SOMMAIRE
Présidence de Mme Sandrine Mazetier
1. Projet de loi de finances pour 2014
Seconde partie (suite)
Débat sur les enjeux budgétaires européens
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes
M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
M. Thierry Repentin, ministre délégué
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2014 (nos 1395, 1428).
Mme la présidente. Nous abordons le débat sur les enjeux budgétaires européens.
La parole est à Mme Annick Girardin pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Annick Girardin. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, la situation économique dans l’Union européenne est confuse. D’un côté, la crise financière semble apaisée : les établissements de crédit se portent mieux et la monnaie unique n’est plus attaquée. Mais d’un autre côté, la crise économique est à son paroxysme : les États européens peinent à créer de la croissance et les dettes des pays de la zone euro continuent de croître. Sans croissance, il ne peut y avoir de résorption durable des déficits.
Par ailleurs, il n’est pas certain que l’accalmie sur les marchés financiers soit pérenne. Tout soubresaut viendrait anéantir les efforts entrepris. Pour les budgets européens, les enjeux sont donc doubles et interdépendants : créer de la croissance et prévenir l’émergence de nouvelles crises financières.
Créer de la croissance, voilà le plus grand défi de l’Union européenne. Car la croissance ne viendra pas seule, d’autant que les efforts de réduction de déficit ont des effets récessifs conséquents. Une politique de croissance ambitieuse est encore plus nécessaire en cas de maîtrise de la dépense publique.
Cette croissance ne peut venir que de réformes structurelles d’envergure. Les mesures prises en France sont encore trop timorées. Je le disais lors de la discussion générale du PLF 2014 : la réforme du marché du travail doit être poursuivie ; la fiscalité de notre pays doit être revue en profondeur ; notre système de sécurité sociale doit devenir plus lisible et plus efficient. Le choc de simplification ne peut plus attendre. La Commission européenne ne dit pas autre chose.
Certes, les solutions pour créer de la croissance sont spécifiques à chaque pays, mais on remarquera que cette quête de compétitivité est commune à la plupart des pays européens. Chacun a désormais pour objectif d’obtenir une balance commerciale en excédent. Le problème, c’est que tout excédent doit avoir un déficit équivalent quelque part. Ainsi, lorsque l’Espagne améliore sa compétitivité, l’Italie voit sa balance commerciale se creuser. L’Italie corrige, ce qui diminue d’autant les effets des efforts consentis en Espagne. L’approche mercantile qui prévaut en Europe représente un vrai danger, monsieur le ministre, un jeu à somme nulle.
Il apparaît donc indispensable de sortir d’un cadre strictement national et de doter l’Europe d’un vrai plan de croissance. Les radicaux de gauche souhaitent que les investissements pour la compétitivité, la croissance et l’emploi soient une priorité dans le budget européen 2014-2020. Nous sommes favorables à la création d’eurobonds pour financer le développement d’entreprises transeuropéennes. Nous proposons également la mise en œuvre d’un plan de relance coordonné au niveau européen, visant à doter l’Union européenne des grandes infrastructures transfrontalières qui favorisent les échanges intra-européens.
Les politiques menées pour créer de la croissance ne doivent pas nous amener à ignorer les risques qui pèsent sur la stabilité financière de la zone euro. Ils sont à même de miner les efforts entrepris jusqu’ici. La zone euro connaît principalement trois faiblesses : faiblesse de la régulation financière, faiblesse de gouvernance de la zone euro, faiblesse des finances publiques des États.
Il n’y a pas de doute, la finance est aujourd’hui mieux régulée qu’elle ne l’était il y a cinq ans. Les ratios de liquidité des établissements de crédit ont été augmentés. Les activités des banques sont partiellement séparées ou vont le devenir. L’Europe est en train de se doter d’un mécanisme de supervision bancaire. L’Union bancaire est une réelle avancée.
Mais cet accroissement des contraintes sur le secteur financier traditionnel s’est traduit par un développement considérable de la finance de l’ombre. La régulation de cette finance doit être une priorité à l’échelle européenne.
Par ailleurs, les politiques monétaires non conventionnelles, dont on ne sait comment sortir, représentent un réel danger. La politique de la Réserve fédérale américaine produit des comportements sur les marchés que l’on n’avait plus vus depuis 2008. Là aussi, l’Union européenne doit peser de tout son poids.
La gouvernance de la zone euro constitue une autre faiblesse. Le « six-pack » et le « two-pack » apportent des réponses en mettant sous surveillance les budgets des États. Mais les contours de la gestion de la zone euro demeurent imprécis. Notre assemblée a adopté le 11 août de cette année une résolution visant à améliorer cette gouvernance : en appelant à la création d’un président des sommets européens de la zone euro ; en s’assurant que ces sommets se réunissent au moins six fois par an et en renforçant les moyens humains de l’Eurogroupe. Toutes ces demandes doivent être portées auprès de nos partenaires européens.
Enfin, on le sait désormais, l’état des finances publiques de certains États européens constitue un risque budgétaire pour les autres pays de la zone euro. La situation du Portugal est particulièrement préoccupante. Sa dette est insoutenable à long terme. Une restructuration de sa dette ou un nouveau prêt de ses partenaires européens semble inéluctable. Dans le premier cas, nous risquerons une augmentation des taux d’intérêt sur les dettes souveraines. Dans l’autre, nous augmenterions les déficits des autres pays de la zone euro. Et que dire de la Grèce ou de Chypre ?
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des budgets nationaux en fin d’année nous rappelle les contraintes que nous nous sommes imposées au niveau européen. Ces contraintes sont lourdes, incommodantes et laborieuses. Elles ne facilitent pas l’attachement à l’Union européenne. Ce n’est qu’au vu des défis que je viens de citer que le besoin de plus Europe prend tout son sens. Une Europe qui protège, une Europe fédérale, monsieur le ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les enjeux budgétaires européen s’inscrit sur les mêmes fondements austéritaires que les précédents, dans le prolongement du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, et signé par le Président Hollande. Cette fuite en avant dans l’ultralibéralisme se traduit par une offensive permanente contre les dépenses publiques et les droits sociaux : blocage des salaires, suppression d’emplois publics, réformes des retraites, de l’assurance maladie, privatisations, pressions sur les ressources des collectivités. En bref : c’est l’austérité organisée.
Ces politiques sont un échec patent dans toute l’Europe. On recense plus de 20 millions de demandeurs d’emploi et plus de 50 millions de pauvres. Près d’un jeune européen sur quatre est au chômage et 14 millions des Européens âgés de 15 à 29 ans sont sans qualification. Entre 2008 et 2009, le revenu net des exploitations agricoles a chuté de 35 %, après avoir perdu 24 % entre 2007 et 2008. Et le Parlement européen vient de dénoncer la baisse des fonds structurels et la hausse des inégalités entre les régions. Cette Europe libérale, incapable de répondre aux besoins, fait la part belle aux exigences des marchés financiers : près de 1 000 milliards d’euros ont été octroyés aux banques à 1 % d’intérêt par la BCE au plus fort de la crise ! Et l’Union européenne qui tolère l’existence de paradis fiscaux parmi les États membres – tels que le Luxembourg ou l’Autriche – laisse perdurer des dispositifs de fraude et d’évasion fiscales qui la privent de 2 000 milliards d’euros par an.
Le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 va conforter la dynamique régressive consacrée par le Conseil européen de février 2013. L’accord adopté ouvre la voie à sept années d’austérité supplémentaires et renonce au principe de solidarité européenne. Il fixe les montants des plafonds d’engagement à 1 % du revenu national brut de l’Union européenne, contre 1,12 % entre 2007 et 2013 : ces montants sont bien trop modestes pour faire du budget européen un instrument de pilotage macroéconomique ambitieux.
Cet accord prévoit aussi des plafonds annuels de crédits de paiement en diminution de 3,4 % par rapport à 2007-2013. Cette baisse substantielle affecte principalement les politiques de solidarité, à savoir la PAC et les fonds de cohésion, dont les crédits diminuent respectivement de 16 % et de 8 %.
Le budget alloué à l’aide alimentaire sera lui aussi largement entamé. Il ne s’élèvera qu’à 2,5 milliards d’euros pour les années 2014-2020, contre 3,5 milliards auparavant, alors que le nombre de personnes vivant en deçà du seuil de pauvreté est passé de 18 à 25 millions.
Le budget de l’Union européenne a été amputé de 91 milliards d’euros par rapport au projet initial, sous la pression – on le sait – du Royaume-Uni, de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Danemark. Il y a là des chiffres et des tendances qui ne trompent pas.
Rappelons que cet accord des dirigeants des Vingt-Sept sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 n’a toujours pas reçu l’aval du Parlement européen : le vote définitif sur le budget pour 2014-2020 a été reporté, et l’enveloppe de 960 milliards d’euros ne sera donc peut-être même pas débloquée pour le 1er janvier.
Vous l’aurez compris : nous contestons un budget européen insuffisant, et davantage encore ses orientations. Si nous revendiquons un budget plus important, nous sommes plus que jamais favorables à une refondation de l’Union européenne où l’instrument budgétaire servirait d’authentiques objectifs de croissance et de solidarité, dans l’intérêt des peuples et pour l’égalité des territoires.
Dans cette perspective, la France doit être à la pointe du combat pour une Europe solidaire, sociale, démocratique et respectueuse des nations, d’autant que notre pays demeure le second contributeur du budget européen, avec plus de 20 milliards d’euros en 2014. Cela lui donne, soit dit en passant, une certaine légitimité !
La première des nouvelles raisons d’être d’une construction européenne refondée est de fournir aux pays membres de l’Union les moyens, en particulier financiers, de porter ensemble, dans la mondialisation, un modèle social et écologique avancé, libéré du diktat des marchés financiers. Agir pour cette nouvelle finalité de la construction européenne passe d’abord par une mobilisation résolue et immédiate contre l’austérité, contre le chômage et pour une relance du développement économique appuyée notamment sur le redressement industriel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Estelle Grelier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Estelle Grelier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, mes chers collègues, au nom du groupe SRC, je veux me féliciter de l’organisation de cette séance sur les enjeux budgétaires européens. En effet, il est essentiel que notre assemblée puisse débattre de ces sujets, qui l’engagent. Le budget est l’instrument du projet, dans l’Union européenne comme dans notre pays et dans toutes nos collectivités territoriales.
Sauf à paraître totalement décalé, il est toutefois difficile d’évoquer les questions européennes sans s’inquiéter du malaise des citoyens européens, qui ne reconnaissent plus l’Europe qu’ils veulent et qu’ils aiment. Cette crise de confiance semble s’installer durablement, conjuguée à une méfiance lourde à l’égard des dirigeants européens, à qui nos concitoyens reprochent leur manque de prise sur la réalité économique et sociale et leur fixation sur le niveau des déficits publics. Ils dénoncent l’Europe des normes – celles qui libéralisent et fragilisent les entreprises et les emplois – et se désespèrent de l’absence d’initiative normative forte, en matières sociale et industrielle, qui les protégerait d’une mondialisation qui les effraie car elle est synonyme de dumping social, fiscal et environnemental.
Dans le contexte de raréfaction des fonds publics et des contraintes fortes imposées aux budgets nationaux, le budget européen devrait être un instrument de solidarité au service de la croissance et de l’emploi. Par un soutien massif aux investissements d’avenir, il devrait permettre de porter, dans une subsidiarité bien comprise, ce que les États membres ne peuvent plus financer, spécialement en matière d’infrastructures et de réseaux énergétiques et numériques. Le budget européen devrait aussi contribuer à la réalisation des missions de l’Union et, partant, apporter des réponses rapides aux problèmes d’aujourd’hui et imaginer des projets ambitieux pour l’avenir. L’Union européenne doit pouvoir s’appuyer sur une arme budgétaire forte, collective, orientée vers les secteurs porteurs de croissance et d’emplois, à court et moyen termes.
Pourtant, c’est autour de positions nationales crispées sur la question du juste retour que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l’Union européenne a été élaboré. À ce jour, d’ailleurs, le Parlement européen doit encore adopter ce dernier, puisqu’il l’a repoussé à maintes reprises, eu égard notamment à sa faiblesse.
S’il est adopté en l’état, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoit un plafond de dépenses de 960 milliards d’euros en engagement et de 908 milliards d’euros en paiement. La Commission, qui connaît le budget dont elle a besoin pour mettre en œuvre ces politiques, avait prévu 1 060 milliards d’euros, eu égard au renforcement des compétences de l’Union qui est prévu par le traité de Lisbonne, ainsi qu’au nombre plus important d’États membres par rapport au précédent cadre.
Les montants prévus par le cadre financier pluriannuel 2014-2020 constituent un recul de 3,4 % en engagement et de 3,6 % en paiement, en euros constants, par rapport au précédent cadre. Depuis la mise en place du dispositif de programmation pluriannuelle des finances européennes en 1984, c’est la première fois que les montants décidés sont inférieurs à ceux du cadre précédent. Ces montants sont éloignés de la position que l’Assemblée nationale a adoptée dans le cadre d’un rapport de la commission des affaires européennes.
Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 montre ses limites : dans la faiblesse des crédits accordés à la relance tant souhaitée et dans son mode de financement. Si la priorité est donnée au soutien à la croissance, notamment au programme de recherche et de développement « Horizon 2020 » et aux projets d’infrastructures, c’est au détriment des politiques agricole et de cohésion. La rubrique « Compétitivité pour la croissance et l’emploi » ne représente que 13 % du montant total du cadre ; certes, elle bénéficie d’une hausse de 37 %, mais la Commission avait proposé une augmentation de 81 %. La rubrique « Cohésion économique, sociale et territoriale » subit une diminution de 8,5 % alors même qu’elle inclut le Fonds européen d’aide aux plus démunis, la catégorie des régions en transition et l’initiative pour l’emploi des jeunes. La rubrique « Croissance durable », qui inclut notamment la PAC, continue de représenter 38 % du total des dépenses de l’Union européenne : elle reste stable.
Face à cette cure d’amaigrissement, le Président français a, au cours des débats au Conseil, sauvé un certain nombre de symboles de la solidarité collective pourtant menacés. Faute d’un axe franco-allemand suffisamment puissant sur cette question, la position britannique s’est fait entendre plus fortement encore. Quatre programmes ont toutefois été préservés grâce au Président de la République. Le programme européen d’aide alimentaire, menacé d’extinction après le recours de l’Allemagne devant les juridictions européennes, a finalement fait l’objet d’un compromis : il sera doté de 2,5 milliards d’euros pour l’ensemble du CFP, avec une possibilité pour les États membres d’abonder directement le dispositif. Son périmètre d’action sera élargi : il ne concerne plus simplement l’aide alimentaire. On s’en remet désormais aux États : c’est le petit bémol de cette victoire. L’initiative pour l’emploi des jeunes, souvent évoquée, créée à l’initiative de la France et dotée de 6 milliards d’euros, bénéficiera aux huit régions françaises dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 %. Le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 préserve également l’aide aux régions en transition, régions au niveau de vie intermédiaire dont le PIB est compris entre 75 % et 90 % de la moyenne européenne ; dix régions françaises sont concernées. Enfin, le maintien du Fonds d’ajustement à la mondialisation est aussi une victoire de l’implication française.
Au regard de la foire d’empoigne dont ont fait l’objet les idéaux collectifs, il ne restait qu’à s’assurer que, si le budget adopté était mauvais pour l’Europe, il demeurait correct pour la France en termes de taux de retour. C’est, convenons-en, voir les choses par le petit bout de la lorgnette !
La contribution des États membres au budget européen constitue 72 % des recettes globales de l’Union européenne. La France est le deuxième contributeur net à ce budget en valeur absolue. Pour 2014, la contribution de la France s’élève à 22,2 milliards d’euros, soit 16,4 % du total du budget européen et presque 8 % des recettes fiscales nettes françaises. Sur ces 22 milliards, le prélèvement sur recettes s’élève à 20,1 milliards d’euros. Il faut noter, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, que cette participation financière ne fait plus l’objet, depuis deux ans, d’un débat spécifique dans le cadre du PLF puisque nous l’avons votée mardi dernier dans le cadre de l’article 41. En termes d’implication démocratique des Parlements nationaux, nous gagnerions pourtant à organiser un débat spécifique.
Le solde net de la France – la différence entre ce que nous donnons et ce que nous récupérons – s’établit à -6,4 milliards d’euros en 2011. Il est en forte baisse : nous nous positionnons derrière l’Allemagne, mais devant l’Italie et, depuis 2011, le Royaume-Uni.
Je rappelle que 11 % des dépenses du budget européen sont faites sur le sol français. La France est le troisième bénéficiaire en volume des dépenses européennes. Les dépenses agricoles représentent 72 % du total des dépenses réparties sur notre territoire. Les politiques de compétitivité font l’objet de dépenses à hauteur de 1,3 milliards d’euros. Quant aux politiques de cohésion, elles représentent 1,8 milliards d’euros. Nous ne devons toutefois pas nous satisfaire d’un juste retour qui s’amenuise et qui occulte totalement, monsieur le ministre, la plus-value de l’existence de l’Union européenne. Le projet européen doit être collectif, ou alors il n’a pas lieu d’être !
Dès lors, quelles sont les conditions d’un budget plus offensif ? Nous avons besoin d’un budget apuré de ses boulets financiers – j’en conviens, monsieur le ministre, c’est ma marotte –, pour revenir à un dispositif innovant et en phase avec les enjeux actuels.
Le montant des restes à liquider fin 2013 est estimé à 207 milliards d’euros : c’est le différentiel entre les engagements que l’Union européenne a pris et les paiements qui doivent encore être honorés. Cette prise en charge pèsera à hauteur de 52 % des crédits de paiement en 2014 et constituera une part non négligeable des dépenses en 2015 et 2016. Nous avons besoin de retrouver un budget sincère, où les paiements collent aux engagements. Monsieur le ministre, la question que je vous pose est simple et claire : le cadre financier pluriannuel sera-t-il flingué par les 207 milliards d’euros, ou allons-nous l’augmenter d’autant et solder ce que nous devons sur le précédent cadre financier ?
Ma deuxième question concerne les rabais. Ce point a été évoqué lors de la réunion du Conseil des 7 et 8 février 2013 : la France et l’Italie ont demandé à revoir le système de rabais à la baisse, car il n’a plus lieu d’être – il est d’ailleurs basé sur des données historiques qui n’existent plus. Le système reste pourtant globalement inchangé à l’issue de cette réunion : peu de modifications ont été apportées à la formule de calcul du rabais britannique, les rabais sur les rabais ont été maintenus, les versements forfaitaires aux Pays-Bas et à la Suède ont été maintenus également. Pire : le Danemark a obtenu pour la première fois le rabais qu’il demandait. Je veux toutefois souligner quelques avancées : l’amorce d’une réforme avec l’augmentation du taux d’appel réduit de TVA pour les Pays-Bas et la Suède, la fin du taux d’appel réduit pour l’Autriche, une petite diminution de l’assiette du chèque britannique, et une baisse des frais de perception des ressources propres traditionnelles, ce qui entraîne une économie de 120 millions d’euros pour le budget de la France.
Je ne reviens pas sur la révision du mode de financement : c’est la question des ressources propres pour sortir de l’impasse des discussions entre contributeurs et bénéficiaires nets. La mise en œuvre d’une taxation sur les flux financiers est actuellement débattue. En Allemagne, on considère que cette taxation ne constituerait pas une ressource propre du budget européen. J’aimerais vous entendre sur ce point, monsieur le ministre.
D’autres instruments financiers innovants doivent être mis en place. Cette question a été évoquée par les précédents orateurs, s’agissant notamment des project bonds.
Pour conclure, il faut que toutes ces procédures soient en phase avec le temps démocratique si nous voulons que chacun s’y intéresse à hauteur de ce qu’elles méritent. Je pense notamment à la procédure de semestre européen, qui ne colle pas au calendrier de l’exercice national annuel de la loi de finances. En outre, sur les questions budgétaires, les Parlements nationaux sont mis sur la touche puisque les procédures interparlementaires sont plutôt en berne, alors même que l’emprise politique est extrêmement nécessaire. Enfin, le cadre financier pluriannuel ne colle pas aux échéances électorales européennes. Les nouveaux députés européens, élus à l’issue du scrutin du 25 mai 2014, n’auront pas la possibilité de réviser le cadre ; ils le réviseront à la marge mais ne pourront pas voter le budget. Il s’agirait pourtant d’une avancée démocratique importante.
Le véritable enjeu consiste à doter l’Union d’un cadre financier qui lui permette de relever les défis auxquels elle est confrontée, en particulier celui de la croissance, et de porter un projet mobilisateur aux effets palpables et bénéfiques pour les citoyens plutôt que de concentrer l’attention sur le juste retour. Aujourd’hui, les discussions budgétaires sont symptomatiques de l’état de l’Union : sans ambition commune, sans dynamique collective et sans solidarité – bref, sans conviction. Souhaitons que les prochaines échéances européennes permettent de redonner du souffle à un budget, et donc à un projet européen qui en manque tant, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Nicole Ameline. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, le débat qui nous réunit ce soir pose clairement, au-delà de ses aspects comptables, des questions beaucoup plus fondamentales, qu’il s’agisse du débat budgétaire, de la mise en place de l’Union économique et bancaire, de la politique de défense européenne, des investissements de croissance ou encore de la politique d’asile et d’immigration. Toutes ces questions fondamentales sont aujourd’hui sur la table européenne, mais hélas, sans visibilité réelle ou suffisante qui permettrait à l’Europe de se départir de cette image de Gulliver empêtré, synonyme d’entraves et de bureaucratie.
Cependant, les résultats récents de l’Union européenne, je veux parler notamment de la solidarité qui s’est exercée vis-à-vis des pays en risque est à mettre à son actif. Les enjeux stratégiques sont réels au moment où se développent en Europe la tentation empoisonnée du repli sur soi et le retour, pour beaucoup de nos concitoyens européens, au cadre indépassable de l’État-nation. Monsieur le ministre, notre responsabilité est importante : notre responsabilité, la vôtre et celle de votre gouvernement. Si la France est européenne, marquée par son histoire au plus profond d’elle-même, ayant vu, jusqu’à l’épuisement, des peuples s’opposer, si la France est toujours consciente de son destin européen, force est de constater qu’il y a eu un clair affaiblissement, depuis quelques temps, quant à la position française et votre responsabilité a été engagée à cet égard. Je veux reparler de l’exemple de l’axe franco-allemand si essentiel dans la construction européenne, qui en est le moteur, la clé de son dynamisme, et que vous avez maltraité, si je puis dire.
M. Philip Cordery. Oh !
Mme Nicole Ameline. En effet, le couple franco-allemand a frôlé la rupture ce qui, probablement aurait été un signe de régression absolument historique et très préjudiciable à nos propres intérêts. Cet isolement de la France est préjudiciable, même s’il ne l’empêche en rien d’agir dans d’autres domaines – je veux notamment parler de l’opération conduite au Mali avec courage et clairvoyance par la France, mais là aussi sous le signe de l’isolement. La difficulté de la France à retrouver le chemin de la croissance ne conforte pas notre rôle et notre présence en Europe. Mais je veux croire, monsieur le ministre, à la volonté de votre gouvernement et du Président de la République à redonner à la France toute sa place et tout son rôle.
Je reviendrai rapidement sur les deux ou trois sujets qui font partie des priorités évoquées au sein de l’Europe. Tout d’abord, la question de la PAC. Je partage ce qui vient d’être dit sur le fait que trop souvent, nous examinons l’efficacité européenne à la lumière des retours sur investissement. La politique agricole n’y échappe pas et si l’on peut se féliciter du compromis obtenu à cet égard, force est de constater qu’elle apparaît trop souvent comme une concession politique faite à la France alors qu’elle est un élément stratégique de notre indépendance européenne, de notre souveraineté énergétique, si je puis dire, avec l’alimentation comme matière première, et, surtout, une force de notre économie agricole dans le monde, totalement sous-estimée au regard de l’explosion démographique.
J’évoquerai également la question de la défense. Je sais que cette question intéresse d’abord et avant tout la responsabilité des États, mais la Commission européenne a pris acte de l’insuffisance des avancées technologiques et de la politique industrielle en ce domaine. Il est tout à fait clair que nous avons là un déficit majeur, un déficit politique, un déficit de solidarité tout à fait préoccupant à un moment clé de notre histoire. L’on voit nettement que l’enjeu de la sécurité collective n’est pas pris au niveau et avec l’ampleur qu’il mérite par nos partenaires européens. Nous soutenons l’action du Gouvernement de la France dans sa démarche de mobilisation de nos alliés européens, de l’ensemble des pays européens, en faveur de l’enjeu de sécurité collective, lequel prend une acuité particulière du fait du pivot américain tourné vers l’Asie et de la montée en puissance des groupes extrémistes non étatiques.
À elle seule, la France ne peut, pas même avec son allié britannique, assumer la défense de l’Europe. À cet égard, il faudra revenir aux fondamentaux qui ont porté la construction de l’Europe à son tout début, c’est-à-dire la recherche de la sécurité collective et de la paix, qui reste quoi qu’on en pense un objectif majeur.
Je souhaite revenir sur les investissements de croissance. Nous sommes là au cœur de la responsabilité européenne. Il est tout à fait essentiel qu’à travers les fonds de cohésion, les fonds structurels, les objectifs concernant la jeunesse, la formation, l’éducation, les programmes Erasmus, nous puissions poursuivre dans la consolidation de la culture européenne et de l’apprentissage européen.
Vous avez, monsieur le ministre, parlé cet après-midi de l’économie numérique. Cette activité encore embryonnaire en Europe mériterait d’être immédiatement partagée, si je puis dire. Elle représente un objectif de croissance, un potentiel d’emplois, une capacité industrielle exceptionnels. Dans le domaine de la cybersécurité, par exemple, s’ouvre un champ nouveau qu’il faut absolument investir. J’ai bien noté les intentions du dernier Conseil, mais nous voyons les Conseils se succéder, avec malheureusement trop peu de résultats. Or il faut impérativement que la France prenne toute sa place dans la promotion d’une nouvelle frontière en termes d’emplois, mais aussi de sécurité collective.
Dernier exemple que je souhaite évoquer : celui de la gestion des flux migratoires et de l’asile. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des défis nouveaux, d’une ampleur exceptionnelle, qui imposent une réactivité européenne forte. L’Europe doit être au cœur de l’enjeu de renforcement de l’État de droit, de nos règles communes, mais aussi d’ouverture et d’humanité et de respect des valeurs qui font aussi sa force dans le monde. Cette question doit être rapidement traduite par des engagements et une véritable réflexion. On ne peut pas laisser la situation de Lampedusa telle qu’elle est aujourd’hui. Nous savons que l’Europe intervient beaucoup, et j’en suis heureuse, en faveur des camps de réfugiés, des victimes de conflits, mais insuffisamment pour ce qui concerne la clarté dans la gestion des flux migratoires et ce qu’ils sous-tendent en termes de trafic d’êtres humains.
Je terminerai sur les aspects strictement budgétaires du prélèvement sur recettes.
M. Philip Cordery. Ah ! Quand même !
Mme Nicole Ameline. Nous débattons des enjeux à partir du budget et je ne crois pas m’être trop écartée des compétences de l’Union européenne. Les difficultés rencontrées pour l’établissement du budget 2014 et l’ensemble des ajustements nécessaires liés aux décisions modificatives sur le budget 2013 posent clairement le problème de l’évaluation précise des écarts entre les prévisions de recettes et les dépenses. On a manifestement constaté une grande difficulté pour la stabilisation des dépenses européennes. Il faudra être tout à fait attentif à l’exécution du cadre budgétaire, car nous entrons dans la première année de cette exécution.
La France demeure à un niveau d’engagement élevé – deuxième contributeur – et un bénéficiaire de tout premier rang, même avec un solde négatif qui s’est largement accru ces dernières années.
L’UMP est résolument européenne et a ouvert un débat pour que l’Europe s’organise sur un plan beaucoup plus moderne et réactif face aux enjeux de notre temps : une Europe mieux organisée, une Europe politique, une Europe qui protège ses citoyens, ses entreprises, ses frontières, mais une Europe puissance, qui sache aussi s’affirmer dans le monde et répondre à tous les enjeux qui sont devant nous, notamment la formation, l’emploi et la croissance. Cela suppose de la pugnacité, du courage public. Cela suppose que la France retrouve très rapidement un leadership au sein de l’Union européenne.
M. Daniel Gibbes. Très bien.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Charles de Courson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les députés UDI, profondément attachés à la construction européenne, ont toujours défendu l’idée de la création d’une union politique, corollaire indispensable de l’Union économique et monétaire.
Les transferts de compétences économiques majeures à l’échelle européenne doivent s’accompagner d’un contrôle démocratique et d’une capacité de prise de décision suffisants. Car l’Europe ne pourra se faire sans l’adhésion des peuples.
De même en est-il de l’union budgétaire entre les États et l’Europe, que nous appelons de nos vœux et que nous souhaitons démocratique, puissante, respectueuse des particularités nationales, mais également rigoureuse dans le respect de ses règles.
Depuis plus de quinze ans, les groupes centristes successifs ont toujours défendu à la fois la création d’une fédération européenne et l’inscription au niveau constitutionnel de la règle d’or. Plusieurs initiatives ont jalonné la construction de notre union économique, mais elles n’ont pas été suffisantes. L’élargissement des compétences de l’Union, par exemple, à la politique énergétique paraît indispensable si l’on veut éviter une crise énergétique généralisée en Europe.
Les principes de bonne gouvernance édictés et approuvés lors des dernières décennies n’ont pas imposé l’interdiction des déficits les moins acceptables, au motif que les engagements pris au titre du traité de Maastricht constituaient un garde-fou suffisant contre toute dérive des comptes nationaux.
L’expérience a, hélas, rapidement montré que les engagements européens n’étaient manifestement pas assez rigoureux, tant dans leur principe que dans leur mise en œuvre par les institutions communautaires. Nous en payons aujourd’hui le prix.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance a été adopté au printemps 2012, sous le précédent gouvernement, après avoir « tangenté » les bords du gouffre. L’arrogance et l’amateurisme dont a fait preuve le candidat Hollande dans son engagement no 11 – dans lequel il affirmait : « Je renégocierai le traité européen » – nous ont plongés dans la consternation.
M. Philip Cordery. Oh !
M. Charles de Courson. Cette déclaration a suscité un grand sentiment d’incompréhension parmi nos partenaires européens, ce qui est particulièrement regrettable au moment où, plus que jamais, la France doit être un élément stable et moteur de l’Union européenne. Mais le candidat devenu Président de la République s’est heurté dès le lendemain de son élection au principe de réalité et a, bien entendu, abandonné l’idée de toute renégociation de ce traité.
Oui, il a bien trahi sa promesse de campagne, mais son renoncement fut salutaire. Heureuse faute, comme l’on disait autrefois ! Le traité a été ratifié par la France – y compris par ceux qui l’avaient combattu ou avaient fait mine de le combattre – sans la modification d’un mot, d’un iota, d’une virgule.
Les idées, notamment la règle d’or et plus largement la bonne gouvernance des finances publiques, que les centristes ont développées pendant des années dans une grande indifférence en France, commencent enfin à triompher dans notre pays, après avoir pris un réel retard sur beaucoup de nos partenaires européens. C’est grâce à l’Europe qu’elles se sont imposées aussi en France.
L’interdiction de dépasser la norme de déficit structurel de 0,5 % du PIB et celle relative à l’endettement public, qui ne doit pas dépasser 60 % du PIB, sont, pour le cas de la France, pratiquement équivalentes à la règle d’or préconisée par le groupe UDI.
La règle d’or a pour nous une signification simple : toutes les charges de fonctionnement doivent être entièrement couvertes par des produits de fonctionnement. Par conséquent, on ne peut s’endetter que pour financer des dépenses d’investissement, les seules à même de stimuler la croissance à long terme. Or la Sécurité sociale n’engendre pas de dépenses d’investissement, et les administrations locales autofinancent une grande majorité de leurs investissements aujourd’hui.
Quant à l’État, ses investissements dans le projet de loi de finances pour 2013 sont tombés à 16,7 milliards, pour ne remonter que très légèrement – en prévision –, à 17,4 milliards en 2014, ce qui représente à peine 0,9 % du produit intérieur brut.
Mes chers collègues, à politique inchangée, le déficit de la France s’élèvera à 4,1 % d’après les déclarations gouvernementales en 2013 et à 4,2 % en 2014, selon les dernières prévisions de la Commission européenne.
Dans la loi de programmation des finances publiques votée fin 2012, le Gouvernement tablait quant à lui sur un déficit de 2,2 % en 2014 : nous savons aujourd’hui que cette prévision est devenue obsolète et a été réévaluée à 3,6 % du PIB.
Le président de la Commission européenne, tout en donnant un satisfecit tout diplomatique et tout relatif au budget de la France, avait pourtant exprimé en septembre dernier sa déception quant à la non ambition du Gouvernement français.
Les déclarations positives des dirigeants européens José Manuel Barroso et Olli Rehn sur les efforts de consolidation budgétaire de la France n’ont été la conséquence que du formidable renoncement à la « pause fiscale » que le Président de la République et tout son Gouvernement nous avaient promise.
Le cadre institutionnel créé par le TSCG a conduit à la mise en place du Haut conseil des finances publiques, dont le Gouvernement ne peut ignorer l’avis. Très critique à l’égard de la politique du Gouvernement, en particulier du budget pour 2014, le Haut conseil nous a annoncé qu’en l’absence de réactions de la part du Gouvernement, le mécanisme de correction serait probablement déclenché dès le printemps 2014. Or cela équivaut à la mise sous tutelle de la France par Bruxelles et à la poursuite des augmentations d’impôts à partir de 2015. Cela signe l’échec de la politique du Gouvernement et la mort de la promesse de pause fiscale.
Monsieur le ministre, nous n’avons cessé de vous alerter ainsi que votre gouvernement. Vous n’avez pas voulu nous entendre. Il est aujourd’hui plus que crucial que vous vous attaquiez véritablement à la baisse de la dépense publique en mettant en place les grandes réformes structurelles dont notre pays a cruellement besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai choisi de centrer mon intervention autour de deux questions : la dimension sociale de l’Europe, d’une part, et la politique d’immigration, d’autre part.
Nous savons que le budget européen prend en compte la dimension sociale de l’Europe à travers plusieurs instruments : les fonds structurels et d’investissement européens, auxquels s’ajoutera l’initiative pour l’emploi des jeunes, dotée de plus de 6 milliards d’euros pour les régions où le taux de chômage des jeunes excède 25 %. On doit cette heureuse initiative au Président Hollande, rejoint par Angela Merkel en mai dernier.
Il a été décidé que cette initiative ferait l’objet d’une concentration en début de période, sur 2014 et 2015. Le chômage des jeunes est, en effet, le vrai scandale de l’Union européenne.
M. Alain Bocquet. Eh oui !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Comment imaginer le succès de l’Union européenne alors qu’elle compte 25 millions de chômeurs et que, dans certains pays, plus de la moitié des jeunes sont au chômage ? C’est une génération sacrifiée, et nous devons mettre le paquet pour agir.
M. Alain Bocquet. En effet !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Le nouveau programme pour l’emploi et l’innovation sociale, le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation et le Fonds européen d’aide aux plus démunis constituent également des instruments. Il faut le souligner, même si on en parle trop peu.
Mais au-delà, un changement d’approche s’impose, monsieur le ministre.
Rappelons qu’il y a eu une vraie volonté politique en faveur d’une Europe sociale par le passé. Le Président Mitterrand s’est battu dès le début pour que les traités comportent une charte sociale. En 1986, Jacques Delors a imposé le doublement des fonds structurels, lesquels ont été multipliés par quinze en moins de dix ans. Nous avons obtenu alors des résultats, de haute lutte, encore une fois. Ainsi, dès 1989, nous avons adopté une Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, qui a été intégrée en 1992 au traité de Maastricht à travers le Protocole sur la politique sociale. Nous avons aussi obtenu que le traité d’Amsterdam compte un chapitre spécifique consacré à l’emploi. C’est d’ailleurs cela qui amené le gouvernement de Lionel Jospin à accepter ce traité négocié par les gouvernements précédents.
En 2000, la stratégie de Lisbonne comportait des objectifs chiffrés pour un haut niveau d’emploi et de recherche, avec une précision que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui : un niveau d’emploi de 70 % assorti d’exigences de qualité pour l’emploi des femmes, des jeunes et des seniors. Mais en 2005, tout cela a été balayé par le grand vent de l’ultra-libéralisme à l’intérieur de la Commission européenne.
M. Alain Bocquet. Très juste !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Ce diagnostic montre qu’à côté de l’Union économique et monétaire, de l’Union bancaire et du renforcement de la gouvernance économique, c’est une véritable Union sociale que nous devons enfin avoir la volonté de mettre en place. Nous avons besoin d’avoir des politiques sociales qui réduisent le risque des chocs asymétriques mais surtout qui évitent le dumping social, qui est mortifère…
M. Alain Bocquet. Tout à fait !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. …pour le projet européen : la concurrence entre États membres détruit la cohésion au sein de l’Union.Vous travaillez beaucoup, monsieur le ministre. Vous l’avez encore prouvé cet après-midi. Je vous remercie pour vos interventions sur le salaire minimum et la directive sur les travailleurs détachés. Nous avons besoin de résultats en la matière.
M. Philip Cordery. Absolument !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Il est heureux de constater que le Gouvernement actuel de l’Allemagne accepte enfin le principe du salaire minimum. Pour la directive relative aux travailleurs détachés, nous avons besoin de contrôles beaucoup plus étroits. Vous vous y employez, monsieur le ministre, et je suis sûre que vous allez nous apporter des précisions utiles à ce sujet.
M. Philip Cordery. Très bien !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Nous devons dire haut et fort que nous voulons réagir contre plus d’une dizaine d’années de régression dans le domaine social.
M. Alain Bocquet. Très juste !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Il n’est plus possible de se satisfaire de ce genre de choses !
Cela étant, la direction du vent change. Le Président Hollande a eu le mérite de remettre la question de la croissance et de l’emploi en première ligne de l’agenda et la Commission a publié, le 2 octobre, une communication pour renforcer la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. Il faut souligner ici les efforts du commissaire László Andor qui s’est battu – et il faut voir comment ! – contre des résistances extrêmement fortes.
La Commission évoque trois pistes d’amélioration : mettre en place une coordination et une surveillance plus étroites des politiques concernant la situation sociale et l’emploi dans le cadre du semestre européen ; tirer davantage parti du potentiel de solidarité que recèle le budget de l’Union – on peut simplement regretter que ce budget soit insuffisant ; associer plus étroitement les partenaires sociaux aux discussions durant le semestre européen.
La Commission propose, toujours à l’initiative de M. Andor, d’élaborer un tableau de bord d’indicateurs prioritaires dans le domaine social et de l’emploi afin d’assurer un suivi des questions relatives au bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire. Nous voyons que la Commission renoue – timidement – avec une direction qui avait été abandonnée.
Il est heureux que nous puissions enfin constater le rétablissement de cinq indicateurs sociaux : le taux de chômage, le taux de chômage des jeunes, le revenu brut réel disponible des ménages, le taux de risque de pauvreté de la population en âge de travailler et le taux d’inégalités. Ces choix sont pertinents même si j’aurais préféré qu’ils soient accompagnés d’objectifs chiffrés, comme cela avait été le cas dans le passé. Vous me direz que le fait de chiffrer n’avait pas empêché l’absence de résultats : oui, mais ce n’est pas parce qu’on a échoué sur un point qu’il faut abandonner l’ambition liée aux objectifs. Il importe de souligner cette première avancée. Même s’il n’y aura pas de décisions contraignantes, saluons cet effort.
Voyons comment nous pouvons rebâtir une politique, définir ensemble des objectifs sociaux et déboucher sur des mécanismes d’incitation dans le domaine social, qui nous permettent d’avancer et de montrer que l’Europe n’est pas seulement punitive mais qu’elle veut vraiment agir positivement pour la solidarité sociale.
Nous ne devons pas renoncer – et je sais que vous ne renoncez pas, monsieur le ministre – à la mise en place d’un mécanisme d’assurance chômage. Même si ce n’est pas pour tout de suite, continuons à le demander parce qu’il est nécessaire, notamment pour garantir un meilleur fonctionnement macro-économique.
J’en viens à la politique européenne d’immigration.
Depuis le traité d’Amsterdam et la déclaration du Conseil européen de Tampere, en 1999, l’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux dans la construction d’une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle aux frontières extérieures. Des résultats ont été obtenus mais, là encore, nous avons besoin de passer à la vitesse supérieure.
Le drame de Lampedusa n’est que la partie émergée de l’iceberg : nous ignorons combien de ces dizaines de milliers de personnes meurent dans la mer Méditerranée, qui est devenue un tombeau. Nous ne pouvons pas y rester indifférents. Mais ne restons pas seulement dans le registre de l’émotion. Suivons des lignes d’action qui nous rendent beaucoup plus efficaces.
M. Alain Bocquet. L’aide au développement !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Nous devons définir une véritable stratégie européenne en matière d’immigration. Bien sûr, cela implique la volonté de maîtriser les flux migratoires. Nous voyons à quelles difficultés d’intégration nous sommes confrontés face à ces pauvres gens poussés par la misère, par les persécutions, qui arrivent chez nous, qui s’entassent quand ils ne sont pas refoulés – car des règles s’imposent. Il ne s’agit pas de nier cette dimension.
Nous devons aller plus loin et être beaucoup plus volontaires. Pour cela, il nous faut des moyens budgétaires pour le contrôle des frontières mais aussi pour la lutte contre les passeurs clandestins. Si tant de personnes courent le risque de perdre leur vie avec toute leur famille, c’est parce qu’elles sont abusées par des passeurs qui leur soutirent de l’argent. Ceux-ci devraient être beaucoup plus punis par l’Union européenne.
Pour la période 2014-2020, la Commission a proposé de ramener à deux le nombre des fonds disponibles : d’une part, un fonds « Asile et migration », qui serait doté d’un plafond d’environ 3,1 milliards d’euros ; d’autre part, le Fonds de sécurité intérieure, dont un volet serait consacré au soutien dans le domaine des frontières et des visas, pour un plafond total d’environ 3,7 milliards d’euros. Ces chiffres ne sont pas insignifiants, loin de là, mais ces politiques devraient être de beaucoup plus grande envergure. La création d’une task force réunissant les services de la Commission, les États membres, ainsi que des agences européennes telles que FRONTEX, va également dans le bon sens.
Quant au Conseil européen des 24 et 25 octobre, il a ouvert la voie dans trois directions complémentaires, essentielles pour une approche globale et équilibrée des flux migratoires : la protection, la prévention et la solidarité.
Tout d’abord, il faudra veiller à renforcer FRONTEX et EUROSUR. Je sais votre détermination en ce domaine, monsieur le ministre. Nous ne sommes évidemment pas seuls, et il faut pouvoir convaincre. Dans cette lutte contre le trafic des êtres humains – car il ne s’agit de rien d’autre que de cela –, nous devons convaincre nos partenaires d’être beaucoup plus volontaires. Il faut améliorer la coopération avec les pays d’origine – après tout, l’Espagne a obtenu des résultats en suivant cette voie. Nous avons aussi besoin de davantage de solidarité : non seulement avec les pays d’émigration – seule une politique de développement apportera de véritables résultats –, mais aussi entre pays européens car il est inadmissible que les migrants en situation irrégulière se concentrent dans certains pays et, à l’intérieur de ces pays, dans certaines régions et dans certaines villes, sans qu’il y ait de solidarité suffisante entre États.
Monsieur le ministre, je m’adresse à vous parce que vous êtes au banc du Gouvernement.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Et je m’en réjouis !
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Je sais que nous partageons les mêmes convictions. Simplement, je voulais insister sur le fait qu’on ne doit pas perdre la mémoire de ce qui a été fait et défait. Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour que nous puissions aller de l’avant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, j’essaierai de m’en tenir au débat sur les enjeux budgétaires européens, puisque, en tant que premier exercice du cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, le budget européen pour 2014 est une sorte de « budget test », qui devrait préfigurer l’avenir des relations entre deux branches de l’autorité budgétaire de l’Union européenne, ainsi que la capacité de cette Union à exercer pleinement ses compétences. Voilà pour la théorie.
Le budget européen représente un rouage essentiel de la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020, qui a fixé trois priorités pour renforcer l’économie européenne. Je préfère les rappeler : développer une économie basée sur la connaissance et l’innovation ; promouvoir une économie renouvelable, plus verte et plus compétitive ; soutenir une économie créatrice d’emplois, de cohésion sociale et territoriale. Sur le papier, c’est très joli. Ces objectifs paraissent très clairs, ils ont été rappelés hier à la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires. En matière de lutte contre le changement climatique et de réduction de la pauvreté, c’est essentiel ; cela a été redit.
La méthode proposée repose sur les synergies entre budget européen et budgets nationaux, exercice difficile, on le voit aujourd’hui. Dès lors, monsieur le ministre, ma première question est simple : le budget européen et le budget français pour 2014 sont-ils en phase ? Nous permettent-ils d’atteindre les objectifs intermédiaires de la stratégie Europe 2020 ? On peut toujours être généreux sur le papier mais, tant qu’on ne met pas les chiffres en face, ça paraît difficile. Je suis d’autant plus inquiète à ce sujet que les discussions entre le Parlement européen et le Conseil sur le projet de budget pour 2014, qui s’entremêlent avec plein d’autres choses, ont pris une tournure qui ne paraît pas encourageante. Ce projet de budget pour 2014 proposé par la Commission européenne affiche un niveau en net repli par rapport à 2013, limité à la fois par le manque d’ambition du cadre financier pluriannuel 2014-2020 et par les tensions qui se sont accrues sur les crédits de paiement ces deux dernières années.
Quant aux États, ils ont adopté une position égoïste, pour finalement réduire – comme si cela était encore possible ! – ce budget à une peau de chagrin. Pourtant, les mêmes États, individuellement, demandent toujours plus à l’Union. Et, pendant ce temps, la défiance des citoyens s’accroît, le populisme fleurit, l’antieuropéanisme prospère ! Notre commission des affaires européennes a déjà eu plusieurs fois l’occasion de le souligner : la perte de confiance de nos concitoyens dans le projet européen appelle un véritable projet mobilisateur, avec un budget au service d’une vision politique d’ampleur.
En effet, le budget européen est un budget d’investissement. Il constitue à ce titre un outil pertinent de soutien à l’économie réelle et à l’emploi. À cet égard, si je me félicite de la mise en œuvre rapide de l’initiative pour l’emploi des jeunes, je souhaite qu’elle acquière vite une dimension plus ambitieuse ; l’urgence est là, la présidente Guigou vient de le démontrer.
Je tiens également à souligner la nécessité d’orienter les dépenses en faveur de la transition écologique de nos économies, créatrice d’emplois verts nombreux en même temps qu’elle répond à l’urgence climatique. On le voit dans le domaine des économies d’énergie : on veut bien dire que, là, il faut des emplois ; mais il faut en donner les moyens.
Il est d’ailleurs impératif que le budget de l’Union ait une dimension sociale accrue – la présidente Guigou l’a également souligné. Quand on voit, de Madrid à Athènes, les conséquences de la crise économique, on peut se demander si l’Europe s’en rend compte. Aujourd’hui, à Madrid, on met dehors des gens qui étaient propriétaires de leur logement et que, parce qu’ils sont dehors, on leur demande 750 euros pour… je ne sais pas pour quoi, d’ailleurs. Cela paraît invraisemblable ! C’est la réalité d’aujourd’hui, et elle est insupportable. Il faut proposer de quoi la corriger.
M. Alain Bocquet. C’est l’Europe des promoteurs !
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. À cet égard, je ne peux que déplorer la baisse du montant du Fonds européen d’aide aux plus démunis, ramené à 2,5 milliards seulement en euros constants, à charge, pour les États, de compléter, sur la base du volontariat, cette dotation, afin de maintenir le financement du programme à son niveau actuel. C’est une politique de gribouille, au niveau de l’Europe, et qui frappe, une fois de plus, les plus fragiles. Il est inadmissible que cela continue. Qu’en est-il donc, monsieur le ministre, des modalités de mise en œuvre ? Quels États vont augmenter leur contribution et à quelle hauteur ? Qu’entend faire la France dans ce domaine ?
Pour que le budget européen puisse porter des fruits et une véritable ambition, il faut bien entendu le doter de moyens supplémentaires. Notre commission des affaires européennes soutient fermement la mise en place de nouvelles ressources propres, vous le savez. Les onze États volontaires pour la taxe sur les transactions financières pourraient l’instaurer sans barguigner, avec une assiette large et une distribution solidaire.
M. Paul Molac. Très bien !
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Pourtant, des réticences, voire des résistances, y font obstacle. Pouvez-vous nous présenter un bilan d’étape des négociations ainsi que les principales difficultés rencontrées ? J’ai peur qu’elles ne soient dans la Bourse de tous les États.
Par ailleurs, l’accord politique du 27 juin 2013 sur le cadre financier pluriannuel prévoit la création d’un groupe de travail sur la réforme des ressources propres, associant la Commission européenne, le Conseil, le Parlement européen et les Parlements nationaux. À ce jour, à ma connaissance, ce groupe de travail n’est toujours pas constitué. En tout cas, notre assemblée n’a pas été sollicitée à ce propos. Quand le Conseil sera-t-il prêt pour participer et, surtout, selon quelles modalités les Parlements nationaux y seront-ils associés ?
Un autre sujet de préoccupation récurrent s’agissant du budget européen est – comme Estelle Grelier l’a bien souligné – celui des restes à liquider, c’est-à-dire des engagements qui n’ont pas encore donné lieu à des paiements. Alors qu’ils représentaient 207 milliards d’euros à la fin de l’année dernière, soit 2,6 années de paiements, leur progression semble de plus en plus difficile à enrayer. La Commission européenne les évalue ainsi à 225 milliards d’euros à la fin de l’année 2013, sous réserve de l’ouverture de la totalité des 11,2 milliards d’euros qu’elle a demandés en gestion 2013.
La multiplication de budgets rectificatifs demandant des ouvertures de crédits représente jusqu’à 10 % du budget initial. Nous nous interrogeons donc sur la sincérité du montant du prélèvement sur recettes que nous votons en première partie de la loi de finances. Dès lors qu’elle est prévisible, ce qui était le cas lors de l’examen de la loi de finances pour 2013, la présentation de budgets rectificatifs demandant des ouvertures de crédits, appelle certainement une meilleure information de la représentation nationale sur les risques associés à la prévision fournie dans le projet de loi de finances.
Dans le projet de budget pour 2014, plus de 92 % des crédits de paiement demandés ont pour objet de couvrir des engagements passés. On voit bien que ces restes à liquider constituent une source de rigidité forte pour les budgets à venir et qu’ils obèrent notre capacité à lancer de nouveaux projets. Quelles sont les pistes que vous privilégiez, monsieur le ministre, pour y remédier ?
Je souhaiterais enfin aborder deux sujets d’actualité, dont la dimension budgétaire est évidente.
Il s’agit tout d’abord du projet d’union bancaire. Avant d’assumer sa nouvelle compétence de superviseur européen, la BCE va procéder à une revue des actifs des banques qui vont passer dans son giron. Le risque de découvrir des bilans bancaires présentant des faiblesses ne peut être exclu. Dès lors, quelles sont les solutions privilégiées par la France pour la mise en place d’un filet de sécurité, et avec quel impact sur nos finances publiques ?
Le second sujet est la création d’un budget propre à la zone euro. Les résultats des derniers Conseils européens laissent prévoir que cette ambition pourrait d’abord se concrétiser au travers des contrats de compétitivité, particulièrement portés par la Chancelière Angela Merkel. Les États s’engageraient ainsi à réformer leur économie en échange d’une aide financière spécifique qui proviendrait d’un fonds distinct du budget européen. Je ne pense pas que ce soit une bonne méthode. Ces contrats, sans budget propre de la zone euro, risqueraient en effet de donner une occasion supplémentaire de se défausser sur l’Europe des mesures propres à chaque État, et, ainsi, de renforcer la méfiance de nos concitoyens envers l’Union. Il me semble d’autant plus impératif d’accompagner l’approfondissement de la gouvernance économique de la zone euro, par la création d’une assemblée des Parlements nationaux, à même d’assurer le contrôle démocratique de cette gouvernance économique, dont l’expression principale reste les budgets nationaux, au cœur de la souveraineté parlementaire. Et qui peut parler mieux aux citoyens que les députés nationaux, qui les côtoient quotidiennement ?
L’approfondissement du partage de souveraineté nécessaire, notamment en matière budgétaire, n’est démocratiquement possible que si les Parlements nationaux sont directement partie prenante. La conférence budgétaire sur la gouvernance économique et financière, prévue par l’article 13 du TSCG, qui s’est réunie pour la première fois à Vilnius les 16 et 17 octobre derniers, en constitue un premier maillon, mais ce seulement un premier maillon.
Il me semble qu’il faut préciser à ce stade, monsieur le ministre, au lendemain du Conseil européen des 24 et 25 octobre, votre analyse des moyens à mettre en œuvre pour renforcer l’Union économique et monétaire, notamment votre approche quant aux contrats de compétitivité, au budget propre à la zone euro, et à la perspective de leur mise en œuvre.
Enfin, avant de conclure, je veux à mon tour souligner que deux sujets ont fait irruption au Conseil, qui n’étaient pas du tout prévus au départ. S’agissant de l’immigration, j’aurai l’occasion de vous poser une question tout à l’heure, mais il est évident que les budgets qui permettent à la fois d’être en solidarité forte avec les pays du Sud et en solidarité avec les gens qui risquent leur vie parce qu’ils pensent que chez nous l’herbe est plus verte devraient être revus largement à la hausse.
Pour conclure, je souhaiterais vous remercier, monsieur le ministre, pour votre volonté affichée, qui est aussi celle du Gouvernement, de renforcer l’information de notre commission des affaires européennes sur les mécanismes de solidarité financière, et de donner rapidement une réalité concrète à cette volonté.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames les présidentes de commission, mesdames et messieurs les députés, le débat que nous avons aujourd’hui intervient dans un contexte singulier.
C’est un contexte singulier parce qu’il s’agit du premier budget du nouveau cadre financier pluriannuel prévu pour la période 2014-2020. Il reflète une double réalité. En crédits d’engagement, il traduit la nouvelle orientation de l’Union européenne voulue par les chefs d’État et de gouvernement, alors qu’en crédits de paiement il est pour l’essentiel le fruit des choix passés, des factures 2007-2013 à honorer.
C’est un contexte singulier aussi parce que les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel ont abouti. Le Parlement européen en a pris acte dans sa résolution politique du 3 juillet dernier. Il lui reste à formellement approuver le règlement du Conseil portant cadre financier pluriannuel. Cela devrait être fait dans les prochaines semaines, lors de sa session plénière de novembre ; je réponds là, finalement, à une première interrogation de M. Bocquet, qui s’inquiétait de savoir si le budget serait voté. Les dernières négociations ont abouti aujourd’hui, plus rien ne s’oppose donc à ce que le vote ait lieu à la session du 20 novembre.
En effet, ces discussions étaient liées à trois conditions posées par le Parlement européen – sans lien direct avec le cadre 2014-2020 lui-même –, qui sont en passe d’être remplies.
C’était tout d’abord l’adoption par le Conseil de la seconde tranche du budget rectificatif exceptionnel de 11,2 milliards d’euros. Pourquoi ces 11,2 milliards d’euros ? Pour payer les factures de dépenses engagées sur la période 2007-2013 et dont les parlementaires européens ne souhaitaient pas qu’elles obèrent le cadre financier pluriannuel 2014-2020. C’est revenu dans plusieurs de vos questions : repart-on avec les compteurs à zéro, ou devra-t-on, sur la période 2014-2020, payer des factures dues au titre de la période passée ? Eh bien, un budget rectificatif de 11,2 milliards d’euros a été adopté.
Les discussions étaient aussi liées au lancement rapide des travaux sur la révision du système des ressources propres. Engagement a été pris de constituer un groupe de travail pour voir comment, effectivement, le budget européen pourrait avoir des ressources propres.
La troisième condition était l’accord sur les règlements en cours de négociation, en particulier sur la politique agricole commune mais aussi la politique de cohésion. Je vous confirme que sur la politique de cohésion, dernier sujet encore en discussion, un accord a été trouvé.
Le prélèvement sur recettes, d’un montant de 20,1 milliards d’euros – j’arrondis –, est la synthèse de tout cela.
Parler du budget de l’Union européenne, c’est parler de ce que nous voulons faire ensemble. Nous ne pouvons naturellement pas nous contenter d’une lecture comptable qui se limiterait à analyser simplement les flux entre le budget de l’Union européenne et le budget national. Cette question des soldes nets est bien sûr importante, car nous devons faire preuve au niveau européen du même sérieux budgétaire qu’au niveau national. Pour autant, s’enliser dans le seul débat des soldes nets constitue une double erreur.
C’est une erreur politique, d’abord, car nous ne pouvons pas résumer les bénéfices de notre appartenance à l’Union européenne à un simple exercice comptable. Ce serait nier les avantages que nous tirons de l’intégration européenne, du marché intérieur, de notre monnaie unique, du fait qu’une Banque européenne d’investissement accompagne entreprises et territoires et que nous disposons depuis peu d’une nouvelle source de financement de l’économie, les project bonds.
C’est aussi une erreur économique car la croissance des uns est bénéfique aux autres. La convergence interne au sein de l’Union, que favorise le budget, est aussi dans notre intérêt. C’est ainsi que le commerce intra-européen se développe et que nos entreprises vont chercher de nouveaux marchés.
Parler du budget de l’Union européenne, c’est parler de notre projet pour l’Europe, des politiques européennes qui irriguent les territoires et de leur réorientation au service de la croissance. Nous devons sortir d’un débat désincarné pour donner du sens à ce que nous faisons ensemble grâce au budget européen. Et, ce budget, nous l’avons voulu au service de la croissance et de la solidarité.
L’exercice 2014 en verra la première traduction budgétaire : nous aurons alors un cadre financier pluriannuel au service de la croissance, et cela devrait répondre aux attentes exprimées entre autres par Annick Girardin et par Estelle Grelier. En effet, le projet de budget européen pour 2014-2020 sera doté de 1 083 milliards d’euros en crédits d’engagement et de 1 024 milliards d’euros en crédits de paiement. Certains ont tenté d’instruire, parfois à dessein, mais parfois aussi par ignorance ou incompréhension, un faux procès en affirmant, que le cadre financier pluriannuel était en baisse par rapport au précédent. Cela n’est pas vrai : il est en augmentation par rapport au précédent cadre financier pluriannuel qui devrait s’établir, en exécution, à 881 milliards d’euros seulement.
Grâce aux mécanismes de flexibilité voulus par le Parlement européen avec le soutien de la France, les crédits de paiement qu’il aura votés pourront être consommés ; ce qui veut dire que, sur la période prochaine, on dépensera en réalité une cinquantaine de milliards d’euros de plus qu’au cours de la période 2007-2013.
Loin de l’austérité programmée, nous préparons donc la période à venir avec un budget à la hauteur de notre vision pour l’avenir de l’Europe et à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Nous aurions pu aller encore plus loin si la majorité des pays de l’Union européenne avaient suivi les demandes de la France.
Il faut noter que, comme nous l’avions demandé, ce budget est résolument tourné vers la croissance et la création d’activités. 142 milliards d’euros seront ainsi consacrés à la croissance et à l’emploi pendant la période du prochain cadre financier pluriannuel, soit une augmentation de près de 60 % par rapport à la période précédente. Cette enveloppe couvre en particulier le budget pour la recherche et l’innovation en Europe, qui passe de 55 à 79 milliards d’euros. Cet investissement est déterminant à l’heure où l’Europe doit plus que jamais être à la pointe de l’innovation. Nos territoires, nous le savons tous, recèlent de jeunes chercheurs avec des idées plein la tête et dotés d’une formidable créativité : à nous de leur donner les moyens, de les accompagner, pour qu’ils deviennent des champions européens, et que leurs idées se transforment en emplois dans nos territoires. Cette priorité prend tout son sens alors que le premier conseil européen thématique sur le numérique et l’innovation s’est conclu la semaine dernière, ouvrant les portes à la définition d’une véritable stratégie européenne dans ces deux domaines.
Mais pour avoir accès aux marchés lorsque l’on est une entreprise, ou avoir accès à l’emploi lorsque l’on est un futur salarié, encore faut-il être mobile et pouvoir échanger avec de plus en plus de facilité et de rapidité. C’est pourquoi une enveloppe de 22 milliards d’euros sera consacrée aux infrastructures de transport, à l’énergie et aux télécommunications – elle n’était que de 8 milliards dans le cadre financier pluriannuel 2007-2013.
Dans le même temps, nous avons consolidé les deux grandes politiques structurantes de l’Union européenne, qui participent elles aussi à la croissance : la politique de cohésion et la politique agricole.
La politique de cohésion a été sauvegardée alors que la précédente majorité l’avait réduite à une simple variable d’ajustement. Nous savons combien elle est précieuse dans nos territoires, au regard du formidable effet de levier qu’elle représente pour la construction de nouvelles infrastructures, l’aménagement du territoire, la recherche et l’innovation, la formation professionnelle, et le soutien aux entreprises. Elle apporte également beaucoup aux autres États membres, qui en ont besoin pour développer leurs activités, qui sont autant de marchés potentiels à décrocher pour nos entreprises.
Grâce, entre autres, à la création de la catégorie des « régions en transition », nous pourrons bénéficier d’une enveloppe de 16 milliards d’euros sur la prochaine période pour nos régions. Les crédits seront désormais gérés au plus près du terrain, car nous avons décidé d’en décentraliser totalement la gestion – ce que la majorité précédente avait hélas refusé, pour des raisons, hélas ! très politiciennes.
Enfin, bien entendu, il est question de la PAC. « Le budget agricole et la politique agricole commune font partie du contrat de mariage des Européens », disait Jacques Delors. Avec un budget de 64 milliards d’euros pour la France, le Gouvernement fait le choix de soutenir encore davantage la production animale, ainsi que l’élevage dans les zones difficiles. La solidarité à l’égard de nos agriculteurs et du secteur de l’agroalimentaire est cruciale pour l’avenir d’une filière qui représente un potentiel important en termes de croissance et d’emplois.
La deuxième priorité de ce cadre financier pluriannuel est de mettre en place les marqueurs d’une Europe plus solidaire qu’elle ne l’a été. Bien entendu, je ne peux vous parler de la réorientation de l’action européenne voulue par la France, et concrétisée par ce budget, sans mentionner son volet solidarité et sa dimension sociale, inédite.
Je n’en prendrai pour preuve que deux exemples. D’abord la mise en place d’une initiative pour les jeunes dans les régions où leur taux de chômage dépassait 25 % en 2012. D’autres avant moi en ont parlé dans cet hémicycle. Cette initiative pour les jeunes consiste à proposer un stage, une formation ou un contrat de travail à tout jeune de moins de vingt-cinq ans qui se trouve en dehors de toute insertion scolaire ou professionnelle. En France, dix régions pilotes ont été choisies avant que ce dispositif soit élargi progressivement à l’ensemble de la France. En outre, il a été décidé, pour maximiser l’effet de ces crédits, d’en concentrer la consommation sur les années 2014 et 2015 – cela a déjà été dit – pour jouer au maximum sur l’effet levier et ne pas perdre de temps face au chômage des jeunes. Ce mécanisme viendra utilement compléter ce que nous faisons grâce au Fonds social européen.
Si j’insiste sur ce point, comme Mme la présidente Guigou l’a fait avant moi, c’est que jamais l’Union européenne n’avait conduit d’action de ce genre par le passé. C’est la première fois que l’on trouve dans le budget européen l’expression d’une solidarité spécifique envers les jeunes européens pour lutter contre leur chômage.
Le deuxième exemple est celui du fonds européen d’aide aux plus démunis. Celui-ci sera doté de 2,8 milliards d’euros, auxquels s’ajouteront 1,1 milliard d’euros supplémentaires, ce qui permettra de maintenir le niveau annuel de financement de ce programme. C’est l’illustration même de la situation que nous avons trouvée quand nous avons accédé aux responsabilités : la précédente majorité avait signé l’arrêt de mort de ce programme ; nous avons, avec le soutien du Parlement européen, pu le sauver !
On me dit souvent que ce n’est pas vrai, mais laissez-moi vous lire une déclaration conjointe de la France et de l’Allemagne datée du 31 janvier 2012 : « Cependant, compte tenu du débat au sein du Conseil, la France et l’Allemagne jugent que les conditions ne sont pas réunies pour la présentation par la Commission et l’adoption par le Conseil d’une proposition relative à un nouveau programme pour l’après-2013. C’est la raison pour laquelle les deux pays ne pourront pas accepter les propositions de nature juridique et financière que la Commission pourrait formuler à l’avenir concernant un tel programme. » Fallait-il en rester là, au motif que la signature de la France ne devait pas être remise en cause, même après l’arrivée d’une nouvelle majorité et d’un nouveau Président de la République ? Nous nous y sommes refusés. Quel signal aurions-nous envoyé aux Français si les aides européennes aux associations caritatives avaient été purement et simplement supprimées, alors même que nous sortions à grand-peine de la crise financière ?
Voilà ce que je voulais vous dire au sujet du prélèvement sur recettes à destination du budget européen que le Gouvernement vous propose de voter dans ce projet de loi de finances. Mais vous avez, et c’est bien légitime, profité de ce débat pour poser beaucoup d’autres questions.
Mme Girardin et Mme Grelier ont parlé de la gouvernance de la zone euro et appelé à une plus forte intégration européenne. Le Gouvernement auquel j’appartiens en est d’accord : une zone euro renforcée est une zone euro à la légitimité plus affirmée. C’est pourquoi le Président de la République a appelé le 16 mai dernier à la constitution d’une capacité budgétaire pour la zone euro – comprenez : un budget spécifique assorti à terme de la capacité à lever l’emprunt. Il a aussi appelé à une présidence stable et à temps plein de l’Eurogroupe. Ces propositions sont aujourd’hui débattues au Conseil européen entre les vingt-huit pays membres.
Vous avez aussi, mesdames, évoqué les marchés financiers et le risque de les voir s’embraser. Je rappelle que nous nous efforçons de remettre la croissance au cœur de l’agenda européen. Avec l’union bancaire, nous cherchons aussi à stabiliser l’environnement financier de la zone euro. Ces politiques, combinées à la détermination de la Banque centrale européenne à assurer l’intégrité de la zone euro, devraient être de nature à rassurer durablement les marchés.
La question des restes à liquider intéresse particulièrement, et à juste titre, Estelle Grelier, mais également d’autres parlementaires. Pour que tout le monde comprenne bien ce dont il s’agit, rappelons que ces restes à liquider correspondent aux engagements pris par l’Union européenne qui ne sont pas encore couverts par des paiements. Fin 2012, le stock de restes à liquider s’établissait à 218 milliards d’euros. À la fin de l’année 2013, il devrait être de 225 milliards d’euros. Deux tiers de ce reste à liquider tiennent à la politique de cohésion et à la règle dite « n + 2 » qui permet de payer une dépense deux ans après qu’elle a été décidée. Maintenir cette règle, comme nous le voulons, qui conduit à avoir un reste à liquider important.
Il est vrai qu’au cours des négociations sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, le reste à liquider a constitué un sujet de discussion important avec le Parlement européen. La Commission européenne prévoit, dans son projet de budget 2014, qu’environ 200 milliards d’euros du reste à liquider constaté fin 2013 seront payés au cours de la période 2014-2020. Ainsi, 20 % des crédits de paiement du CFP 2014-2020 seront utilisés pour payer des engagements pris avant 2014 ; mais nous avons adopté des budgets rectificatifs pour éviter que cela ne pèse sur le budget européen. À la fin de la période 2014-2020, la règle « n + 2 » sera toujours là, ce qui permettra de reporter sur la prochaine période les 200 milliards d’euros que nous allons consacrer à des dépenses passées. Grâce à ces dispositions que nous avons négociées avec le Parlement européen, le budget 2014-2020 ne sera donc pas amputé. Je me devais d’être précis sur ce point, car il s’agit d’une question essentielle, tant pour la représentation nationale que pour le Parlement européen.
Pour ce qui concerne le numérique, on peut dire que le résultat du Conseil européen consacré à cette question est très bon. Nous disposons depuis la semaine dernière d’un engagement pour une stratégie globale qui articule de manière équilibrée les questions liées à la demande et à l’offre, c’est-à-dire les enjeux industriels liés au numérique. Auparavant, on ne parlait que du marché intérieur : ce n’était pas suffisant, et surtout pas efficace. L’Union européenne doit s’affirmer sur la scène internationale et disposer de sa propre offre numérique vis-à-vis des clients.
Madame Ameline, je veux vous rassurer quant à la pérennité et au fonctionnement du binôme franco-allemand. Ce qu’il a produit depuis juin 2012 – date du premier Conseil européen auquel le nouveau Président de la République a participé – est le meilleur témoignage de son bon fonctionnement. C’est à l’occasion de ce Conseil européen de juin 2012 que le Pacte de relance pour la croissance et l’emploi a été adopté. Il a doté l’Europe de 120 milliards d’euros supplémentaires. Ce n’était pas à l’époque une demande de l’Allemagne ; cela a d’ailleurs permis de rééquilibrer le traité budgétaire, accepté par l’ancienne majorité et que nous avons assorti du Pacte de relance pour la croissance et l’emploi.
Au cours de ces dix-huit derniers mois, le binôme franco-allemand a également permis l’augmentation de capital de la Banque européenne d’investissement à hauteur de dix milliards d’euros. Jamais, en cinquante-cinq ans d’existence, le capital de la BEI n’avait été augmenté : c’est le fruit des discussions entre la France et l’Allemagne.
Je pourrais vous parler aussi de la lutte contre l’évasion fiscale…
M. Alain Bocquet. Il y a du boulot !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. …au sujet de laquelle les discussions étaient arrêtées depuis sept ans. Elles ont été rouvertes : à la fin de l’année 2013, une directive nous permettra de disposer d’informations que les banques devront systématiquement transmettre en cas d’injonction de la part, par exemple, de Bercy.
À cela s’ajoutent la supervision bancaire, la recapitalisation directe des banques par le MES, le mécanisme de résolution unique, l’accord sur la taxe sur les transactions financières dans les mois qui viennent, Erasmus – dont le budget passe de huit à 16 milliards d’euros –, l’initiative pour l’emploi des jeunes, l’acceptation par l’Allemagne de discuter d’indicateurs sociaux dans les politiques de l’Union économique et monétaire et l’accord signé par l’Allemagne le 30 mai de cette année pour entamer des discussions sur le salaire minimum.
Oui, la nature de la discussion entre la France et l’Allemagne a changé : c’est normal, puisqu’il y a un nouveau Président de la République en France qui n’a pas les mêmes orientations qu’Angela Merkel.
M. Philip Cordery. Heureusement !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Il a fallu trouver de nouvelles modalités de travail. Mais toutes ces avancées sont à mettre à l’actif d’une vraie volonté de travailler à deux pour faire progresser l’Europe à vingt-huit. Les chiffres et les éléments que je vous donne sont incontestables.
Cela montre que l’Europe avance. C’est aussi peut-être le fruit de la récupération par la France de son rôle de leader sur la scène européenne et dans les débats du Conseil européen.
S’agissant de la politique de sécurité et de défense commune évoquée par Mme Ameline, il y aura un sommet au mois de décembre prochain, au cours duquel nous parlerons des institutions et des opérations. Il permettra de réfléchir à la mise en œuvre opérationnelle de la politique européenne de sûreté, notamment maritime, à l’élaboration d’une approche pour la gestion et la surveillance des frontières, et aussi à question de la politique de sécurité dans les Balkans après le départ des troupes de la KFOR.
Ce sommet de décembre sera aussi l’occasion de voir comment mutualiser nos capacités – dans le domaine des avions ravitailleurs, par exemple. Mais cela concerne également, en matière de politique industrielle, la facilitation des modalités d’un soutien aux PME sur les marchés de l’armement, ou la mutualisation des programmes de recherche que nous ne pouvons plus assumer seuls : je pense à la question des drones.
Plusieurs d’entre vous ont fait référence à la contribution de 1,8 milliard d’euros supplémentaire en 2013. Cette contribution, établie via des budgets rectificatifs, est le résultat de l’absence d’anticipation par le passé, les budgets n’étant pas à la hauteur des factures à payer. Cette sous-estimation de la participation du budget national au budget européen a été criante en 2012, année électorale. Diminuer le montant du budget européen servant de référence dans la négociation du cadre financier 2014-2020, voilà quel était l’objectif de la précédente majorité, qui voulait faire des coupes sombres dans les politiques européennes.
M. Thierry Mariani. C’est toujours de notre faute !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. La dimension sociale de l’Union économique et monétaire – et je finirai par le sujet de Lampedusa – est vraiment celle qui a été oubliée au cours des dernières années. Je ne suis pas là pour être le porte-parole de ce qui a été fait, mais plutôt celui de ce que nous souhaitons faire, après le changement de majorité.
Cette dimension sociale, madame la présidente Guigou, est tout à la fois une exigence sociale, un impératif politique et une nécessité économique pour la zone euro. Il est important de démontrer que l’action de l’Union contribue à protéger et à faire avancer les droits sociaux. Si nous n’y arrivons pas, les peuples rejetteront l’intégration de l’Union économique et monétaire. La Commission, répondant à une demande de la France, a présenté une communication sur la dimension sociale de l’UEM il y a trois semaines. C’était la première fois que cela arrivait. Cela n’a pas été facile : le président de la Commission lui-même n’y était pas très favorable, vous l’avez rappelé. Sur la base de cette communication, le Conseil européen du 24 et 25 octobre a décidé d’intégrer aux travaux du semestre européen le tableau de bord social que propose la Commission dans sa communication du 2 octobre, afin que les analyses de la situation des États membres ne reposent plus exclusivement sur la seule dimension économique.
Nous sommes également très favorables à une association plus étroite des syndicats et des organisations d’employeurs, au niveau européen comme au niveau national, à la définition de la mise en œuvre des recommandations stratégiques au cours du semestre européen. Au-delà, nous continuons à travailler à une convergence sociale par le haut : celle-ci passerait notamment par la mise en place de salaires minimums définis au niveau national, qui garantiraient un taux d’emploi élevé et des salaires équitables.
Nous nous efforçons depuis plusieurs mois à faire adopter d’ici à quelques semaines – je l’espère – une directive sur les travailleurs détachés, qui devrait mettre fin au contournement scandaleux d’une directive de 1996, qui aurait dû garantir que tout salarié sur le territoire national bénéficie du droit du pays dans lequel il travaille, et non de celui dont il provient.
Nous n’avons pas aujourd’hui de majorité qualifiée, mais nous avons espoir de convaincre suffisamment de pays pour disposer avant la fin de l’année 2013 d’une boîte à outils permettant des contrôles rigoureux et la mise en place d’une responsabilisation conjointe et solidaire des entreprises. Car si ces distorsions de concurrence existent, c’est aussi parce que certaines entreprises ont tout intérêt à les promouvoir sur leurs propres chantiers. Les plus grands scandales découverts concernent de très grandes entreprises françaises ayant accepté de faire de la sous-traitance multiple tout en sachant que, tout au bout de la chaîne, ceux qui travaillent sur le chantier ne sont pas payés au salaire minimum, ce qui devrait pourtant être exigé par la France.
Si nous arrivons à mettre en place cette responsabilité conjointe et solidaire, nous aurons fait un grand pas en avant.
Mon dernier point concerne Lampedusa et Malte. Oui, à la demande de la France et de l’Italie, cette question a été à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 octobre.
Il a été décidé qu’une action déterminée serait menée autour de trois priorités : premièrement, la solidarité, qui se traduit par un soutien aux États membres accueillant le nombre le plus élevé de migrants. Ils bénéficieront notamment d’une aide financière nouvelle et spécifique, afin de contribuer au sauvetage des personnes ou à leur premier accueil. Cette solidarité s’entend également avec les pays tiers, avec lesquels nous favorisons la recherche de solutions plus durables en accordant une attention renouvelée aux programmes de développement et de renforcement de la stabilité.
La deuxième priorité est la prévention dans les pays d’origine et de transit par des actions à la source des migrations et de protection des réfugiés : cela passe notamment par une coopération avec le Haut Commissariat aux réfugiés et l’Organisation internationale pour les migrations.
La troisième priorité est la protection, qui passe par une lutte renforcée contre la traite des êtres humains. Pour cela, les moyens affectés à FRONTEX seront renforcés. De même, les coopérations judiciaires et policières seront nécessairement renforcées afin de lutter contre les trafics et les passeurs.
Nous voilà loin, mesdames, messieurs les députés, du sujet purement budgétaire sur lequel nous étions invités à échanger ce soir, mais la contribution budgétaire n’a de sens qu’en se projetant dans une perspective politique, ce que j’ai essayé de faire devant vous ce soir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Philip Cordery. Très bien !
Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le ministre.
Nous en arrivons aux questions.
Je vous rappelle que la durée des questions ne doit pas excéder deux minutes et que le ministre dispose lui aussi deux minutes pour répondre. Néanmoins, si aucun groupe n’y voit d’objection, nous pourrions autoriser les orateurs qui ont présenté deux questions à les poser l’une à la suite de l’autre, et le ministre à enchaîner ses deux réponses. Cela pourrait donner un caractère plus tonique à notre débat. Mais je ferai scrupuleusement respecter les temps de parole cumulés.
M. Alain Bocquet. Très bien, madame la présidente ! Enchaînons, enchaînons !
M. Avi Assouly. Excellente initiative !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Annick Girardin. Monsieur le ministre délégué aux affaires européennes, j’ai effectivement deux questions. Je les avais déjà présentées lors de notre dernière table ronde relative au semestre européen ; j’avais eu la réponse de M. Barnier, mais pas la vôtre. Je vous les repose donc rapidement.
La première porte sur le calcul du déficit structurel. Lors de la dernière table ronde, Michel Barnier nous a assuré que les méthodes de calcul étaient homogénéisées, sous la surveillance d’Eurostat. Soit. Mais le calcul du déficit structurel repose sur le calcul de la croissance potentielle. Or, il n’est pas impossible – et c’est ce que craint le Haut conseil des finances publiques – que la croissance potentielle soit surestimée, pour la simple raison qu’elle prend insuffisamment en compte la dégradation des capacités productives des pays, qui est certainement intervenue en raison de la crise.
Ainsi, monsieur le ministre, pourriez-vous indiquer à la représentation nationale si un pays européen a déjà pris en compte une baisse de ses capacités productives dans le calcul de la croissance potentielle ?
Ma seconde question, beaucoup plus courte, porte sur la loi de programmation des finances publiques. Il semble possible que le Gouvernement français présente au printemps une nouvelle loi de programmation, à peine un an et demi après l’adoption de la précédente, afin d’éviter la mise en œuvre d’un mécanisme de correction.
Connaissez-vous un pays soumis au TSCG, qui a déjà changé son objectif de moyen terme afin d’éviter le déclenchement d’un mécanisme de correction ? La France serait-elle le premier pays européen à faire ainsi ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Madame la députée, ma réponse sera très rapide. Vous parlez de l’estimation de la croissance potentielle : par définition, la croissance potentielle prend en compte l’estimation de la dégradation des capacités productives. La réponse est dans le contenu de votre question : par construction, je réponds donc oui. Mais je n’ai pas connaissance de pays qui auraient été dans la situation à laquelle vous faites référence ce soir.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, pour poser ses deux questions.
M. Gaby Charroux. Ma première question concerne le Fonds européen d’aide aux plus démunis, le FEAD.
La disparition programmée du programme européen d’aide aux plus démunis, à la suite des pressions allemandes contestant sa légalité, avait provoqué un vif émoi en Europe. C’était un coup de poignard contre les 240 banques alimentaires et associations de solidarité fournissant une aide alimentaire à 13 millions de personnes à travers l’Union européenne. L’indignation et la forte mobilisation des citoyens européens ont obligé le Conseil à relancer un programme d’aide alimentaire avec le nouveau Fonds d’aide européen aux plus démunis.
Ce nouveau fonds est à l’image du mauvais compromis trouvé sur le budget européen 2014-2020 : il ne devrait s’élever qu’à 2,5 milliards d’euros, hors contributions volontaires, pour la période 2014-2020, contre 3,5 milliards sur la période 2007-2013.
Ceci est d’autant plus inquiétant que l’on sait que la Commission ambitionne de confier en plus à ce fonds la fourniture de biens matériels de première nécessité – vêtements, chaussures, etc. –, sans moyens supplémentaires, alors que les associations bénéficiaires vont déjà devoir se battre ne serait-ce que pour maintenir un niveau d’aide alimentaire équivalent, dans un contexte d’explosion des situations de grande précarité.
Cerise sur le gâteau, il semble que la Commission ait suggéré que l’aide du programme ne soit prise en charge par l’Union européenne qu’à hauteur de 85 %… Cette proposition de cofinancement conduit de fait plusieurs organisations incapables de fournir les 15 % restant à rester en dehors du programme, ce que nous ne pouvons accepter. Nous souhaitons également que ce soit les associations et les autorités locales qui aient le pouvoir de décision sur les personnes à qui doit parvenir l’aide.
Monsieur le ministre, quelles initiatives seront prises par le Gouvernement sur ce sujet sensible pour faire entendre avec plus de force la voix de la France ?
Ma seconde question porte sur l’Europe sociale et les politiques d’investissement.
Deux visions de l’Europe semblent actuellement s’affronter : d’un côté, celle qui veut imposer la rigueur à l’Europe pour contribuer aux efforts budgétaires nationaux ; de l’autre, celle qui veut faire du budget européen un instrument de solidarité entre Européens et milite pour une plus grande mutualisation des investissements d’avenir pour, justement, réduire les dépenses nationales.
Quant à l’objectif de promouvoir le modèle social européen, avec sa protection sociale, ses services publics et ses politiques industrielles, force est de constater qu’il a disparu de l’agenda.
La vision dominante à Bruxelles, nous le constatons depuis des années, est celle d’une Europe libérale, dont l’objectif est d’adapter les sociétés européennes aux exigences de la mondialisation. La prééminence du droit de la concurrence sur les réglementations nationales et sur les droits sociaux a mis en concurrence les salariés européens. La concurrence sociale et fiscale a contribué à faire pression sur les dépenses sociales.
La liberté de circulation des capitaux a soumis le tissu productif européen aux contraintes de valorisation des capitaux internationaux. Pour que l’Europe réussisse à promouvoir, au lieu de la politique de concurrence actuelle, une « harmonisation dans le progrès » et la mise en place d’objectifs communs, à portée contraignante, en matière de progrès social comme en matière macroéconomique, il importe que notre pays prenne des initiatives.
Face à une majorité conservatrice qui maintient l’union dans la crise et le budget européen dans le cercle vicieux de l’austérité, quelles initiatives notre gouvernement entend-il prendre pour relancer le projet d’Europe sociale et les grandes politiques d’investissement, alors que les fonds alloués, par exemple, aux grands travaux d’infrastructures, ont perdu 20 milliards d’euros sur les 50 réclamés ?
M. Alain Bocquet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le député, votre première question porte sur le Fonds européen alimentaire aux plus démunis, et l’autre sur les moyens dont pourrait se doter l’Union européenne pour conduire une politique de relance économique en respectant une dimension sociale qui, je vous rejoins sur ce point, lui a fait défaut au cours des dernières années.
Je vous confirme de nouveau ce soir, afin d’éviter toute ambiguïté, que le FEAD, tel qu’il sera voté, donc sur la base de 2,8 milliards auxquels s’ajoutera 1,1 milliard à titre volontariste, permettra d’assurer que les associations, qui mettent en place sur le territoire national cette solidarité à l’égard des familles qui en ont besoin, seront bien dotées d’une somme de 75 millions d’euros par an pendant la période 2014-2020. C’est donc autant, et pas moins, que ce qu’elles recevaient par le passé.
Nous partons de loin : la décision avait été prise de supprimer totalement l’accompagnement de l’Union européenne à partir du 31 décembre 2013. Nous sommes revenus sur cette décision. Vous avez fait référence à l’élargissement du champ d’utilisation de cet argent à la fourniture de biens de consommation non alimentaires tels que les vêtements ou au financement de mesures d’accompagnement destinées à la réinsertion sociale des personnes les plus démunies. Nous avons accepté cet élargissement pour qu’une majorité de pays accepte de rouvrir le débat, alors interrompu, sur le FEAD. Mais cela ne veut pas dire que nous ferons usage de cette possibilité en France : les associations continueront, dans notre pays, comme elles l’ont fait pas le passé, à accompagner les plus démunis et à leur permettre de se nourrir convenablement en fin de mois.
S’agissant de l’Europe sociale et des moyens attribués à l’Union européenne en termes de relance économique, je peux vous assurer que, sur la période 2014-2020, la France se tournera de nouveau vers les grands chantiers créateurs d’emplois non délocalisables : ils seront totalement maintenus. Nous avons perçu pour la période 2007-2013, un peu plus de 14 milliards d’euros ; le budget voté par le Parlement européen affectera 16 milliards d’euros aux fonds structurels affectés à la France. Ce à quoi il convient d’ajouter la ligne budgétaire liée aux mécanismes d’interconnexion européens en matière de transport, ce qui nous fait une somme globale d’environ 28 milliards d’euros. Parmi ces grands chantiers, la France en compte au moins deux projets fondamentaux que de nombreux pays nous envient : une liaison fluviale avec le canal Seine-Nord – un de vos collègues, M. Pauvros, dirige actuellement la mission de reconfiguration du projet – et la liaison ferroviaire Lyon-Turin dont la réalisation est liée à un accord entre la France et l’Italie que vous serez amenés à ratifier ces prochains jours.
Au-delà même de ces 28 milliards d’euros, nous sommes effectivement engagés dans une réorientation de l’Union européenne sur une dimension qui jusqu’alors lui a fait grandement défaut, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure en parlant des marqueurs sociaux. Nous voulons qu’il y ait des salaires minimums dans tous les pays de l’Union européenne, qu’il y ait des règles pour lutter contre le dumping social, le travail low cost qui s’est développé au cours de ces dernières années. Il est au moins une chose que nous pouvons faire sans attendre : faire en sorte que, le 25 mai prochain, une nouvelle majorité se dégage au Parlement européen, et aussi d’autres majorités dans d’autres pays de l’Union européenne. Car ce n’est pas la Commission qui est responsable de la situation que vous décrivez : la Commission ne fait qu’exécuter une orientation politique décidée ces dernières années par des chefs d’État et de gouvernement, majoritairement libéraux, pour reprendre votre expression. Nous devons donc travailler ensemble.
M. Philip Cordery. Absolument !
M. Gaby Charroux. Tout à fait !
Mme la présidente. Je vous invite, mes chers collègues, monsieur le ministre, à respecter, tout en étant précis, les deux minutes qui vous sont imparties par question.
Nous en venons aux questions du groupe SRC.
La parole est à M. Christophe Caresche.
M. Christophe Caresche. Je reviens sur le cadre financier pluriannuel. On sait que sa négociation a été extrêmement laborieuse. Quoi qu’on en dise, ce cadre marque en réalité, en euros constants, par une baisse par comparaison avec le précédent. Nous avons pourtant besoin d’un budget offensif et capable d’impulser une relance dans cette situation particulière de crise que connaît l’Europe. Or ce budget sera sans doute insuffisant même si, et vous avez insisté sur ce point, monsieur le ministre, la flexibilité permet des marges de manœuvre qui n’existaient pas auparavant.
Une clause de révision a été négociée pour 2016. Elle peut sans doute permettre, comme son nom l’indique, de réviser la situation dans un sens positif. Comment la France se positionne-t-elle par rapport à ce rendez-vous ? Envisage-t-elle de faire part de sa réflexion sur la structure du budget s’agissant des recettes, mais aussi des dépenses, qui devraient être davantage tournées vers l’innovation ? J’ai lu que Bercy réfléchissait à ces questions. Où en est la réflexion du Gouvernement ? Comme se positionne-t-il face à cette échéance qui permettra peut-être d’apporter des réponses plus positives qu’elles ne l’ont été dans ce cadre financier pluriannuel ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le député Caresche, je vous confirme que la France aurait préféré que le budget qui sera soumis au vote du Parlement européen soit plus important.
Mme Estelle Grelier. Très bien !
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Je rappelle simplement que nous nous sommes initialement engagés dans les négociations avec une proposition de budget, de la part des pays les plus « radins », passez-moi l’expression, de l’ordre de 800 milliards d’euros en crédits de paiement. Après des semaines de négociations, nous avons fait remonter la barre de 800 à 908 milliards d’euros. Ce n’est certes pas le niveau souhaité par la Commission européenne : pour y parvenir, il aurait fallu qu’une majorité d’État nous suive. Cela représente tout de même une dépense de 50 milliards de plus que sur la période 2007-2013.
La France a accepté, à la demande du Parlement européen, que des éléments de souplesse soient introduits dans le budget 2014-2020. Cela pourra se traduire par une flexibilité entre lignes budgétaires : si des crédits ne sont pas consommés, des reports seront possibles d’une année sur l’autre. Nous avons aussi entendu le Parlement européen qui a jugé que 6 milliards d’euros en faveur des jeunes, ce ne serait peut-être pas suffisant pour 2014-2015, et qu’il faudrait peut-être prévoir 2 milliards supplémentaires en 2016. Nous nous sommes déclarés disposés à discuter de cette possibilité. Reste que les orientations arrêtées dans le cadre de ce débat à mi-étape dépendront de deux facteurs politiques : la situation économique de l’Europe à ce moment-là et de la majorité qui siégera alors au Parlement européen. Cette dimension est fondamentale, car si nous avons voulu cet élément de souplesse, c’était aussi pour ne pas totalement obérer un budget qui aurait été voté par un Parlement d’une couleur politique donnée et qu’aurait dû exécuter sans rien pouvoir y changer le futur Parlement, tel qu’il sera issu du suffrage universel le 25 mai prochain. La France a été un des pays à accepter et même à soutenir la flexibilité voulue par vos collègues du Parlement européen.
M. Philip Cordery. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Savary.
M. Gilles Savary. Monsieur le ministre, nous venons de vivre en Bretagne des événements qui sont, d’une certaine manière, en relation avec le débat de ce soir. Ce n’est pas simplement parce que l’écotaxe s’inspire de la directive dite « Eurovignette », mais parce qu’elle est devenue le bouc émissaire d’un autre problème européen autrement plus sérieux pour les Bretons et pour notre industrie que l’écotaxe qui n’entraînera qu’une hausse de 0,3 % sur les prix.
L’écotaxe est donc devenue le bouc émissaire d’une souffrance sociale et économique de la Bretagne, souffrance liée, pour une bonne part, à la concurrence illégale et au dumping social auxquels se livrent en toute licéité juridique des pays qui n’ont pas de différentiels sociaux naturels : je pense à l’emploi massif de main-d’œuvre low cost dans les abattoirs allemands, qui a en quelques mois, terriblement déstabilisé la filière agroalimentaire bretonne.
Vous parliez tout à l’heure de salaire minimum. Nous avons proposé, ici même, de fixer un salaire minimum de référence en Europe, filière par filière, à défaut de pouvoir en imposer un pays par pays. Nous devons progresser rapidement dès lors que les faits sont avérés. Puisque vous parliez de l’avancement de ces réflexions, ce qui est totalement nouveau à l’échelle européen, avez-vous bon espoir de les voir prospérer ? Pensez-vous qu’elles pourront être mises en œuvre rapidement ?
Je vous poserai une question encore plus brutale : pourquoi la France n’intente-t-elle pas un recours contre l’Allemagne devant la Cour de justice de l’Union européenne, comme l’a fait, par exemple, la Belgique, elle aussi très déstabilisée, afin de pouvoir négocier rapidement sur un sujet très urgent ? Il est des moments où l’on ne peut pas se complaire dans la naïveté et persister à vouloir entretenir une amitié franco-allemande aveugle dès lors qu’elle sape un certain nombre de nos fondamentaux économiques. Je n’irai pas jusqu’à soutenir pour autant que les problèmes bretons ne sont liés qu’à cette question ; mais elle est terriblement délétère et elle dresse les ouvriers de ces pays les uns contre les autres, ce qui ne correspond pas à mon idéal européen et à mes engagements personnels.
M. Philip Cordery et Mme Chantal Guittet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le député Savary, faut-il aller au bras de fer ? Faut-il tenter de convaincre, d’emporter l’adhésion et d’être plusieurs à faire évoluer la situation ? Vous mesurez très bien, considérant votre implication à l’échelle européenne, que l’existence du couple franco-allemand est fondamentale pour résoudre un certain nombre de problématiques. Nous privilégions cette dimension du travail en commun y compris lorsqu’il s’agit de lutter contre le dumping social et de parvenir à la convergence sociale par le haut.
Ajoutez à cela que le moment est particulier : tout laisse à penser que les discussions visant à la constitution d’un nouveau gouvernement de grande coalition en Allemagne sont également un instant privilégié pour progresser sur un certain nombre de sujets bloqués ces dernières années. Je ne peux évidemment pas tout dire des négociations entre partenaires franco-allemands ; je peux simplement vous indiquer que nous avons eu la semaine dernière, les 24 et 25 octobre derniers, en marge du Conseil européen réunissant des chefs d’État et de gouvernement, des échanges à un très haut niveau sur la question du salaire minimum. On sent une réelle volonté de progresser, y compris de la part de la chancelière – elle y est sans doute aidée par le SPD, formation très sensible à la fixation d’un salaire minimum par filière. Il n’est, en effet, pas dans la tradition des Allemands de créer un SMIC, sachant que le dialogue social est beaucoup plus fort chez eux qu’en France. Nous avons ainsi choisi non pas la voie contentieuse, mais celle du dialogue. J’ai bon espoir, monsieur le député, que les choses débouchent assez rapidement et que nous parvenions à nous accorder au cours de cette législature européenne, autrement dit avant le mois de mai prochain.
Les choses avancent bien, y compris sur la directive « travailleurs », pour laquelle nos amis allemands sont sur nos positions, ce qui n’est pas le cas de nos voisins anglo-saxons.
L’Europe sera également aux côtés de la Bretagne. J’ai passé la journée hier avec le préfet de région pour voir comment elle pouvait se mobiliser, à travers des outils financiers budgétaires dont elle dispose, pour accompagner la Bretagne dans ce moment difficile, avec notamment les fonds structurels, qui devront être fléchés dans le cadre des programmes opérationnels sur des restructurations, la mobilisation de la Banque européenne d’investissement, voire des project bonds.
Vous voyez, une question générale peut amener à des réponses très précises sur un dossier sur lequel la France se mobilise pour cette région Bretagne.
M. Avi Assouly. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Philip Cordery.
M. Philip Cordery. Le débat sur les enjeux budgétaires européens appelle la question plus large des ressources propres de l’Union européenne.
Une Europe forte doit s’appuyer sur des politiques ambitieuses. Or cela nécessite un budget conséquent. Il n’est pourtant pas envisageable de demander un effort supplémentaire aux citoyens européens. La contribution des États ne pourra pas être augmentée, les budgets nationaux étant déjà le résultat d’équilibres et d’arbitrages financiers toujours douloureux.
L’Union se doit donc de trouver de nouvelles ressources pour avancer sur un projet au service des Européens. Cela représente une vraie chance pour fédérer un peu plus les citoyens autour du projet européen.
La taxe sur les transactions financières, revendication de longue date de notre groupe, est aujourd’hui une réalité. Le périmètre de cette taxe est encore à définir et plusieurs questions essentielles restent en discussion : le principe d’origine, essentiel pour inclure les produits dérivés qui sont taxés sur des marchés de gré à gré et qui ne donnent pas lieu à émission ; la taxation de chaque transaction, qui permettrait au dispositif de jouer pleinement son effet régulateur, en particulier sur les transactions à haute fréquence ; la taxation de tous les acteurs, vendeurs et acheteurs, entre maisons mères et filiales ; l’inclusion, enfin, des dettes souveraines, des opérations de pension et des fonds de pension.
Son principe est acté et nous comptons au groupe socialiste sur un accord et une mise en œuvre rapide. C’est donc avec stupéfaction que nous avons entendu les récentes déclarations du gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, remettant en cause la création d’une telle taxe. Pourriez-vous nous confirmer l’engagement de la France sur la création d’une taxe sur les transactions financières ?
Par ailleurs, quelle est la position du gouvernement sur l’affectation de tout ou partie du produit de cette taxe au financement du budget européen ? Le principe de la taxe n’ayant été acté que par onze États membres, comment cela pourra-t-il s’articuler avec les autres contributions au budget européen ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. C’est une question fondamentale que celle de l’émergence à terme d’une ressource propre pour l’Europe, et peut-être, dans un premier temps, pour la zone euro : car il faut se projeter dans l’avenir et songer à une intégration plus poussée d’un certain nombre de pays qui veulent aller plus loin alors que certains ne sont pas prêts aujourd’hui à franchir le pas, notamment lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières européennes. Non seulement c’est un projet ambitieux, mais c’est, je vous le confirme, une priorité du Gouvernement français : le but est non seulement de dissuader la spéculation, mais également de créer des ressources nouvelles au service de l’économie réelle.
Cette coopération renforcée, qui concerne onze États membres, a été adoptée en janvier 2013. Elle constitue un progrès majeur dans la mise en œuvre de cette taxe. Ce sont d’ailleurs la France et l’Allemagne qui en ont pris l’initiative dans une lettre produite conjointement.
Les discussions sont toujours en cours sur le projet présenté par la Commission, qualifié d’inacceptable, me semble-t-il, par M. Noyer, que nous avons pour notre part jugé pour le moment excessif, en particulier pour ce qui touche à l’assiette de la taxe, que nous souhaitons ambitieuse mais également réaliste. Ces discussions prennent légitimement du temps. Nous voulons éviter tout effet pervers sur le financement de notre économie, mais nous devons donner corps dans les meilleurs délais possibles à l’engagement pris par le Président de la République sur ce sujet.
Quant à l’affectation des ressources de la taxe, il est trop tôt pour en discuter. Nous ne pourrons en effet en débattre que lorsque l’assiette de la taxe sera établie et que nous disposerons d’une estimation raisonnable des recettes attendues.
La réflexion sur l’avenir des ressources propres sera lancée par un groupe interinstitutionnel. Il lui appartiendra d’étudier toutes les hypothèses sans exclusive. Nous avançons. Nous voulons une ressource spécifique qui nous permettra sans doute un jour de lever l’emprunt sur la zone euro mais, nous ne voulons pas déstabiliser les capacités de refinancement de notre pays par le ciblage de tel ou tel produit par la taxe. Il faut trouver en quelque sorte le juste équilibre pour les onze pays qui acceptent aujourd’hui de travailler ensemble. Les choses avancent, Pierre Moscovici y passe beaucoup de temps et y met une grande conviction.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven.
M. Jean-Luc Bleunven. Le budget 2014 proposé par la Commission suscite cette année moins de débats puisque la négociation intervient après celle du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Néanmoins, ce budget n’est pas dénué d’intérêt puisqu’il est le premier de ce nouveau cadre financier. Nous pouvons donc considérer qu’il posera les bases en termes de programmation, de montant et de ventilation des crédits européens pour les prochaines années.
Le total des ressources propres que la France devrait mettre à disposition du budget européen est estimé pour l’année 2014 à 22,2 milliards, soit 16,4 % du total du budget de l’Europe, et 7,8 % des recettes fiscales nettes françaises. Hors ressources propres directement versées à l’Union, notre prélèvement européen est évalué à un peu plus de 20 milliards d’euros.
Concrètement, la contribution française est en progression, alors que son solde net, c’est-à-dire la différence entre sa participation au budget européen et les dépenses réalisées par l’Union sur son territoire, ne cesse de se dégrader. La France est ainsi devenue le vingtième bénéficiaire européen en termes de retour par habitant.
Bien entendu, les bénéfices de l’action européenne en faveur de la France ne peuvent être réduits à cette simple analyse comptable. En outre, notre prélèvement doit être mis en perspective avec le principe de solidarité qui permet les transferts vers les États membres les moins favorisés.
Cependant, si le système de ressources du budget européen reste inchangé, le solde net de notre pays va poursuivre sa dégradation, alors que notre contribution au financement des mécanismes de correction est particulièrement forte. Dans le contexte actuel, cette situation devient difficilement soutenable.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite savoir quelles sont les mesures proposées par notre Gouvernement pour permettre une réforme des ressources propres de l’Union, qui pourrait venir corriger cette situation.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. La question de l’avenir des ressources propres est effectivement cruciale, monsieur le député. Il est en effet devenu évident avec le temps que le système voulu par les pères fondateurs de l’Europe a été doublement altéré, altéré parce que les ressources RNB et TVA sont en réalité des contributions budgétaires des États membres, et altéré parce que la multiplication des mécanismes dérogatoires, au premier rang desquels figure notamment le chèque britannique, rend le système opaque et injuste. Il ne s’adosse pas en fait à la capacité contributive des États membres.
Il a donc été acté la mise en place à un haut niveau d’un groupe sur les ressources propres de l’Union européenne, composé de représentants des trois institutions, le Conseil, la Commission et le Parlement européen, initiative que soutient d’ailleurs totalement la France. L’objectif de ce groupe est d’examiner le système actuel des ressources propres et de proposer une évolution tenant compte des principes de simplicité, de transparence, d’équité. À cette occasion, les ressources actuelles, notamment celles qui sont assises sur la TVA, seront évaluées. Tous les autres mécanismes de financement, comme la taxe sur les transactions financières, seront également étudiés de manière approfondie.
Néanmoins, et je partage votre analyse, nous ne pouvons pas considérer uniquement le bénéfice net, car nous savons vous et moi que l’appartenance à l’Union européenne procure à notre pays des facilités et un développement économique auxquels nous ne pourrions prétendre si nous n’étions pas dans un système communautaire solidaire. Nous sommes plus forts à vingt-huit que nous ne le serions tout seuls dans la compétition mondiale. Nous ne pouvons pas non plus vraiment mesurer quels sont les apports par exemple de la Banque européenne d’investissement, qui va prêter à la France 7 milliards d’euros cette année, contre 4,5 milliards l’an dernier : c’est dire si la progression est forte. Nous ne pouvons pas davantage apprécier précisément les incidences de tous les grands projets financés par les project bonds.
Une réflexion est en cours et des propositions seront faites, mais nous devons toujours garder à l’esprit ce que nous apporte bien plus globalement la construction européenne, au-delà du chèque que nous devons verser.
Mme la présidente. Nous passons à une question du groupe UMP.
La parole est à M. Thierry Mariani.
M. Thierry Mariani. Comme l’a souligné Mme Guigou, ce que vous avez d’ailleurs confirmé, monsieur le ministre, chacun a conscience que la question de la perméabilité de nos frontières et de l’efficacité des contrôles est inéluctable. Je ne vais pas rappeler les drames que nous avons connus ces dernières semaines à Lampedusa, Laurent Fabius a lui-même appelé à instaurer un meilleur contrôle aux frontières des pays européens.
Lors du sommet des 24 et 25 octobre dernier, les dirigeants européens n’ont fait qu’une simple déclaration pour annoncer leur intention de renforcer les moyens de FRONTEX, l’agence chargée de gérer la coopération aux frontières extérieures de l’Union, alors qu’il y a à mon avis urgence. Cette annonce est d’ailleurs pour le moins incohérente puisque, en février dernier, le budget de FRONTEX subissait des restrictions budgétaires. Cette diminution du budget de la sécurité intérieure était, soit dit en passant, d’autant plus inacceptable que les dépenses administratives, de leur côté, progressent !
De toute évidence, nous sommes en droit de demander aux instances européennes un contrôle efficace contre l’immigration clandestine étant donné l’importance de la contribution française au budget européen. Ma question est donc double : comment le Gouvernement entend-il agir auprès des institutions européennes pour renforcer les moyens alloués à Frontex ? Pouvez-vous nous assurer que le renforcement du budget de Frontex ne se fera pas en contrepartie d’une nouvelle hausse de la contribution française ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Je vous remercie, monsieur le député, de l’esprit dans lequel vous posez votre question, sur un sujet très douloureux, lié – mais pas exclusivement – aux drames de Lampedusa et de Malte.
Lors du conseil des 24 et 25 octobre, il a été décidé de scinder la question en deux. Il faut, en effet, d’une part, permettre de façon urgente à FRONTEX et à EUROSUR d’être plus opérationnels pour répondre à cet afflux conjoncturel d’immigrés qui espèrent trouver un eldorado dans notre continent européen, qu’ils ne trouveront d’ailleurs pas forcément, et, d’autre part, lancer une réflexion sur une politique migratoire à l’échelle de l’Union européenne. Un rendez-vous est pris pour juin 2014, dans six mois. Je ne suis pas sûr que cela suffise pour déterminer à vingt-huit une politique migratoire sur un sujet aussi sensible, mais c’est déjà un premier pas.
Les moyens de FRONTEX seront renforcés au conseil du mois de décembre 2013. Des propositions ont été faites. Cela se fera par redistribution sur des lignes budgétaires de l’Union européenne, sans faire davantage appel à la contribution, même si nous avons dit que nous étions d’accord pour abonder d’une vingtaine de millions d’euros les crédits nécessaires pour l’accueil de migrants, notamment de l’autre côté de la Méditerranée, au plus près des pays où ils habitent : certains franchissent en effet la Méditerranée faute de pouvoir être accueillis dans des structures d’hébergement. Nous préférons donc accompagner les structures qui sont sur place, comme en Jordanie et au Liban, où il y a des demandes. Nous aurons donc de nouveau une discussion en décembre prochain pour voir l’opérationnalité de FRONTEX et d’EUROSUR, mais cela ne se fera pas sur la base d’une contribution supplémentaire.
Un petit mot enfin, car je sais que ces questions vous intéressent, à juste titre, sur la perméabilité ou non de nos frontières. Une petite réforme de Schengen est intervenue cet été, mais est un peu passée inaperçue : elle permet aux pays de l’Union européenne de remettre en place un système de contrôle des frontières au sein même de l’Union, pas sur les frontières extérieures, si d’aventure, pour des raisons exceptionnelles, on constatait un afflux exceptionnel de migrants ou de réseaux de passeurs dans tel ou tel pays de l’Union européenne. Cette question, vous l’avez bien compris, reviendra à l’ordre du jour du mois de décembre prochain.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe UDI.
La parole est à M. Charles de Courson.
Peut-être pouvez-vous enchaîner vos deux questions, monsieur le député ?
M. Charles de Courson. Vous me le demandez si gentiment, madame la présidente : comment puis-je refuser ? (Sourires.)
Je poserai deux questions qui ont déjà été, pour partie, évoquées. La première porte sur le problème des règles liées au détachement de travailleurs en Europe, qu’ils soient européens ou extra-européens. Vous l’avez évoqué tout à l’heure à la tribune, monsieur le ministre, vous montrant assez pessimiste quant à la possibilité de trouver une majorité qualifiée au niveau de l’Union européenne. Pouvez-vous nous faire un point précis sur la position du Gouvernement français, et sur le respect à tout le moins des règles existantes du droit européen ? On voit de plus en plus intervenir sur les chantiers, parfois dans la limite de la durée prévue par le droit européen, des sous-traitants qui minent l’équilibre social.
La seconde question, que vous avez indirectement évoquée avec la taxe sur les activités financières, concerne la position du Gouvernement sur cette idée, ancienne, de doter l’Union de vraies ressources propres par le biais d’une fiscalité propre. Vous avez évoqué la taxe sur les activités financières ; le fait de l’avoir créée dans un cadre national s’est traduit par une catastrophe. Le revenu de la taxe introduite en droit français est de 30 à 40 % seulement de l’estimation initiale parce que l’assiette s’est immédiatement délocalisée. Si une telle taxe peut exister, c’est au niveau communautaire ; ceux qui croient qu’elle est possible dans un cadre national se trompent. Pouvez-vous faire le point sur cette idée de ressources propres ? D’autres sont possibles, en particulier la levée, au lieu des actuels reversements, d’un pourcentage de TVA – seul impôt ayant une assiette harmonisée –, avec un taux européen qui serait directement fixé par l’Union.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Je ne développerai pas de nouveau les arguments que j’ai avancés au sujet de la taxe sur les transactions financières. Je me suis sans doute mal exprimé, monsieur le député, car nous ne parlons pas de la taxe mise en place par le précédent gouvernement, qui produit les effets auxquels vous avez fait allusion. Nous cherchons, à onze, et toute la difficulté est là, à déterminer les produits qui seront assujettis à cette taxe – il ne faudrait pas prendre des produits n’existant que dans un seul pays, par exemple en France, sous peine d’affecter la place boursière de Paris. Nous essayons de trouver une assiette commune aux onze pays qui ont accepté, dans le cadre de la coopération renforcée, de mettre cette taxe en place. Ainsi, nous ne la créerons pas tout seuls mais avec les dix autres pays qui se sont mis d’accord pour se doter d’une ressource commune afin de conduire des politiques ensemble, plus probablement au sein de la zone euro. La TTF n’existera qu’à onze, et pas seulement sur le sol national, et nous sommes en train de rechercher à la fois l’assiette et le taux les plus appropriés.
En ce qui concerne les travailleurs détachés, je ne suis pas forcément pessimiste. Je vous ai simplement dit la difficulté de parvenir à un compromis sur une majorité qualifiée. Pour être plus précis, nous travaillons sur les articles 9 et 12 de la directive.
L’article 9 vise à apporter des outils de contrôle performants qui permettent aux agents effectuant ces contrôles sur les chantiers d’avoir la certitude qu’il sera impossible à des entreprises dont le siège se trouve dans un autre pays de l’Union de venir y faire travailler des salariés sans respecter le droit national. Pour cela, nous avons besoin de lister les documents que nous pourrons demander à l’entreprise pour juger de quel contrat relève réellement la situation de tel ou tel salarié. C’est le premier article qui fait difficulté, car les pays qui ne veulent pas de contrôles sont partisans d’une liste très limitée, alors que nous souhaitons une liste ouverte, les contrôles étant actuellement très difficiles.
Le second est l’article 12. Nous souhaitons mettre en place une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre et de l’entreprise attributaire du marché. Il en sera de même pour l’entreprise attributaire à l’égard du sous-traitant qu’elle sera allée chercher, et ainsi de suite : si celui-ci s’en va recourir à un autre sous-traitant, il devra lui aussi s’assurer que les conditions d’embauche respectent bien la législation nationale. Lorsqu’un contrôle révélera un abus manifeste de la directive sur le détachement des travailleurs, les responsables devront en répondre devant un tribunal.
Nous voulons responsabiliser des filières professionnelles qui ont largement utilisé ces dispositifs. Les contrôles qui ont connu le plus grand retentissement en France, pour des distorsions de concurrence du fait du non-respect du statut de travailleur détaché, ont porté sur de très grands chantiers attribués à des majors du bâtiment dont les sous-traitances multiples, à sept ou huit niveaux, aboutissaient au final à trouver sur leurs chantiers des gens travaillant dans des conditions salariales et sociales totalement inacceptables.
Ce sera difficile, je l’ai dit, mais j’ai néanmoins bon espoir que nous trouvions une solution de compromis. Dans les dix premiers jours de décembre, nous devons nous revoir de nouveau. Nous parviendrons sans doute à un compromis qui permettra, par l’article 9, aux pays volontaires de réclamer tous les justificatifs qu’ils souhaitent et, par l’article 12, de poser avec force le principe d’une responsabilité conjointe et solidaire.
Cela étant, nous-mêmes avons intérêt à balayer devant notre porte. Tout le monde croit que les travailleurs détachés viennent d’autres pays de l’Union européenne. Ce n’est pas totalement faux : La première nationalité concernée, ce sont nos amis polonais. Mais la deuxième, c’est la France… Avec des sociétés françaises qui installent une boîte aux lettres dans d’autre pays et embauchent des salariés français qui n’ont jamais quitté la France, mais qui se retrouvent avec un statut de travailleurs détachés parce que leur employeur est une boîte aux lettres installée ailleurs. Nous devons tout à la fois nous donner des moyens de contrôle et passer contrat avec le monde économique. La Fédération française du bâtiment y est favorable, bien que quelques majors traînent un peu les pieds. Mais nous trouverons une majorité pour faire des avancées sur cette question. Nous devrons en même temps nous battre sur celle du salaire minimum, car les deux vont de pair.
Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour le groupe écologiste.
Mme Danielle Auroi. Mme Allain étant fatiguée, je poserai, si vous m’y autorisez, madame la présidente, sa question et la mienne.
La première question est relative à l’indépendance de la recherche en matière de sécurité alimentaire. Je souhaiterais que vous m’éclairiez, monsieur le ministre, sur le budget consacré par l’Union européenne pour permettre une véritable recherche en matière de sécurité alimentaire, conduite par des experts de qualité, indépendants, ayant le temps de réaliser leurs travaux. Je pense notamment à l’Autorité européenne de sécurité des aliments. En effet, les résultats de l’enquête de l’Observatoire de l’Europe industrielle, publiés dans Le Monde la semaine dernière, mettent en lumière l’importance des liens d’intérêt noués entre les experts de l’agence et le monde industriel. Selon cette organisation, 59 % des experts sont en conflit d’intérêts.
Si ces collusions sont déjà connues et ont été dénoncées à maintes reprises par les députés européens, ce chiffre, démontrant l’ampleur exceptionnelle du phénomène, est très préoccupant. L’AESA est prescriptrice en matière scientifique auprès des institutions européennes, notamment concernant les dossiers d’autorisation des OGM, sur lesquels elle doit rendre des avis. À l’attention de ceux qui seraient tentés de répondre qu’il est normal que des passerelles existent, je souligne que des conflits d’intérêts ne sont identifiés que dans des liens avec l’industrie ou leurs lobbies, et non dans le cas d’organisations paysannes ou environnementales. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur les moyens prévus par l’Europe pour garantir à ses citoyens la sécurité alimentaire et environnementale en toute indépendance ?
Ma seconde question porte sur les moyens budgétaires que l’Union doit consacrer à la lutte contre le trafic d’êtres humains, les trafiquants et ceux qui en profitent, ainsi qu’à l’accueil que notre continent devrait réserver à celles et ceux, migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, qui cherchent à rejoindre notre continent dans l’espoir d’une vie meilleure pour eux et leurs enfants, comme le font les Érythréens, tant les conditions de sécurité dans leur pays sont insupportables.
Les chiffres sont terribles : officiellement, 20 000 personnes sont mortes en vingt ans en essayant de mettre le pied en Europe. Désormais, ce sont les réfugiés syriens qui risquent le pire pour échapper à la guerre qui dévaste leur pays. Or, comme dans la plupart des conflits, ce sont les pays voisins qui font preuve de la plus grande solidarité. En l’occurrence, plus de 2,2 millions de Syriens ont trouvé refuge en Jordanie et au Liban. Celles et ceux qui étaient partis en Égypte essaient aujourd’hui de quitter ce pays et deviennent la proie de réseaux de passeurs sans scrupules. Car l’Europe, et en particulier la France, les accueille, c’est le moins que l’on puisse dire, au compte-gouttes.
La Commission européenne a annoncé lundi avoir débloqué une nouvelle enveloppe de 85 millions d’euros pour assister les réfugiés syriens, dont 5 millions pour aider les étudiants de ce pays à poursuivre des études en Europe. Nous pouvons saluer ces efforts, même s’ils sont tardifs. Mais les réponses au coup par coup ne suffisent pas. Certes, les moyens de sauvetage en mer de Frontex doivent être renforcés, vous l’avez dit, pour éviter le drame que nous venons de connaître à Lampedusa, mais il faut également renforcer la capacité de l’Union à poursuivre les trafiquants d’êtres humains et leurs complices. Il nous faut en outre repenser en profondeur la politique migratoire, sans complaisance pour celles et ceux qui jouent avec le feu de la xénophobie.
Que proposez-vous, monsieur le ministre, pour que la politique migratoire européenne soit dotée des moyens nécessaires pour réprimer les trafics sans criminaliser celles et ceux qui cherchent à échapper à la misère, à la répression ou à la guerre ? Alors que la taxe sur les transactions financières semble être dans l’impasse, quels moyens supplémentaires peuvent être débloqués pour accompagner le développement des pays les plus pauvres ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. Madame la députée, je ferai examiner par mes services la situation que vous évoquez dans votre première question, car c’est un sujet que je connais mal. Si j’ai bien compris, vous dénoncez la porosité entre les agences européennes de sécurité alimentaire et le monde de l’agroalimentaire. Vous souhaitez que l’Union européenne s’assure d’une totale indépendance entre ces agences et les industriels du secteur. Les agences, il est vrai, vont souvent chercher les experts là où ils existent, et c’est souvent dans le monde industriel lui-même. Mais je vous apporterai une réponse beaucoup plus précise par écrit.
En ce qui concerne la politique migratoire, je me suis exprimé il y a quelques minutes. Le dernier Conseil des 24 et 25 octobre a acté que nous mettrions à profit quelques mois pour parvenir si possible à une politique migratoire commune à l’échelle européenne d’ici au mois de juin 2014, ce qui est ambitieux, afin d’apporter des réponses durables à la question de l’accueil des populations qui viennent chercher dans l’Union européenne un statut, un développement qu’elles ne trouvent pas dans leurs pays.
Vous avez plus précisément évoqué la situation des Syriens. À l’occasion de ce même Conseil, la France a dit sa disponibilité pour accueillir davantage de réfugiés de Syrie. Nous en accueillons aujourd’hui un peu plus de 3 000, avec un taux de réponses favorables de la part de l’OFPRA, sur le statut de réfugié, de 95 %. Nous avons d’ailleurs annoncé au Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, à Genève, que nous souhaitions travailler avec lui pour offrir dans les meilleurs délais des solutions de réinstallation aux personnes vulnérables, actuellement hébergées dans des camps du HCR aménagés autour de la Syrie.
Nous avons également affirmé notre disponibilité et annoncé que la France était prête à accompagner d’une somme d’environ 20 millions d’euros les efforts actuellement déployés pour accueillir plus dignement les personnes fuyant la guerre et réfugiées dans les pays voisins – Liban ou Jordanie – où elles vivent dans des conditions très précaires. J’ai conscience, comme vous, madame la députée, que nous n’en ferons jamais assez. Voilà pourquoi, après le drame de Lampedusa, nous avons voulu agir en deux temps : celui de l’urgence, nécessaire pour faire face au contrôle et au sauvetage des gens qui traversent la Méditerranée sur des bateaux de fortune, et celui de la réflexion, afin d’élaborer dans les mois qui viennent une politique plus ambitieuse à l’échelle de l’Union européenne.
Mme la présidente. Monsieur le ministre, nous vous remercions.
Le débat sur les enjeux budgétaires européens est clos.
Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Suite de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2014 : examen des crédits de la mission « Défense ».
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 30 octobre 2013, à zéro heure.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron