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Commission des affaires sociales

Lundi 26 septembre 2016

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 73

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen pour avis du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 4000) (Mme Monique Orphé, rapporteure)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Lundi 26 septembre 2016

La séance est ouverte à seize heures cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission des affaires sociales examine pour avis, sur le rapport de Mme Monique Orphé, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (n° 4000).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre commission se réunit aujourd’hui pour examiner le titre III concernant les dispositions sociales – en particulier les articles 9 et 10 – du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant d’autres dispositions en matière sociale et économique, dont la commission des lois est saisie au fond. La parole est à Mme Monique Orphé, qui a été désignée rapporteure pour avis la semaine dernière.

Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis. Je me réjouis que notre commission soit saisie pour avis du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer car, à mon sens, la convergence entre les outre-mer et l’Hexagone passe avant tout par le développement social. Or, malgré les importants progrès réalisés depuis trente ans dans ce domaine, la situation des territoires ultramarins demeure fragile et accuse un retard économique et social souvent profond par rapport à la France métropolitaine. En 2012, le PIB des outre-mer était encore inférieur à celui de la métropole de 30 % en Guadeloupe et en Martinique, et même de 78 % à Mayotte. Comme je l’ai maintes fois rappelé devant la commission, le taux de chômage oscille entre 20 % et 25 % de la population active ultramarine, et le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé qu’en métropole : il s’établirait à 20 % environ en Guadeloupe et en Martinique selon un calcul spécifique à ces territoires, mais il bondirait à 42 % à La Réunion dès lors qu’il est calculé en référence au taux national ! Ces quelques données suffisent à illustrer l’importance que revêt ce projet de loi très attendu en faveur de l’égalité réelle pour les populations des outre-mer.

Je passerai rapidement sur les dispositions du texte dont notre commission n’est pas saisie, tout en rappelant néanmoins que les plans de convergence prévus au titre II constituent des outils indispensables pour concrétiser l’égalité réelle, en particulier l’égalité sociale.

Comme mes collègues ultramarins, je me félicite des mesures prises au titre III, dont nous sommes saisis et qui concerne exclusivement Mayotte. En effet, le processus de départementalisation de Mayotte reste à parachever. D’importants progrès ont été accomplis ces dernières années pour faire entrer Mayotte dans le droit commun, et de nombreuses ordonnances ont été prises, en particulier dans le champ social, pour y rendre applicables les principaux dispositifs de protection sociale – le revenu de solidarité active (RSA) en 2012, par exemple, mais aussi l’assurance chômage et les principales prestations sociales en 2013. Toutefois, des règles particulières s’appliquent encore ; c’est pourquoi le processus doit se poursuivre. De ce point de vue, c’est le document stratégique « Mayotte 2025 » signé par le Premier ministre qui donne le la. Ce sont les engagements pris dans ce document que traduisent les deux articles du projet de loi relatifs à Mayotte, qui permettront de réaliser des progrès importants dans le domaine des prestations familiales et de l’assurance retraite.

Ainsi, l’article 9 vise à accélérer le rythme d’augmentation des allocations familiales pour approcher dès 2021, et non plus 2026, les montants en vigueur au niveau national. Il est également prévu l’extension à Mayotte du complément familial selon les règles applicables dans les autres départements d’outre-mer, y compris le montant majoré : le complément familial sera ainsi ouvert aux familles, sous condition de ressources, dès lors qu’elles ont à charge un enfant entre trois et cinq ans et n’ont pas d’enfant de moins de trois ans. De même, les compléments de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) seront étendus à Mayotte.

L’article 10, quant à lui, institue un dispositif spécifique de garantie des pensions des salariés du secteur privé, pour permettre aux retraités ayant cotisé de manière significative au titre de la retraite de disposer d’une pension supérieure à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Il prévoit la mise en œuvre simultanée des systèmes de retraite complémentaire obligatoire en vigueur en métropole. Enfin, il clarifie les modalités de versement d’une pension aux agents publics de Mayotte. On ne peut que se réjouir de ces mesures essentielles pour assurer progressivement l’égalité des droits en matière sociale entre Mayotte et le reste de la France.

Comme plusieurs de mes collègues ultramarins, je constate toutefois que le titre III ne comporte aucune disposition en faveur des autres territoires d’outre-mer. Je le regrette, et mon rôle de rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales consiste précisément à défendre des mesures complémentaires pour renforcer l’ambition du texte. Hélas, dans le champ social, nous nous heurtons aux obstacles constitutionnels qui interdisent aux amendements d’origine parlementaire de se traduire par la création ou l’aggravation d’une charge publique. Dans ces conditions, les amendements que je défendrai ne sauraient couvrir l’ensemble des mesures que j’aurais souhaitées, mais j’ai entamé avec le Gouvernement un dialogue qui, je l’espère, nous permettra d’avancer sur une série de mesures en vue de l’examen du texte en séance publique.

J’en viens aux amendements que je vous proposerai dans un instant. Tout d’abord, il me semble essentiel d’aboutir à plusieurs avancées d’ici au passage du texte en séance, même si je n’ai pas pu vous en faire la proposition dès aujourd’hui en raison de l’article 40 de la Constitution. Sans doute le dialogue que les rapporteurs entretiennent avec le Gouvernement permettra-t-il d’apporter en séance des réponses solides sur ces sujets. En effet, de profondes inégalités subsistent encore dans les outre-mer en matière de prestations familiales, auxquelles il est indispensable de s’attaquer si l’on veut mettre les outre-mer sur la voie de la convergence et de l’égalité réelle. Les conditions permettant de bénéficier du complément familial mériteraient par exemple d’être rééquilibrées en faveur des départements d’outre-mer. De même, l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) n’existe pas dans ces territoires : c’est inacceptable.

En matière de prestations vieillesse, les retraités ultramarins émargent plus souvent au minimum vieillesse que les retraités métropolitains, en raison de la jeunesse relative des retraites mais aussi de la convergence du SMIC, qui ne date que de 1996. De ce point de vue, il me semble indispensable d’envisager un dispositif de revalorisation des petites pensions, soit en revalorisant le minimum contributif, soit en modifiant la procédure de recours sur succession de l’ASPA, très durement ressentie dans les outre-mer.

Le rapport qui vous est soumis présente en détail l’ensemble des recommandations dont j’espère la concrétisation dans le cadre de ce projet de loi. En tout état de cause, je plaide pour que la convergence maximale soit recherchée en matière de prestations sociales car, à terme, c’est une condition sine qua non de l’égalité réelle.

La première série d’amendements que je vous propose concerne les questions de santé publique et d’accès aux soins dans les outre-mer, qui accusent un retard encore important. La prévalence de certaines maladies chroniques et infectieuses, notamment, y est plus forte qu’en métropole. Les enjeux de santé publique que sont la lutte contre l’alcoolisme et contre l’obésité sont encore plus cruciaux : dans les territoires d’outre-mer, le prix de l’alcool demeure faible par rapport à la moyenne des prix alimentaires, et la teneur en sucre de certains aliments était jusqu’à une date récente bien supérieure à la pratique en vigueur en métropole. Mes amendements visent également à souligner la nécessité d’étendre la couverture maladie universelle complémentaire à Mayotte, à interdire la publicité en faveur des boissons alcoolisées aux abords des écoles et à majorer le montant des droits d’accises sur les rhums des départements d’outre-mer afin de favoriser la prévention et la lutte contre l’alcoolisme. Je souhaite aussi que les élèves des classes élémentaires soient formés aux questions nutritionnelles.

Une ordonnance de mise en œuvre et d’adaptation de la stratégie nationale de santé aux outre-mer et, plus généralement, d’adaptation du droit de la santé doit être bientôt prise ; le Gouvernement doit nous tenir informés de l’état d’avancement de ses travaux en la matière.

S’agissant de l’offre de soins, je propose de favoriser la mise en place de protocoles de coopération entre les professionnels de santé, ainsi que la modernisation et la restructuration de l’offre de soins hospitalière – tant les hôpitaux ultramarins se heurtent à de considérables difficultés financières et souffrent d’un manque d’attractivité médicale. Autre enjeu majeur : le développement de la télémédecine, qui passe notamment par la recherche d’une tarification de ces actes. Enfin, les évacuations sanitaires sont aussi une particularité des territoires ultramarins, et quelques difficultés parfois très douloureuses pour les patients et leurs familles subsistent encore. Il me semble essentiel d’y remédier pour convaincre les populations des outre-mer qu’elles ne sont pas livrées à elles-mêmes.

Dans le champ de l’éducation et de la formation, les amendements que je propose visent essentiellement à lutter contre l’illettrisme, qui demeure très répandu dans les outre-mer où le français n’est souvent pas la langue maternelle. De ce point de vue, le compte personnel de formation a un rôle important à jouer pour les personnes qui sont en recherche d’activité ou déjà en activité. De même, le développement des outre-mer suppose l’émergence de cadres intermédiaires et supérieurs. À cet égard, la création d’écoles de cadres d’outre-mer serait très utile ; je l’appelle de mes vœux.

La troisième série d’amendements que je vous soumettrai concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, qui doit être prioritaire : bien des choses restent à faire en la matière. Mes amendements posent des jalons qui pourront sembler modestes, mais qui contribueront à l’évolution des mentalités.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à saluer les députés ici présents, toujours déterminés à soutenir les territoires d’outre-mer : Mme Orphé, bien entendu, qui, sur tout sujet oublié ou négligé, n’hésite pas à interroger avec opiniâtreté les ministres concernés, mais aussi M. Jean-Philippe Nilor, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Stéphane Claireaux et M. Victorin Lurel, de passage dans notre commission. Je me félicite de votre détermination à défendre les intérêts des citoyens qui vous ont élus ici, car vous faites entendre une voix qui nous semble parfois lointaine depuis l’Hexagone.

Puisque Mme Orphé faisait référence aux questions de santé, je rappelle que le Parlement a adopté en 2013 la proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, qui portait notamment sur le taux de sucre dans les aliments. Où en est l’application de ce texte ? Que fait le puissant lobby agro-alimentaire, lui qui tentait de faire croire que les populations ultramarines auraient besoin de consommer davantage de sucre que la population métropolitaine ? Ce mensonge n’avait d’autre but que de vendre plus de sucre, avec tous les dégâts sanitaires que cela entraîne – triglycérides, cholestérol, surpoids, obésité – et les coûts humains, sociaux et sanitaires qui en découlent. Un an et demi après l’adoption de cette loi, il semble que nous étions encore loin du compte, les industriels ayant du mal à s’y mettre. Nous allons nous intéresser de près à ce débat que M. Lurel avait animé avec hauteur – je déplore à cet égard qu’une partie de l’opposition se soit abstenue sur une proposition de loi qui aurait dû recueillir l’assentiment unanime de l’Assemblée.

M. Jean-Philippe Nilor. Permettez-moi de donner brièvement mon point de vue général : ce texte est décevant. Le ton même qu’a employé Mme la rapporteure pour avis dans son intervention montre bien qu’il existe entre l’ambition affichée et les moyens qui sont concrètement mobilisés un écart – puisque c’est précisément de réduction des écarts qu’il est question dans ce projet de loi – que nos débats ne pourront combler.

Nous sommes loin, en effet, d’un changement de paradigme. Le texte repose sur une vision délibérément assimilationniste, clairement formulée dès l’article 1er : « Dans un objectif d’égalité réelle, la réduction des écarts de développement que connaissent les populations d’outre-mer au sein du peuple français constitue une priorité de la Nation ». Soit ; il ne s’agit donc pas de concevoir, encore moins d’appliquer un mode de développement original ou alternatif, mais bien de réduire les « écarts de développement » par rapport à un modèle, celui de la France hexagonale. Or, chacun sait qu’une telle approche intellectuelle a largement fait la preuve de ses limites. Nos difficultés structurelles ne doivent plus s’analyser en termes de retards de développement, mais en termes de blocages de développement. En effet, l’application de ce modèle qui, depuis l’autre rive de l’Atlantique, nous est présenté comme un idéal que nous serions tenus d’imiter, a donné lieu à toutes sortes d’abus. C’est cette même logique qui, en d’autres temps et d’autres lieux, a poussé certains d’entre nous à se blanchir la peau et à se défriser les cheveux pour ressembler à ceux qu’ils ne sont pas.

D’autre part, je regrette que ce texte, en l’état actuel, ne soit qu’une simple déclaration d’intention, et qu’il nous soit présenté très tardivement, en fin de législature. Convenez en effet que la volonté politique d’un Gouvernement se traduit dans l’ordre de programmation des textes législatifs. De plus, aucune disposition ne vise à rendre l’application de ce projet de loi inéluctable. Que se passera-t-il demain en cas de changement de majorité – qu’on le souhaite ou non ? Nous avons été assez ballottés par les uns et les autres au gré des changements de gouvernements et des programmations sans effets pour adopter désormais une position de prudence et de vigilance. Dans la mesure où l’État ne prend aucun engagement financier en faveur de l’application de ce projet de loi, toutes les supputations sont possibles concernant le financement de ces dispositions. Il n’est pas question d’accepter une nouvelle diminution des ressources des collectivités territoriales au mépris du principe de libre administration.

La loi se donne dix à vingt ans pour atteindre l’égalité réelle. Quel objectif présomptueux ! Je suis prêt à me joindre à cette ambition, mais pourquoi une programmation si prudente ? Les études objectives indiquent qu’un réel rattrapage ne saurait être envisagé avant trente ans au moins, voire qu’il serait impossible en raison de la crise démographique que subissent certains territoires comme la Martinique.

De plus, le texte se caractérise par un silence assourdissant au sujet des moyens financiers et des outils fiscaux que l’État pourrait consentir. Le Conseil d’État partage cette observation, mais pour s’en féliciter : les objectifs de ce projet loi, estime-t-il, ne sont que de nature purement qualitative et ne sont assortis d’aucun engagement financier.

Enfin, les plans de convergence – si tant est qu’il soit opportun de vouloir obsessionnellement « converger » vers un modèle qui n’est pas forcément souhaitable pour nous – demeurent, en l’état actuel du texte, sous la responsabilité de l’État central. J’y vois les prémices d’un retour à une forme de centralisation qui est loin de répondre aux aspirations maintes fois réitérées par les parlementaires, ainsi que par les présidentes et présidents des exécutifs des collectivités d’outre-mer, à tenir compte de nos besoins et de notre manière de voir en vue d’élaborer des modèles de développement réel – plutôt que des plans de convergence – voulus et conçus par les acteurs locaux en concertation avec l’État.

M. Stéphane Claireaux. Le projet de loi pour l’égalité réelle en outre-mer, voulu par le Président de la République, vise à réduire en une vingtaine d’années les écarts de développement qui existent entre les territoires ultramarins et la métropole. Il s’agit de garantir aux citoyens ultramarins les mêmes opportunités qu’aux citoyens métropolitains. Ce travail législatif est ambitieux, même s’il a été effectué dans des délais très contraints.

Les domaines couverts par ce texte sont vastes et divers : économie, social, éducation, santé, environnement, culture. S’il semble à première vue très centré sur les départements d’outre-mer, il ouvre cependant de grandes possibilités aux collectivités d’outre-mer via le bref article 5 du titre II. Comme l’a rappelé notre collègue Victorin Lurel en commission des lois, l’égalité transcende les statuts et les régimes législatifs.

C’est l’article 2 relatif aux plans de convergence qui intéresse plus particulièrement le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Si les problématiques de ce territoire sont assez différentes de celles qui caractérisent les autres outre-mer – en termes de taux de chômage, de pauvreté et de mortalité ou de retards d’éducation, par exemple –, j’ai néanmoins déposé plusieurs amendements sur d’autres sujets comme l’aide sociale et au logement, la santé, l’adaptation de règles et de normes au contexte local ou encore le désenclavement.

Certes, ce texte est incomplet et imparfait, mais il offre aux territoires ultramarins l’occasion de présenter devant la représentation nationale leurs problématiques trop souvent ignorées ou méconnues. En outre, il s’enrichira des contributions que nous voudrons bien lui apporter.

M. Victorin Lurel. Voici une trentaine d’années que je suis engagé dans la vie politique et je n’ai pas perdu mes rêves. Je dis souvent ceci aux électeurs : le jour où vous voudrez récuser la République française, vous le ferez ; le jour où vous serez fatigués de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, nul n’enverra des blindés pour vous forcer à demeurer dans le giron de la République.

Avec d’autres, j’ai participé à une plateforme présidentielle en 2012, et soixante engagements ont été pris en faveur des outre-mer. Aujourd’hui, plus de 90 % des promesses ont été tenues et les résultats sont là, quoi qu’on en dise. Nous avions dit et écrit – et le peuple y a souscrit – que nous voulions cette égalité. La recherche du graal égalitaire date de bien avant l’abolition de l’esclavage, mais aussi de 1946, époque à laquelle le grand Césaire évoquait une « assimilation géométrique » – c’est son terme, non le mien – qui n’est aujourd’hui rejetée ni en Martinique, ni en Guadeloupe ni ailleurs. Il n’y a aucune honte à dire qu’il faut tout faire, dans la République française, pour réduire et même résorber les inégalités territoriales, mais aussi les inégalités entre les personnes et les inégalités de revenus, de patrimoine, de reproduction sociale, et que ce n’est pas antinomique avec la recherche de son propre modèle.

Depuis 1982, nous avons – c’est l’honneur de la gauche – donné assez de liberté d’administration et de gestion aux collectivités territoriales – libre à elles, le moment venu, d’aller plus loin si elles le souhaitent. Lorsque l’on s’empare de tous ces pouvoirs, les résultats existent. Certes, le chemin à parcourir est encore long ; au fond, nous n’en verrons jamais la fin, car le développement est un processus qu’il appartient à chaque génération de poursuivre. C’est ce que nous faisons là où nous sommes. Personne ne m’oblige à défriser mes cheveux ni ne m’impose la « lactification » dont parlait Frantz Fanon. Nul système ne me contraint à être un nègre honteux ou un blanc décérébré. Les discours qui le prétendent, et que nous entendons certes au pays, ne font pas le bonheur des gens, même s’ils font peut-être celui de leurs auteurs parce qu’ils sont intellectuels ou qu’ils ont été lus dans des livres qui ne sont pas les nôtres.

Il est vrai que le présent texte est le dernier véhicule de la législature sur les outre-mer. Il faut encore l’améliorer, l’enrichir et tout faire pour que le Gouvernement lève le gage de sorte que les mesures proposées par les parlementaires ne soient pas déclarées irrecevables. Même s’il ne s’agit pas du grand soir, je crois à la politique des petits pas et à la force révolutionnaire de la modération. Ce n’est pas en étant lyrique – je l’ai été et je ne renie rien – que l’on fait avancer la cause. Rien ne sert de vouloir renverser la table ; c’est petit à petit que l’on avance.

Ce texte repose sur un principe philosophique : celui de l’égalité, qui a suscité toutes les révolutions du monde, singulièrement en France. Pour lui donner corps, il a été décidé de le traduire en politique d’égalité des chances – que le social-démocrate que je suis ne récuse aucunement. Il s’agit de donner à chacun les moyens de son expression, de son épanouissement, de réussir son parcours de vie ou de citoyenneté, son parcours professionnel, scolaire ou universitaire – en clair, de donner à chacun les mêmes chances au départ. Pour éviter que les inégalités ne soient trop profondes à l’arrivée, nous proposons l’égalité continue des chances, par la formation et l’éducation continues tout au long de la vie. Nous jugerons alors les écarts en fonction du travail et de l’ardeur de chacun à réussir qui sa vie, qui sa citoyenneté, et nous verrons s’ils sont socialement acceptables et s’ils sont justes. Il n’est pas question pour nous d’édifier une termitière, une société égalitariste ou babouviste ; c’est à chacun que revient le soin de réussir. Rien n’interdit aux élus que nous nous donnons d’élaborer des modèles différents.

Je me réjouis donc de la présentation de ce projet de loi, dont je sais pourtant les insuffisances. Je sais aussi le combat qu’il reste à mener avec le Gouvernement, les ministres, les élus et les collègues ici présents pour aboutir à un texte plus équilibré. Mieux vaut l’enrichir et en envisager le potentiel que le rejeter en bloc. En tout état de cause, il correspond parfaitement à la proposition n° 29 du Président de la République, dont les engagements ont été concrétisés depuis 2012. Celui-ci arrive à son heure, et je me félicite qu’il n’ait pas été oublié. À nous et à nos successeurs de faire leur part du travail.

Ce texte encore en gestation est soumis à l’avis de votre commission, avant que la commission des affaires économiques ne fasse de même et que la commission des lois s’en saisisse au fond. Le texte qui sera présenté en séance plénière sera encore imparfait pour les uns ou les autres, et il appartiendra alors au Gouvernement de nous indiquer d’ici là comment il compte l’améliorer. Je ne désespère pas quant à moi d’aboutir à un bon texte qui soit l’expression d’une bonne politique.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je tiens à saluer le travail extraordinaire que Mme la rapporteure pour avis a accompli afin que ses amendements ne tombent pas sous le coup de l’article 40, qui rend irrecevable toute proposition entraînant un coût pour l’État. C’est une épreuve d’artiste qu’elle a parfaitement réussie au stade de l’examen en commission. Le même obstacle frustrant se présente hélas sur tous les textes ; je tiens en l’occurrence à la féliciter.

Mme la rapporteure pour avis. Nous n’avons pas attendu la présentation de ce texte, monsieur Nilor, pour nous attaquer aux problèmes des outre-mer. Chacune de mes prises de parole en commission des affaires sociales a précisément consisté à poser le problème des inégalités dans ces territoires. On ne saurait prétendre que nous n’avons pas été entendus : à chaque fois, une main a été tendue et les dossiers ont progressé en dépit des difficultés. Je salue à cet égard Victorin Lurel, qui a commis un excellent rapport sur l’égalité réelle, et qui, lorsqu’il était ministre, est parvenu à défendre le budget des outre-mer dont je rappelle que conformément à notre demande, il n’a jamais diminué sous cette législature. Le Président de la République a été à notre écoute : nous avons un bilan plutôt positif en outre-mer. À La Réunion, par exemple, le taux de chômage des jeunes est passé de 60 % à 56 % : c’est dire que les mesures prises ont été efficaces. Certes, nous partions de loin, et sans doute fallait-il faire davantage, mais je me félicite des efforts consentis en faveur des territoires ultramarins, où le chômage est globalement passé de 30 % à 24 %. Les résultats existent ; il faut les accentuer. Ne dénigrons donc pas systématiquement ce qui est fait. Saluons plutôt le travail accompli par les uns et les autres. Vous estimez, monsieur Nilor, que ce texte est pauvre et qu’il arrive tard ; comme M. Claireaux, je pense au contraire qu’il faut se féliciter qu’il nous soit présenté, car il nous offre l’occasion de rectifier les inégalités qui persistent dans nos territoires.

Oui, monsieur Nilor, les inégalités sont encore profondes, comme en atteste l’indice de Gini selon lequel les départements d’outre-mer sont les plus inégalitaires, ou encore l’indice de développement humain qui montre que nous avons douze à trente années de retard sur la métropole ; c’est un fait. Parallèlement, la départementalisation a permis des avancées majeures. Mon rôle de rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales consiste à parachever cette égalité sociale. Hélas, je souhaitais présenter un certain nombre d’amendements qui sont tombés sous le coup de l’article 40 de la Constitution, mais je ne désespère pas que la ministre des outre-mer en reprenne certains au nom du Gouvernement, afin que nous nous attaquions à ces inégalités qui persistent.

S’agissant de la loi sur le sucre dans les aliments, madame la présidente, l’arrêté a été adopté au mois de mai ; reste à lui donner corps. Cela suppose un véritable contrôle dans nos territoires, pour s’assurer que les petites entreprises locales jouent le jeu – je sais que c’est le cas des grands groupes nationaux. Je milite pour qu’une évaluation soit conduite dans un an, afin de constater si les pratiques ont été alignées sur le niveau national.

M. Jean-Philippe Nilor. Je ne rejette rien en bloc, madame la rapporteure pour avis, et je n’ai aucun mépris pour le travail des uns et des autres. Je suis prêt à m’associer à vos travaux, dont je sais que vous les conduisez dans des conditions délicates. Permettez simplement que j’aie un regard différent – car la différence est source d’enrichissement.

On nous parle de plans de convergence et de politiques qui mettront entre dix et vingt ans pour produire leurs résultats et réduire significativement les écarts – étant entendu que la réduction d’un écart n’est jamais synonyme d’égalité, si tant est que l’égalité soit l’objectif à atteindre à tout prix. Dix à vingt ans, donc : quelle imprécision dans la planification, alors qu’il s’agit précisément de plans ! Je concevrais que l’on nous présente trois ou quatre volets de cinq ans, par exemple, mais un délai de dix ou vingt ans oscille entre le simple et le double. Je demeure ouvert aux réponses qu’apporteront peut-être les rapporteurs, les collègues et les ministres pour me rassurer sur cette question ; en attendant, l’élu de la Martinique que je suis a le droit de se poser ce type de questions.

D’autre part, je constate que les plans de convergence seront pilotés par l’État, et je suis là encore en droit de penser que cela ne va pas dans le sens de la responsabilisation des exécutifs locaux, et que c’est même aller à contre-courant d’une évolution moderne des choses.

J’estime donc – avec vous – que ce texte est encore trop pauvre. Venant de moi, cela semble peut-être blessant, mais il n’est pas insultant de dire qu’il faut enrichir le projet de loi ! Je proposerai d’ailleurs en séance une batterie d’amendements destinés à le muscler et à lui donner la consistance qui lui fait défaut. En d’autres termes, je suis tout à fait disposé à participer pleinement aux travaux, mais je ne me contenterai pas, alors que ce texte nous est présenté en fin de législature, de me réjouir de son arrivée tardive. Ce serait adopter l’attitude de ceux de chez nous qui se contentent des petites miettes qui nous sont offertes de temps à autre. Au contraire, j’estime que chacun – pas seulement les autres, mais nous aussi – doit avoir ses exigences, sa rigueur et ses ambitions.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je regrette, monsieur Nilor, que vous n’ayez pas présenté votre batterie d’amendements en commission, pour que l’on puisse au moins en examiner la recevabilité et, le cas échéant, les peaufiner avant la séance.

M. Jean-Philippe Nilor. Je le regrette aussi, madame la présidente, mais les ayant rédigés en Martinique, je n’ai pas pu, à quelques minutes près, les entrer dans l’application ELOI à temps. Soyez certaine qu’il n’était pas dans mon intention de réserver mes amendements pour la séance, comme certains ont l’habitude de le faire par stratégie. De ce point de vue, sans doute faudrait-il réfléchir aux conditions de travail des parlementaires qui se trouvent sur nos territoires.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je comprends. Avant de passer à l’examen des articles, je souhaite la bienvenue à Mme Huguette Bello, qui vient de nous rejoindre.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Avant l’article 9

La Commission examine l’amendement AS1 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. L’obligation d’emploi des personnes handicapées dans la fonction publique d’État est appliquée dans les outre-mer de manière inégalitaire et préjudiciable, tout particulièrement dans les petites collectivités à faible bassin d’emploi comme Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, les effectifs sur lesquels se fonde le respect de cette obligation sont les effectifs nationaux des administrations. Or, étant donné la faiblesse des effectifs concernés dans les petites collectivités, les obligations n’y sont pas respectées au niveau local – sans que cela n’entraîne de quelconque conséquence pour les administrations. Le présent amendement vise à remédier à cette situation.

Mme la rapporteure pour avis. Sur le fond, je suis tout à fait favorable à cet amendement, car il me semble essentiel que la fonction publique, qu’elle soit ultramarine ou métropolitaine, soit exemplaire, s’agissant en particulier de l’obligation d’emploi des personnes handicapées. Toutefois, monsieur Claireaux, votre amendement présente des difficultés techniques d’application, car il ne précise pas qui s’acquitte de la pénalité prévue en cas de non-respect du plafond. Je vous suggère donc de retirer l’amendement afin d’en préciser la rédaction en vue de la séance.

L’amendement AS1 est retiré.

TITRE III
DISPOSITIONS SOCIALES EN FAVEUR DE L’ÉGALITÉ RÉELLE

Article 9 : Prestations familiales à Mayotte

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 sans modification.

Article 10 : Régime d’assurance vieillesse à Mayotte

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 10 sans modification.

Après l’article 10

La Commission examine l’amendement AS18 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à prévoir une sensibilisation des enfants des écoles élémentaires aux enjeux nutritionnels. La lutte contre l’obésité est un enjeu majeur de santé publique, clairement réaffirmé comme tel – je m’en réjouis – dans la loi de modernisation de notre système de santé. Cette politique doit être renforcée dans les outre-mer davantage encore qu’ailleurs, même si des progrès ont été accomplis ces dernières années. Pour poursuivre la démarche entamée avec la loi précitée, il est nécessaire de mobiliser les moyens éducatifs afin de prévoir une sensibilisation aux enjeux nutritionnels dans les écoles des outre-mer.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’objectif de ce texte est l’égalité réelle – en matière sociale, culturelle, économique. En l’occurrence, j’estime que les enfants de nos écoles sont déjà sensibilisés à la question du sucre. Dans les collèges, par exemple, il est désormais interdit d’installer des distributeurs de sodas. Si nous voulons obtenir des avancées concrètes en faveur de l’égalité réelle, est-il opportun d’alourdir le texte en le truffant de dispositions déjà connues et adoptées ? Ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur certains amendements, concernant le régime social des indépendants (RSI) entre autres, qui pourraient aider concrètement nos employeurs indépendants ? Il s’agirait là d’une véritable mesure d’égalité ! À force de vouloir tout inclure dans ce texte par ailleurs utile, nous risquons de ne rien obtenir !

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement a recueilli l’avis favorable de tous les ministères concernés. De plus, il vise à ce que l’ordonnance qui sera prise concernant la stratégie nationale de santé en outre-mer généralise cette sensibilisation dans toutes les écoles.

Vous prétendez que cette mesure est déjà appliquée : c’est vrai, mais à la marge seulement. Sa mise en œuvre dépend des académies, des recteurs, des équipes pédagogiques. Or, l’obésité est un véritable fléau sur nos territoires, qui est à l’origine d’un taux de mortalité très élevé. Il faut donc impérativement faire de la prévention dès le plus jeune âge. De ce point de vue, nous ne saurions nous payer le luxe de ne pas sensibiliser les élèves de nos écoles. C’est pourquoi il me semble indispensable d’adopter cet amendement. Je ne méconnais pas l’importance des problèmes économiques mais, à mon sens, les problèmes de santé publique le sont tout autant, en particulier pour le développement humain.

Mme Huguette Bello. Le texte législatif est une chose ; cet effort, toutefois, doit aussi provenir des collectivités locales, notamment des mairies, qui sont chargées de la restauration des élèves des écoles maternelles et primaires – et cela vaut aussi pour les collectivités chargées des collèges et des lycées. Nos départements sont extrêmement riches en légumes et en fruits : La Réunion, par exemple, produit la Rolls Royce des ananas du monde, et des légumes extraordinaires. Que font nos collectivités pour dresser un cahier des charges unique afin que nos enfants puissent se nourrir des produits de la terre de la Guadeloupe, de la terre de la Martinique, de celle de La Réunion ou de la Guyane – de la terre de France, en somme ? Je regrette d’ailleurs que les députés de la France métropolitaine ne soient pas présents, car cette question les intéresse aussi. Pourquoi consommons-nous à La Réunion, qui se trouve à dix mille kilomètres de la métropole, des produits importés du Brésil ou de Pologne alors que nous pourrions les produire sur place ? Il faut en la matière un élan collectif impliquant toutes les parties prenantes, faute de quoi aucun texte ne pourra porter ses fruits.

Dans certains pays, tout le monde est mince. Dans les années 1960 et 1970, les habitants de La Réunion aussi étaient minces, voire maigres ; aujourd’hui, il suffit d’entrer dans un magasin pour constater que quatre personnes sur cinq ou six sont vraiment trop grosses – et le même constat peut se faire dans l’Hexagone.

La sensibilisation doit donc commencer au plus jeune âge. De ce point de vue, la Nation doit être ce parent symbolique dont chacun a besoin aux côtés de ses parents et de sa famille. Si les chefs des collectivités n’y mettent pas du leur, nous échouerons. En outre, nous créerions ainsi des emplois, dans le domaine de la préparation des repas par exemple. Si nous sommes trop gros, c’est parce que nous mangeons mal et que les enfants, plutôt que de déjeuner au restaurant scolaire, préfèrent se rendre en face de leur école, au camion-bar, ou au McDonald’s, et consomment des aliments qui portent préjudice à leur santé. Même les Chinois commencent aujourd’hui à prendre de l’ampleur !

En clair, s’il est utile d’adopter des textes, il faut aussi que chacun prenne ses responsabilités, notamment les acteurs politiques.

Mme la rapporteure pour avis. Je suis d’accord avec votre analyse : ce n’est pas seulement à l’État d’agir, mais aussi aux collectivités, qui doivent prendre des mesures de sensibilisation. Le présent amendement, toutefois, relève de la compétence du ministère de l’éducation nationale et vise surtout à promouvoir des outils pédagogiques pour mieux sensibiliser les consommateurs et futurs consommateurs à cette question de santé publique. Je demande donc qu’il figure dans le texte de loi.

M. Victorin Lurel. L’amendement vise « notamment » une « alimentation trop riche en sucre » : c’est certes un point important, mais pourquoi ne pas souligner du même coup l’importance de la question des sels et des graisses ?

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Les messages de prévention portent tout à la fois sur la consommation de sucre et sur celle de sel.

M. Jean-Philippe Nilor. Je suis tout à fait d’accord avec la remarque de M. Lurel – comme quoi rien n’est impossible. En revanche, je ne comprends pas pourquoi la mesure ne concerne que les élèves du cours élémentaire. Mieux vaudrait qu’elle s’applique dès le cours préparatoire, voire l’école maternelle, mais pas uniquement, car il ne faut pas se contenter d’un affichage ponctuel sans suivi tout au long de la scolarité – ce serait prêcher dans le désert. Il me semble qu’il faut être plus ambitieux et dépasser le cadre d’une seule section.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Cela fait longtemps qu’il est demandé aux écoles primaires de ne plus distribuer de boissons gazeuses comme les « Yékri » ni de biscuits et de les remplacer, le matin comme l’après-midi, par des fruits et des légumes. Ma commune offre même un fruit à la récréation, en lien avec l’éducation nationale et l’agence régionale de santé.

Mme la rapporteure pour avis. Si l’amendement est destiné à s’appliquer à partir de l’école élémentaire, c’est en raison de l’âge de la scolarisation obligatoire, qui est fixé à six ans. Cela étant, puisque l’enseignement est désormais structuré en cycles, cette sensibilisation, si elle figure dans les programmes pédagogiques, concernera également les élèves des écoles maternelles.

La Commission adopte l’amendement AS18.

Puis elle examine l’amendement AS17 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à interdire dans les outre-mer tout affichage publicitaire concernant les boissons alcooliques à proximité des établissements scolaires. En effet, l’article L. 3335-1 du code de la santé publique autorise le préfet à prendre des arrêtés pour déterminer les distances en deçà desquelles les débits de boisson à consommer sur place ne peuvent être établis à proximité des établissements d’instruction publique et des établissements scolaires privés ainsi que de tous les établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse.

Pourtant, cet article ne permet pas de restreindre l’emplacement des affiches et enseignes de publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques. Or, la publicité en faveur de telles boissons pose un problème spécifique de santé publique dans les outre-mer, où la consommation d’alcool reste importante et a des conséquences majeures sur la vie sociale et familiale.

M. Jean-Philippe Nilor. Là encore, cet amendement va dans le bon sens, mais pourquoi ne pas y intégrer la publicité en faveur des chaînes de restauration rapide ? À quoi sert en effet d’interdire la publicité pour les boissons alcooliques si l’on permet à Quick, à McDonald’s et à d’autres chaînes de s’installer face aux collèges ?

Mme la rapporteure pour avis. L’amendement porte sur le problème bien spécifique de l’alcool, dont on sait aujourd’hui les dégâts qu’il provoque parmi les populations. De nombreux députés ultramarins ont soulevé cette question dans le cadre de la loi sur la santé. M. Serville, par exemple, rappelait que les règles encadrant la publicité pour l’alcool ne sont absolument pas respectées en Guyane. Il faut donc sensibiliser les populations dès la petite enfance. C’est pourquoi j’ai déposé cet amendement. Puisqu’il n’était pas possible de l’étendre à l’échelle nationale, j’estime qu’étant donné l’ampleur du problème dans les territoires ultramarins, il faut réagir en faisant un premier pas concernant la publicité, qui est parfois envahissante, notamment en période de fêtes.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. L’alcoolisme est en effet un problème important dans nos territoires, qui produisent d’ailleurs de l’alcool – du rhum. Cela dit, sans doute vaut-il mieux consommer du rhum que ces fameuses boissons faiblement alcoolisées que nous recevons, comme les « Despé » qui, une fois mélangées avec de l’essence et du vin, rendent à demi fou et entraînent à consommer d’autres produits comme le cannabis ou le crack. Voilà le véritable fléau !

En attendant, la vente d’alcool, même en voiture ambulante, est interdite aux abords des écoles. Nos élèves, cependant, qui sont en grande majorité accoutumés à fumer dès la sixième, se rendent chez des commerçants situés à proximité et, même si la vente d’alcool aux mineurs y est interdite, aucun contrôle n’est effectué. C’est ainsi que les enfants de douze ans peuvent se procurer de la « Despé ». J’approuverais une mesure d’interdiction de l’importation de ces boissons sur nos territoires ! L’interdiction des affiches publicitaires, elle, sera sans effet sur un problème pourtant bien réel.

M. Jean-Philippe Nilor. L’amendement de la rapporteure pour avis ne peut pas faire de mal. L’alcool est un problème grave, surtout dans nos territoires lorsqu’il touche des enfants, mais cet argument ne suffit pas : l’obésité, l’hypertension, le diabète sont aussi des problèmes graves qui gangrènent notre société. Dans ces conditions et si la rapporteure refuse d’accepter ma suggestion d’étendre le champ de son amendement, j’espère recueillir son avis favorable si, en séance, je présente cet amendement dans les mêmes termes concernant la restauration rapide et la « malbouffe ».

Mme la rapporteure pour avis. L’amendement que je vous présente porte sur un sujet précis : la lutte contre l’alcoolisme. Si vous déposez un autre amendement en séance – que je cosignerai volontiers –, c’est au rapporteur saisi au fond qu’il appartiendra de vous donner un avis.

De même, madame Louis-Carabin, vous auriez pu déposer des amendements sur les questions que vous soulevez. J’ajoute que mon amendement ne concerne pas que le rhum : je demande l’interdiction de la publicité pour les alcools en général devant les écoles. Peut-on prétendre que la consommation excessive d’alcool n’est pas un problème en outre-mer ? Les statistiques démontrent le contraire. Il faut donc lutter à tous les niveaux, sur les prix et sur la publicité, sans s’abriter ni minimiser le problème. Il est assez grave pour que nous sensibilisions les jeunes dès la petite enfance, surtout quand on constate les dégâts qu’il provoque aux Antilles, en particulier.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Permettez-moi de rappeler que les politiques de santé publique doivent s’envisager à très long terme. De ce point de vue, l’amendement de Mme la rapporteure ne « fait pas de mal », comme l’a indiqué M. Nilor ; au contraire, il ne peut que faire avancer les choses. Les décisions de santé publique prises une année ne portent pas leurs fruits dès l’année suivante. Sans doute les dispositions que nous votons aujourd’hui auront-elles des effets sur des enfants qui ne sont pas encore nés. C’était aussi le cas de la mesure imposant le paquet neutre : peut-être n’empêchera-t-elle pas les fumeurs dépendants de continuer à fumer, mais elle pourrait permettre à ceux qui entrent peu à peu dans l’addiction d’arrêter.

En clair, les politiques de santé publique ne donnent jamais de résultats visibles à court terme ; c’est pourquoi elles sont souvent jugées insuffisantes. Pour faire un grand mur nous protégeant des aspects néfastes de notre alimentation, il faut de petites pierres ; cet amendement en est une et l’on ne peut que le soutenir.

M. Jean-Philippe Nilor. Je suis parfaitement d’accord avec votre argumentation, madame la présidente. Pourquoi donc se priver de poser une pierre un peu plus grosse ? Ce qui est vrai de l’alcoolisme l’est également de la malbouffe qui pose elle aussi des problèmes de santé publique majeurs.

Mme la présidente Catherine Lemorton. En l’occurrence, l’amendement dont nous sommes saisis s’inscrit dans le cadre du plan de lutte contre la consommation d’alcool, massive ou non. Méfions-nous à cet égard des arguments que le lobby de l’alcool reprend souvent à sa sauce : en ce domaine, il est extrêmement performant.

La Commission adopte l’amendement AS17.

Elle passe à l’amendement AS39 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Comme le précédent, cet amendement concerne la prévention et la lutte contre l’alcoolisme dans les territoires ultramarins. Il vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur le lien entre le prix des boissons alcooliques, en particulier le rhum produit dans les départements d’outre-mer, et la consommation d’alcool, et sur l’impact d’une éventuelle majoration des droits d’accises sur les boissons alcooliques.

M. Jean-Philippe Nilor. Cet amendement me pose un problème : il stigmatise le rhum. Cette boisson n’est pourtant pas la seule à faire des dégâts : les bières, dans leurs emballages toujours plus attirants, en font davantage, le whisky est consommé partout et nous détenons le record du monde de la consommation de champagne. Stigmatiser la seule production locale revient en quelque sorte à se tirer une balle dans le pied, même si je partage l’objectif de l’amendement.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Les jeunes ne boivent ni du rhum ni du champagne. Ils boivent de la bière, du vin blanc et de la Despé mélangée avec de l’essence sans plomb. Disons les choses franchement ! C’est vers dix-neuf ou vingt ans que les jeunes se mettent éventuellement à boire du rhum ; les enfants de classe de sixième ou de cinquième, eux, à qui l’on a donné un joint à fumer, consomment ces mélanges pour accompagner d’autres joints.

Mme la rapporteure pour avis. Je précise que le prix du rhum est très faible outre-mer. J’ajoute, monsieur Nilor, qu’il ne s’agit que de commander un rapport d’information, avant une éventuelle décision d’augmenter le prix du rhum – que réclament de nombreuses personnalités engagées en faveur de la lutte contre l’alcoolisme. Avant d’en décider, il me semble en effet judicieux de disposer d’un rapport étudiant le lien entre la consommation de rhum et son prix très faible, et l’impact qu’une telle mesure aurait sur nos entreprises, car il faut éviter de nuire à leur activité.

La Commission adopte l’amendement AS39.

La Commission examine l’amendement AS5 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Le présent amendement vise à remédier à un problème concernant le travail dominical historiquement permis dans certaines petites surfaces alimentaires des territoires ultramarins, en particulier l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, où l’ouverture le dimanche est parfois nécessaire à l’approvisionnement des populations. La taille de l’archipel, cependant, ne permet pas d’y implanter de grands espaces commerciaux ouverts à des horaires élargis. Les circonstances locales ont parfois conduit les préfets à accorder des dérogations régulières aux commerces d’alimentation de détail au-delà de 13 heures ; c’est cette situation que le présent amendement vise à inscrire dans la loi afin d’éviter que les autorisations préfectorales en question soient nécessaires.

Mme la rapporteure pour avis. Votre amendement, monsieur Claireaux, pose un problème de fond. L’autorisation légale d’ouverture que vous visez peut à mon sens être décidée par les collectivités concernées – Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon – de leur propre chef. La Nouvelle-Calédonie ne dispose d’ailleurs pas d’un préfet, mais d’un haut-commissaire de la République. Avis défavorable.

M. Stéphane Claireaux. L’amendement visait à répondre à une demande du préfet, contraint de prévoir des dérogations à répétition. Néanmoins, je le retire pour en améliorer la rédaction.

L’amendement AS5 est retiré.

La Commission passe à l’amendement AS13 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ratifier l’ordonnance du 18 février 2016 portant adaptation de la prime d’activité au département de Mayotte, qui a fait l’objet du projet de loi de ratification n° 3999, déposé sur le Bureau de l’Assemblée le 3 août dernier.

La Commission adopte l’amendement AS13.

Puis elle examine l’amendement AS15 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement reprend une disposition adoptée à l’initiative des députés ultramarins dans le cadre du projet de loi de modernisation du système de santé, afin que la stratégie nationale de santé déclinée à Mayotte inclue obligatoirement un volet relatif à la mise en place progressive de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). À Mayotte, en effet, c’est l’hôpital qui dispense l’essentiel des soins ; l’instauration de la CMU-C permettrait de développer les soins ambulatoires.

La Commission adopte l’amendement AS15.

Elle passe à l’amendement AS28 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à intégrer aux plans de convergence un volet consacré aux établissements hospitaliers ultramarins, afin de moderniser l’offre de soins hospitalière outre-mer. Il est pour ce faire indispensable de mobiliser des moyens d’accompagnement particuliers, car les hôpitaux ultramarins se heurtent à des difficultés financières plus graves encore que celles des hôpitaux métropolitains, et souffrent surtout d’un manque d’attractivité médicale.

M. Jean-Philippe Nilor. La formulation de cet amendement me semble illustrer parfaitement les acrobaties auxquelles Mme la rapporteure a dû se plier pour ne pas trop choquer Bercy. Cela étant, on aura beau intégrer des volets dans les documents, il faudra bien, pour être crédible et efficace, passer au tiroir-caisse. On peut aussi se contenter de demander des rapports pour éviter le couperet de l’article 40, mais il arrivera un moment où l’on ne pourra plus fuir la réalité. Nous sommes en fin de législature et ne pouvons plus guère gagner du temps.

La Commission adopte l’amendement AS28.

Elle examine ensuite l’amendement AS19 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Il s’agit d’un amendement très important pour les outre-mer, qui connaissent une situation particulière en matière d’offre de soins. Afin d’assurer la continuité du service territorial de santé au public, il est en effet indispensable de mettre au point des protocoles de coopération entre professionnels de santé pour favoriser la prise en charge coordonnée des patients par des équipes pluridisciplinaires. Les territoires ultramarins sont touchés par un fort manque d’attractivité médicale et les échanges entre professions médicales sont encore insuffisamment développés.

La Commission adopte l’amendement AS19.

Puis elle passe à l’amendement AS29 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Pour moderniser l’offre de soins, il convient de laisser une plus grande latitude aux établissements hospitaliers ultramarins et de tenir compte de leurs spécificités en les autorisant à expérimenter la mise en œuvre de démarches innovantes en matière de qualité et de sécurité des soins, à promouvoir la recomposition de l’offre de soins et à faciliter la coopération entre professionnels de santé.

La Commission adopte l’amendement AS29.

Elle examine l’amendement AS20 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement, que j’ai déjà proposé en vain d’inscrire dans la loi sur la santé, vise à expérimenter les consultations médicales par télémédecine à Wallis-et-Futuna.

La Commission adopte l’amendement AS20.

Elle passe ensuite à l’amendement AS22 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement porte sur le problème important de l’évacuation sanitaire des enfants vers la métropole. En cas d’évacuation sanitaire, le déplacement du patient et, le cas échéant, celui du médecin accompagnant sont couverts, mais pas celui de l’un des parents. Je propose donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité de prendre en charge les frais d’accompagnement d’un enfant par l’un de ses parents pour toute évacuation sanitaire depuis les outre-mer vers la métropole, que cet enfant soit ou non accompagné par un professionnel de santé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Cette prise en charge couvrirait-elle l’hébergement du parent ? Cette demande se présente également pour des parents venus de province accompagner leur enfant à l’hôpital Necker à Paris, par exemple.

Mme la rapporteure pour avis. Je souhaite en effet que la prise en charge soit globale, pour faire face à la détresse du parent – souvent la mère – qui, ne pouvant accompagner son enfant en métropole, doit se tourner vers les collectivités, lesquelles n’acceptent pas toujours la demande. Cet amendement réglerait le problème, même si cet accompagnement est symbolique.

Mme la présidente Catherine Lemorton. De fait, le rapport demandé s’étendrait donc à toute la France, ultramarine et métropolitaine, puisque le problème se pose partout de manière aiguë et croissante.

La Commission adopte l’amendement AS22.

Puis elle examine l’amendement AS23 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement porte lui aussi sur un problème douloureux : je propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité d’assurer la prise en charge des frais de rapatriement du corps d’une personne décédée au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire entre les outre-mer et la métropole. Il arrive en effet que le retour au pays d’un patient ultramarin décédé suite à une opération effectuée en métropole ne puisse pas être financé. Je souhaite que la sécurité sociale couvre le rapatriement sanitaire même en cas de décès du patient.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Avez-vous vérifié, madame la rapporteure pour avis, si cette prise en charge existait déjà ? J’ai eu à connaître de cas où le rapatriement du corps était couvert.

Mme la rapporteure pour avis. Le directeur de la sécurité sociale, que j’ai reçu, m’a indiqué que le rapatriement en cas de décès au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire n’était pas couvert, car le patient n’est alors plus considéré comme une personne en tant que telle. C’est au conseil territorial qu’il appartient de rapatrier le corps. Pour y remédier, je propose que cette charge incombe à la sécurité sociale.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Dans les départements – outre-mer comme en métropole –, les caisses de sécurité sociale parviennent parfois à puiser dans leur fonds d’action sociale pour financer ces rapatriements. Ce n’est donc pas la sécurité sociale à proprement parler qui finance un acte faisant l’objet d’une tarification, mais un fonds dont les crédits ne sont pas toujours disponibles. C’est peut-être ce qui explique pourquoi Mme Louis-Carabin connaît des cas dans lesquels le rapatriement d’une dépouille a été couvert.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Certes, mais les aides attribuées au titre du fonds d’action sociale le sont sous condition de ressources.

M. Victorin Lurel. En l’état actuel de nos informations, le Gouvernement déposera un amendement concernant la prise en charge des voyages effectués dans les deux sens pour assister à un enterrement, et un autre sur le rapatriement des dépouilles de patients. En cas de décès au cours d’une évacuation sanitaire, en effet, le patient n’est plus considéré comme une personne, mais comme une dépouille – ce qui annule de facto le deuxième segment du billet d’avion aller-retour. La condition de ressources est donc déjà vérifiée. L’amendement du Gouvernement en tient-il compte ?

M. Jean-Philippe Nilor. Le problème se présente en effet pour les personnes en cas d’évacuation sanitaire, mais aussi pour celles qui se rendent en métropole dans le cadre d’une formation en mobilité : tout stagiaire parti avec une aide de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité qui décède en cours de formation n’est plus considéré comme un stagiaire rentrant au pays, et c’est à la famille qu’il appartient de couvrir les frais de rapatriement de la dépouille. Il me semble que nous pourrions associer tous ces cas de figure dans le même amendement.

Mme la rapporteure pour avis. Je souhaite en effet que le Gouvernement reprenne ces propositions mais, n’en étant pas certaine, je propose donc la remise d’un rapport.

M. Stéphane Claireaux. Je précise qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, le rapatriement de la dépouille d’un patient décédé au cours d’une évacuation sanitaire est pris en charge, car il est considéré comme faisant partie de l’évacuation en question – même si celle-ci s’est mal terminée.

La Commission adopte l’amendement AS23.

Elle examine l’amendement AS36 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à permettre la création d’observatoires des violences faites aux femmes dans les outre-mer. Un observatoire a ainsi été créé en 2014 à La Réunion, sur le modèle de l’observatoire départemental créé en 2002 en Seine-Saint-Denis. Chaque département d’outre-mer mérite de disposer de son propre observatoire.

La Commission adopte l’amendement AS36.

Elle passe à l’amendement AS35 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à généraliser l’enquête nationale « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) de l’Institut national d’études démographiques (INED) à l’ensemble des départements d’outre-mer.

M. Victorin Lurel. La généralisation d’une enquête de l’INED relève-t-elle de la loi, et non pas plutôt du domaine réglementaire ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. En effet. Je vous propose de voter cet amendement en attendant la réaction du Gouvernement.

La Commission adopte l’amendement AS35.

Puis elle examine l’amendement AS37 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ce qu’une campagne de sensibilisation sur la contraception et la prévention des grossesses précoces soit prévue dans le cadre de la stratégie nationale de santé outre-mer. Il s’agit en effet d’un enjeu majeur dans les outre-mer.

La Commission adopte l’amendement AS37.

Elle est saisie de l’amendement AS16 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité de revoir les conditions d’attribution des aides au logement. Certes, un rapport global est en cours de rédaction sur cette question, mais je souhaite qu’y soit inclus un volet spécifique aux outre-mer et que soit envisagée la possibilité de fixer un montant minimal de loyer acquitté par les bénéficiaires d’allocations, ainsi qu’un redéploiement des sommes économisées pour favoriser l’élargissement des aides au logement aux personnes qui ne la perçoivent pas et dont les revenus sont très faibles.

La Commission adopte l’amendement AS16.

Puis elle examine l’amendement AS3 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Je partage l’avis de M. Nilor sur les demandes de rapport, mais nous avons été contraints à ces contorsions pour éviter de tomber sous le coup de l’article 40. La demande de rapport proposée dans cet amendement fait suite à l’avis que la section des travaux publics du Conseil d’État a rendu le 2 juin 2015 après saisine de la ministre des outre-mer sur la question de l’autorité compétente pour réglementer les allocations de logement dans la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le rapport demandé permettra d’expliquer l’absence continue et injustifiable sur ce territoire de l’allocation au logement à caractère social et de l’allocation de logement familiale, entre autres aides au logement à caractère social, alors même que le Conseil d’État a précisé la compétence de l’État dans ce domaine.

Mme la rapporteure pour avis. Un rapport sur les aides au logement devrait bientôt être remis au Gouvernement. La situation de Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait y être utilement abordée. En l’état, j’émets un avis de sagesse, avant que nous nous tournions le cas échéant vers le ministère.

M. Stéphane Claireaux. Ce rapport peut-il englober les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution ?

Mme la rapporteure pour avis. Je le crois, sous réserve de confirmation par le Gouvernement.

M. Jean-Philippe Nilor. Nous avons déjà voté plusieurs amendements qui ne mangent pas de pain ; celui-ci ne fera pas davantage de mal, et je suis prêt à le voter.

La Commission adopte l’amendement AS3.

La Commission examine l’amendement AS4 de M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. La demande de rapport proposée par cet amendement vise à appeler l’attention du Gouvernement sur l’enjeu fondamental d’égalité réelle que constitue la hausse des plafonds de ressources applicables aux dispositifs sociaux relevant de la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Plusieurs plafonds de ressources sont en effet revalorisés pour tenir compte du niveau structurellement élevé des prix, et donc des revenus, dans cette collectivité. Il convient de généraliser cette revalorisation afin de garantir un égal accès aux droits sociaux, à pouvoir d’achat égal.

Mme la rapporteure pour avis. J’ai interrogé le Gouvernement sur ce point : à Saint-Pierre-et-Miquelon, les plafonds de ressources des prestations ont déjà augmenté de 12 % l’année dernière, et l’indice de revalorisation des prestations tient compte du différentiel d’inflation entre ce territoire et la métropole. Je vous suggère donc le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Stéphane Claireaux. Il est vrai que certaines mesures ont donné lieu à des revalorisations, mais les plafonds de ressources seront-ils systématiquement revalorisés à chaque extension d’une aide à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme les aides au logement pour lesquelles nous nous battons ?

Mme la rapporteure pour avis. Je vous propose de retirer votre amendement pour le déposer de nouveau en séance, et vous obtiendrez alors une explication du Gouvernement.

L’amendement AS4 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement AS26 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la création d’une école des cadres d’outre-mer dans chaque zone géographique ultramarine, conformément à la proposition formulée par M. Patrick Lebreton dans son rapport de décembre 2013 sur le développement économique des outre-mer.

La Commission adopte l’amendement AS26.

Puis elle examine l’amendement AS24 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à proposer de manière systématique et prioritaire des cours d’alphabétisation aux personnes illettrées au titre de la mobilisation de leur compte personnel de formation.

La Commission adopte l’amendement AS24.

Elle passe à l’amendement AS34 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Cet amendement vise à créer au titre III un chapitre 2 spécialement consacré à la lutte contre l’illettrisme, qui est un enjeu social crucial pour le développement de ces territoires.

M. Jean-Philippe Nilor. Je suis naturellement favorable aux actions de lutte contre l’illettrisme, mais gardons-nous de donner le sentiment qu’il existe chez nous un illettrisme généralisé. Attaquons-nous du moins aux causes profondes de ce phénomène, en particulier l’exclusion, dès l’école maternelle, de la langue créole et la mise au ban des enfants créolophones, qui provoque traumatismes et blocages et qui est source d’illettrisme. Je suis toujours gêné que l’on laisse imaginer qu’il nous manque un chromosome et que l’illettrisme galopant outre-mer est dû au fait que nous sommes moins brillants que les autres. En matière d’image et de communication, soyons prudents ; l’illettrisme, en effet, provient de l’exclusion de notre culture.

Mme Huguette Bello. Il est vrai que l’illettrisme ne touche pas que les départements d’outre-mer ; la France hexagonale est elle aussi durement touchée. À La Réunion, 116 000 personnes – soit 20 % de la population environ – sont illettrées, et c’est notamment le cas d’un jeune sur sept, sachant que cette part ne diminue pas.

Les causes de ce phénomène majeur tiennent aussi aux conditions d’accueil de la petite enfance. À La Réunion, le taux d’équipement en accueil collectif est de 63 ‰, contre 124 ‰ en métropole – ce qui n’est pas glorieux non plus. C’est pourtant dès la petite enfance, vers deux ans et demi, que tout commence. Françoise Héritier a raison : nous aurons beau parler de tout, nous ne parviendrons à rien si nous n’abordons pas la question de la petite enfance.

Observons les mesures de lutte contre l’illettrisme prises dans le monde. La méthode d’alphabétisation « Yo, sí puedo », primée par l’UNESCO, est expérimentée en Argentine, ailleurs en Amérique latine ainsi qu’en Nouvelle-Zélande – dans vingt-cinq pays en tout. De même, on peut accuser Cuba de nombreux maux, mais la population y est alphabétisée à 99,8 %, et c’est ce pays qui investit le plus dans l’éducation. Nous devons tenir compte de ces exemples. Ne nous contentons pas de simples rapports ; tâchons aussi de nous expliquer le désintérêt que les enfants éprouvent pour l’école.

En soixante-dix années de départementalisation, La Réunion a construit de nombreuses écoles : il n’y avait en 1960 qu’un lycée de jeunes filles et un lycée de garçons, alors qu’il en existe aujourd’hui quarante-sept, et des dizaines d’écoles primaires et maternelles. Pourtant, le taux d’illettrisme demeure élevé – de l’ordre de 23 %. Encore une fois, la France continentale n’échappe pas à ce phénomène. La nation doit se pencher sur ce problème et y apporter des remèdes. J’ajoute que la langue créole est rejetée, et que nos classes de maternelle sont parfois confiées à des enseignants qui ne parlent pas la langue de nos enfants, lesquels sont obligés d’interpréter ce qui leur est dit – et il leur est ensuite reproché de mal parler français. C’est un facteur parmi d’autres. Sur ce problème majeur, nous ne saurions nous contenter de ce texte ; c’est aussi à l’éducation nationale de s’en saisir.

Mme la rapporteure pour avis. Ne caricaturons pas les choses, monsieur Nilor. Je n’ai pas dit que tous les ultramarins étaient des illettrés ; le problème se pose néanmoins. Combien de fois ai-je entendu des élus monter au créneau pour déplorer le taux d’illettrisme ? Il y a plusieurs causes : le problème de la langue, en effet, mais aussi le manque de moyens en formation initiale, par exemple.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pour moi aucun sujet tabou. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, mais de soulever des problèmes concrets en évitant toute fuite en avant sous prétexte que l’on craigne de dire clairement les choses, en matière sanitaire comme en matière éducative. Les problèmes doivent être posés pour leur apporter des solutions. L’illettrisme, comme l’échec scolaire, sont de véritables problèmes dans nos territoires. Les académies ultramarines sont en queue de classement. C’est pourquoi nous demandons davantage de moyens. Songez que 7 % des jeunes de métropole sortent du système scolaire sans qualification, contre 15 % à La Réunion ! De deux choses l’une : soit nous nous enfouissons la tête dans le sable sans rien faire, soit nous prenons la mesure du problème et nous donnons les moyens d’y remédier. L’objectif, en l’occurrence, est d’alerter le Gouvernement et de lui demander les moyens nécessaires pour aider nos jeunes et nos adultes à sortir de cette situation. C’est tout le sens de mes amendements. Encore une fois, je ne stigmatise personne : heureusement, l’intelligence existe partout. Il faut toutefois mettre le doigt là où il fait mal, quitte à déplaire.

M. Jean-Philippe Nilor. Il me semble au contraire, madame la rapporteure pour avis, que c’est vous qui caricaturez mes propos. Je dis simplement ceci : annoncer des chiffres sans une analyse préalable qui explique les causes du phénomène présente un danger en termes d’image. Les enseignants, par exemple, sont-ils qualifiés pour s’occuper d’enfants créolophones en classes de maternelle alors qu’ils ne parlent pas créole eux-mêmes ? N’occultons pas les causes profondes de la situation. À se contenter de dire que les taux d’illettrisme de l’outre-mer dépassent l’entendement, on peut certes choquer, mais on ne pose même pas le véritable problème. Voilà tout ce que je dis – et je ne fais pas partie de ceux qui craignent de s’exprimer ; au contraire, on me reproche parfois le contraire.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. En effet, tout n’est pas mauvais chez nous. L’an dernier, le lycée de Versailles, en Guadeloupe, était l’un des premiers de France. Nous avons de bons élèves et de bons enseignants. Il est vrai qu’il peut être problématique de confier une classe de maternelle à un enseignant venu de métropole qui ne maîtrise pas le créole ; l’apprentissage préalable du créole est important pour que les enfants puissent comprendre leurs enseignants. Cependant, les enfants créolophones – en Haïti par exemple – travaillent très bien à l’école sans toujours maîtriser le français, ni le créole anglais.

La Commission adopte l’amendement AS34.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

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Présences en réunion

Commission des affaires sociales

Réunion du lundi 26 septembre 2016 à 16 heures

Présents. – M. Stéphane Claireaux, Mme Catherine Lemorton, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Monique Orphé

Excusés. – M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, Mme Dominique Orliac

Assistaient également à la réunion. – Mme Huguette Bello, M. Victorin Lurel