COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 21 septembre 2016
La séance est ouverte à dix-sept heures.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission des affaires sociales examine d’abord pour avis, sur le rapport de Mme Michèle Delaunay, en application du 3° du D de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, le projet de modification de la liste des sous-objectifs de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.
Mme Michèle Delaunay, rapporteure. La mise en place des lois de financement de la sécurité sociale s’est accompagnée du vote annuel par le Parlement d’un objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Il se décompose en sous-objectifs, dont la liste et le périmètre sont fixés par le Gouvernement.
Depuis la loi de financement de 2014, l’ONDAM, qui s’élève à 185,2 milliards d’euros en 2016, est réparti en sept sous-objectifs : soins de ville, 84,3 milliards ; établissements de santé tarifés à l’activité, 58,1 milliards ; autres établissements de santé
– psychiatrie, soins de suite et de réadaptation –, ce sous-objectif formant avec le précédent ce qui est communément appelé l’ONDAM hospitalier, 77,9 milliards ; établissements pour personnes âgées, 8,9 milliards ; établissements pour personnes handicapées, 9,3 milliards, ces deux sous-objectifs constituant l’ONDAM médico-social ; dépenses relatives au Fonds d’intervention régional, 3,1 milliards ; autres prises en charge, principalement les dépenses de soins des assurés français à l’étranger, 1,7 milliard.
Plusieurs raisons plaident en faveur de la fusion des deux sous-objectifs relatifs aux établissements de santé. Dans un contexte où le modèle de financement des établissements hospitaliers évolue – encore l’année dernière, la tarification des soins de suite et de réadaptation –, le découpage T2A/hors T2A est aujourd’hui très artificiel. Cette distinction se comprenait lorsqu’il fallait suivre la montée en charge de la T2A. Elle ne s’impose plus aujourd’hui, dans la mesure où la T2A ne constitue plus le seul modèle de financement des établissements de santé.
Cette mesure répond aussi à un souhait de la Cour des comptes. La Cour préconise ainsi un meilleur suivi des dépenses liées au financement des établissements de santé en vue d’une comparaison avec l’objectif « soins de ville ».
Au demeurant, l’annexe 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016, qui retrace la construction de l’ONDAM, adopte déjà une présentation globale des dépenses des établissements de santé.
Enfin, cette fusion s’explique aussi par des nécessités tout à fait pragmatiques. La distinction tend à rigidifier la gestion des crédits. Le niveau des deux sous-objectifs est fixé en loi de financement de la sécurité sociale sans que puissent être opérés des mouvements entre eux. La fusion en un seul sous-objectif permettrait un pilotage plus souple des dépenses, s’agissant d’enveloppes pour lesquelles les évolutions ne sont pas homogènes.
En somme, cette fusion ne fait que traduire une pratique déjà bien ancrée dans nos débats parlementaires. En effet, nous évoquons volontiers, et même systématiquement, l’ONDAM hospitalier. À compter du prochain PLFSS, cette appellation correspondra, si vous en êtes d’accord, à une réalité tangible et mesurable. Le niveau d’information du Parlement restera le même. L’annexe 7, qui retrace la construction et le périmètre de l’ONDAM, sera enrichie d’informations supplémentaires portant sur la dépense hospitalière.
En conséquence, j’invite la Commission à émettre un avis favorable à cette fusion.
M. Arnaud Viala. Au nom du groupe Les Républicains, je veux revenir sur l’évolution surprenante de la trajectoire de l’ONDAM qui a été annoncée hier après-midi par le ministre de l’économie et des finances Michel Sapin, lors de la présentation des prévisions budgétaires pour 2017, quelques minutes avant que le Premier président de la Cour des comptes présente son rapport ici même. Hier, le Gouvernement a relevé à 2,1 % l’objectif de progression des dépenses de santé en 2017, alors que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie était fixé jusqu’à présent à 1,75 % pour l’année à venir, niveau identique à celui visé cette année par le Gouvernement.
Ce qui nous frappe, c’est l’intervention de cette annonce quelques heures seulement avant l’appel du Premier président de la Cour des comptes à ne pas relâcher l’effort de maîtrise de ces dépenses. On voit donc que, avant même leur annonce, les recommandations de la Cour des comptes ne sont absolument pas suivies. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de souligner ce point, hier, ici même, lors de la présentation du rapport.
Notre commission est sollicitée pour revoir l’organisation des sous-objectifs de l’ONDAM et créer l’objectif « ONDAM établissements de santé » en fusionnant les deuxième et troisième sous-objectifs qui relèvent du suivi des dépenses des établissements de santé, couramment appelé « ONDAM hospitalier ». Ces deux sous-objectifs différencient actuellement les établissements selon leur mode de financement. L’un concerne les établissements financés en tarification à l’activité (T2A) ; il regroupe l’objectif de dépenses des activités de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et les dotations relatives aux missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC). L’autre vise les dépenses des établissements de santé, et couvre notamment le financement des activités de soins de suite et de réadaptation. La fusion de ces deux sous-objectifs permettrait une meilleure lisibilité des objectifs de l’ONDAM et faciliterait les comparaisons directes avec le sous-objectif « soins de ville ». Cette mesure répond également aux souhaits de la Cour des comptes d’améliorer le suivi des dépenses liées au financement des établissements de santé. On peut enfin espérer que cette fusion en un seul sous-objectif permettra un pilotage plus souple des dépenses.
Les conséquences de cette fusion ont-elles été mesurées, en particulier les difficultés qui pourraient en résulter sur le plan opérationnel ? Rassurés sur ces points, nous n’aurions pas de raison de nous opposer à la fusion.
Au-delà de cet ajustement, l’enjeu essentiel est la rénovation du financement des soins de suite et de réadaptation, attendue depuis très longtemps. Les acteurs concernés sont confrontés à une explosion des maladies chroniques, à la désertification médicale et au vieillissement de la population. Cette réforme, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain, ne répond pas aux défis auxquels est confrontée cette filière de soins, notamment les nombreuses cliniques privées qui les dispensent. Son entrée en vigueur pourrait avoir des conséquences particulièrement préoccupantes pour l’avenir de l’offre de soins sur nos territoires.
M. Michel Issindou. Le groupe socialiste, écologiste et républicain est favorable à la fusion des deux sous-objectifs visés en un seul.
Nous sommes rassurés sur deux points. D’une part, il s’agit de la mise en conformité d’une pratique déjà existante qui permet une souplesse accrue de gestion. D’autre part, cela n’altérera pas la transparence à l’égard du Parlement.
M. Denys Robiliard. Le rapport indique que les possibilités de mouvement entre les deux enveloppes sont extrêmement réduites et que la fusion en un seul sous-objectif permettrait un pilotage plus souple des dépenses. Je suis pour la souplesse, mais parfois un peu de rigidité ne messied pas.
Dans le cadre des travaux de la mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, j’ai entendu un nombre important de psychiatres et de directeurs d’établissement s’inquiéter de la ponction du budget global au bénéfice non seulement d’établissements associant un service de médecine chirurgie obstétrique (MCO) et des services psychiatriques, mais aussi à la partie qui devait normalement être gérée en T2A. Pour être honnête, je n’ai pas de chiffres permettant d’étayer mes propos – encore que je commence à avoir des éléments sur ce point –, mais j’ai une inquiétude.
Je ne voudrais pas que l’assouplissement que vous recherchez à travers la fusion de deux sous-objectifs en un seul se traduise par des possibilités renforcées pour une partie des établissements de bénéficier de budgets au détriment de ceux qui ne fonctionnent qu’en budget global. Car lorsque l’on diminue leurs moyens, c’est forcément la qualité des soins qui s’en ressent.
À l’instant, M. Viala s’est inquiété pour les soins de suite et de réadaptation, et moi-même pour les services psychiatriques. Nous avons besoin d’être rassurés.
M. Michel Liebgott. Je souhaite répondre à l’opposition. La ministre a réussi, à travers la politique gouvernementale mise en place depuis maintenant plusieurs années, à réduire de 70 % le déficit dont nous avons hérité du précédent gouvernement. L’on peut toujours discuter de certaines demandes de soins, il n’empêche que les chiffres sont là : nous sommes en dessous de 10 milliards, et les objectifs ont été atteints. Pour 2016, ils ont même été dépassés de 600 millions. Il faut parfois savoir reconnaître les effets positifs d’une politique avant de s’effrayer d’une largesse qui pourrait être mal interprétée et qui résulte peut-être simplement d’un ajustement technique.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Viala, vous parlez d’un dérapage de 700 millions. Peut-on considérer comme un dérapage la revalorisation, le 1er juillet dernier, du point d’indice des fonctionnaires, dont font partie les personnels hospitaliers ? Il ne vous a pas échappé non plus qu’une convention médicale a été signée entre l’assurance maladie et les médecins, dont le poids a été évalué par le Premier président de la Cour des comptes à 400 millions environ pour la première année. Ces coûts supplémentaires, arrivés en cours d’année, n’étaient évidemment pas prévus dans le PLFSS pour 2016, mais étaient nécessaires. Il ne s’agit donc pas d’un relâchement mais de la conséquence de décisions prises. Je rappelle que les personnels de la fonction publique, en particulier hospitalière, n’avaient pas connu de revalorisation de leur point d’indice depuis six ans. Il était temps de le faire.
M. Gérard Bapt. Je suis prêt à donner un avis favorable à la fusion parce qu’il est précisé que les ministres s’engagent à compléter l’annexe 7 du PLFSS afin de maintenir le niveau d’information du Parlement sur la dépense hospitalière. À l’instant, M. Robiliard s’est inquiété qu’un secteur puisse être pénalisé par une espèce de fongibilité, mais on peut le faire même sans cela : il suffit de jouer sur les enveloppes des sous-objectifs.
Madame la présidente, vous soulignez, à juste titre, que la revalorisation du point d’indice de la fonction publique, d’une part, et les premières mesures de la convention médicale entrées en vigueur au mois de mai, d’autre part, vont peser sur les dépenses. Il n’empêche qu’une mauvaise manière a été faite au Parlement, et même, semble-t-il, au Premier président de la Cour des comptes. J’imagine que ni M. Migaud, ni vous-mêmes, madame la présidente et madame la rapporteure, n’étiez au courant de l’annonce qui a été faite par voie de presse un quart d’heure avant la réunion de la Commission. Nous avons dû faire des recherches nous-mêmes sur nos téléphones portables ! Ce n’est tout de même pas un article de presse dans Les Échos qui peut faire office d’information du Parlement !
Je souhaite que remarque soit faite au Gouvernement que la moindre des courtoisies à l’égard du Parlement – et du Premier président de la Cour des comptes –, aurait été, en même temps qu’il envoyait une communication à la presse, d’informer la rapporteure et la présidente de la Commission. Cela nous aurait évité de discuter inutilement, pendant deux heures, de la nécessité de maintenir à 1,75 % un ONDAM que le Gouvernement avait décidé de passer à 2,1 %, ainsi que de la nécessité, dont je me suis inquiété, de reporter les mesures de revalorisation consenties par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à la médecine libérale.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Il eût été bon, en effet, que nous ayons été informés officiellement de cette décision du Gouvernement.
Mme la rapporteure. Nous gourmanderons gentiment le ministre Michel Sapin et lui demanderons de nous informer en amont.
Monsieur Viala, Mme la présidente a largement répondu à la première partie de votre propos, et vous pourrez obtenir des précisions complémentaires lors de l’audition de la ministre par notre commission, dans quelques jours. Ce que vous avez dit à propos des soins de suite montre que l’évolutivité des rapports entre la T2A et l’enveloppe globale va dans le sens de la mesure que nous vous proposons. Les deux compartiments n’évoluant pas nécessairement au même rythme, une certaine souplesse et une certaine fongibilité me paraissent bénéfiques.
Monsieur Robiliard, comme l’a dit très justement Gérard Bapt, les enveloppes resteront fléchées et des mouvements éventuels demeureront visibles dans les rapports sur le PLFSS. Comme toujours, vous soulignez qu’il faudra faire preuve de vigilance ; nous savons pouvoir compter sur vous pour faire toute la clarté sur ces évolutions. Nous aurons connaissance de tous les écarts qui pourraient apparaître et nous veillerons à la bonne information du Parlement.
L’enjeu principal est de savoir équilibrer et apprécier les évolutions différentes entre dépenses de ville et dépenses en établissements. Du reste, le rapport de M. Migaud sur les prescriptions hospitalières nous montre que c’est un enjeu essentiel qu’il nous faudra suivre de très près.
Il me semble que les avantages de cette proposition de fusion sont bien supérieurs aux craintes que nous pouvons avoir. En tout état de cause, notre vigilance est grande en toute circonstance.
La Commission émet un avis favorable au projet de modification de la liste des sous-objectifs de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.
Puis, la Commission examine, sur le rapport de M. Alain Ballay, le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (n° 3927 rectifié).
Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre commission a récemment auditionné, avant leur nomination, M. Lionel Collet et M. François Bourdillon, respectivement président du conseil d’administration et directeur général de l’Agence nationale de santé publique (ANSP). Le 15 juin dernier, la visite à cette nouvelle agence d’une délégation de la Commission a constitué, aux dires de M. Bourdillon, une sorte d’inauguration officielle, les personnels se montrant ravis de l’intérêt des parlementaires. Cette agence, je le rappelle, résulte de la fusion de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et de l’Institut de veille sanitaire (InVS). Elle intervient dans un souci de rationalisation mais aussi d’efficience et d’efficacité en termes de santé publique.
M. Alain Ballay, rapporteur. L’article 166 du projet de loi de modernisation de notre système de santé habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnances, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, pour prendre toutes mesures visant à instituer un nouvel établissement public : l’Agence nationale de santé publique, dénommée Santé publique France.
Cette agence, dont l’existence est effective depuis le mois de mai dernier, a vocation à reprendre les missions exercées jusqu’alors par l’Institut de veille sanitaire, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires. Elle s’inscrit donc dans le continuum des missions de ces trois établissements, dans une optique de service à l’ensemble de la population.
Sans revenir sur l’historique de la création de l’Agence nationale de santé publique, il me semble néanmoins important de rappeler en quelques mots la raison d’être de Santé publique France.
La création de l’Agence fait suite au constat de l’existence d’un trop grand nombre d’acteurs en matière de prévention et de veille sanitaire, la plupart des agences de santé ayant été créées en réaction aux crises sanitaires, sans cohérence d’ensemble.
Compte tenu des enjeux, notamment humains, les trois agences regroupant plus de 600 agents, le Gouvernement a confié à M. Bourdillon un vaste travail de concertation. Celui-ci a débouché, en juin 2015, sur un rapport de préfiguration qui fixait les grandes orientations de l’Agence et énonçait un ensemble de recommandations relatives notamment à sa gouvernance et à ses modalités de fonctionnement.
L’ordonnance du 14 avril 2016 est conforme à l’habilitation et aux préconisations du rapport de préfiguration, et je vais vous en donner plusieurs illustrations.
Tout d’abord, elle respecte le souhait d’une création à droit constant. L’Agence reprend ainsi l’intégralité des missions anciennement dévolues à l’InVS, à l’INPES et à l’EPRUS, c’est-à-dire la prévention, l’éducation et la promotion de la santé, la surveillance et l’observation permanentes de l’état de santé de la population, la veille et la vigilance sanitaires, la gestion de la réserve sanitaire et des stocks stratégiques, et la participation au système d’alerte sanitaire. Elle est donc bien un centre de référence porteur d’une excellence scientifique garante de l’intérêt général et de l’équité envers les populations.
Avec l’épidémiologie, la prévention est l’un des principaux chevaux de bataille de l’Agence. C’est aussi l’aspect le plus visible de son action puisqu’elle se traduit le plus souvent par des campagnes de prévention, comme la campagne « Moi(s) sans tabac », qui se déroulera au mois de novembre prochain.
Mais l’importance de certaines missions de l’Agence reste parfois méconnue. C’est le cas, par exemple, de la réserve sanitaire, qui a été mobilisée, au cours des six derniers mois, autant que sur la période 2007-2013, et sur des terrains très différents. Des réservistes ont, par exemple, été envoyés dans les maternités de Guyane et de Martinique pour prévenir des risques du virus Zika ; d’autres ont été envoyés en urgence à Nice, pour apporter une assistance psychologique aux victimes de l’attentat du 14 juillet et à leurs proches.
Si le regroupement des missions au sein d’une agence unique s’est fait à droit constant, cela ne signifie pas que les compétences respectives des trois anciennes agences ont été simplement juxtaposées. Au contraire, la création de l’Agence vise à encourager le développement de synergies, pour améliorer la cohérence et l’efficacité des actions en matière sanitaire, ainsi que le service offert aux populations.
Le rapport de préfiguration avait particulièrement insisté sur la nécessité d’ancrer l’action de l’Agence au niveau régional, ainsi qu’en outre-mer. Le message est passé, puisque l’ordonnance précise que l’Agence peut s’appuyer sur un réseau national de santé publique, qu’elle organise et anime, et surtout qu’elle dispose de seize cellules d’intervention en région. Ces cellules sont déjà opérationnelles. Elles permettent véritablement de décliner, au niveau régional, les actions de prévention et de veille sanitaire de l’Agence. Le travail se fait en lien étroit avec les agences régionales de santé (ARS).
S’agissant des modalités de gouvernance de l’Agence, l’ordonnance a également suivi les préconisations du rapport Bourdillon. La gouvernance s’articule ainsi autour de quatre instances, qui sont sur le point d’être constituées : le conseil d’administration, le conseil scientifique, qui aura notamment pour mission de développer les activités de recherche de l’Agence, le conseil d’éthique et de déontologie, garant de l’indépendance de l’Agence et de ses recommandations, et le conseil d’orientation et de dialogue, qui a vocation à marquer l’ouverture de l’Agence sur la société civile.
Voici, pour les prochains mois, les priorités de l’Agence telles qu’elles m’ont été présentées par le directeur général. D’abord, la prévention, qui se focalise à la fois sur les déterminants – tabac, alcool, suicide – et sur la population, avec pour cible la petite enfance et la jeunesse, mais aussi les personnes âgées, au regard de la perte d’autonomie, de l’isolement et de la prévention des chutes. Ensuite, la mobilisation de la réserve sanitaire dont j’ai déjà parlé, ainsi que la surveillance, notamment des maladies transmissibles et des grandes maladies, telles que le diabète, les maladies pulmonaires ou la maladie d’Alzheimer. Enfin, dans les volets santé-travail et santé-environnement, l’Agence se préoccupera de la pollution des sols, de la pollution atmosphérique ou encore de l’émergence des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou du burn out, sur lequel la Commission travaille actuellement.
L’ordonnance n’appelle donc pas de modification particulière à ce stade. J’en veux pour preuve l’absence d’amendements déposés à ce jour sur le projet de loi.
Pour conclure, l’Agence nationale de santé publique est un formidable outil de prévention, de veille sanitaire et d’intervention sanitaire d’urgence. Comme la plupart des pays industrialisés, la France est désormais dotée d’une structure solide qui a vocation à connaître, expliquer, préserver, protéger et promouvoir l’état de santé des populations, et a la capacité d’intervenir rapidement en cas de crise sanitaire. Pour préserver cet outil, il nous appartiendra collectivement de veiller à ce que l’Agence dispose des moyens suffisants pour accomplir au mieux ses missions.
Mes chers collègues, je vous invite donc à voter ce projet de loi.
M. Renaud Gauquelin. Alain Ballay vient de présenter un sujet complexe de façon remarquablement limpide. Trop d’agences s’occupaient de la prévention et des soins en France ; quand on peut simplifier pour une meilleure efficacité, il faut en saisir l’occasion.
Certains se demandent quel sera le rôle des ARS vis-à-vis de l’Agence. Le rapporteur l’a dit, le travail se fera en pleine complémentarité avec les ARS et leurs compétences seront respectées.
Alors que certains sujets, tenant notamment à la prévention, sont bien traités, d’autres le sont mal parce trop de structures y sont investies. Il faut que les soins soient coordonnés. C’est le cas pour la maladie d’Alzheimer, de même que pour la problématique de la prévention des chutes chez les personnes âgées : l’incidence des thérapeutiques antihypertensives et psychotropes est sous-traitée dans notre pays parce que tout le monde s’en occupe, si bien qu’au final, personne ne s’en occupe.
Autre sujet important, l’alcoolisation des femmes enceintes. On sait maintenant que le premier verre d’alcool constitue un risque pour le fœtus dès les premières semaines de grossesse. Il y encore un an, on estimait que la femme enceinte pouvait boire pendant les trois premiers mois de grossesse.
Une meilleure prise en compte de l’alcoolisation et du tabagisme chez les adolescents constitue un autre sujet. Une étude récente montre que l’alcoolisation et le tabagisme chez les lycéens sont en régression ces dernières années, tandis que les conduites addictives en matière de cannabis sont en progression. Il y aurait là, pour la nouvelle Agence, matière à conduire une étude coordonnée, et non plus dispersée entre trois structures, visant à comprendre ce nouveau comportement.
En matière de diabète également, une étude devrait être approfondie en direction de certaines populations qui, pour des raisons soit d’origine, soit de catégorie socioprofessionnelle, subissent cette maladie d’une façon beaucoup plus incisive que d’autres. On sait, entre autres exemples, que le diabète est plus répandu dans les quartiers populaires de banlieue qu’ailleurs.
Cette agence, je le pense, simplifiera la vie de ceux qui luttent pour la prévention et pour les thérapies. Elle permettra également une meilleure coordination des soins dans des domaines où la prévention est insuffisamment traitée. On ne peut donc que se réjouir de cette mesure de simplification dont on verra les effets, sans doute pas immédiatement, mais dans quelques années.
Mme Isabelle Le Callennec. Le groupe Les Républicains n’a pas voté la loi du 26 janvier 2016, dite de modernisation de notre système de santé, considérant qu’elle ne répond pas aux défis à relever : désertification médicale, insuffisance de la prévention en santé, virage ambulatoire, organisation hospitalière, coopération entre le sanitaire et le médico-social, baisse des remboursements par la sécurité sociale et poids grandissant des mutuelles pour les soins dentaires, les lunettes ou les appareils auditifs alors même que le prix des consultations et des actes augmente, de même que le coût de la santé, avec notamment l’augmentation de l’espérance de vie. Le reste à charge augmente, même lorsqu’il y a prise en charge à 100 %, ainsi que les inégalités sociales et territoriales. Voilà la triste réalité vécue par nos concitoyens !
C’est la raison pour laquelle nous n’incitons pas vraiment la ministre de la santé à accélérer le rythme de la sortie des décrets de la loi santé. Comme le rappelait hier notre collègue Arnaud Richard, seuls trente-six décrets sur les 167 que compte la loi santé ont été pris. Compte tenu de l’hostilité des professionnels de santé, notamment à la généralisation du tiers payant, il est urgent d’attendre !
L’article 166 figure parmi les quelques articles que notre groupe a votés de concert avec la majorité. Il crée l’Agence nationale de santé publique, dont les missions de surveillance, de prévention, d’alerte et de réponse aux urgences sanitaires participent d’un objectif ambitieux tout à fait nécessaire. M. François Bourdillon, le directeur de l’Agence, nous avait donné d’importants gages de crédibilité en souhaitant construire une agence nationale de santé publique à l’image de ce qui a été fait aux États-Unis ou en Angleterre. Je pense en particulier à l’Obamacare, aux États-Unis, qui a d’ores et déjà donné des résultats. M. Bourdillon s’est engagé à ce que l’Agence soit capable, non seulement de mesurer l’état de santé de la population, mais également de déterminer des priorités étayant la décision publique ou encore d’expérimenter et d’innover en matière de prévention.
L’ANSP, dont l’existence est effective depuis le 1er mai, regroupe les missions de l’InVS, de l’INPES et de l’EPRUS. La fusion de ces agences, de leurs compétences, de leurs savoir-faire dans une logique de rationalisation doit donner naissance à un établissement dont l’action aura plus de poids, plus d’efficacité et plus d’impact, grâce notamment à de véritables synergies et économies d’échelle, et une plus grande crédibilité à l’international offerte par l’appellation Santé publique France.
Le groupe Les Républicains soutient l’idée d’une modernisation de nos pratiques en matière de prévention et de veille sanitaire, en nous appuyant de manière plus lisible et plus visible sur le digital, les réseaux sociaux, les applications de smartphone et internet, à des coûts moins élevés. Cela passe aussi par une meilleure exploitation des données, et notamment des données épidémiologiques à l’heure du big data. Dans cette logique, M. Bourdillon a souhaité que l’ANSP puisse proposer une sorte de « météo » des différentes maladies, afin que tout un chacun puisse être informé des risques d’épidémies, de maladies émergentes ou de menaces sanitaires.
Nous voterons ce projet de loi qui définit les missions et les compétences de la nouvelle agence, son champ d’action, ses moyens d’intervention, ses modalités de gouvernance et de fonctionnement, ainsi que ses modalités d’application et d’entrée en vigueur. Pour autant, nous ne signons pas de chèque en blanc et nous serons vigilants. Nous souhaitons recevoir régulièrement des gages de l’atteinte des objectifs assignés à la nouvelle Agence.
Je m’interroge sur les erreurs de coordination qui nous obligent aujourd’hui à voter l’article 2 de ce projet de loi alors que nous avions adopté cette mesure dans la loi santé. J’aimerais qu’on nous les rappelle.
Compte tenu du risque de plan social qu’une fusion d’agences peut entraîner, une étude d’impact organisationnelle et financière a-t-elle été conduite ? Avons-nous la garantie que, dans l’ordonnance, les missions et le champ d’action de l’ANSP n’empiéteront pas sur les prérogatives d’autres agences ? Nous souhaitons certes diminuer le nombre de structures, mais les prérogatives de chacun doivent être absolument définies.
Comment l’ANSP entend-elle agir au niveau local avec les services et les cellules régionales ? Comment le travail s’articulera-t-il avec les missions dévolues aux ARS ? Un lien étroit, c’est bien ; la coopération, c’est mieux. La question du pilotage entre les ARS et les cellules régionales se posera : qui décidera ?
De la même façon, comment est envisagée la coopération des professionnels de santé, de l’État, des collectivités territoriales, censés, selon l’ordonnance, transmettre des informations ou des données pertinentes à l’Agence ? Ce sont, en effet, ces renseignements qui permettront à l’établissement de disposer de données fiables, comme cela se fait en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
Enfin, quelles seront les prérogatives respectives des quatre conseils que vous avez cités ?
Nonobstant ces quelques questions, le groupe Les Républicains, qui est favorable à l’évolution et la modernisation de nos structures, votera ce projet de loi.
M. Stéphane Claireaux. La présente ordonnance fait suite à la décision que nous avons prise, en adoptant la loi de modernisation de notre système de santé, de réunir, dans une nouvelle agence nationale de santé publique, dénommée Santé publique France, l’ensemble des missions, compétences, personnels et pouvoirs exercés par trois établissements publics sous tutelle du ministre chargé de la santé. Dorénavant, Santé publique France a pour mission de protéger efficacement la santé des populations.
Il revient aujourd’hui au législateur de ratifier cette ordonnance, qui rétablit, dans l’article 166 de la loi santé, un champ d’habilitation pour le Gouvernement à regrouper et harmoniser les dispositions législatives relatives aux missions, à l’organisation, au fonctionnement et aux ressources de certaines agences nationales, dont l’ANSP, qui avaient été involontairement limitées par le législateur.
En même temps qu’il se satisfaisait de ce regroupement au sein d’une seule institution, notre groupe avait émis des vœux concernant le futur travail de Santé publique France, notamment en matière de collaboration avec d’autres organismes à vocation identique parmi nos partenaires européens, qu’ils soient intra ou extracommunautaires. Nous espérions aussi que le nouveau budget global cumulerait les trois anciens budgets, afin que les agences fusionnées puissent continuer leurs travaux en toute quiétude.
S’agissant des outre-mer, ces dispositions s’appliquant déjà pour Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, je me réjouis que le Gouvernement ait également permis, par l’alinéa 3 de l’article 2, que ces modifications s’appliquent aussi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
Pour conclure, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, n’ayant aucune objection ni remarque particulière à apporter en l’état, se déclare favorable au projet de loi ratifiant cette ordonnance.
M. Gilles Lurton. Bien évidemment, je partage les propos de Mme Le Callennec.
J’adhère pleinement à la mission de prévention que M. Bourdillon souhaite insuffler à la nouvelle agence. C’est la raison pour laquelle nous avions voté l’article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé.
Je suis favorable également à la volonté d’efficience et d’efficacité de cette nouvelle agence, tout autant qu’à celle de rationalisation qui se traduit par le regroupement des trois institutions citées. Ce regroupement est-il envisagé sur un même site, à Saint-Maurice, comme l’avait sous-entendu le président ? Si tel est le cas, j’imagine que cela va engendrer des dépenses, au moins au démarrage. À terme, quelle est la rationalisation des dépenses attendue ?
M. Michel Liebgott. Je me félicite qu’une telle mesure puisse concourir à un peu plus de démocratie en matière de santé. Le comité d’orientation et de dialogue prévu rapprochera, je l’espère, les citoyens de ce nouvel organisme, plus facilement, en tout cas, que des organismes anciens, très scientifiques, souvent obscurs et abscons. Il est plus que temps d’aller vers une plus grande démocratie, en particulier dans la connaissance de certaines pathologies, là où elles ne sont pas traitées, voire parfois pas identifiées, en particulier dans les quartiers populaires. Il faudrait utiliser au mieux ce qui existe déjà, comme les points information jeunesse ou les réseaux sociaux.
S’il y a, d’un côté, surinformation scientifique, il y a souvent, de l’autre, sous-information à destination des populations les plus défavorisées. Ce manque d’information compte parmi les sources des grandes inégalités qui existent encore, qui sont aussi liées aux difficultés d’accès aux soins et au coût de ceux-ci sur les territoires, notamment dans les secteurs ruraux ou en crise. Ma circonscription, qui n’est pourtant pas si mal située, comprend une ville de 6 000 habitants qui n’aura bientôt plus de médecin généraliste. C’est dire si nous avons quelques défis à relever.
M. Gérard Sebaoun. J’ai eu l’occasion, lors du dernier examen de la mission « Santé » du projet de loi de finances, de me féliciter de la naissance de cette agence qui va enfin placer la France au même niveau que les pays anglo-saxons, qui ont des instituts de santé publique majeurs tels les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), l’Institut de santé publique britannique ou celui du Québec.
S’agissant des personnels et du budget, la ministre avait été rassurante. En ce qui concerne le budget, à 220 millions d’euros, il correspond à peu près au budget des trois agences réunies. Pour ce qui est des personnels, le plan de préfiguration du directeur général a certainement permis aux cadres supérieurs des agences de retrouver telle ou telle mission dans le cadre de leurs fonctions. Je voudrais être certain que le schéma évoqué, de 600 agents environ, est bien conforme à l’engagement ministériel de l’année dernière.
M. Gérard Bapt. Monsieur le rapporteur, je vous avais parlé de mon intention de déposer un amendement qui me semble très important. Vous m’aviez répondu qu’il ne pourrait pas être traité en commission, mais plutôt en accord avec le Gouvernement en vue de la séance publique. Je me suis donc inquiété en vous entendant dire qu’il n’y aurait pas d’amendement.
Mon inquiétude porte sur la composition du conseil d’administration. Tous les partenaires concernés y sont, notamment les partenaires des collectivités territoriales, mais pas le Parlement, contrairement au conseil de l’Agence du médicament où siègent trois députés et trois sénateurs. Je pense que c’est une lacune quand on voit, dans votre rapport, l’étendue des missions propres du conseil d’administration. Ses délibérations porteront notamment sur les orientations stratégiques pluriannuelles, qui découlent des lois de santé que nous votons ; sur le contrat d’objectifs et de performance conclu avec l’État, ce qui est permis par les budgets que nous votons ; sur les modalités de mise en œuvre des règles déontologiques, ce qui découle aussi des grandes leçons que nous avons essayé de tirer de l’affaire du Mediator en mettant en place d’autres systèmes d’organisation, de contrôle et de déontologie dans nos agences. Je vous proposerai donc un amendement tendant à assurer la présence du Sénat et de l’Assemblée nationale au conseil d’administration de la nouvelle agence Santé publique France.
M. le rapporteur. Monsieur Gauquelin, le nouvel établissement a pour ambition de cibler les effets d’un déterminant particulier sur une population concernée. Le syndrome d’alcoolisation fœtale et l’alcoolisme chez les adolescents, dont vous avez parlé, sont effectivement inscrits dans le programme de travail de l’Agence.
Madame le Callennec, je ne reviens pas sur votre position vis-à-vis de la loi de modernisation de notre système de santé, car ce n’est pas le sujet qui nous occupe aujourd’hui. L’article 166 de cette loi comprenait plusieurs habilitations à légiférer par ordonnances. L’article 2 du présent projet de loi modifie deux d’entre elles, qui visent à améliorer la coordination du système d’agences sanitaires en France – de fait, au cours de la discussion parlementaire, la référence à l’Agence nationale de santé publique avait disparu, semble-t-il par inadvertance. Or l’objectif de ces habilitations est bien de permettre au Gouvernement d’améliorer la coordination de l’ensemble des agences compétentes en matière sanitaire, ce qui inclut bien l’Agence nationale de santé publique. Le Gouvernement m’a assuré que les éventuelles modifications législatives seraient réalisées à missions constantes, sans modifier les attributions respectives des différentes agences.
Pour ce qui est des études d’impact, les documents budgétaires de la loi de finances de 2016 en font office. Les effectifs et les budgets sont constants en 2016. La suite relève bien évidemment du projet de loi de finances et du PLFSS.
En ce qui concerne l’éventuel chevauchement entre les responsabilités des différentes agences, l’ANSP n’a pas vocation à empiéter sur les prérogatives des autres agences. Au niveau local, la répartition des tâches est claire : les cellules régionales dépendent hiérarchiquement de l’ANSP, mais elles sont installées dans les ARS et bénéficient de leur appui opérationnel.
Monsieur Lurton, vous vous souciez de la rationalisation des postes envisagée à terme. Le financement de l’Agence est aujourd’hui assez complexe : en 2016, une part est financée par l’État, à hauteur de 85 millions d’euros, et une part est financée par l’assurance maladie pour 44 millions d’euros. Pour les années à venir, le directeur général de l’Agence m’a fait part de sa crainte de voir ses effectifs et moyens réduits. Dans la mesure où, dans le contexte budgétaire actuel, tous les opérateurs de l’État sont conduits à réaliser des économies, cela est légitime. Les trois établissements qui ont fusionné ont déjà participé à l’effort de maîtrise des dépenses, avec une diminution de budget de 80 millions d’euros entre 2010 et 2015, et une baisse de soixante-cinq équivalents temps plein sur la même période.
Dans le contexte de la fusion, le budget et les effectifs ont été sanctuarisés en 2016, mais ce ne sera pas nécessairement le cas en 2017. Aussi, et étant donné que l’Agence est encore en période de montée en charge, nous devrons être collectivement vigilants et veiller à ce que la nouvelle agence ne soit pas trop fragilisée par des restrictions budgétaires trop brutales. Certaines de ses missions essentielles, comme la prévention ou la mobilisation de la réserve sanitaire, doivent absolument continuer à avoir les moyens de fonctionner.
Monsieur Sebaoun, je viens de répondre partiellement à votre question sur l’annonce de baisses d’effectifs. Aujourd’hui, l’ensemble des personnels des agences est présent dans la nouvelle structure, soit 625 agents.
Monsieur Bapt, le texte ne prévoit pas la présence de parlementaires au sein du conseil d’administration de la nouvelle agence tout simplement parce qu’il n’y en avait pas dans les anciennes agences. Bien sûr, il est toujours possible d’envisager cette présence à travers les personnalités qualifiées. Néanmoins, votre question est légitime, et en disant qu’il n’y avait aucun amendement, je visais ceux qui auraient pu être déposés à ce jour. Cela ne voulait pas dire qu’il ne peut pas y en avoir. Il semble aussi légitime que le Gouvernement puisse donner son avis sur ce sujet. Cela fera partie des prochaines discussions.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Les agences avaient, en effet, consenti des efforts entre 2010 et 2015, puisque leurs budgets avaient baissé de 80 millions d’euros. Nous serons très vigilants sur les moyens qui seront attribués en 2017 à cette agence. Pour tout vous dire, je crains que l’on ne nous donne de mauvaises nouvelles.
M. Gilles Lurton. Est-il envisagé de regrouper les trois établissements sur le site de Saint-Maurice ?
M. le rapporteur. Oui, cela est prévu pour le mois de février 2017.
La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.
Article 1er : Ratification de l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique
La Commission adopte l’article 1er sans modification.
Article 2 : (Art. 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) : Modification du champ de l’habilitation à légiférer par ordonnance
La Commission adopte l’article 2 sans modification.
Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi sans modification.
Enfin, la Commission procède à l’audition de M. Philip Cordery, auteur du rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes sur le salaire minimum au sein de l’Union européenne (n° 3856).
Mme la présidente Catherine Lemorton. Le rapport de M. Philip Cordery a le mérite d’être très pédagogique. Il est particulièrement facile à lire et bien construit. Si tous nos concitoyens le lisaient, cela les ferait réfléchir, en particulier ceux qui souhaiteraient, dans un moment de folie, sortir de l’Europe. L’instauration d’un salaire minimum européen serait de nature à réconcilier nos concitoyens avec l’Europe, et je félicite notre collègue d’avoir su le montrer.
M. Philip Cordery, rapporteur. Merci pour ces mots d’encouragement.
Ce rapport a été adopté, à l’unanimité, par la commission des affaires européennes au mois de juillet dernier. C’est une pierre que je souhaitais apporter à l’édifice incontournable de la coordination des politiques économiques et sociales européennes. Jusqu’à présent, la construction européenne s’est faite en libérant les entraves à la circulation des capitaux et des personnes, mais elle est demeurée incapable de mettre en œuvre deux convergences indispensables à son bon fonctionnement : la convergence fiscale et la convergence sociale.
Alors que le marché commun puis le marché unique ont accentué l’intégration économique, et que la monnaie commune a accentué l’intégration monétaire et budgétaire, l’Union est demeurée incapable d’intégrer d’autres politiques, pourtant étroitement liées à celles-ci, en termes de fiscalité ou de salaires, créant ainsi des déséquilibres importants au niveau économique et les conditions d’une concurrence sociale délétère entre les États membres. Aujourd’hui, l’Union ne marche pas sur ses deux pieds. La situation sociale s’est dégradée et les populismes menacent la construction européenne.
L’enjeu est d’arriver à créer les conditions d’une union européenne plus homogène socialement et économiquement. À cet effet, nous avons plusieurs outils à notre disposition : l’assurance chômage européenne, sujet sur lequel notre collègue Jean-Patrick Gille a présenté une proposition en janvier dernier devant cette commission, et le salaire minimum européen.
La forte disparité des salaires et des niveaux de vie au sein de l’Union européenne ne permet pas, du jour au lendemain, de mettre en place un salaire minimum unique, que ce soit à l’échelle de l’Union ou de la zone euro. À l’heure actuelle, l’Union européenne se caractérise par une diversité importante des salaires minima, de 184 euros par mois en Bulgarie à 1 923 euros au Luxembourg, soit un rapport de un à dix. En tenant compte de la parité des pouvoirs d’achat, les écarts sont plus faibles, mais restent tout de même de un à quatre.
La divergence est réelle aussi en ce qui concerne les modes de fixation du salaire minimum, qu’ils soient légaux ou conventionnels. Six États de l’Union européenne, aujourd’hui, n’ont pas de salaire minimum légal : la Finlande, l’Autriche, l’Italie, Chypre, la Suède et le Danemark. Même chose pour les mécanismes de revalorisation, qui obéissent à des règles diverses d’un pays à l’autre, liées à l’inflation dans certains pays, plus à la productivité dans d’autres.
Pour autant, doit-on s’interdire toute ambition en la matière ? Bien au contraire, je pense que nous devons pousser ce projet de salaire minimum à l’échelle européenne. C’est une volonté qui a été exprimée par le Président de la République en 2013 devant le Parlement européen, ainsi que par d’autres personnalités telles que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ou Martin Schulz, président du Parlement européen.
Malgré les divergences, la mise en place d’un mécanisme de salaire minimum ayant à la fois pour effet et pour objectif de réaliser cette convergence est une ambition de court ou moyen terme envisageable, je dirais même incontournable.
Un mécanisme de salaire européen en Europe, comme exposé en détail dans le rapport, aurait une double vertu économique et sociale.
D’un point de vue économique, d’abord, il est urgent de remédier aux divergences salariales, qui sont devenues source de concurrence à l’intérieur de l’Union européenne et en menacent la stabilité. Les débats actuels sur le détachement des travailleurs l’illustrent parfaitement. En l’absence de salaire minimum européen, les dispositions sur le détachement ont parfois été détournées pour mettre en place un véritable dumping social dont les salariés, qu’ils vivent dans les pays les plus avancées économiquement ou qu’ils soient détachés, sont les premières victimes, les uns en perdant leur emploi, les autres en travaillant à bas revenu dans des conditions de précarité parfois extrêmes. Un salaire minimum européen permettrait d’atténuer les possibilités de dumping social au sein de l’Union européenne et d’éviter ainsi une concurrence non coopérative sur les salaires.
La mise en place d’un salaire minimum à l’échelle européenne pourrait aussi constituer un point de départ pour une meilleure coordination globale des politiques salariales en Europe et contribuer ainsi à une meilleure coordination des politiques économiques au sein de la zone euro.
Le problème de la concurrence sur les salaires est particulièrement aigu au sein de la zone euro. La monnaie ne pouvant plus être utilisée comme variable d’ajustement de la compétitivité, ce sont souvent, hélas ! les salaires ou la fiscalité qui jouent ce rôle, comme nous l’avons vu ces dernières années, avec une politique de modération salariale pratiquée par l’Allemagne, qui a eu des conséquences néfastes sur la productivité de ses voisins, et en premier lieu sur la nôtre.
Enfin, l’introduction d’un salaire minimum serait un facteur de renforcement de la demande intérieure dans certains pays et préviendrait la baisse des salaires réels. Elle permettrait de stabiliser la demande au sein de la zone euro et soutiendrait ainsi son rééquilibrage.
Un tel salaire minimum aurait aussi une valeur sociale importante. La crise économique et financière a entraîné de manière non uniforme la baisse des salaires réels et la dégradation de la situation sociale en Europe. Les écarts ont fortement augmenté en Hongrie ou en Espagne, alors qu’ils se sont réduits au Portugal ou en Allemagne, par exemple.
Parallèlement, la crise a eu un impact fort sur la pauvreté en Europe, qui compte aujourd’hui 3,7 millions de pauvres supplémentaires par rapport à 2008.
Dans ce contexte, un salaire minimum européen serait l’expression d’une Europe plus sociale et l’occasion d’une relance du projet européen par ce prisme, comme l’a été l’euro dans la sphère économique.
Notre proposition s’inspire de nombreuses consultations, aussi bien en France qu’avec nos partenaires européens. Du point de vue politique, les difficultés sont réelles. Il ne faut pas les sous-estimer. Il faudra notamment convaincre un certain nombre de nos partenaires, et de nombreuses discussions, tant politiques que techniques, devront être menées. En tout cas, la mise en place d’un salaire minimum légal en janvier 2015 en Allemagne est un élément encourageant. Les défis peuvent paraître nombreux, mais ils sont loin d’être insurmontables aujourd’hui.
Ce rapport développe une proposition réaliste qui permet d’associer tous les pays qui le souhaitent, y compris ceux qui fixent leurs salaires minima par la négociation collective. Elle pourrait d’ailleurs être initiée à traité constant, ce qui faciliterait une mise en œuvre rapide.
La proposition se décline en deux temps. Le premier objectif est d’aboutir à un salaire minimum dans chaque pays européen, le second, d’en organiser la convergence.
En ce qui concerne le premier objectif, il s’agit d’abord de trouver un mode de fixation et un niveau susceptibles d’être consensuels dans tous les pays. Les différences de niveaux de vie dans les pays de l’Union européenne sont tels que l’instauration d’un salaire minimum ne pourra pas être uniforme. Il devra prendre la forme d’un salaire minimum plancher, exprimé en pourcentage du salaire médian dans chaque pays, les États membres restant libres d’adopter un niveau de salaire minimum supérieur à ce plancher.
Le mode de fixation pose question. Ce salaire minimum doit-il être légal ou déterminé dans le cadre d’une négociation collective ? Universel ou par branches ? Les systèmes sont très différents en Europe, en fonction de l’histoire sociale et de l’importance des partenaires sociaux, sans pour autant qu’il y ait un lien entre la nature du système et le niveau de salaire minimum. Il est donc essentiel de trouver un mécanisme européen qui puisse prendre en compte ces différentes réalités nationales, sans chercher forcément à les harmoniser.
S’agissant du niveau de ce salaire minimum, tout le monde s’accorde à dire qu’il doit être fixé en pourcentage du salaire médian. Sur le chiffre à retenir – 40, 50, voire 60 % du salaire médian – les avis sont encore divergents. Ils dépendent notamment de l’objectif recherché : si le salaire minimum doit remplir avant tout un objectif économique, notamment en termes de convergence, il ne doit pas être trop élevé au départ et coller au plus près à la productivité ; s’il doit remplir un objectif social, il doit être supérieur au niveau du seuil de pauvreté, soit, selon les études, entre 50 et 60 % du salaire médian. Étant donné notre volonté de répondre à ces deux objectifs, je propose de viser le seuil de pauvreté, tout en trouvant un mécanisme progressif pour ceux qui n’y sont pas encore afin d’éviter de déstabiliser la productivité de ces pays.
La question du mode d’indexation est essentielle. Quelles seraient les règles d’indexation des planchers ? Devraient-elles être communes ? Quelle serait la base de l’indexation ? Là aussi, les règles varient beaucoup d’un pays à l’autre, entre les tenants d’un salaire minimum lié à l’inflation, comme c’est le cas chez nous, et ceux d’un salaire minimum lié à la productivité. Sur cette question épineuse et éminemment politique, un rapprochement des usages est essentiel, sous peine de rendre impossible la nécessaire convergence des salaires minima. Il faudra sans doute aboutir à un « mix », au vu d’éléments relatifs à la fois au pouvoir d’achat des salariés et à la compétitivité des entreprises.
Par ailleurs, je propose de ne pas prendre en compte au niveau européen les exceptions qui existent dans les législations nationales – taux spécial pour les jeunes, différences régionales, différences par branches –, qui doivent rester du ressort national.
Après cette première phase, il conviendrait d’organiser la convergence des normes de salaires minima au sein de l’Union européenne. Établir un salaire minimum dans chaque pays ne suffit pas en soi. Seule une convergence progressive permettra de lutter efficacement contre le dumping social et de mettre en œuvre la convergence salariale en Europe. Pour organiser cette convergence, je propose une action concertée entre le niveau national et le niveau européen.
Premièrement, il s’agit d’inscrire le principe du salaire minimum européen dans le socle européen des droits sociaux. Le 8 mars dernier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté une première ébauche du socle européen des droits sociaux. Celui-ci doit définir un certain nombre de principes essentiels afin de garantir le bon fonctionnement et l’équité des marchés du travail et des systèmes sociaux au sein de la zone euro. Il est essentiel d’inscrire le salaire minimum dans ce socle afin de mettre en œuvre les conditions d’une convergence des salaires minima au sein de la zone euro.
Deuxièmement, il convient de déterminer une instance nationale qui ait comme prérogative de proposer la norme de salaire minimum dans chaque pays en pourcentage du salaire médian. Cette instance ferait des recommandations, sur la base de la législation ou des accords collectifs en vigueur dans le pays.
L’Union européenne a décidé de mettre en place des conseils nationaux de la productivité, qui vont voir le jour dans les mois qui viennent et qui auraient un rôle consultatif, notamment pour considérer la compétitivité dans tous ses aspects – coûts, productivité, compétences, attractivité des territoires, innovation. Ces organes seraient chargés notamment de fournir aux autorités des données et leur expertise sur les mécanismes de fixation des salaires, sans préjudice du rôle des partenaires sociaux et des organes chargés de cette fixation.
Troisièmement, il s’agit d’instituer une conférence annuelle sur les salaires au niveau européen, dans le cadre d’un dialogue macroéconomique. Cette conférence analyserait les recommandations faites par les conseils nationaux de la productivité en mettant en perspective les réalités nationales dans le contexte européen. Elle aurait comme objectif d’organiser au niveau européen la convergence des normes de salaires minima afin d’éviter les déséquilibres macroéconomiques et de lutter contre le dumping social, et ferait des recommandations aux États membres en termes d’ajustement des normes de salaires minima.
Quatrièmement, il faudrait faire du salaire minimum un élément central du semestre européen, qui permet aux pays de l’Union européenne de coordonner leurs politiques, notamment en matière d’emploi. La question du salaire minimum pourrait faire partie des recommandations que la Commission européenne adresse aux États membres après que ceux-ci ont présenté leur programme d’action. Ainsi portée à l’échelle européenne, la convergence des salaires finirait bien par être assurée.
Reste à délimiter un périmètre et un cadre légal pour le salaire minimum européen. Le rapport propose que soient concernés les pays de la zone euro et les autres pays membres de l’Union qui le souhaitent, afin de ne pas être bloqués par ceux qui ne souhaiteraient pas adhérer à ce mécanisme. Pour ce qui est du cadre légal, l’Union européenne n’a pas compétence aujourd’hui pour imposer une convergence des salaires en Europe ou un salaire minimum à l’échelle de l’Union. Aux termes de l’article 153 du Traité, l’Union européenne soutient et complète l’action des États membres dans les domaines sociaux, y compris en adoptant des directives, mais sa compétence ne s’applique pas, de manière explicite, aux rémunérations. En l’état du droit et des traités, les possibilités sont donc limitées et demeurent uniquement incitatives. Pour autant, elles ne sont pas inefficaces. Il existe des précédents importants en la matière.
L’Union européenne, dans le cadre de la Troïka, par exemple, est déjà intervenue en matière de politique salariale auprès d’États membres, la Grèce et le Portugal en l’occurrence, pour demander des coupes ou des gels de salaires. De même, en 2015, la Commission européenne a fait, dans le cadre du semestre européen, des recommandations relatives à des baisses des salaires à onze États membres. Les précédents existant pour la baisse des salaires, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas en créer pour fixer une norme et un pourcentage de salaire minimum.
En conclusion, nous devons inciter les autorités nationales et européennes à faire du sujet de la convergence des salaires minima un sujet majeur des discussions sur l’Europe sociale. Cela est nécessaire tant du point de vue de la survie de la zone euro que de celle de l’Union européenne qui, aujourd’hui, vit des moments très difficiles. L’Europe sociale, la convergence sociale sont aujourd’hui en panne. Ce serait un moyen de les relancer.
Au moment de son investiture, le président de la Commission européenne a déclaré devant le Parlement européen qu’il fallait que l’Europe ait le triple A social, qui est aussi important que le triple A économique et financier. Cela implique que les marchés du travail et les systèmes de protection sociale puissent fonctionner correctement et être viables dans tous les États membres de la zone euro. La convergence des salaires minima en Europe serait un signal positif et aurait une double vertu, économique et sociale, qui permettrait le rapprochement entre l’Europe et ses peuples.
M. Denys Robiliard. Mme la présidente, je partage pleinement votre avis, le rapport de Philip Cordery est de nature à redonner le moral aux citoyens européens.
Il est inconcevable que le marché unique dans lequel nous vivons ait des règles si différentes aux plans fiscal, environnemental et social. C’est encore plus vrai pour la zone euro, où les États ne peuvent pratiquer d’ajustement monétaire et où il est, par conséquent, impératif que les règles suivies par les uns et les autres soient proches. Or, alors que nous espérions que l’euro entraînerait une convergence des économies, celles-ci continuent de diverger.
Votre travail, monsieur le rapporteur, s’inscrit dans un contexte plutôt favorable, puisque l’Allemagne, qui n’avait pas de salaire minimum, a décidé d’en avoir un à partir du 1er janvier 2015. Alors que certains augures prévoyaient une catastrophe économique à la suite de cette mesure, il n’y a pas eu d’augmentation du chômage et certaines personnes titulaires de contrats dits « mini jobs », à 400 euros et quasiment sans cotisation – ce qui sacrifiait leurs retraites – sont passées sur des contrats classiques, comme vous le décrivez dans votre rapport.
Votre réflexion rejoint celle du Parlement européen, qui a adopté, le 14 septembre, sur la base du rapport de Guillaume Balas, eurodéputé français, une résolution contre le dumping social. Le point 48 de cette résolution recommande l’instauration de planchers salariaux sous la forme d’un salaire minimum national. Le Parlement européen vise un objectif de 60 % non du salaire médian mais du salaire moyen : pourquoi cette distinction ? Il me paraîtrait inconcevable que le salaire minimum soit fixé en-deçà du seuil de pauvreté. Je pense donc que l’on pourrait viser 60 % à la fois du salaire médian et du salaire moyen, et prendre le plus fort d’entre les deux montants.
Il est toujours intéressant de lire les résolutions du Parlement européen. Au considérant D., on apprend ainsi que « l’un des grands principes des politiques de l’Union est la cohésion sociale, ce qui signifie un rapprochement constant et continu des salaires ». Nous n’avons pas vu, à ce jour, la réalisation concrète de ce grand principe. Il est temps d’en faire une priorité européenne.
Au plan des propositions concrètes, vous prévoyez un jeu à quatre temps : tout d’abord, l’entrée du principe dans chaque pays, ensuite son inscription dans le socle européen des droits sociaux, suivie d’une concertation entre les niveaux national et européen par le biais, si j’ai bien compris, de la conférence européenne des salaires, qui ferait des propositions pour chaque pays – ce qui montre bien que le niveau national intéresse toute l’Europe, alors qu’actuellement ce niveau ne peut faire l’objet d’une réglementation communautaire –, et enfin une prise en compte dans le cadre du semestre européen, ce qui me paraît aussi une avancée importante.
Quelles sont les difficultés devant nous ? La révision de la directive sur le détachement international se heurte à un véritable front du refus mené par la Pologne. Le même risque existe-t-il en ce qui concerne le salaire minimum et, si tel est le cas, comment l’éviter ? Les personnes que vous avez entendues ne font pas partie des pays appartenant à ce front du refus, qui sont surtout des PECO (pays de l’Europe centrale et orientale). Une partie de ces derniers pourraient-ils conduire une opposition frontale au projet ?
Mme Isabelle Le Callennec. Dans un contexte européen marqué par une sortie de crise difficile dans certains pays et un recours de plus en plus massif au détachement, la question d’un salaire minimum européen refait surface régulièrement dans le débat public. Seuls vingt et un des vingt-huit pays membres de l’Union européenne disposent en 2016 d’un salaire minimum légal valable dans toutes les branches d’activité. En Autriche, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en Italie et en Suède, il n’existe pas de SMIC valable pour tous les salariés.
Le salaire minimum le plus élevé est celui du Luxembourg, à 1 923 euros bruts, et le plus faible celui de la Bulgarie, à 215 euros selon mes chiffres, qui diffèrent des 184 euros de votre rapport. Il est de 1 466 euros bruts en France. L’Allemagne est le dernier pays en date à avoir adopté un SMIC. Mis en place le 1er janvier 2015, son montant est fixé à 1 473 euros, mais il existe des exceptions : les chômeurs de longue durée ne peuvent en bénéficier qu’après six mois d’embauche, les stagiaires, les saisonniers n’en bénéficient pas, et certaines branches ne le mettront en place qu’au 1er janvier 2017.
Lors de la campagne des dernières élections européennes, un relatif consensus semblait s’être dégagé sur la nécessité d’instaurer un salaire minimum européen. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, alors candidat, avait même plaidé pour un revenu minimum d’insertion et un socle de règles communes en matière de droit du travail et de licenciement. Il était en campagne électorale…
De fait, l’Union européenne reste une zone de pays associés mais quelque peu rivaux, aux réalités socio-économiques diverses, avec un risque toujours présent, et souvent évoqué dans notre commission, de dumping social et de concurrence déloyale. D’où l’intérêt de votre rapport, cher collègue, mais avec ses limites, que vous avez d’ailleurs eu l’honnêteté de pointer vous-même.
J’en vois, pour ma part, au moins trois. La première est que l’Union européenne n’a pas de compétence en la matière. En l’état des traités, une directive « salaire minimum » ne pourrait voir le jour. Pour vous, la volonté politique des acteurs pourrait suffire à dépasser les limites institutionnelles, mais l’expérience nous invite à être prudents et à ne pas leurrer les peuples. Il n’y a qu’à constater les difficultés à faire évoluer la directive « détachement ». Certes, le discours de Jean-Claude Juncker sur l’état de l’Union semble indiquer la volonté d’une Europe plus sociale, mais il reconnaît lui-même que les outils manquent. L’objet de votre rapport est de faire des propositions concrètes à cet égard.
Ensuite, s’il était décidé d’instituer un salaire minimum, se poserait immédiatement la question de son niveau. Vous reconnaissez qu’il ne faut pas que ce salaire minimum nuise à l’accès à l’emploi ni à la compétitivité des entreprises, et vous préconisez un niveau adéquat dans chaque pays. Une note du Trésor de 2014 propose la fixation d’un salaire plancher exprimé en pourcentage du salaire médian de chaque pays, entre 45 et 50 %, puis 55 % à terme. Vous proposez de le fixer à un niveau entre 50 et 60 % du salaire médian, avec un mécanisme progressif pour certains pays.
Nous sommes là au cœur de la difficulté. Le problème n’est pas le principe du salaire minimum, mais son niveau. Si le plancher du salaire minimum européen est fixé à un niveau bas, il ne sera ni un rempart contre le dumping social ni une garantie de sortie de la pauvreté pour les travailleurs concernés. S’il est trop élevé, il risque de scléroser le marché de l’emploi et de pénaliser les pays dont le salaire médian est bas.
Cette question est d’autant plus difficile à traiter en France, où le SMIC s’établit à 60 % du salaire médian et compte parmi les plus élevés d’Europe. Si le salaire minimum européen voyait le jour, son plancher serait très probablement fixé à un niveau plus bas ; une pression à la baisse sur le SMIC français ne serait pas exclue, et ce n’est certainement pas votre objectif – ni le nôtre.
Le réalisme nous impose de concevoir que la volonté politique que vous appelez de vos vœux risque de se faire attendre. C’est pourquoi je nous inciterais, chers collègues, à nous mobiliser plutôt sur une évolution dans les meilleurs délais de la directive « travailleurs détachés ».
Nous avons voté, le 13 juillet dernier, la proposition de résolution européenne sur la modification de la directive, dont le rapporteur était M. Savary. La loi travail a également renforcé notre arsenal législatif. Je cite deux de ses articles. Sur les chantiers du bâtiment ou de génie civil, « le maître d’ouvrage porte à la connaissance des salariés détachés, par voie d’affichage sur les lieux de travail, les informations sur la réglementation qui leur est applicable. […] L’affiche est facilement accessible et traduite dans l’une des langues officielles parlées dans chacun des États d’appartenance des salariés détachés. » Notre groupe souhaitait aller plus loin, avec notre amendement Molière, mais comme il n’y a pas eu de discussion sur la loi nous n’avons pu le défendre. Cette disposition est toutefois déjà un point positif. Ensuite, l’entreprise utilisatrice établie hors du territoire national qui « a recours à des salariés détachés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire également établie hors du territoire national, envoie aux services de l’inspection du travail du lieu où débute la prestation une déclaration attestant que l’employeur a connaissance du détachement de son salarié ». Un autre point positif.
La discussion au Parlement européen se poursuit, avec deux co-rapporteures, dont Élisabeth Morin-Chartier, eurodéputée Les Républicains de la grande région Ouest. Les débats devraient s’étaler entre novembre 2016 et avril 2017. C’est au Conseil européen que les échanges seront, à mon avis, les plus âpres, une dizaine de pays, notamment de l’est de l’Europe, n’ayant pas l’intention de céder. Cette révision de la directive est pourtant un préalable au retour de la confiance en nos institutions européennes.
En conclusion, je souligne la qualité de votre rapport et votre volonté manifeste de faire des propositions concrètes. Mais pour combattre la concurrence déloyale et le dumping social, nous devrions, à mon avis, consacrer l’énergie de notre assemblée à soutenir et relayer celles et ceux qui, toutes sensibilités politiques confondues, ont fait de la révision de la directive sur le détachement leur cheval de bataille. Le détachement pose deux types de problème : il y a aujourd’hui des travailleurs détachés qui travaillent de 55 à 60 heures par semaine et sont payés entre 35 et 39 heures, et, dans le bâtiment, par exemple, là où un ouvrier est payé entre 1,6 et deux fois le SMIC en France, le travailleur détaché est payé au SMIC et ses charges sociales sont celles de son pays d’origine. C’est là qu’il y a urgence, alors qu’une éventuelle convergence des salaires minima au sein de l’Union prendra, à mon avis, beaucoup plus de temps.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre commission, madame Le Callennec, a siégé 34 heures sur le projet de loi travail. L’amendement que vous évoquez, l’avez-vous défendu ou non ?
Mme Isabelle Le Callennec. Nous n’avons pu le déposer en séance.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous auriez pu le déposer en commission. C’est sous un gouvernement de droite que le pouvoir des commissions parlementaires sur les textes a été renforcé ; je suis donc un peu étonnée que vous attendiez le passage dans l’hémicycle pour déposer des amendements. C’est le texte issu de la Commission qui est discuté dans l’hémicycle ; si vous l’aviez déposé en commission, votre amendement aurait peut-être été intégré au texte.
Mme Isabelle Le Callennec. Non, la ministre n’en voulait pas.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre commission a voté des amendements contre l’avis du Gouvernement, et qui sont restés dans la loi.
M. Stéphane Claireaux. Le rapport établit un large panorama comparatif du salaire minimum au sein des pays de l’Union européenne et il est très intéressant de remarquer les différences, parfois significatives, à cet égard.
Les radicaux de gauche sont des Européens convaincus. Nous revendiquons une Union européenne plus sociale, comme beaucoup à gauche, mais nous soutenons également une vision fédéraliste des institutions européennes, intégrant une volonté d’élargir la législation sociale européenne. Pour les radicaux de gauche, la mise en place d’un salaire minimum au niveau de chaque pays de l’Union européenne serait une mesure phare dans la construction d’une Europe plus sociale. Nous le voyons notamment comme un moyen efficace de lutte contre le dumping social, lié à la problématique récurrente des travailleurs détachés.
Aujourd’hui, force est de constater que l’Union européenne fonctionne à deux vitesses, voire davantage. Ces différences de traitement dans les droits sociaux sont problématiques dans l’idéal social que nous, radicaux de gauche, avons de l’Union. Ainsi, sur les vingt-huit pays de l’Union européenne, six n’ont pas de salaire minimum, car ils sont attachés à la négociation collective. À ce titre, je partage votre analyse sur la difficulté de mettre en place un salaire minimum au niveau de l’Union tant les différences de modes de fixation des salaires, l’absence de convergence sociale et la forte disparité entre les salaires de nos concitoyens européens sont grandes.
De manière générale, on remarque que les pays de l’Europe de l’Est, excepté la Slovénie, ont un salaire minimum dans le bas de la fourchette. Les pays de l’Europe du Sud, Slovénie incluse, ont un salaire minimum entre 500 et 800 euros, et les pays ayant un salaire minimum le plus élevé se comptent principalement parmi les pays fondateurs de l’Union européenne, à savoir le Benelux, l’Allemagne et la France, en plus de l’Irlande et du Royaume-Uni.
Il est très intéressant de voir, à ce titre, que les trois pays scandinaves, réputés pour avoir des politiques sociales étendues – on le voit notamment avec l’expérimentation du revenu de base inconditionnel mis en place par le Gouvernement de coalition libéral-national-conservateur finlandais –, n’ont pas recours à un salaire de base minimal, même si les salaires en Scandinavie me semblent plus élevés que dans une majorité d’autres pays de l’Union européenne. Mais vous pourrez m’apporter plus d’éléments ou rectifierez mes propos, monsieur le rapporteur, si je me trompe. Les pays scandinaves sont souvent cités en exemple pour leur gouvernance sociale-démocrate qui, rappelons-le, signifie, en sociologie politique, un travail étroit entre le pouvoir en place et les syndicats, et non une gauche plus à droite qu’elle ne doit l’être.
J’aurais également voulu poser la question des salaires sur des territoires situés sur le continent européen mais hors Union européenne. La question des frontaliers, notamment avec la Suisse, n’est pas anodine. En 2015, plus de 300 000 frontaliers communautaires ont traversé chaque jour en semaine la frontière pour travailler sur le sol suisse, avec cette particularité que la Confédération n’a aucun salaire minimum, sauf en République de Neuchâtel où le salaire minimum voté par le législatif cantonal a été fixé à 3 640 francs suisse, soit 3 330 euros ! Toutefois, tant en 2014 qu’il y a trois mois, le corps électoral helvétique a voté contre un SMIC national – estimé à environ 3 330 euros également – et contre le revenu de base inconditionnel, à 73 % de « non » à chaque fois. Là aussi, comme en Scandinavie, les opposants à un salaire minimum national avaient avancé le fait que les conventions collectives étaient mieux à même de régler chaque situation par branche.
Cette petite digression me semblait importante, car elle montre que, si nous voulons régler les disparités de salaires au sein de l’Union avec un salaire minimum, la question ne pourra pas être uniquement résolue de façon sectorielle. Uniformiser un SMIC uniquement dans la zone euro ne nous semble pas pertinent, car cela ne va pas dans le sens d’un renforcement de l’Europe sociale pour tous ses citoyens. Reste en suspens la question de ceux qui vivent au sein de l’Union européenne mais n’y travaillent pas, conséquence directe d’une globalisation importante au niveau de l’Europe continentale.
Monsieur le rapporteur, votre rapport d’information est très clair, détaillé et complet. En page 30, vous prônez l’inscription du salaire minimum européen dans le socle européen des droits sociaux. Pensez-vous que ce soit politiquement réalisable avec les forces politiques en présence au sein des institutions européennes ?
M. Arnaud Richard. Bravo à notre collègue. Ce rapport a déjà été présenté au sein de la commission des affaires européennes ; on voit l’utilité, madame la présidente, que nos deux commissions travaillent ensemble.
Dans le cas de la Suède et de la Finlande, évoqué par M. Claireaux, on a l’impression qu’il n’y a pas de SMIC, alors que le système est paradoxalement plus vertueux.
Le salaire minimum européen, ce pilier de l’Europe sociale – et, de son côté, Jean-Patrick Gille a essayé de décrire l’assurance chômage européenne de demain – est une piste intéressante, même si cela pose un certain nombre de questions. Le salaire est un aspect très important du modèle social ; dès lors que vous tirez ce fil, tout le modèle social vient avec. Il faut donc aller au bout de la démarche et parler d’assurance chômage, d’assurance maladie, de dépendance, de formation. Tout est lié. Ce qui me gêne dans la présente démarche, même si elle permet de se faire une idée de la situation en Europe, c’est qu’elle ne va pas au bout des choses. Le rapport des cinq présidents non plus ne va pas au bout.
Nous voyons bien les différences entre pays, entre 184 euros en Bulgarie et 1 923 euros au Luxembourg – et encore ne dit-on pas ce qu’est la réalité de la Suède et de la Finlande, ce qui rendrait certainement l’écart encore bien supérieur. Aussi, quels choix faire ? Faut-il que ceux qui sont à 1 923 euros convergent vers la moitié de la différence avec le plus bas salaire minimum ? Je ne suis pas certain que les peuples l’acceptent, même si je comprends que ce n’est pas votre vision.
Vous avez raison de travailler sur ce sujet, car il faut remédier aux déséquilibres macroéconomiques et au dumping social. Le travail que nous conduisons sur la directive « travailleurs détachés » prend à cet égard tout son sens.
M. Michel Issindou. Vous avez, monsieur le rapporteur, commis un très bon rapport. Un rapport de bon sens qui montre l’échec de l’Union européenne : il est dramatique que, quelque soixante ans après sa création, nous en soyons encore à nous poser ces questions. On pouvait espérer que nous parviendrions à un peu de cohérence en cette matière essentielle, à une bonne cohabitation dans un même espace économique. Les disparités existantes sont choquantes.
Il faut arbitrer. Au niveau facial, la différence est d’un à dix ; d’un à quatre en termes de pouvoir d’achat, car si on ne vit sans doute pas très bien avec 184 euros par mois en Bulgarie, on vit sûrement mieux qu’avec 184 euros en France. Vous avez raison de souhaiter une convergence et vous en avez décrit les étapes ; cette ambition est nécessaire. On peut toutefois douter, à voir son fonctionnement, de la capacité de l’Union européenne à y parvenir ; il faudrait une Europe plus fédérale, plus politique.
Arnaud Richard a indiqué à juste titre que le salaire n’était qu’un des éléments importants du modèle social. C’est le cas aussi des cotisations attachées au salaire, déterminantes pour le niveau de protection sociale, dont dépend largement le pouvoir d’achat.
Cela pose également la question de la fiscalité ; les disparités en la matière – cas de l’Irlande – et l’existence, en Europe même, de paradis fiscaux – Luxembourg, îles anglo-normandes – ne sont pas normales, dans le fonctionnement européen. Il faut retrouver le courage politique d’aller plus loin dans l’harmonisation. Je doute fort cependant, vu la compétition qui règne entre ces économies européennes, que nous soyons capables d’y parvenir. Mais l’ambition est là, elle a été affichée par le président Juncker, et je pense qu’il est du devoir du parlement français de pousser vers cette convergence des politiques économiques et sociales, dont dépend la réussite du projet européen.
M. Arnaud Viala. Ne nous servons pas du salaire minimum pour éviter de nous poser la question de la force politique que l’on entend donner à l’Europe. Un salaire minimum européen exige que l’Europe se dote d’une réelle capacité à adopter des orientations politiques.
Il ne faut pas non plus éluder la question fondamentale du poids des charges qui pèsent sur le travail en France. Nos collègues ont demandé où le curseur devait être placé, en termes de montant. Dans notre pays, le montant des salaires dépend très fortement des charges qui pèsent sur le travail. C’est le débat essentiel de la compétitivité de notre économie. Les migrations de travailleurs à travers les frontières européennes sont explicables par les énormes différences entre charges sur le travail.
Le débat est très large et il convient de ne pas l’examiner par le petit bout de la lorgnette, même si le salaire minimum est un point très important. Mon intervention, je le précise, n’a aucune intention polémique.
M. Michel Liebgott. Ce débat redonne un peu d’espoir et il aurait été très mal perçu que nous ne l’ayons pas. Même aux États-Unis, il y a aujourd’hui un débat sur le salaire minimum. Il est assez symbolique que ce soit Philip Cordery qui en soit le rapporteur, compte tenu de son corps électoral et des gens qu’il représente et qui sont éminemment concernés. Mais nous sommes tous concernés.
L’Europe, pour beaucoup de gens, c’est, au quotidien, la réduction des déficits publics, la réduction du coût du travail, la crise agricole, la crise des réfugiés, autant de thèmes négatifs ressassés en permanence. Ils en viennent à se demander à quoi sert l’Europe. Les élus locaux savent à quoi sert l’Europe, car les fonds européens abondent leurs budgets et leur permettent de réaliser des équipements, mais cela est en réalité très peu souligné. Il faut donc se remettre à positiver. Sur l’acier, par exemple, l’Europe a récemment manifesté une certaine exigence de protectionnisme, sans remettre en cause notre modèle.
Il est tout aussi important que le social revienne sur le devant de la scène. La question du salaire minimum est éminemment sociale et transversale : elle concerne tous les Européens. Les populismes progressent et même l’emportent dans certains pays avec des programmes visant à faire disparaître l’Europe ou à en minimiser le rôle. Il est important d’avoir ce débat : le pouvoir d’achat, le salaire, c’est ce qui intéresse nos populations, à qui nous devons rendre des comptes.
M. le rapporteur. L’objectif de ce rapport n’est pas d’ajouter une incantation supplémentaire à celles que l’on entend depuis très longtemps sur l’Europe sociale, mais de présenter une proposition à la fois ambitieuse et réaliste. Cette proposition ne résout pas tout du jour au lendemain ; c’est un processus.
Comme je l’ai indiqué dans ma présentation, l’Union européenne, c’est vrai, n’a pas de compétence en tant que telle, mais il existe des précédents. Quand la Troïka se rend en Grèce et dit qu’il faut baisser les salaires dans ce pays, je considère que c’est un précédent. Rien n’empêche la Commission de demander, dans le cadre du semestre européen, que tel ou tel pays augmente son salaire minimum. On ne peut pas, certes, demander une directive sur le salaire minimum européen mais la Commission peut faire des recommandations dans le cadre du semestre européen. C’est une question de volonté politique ; le cadre existe et nous pouvons l’utiliser.
L’urgence est due aux très importants déséquilibres économiques qui existent aujourd’hui. Nous avons une monnaie commune, une politique budgétaire qui commence à être coordonnée, mais il n’existe absolument aucune coordination aux niveaux fiscal et salarial et les pays jouent là-dessus : chacun a sa niche fiscale ou salariale. La politique de bas salaires conduite en Allemagne ces dix dernières années a eu un impact très important sur notre productivité. Une coordination au niveau fiscal – la réflexion est en cours au sujet de l’impôt sur les sociétés – et salarial, avec le rapprochement des salaires, est donc urgente pour résoudre ces déséquilibres macroéconomiques.
Mme Le Callennec oppose qu’il vaut mieux revenir sur la directive sur les travailleurs détachés, mais les deux sujets sont éminemment complémentaires et doivent être traités ensemble. Cette directive présente deux problèmes : l’un est lié au contrôle dans notre pays, ce à quoi s’est attelée la loi travail, l’autre au fait qu’un pays voisin, l’Allemagne, n’avait pas de salaire minimum et employait des travailleurs détachés, ce qui a causé des problèmes à certains pans de nos économies. Les conséquences ont notamment été dramatiques pour les abattoirs en France et d’autres secteurs. D’où l’importance, en plus d’un contrôle sur les travailleurs détachés, de salaires le plus convergents possible dans les pays de l’Union européenne, afin d’éviter ce dumping.
M. Claireaux a eu raison de citer les pays nordiques. Une de nos difficultés a été d’inclure tous les pays dans la réflexion, pas seulement ceux qui ont un salaire minimum légal. La Suède et la Finlande ont des salaires minimums très élevés mais qui sont le fruit de la négociation collective, et il faut leur laisser cette liberté : on ne va pas dicter quoi que ce soit à des pays qui ont des niveaux de salaire élevés. La proposition permet justement de concilier les différents moyens de fixer le salaire minimum.
La proposition est ambitieuse mais aussi réaliste. On ne peut commencer avec tout le monde. Même si l’objectif à terme est que l’ensemble de l’espace économique européen, y compris la Suisse, soit impliqué, je propose de commencer par la zone euro, où existe la coordination économique la plus forte.
L’objectif est, d’une part, la convergence des salaires minima et, d’autre part, l’augmentation vers 60 % du salaire médian. Il n’y a donc aucun risque que le salaire minimum baisse dans certains pays, par exemple en France. La différence est d’un à quatre en termes de pouvoir d’achat ; il y a du chemin à parcourir mais nous ne sommes pas si éloignés. Il est important de retenir le salaire médian, celui qui compte autant de personnes au-dessus qu’en-dessous, car, quand les salaires sont très bas dans un pays, le salaire moyen est inférieur au salaire médian, et fixer un pourcentage du salaire moyen pourrait donc avoir un effet négatif sur les salaires, dans la mesure où cela inciterait à des bas salaires pour que le salaire minimum soit plus bas. La France a un salaire moyen plus élevé que le salaire médian mais ce n’est pas le cas dans les pays qui ont plus de bas salaires.
Le socle de droits sociaux proposé par M. Juncker n’a toujours pas vu le jour, justement parce que la question du salaire minimum est en débat. Il n’y a pas d’unanimité au niveau européen ; c’est pourquoi il est important d’envoyer tous les signaux que nous pouvons afin d’influer sur le rapport de force. Le présent rapport en est un parmi d’autres. Nous ne pouvons imaginer un socle de droits sociaux sans parler de salaire minimum européen.
Comme beaucoup d’entre vous l’ont dit, l’objectif doit être d’aller plus avant vers une Europe sociale et politique, une Europe dans laquelle les citoyens se reconnaissent. Pour cela, il faut que l’Europe aille au-delà de l’union monétaire et économique et porte des objectifs sociaux, comme y invite cette proposition. Il y a réellement urgence à le faire.
Mme la présidente Catherine Lemorton. C’est un premier chantier. Nous ne pourrons faire l’économie d’un débat sur l’harmonisation fiscale. Même si l’Irlande a des salaires relativement élevés, tant qu’elle pratique le dumping fiscal, cela reste intéressant pour les sociétés de s’y établir.
Merci, monsieur le rapporteur. La reconnaissance de votre travail a été, on peut le dire, unanime, même si certains ont pointé des difficultés. Il n’y a pas de barrière infranchissable, notre équipe de France d’équitation aux Jeux olympiques nous l’a montré.
La séance est levée à dix-neuf heures.
——fpfp——
Commission des affaires sociales
Réunion du mercredi 21 septembre 2016 à 17 heures
Présents. – M. Alain Ballay, M. Gérard Bapt, M. Stéphane Claireaux, M. Philip Cordery, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Renaud Gauquelin, M. Michel Issindou, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Catherine Lemorton, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Arnaud Viala
Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, M. Dominique Dord, Mme Annie Le Houerou, Mme Véronique Massonneau, Mme Dominique Orliac