement, l’adoption de cinquante-sept actes d’application au sens strict, décrets et arrêtés. Sept mois après la publication de la loi, seuls quatorze de ces cinquante-sept textes ont été publiés, et vingt et un articles n’ont fait l’objet d’aucun des textes d’application qu’ils prévoient.

Je tiens toutefois à souligner que mes collègues et moi sommes bien conscients de l’ampleur de la tâche à accomplir pour l’administration, ainsi que des délais qu’imposent les avis que doivent donner le Conseil d’État, les caisses de sécurité sociale, et j’en passe.

J’en viens à l’examen par branche.

S’agissant du volet recettes, trésorerie, gestion du risque, seule une quinzaine d’articles nécessitaient des mesures réglementaires d’application. En matière de cotisations et de fiscalité, beaucoup de dispositions sont d’application directe. Pour autant, le taux d’application est particulièrement faible, avec seulement cinq actes publiés sur quinze articles en appelant. Parmi les actes d’application pris, on peut notamment relever le décret modifiant le régime d’exonération de cotisations patronales de sécurité sociale spécifique à l’outre-mer, et le décret adaptant le calendrier d’entrée en vigueur de la déclaration sociale nominative. Au rang de ce qui manque, on remarquera tout particulièrement les actes d’application du très complexe article 24, qui réaffecte au sein des organismes de sécurité sociale le produit des prélèvements sur les revenus du capital.

Sur les trente-cinq articles relatifs à la branche maladie, quinze nécessitent des mesures réglementaires d’application. Seulement 20 % d’entre elles ont été effectivement publiées.

Dans le cadre de l’organisation et du financement de l’assurance maladie, des mesures importantes ont déjà été prises. Ainsi, en matière d’amélioration de l’accès à la complémentaire santé, les mesures visant à permettre l’entrée en vigueur des dispositifs relatifs à la labellisation des contrats de complémentaire pour les personnes de soixante-cinq ans et plus, et le dispositif relatif au versement d’un « chèque santé » pour les travailleurs à temps partiel ou en contrat à durée déterminée de courte durée, ont fait l’objet de décrets d’application dès le 30 décembre 2015.

S’agissant des mesures relatives à l’amélioration de l’accès aux droits, qui concernent notamment la mise en place de la protection universelle maladie, plusieurs décrets visant à préciser les conditions de prise en charge des assurés ont déjà été pris.

On peut se féliciter également de la publication, dès le 2 janvier 2016, du décret visant à préciser les conditions de la prise en charge des frais de santé engagés par les victimes et les familles des victimes d’actes de terrorisme, ainsi que de la publication, le 29 juin dernier, du décret d’application permettant aux jeunes filles mineures de bénéficier de la confidentialité et de la gratuité pour l’ensemble des consultations médicales visant à la prescription d’un contraceptif.

Dans le domaine de la prévention et des conditions de prise en charge, une disposition, relative à la prise en charge des certificats de décès, ne s’est pas encore traduite par la publication d’un texte d’application.

La réforme du financement des établissements de santé est, quant à elle, au milieu du gué. Si l’on peut se féliciter de la mise en place effective de l’encadrement de la progression des tarifs journaliers de prestation, la réforme de la tarification des soins de suite et de réadaptation suscite encore quelques interrogations. Pas moins de huit dispositions différentes nécessitent des mesures d’application qui devraient être publiées en novembre prochain. Il nous appartiendra de saisir l’occasion de l’examen du prochain PLFSS pour obtenir des précisions sur cette réforme.

Peu de dispositions concernaient directement le secteur médico-social. Nous attendons la remise, pour le 31 décembre 2016 au plus tard, d’un rapport que j’avais ardemment souhaité sur la continuité des soins entre le domicile et les établissements médico-sociaux pour personnes âgées, ainsi que la publication des décrets d’application de l’article 75 réformant le financement des établissements et services médico-sociaux.

De même pour l’assurance vieillesse, outre la demande d’un rapport consacré aux conditions de revalorisation des pensions de retraite du régime des cultes, seuls deux articles appelaient des mesures d’application : l’un est relatif à l’adaptation du cumul emploi-retraite à la situation des anciens mineurs, l’autre, à la mise en œuvre du nouveau dispositif de plafonnement du cumul emploi-retraite. Le décret d’application prévu pour ce dernier article est en attente de publication.

La branche accidents du travail et maladies professionnelles ne comportait que deux articles, dont aucun ne nécessitait de mesure réglementaire d’application.

En ce qui concerne la branche famille, cette année 2016 a été marquée par la généralisation du dispositif de garantie contre les impayés de pension alimentaire (GIPA). Ce dispositif repose sur deux volets : d’une part, le soutien aux familles monoparentales avec le versement d’une allocation de soutien familial différentielle dès le premier mois d’impayés, d’autre part, la responsabilisation des débiteurs de pensions alimentaires impayées grâce à l’amélioration des outils de recouvrement. Le décret d’application a été pris, permettant la généralisation du dispositif dès le mois d’avril 2016, comme cela était prévu.

Vous le constatez, si tout se passe très bien pour certaines branches, pour d’autres, les résultats sont un peu moins bons. Néanmoins, nous avons confiance : il reste du temps jusqu’au 31 décembre.

M. Christophe Sirugue. Je reviens sur vos remarques relatives à la pertinence de l’exercice. Vous avez raison de souligner que nous disposons de plusieurs sources d’information sur l’application du PLFSS. Nous sommes également face à un problème difficile : lorsque nous rendons trop tard un rapport sur le sujet, nous sommes hors délai par rapport aux prescriptions du Règlement, mais lorsque nous respectons le Règlement, nous ne disposons pas de toutes les informations utiles. À titre personnel, il me semble nécessaire que l’on s’interroge sur les dispositions du Règlement de l’Assemblée relatives à cet exercice.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour ma part, je regrette que les textes d’application relatifs à des mesures qui ne sont pas seulement symboliques soient encore en attente de parution. Je pense au dépistage du cancer du sein pour les femmes présentant des risques spécifiques. Même si la prévention s’est améliorée en France depuis quelques années, nous sommes encore assez en retard sur ce point. Je regrette aussi que l’article 68, qui vise à expérimenter la prise en charge par un psychologue et un diététicien des enfants de trois à huit ans présentant un risque d’obésité, n’ait pas encore trouvé de traduction réglementaire. Il en est de même de l’article 69, relatif au financement de la permanence des soins ambulatoires
– les propositions que nous avions émises dans un rapport sur le sujet avec Jean-Pierre Door, en juin 2015, avaient pourtant été unanimement votées par notre commission. Il n’est pas non plus anodin de ne pas encore pouvoir appliquer l’article 70 qui prévoit la prise en charge des certificats de décès par l’assurance maladie. Je pense, enfin, à l’article 73 qui définit les modalités de fixation des prix par le comité économique des produits de santé (CEPS), notamment pour les soins innovants. Le coût considérable de certains médicaments indispensables met en danger notre système de sécurité sociale. Il est regrettable que le décret n’ait pas encore été publié alors que les sommes en jeu se comptent en centaines de millions, voire en milliards d’euros et que le dispositif prévu est très pertinent.

Madame Huillier, je vous remercie pour la présentation que vous venez d’effectuer. Comme vous-même et M. Sirugue, je considère que l’exercice auquel nous sommes contraints par le Règlement a quelque chose d’un peu pénible, ne permettant pas d’atteindre l’objectif visé puisque nous ne disposons pas des réponses attendues. Il faudra travailler sur ce problème dans les années à venir, quelle que soit la majorité en place.

La Commission autorise le dépôt du rapport d’information sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 13 juillet 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Alain Ballay, Mme Valérie Boyer, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Yves Censi, M. Gérard Cherpion, M. Philip Cordery, M. Rémi Delatte, M. Richard Ferrand, M. Renaud Gauquelin, M. Jean-Patrick Gille, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Jean-Philippe Nilor, M. Philippe Noguès, M. Robert Olive, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gilles Savary, M. Gérard Sebaoun, M. Christophe Sirugue

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, M. Stéphane Claireaux, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Henri Guaino, Mme Conchita Lacuey, Mme Dominique Orliac, Mme Monique Orphé, M. Arnaud Robinet, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Jean Jacques Vlody

Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Louis Costes, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Viala