SOMMAIRE
1. Cessation de mandat et remplacement de députés
M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
M. Kader Arif, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
M. Bernard Cazeneuve, ministre
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
M. le président. J’informe l’Assemblée que le président de l’Assemblée nationale a pris acte de la cessation, le 17 juillet à minuit, du mandat de députée de Mmes Clotilde Valter et Martine Pinville, nommées membres du Gouvernement par décret du 17 juin 2015. Par une communication du ministre de l’intérieur en date du 18 juin 2015, faite en application des articles L.O. 176 et L.O. 179 du code électoral, le président a été informé de leur remplacement par MM. Guy Bailliart et David Comet, élus en même temps qu’elles à cet effet.
J’informe également l’Assemblée que le président a pris acte, en application de l’article L.O. 176 du code électoral, de la cessation, le 17 juillet à minuit, du mandat de député de M. Joël Aviragnet et de la reprise de l’exercice de son mandat par Mme Carole Delga, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin par décret du 17 juin 2015.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi ratifiant l’ordonnance no 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap (no 2989).
M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission mixte paritaire.
M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire du 16 juillet sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l’accès au service civique des jeunes en situation de handicap. Dans son ensemble, et après d’importantes modifications apportées par le Parlement, l’ordonnance répond pleinement aux dispositions de l’habilitation que nous avions votée l’année dernière. Je le sais, des mécontentements demeurent et d’aucuns peuvent avoir le sentiment que le calendrier est étalé. Je regrette que les dispositions de la loi du 11 février 2005 n’aient pas été régulièrement évaluées. Cette adaptation par voie d’ordonnance était donc devenue urgente et indispensable, sauf à laisser le contentieux, donc le blocage, devenir le régulateur de la loi.
Comme prévu, le Gouvernement a maintenu les grands objectifs de la loi du 11 février 2005, tout en aménageant certaines modalités de sa mise en œuvre, conformément aux conclusions de la concertation. Ont ainsi été mis en place les fameux agendas d’accessibilité programmée – Ad’AP – et les schémas directeurs d’accessibilité-Ad’AP pour les services de transport – SDA-Ad’AP –, ainsi qu’une série d’aménagements ou de clarifications de notre législation. En commission, nous avons examiné le 24 juin un projet de loi substantiellement modifié par le Sénat. Nous avons fait nôtres la plupart des modifications adoptées par les sénateurs. Ces modifications prévoient : un meilleur encadrement des conditions de prorogation des délais de dépôt et de mise en œuvre des Ad’AP et SDA-Ad’AP ; l’attribution de l’intégralité du produit des sanctions liées à la mise en œuvre des Ad’AP et SDA-Ad’AP au fonds d’accompagnement pour l’accessibilité universelle ; le renforcement des obligations de formation ; des mesures de simplification ou d’allégement de contraintes adaptées aux petites communes ; l’extension jusqu’à 30 ans de l’âge légal d’engagement en service civique pour les jeunes en situation de handicap.
Néanmoins, notre commission des affaires sociales est revenue sur deux dispositions adoptées par le Sénat. À l’article 3, nous avons vigoureusement contesté et rejeté une disposition qui dispensait les bailleurs sociaux de certains travaux de mise en accessibilité dans les constructions neuves. Nous avons également voté la suppression de l’article 9, qui prévoyait un dispositif fiscal d’engagement en faveur des établissements recevant du public – ERP – s’engageant dans des Ad’AP entre septembre 2015 et septembre 2016. Nous avons jugé cette disposition injuste et inappropriée.
Notre commission a également enrichi ce texte en prévoyant la possibilité de mettre en accessibilité les points d’arrêt de transport scolaire pour les élèves handicapés scolarisés à temps partiel – le texte ne prévoyait que la prise en compte des enfants scolarisés à plein temps. Nous avons également intégré l’avis conforme des commissions consultatives départementales pour la sécurité et l’accessibilité pour la validation des SDA-Ad’AP et le principe de non-discrimination tarifaire pour le transport à la demande dans un même périmètre urbain de transport.
Nous avons examiné le projet de loi en séance publique le 6 juillet dernier. Nous n’avons alors modifié ce texte qu’à la marge en adoptant deux dispositions : l’une visant à compléter les travaux du Sénat en matière de formation en la rendant obligatoire pour les ERP recevant plus de 200 personnes, l’autre précisant les conditions de motivation des refus d’aménagement décidés par les copropriétaires d’un immeuble d’habitation où se trouve un ERP devant être rendu accessible. Nous sommes ainsi parvenus à un texte applicable et efficace. La CMP n’a finalement adopté que deux propositions, de nature essentiellement rédactionnelle. Nous nous sommes facilement mis d’accord et je tiens à saluer l’attitude très constructive de chacun des groupes, de la majorité comme de l’opposition. Je souligne également la coopération active et efficace avec les co-rapporteurs du Sénat, M. Mouiller et Mme Campion, en amont des séances, en commission comme dans l’hémicycle et avant la commission mixte paritaire.
Pour conclure, si nous parvenons au terme d’un processus législatif dense et de qualité, le plus gros du travail reste à faire. La mise en œuvre des dispositions que, je l’espère, nous adopterons aujourd’hui demandera un investissement important et rapide d’un très grand nombre d’acteurs. À cet égard, je voudrais formuler deux recommandations à l’adresse du Gouvernement, madame la secrétaire d’État. Premièrement, comme mon collègue rapporteur au Sénat l’a mentionné lors de la CMP, une attention particulière doit être portée à la date du 26 juin, retenue pour demander une dérogation. Nous n’avons pas souhaité soulever la question du calendrier, au risque de nourrir doutes et incompréhensions, mais le pragmatisme et la diligence des services de l’État devront l’emporter. Deuxièmement, je crois crucial que l’État et les services publics, notamment de transport, donnent l’exemple en faisant enfin de la mise en accessibilité une réelle priorité de leurs investissements.
Mes chers collègues, nous avons fait collectivement du bon travail. La vigilance sur ce dossier et son suivi doivent désormais être de mise. C’est ce que nous avons souhaité en intégrant dans le texte les outils nécessaires à l’évaluation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Barbara Pompili et M. Joël Giraud. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, aujourd’hui à l’Assemblée nationale et demain au Sénat, la discussion sur l’ordonnance du 26 septembre 2014 relative à l’accessibilité s’achève. À cette occasion, je souhaite vous dire, mesdames, messieurs les députés, à quel point le travail accompli par l’Assemblée nationale sur ce texte a été déterminant. Votre travail a permis d’apporter de nouvelles améliorations au texte, tout en tenant compte des discussions qui avaient eu lieu au Sénat. Les amendements que vous avez adoptés vont tous dans le sens de l’accessibilité universelle, c’est-à-dire de l’accès à tout pour tous. Cette volonté d’ouvrir notre société aux personnes en situation de handicap est partagée par le Gouvernement. Elle répond à la demande formulée par le Président de la République lors de la conférence nationale du handicap de décembre dernier. Je ne peux donc que me satisfaire de votre contribution à l’enrichissement du projet de loi initial. Je salue bien sûr également le travail du rapporteur, M. Christophe Sirugue, avec lequel le dialogue a été constant et de très bonne qualité. Monsieur le rapporteur, vous avez su vous mettre à l’écoute de tous, parlementaires comme associations. Je sais que ce n’était pas chose facile et je vous en remercie publiquement.
Ce texte ratifie l’ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et visant à favoriser l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap, en y apportant des précisions. Ces précisions ont été adoptées tout en préservant les grandes lignes du texte, afin de ne pas créer une insécurité juridique pour les gestionnaires d’établissements recevant du public. Je tiens à vous remercier pour l’esprit de responsabilité qui a guidé vos travaux et ceux des sénateurs.
Je l’ai dit en préambule de mon intervention, des amendements à l’initiative des parlementaires ont fait évoluer le projet de loi de façon positive. Je pense tout particulièrement à l’introduction dans le code du travail de l’obligation de formation des personnels des établissements recevant du public à l’accueil et l’accompagnement des personnes handicapées. Cette avancée notable, c’est à vous, c’est à l’Assemblée nationale, qu’on la doit ! Je pense également aux élèves en situation de handicap scolarisés à mi-temps : grâce à vous, ils pourront prendre les transports scolaires avec leurs camarades, s’ils le souhaitent. Je pense enfin aux jeunes adultes en situation de handicap, qui pourront désormais postuler jusqu’à 30 ans pour un service civique, au lieu de 25 ans jusqu’à présent. Il est important de saluer cette avancée, que nous devons au Sénat. Elle témoigne de la volonté du Parlement d’ouvrir la société à tous les jeunes, en prévoyant des aménagements adaptés.
Pour conclure, je souhaite vous rappeler les objectifs de ce projet de loi, ce que nous en attendons. Il a pour objet d’aboutir d’ici trois ans à la mise en accessibilité de 80 % des établissements recevant du public, ceux dits de cinquième catégorie, c’est-à-dire d’une capacité inférieure à 200 personnes.
Dans un délai éventuellement plus long pouvant être accordé par le préfet, les établissements de plus grande capacité et les patrimoines des grands groupes privés ou des collectivités seront également intégralement mis en accessibilité.
Ce texte nous concerne tous. Je l’ai dit à plusieurs reprises : pour une raison ou pour une autre, chacun d’entre nous peut connaître un jour des difficultés pour se déplacer.
Notre prochain objectif est désormais le 27 septembre. Nous devons poursuivre nos efforts pour que tous et toutes s’engagent pour l’accessibilité.
Mon travail est bien sûr de veiller à l’application de ce texte, mais c’est aussi de faire évoluer les représentations et reculer les préjugés. Se battre pour l’accessibilité universelle, c’est ne pas vouloir s’offrir un supplément d’âme, comme certains ont pu le laisser entendre : c’est tout simplement vouloir vivre dans une démocratie moderne, où les mots liberté, égalité, fraternité ont un sens pour chaque citoyenne et chaque citoyen sans exclusion.
Certes, ce texte n’est qu’une petite pierre apportée à l’édifice et, comme le rapporteur l’a souligné, nous avons tous conscience qu’il n’est pas parfait. Mais je crois que nous pouvons malgré tout en être fiers. Pour paraphraser Jean Jaurès, je dirai que ce texte souhaite aller à l’idéal tout en comprenant le réel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Barbara Pompili.
Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « indignation », « déception », « désarroi », tels sont les termes qui reviennent quand on interroge des personnes en situation de handicap ou les associations qui représentent leurs intérêts. L’accessibilité universelle, nous en parlons tous régulièrement ici même, lors des travaux en commission, lors des discussions dans cet hémicycle ou lors des réunions du groupe d’études sur l’intégration des personnes handicapées que je préside. Nous n’avons de cesse d’indiquer combien il est nécessaire de bâtir une société réellement inclusive. Mais immanquablement, lorsqu’il faut passer des paroles aux actes, c’est toujours plus complexe !
Se trouve souvent invoqué le respect des grands équilibres issus des concertations engagées. Et c’est ainsi que les grands principes initialement affichés s’estompent peu à peu.
Il ne s’agit pas de nier les difficultés de certains petits commerces ou ERP de cinquième catégorie, pour lesquels les travaux d’accessibilité représentent un coût pouvant être difficile à assumer. Il ne s’agit pas non plus de nier les difficultés dans lesquelles se retrouvent de trop nombreuses petites communes, notamment en cette période de diminution des dotations budgétaires. L’ampleur des travaux à mener revient parfois à devoir renoncer à la mise en place d’un nouveau service public de proximité, par exemple à une crèche.
Mais, sans minorer ces difficultés, peut-on encore continuer à tergiverser quand il s’agit de mettre un terme à l’exclusion d’une partie de notre population ? Il y va de l’égalité dans l’accès à la vie sociale, économique, politique et culturelle. Il y va de l’égalité réelle entre les citoyens, principe absolu pour une démocratie soucieuse de l’intérêt général et d’un vivre ensemble qui fait tant défaut aujourd’hui.
Oui, peut-on encore décemment remettre à plus tard cette accessibilité universelle ? La réponse semble évidente : il n’est plus possible de continuer à la repousser aux calendes grecques ou, pis à remettre en cause son principe même.
Comme je l’indiquais lors de la discussion générale du 6 juillet dernier, la situation actuelle est tout simplement honteuse. Seuls 15 % des établissements recevant du public seraient en effet accessibles, moins de six écoles primaires sur dix, 40 % des collèges, 20 % seulement des lycées. Et les transports n’échappent pas à ce bilan catastrophique.
La loi du 11 février 2005 prévoyait pourtant une mise en accessibilité pour 2015. Ce mauvais bilan est imputable au manque de volontarisme de chacune et de chacun, qui aboutit à toujours repousser à plus tard une exigence jugée trop complexe, trop lourde financièrement.
Il aurait pourtant fallu se donner les moyens d’anticiper. Il aurait fallu programmer les travaux nécessaires. Il aurait fallu s’y mettre, tout simplement !
Pour dépasser cet écueil, un long travail de concertation vient d’être réalisé et a permis de décrire les chemins menant à cette accessibilité. Désormais, pour la mettre en œuvre enfin, concrètement, des outils existent : en réponse à l’inadéquation entre les objectifs affichés lors de la loi de 2005 et les moyens déployés pour y aboutir, les Ad’AP, les PAVE – plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics – ou les SDA doivent en effet servir de cadre juridique, calendaire et opérationnel, et palier ainsi les manques de la loi de 2005. Ces outils doivent permettre de planifier dans le temps un système de financement des travaux à mener. Ils doivent décliner les grands principes en actions concrètes et financées.
Car le financement est, bien sûr, une pierre d’achoppement importante, et j’ai déjà évoqué les difficultés financières de certains commerces ou des petites communes. Il faudra s’assurer que les dispositifs d’accompagnement financiers prévus soient facilement mobilisables, car l’argument financier ne doit plus conduire à retarder encore des travaux dont l’utilité, pour tous, est indéniable.
Mais, encore une fois, derrière les paroles et les promesses, derrière les nouveaux dispositifs mis en place et proposés, la réalité est sombre. L’ordonnance proposée à la ratification est en deçà des attentes. Elle est en deçà des principes votés par le Parlement l’année dernière. Elle est en deçà des espoirs et des attentes des personnes en situation de handicap. Au regard des dérogations, des délais et de certains renoncements, on comprend le désarroi de celles-ci ! Ce désarroi devrait nous concerner tous et résonner en nous. On a trop souvent le sentiment que ces problèmes d’accessibilité sont pour les autres. Pourtant, l’accessibilité universelle nous concerne ou nous concernera tous, de près ou de loin, un jour ou l’autre.
Elle concerne aussi l’ensemble de notre société : les parents avec leurs poussettes – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État –, les personnes vieillissantes ou âgées qui ont des difficultés de mobilité, mais aussi celles et ceux qui ont temporairement besoin de se déplacer en fauteuil roulant ou de marcher avec des béquilles.
L’accessibilité universelle – je l’ai dit et je le redis – doit être une priorité. On le sait et on n’a de cesse de le regretter : le vivre ensemble fait défaut à notre société. C’est un sujet de préoccupation majeur et un sujet d’actualité. En témoignent les différentes actions annoncées et mises en place par le Gouvernement depuis les dramatiques attentats de janvier : service civique universel, mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, réserve citoyenne, etc. Le volontarisme, ici, est bien réel. Alors pourquoi ne s’applique-t-il pas aux personnes en situation de handicap ? Comment peut-on placer le vivre ensemble comme priorité et délaisser, dans le même temps, une partie de nos concitoyens ?
Soyons clairs : tant que les actes du quotidien des personnes en situation de handicap s’apparenteront à de véritables parcours du combattant, c’est que nous aurons échoué à bâtir la société inclusive que nous invoquons tous, régulièrement, sur ces bancs. Or, ce projet de loi de ratification n’est pas à la hauteur des espoirs et des attentes. Si cette ordonnance a le mérite de mettre en place les outils définissant la feuille de route à suivre pour aboutir à l’accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie, elle demeure décevante à plus d’un titre.
En matière de transports, tout d’abord, si les évolutions relatives aux élèves en situation de handicap vont dans le bon sens, il n’est pas raisonnable de limiter l’accessibilité des transports aux seuls points prioritaires. Le sujet a fait l’objet de nombreuses discussions dans cet hémicycle. Pour aller à l’école, suivre une formation, faire du sport, assister à un spectacle, travailler, il faut au préalable se déplacer. L’accessibilité des transports est donc le prérequis pour mener à bien ses projets et pour vivre sa vie. C’est justement parce que nous voulons plus que les déplacements soient synonymes de parcours du combattant que nous avons souhaité la mise en place des Ad’AP et des SDA. La limitation de l’accessibilité à de points jugés « prioritaires » par rapport à d’autres entre en contradiction avec cette accessibilité universelle, qui nécessite d’ailleurs une réflexion globale en termes de continuité de la chaîne de déplacement.
Pendant la concertation, l’accessibilité des points prioritaires était considérée comme le point de départ d’un processus plus long qui menait, à terme, à l’accessibilité de tout le parcours. Concernant les autres points, des mesures de substitution étaient prévues pour accompagner le processus en attendant. Elles n’avaient pas vocation à être pérennisées, sauf à titre exceptionnel. Or ce texte les généralise, ce qui constitue un grave recul par rapport à la loi de 2005.
Rappelons-le, rendre accessible l’ensemble de la chaîne de déplacement est un préalable à l’autonomie des personnes en situation de handicap.
Parmi les autres sujets de déception, je mentionnerai les délais supplémentaires pour le dépôt des Ad’AP et SDA, comme si l’on voulait sans cesse remettre à plus tard cette accessibilité ; les dérogations sans justifications pour les copropriétés, sachant que la possibilité, pour un ERP, de prendre en charge les travaux ne change pas le problème ; la multiplication des dérogations accordées de facto du fait de l’impossibilité, pour l’administration, de traiter dans les temps toutes les demandes, notamment pour les ERP de cinquième catégorie, lesquels représentent près de 80 % des établissements recevant du public.
Au regard de ces reculs – et la liste que je viens de dresser n’est malheureusement pas exhaustive – l’indignation, la déception et le désarroi des personnes en situation de handicap et des associations qui les représentent se comprennent aisément. Car s’il faut savoir être réaliste et pragmatique pour permettre que les travaux d’accessibilité soient menés, encore faut-il que les points d’équilibre trouvés entre les différents acteurs ne se traduisent pas par une accessibilité au rabais. Or, la façon dont cette ordonnance décline les grands principes sur lesquels il y avait eu un accord lors des concertations ne témoigne pas de la volonté politique indispensable pour que les choses bougent vraiment.
Les différents amendements que ma collègue Véronique Massonneau et moi-même avions déposés auraient pu nous permettre d’aboutir à un texte bien plus acceptable. Ce n’est pas le choix qui a été retenu par le Gouvernement.
En l’état, donc, et malgré les avancées nécessaires que sont les Ad’AP, les SDA ou celles qui concernent la formation, nous ne pouvons malheureusement pas voter ce texte.
M. Bruno Le Roux. Quel dommage !
M. André Chassaigne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.
M. Joël Giraud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà enfin réunis en lecture définitive pour examiner une dernière fois le texte relatif au régime de l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Je suis évidemment très satisfait de l’accord qui a été trouvé le jeudi 16 juillet avec nos collègues sénateurs dans le cadre d’une commission mixte paritaire. Il est en effet appréciable de se pencher sur un texte résultant d’un réel compromis, dans un domaine, celui du handicap, concernant chacun de nos concitoyens, qui peuvent chaque jour être touchés directement ou indirectement par les effets du handicap, ou se trouver eux-mêmes en situation de handicap.
Je souhaite cependant souligner qu’il est, à mon sens, inopportun de légiférer une nouvelle fois par voie d’ordonnance. Pourquoi avoir utilisé de la sorte la procédure prévue à l’article 38 de la Constitution pour consacrer les dispositions résultant de la loi du 10 juillet 2014, alors que celles-ci auraient pu être entièrement prises en main par le Parlement ? Cet usage néfaste, contraire à l’esprit même du constituant de 1958 qui considérait l’emploi des ordonnances comme limité à un cadre strictement exceptionnel, contribue à déposséder le Parlement de ses prérogatives naturelles. Il convient de pointer du doigt cette dénaturation qui, malheureusement, est l’illustration d’une politique des plus fréquentes, aux dépens des représentants de la nation.
Pour ce qui est de l’examen au fond, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se satisfait de la clarification de nombreux points des deux textes que nous avons étudiés en 2014 et 2015, concernant notamment du régime du handicap, entre autres relativement à la situation des chiens d’aveugle, ou encore le développement d’obligations pour sensibiliser les partenaires locaux à la planification de la mise en accessibilité de la voirie.
Mais il convient également de souligner les limites et les manques de l’ordonnance sur laquelle nous portons notre attention aujourd’hui. En effet, les mesures consacrées par le texte gouvernemental nous apparaissent parfois contraires à l’esprit du projet de loi initial, ainsi qu’aux objectifs fixés par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, provoquant un certain malaise chez une grande partie des acteurs prenant part à ces politiques publiques.
À titre d’exemple, les acteurs sociaux agissant auprès des personnes en situation de handicap dénoncent une exonération totale de mise en accessibilité pour la très large majorité des établissements recevant du public, ce qui signifie à leurs yeux « l’anéantissement pur et simple des objectifs initiaux de la loi du 11 février 2005 ». Ces mêmes acteurs dénoncent également une suppression du droit au transport, la longueur excessive des délais de procédure et de réalisation des agendas d’accessibilité programmée, ainsi que le caractère non dissuasif des sanctions.
Selon nous, il aurait été pertinent de maintenir le principe originel de la loi de 2005, qui consistait à rendre tous les points d’arrêt accessibles, sauf cas d’impossibilité technique avérée. Nous estimons que la rédaction de l’ordonnance introduit une rupture d’égalité par rapport au principe de la continuité de la chaîne de déplacement.
Mme Barbara Pompili. Absolument !
M. Joël Giraud. Il était primordial de revenir à l’objectif fixé par le législateur en 2005 ainsi que par la convention internationale des droits des personnes handicapées, que la France a ratifiée. Là aussi, même si notre amendement a été déclaré irrecevable lors de l’examen en commission des affaires sociales, il eût été essentiel de trouver des solutions afin de concilier les questions de coûts et le principe – que nous devons toujours garder à l’esprit – selon lequel chacun doit être traité de façon équitable, dans l’utilisation des transports entre autres.
Comment ne pas regretter ce constat, alors que ce texte est la réponse tant attendue que l’État est censé apporter aux nombreuses problématiques relatives au handicap ? Une grande attente, nous le savons, entourait le projet de loi de juillet 2014, puis celui qui nous intéresse aujourd’hui. Il faut pour mettre fin à la situation accablante qui veut que de nombreuses personnes handicapées doivent chaque jour affronter des problèmes d’accessibilité indignes de notre pays. Je sais que vous connaissez ces chiffres, madame la secrétaire d’État, mais les citer ne fera pas de mal. Selon les sources de l’Association des paralysés de France, seuls 15 % des établissements accueillant du public étaient aux normes légales ou conventionnelles en 2014, et 38 % des villes de plus de 50 000 habitants. Ayons toutefois l’honnêteté de souligner l’implication des collectivités territoriales depuis plusieurs années dans l’amélioration de mesures relatives à l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap.
Dès lors, si le droit positif a nettement progressé depuis des décennies, avec, entre autres, les lois de 1975 et de 2005, qui fixent le cadre juridique de l’action étatique face au handicap et garantissent le principe d’une meilleure accessibilité pour l’ensemble des personnes en situation de handicap dans les limites du territoire national, il convenait à travers ces textes de corriger les différents manquements concrets des pouvoirs publics dans ce domaine, que je viens de dénoncer.
Il était donc primordial d’agir, de réformer plus radicalement, plus profondément, au nom de l’égalité républicaine qui nous est si chère, à nous, radicaux de gauche. Le handicap ne doit plus être assimilé à un facteur d’exclusion !
La prise en charge des différentes problématiques qui en résultent ne doit pas être considérée comme une dépense supplémentaire, mais comme une action juste et nécessaire. Par une politique pleine et achevée dans ce domaine, le législateur doit montrer qu’il sert l’intérêt général, non pas le seul intérêt de la majorité des citoyens qui ne souffrent pas directement ou indirectement du handicap, mais aussi l’intérêt d’une minorité, celle des personnes en situation de handicap et de leurs proches.
Pour être exhaustive, la politique du handicap doit être la plus large possible ! Il convient, comme l’avait souligné Dominique Orliac, « de nous consacrer aux "personnes en situation de handicap" sans, par un abus de langage, nous limiter aux "handicapés" ». Cette expression doit être consacrée, non pour défendre le politiquement correct, mais pour permettre la protection d’un public beaucoup plus large, comme les femmes enceintes ou les personnes blessées, en situation de handicap temporaire.
Vous l’aurez compris, nous déplorons que ce texte n’aboutisse pas aux avancées escomptées. Alors que des progrès autour de ces problématiques sont attendus depuis des décennies, il est temps que nous nous donnions les moyens de nos responsabilités.
Madame la secrétaire d’État, nous connaissons l’intérêt que vous portez à ce dossier, et nous ne dirigeons pas nos critiques contre votre personne ou contre l’initiative de la réforme, tout à fait souhaitable. Mais l’essentiel du travail reste à faire ; pour reprendre le mot de Winston Churchill, il ne s’agit pas « du commencement de la fin » de nos efforts, mais bien de « la fin du commencement » !
Ce projet de loi représente une avancée non négligeable, mais insuffisante, surtout dans un pays où l’aide spontanée n’est pas la règle commune, et où la prise en charge par les opérateurs de transports, notamment ferroviaires, est une abomination.
Jusqu’à très récemment, je faisais partie de ces anonymes qui assistent, jour après jour, nuit après nuit, une personne handicapée. Avec elle, je ne voyageais plus qu’en Italie, où 80 % des personnes vous apportent spontanément leur aide et où il suffit, lorsque votre correspondance est ratée, d’appeler, quels que soient l’heure ou le jour, un numéro vert pour qu’en quelques minutes, une solution soit trouvée. C’est un autre regard, plus tourné vers les autres, signe d’une société qui sait où sont ses repères, même dans la tourmente.
Madame la secrétaire d’État, je sais que vous ne pouvez, pas plus que moi, changer les mentalités, et que l’exercice qui est le vôtre, dans ce contexte, est compliqué. Nous sommes face au paradoxe d’une société qui, d’un côté, rejette la surréglementation, et, de l’autre, oblige le législateur à édicter des règles car elle a perdu le sens commun des solidarités, des équilibres et, parfois, le sens commun tout court. Ainsi, on peut laisser une personne dans son fauteuil roulant, en plein froid, sur un quai de gare, face à un souterrain inaccessible, et exiger d’une commune un dossier de dérogation pour l’accès des personnes à mobilité réduite à un refuge de haute montagne.
Mme Barbara Pompili. Eh oui !
M. Joël Giraud. Nous voterons ce texte, sans enthousiasme excessif, pour les avancées qu’il comporte, et parce que, au-delà de ses insuffisances, il est marqué par la sincérité de ceux qui le portent, qui ont travaillé en commission et en séance pour le rendre plus conforme à cette solidarité que nous appelons de nos vœux.
M. Christophe Sirugue, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, les personnes handicapées, leurs familles, leurs amis et les associations qui les représentent sont en colère. Ils sont exaspérés de ne pouvoir, comme tout le monde, se rendre chez un ami, aller voir un médecin, suivre une scolarité normale, prendre le bus ou le train.
Ils nous ont interpellés, parfois enchaînés à un fauteuil roulant. Ils ont eu raison. Nous leur avions promis une vie meilleure, plus simple, avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. L’examen de ce texte fut un grand moment de la vie parlementaire. À l’issue de nombreuses auditions, nous eûmes un débat approfondi, nos échanges furent empreints d’une grande solennité, même si le texte final comportait par endroits des insuffisances.
Ce texte prévoyait notamment une mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie d’ici 2015. Dix ans après, il faut malheureusement constater que cet objectif est loin d’être atteint. Nous n’en sommes pas surpris puisque, dès 2011, observant le retard dans les travaux de mise en accessibilité, notre groupe avait alerté le gouvernement de l’époque.
En décembre 2011, les députés du Front de gauche avaient cosigné une proposition de résolution portant sur l’accessibilité universelle pour les personnes en situation de handicap. Cette proposition n’avait pas été adoptée, mais elle avait reçu le soutien des députés socialistes. L’ambition affichée était claire : « l’accessibilité universelle consiste à faciliter l’accès de tous – quelles que soient les situations de handicap, temporaires ou définitives – à l’éducation, à l’emploi, aux loisirs et aux équipements publics en rendant accessibles et fonctionnels les voiries, les transports, les logements, les lieux de travail et de loisirs. »
La loi du 10 juillet 2014, présentée par ce gouvernement, a-t-elle repris le principe d’accessibilité universelle à son compte ? Certes, elle réaffirme le principe de l’accessibilité pour tous, quel que soit le handicap, mais l’ordonnance qui doit le mettre en œuvre et sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui, en est très éloignée.
En effet, cette ordonnance prévoit de nombreuses dérogations aux obligations de mise en accessibilité et prolonge les délais pour la réalisation des travaux. À titre d’exemple, ce texte contient les dispositions suivantes : la suppression du droit aux transports publics ordinaires – désormais, seuls les points d’arrêts considérés comme prioritaires seront rendus accessibles ; le schéma directeur d’accessibilité des transports n’est plus obligatoire, il devient une simple possibilité ; l’accessibilité des transports scolaires sera possible uniquement sur demande des parents, dans le cadre d’un projet personnalisé de scolarisation ; les copropriétaires d’un immeuble d’habitation, où est situé un établissement recevant du public, peuvent déroger aux travaux de mise en accessibilité ; le délai de trois ans pour réaliser les travaux imposés aux établissements de cinquième catégorie pourra être doublé en cas de travaux importants, et de plein droit pour un propriétaire possédant « plusieurs établissements ou installations » ; l’obligation d’installation d’un ascenseur reste fixée à R+4 dans les bâtiments d’habitation collectifs.
L’énumération de ces quelques mesures suffit pour comprendre que cette ordonnance signifie un recul des droits des personnes en situation de handicap.
Le Collectif pour une France accessible, qui regroupe la très grande majorité des associations représentant les personnes en situation de handicap – APF, Unapei, Fnars, AFL, ADEP… –, ne s’y est pas trompé et dénonce cette ordonnance qui « annihile les objectifs initiaux de la loi de 2005 ».
Le Conseil national consultatif des personnes handicapées s’est également opposé à ce texte, car il estime qu’il ne permettra pas de supprimer les obstacles rencontrés au quotidien par les personnes handicapées.
Enfin, la Fédération des aveugles et handicapés visuels de France rappelle que « si la loi du 11 février 2005 a précisé un certain nombre d’éléments factuels, c’est la loi d’orientation du 30 juin 1975 qui a fixé l’obligation de l’accessibilité. Ce ne sont donc pas dix ans, mais quarante ans que les divers acteurs publics et privés ont eus devant eux pour faciliter l’accessibilité du cadre bâti et non bâti aux personnes handicapées. »
Comment ce qu’on n’a pas réussi à faire ces cinquante dernières années pourra-t-il être réalisé demain, alors que les pouvoirs politiques repoussent les délais et multiplient les voies dérogatoires ? Malheureusement, nous ne pouvons qu’être très sceptiques. D’autant que les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous. Ainsi, il est exigé des collectivités locales qu’elles précisent, dans le cadre d’agendas d’accessibilité, les travaux pluriannuels de mise en conformité qu’elles envisagent, ainsi que leur programmation financière, ce qui pourrait être vu comme un début d’engagement. Mais cette demande ne s’accompagne d’aucun financement supplémentaire pour réaliser les aménagements, alors que la baisse de dotation des collectivités territoriales atteint 11 milliards d’euros !
Dans ces conditions, il est évident que la situation actuelle, hélas, perdurera. Pour l’ensemble de ces raisons, les députés du Front de gauche, qui avaient voté contre la loi de 2014, voteront également contre cette ordonnance.
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais.
Mme Bernadette Laclais. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici réunis pour un dernier examen du texte relatif à l’accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je tiens à remercier tous les groupes qui, lors de la commission mixte paritaire de jeudi, se sont inscrits dans une logique constructive, sous l’égide des deux rapporteurs, Christophe Sirugue, dont chacun, ici a pu apprécier la détermination, et le sénateur Philippe Mouiller. Je n’oublie pas la sénatrice Claire-Lise Campion, très engagée sur ce sujet.
Une proposition, avancée par notre assemblée, restait en débat et concernait le tarif pratiqué pour les transports à la demande. Chacun a bien compris qu’il s’agit de ne pas pénaliser financièrement les personnes handicapées qui ne peuvent utiliser les transports en commun, soit parce que ces transports ne sont pas accessibles, soit parce qu’il n’y a pas continuité d’accessibilité sur l’ensemble de la chaîne de déplacement, soit parce que leur handicap ne leur permet pas d’avoir recours à un transport collectif « traditionnel », même avec aménagement.
Je remercie les parlementaires qui ont souscrit au principe selon lequel les personnes handicapées ne devaient pas subir une double peine, un principe de non-discrimination tarifaire dans un même périmètre de transport urbain pour le transport à la demande.
Comme nous sommes dans la dernière ligne droite et que beaucoup de choses ont déjà été dites, je serai brève. Mais comme vous, je sais que des mécontentements demeurent. Sans avoir aucunement la prétention d’y répondre, je voudrais rappeler quelques constats.
La loi du 11 février 2005 avait fixé des objectifs très ambitieux de mise en accessibilité universelle au 1er janvier 2015. Un an et demi avant cette échéance, le rapport de Claire-Lise Campion dressait malheureusement le constat que, malgré les progrès importants accomplis, grâce notamment à cette loi, une grande partie des maîtres d’ouvrage, publics ou privés, ne pouvaient plus prétendre être prêts en temps et en heure, puisque les deux tiers, voire les trois quarts, des gestionnaires des établissements concernés ne s’étaient pas encore engagés dans cette démarche.
Il importait donc de trouver des solutions pour débloquer la situation, puis d’engager la concertation sur ces solutions susceptibles d’être mises en place, et enfin de procéder aux évolutions législatives et réglementaires nécessaires.
C’est bien dans ce contexte que les documents de programmation pluriannuelle, les Ad’AP, ont été imaginés pour pallier l’absence de cadre juridique, calendaire et opérationnel. Sans doute peut-on penser raisonnablement que c’était l’un des éléments qui faisaient le plus défaut au dispositif prévu par la loi de 2005.
Mais pour garantir concrètement la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie, il est apparu nécessaire de simplifier et d’adapter les normes, dont certaines se sont révélées trop rigides, trop peu pragmatiques et ont donc été considérées comme insurmontables par beaucoup de maîtres d’ouvrage.
Bien évidemment, il n’était pas envisageable de renoncer aux principes de la loi de 2005. Mais il n’était pas davantage envisageable de rester dans une situation bloquée, propice à des contentieux et à des condamnations pénales qui, pour autant, n’auraient pas permis de faire avancer la cause sur l’ensemble du territoire français.
Nous savons tous, madame la secrétaire d’État, l’engagement qui a été le vôtre sur le terrain – je vous remercie de vous être rendue en Savoie ! – et avec les associations. Nous ne sous-estimons pas ce que cela peut signifier en temps, en disponibilité, en capacité de persuasion, dès lors que l’on s’inscrit dans le concret et le dialogue, plutôt que dans l’énoncé unilatéral de grands principes.
À l’issue de l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, puis de celui de ratification de ces ordonnances, nous sommes arrivés à un point d’équilibre, faisant de l’accessibilité, pour reprendre vos propos, un processus réellement irréversible tout en évitant que des contraintes insupportables ne pèsent sur les collectivités et les acteurs du monde économique.
Être parvenu à un tel équilibre ne signifie pas l’arrêt de toute avancée mais permet au contraire de mieux rebondir. Si nous approuvons la recherche d’un tel équilibre, nous tenons néanmoins à attirer votre attention sur plusieurs points.
La date du 27 juin, considérée comme butoir, a-t-elle été bien enregistrée pour demander une prorogation de délai du dépôt de l’agenda d’accessibilité programmée – Ad’AP ? La simultanéité de nos débats avec cette date pourrait troubler la lisibilité du calendrier imposé mais il n’y avait pas d’autre solution, malheureusement.
L’afflux de demandes de dérogation pour la réalisation des travaux à la date butoir du 26 septembre n’empêchera-il pas l’administration de répondre dans les délais qui lui sont impartis ? Beaucoup redoutent que des dérogations soient accordées tacitement, faute de réponse de l’administration.
D’ores et déjà, les maîtres d’ouvrage font de la circulaire du 27 avril une lecture aléatoire. Certains présentent des Ad’AP sans les détailler annuellement, en excluant tout ou partie du patrimoine considéré comme non prioritaire. Comment les administrations considéreront-elles ces documents ? Comment peut-on s’assurer que les lectures ne seront pas variables d’un territoire à l’autre ? Comment bien faire passer le message que l’allégement des normes n’est pas un recul mais au contraire l’opportunité de franchir enfin des étapes supplémentaires en faveur de l’accessibilité ?
Autant de questions qui militent pour que nous ne laissions pas passer une période triennale sans une évaluation et un retour rapide devant nos Assemblées, car nous ne pourrions nous satisfaire collectivement d’ordonnances qui présenteraient finalement les mêmes imperfections que la loi de 2005.
Les associations attendent aussi cela de nous : prévoir les étapes d’évaluation pour vérifier que les mesures se concrétisent et que les engagements pris collectivement sont tenus.
Enfin, mais chacun le sait ici, le débat que nous venons d’avoir au cours de cette année 2014-2015 ne doit pas nous faire oublier que des avancées sont encore attendues en matière d’emploi des personnes en situation de handicap, d’accès à l’école, au collège, au lycée, à l’université, d’accès aux soins tant les parcours, trop longs et complexes, peuvent manquer de fluidité, d’accès à une pratique culturelle ou sportive, et bien sûr d’accès à un logement adapté à la situation de chacun ou à une structure spécialisée, répondant aux besoins de la personne en situation de handicap.
Ce constat, vous le connaissez, je le sais, mais il me semble nécessaire, au moment où nous achevons ce débat, de rappeler que l’attente est grande. Si nous devons tous partager les efforts en matière de redressement de nos finances publiques, le secteur du handicap me semble celui où l’on pourrait le mieux comprendre qu’ils ne s’exercent pas de la même manière, afin de traduire la solidarité de l’ensemble de la nation à l’égard de ceux qui, fragilisés par leur parcours de vie, ont besoin de cette solidarité.
Vous pouvez compter sur nous, députés socialistes, pour accompagner votre détermination au moment même où s’ouvrent les discussions relatives à nos projets de loi de finance pour l’année 2016.
Le groupe socialiste votera ce texte. Il le votera avec humilité car nous savons combien l’attente est grande et la détermination des acteurs concernés nécessaire, pour changer d’abord les mentalités et les regards. Il le votera avec le volontarisme de parlementaires décidés, après avoir mieux encadré le calendrier et les actions, à mieux contrôler les résultats et à sanctionner si nécessaire, à présent que les normes ont été adoptées, ceux qui ne s’inscriraient pas dans le calendrier discuté au plan local avec l’État et la commission d’accessibilité.
Il le votera encore avec l’espoir que nous pourrons très rapidement constater les effets positifs et les avancées sur le terrain de cette nouvelle méthode, et atteindre les objectifs que vous avez fixés. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton.
M. Gilles Lurton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici au terme du processus de ratification de l’ordonnance du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports et de la voirie, un an tout juste après l’adoption par notre Assemblée de la loi du 10 juillet 2014.
Tout au long la discussion parlementaire, nous avons voulu poursuivre le travail accompli depuis 2005 pour une meilleure accessibilité. Notre groupe Les Républicains a fait preuve d’une attitude constructive, même si certains points continuent de nous inquiéter fortement. Mais il est vrai qu’à partir du moment où l’accessibilité universelle visée par la loi du 11 février 2005 ne pouvait pas, en toute objectivité, être atteinte au 1er janvier 2015, notre responsabilité de parlementaires était de trouver les meilleures solutions pour que le travail soit poursuivi.
Toute notre réflexion a été guidée par un seul objectif, celui de reconnaître aux personnes handicapées les droits de tout citoyen à se déplacer en toute liberté et leur offrir toutes les capacités d’y accéder quel que soit le type de handicap.
Notre devoir est de trouver les meilleurs outils permettant de progresser le plus rapidement possible vers l’accessibilité universelle. Je crois d’ailleurs pouvoir dire que, tous ici présents, nous avons montré que nous sommes très attachés à cet objectif.
D’ailleurs, c’était déjà celui de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Elle avait cependant posé des principes parfois trop ambitieux, qui se sont heurtés aux réalités financières et techniques que nous connaissons tous.
Malgré cela, je veux ici réaffirmer, comme je l’ai fait lors de l’examen du texte le 6 juillet dernier, que la majeure partie des collectivités et des élus locaux ont pris pleinement conscience de cette nécessité.
M. Xavier Breton. C’est vrai.
M. Gilles Lurton. Dans la plupart des collectivités, ils ont mis en œuvre tous les moyens dont ils disposaient pour améliorer l’accessibilité de la voirie, des transports et des bâtiments publics.
Revenons-en au texte qui nous est soumis aujourd’hui. Je vous le confirme d’emblée, madame la secrétaire d’État, les agendas d’accessibilité programmée nous paraissent constituer un véritable engagement des collectivités locales mais également des services de l’État et de toutes les personnes privées détentrices d’établissements recevant du public.
Sur cette base, nous avons soutenu plusieurs dispositions de simplification des normes prévues par la loi de 2005, que vous nous avez décrites lors de votre première audition, madame la secrétaire d’État.
Nous avons approuvé l’amendement du rapporteur, M. Christophe Sirugue, visant à rendre obligatoire la formation des personnels des établissements recevant du public dont les capacités d’accueil sont supérieures à 200 personnes, à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées.
Nous avons également approuvé la nécessité de préciser les conditions de motivation des refus d’aménagements décidés par les copropriétaires d’un immeuble d’habitation lorsque l’exploitant de l’ERP qui demande les travaux est disposé à en assumer toute la charge financière.
L’ordonnance visait à distinguer la scolarisation des enfants à temps partiel de celle des enfants à temps plein pour l’aménagement des arrêts de transport. Le Sénat n’y avait pas touché. Nous avons considéré que les enfants handicapés qui bénéficient d’horaires aménagés avait, eux aussi, le droit de bénéficier d’un aménagement de transport scolaire.
Sur ces différents points, la commission mixte paritaire, réunie jeudi dernier, a trouvé une position de consensus que nous approuvons. Deux points continuaient cependant de poser des difficultés.
Le premier concerne les logements vendus en l’état futur d’achèvement. Plusieurs de nos collègues, lors de l’examen de ce texte, avaient proposé des amendements visant à faire réaliser des travaux modificatifs à la demande de l’acquéreur sous réserve que le logement respecte les critères minimaux d’accessibilité permettant son adaptation ultérieure à des travaux simples.
En d’autres termes, les logements vendus en VEFA ne seraient plus obligatoirement adaptés aux normes d’accessibilité en vigueur au moment de la construction mais deviendraient adaptables au cas où une personne à mobilité réduite viendrait l’habiter.
Je vous l’ai dit lors de l’examen du texte, je n’étais pas favorable à cet amendement. N’en déduisez pas que je n’ai pas confiance dans la capacité des organismes HLM à assumer cette obligation, comme l’a laissé entendre M. Dumont.
Bien au contraire, j’ai participé pendant douze années aux destinées de deux organismes HLM du Pays de Saint-Malo et je connais leur capacité à adapter leurs logements aux locataires.
Mais ce qui est vrai aujourd’hui peut l’être moins dans le futur et il est de notre devoir de législateur de prévoir l’avenir par des textes clairs. Faire référence, dans l’amendement, à un « délai d’exécution des travaux qui doit être raisonnable » ne me semble pas de nature à assurer l’avenir.
Ensuite, voter cet amendement au moment où nous examinons un texte modifiant la loi du 11 février 2005 relative à l’accessibilité me semble être un très mauvais signe donné aux personnes à mobilité réduite, qui s’inquiètent de ne jamais voir cet objectif d’accessibilité universelle, auquel ils aspirent comme nous tous, réalisé un jour.
M. Xavier Breton. Très juste !
M. Gilles Lurton. Pour autant, je reconnais que les dispositions actuellement en vigueur sur l’accessibilité dans les logements posent des difficultés aux organismes HLM et ont souvent pour conséquence de réduire la taille des pièces à vivre. C’est un point sur lequel nous restons ouverts à la discussion.
En second lieu, nous avons soutenu l’amendement de notre collègue Bernadette Laclais, visant à ce que les autorités organisatrices de transport ne puissent pratiquer de tarif supérieur à celui applicable aux autres voyageurs en matière de transport à la demande mis en place pour les personnes handicapées.
Nos collègues sénateurs sont revenus sur cette disposition en s’appuyant sur le fait que, lorsqu’il s’agit des transports de substitution, mis en place en cas d’impossibilité technique à réaliser l’accessibilité du réseau, le code des transports dispose déjà que « le coût de ces transports de substitution pour les usagers handicapés ne doit pas être supérieur au coût du transport public existant ».
En conséquence, nos collègues sénateurs n’ont pas souhaité voir ce dispositif étendu aux services de transport à la demande qui, d’ailleurs, ne concerne pas le seul transport des personnes en situation de handicap.
Sur ce point, notre objectif a été constant. Nous voulons éviter que les services de transport soient facturés à des tarifs supérieurs au seul motif que les personnes qui en bénéficient sont en situation de handicap.
La commission mixte paritaire s’est accordée sur une nouvelle rédaction de l’alinéa 20 de l’article 3 et a précisé que « le coût pour les personnes handicapées des transports à la demande mis en place par une autorité organisatrice de transport ne peut être supérieur à celui applicable aux autres usagers dans un même périmètre de transport urbain ». Avec Philippe Vitel, membre de la commission mixte paritaire, nous avons également approuvé cette proposition de rédaction.
Un point, madame la secrétaire d’État, continue de nous inquiéter fortement, un point qui provoque la colère des associations de personnes handicapées : le calendrier que vous avez fixé pour que l’État, les collectivités et toutes les personnes gestionnaires d’établissements recevant du public puissent déposer leurs agendas d’accessibilité programmée ou leurs demandes de dérogation.
Ce point justifie à lui seul notre abstention sur ce texte. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que les diagnostics d’accessibilité sont extrêmement techniques et doivent être établis par des cabinets spécialisés qui ont souvent besoin de temps. Bon nombre de collectivités n’ont malheureusement pas encore pris la mesure de leurs obligations dans ce domaine et le mois d’août n’est pas très propice à ce genre de travail.
La date du 27 juin, fixée pour que les gestionnaires d’établissements recevant du public puissent envoyer leur demande de prolongation de délai pour déposer leurs Ad’AP, n’a pas été forcément bien comprise malgré la communication qui a été réalisée.
De ce fait, nous risquons d’assister à une accumulation de dossiers mal préparés le 27 septembre prochain alors que, pour bon nombre d’entre eux, une simple demande de prolongation de délai aurait pu être déposée.
Nous craignons que les directions départementales des territoires et de la mer ne rencontrent d’importantes difficultés pour absorber cette accumulation de dossiers. Ces difficultés risquent de compromettre l’application de ce projet de loi, ce que les associations de personnes handicapées ont très bien compris.
Nous nous en sommes inquiétés lors de l’examen du texte le 6 juillet dernier. Vous nous avez annoncé des efforts de simplification des formulaires d’agenda d’accessibilité programmée. Vous vous êtes engagée, madame la secrétaire d’État, à augmenter de 400 fonctionnaires les effectifs chargés d’examiner ces dossiers.
Mais 400 fonctionnaires en plus des 400 déjà en place, cela ne fait jamais que huit par département face à un nombre de dossiers difficile à estimer à ce jour.
Cette situation nous laisse craindre aussi que beaucoup de dossiers, mal préparés, ne soient rejetés ou, pis encore, que trop d’accords tacites soit donnés aux demandes de dérogation, faute que l’administration ait répondu dans les délais impartis.
Madame la secrétaire d’État, nous voulons contrôler cela. C’est notre rôle de parlementaire.
Beaucoup d’autres dispositions auraient pu être critiquées et elles l’ont d’ailleurs été par les associations de personnes handicapées, mais ce n’est pas l’objet de mon intervention au moment où l’Assemblée Nationale va adopter votre projet de loi de ratification et surtout après que la commission mixte paritaire a abouti à un accord, ce qui n’est pas toujours le cas, tant s’en faut.
Cet accord, s’il démontre une volonté de tous d’avancer vers cet objectif d’accessibilité universelle, ne doit pas être considéré comme un blanc-seing donné au Gouvernement, mais comme l’impérative nécessité d’avancer au plus vite, de contrôler au jour le jour l’avancement des travaux d’accessibilité, dans le domaine public comme privé, et de ne rien céder lorsque l’objectif est réalisable.
Madame la secrétaire d’État, la loi de 2005 devait être adaptée. Sur un grand nombre de points, la proposition que vous nous faites nous paraît répondre à cette attente. Pour autant, le groupe Les Républicains maintiendra son abstention sur ce texte. Si cette abstention signifie que nous continuons de pressentir d’importantes difficultés d’application, elle signifie aussi que nous voulons contrôler l’application de cette loi. Plus que jamais, nous voulons que cet effort de mise en accessibilité soit poursuivi. Au-delà du vote de ce projet de loi, c’est à cela que nous devons nous engager vis-à-vis des personnes handicapées.
Notre abstention sera une abstention bienveillante, et une invitation pour votre Gouvernement à tout mettre en œuvre afin de prouver aux personnes handicapées notre volonté à tous d’avancer, pour qu’à la lourdeur du handicap ne vienne pas s’ajouter l’humiliation de ne pouvoir se déplacer en toute autonomie et en toute liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva.
M. Jean-Paul Tuaiva. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, la politique publique en faveur des personnes souffrant de handicap, qui est au cœur de l’exigence de cohésion sociale et de solidarité nationale chère au groupe UDI, a été engagée par la loi d’orientation du 30 juin 1975. Traduction de cette exigence, le principe d’une mise en œuvre progressive de l’accessibilité du cadre bâti et des transports a été consacré par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Pour la première fois, une loi définissait de manière précise des objectifs et des délais pour faire de l’obligation de mise en accessibilité une réalité. L’année 2005 a ainsi constitué le point de départ d’une véritable dynamique permettant de mobiliser notre société tout entière autour d’une exigence de cohésion sociale : éliminer l’intégralité des barrières susceptibles d’entraver l’accomplissement personnel et professionnel des personnes handicapées.
Elle a également permis de faire évoluer les mentalités, car l’accessibilité ne constitue pas seulement une réponse aux difficultés de déplacement des personnes handicapées. Elle doit maintenant permettre de préparer la France au défi du vieillissement de sa population et de la perte d’autonomie.
Pour autant, force est aujourd’hui de constater que malgré l’engagement de l’ensemble des acteurs publics ou privés, les délais fixés par la loi du 11 février 2005 ne pourront être respectés et la France n’est pas au rendez-vous du 1er janvier 2015 prévu par la loi. En effet, en dépit d’une véritable dynamique, de nombreux retards ont été constatés.
Pour le groupe UDI, il serait inutile et improductif de pointer du doigt les défaillances des uns et des autres. Un temps précieux a été perdu depuis la loi de 2005 et la seule exigence à laquelle nous devons désormais répondre est la poursuite des efforts engagés.
Telle était la vocation de la loi du 10 juillet 2014 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, que notre groupe a soutenue. Cette loi prévoit la création d’un nouvel outil de pilotage : l’agenda d’accessibilité programmée, qui permettra à un propriétaire ou à un exploitant d’obtenir un délai supplémentaire pour la mise en accessibilité dès lors qu’il s’engage sur un plan de travaux pluriannuels de mise en accessibilité ainsi que sur leur programmation financière.
La mise en place de cet outil ne signifie pas, à notre sens, l’abandon des objectifs fixés par la loi de 2005. Au contraire, il permet de définir rapidement les nouvelles modalités de mise en œuvre de la loi de 2005 afin de donner des perspectives réalisables au chantier de la mise en accessibilité, tout en prenant mieux en compte les difficultés qui ont pu être rencontrées.
À cet égard, n’oublions pas que cet outil doit permettre de décrire précisément les travaux pluriannuels de mise en accessibilité pour un ou plusieurs établissements ou installations.
Il précise également la programmation des financements associés et la durée de réalisation des travaux, qui pourra varier selon la catégorie de l’établissement, sa fréquentation, ainsi que les caractéristiques du patrimoine que le propriétaire ou le gestionnaire d’établissements ou d’installations prévoira de mettre en accessibilité.
N’oublions pas non plus que sans dépôt d’un agenda d’accessibilité programmée, le non-respect de l’échéance du 1er janvier 2015 sera validé – sauf dérogation – et toujours passible des sanctions pénales prévues par la loi de 2005. En outre, des sanctions financières graduées sont prévues en cas de non-respect des engagements pris dans le cadre de l’agenda.
Pour autant, comment se satisfaire que les échéances fixées par la loi n’aient pu être respectées ? Comment ne pas regretter d’avoir été amenés à légiférer de nouveau ? Cet écueil n’aurait-il pas pu être évité en adoptant une méthode différente, avec des rendez-vous réguliers impliquant l’ensemble des acteurs engagés au service de la mise en accessibilité ? Ne pouvait-on pas anticiper les difficultés qui sont survenues et définir des solutions consensuelles pour y répondre plus rapidement ? Nous devons être conscients qu’en repoussant les délais de mise en accessibilité, nous donnons l’impression aux personnes handicapées, à leurs proches et aux associations qui les soutiennent que la dynamique engagée en 2005 subit un coup d’arrêt.
Parce qu’elle précise les modalités concrètes du report de l’objectif de 2005, l’ordonnance que ce projet de loi vise à ratifier n’a malheureusement fait qu’amplifier ce malaise, et ce d’autant plus que la rédaction de l’ordonnance aurait, je le crois, pu retranscrire fidèlement l’esprit de la loi du 10 juillet 2014.
Je pense notamment aux délais supplémentaires pour le dépôt des agendas d’accessibilité programmée et des schémas directeurs d’accessibilité. Je pense également aux dérogations pour les copropriétés et celles dont bénéficieront de facto l’immense majorité des établissements recevant du public de cinquième catégorie, du fait de l’impossibilité pour l’administration de traiter toutes les demandes.
Nous avons néanmoins conscience du fait que parvenir à un point d’équilibre parfait entre les inquiétudes des personnes handicapées et la prise en compte des difficultés relatives à la mise en œuvre de l’accessibilité constituait une tâche difficile. Je pense en particulier aux contraintes qui seront imposées aux petits commerces et aux collectivités territoriales, dont les dotations ont pourtant subi une baisse sans précédent.
En définitive, je crois que la méthode définie par la loi du 10 juillet 2014 et la rédaction de cette ordonnance constituent sans doute un moindre mal pour éviter deux écueils majeurs : le statu quo, tout d’abord, qui aurait inévitablement entraîné une judiciarisation à outrance et, d’autre part, l’abandon pur et simple de l’objectif de mise en accessibilité.
L’accord trouvé par la commission mixte paritaire témoigne de cette volonté de préserver la dynamique et de poursuivre les efforts engagés autour de l’objectif de mise en accessibilité tout en adoptant une approche pragmatique.
Le législateur avait fixé des objectifs ambitieux en 2005. Nous ne devons pas y renoncer, même si l’échec collectif que nous devons assumer aujourd’hui nous force à légiférer de manière nécessairement insatisfaisante. Tel est, je crois, l’esprit de cette ordonnance qui, en dépit de ses imperfections regrettables, vise bel et bien à poursuivre l’effort de mise en accessibilité universelle, qui est l’objectif que nous partageons toutes et tous.
Aussi, notre groupe soutiendra ce projet de loi car nous estimons que quarante années après la loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, il est plus que temps de mettre en œuvre des solutions concrètes et réalistes pour faire de l’accessibilité une réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.
Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, voici quarante ans que les premières obligations légales de mise en accessibilité des bâtiments et de la voirie ont vu le jour avec la loi dite « loi d’orientation » qu’a présentée Simone Veil le 30 juin 1975. Ces dispositions devaient être actées dans les six mois. Or, après trente ans de démissions successives de la gauche comme de la droite, la loi du 11 février 2005 prévoyait que l’accès normalisé aux établissements recevant du public, à la voirie et aux transports intervienne au 1er janvier 2015.
Prenant acte des promesses non tenues, le rapport de la sénatrice Claire-Lise Campion ne pouvait que constater en 2013 l’impossibilité de tenir les engagements des politiques datant tout de même de quarante ans. Bien entendu, il est impossible de rendre tous les établissements recevant du public accessibles, à moins de raser tous les bâtiments publics. De même, l’idée de rendre le métro et le RER parisiens totalement accessibles se heurte à d’insurmontables difficultés techniques.
En ces matières, il ne faut céder ni aux exigences d’accessibilité parfois jusqu’au-boutistes, voire intégristes et, de toute manière, contre-productives, ni aux pressions des lobbies de l’immobilier. S’il est souhaitable de trouver un consensus sur des solutions de bon sens qui puissent satisfaire tout le monde, on ne saurait accepter la mise en cause et les reculs en matière d’accessibilité des handicapés sous prétexte de faire des économies, alors que la gabegie se poursuit dans tant d’autres domaines. Les handicapés ne doivent pas faire les frais de la faillite des politiques économiques menées jusque-là, ce d’autant plus que la mise aux normes d’accessibilité est susceptible de créer des emplois en France.
Cédant à des pressions parfois excessives, les gouvernements successifs ont promis n’importe quoi aux personnes en situation de handicap, et ont dans le même temps cédé aux pressions de divers lobbies, notamment immobilier. Qu’une personne en situation de handicap ne puisse pas se rendre là où tout citoyen peut se rendre est une inégalité inadmissible et une discrimination qui constitue une véritable double peine, ajoutant à la difficulté ou l’impossibilité de se mouvoir l’humiliation d’un citoyen.
Pourtant, rappelons que les dispositions relatives à l’accessibilité de la voirie, des ERP et des transports ne bénéficient pas seulement aux personnes en situation de handicap, mais également à toutes les personnes dites « à mobilité réduite » comme, par exemple, les femmes enceintes ou avec poussettes ainsi que les personnes âgées.
Du coup, cette politique brouillonne et irresponsable conduit à des situations absurdes. L’obligation qui est faite aux collectivités territoriales de mettre leur patrimoine immobilier aux normes intervient à un moment où les dotations budgétaires de l’État sont en nette diminution, ce qui aboutira à une inévitable augmentation de la pression fiscale – taxe foncière et taxe d’habitation – dans des communes qui n’ont pas la chance d’avoir des ressources suffisantes.
Dès lors, on peut comprendre l’incompréhension de certains maires pour qui l’accessibilité est vécue comme une corvée, et non comme un devoir. À cause d’une politique d’information insuffisante, ils ne savent pas toujours que les directions départementales du territoire et les directions départementales des territoires et de la mer peuvent les aider, et que les demandes de dérogation sont très facilement acceptées pour des raisons de disproportion financière ou d’impossibilité technique, déjà prévues par les textes.
Les délais de réalisation des travaux prévus dans les agendas d’accessibilité programmée pour les collectivités ayant un patrimoine multiple peuvent atteindre neuf ans. Il serait souhaitable de moduler ce délai en fonction de la plus ou moins grande faisabilité des travaux. Il ne faudrait pas que cette possibilité laissée aux collectivités ou entités privées à la tête d’un patrimoine important – comme les petites boutiques appartenant à des grands groupes, par exemple – soit le prétexte pour retarder indûment des travaux qui peuvent être d’un coût raisonnable. Placer au plus tôt des nez de marche contrastés ou des mains courantes rendrait service à de nombreuses personnes à mobilité réduite, notamment les personnes âgées.
Le retard pris par certaines collectivités territoriales dans la mise en œuvre des schémas directeurs et des agendas d’accessibilité programmée en matière de transports publics est regrettable, notamment dans les régions rurales. Si cette disposition n’est pas rendue obligatoire, cela risque fort de justifier l’inaction de certaines collectivités allant à l’encontre du principe de continuité de la chaîne de déplacement. Elle est pourtant utile à un public plus large, tel que les personnes âgées et les personnes qui sont dans l’impossibilité de conduire.
Le rapporteur justifie les délais de prorogation en expliquant plaisamment qu’on ne peut pas à la fois réduire les dotations aux collectivités locales tout en exigeant d’elles dans le même temps des dépenses urgentes supplémentaires. Certes, mais une telle difficulté ne serait pas aujourd’hui à surmonter si la volonté politique avait été plus affirmée hier.
De même, l’ordonnance du 26 septembre supprimait l’exigence d’accessibilité de la chaîne de déplacement dans sa totalité. Ce principe, énoncé dans la loi du 11 février 2005 comme un objectif à long terme, ne doit pas être abandonné, surtout quand on sait qu’il n’interdit pas des aménagements en matière de calendrier des plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, et même des transports de substitution.
Tant que nous n’aurons pas recouvré notre souveraineté budgétaire et que nous n’aurons pas redéfini nos priorités – la politique des quartiers, par exemple, étant visiblement plus attractive que l’accès pour les handicapés –, tous ces beaux programmes ne resteront que des vœux pieux. Soyons réalistes : les délais sont devenus intenables et vous adaptez la loi à un état de fait, lequel ne doit pourtant pas nous résigner. Je voterai donc pour ce texte, mais c’est un vote vigilant et exigeant pour l’avenir à l’égard de nos concitoyens les plus vulnérables.
M. le président. La discussion générale est close.
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L’ensemble du projet de loi est adopté.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (nos 2183, 2923, 2916, 2919).
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons pour traiter d’un texte depuis longtemps attendu et dont il a été très largement question, à l’Assemblée nationale, à la faveur des récents débats relatifs au projet de loi portant réforme de l’asile.
Beaucoup d’entre vous, notamment dans l’opposition, aviez lors de l’examen de ce texte, insisté sur la nécessité de reconduire à la frontière les personnes qui relèvent de l’asile et ont été déboutées au terme de la procédure engagée, cela afin de garantir un bon équilibre à notre politique de l’asile. Certains étaient allés jusqu’à considérer, faisant mine d’oublier qu’il y avait deux textes, que le premier d’entre eux, qui avait été présenté à la représentation nationale, était déséquilibré puisqu’il ne comportait aucun élément concernant le droit au séjour.
J’avais alors indiqué devant l’Assemblée nationale et le Sénat que le Gouvernement en avait fait le choix et que le fait de présenter deux textes présentait une grande cohérence puisque l’un traitait de la question spécifique et particulière de l’asile, l’autre du droit au séjour. J’avais ajouté que les sujets qu’un certain nombre de parlementaires souhaitaient voir traiter dans le cadre du texte relatif à l’asile seraient abordés dans le cadre du second texte que le Gouvernement allait déposer sur le bureau du Parlement.
Nous y voilà. Au moment où nous abordons l’examen de ce second texte, après que le premier a été adopté au terme d’un débat dont je salue la qualité, j’indique à la représentation nationale le souhait du Gouvernement de faire en sorte qu’en matière de politique migratoire et d’immigration la raison l’emporte sur toute autre considération.
Que quelle que soit la sensibilité qui préside à nos prises de position, nous réussissions à éviter les outrances, les amalgames, les contre-vérités, pour nous en tenir à la réalité de la situation internationale et de ce qu’elle nous dicte, de ce qu’est la politique de notre pays et de ce qu’est l’immigration, au regard des chiffres qu’enregistre notre pays depuis de nombreuses années, pour ne pas dire de nombreuses décennies.
Que sur la base de cette réalité, avec la plus grande rigueur et une parfaite honnêteté intellectuelle, si possible par le biais d’un consensus, que nous puissions définir pour notre pays, dans le respect de sa tradition et de ses valeurs, une politique migratoire qui corresponde au discours que les peuples du monde, de façon presque séculaire, ont appris à aimer de notre pays.
Je vais donc reprendre un certain nombre d’éléments extrêmement précis et, convoquant les faits, les chiffres, la réalité, répondre à un certain nombre d’interrogations légitimes qui se posent dans le débat public, même si je ne peux ignorer, car nous ne devons pas faire preuve de naïveté en la matière, que certaines de ces interrogations perdent un peu de leur légitimité lorsque, pour s’exprimer, elles convoquent beaucoup de mauvaise foi…
Commençons par regarder le contexte. Quel est-il ? Il est celui d’une situation internationale extrêmement difficile. Un certain nombre de pays ont connu des évolutions mettant profondément en cause en leur sein le respect des droits de l’homme et suscitant des troubles, des antagonismes, des violences, et ce dans un espace géopolitique relativement large. Cela conduit depuis quelques mois à un renforcement de la pression migratoire, à une échelle et selon des modalités que notre pays n’avait pas connues depuis longtemps, qu’il n’avait même peut-être jamais connues au cours des dernières décennies et des derniers siècles.
Quelques chiffres : depuis le début de l’année 2015, ce sont plus de cent soixante mille migrants qui ont franchi les frontières extérieures de l’Union européenne – un peu plus de soixante dix mille en Italie et un peu plus de soixante dix mille en Grèce. Ils l’ont fait pour des raisons qui tiennent à la situation très difficile, que nous avons tous à l’esprit, dans un certain nombre de pays – je pense à l’Irak ou à la Syrie, pays dans lesquels des minorités sont persécutées, emprisonnées, torturées, décapitées, crucifiées. Ces minorités prennent le chemin de l’exode non parce qu’elles ont découvert sur les plages de Libye le code Schengen et sont tombées amoureuses de son texte et de son esprit, mais pour des raisons qui tiennent au fait que, dans le temps long de l’histoire de l’humanité, à chaque fois que des persécutions se sont exercées sur des minorités et des peuples, certains n’ont eu d’autre choix que celui de prendre le chemin de l’exode, simplement pour pouvoir continuer à vivre.
Cela vaut pour l’Irak, pour la Syrie, pour certaines minorités érythréennes, soudanaises, somaliennes. Ces nationalités, dont on sait dans quel trouble quotidien elles vivent et quelles souffrances elles ont accumulées pendant tant d’années, viennent sur le territoire de l’Union européenne, non pour y trouver un eldorado mais simplement pour essayer d’échapper à la mort et continuer à vivre, ce qui souvent s’apparente à survivre.
Cette réalité politique, notre pays en a conscience, ce qui conduit sa diplomatie à agir afin de régler une partie de la difficulté. Si nous sommes présents dans la coalition pour contenir, juguler et combattre les actes terroristes, c’est précisément parce que nous avons parfaitement à l’esprit les conséquences qu’ils peuvent avoir sur les minorités qui quittent les pays où elles ont été persécutées pour rejoindre l’Union européenne.
Si nous sommes très engagés sur le plan diplomatique derrière Bernardino Leon, c’est que nous avons conscience de la nécessité, en Libye, où la déréliction de l’État joue son rôle de déstabilisation, de trouver une solution politique pour éviter que cette absence d’État n’engendre d’importants flux migratoires.
Si nous sommes mobilisés, dans un certain nombre de pays comme le Mali ou la République Centrafricaine, c’est pour des raisons identiques qui tiennent à notre conscience des risques de déstabilisation d’une région et aux valeurs que nous portons au plan mondial, valeurs qui conduisent souvent la France à agir seule, au sein de l’Union européenne, lorsque l’essentiel est en jeu.
Face à cette situation, notre action est à la fois diplomatique, en ayant conscience des difficultés, pédagogique, face à la dimension géopolitique des défis auxquels nous sommes confrontés, et politique.
J’ai entendu il y a quelques semaines un responsable d’une grande organisation politique qui, regardant ce que fait la France au plan européen, estimait qu’elle ne faisait rien sur la politique migratoire. Il faut abonner ce grand responsable politique aux journaux qui disent ce que nous faisons, sans, du reste, se montrer toujours complaisants à l’égard de notre action – certains qui lui servent à l’occasion de bible n’ont jamais considéré que nous étions inertes sur ce sujet. Les comptes rendus de l’Assemblée nationale permettent d’ailleurs d’assurer l’information de tous sur la totalité des actions que nous conduisons, dès lors qu’il en est rendu compte.
Permettez-moi donc de rappeler un certain nombre d’éléments. C’est au mois d’août dernier, alors que la crise migratoire n’avait pas encore atteint le paroxysme qu’on lui connaît aujourd’hui, que j’ai pris l’initiative le 30 août, avec l’autorisation du Président de la République et du Premier ministre, pressentant quelle dimension revêtirait cette crise compte tenu du contexte géopolitique, d’une tournée des capitales européennes, en faisant à destination de mes homologues de l’Union européenne des propositions extrêmement concrètes.
Quelles étaient ces propositions ? Il s’agissait d’abord de substituer à l’opération Mare nostrum, opération utile engagée par les seuls Italiens, à vocation exclusivement humanitaire, une opération conduite par l’Union européenne sous l’égide de Frontex, qui soit à la fois une opération de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne et une opération de secours à ceux qui seraient victimes d’avaries en mer et pourraient voir leurs vies mises en danger. Pourquoi demander cette substitution ? Parce que l’opération Mare nostrum, exclusivement humanitaire, avait certes sauvé plus de vies, mais elle avait aussi conduit à déplorer plus de morts. En effet, les passeurs en faisaient un argument pour inciter les migrants à prendre la mer à destination de l’Union européenne sur des embarcations de plus en plus nombreuses, de plus en plus frêles et de plus en plus dangereuses. Or si nous n’avons pas, en même temps que la capacité de sauver des vies en Méditerranée, ce qui est un devoir moral et une exigence absolue, à laquelle la France souscrit totalement, un contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, pour envoyer aux passeurs et aux organisations criminelles internationales le signal qu’il y a une fermeté européenne à l’égard de ceux qui exploitent la misère humaine en se livrant à la traite des êtres humains, quelle peut être la portée de ce que nous faisons sur le plan humanitaire ? Cette idée-là, que nous avons portée au mois d’août, est devenue la politique de l’Union européenne : en octobre-novembre, l’opération Frontex s’est substituée à l’opération Mare nostrum.
Nous avons également souhaité que ceux qui franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne et arrivent en Europe puissent être – conformément aux règles de l’Union européenne – identifiés. En effet, 60 % de ceux qui arrivent en Italie comme en Grèce relèvent de l’immigration économique irrégulière, et n’ont aucune chance de bénéficier du statut de réfugié en Europe. En l’absence d’un tel dispositif, les 40 % qui, eux, relèvent du statut de réfugié, errent sur les routes de l’Europe et attendent longtemps, dans une absolue vulnérabilité, de se voir reconnaître ce statut alors que leur répartition entre les différents pays de l’Union européenne et la mise en place d’une politique européenne de l’asile permettraient de traiter leurs cas beaucoup plus rapidement, et surtout beaucoup plus humainement. Cette proposition a elle aussi été retenue par l’Union européenne : c’est la mise en place des hotspots en Italie et en Grèce. Même s’il faudra veiller à ce que l’Union européenne y mette les moyens, à ce qu’elle s’engage à la hauteur de l’enjeu, cette idée figure bien dans la proposition de l’Union européenne.
Nous avons souhaité qu’il y ait une répartition des demandeurs d’asile entre les pays de l’Union européenne, car il n’est pas normal que cinq pays de l’Union accueillent à eux seuls 85 % des demandes d’asile en Europe. Un mauvais concept a été utilisé au moment de la présentation de ce plan, donnant à penser que cette proposition de répartition revenait à mettre en place au sein de l’Union européenne des quotas de migrants. Nous avons rejeté cette expression, non que nous ne soyons pas favorables à une répartition de ceux qui relèvent de l’asile en Europe, mais tout simplement parce que ceux-ci se voient attribuer le statut de réfugié en fonction de critères, et non au titre de quotas, et que l’utilisation du terme de quotas n’a aucun sens pour des demandeurs d’asile. Il n’en a pas davantage pour les migrants économiques irréguliers, puisqu’ils ont vocation à être reconduits à la frontière, sans quoi ce que nous faisons en matière d’accueil des réfugiés n’est pas soutenable.
Lorsque sur 60 000 migrants, l’Europe propose d’en accueillir 20 000 au titre du processus de réinstallation, 40 000 au titre du processus de relocalisation, une répartition de ceux qui relèvent de l’asile parce qu’ils sont persécutés dans leur pays entre les différents pays de l’Union européenne, parce que les valeurs des pères fondateurs de l’Union nous conduisent à porter ce discours, parce qu’il n’y a pas de raison que cinq pays de l’Union accueillent 85 % de la demande d’asile en Europe, parce que nous souhaitons que les règles de Schengen soient appliquées, nous faisons preuve de responsabilité politique. En proposant cela, l’Union européenne reprend à son compte un certain nombre des propositions formulées par la France ; nous acceptons d’entrer dans ce processus à hauteur de 8000 demandeurs d’asile accueillis, parce que c’est notre devoir de le faire, notre devoir moral d’apporter cette réponse, et parce qu’on ne peut être résolument européen sans être exemplaire sur la question migratoire. Nous avons pensé qu’il était raisonnable de le faire dès lors qu’il y avait les hotspots et le processus de reconduite à la frontière.
Le processus de reconduite à la frontière suppose un dialogue étroit avec les pays de la bande sahélo-saharienne. C’est la raison pour laquelle je me suis rendu au Niger il y a un mois et demi, afin d’engager avec les autorités nigériennes une discussion pour savoir s’il était possible de mettre en place au Niger un centre de maintien et de retour qui permette d’organiser à partir des côtes de l’Union européenne ce retour des migrants économiques irréguliers vers les pays de provenance. Là encore, cela figure dans la proposition de l’Union européenne ; et si nous reprenons l’agenda européen, nous ne pouvons pas ne pas constater qu’il est grandement inspiré de ce que nous avons nous-mêmes initié à partir du mois d’août dernier. Lorsque j’entends que la France ne fait rien sur les questions migratoires au sein de l’Union européenne, je me demande donc si ceux qui s’expriment sont bien informés et attentifs à ce qui se passe, à moins que le ressentiment et la volonté de s’opposer à tout prix ne les conduisent à ne plus convoquer que la mauvaise foi !
M. Guillaume Larrivé. Jamais !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà ce que je voulais dire sur ce premier sujet.
Il y a un deuxième sujet sur lequel il convient d’être extrêmement précis et extrêmement clair : c’est la politique de l’asile.
Quelle était donc la situation dans ce domaine ? À entendre les uns et les autres, il semble parfois qu’il y aurait longtemps eu une politique de l’asile parfaitement maîtrisée, et que depuis quelques années, on assisterait à une augmentation considérable des demandes d’asile, face à laquelle le Gouvernement ne ferait rien. Là aussi, apportons des réponses extrêmement précises : les chiffres sont publics, connus, ils peuvent être consultés par tous. La vérité existe dans le débat public, et on peut la convoquer de temps en temps lorsqu’il s’agit de sujets aussi importants sur le plan humain. Le nombre de demandes d’asile en France a doublé entre 2006 et 2012.
M. Olivier Marleix. Celui des titres délivrés aussi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Depuis 2014, il a diminué de 2,34 %. Par conséquent, lorsque j’entends dire que par une sorte de laxisme volontaire, idéologique et congénital de cette majorité, le Gouvernement aurait ouvert toutes les portes de l’asile et de l’immigration, en contradiction totale avec les chiffres que je viens de rappeler…
M. Guillaume Larrivé. Plus 35 % !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …je me demande s’il est bien raisonnable d’engager le débat ainsi dans un pays où il existe une organisation politique dont le seul et unique objectif est de prendre la question de l’immigration en otage pour susciter des peurs, des divisions – et parfois aussi, il faut bien le dire, des haines.
Je dis donc très clairement qu’il est faux de dire que depuis 2012, les demandes d’asile ont explosé dans notre pays : c’est le contraire qui s’est produit – je vous renvoie aux chiffres de 2014.
En ce qui concerne les délais, je veux rappeler que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, la directive asile n’avait pas été intégrée en droit français et les délais étaient de vingt-quatre mois. Nous avons fait voter un texte extrêmement précis dans son contenu. Il prévoit de ramener la durée de traitement des dossiers des demandeurs d’asile à neuf mois à la fin du quinquennat. Nous le ferons en créant des places supplémentaires en centres d’accueil pour demandeurs d’asile – CADA – afin que ceux qui relèvent de l’asile soient accueillis conformément aux valeurs universelles que porte depuis des décennies notre pays. Ayant fait le constat d’un déficit de 20 000 places en CADA, nous avions d’ores et déjà décidé la création de 8000 places, auxquelles nous avons ajouté 4200 places dans le cadre du plan que j’ai présenté avec Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, en Conseil des ministres il y a trois semaines. Nous avons décidé de créer cinquante postes supplémentaires à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – pour réduire la durée de traitement des dossiers des demandeurs d’asile.
Quel est le résultat de cette politique ? En 2014, les délais de traitement des dossiers des demandeurs d’asile ont diminué – pour la première fois depuis des années – de 8 %. Une démarche de progrès inédite jusqu’alors est donc amorcée. Dans le même objectif, nous avons décidé de créer des postes à la Cour nationale du droit d’asile – CNDA. Nous avons davantage reconnu les droits des demandeurs d’asile devant les juridictions. Et nous avons indiqué clairement, sans quoi il n’y aurait pas de soutenabilité de la politique de l’asile en France, que ceux qui ont été déboutés du droit d’asile et qui n’ont pas vocation à séjourner dans notre pays à un autre titre, doivent pouvoir être reconduits à la frontière dans des délais plus courts. La réduction du délai de traitement des dossiers des demandeurs d’asile nous paraît d’ailleurs constituer un élément de facilitation de la reconduite à la frontière des déboutés ayant épuisé tous les recours. Je veux le dire clairement devant la représentation nationale, il n’y a pas de soutenabilité de ce que nous avons décidé de faire au titre de la loi asile sans une grande clarté sur les conditions dans lesquelles nous entendons, de façon humaine mais ferme, traiter la situation de ceux qui sont déboutés du droit d’asile.
Pour témoigner de la sincérité de notre propos, je veux là aussi donner des chiffres incontestables. Il y aurait eu un âge d’or où la reconduite à la frontière de ceux qui étaient en situation irrégulière aurait été la règle, et nous serions aujourd’hui dans un âge de plomb où cette règle ne serait plus jamais respectée. Mais quels sont les chiffres et les pratiques, étant entendu que les chiffres doivent aussi s’analyser à l’aune des pratiques ?
Les pratiques d’abord. Il est vrai qu’il y a eu un temps, pour un certain nombre de ressortissants de l’Union européenne, des reconduites à la frontière aidées par des dispositifs subventionnés, qui conduisaient notamment des ressortissants roumains et bulgares – autour de 15 000 – à toucher une prime à Noël, à partir dans leur pays, à revenir après le jour de l’an et à repartir à Pâques pour toucher une nouvelle fois la prime. Ce dispositif permettait d’afficher des statistiques avantageuses. Cette politique était coûteuse ; elle ne correspondait à rien de cohérent et de sérieux, et elle avait pour conséquence de masquer l’incapacité dans laquelle on se trouvait de procéder à la reconduite à la frontière de ceux qui sont les plus difficiles à reconduire, à savoir les ressortissants hors Union européenne. Nous y avons mis fin. En même temps, nous avons augmenté le nombre des ressortissants de pays non membres de l’Union européenne reconduits à la frontière.
M. Guillaume Larrivé. Grâce à la loi de 2011.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est plus 13 % depuis 2012. Je vous donne des chiffres précis : nous procédons aujourd’hui à plus de 16 000 reconduites à la frontière d’étrangers hors Union européenne en situation irrégulière ; il y a deux ans, nous étions autour de 13 000.
Il m’arrive d’entendre dire qu’il y aurait non seulement une difficulté à procéder à la reconduite à la frontière, mais aussi une certaine pusillanimité à lutter contre les filières de l’immigration irrégulière. C’est tout aussi faux que ce que je viens de rappeler et, je l’espère, de contrer avec des arguments précis. Quelle a été notre politique à l’égard des filières de l’immigration irrégulière ? Nous avons engagé une stratégie – qui inspire les consignes données à mes services, de manière très ferme, par circulaire – de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière. À Calais, l’an dernier, c’est 25 % de plus d’acteurs et de filières de l’immigration irrégulière que nous avons démantelés.
Pour la seule année 2014, au plan national, ce sont 256 filières supplémentaires d’immigration irrégulière que nous avons démantelées. Depuis le début de l’année 2015, sur la seule ville de Calais, 115 filières de ce type ont été démantelées. Bref, depuis 2012, le nombre de filières d’immigration irrégulière démantelées a augmenté de 25 %.
Voilà encore des chiffres qui montrent la politique du Gouvernement, sa détermination et sa fermeté. Mais la fermeté n’est pas la forfanterie, ni la fermeture, pas plus que l’outrance verbale : c’est une action méthodique, des politiques publiques cohérentes et une volonté de chaque instant de faire, sur ces sujets, la démonstration par l’action plutôt que le discours non suivi d’effets.
Voilà quelle est la politique du Gouvernement, et cette politique nous la poursuivrons résolument, car elle est la condition de notre action en faveur de ceux qui ont vocation à être accueillis en France parce qu’ils se trouvent en situation de vulnérabilité.
J’en viens au projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui…
M. Guy Geoffroy. Ah !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …ainsi qu’aux équilibres qui ont présidé à son élaboration. Il s’inscrit dans la continuité de celui relatif à la réforme du droit d’asile, et se propose d’atteindre trois objectifs simples. Je les rappelle, en indiquant aussi quels outils et quels instruments nous entendons mobiliser pour les atteindre.
Le premier objectif consiste à mieux accueillir et à mieux intégrer ceux qui y ont vocation. Le deuxième est de pouvoir accueillir, pour des raisons liées à la compétitivité et au développement économique, un certain nombre de talents désireux de venir dans notre pays, notamment des chercheurs et des intellectuels qui avaient été un peu refroidis par la circulaire de 2012.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Merci Guéant.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Comme toutes les grandes nations qui ont une ambition de développement économique et de croissance, la France doit en effet être capable de les accueillir en son sein.
Le troisième objectif est de lutter davantage contre l’immigration irrégulière, avec la fermeté qui s’impose.
Premier objectif donc : mieux accueillir et mieux intégrer ceux qui ont vocation à l’être. Comment le remplir ? D’abord en simplifiant les procédures, et en donnant davantage de chances à ceux qui sont accueillis d’être intégrés dans de bonnes conditions.
Les deux aspects sont, d’ailleurs, très étroitement liés. Pour atteindre cet objectif de simplification et de meilleur accueil, nous mettons en place le titre pluriannuel de séjour. De quoi s’agit-il ? D’un titre de séjour destiné aux étrangers qui séjournent dans notre pays depuis un an et qui leur évitera de devoir se rendre en préfecture plusieurs fois par an, pendant cinq ans, afin précisément de se voir reconnaître le droit à un titre de séjour.
Ce titre pluriannuel de séjour sera mis en place pour une durée allant de deux à quatre ans : il leur permettra d’avoir la visibilité nécessaire à leur intégration, à leur accès à l’emploi, à la langue ainsi qu’à la connaissance de notre pays. Ce titre est non seulement un progrès pour ceux que nous accueillons, mais il en est également un – considérable – pour l’administration préfectorale car il simplifiera considérablement ses tâches d’accueil des étrangers.
Je rappelle qu’alors que 2,5 millions d’étrangers sont concernés chaque année par ces procédures, 6 millions de passages en préfectures sont enregistrés. Il est donc absolument indispensable de procéder à cette simplification, car elle garantit une meilleure intégration de ces étrangers ainsi qu’un meilleur fonctionnement des services préfectoraux. Elle est donc aussi un acte de simplification et de rationalisation.
Par le contrat d’intégration – qui n’est pas une innovation de ce Gouvernement, puisque cette bonne idée avait déjà été proposée en 2003 par François Fillon – nous souhaitons adopter des exigences renforcées en matière de pratique de la langue française et d’accès aux valeurs de la République.
En effet, dans le contrat « Fillon » de 2003, le niveau de langue exigé était A1 : nous souhaitons passer au niveau A2, plus élevé et plus significatif. Ce niveau d’apprentissage de la langue française doit donner à l’étranger toutes les chances d’intégration.
Il en va de même de la connaissance des valeurs et des principes de la République à laquelle l’étranger doit accéder. Il est très important pour nous de créer, à travers l’ensemble de ces dispositifs, les conditions d’une intégration réussie.
Bien entendu, nous devons être responsables : la contrepartie de ces dispositifs de facilitation et d’accompagnement de l’intégration est la lutte résolue contre toutes les fraudes, et notamment contre la fraude documentaire.
Pour cette raison, ce projet de loi met en place un dispositif de communication aux préfets d’un certain nombre d’informations : cela garantit que le parcours d’intégration se déroule dans de bonnes conditions et que la fraude n’est jamais la modalité de la relation entre l’étranger et la République française.
Un certain nombre d’acteurs, notamment associatifs, ont estimé que ce processus de communication était disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi et qu’il constituait une forme d’intrusion sans justification. Ce n’est pas le cas.
Ce processus n’est en effet, en aucun cas, dicté par une suspicion ou une volonté intrusive. Il illustre la détermination suivante : les mécanismes d’intégration que nous construisons doivent être effectifs, la fraude documentaire exclue et la relation entre l’étranger et la République doit demeurer une relation de confiance forte et stable.
Deuxième objectif : accueillir les talents. Notre pays a besoin d’accueillir des intellectuels, des chercheurs, des scientifiques et aux étudiants. Toutes les grandes nations qui ont une ambition de croissance font de même.
Par sa circulaire de 2012, M. Guéant avait procédé à une fermeture, avec une baisse de 6 000 titres de séjour accordés aux étudiants. Nous avons décidé de revenir non seulement à ce qui était la tradition de notre pays, mais également à ce que sont ses intérêts de puissance économique.
Nous n’avons en effet pas intérêt à voir les chercheurs, les intellectuels et les scientifiques s’installer dans toutes les grandes nations développées à l’exception de la France, au motif qu’elle aurait décidé de se fermer, de se nécroser et de refuser la relation à autrui.
Nous prenons, dans ce domaine également, des dispositions nouvelles, par exemple pour les chercheurs et les talents : auparavant, six types de titre de séjour leur étaient réservés, dont un – j’ai regardé ce point de près – ne concernait que dix cas par an.
Pour eux, nous mettons en place le « passeport talents » qui bénéficiera, pendant quatre années, à ces ressortissants étrangers afin qu’ils fassent leurs études en France, qu’ils y apprennent dans les universités et qu’ils soient en contact avec les plates-formes technologiques ainsi qu’avec les centres de recherche. Il y va de l’intérêt de la France.
De la même manière, s’agissant des étudiants les plus brillants qui sont titulaires d’un master et qui souhaitent, pendant un an, accéder au marché du travail, nous facilitons cette transition. Là aussi, l’intérêt de la France est de laisser de jeunes entrepreneurs créer sur son territoire des entreprises, des start-up et des clusters qui permettront de développer notre économie.
Troisième objectif : lutter contre la fraude et contre l’immigration irrégulière. Concernant cette dernière, ce projet de loi pose des principes extrêmement fermes et clairs, qui sont des outils utiles au Gouvernement. Celui-ci traite de ces sujets sans angélisme, en visant à la fois l’accueil et la responsabilité.
Le premier point concerne l’obligation de quitter le territoire français, l’OQTF. Dès lors qu’il s’agit, notamment, de ressortissants de l’Union européenne pouvant présenter des risques de troubles graves à l’ordre public, il est possible, pour une durée allant de un à trois ans, d’interdire leur retour sur le territoire national, à moins qu’ils n’aient exécuté d’eux-mêmes l’OQTF qui leur a été adressée. Dans ce cas, il est possible de ne pas les soumettre à cette obligation.
Cette mesure n’existait pas et n’avait jamais été mise en place : elle témoigne de notre grande fermeté s’agissant de l’exécution de ces OQTF comme celle dont nous faisons preuve à l’égard du comportement de ceux que nous accueillons. Nous mettrons en œuvre ces dispositifs avec la plus grande fermeté.
M. Olivier Marleix. Que de belles paroles !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Concernant l’assignation à résidence, j’ai entendu des choses extrêmement intéressantes : or en France, à peu près 1 600 sont en vigueur, contre 20 000 rétentions. On constate, avec les centres de rétention, la grande difficulté des reconduites à la frontière. Quelle est la nature du dispositif de l’assignation à résidence, qui a d’ailleurs été longtemps réclamée par l’opposition, précisément en raison de son efficacité, et qui a même été envisagée en 2011 ?
M. Guillaume Larrivé. C’est faux.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si, si, monsieur Larrivé : je dispose de déclarations que je vous relirai tout à l’heure. Vous prendrez avec moi un plaisir illimité à cet exercice. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Thierry Mariani. Il s’agissait de ministres d’ouverture.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous verrez, il est agréable de constater comment on peut parfois, pour des raisons tenant aux contingences et non au fond du sujet, changer d’avis.
De quoi s’agit-il ? L’assignation à résidence permet, effectivement, de traiter avec plus d’humanité les personnes assignées ou mises en situation de devoir partir lorsqu’il le faut.
Mais l’assignation à résidence a d’autres caractéristiques : elle permet également aux forces de l’ordre, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, de procéder à des intrusions domiciliaires lorsqu’il est nécessaire de contraindre au retour à la frontière de ceux qui s’y refusent. De ce point de vue-là, refuser le dispositif de l’assignation à résidence, qui a des caractéristiques humanitaires, revient à refuser l’efficacité des procédures de reconduites à la frontière.
On ne peut pas tout avoir à la fois, c’est-à-dire souhaiter à la fois plus de reconduites à la frontière et refuser un dispositif qui permet d’en faciliter l’avènement alors que l’on constate que tous les autres dispositifs ont une efficacité moindre, sauf à considérer que n’est efficace que ce qui est systématiquement brutal… (Dénégations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Larrivé. Votre mauvaise foi est évidente.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …Et que fermeté doit rimer avec brutalité : tel n’est pas mon objectif.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je pense que la fermeté n’exclut pas l’humanité, et que le rôle d’un Gouvernement jouant la carte de la fermeté et de la recherche de l’efficacité est aussi de se préoccuper de l’humanité pour obtenir un minimum de résultats. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place ce dispositif : je propose que le débat ne soit pas l’occasion d’adopter des postures mais d’aller, entre nous, au fond de ces questions.
Toutes les organisations et tous les groupes politiques ont, au cours des dernières années, eu l’occasion d’en débattre fortement, en songeant parfois à mettre en œuvre certains dispositifs.
Pour conclure, quelques mots sur certains amendements qui ont été déposés : je remercie d’abord très chaleureusement le président de la commission des lois, le rapporteur Erwann Binet, Marie-Anne Chapdelaine ainsi que tous les parlementaires de la majorité – et aussi de l’opposition, car ceux-ci ont parfois déposé des amendements intéressants, au moins du point de vue du débat et de l’échange intellectuel – qui ont contribué à amender et à modifier ce projet de loi.
Un travail considérable, et sur des points fondamentaux, a été effectué, et j’en remercie sincèrement le rapporteur. Un mot sur quelques-uns d’entre eux qui me tiennent à cœur, et d’abord sur les étrangers malades.
En 2011, le dispositif mis en place revenait à pouvoir reconduire dans son pays un étranger malade en France si les thérapies permettant de le soigner existaient dans ce même pays. Cette même année, le ministre de la santé avait demandé qu’on appliquât ce type de reconduite avec beaucoup de discernement, et même qu’on évite de l’appliquer.
En effet, dans certains pays, lesdites thérapies, si elles existent, n’en sont pas pour autant accessibles – en raison de leur coût et de leur faible diffusion dans les secteurs hospitaliers – à ceux qui sont susceptibles d’en bénéficier. Par conséquent, la France avait très peu appliqué ce dispositif, pour les raisons que je viens d’indiquer.
Au terme d’une inspection commune à plusieurs ministères, il est proposé de confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, sur la base d’un cahier des charges établi par le ministère de la santé, le soin de conduire, de façon à la fois ferme et humaine, le nouveau dispositif. Il faut que ceux qui doivent être soignés en France puissent l’être, et ne renvoyer chez eux que ceux qui ont la garantie d’être soignés, dans leur pays, dans des conditions équivalentes.
M. Alain Marleix. Nous ne sommes même pas capables de soigner les Français à moins de 150 kilomètres de chez eux.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ensuite, je voudrais aborder un second point : les conditions de mise en œuvre de l’OQTF et de la rétention. Le rapporteur Erwann Binet a fait, sur ce sujet, des remarques extrêmement fortes : elles m’ont convaincu. Elles reprenaient, d’ailleurs, en grande partie, les réflexions de Matthias Fekl à l’époque où, avant d’entrer au Gouvernement, il réfléchissait au contenu de ce projet de loi.
Nous avions d’ailleurs eu l’occasion de débattre de ces sujets lors de la discussion du projet de loi relatif au renseignement, et je n’avais alors pas toujours été bien compris – sans doute m’étais-je mal exprimé. J’avais à cette occasion rappelé la compétence presque exclusive du juge judiciaire en matière de liberté et de rétention, en vertu de l’article 66 de la Constitution. C’est la raison pour laquelle l’argumentation très forte du rapporteur m’a convaincu de la nécessité de le faire intervenir plus tôt et de façon exclusive, et non pas longtemps après le début de la rétention. Je pense que cela est plus conforme à l’esprit de la Constitution, plus lisible et plus cohérent. Ainsi, le juge judiciaire sera juge de la rétention et le juge administratif juge de l’OQTF.
Mme Sandrine Mazetier. Très bien ! Excellent retour !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce sera plus clair et plus simple ; il n’y aura plus d’angle mort et ce sera un progrès considérable de l’état du droit compte tenu de l’objectif d’efficacité qui est le nôtre.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Bravo !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux dire un mot également au sujet de la durée de traitement des OQTF notifiées à ceux qui ont été déboutés du droit d’asile. Sur ce point, ma position est extrêmement claire : au vu de toutes les dispositions que nous prenons en matière d’asile et de la démarche équilibrée dans laquelle nous nous sommes engagés et que je viens de rappeler, je ne peux pas accepter, sauf à compromettre les chances de réussite de cette réforme de l’asile, que l’on ne puisse statuer sur les OQTF des déboutés du droit d’asile ayant épuisé tous les recours qu’un an après qu’elles ont été notifiées. Si nous agissons ainsi, cela ne marchera pas.
M. Thierry Mariani. Exactement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur la nécessité absolue, sur ce sujet, d’être clair dans les intentions et dans les modalités. Il me paraissait important de vous préciser ma position sur un sujet dont je sais qu’il sera abordé au cours du débat, car l’équilibre que je viens d’évoquer à cette tribune est un équilibre sans lequel rien n’est possible.
Voilà, mesdames, messieurs les députés, ce que je voulais dire sur la totalité des sujets dont le Parlement va avoir à débattre. Ce sont des sujets importants et qui ont souvent été préemptés, instrumentalisés au bénéfice de postures politiques. Il est vrai que ce sont des sujets passionnels, qui engagent parfois des années et des années de militantisme. Mais dans la situation où notre pays se trouve pour mille raisons, notamment un contexte de tension extrême liée au terrorisme, la question des étrangers suscite des amalgames, des approximations, des mots qui blessent, des images vulgaires, sans même parler des messages de haine qui circulent sur internet ou les réseaux sociaux. Sur cette question qui est mondiale, qui concerne notre pays comme tant d’autres, la République et ses valeurs sont convoquées à chaque instant.
Je forme le vœu qu’au cours de ce débat très important pour la République et fondamental pour l’humanité, nous restions le plus possible dans la rigueur des chiffres et des concepts…
M. Guillaume Larrivé. Nous le serons !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …, dans la justesse des mots et que nous nous gardions à chaque instant de la polémique, de la posture ou de l’affichage de tel ou tel message pour des raisons liées au contexte politique.
Ce sera en tous les cas la démarche du Gouvernement pendant ce débat, à l’écoute de tous les parlementaires, avec la volonté d’apporter, sur les sujets les plus essentiels, les réponses les plus précises en espérant qu’elles suffiront à convaincre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. le président. La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, madame, et monsieur les rapporteurs pour avis Valérie Corre et Kader Arif, chers collègues, permettez-moi d’évoquer d’abord une simple image que nous avons tous et toutes entr’aperçue à proximité de nos préfectures : celle de files d’attente de centaines de personnes, patientant pendant des heures, la nuit parfois, été comme hiver, pour accéder au guichet qui enregistrera leur demande d’un titre de séjour ou de son renouvellement.
Dans de nombreuses préfectures, les couleurs de cette image sont désormais fanées. Les conditions d’accueil des étrangers ont été très largement améliorées par les mesures volontaristes prises dès 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, et poursuivies grâce à votre propre détermination, monsieur le ministre.
En effet, vous avez consacré de substantiels moyens supplémentaires à améliorer l’accueil en préfecture. Je l’ai constaté moi-même lors de mes visites à Bobigny, à Marseille, à Rennes ou à Grenoble. Des efforts réels sont réalisés partout, souvent par des décisions simples et peu coûteuses à mettre en œuvre.
L’une des plus efficaces a été la circulaire du 25 juin 2013, par laquelle Manuel Valls demandait aux préfets de faire débuter la validité du titre de séjour à compter du jour de sa délivrance, et non de l’expiration du titre précédent. Dans de nombreux cas en effet, le titre n’était renouvelé que plusieurs mois après son expiration. L’étranger se retrouvait donc avec un titre dont la validité d’un an était déjà largement entamée au moment de sa remise, ce qui l’obligeait à revenir en préfecture quelques mois seulement après qu’on le lui avait délivré. Cette décision, si simple qu’on se demande pour quelle raison elle n’avait pas été prise sous le précédent quinquennat alors que le problème était criant, a permis de réduire notablement le flux des dossiers à traiter.
Cependant, même si elle s’est fanée, cette image n’a pas complètement disparu. La semaine dernière encore, alors que je me rendais à la gare de Lyon-Part-Dieu, je suis passé à cinq heures trente devant les services de la préfecture du Rhône : la file d’attente débutant rue Molière faisait déjà à cette heure très matinale le tour du pâté de maison.
Pourtant, à Lyon comme ailleurs, des efforts considérables ont été faits. Les services ont déménagé, et les effets de ce changement ont été salués par Matthias Fekl dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre en mai 2013. Notre collègue avançait d’ailleurs dans ce document un chiffre éclairant que vous avez rappelé, monsieur le ministre : la délivrance de titres de séjour a suscité cinq millions de passages dans nos préfectures. Parmi ces titres : 750 000 étaient des renouvellements.
Il faut se rendre à l’évidence : notre encadrement législatif impose aux étrangers en situation régulière un mouvement perpétuel de démarches administratives qui ne leur permet pas de se projeter dans notre pays au-delà de quelques mois, ni par conséquent de s’intégrer dans la société française.
Ces longues files d’attente devant nos préfectures disent d’abord et avant tout que la France est un pays d’immigration, ce qui est en effet le cas depuis au moins deux siècles. Il n’est pas inutile de le rappeler, comme vous l’avez fait vous-même devant la commission, monsieur le ministre, et comme l’a fait le Président de la République lors de l’inauguration du Musée national de l’histoire de l’immigration en décembre dernier.
En effet ces files d’attente interminables donnent aussi l’impression que la France ne se reconnaît pas, ne se vit pas, ne s’assume pas comme un pays d’immigration, à la différence des autres grands pays, États-Unis, Australie, Canada, Grande Bretagne, Allemagne.
Ces files interminables devant les préfectures de France portent en elles une terrible violence symbolique. Elles placent les étrangers dans une situation dégradante, humiliante. Elles leur suggèrent qu’ils gênent, qu’ils embarrassent, qu’ils encombrent la France comme ils encombrent ses trottoirs. Elles font peser des tensions extrêmes sur nos agents qui officient de l’autre côté du guichet.
Je veux saluer ici le professionnalisme et l’engagement dont ils font preuve chaque jour pour améliorer les conditions d’accueil, et que j’ai pu mesurer à chacune de mes visites. Je dois dire au surplus que beaucoup d’entre eux ont très mal vécu ces années où il leur était demandé d’endurer les tensions imposées par un engorgement permanent de leur service et de subir l’impatience compréhensible des usagers. Ces longues files d’attente, cette image dégradante, nous n’en voulons plus, ni pour la dignité des étrangers, ni pour celle de la France.
Mme Sandrine Mazetier et M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Erwann Binet, rapporteur. Conformément aux préconisations formulées par Matthias Fekl dans son rapport, le projet instaure le titre de séjour pluriannuel. Il s’agit là d’une avancée considérable, aux plans juridique, administratif et symbolique. La carte de séjour pluriannuelle est l’avancée emblématique de ce texte. Elle a été saluée unanimement par les personnes que j’ai eu l’occasion d’auditionner lors des travaux préparatoires, et ce « des deux côtés du guichet », c’est-à-dire tant par les associations de défense des droits des ressortissants étrangers que par les agents et les chefs des services des préfectures.
La carte pluriannuelle tranche en cela avec les textes et les postures adoptés lors de la législature précédente. Nous donnons aux étrangers qui ont vocation à rester sur notre territoire pour une durée plus ou moins longue une perspective, une capacité à se projeter au-delà de quelques mois. Nous leur offrons enfin les moyens de nos exigences en matière d’intégration. La carte pluriannuelle, c’est la clef que nous allons donner aux étrangers pour accéder à l’intégration.
D’autres mesures vont dans le sens d’un meilleur respect des droits fondamentaux des individus et des principes de la République. Il en va ainsi de la mise en place du contrat d’intégration républicaine, outil d’intégration personnalisé et plus efficace, du renforcement de l’exigence de maîtrise de la langue française, de l’amélioration de la situation des étudiants, de la garantie de l’accès aux soins des étrangers malades dans leur pays, de la possibilité pour les journalistes d’accéder aux centres de rétention.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il s’agit d’un texte d’équilibre. Davantage de moyens seront consacrés à assurer l’intégration des étrangers qui ont vocation à vivre durant une période plus ou moins longue en France, mais aussi à assurer le respect de la décision par ceux qui se sont vu refuser ce droit. Ainsi de nouveaux outils sont attribués aux préfectures pour contrôler a posteriori le respect tout au long de la durée de validité du titre de séjour des conditions qui ont permis son attribution. Par ailleurs, les forces de l’ordre auront la possibilité d’escorter les assignés à résidence ou de les visiter à leur domicile avec l’autorisation du juge, afin de faire respecter les obligations de quitter le territoire français.
Ce projet de loi a suscité également un certain nombre de critiques et d’inquiétudes. Les dispositifs conjugués des articles 8 et 25, qui fixent les modalités de contrôle visant à s’assurer du maintien du droit au séjour, ont pu laisser craindre une attitude par principe soupçonneuse de la part des services du ministère de l’intérieur et un encadrement insuffisant de l’obligation de communication de documents imposé à divers organismes. Je crois que la nouvelle rédaction de ces deux articles adoptée par la commission répond à ces inquiétudes.
Par ailleurs, le projet de loi ouvre la possibilité de renouveler une carte de séjour pluriannuelle par une autre carte pluriannuelle. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, doit en effet le prévoir formellement. Ce faisant, le texte initial a fait craindre que le champ de la carte de résident ne soit de fait réduit. Telles n’étaient pas vos intentions, au contraire, et c’est avec l’assentiment du Gouvernement et sur proposition de Marie-Anne Chapdelaine et du groupe socialiste, républicain et citoyen, que votre commission a prévu, par un article additionnel, la délivrance de plein droit de la carte de résident à l’expiration de la carte pluriannuelle pour les conjoints de Français et les parents d’enfants français. C’est un changement notable de logique pour ces étrangers à qui leurs attaches en France donnent vocation à vivre dans notre pays pour sans doute acquérir un jour la nationalité.
Le transfert de l’avis médical pour la carte de séjour d’« étranger malade » du médecin de l’Agence régionale de santé vers un collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII – a pu également susciter des interrogations. Certains de mes interlocuteurs concevaient difficilement que l’on confie le soin de rendre un tel avis à un organisme sous tutelle du ministère de l’intérieur. En insistant sur le fait que les médecins de l’OFII émettront leur avis dans le respect des directives du ministère de la santé, nos débats et vos propos en commission, monsieur le ministre, ont rassuré.
Deux autres mesures, vous l’avez rappelé, ont suscité des interrogations et font l’objet d’amendements. La première concerne l’encadrement de la rétention. Une grande partie des éloignements effectués dans les centres de rétention administrative est réalisée dans les cinq premiers jours sans que l’étranger ait pu voir les conditions de sa privation de liberté examinées par un juge. Avec certains de nos collègues, nous proposerons l’intervention automatique du juge des libertés après quarante-huit heures de rétention comme cela était le cas avant 2011.
M. Thierry Mariani. N’importe quoi !
M. Erwann Binet, rapporteur. Je vous remercie d’avoir exprimé votre approbation à cette modification, monsieur le ministre.
De même, la commission a supprimé, sur l’initiative de Denys Robiliard, le troisième régime juridique de l’OQTF prévu par le projet de loi initial. Je veux être très clair sur ce point : par cette suppression, la commission n’a pas voulu signifier son désaccord avec le principe d’un renforcement de l’efficacité des mesures d’éloignement des déboutés du droit d’asile, mais il nous a semblé que le dispositif proposé restreignait excessivement le droit au recours des étrangers concernés.
Vous nous proposerez, monsieur le ministre, une nouvelle procédure afin de répondre aux inquiétudes qui ont été exprimées en commission des lois.
Chers collègues, lorsque nous aurons mené cette importante réforme à son terme, nous aurons montré que, contrairement à ce laissent croire certains discours ambiants, des considérations autres qu’électorales peuvent dominer nos réflexions sur le sujet de l’immigration, un œil autre que suspicieux peut être porté sur l’étranger, un regard autre qu’angoissé peut être posé sur une France unique et diverse. Retrouvons dans cet hémicycle l’esprit de 1984, qui avait conduit droite et gauche à voter unanimement la carte de résident. Certes, la France de 2015 n’est plus celle de 1984,…
M. Guillaume Larrivé. En effet !
M. Erwann Binet, rapporteur. …mais elle n’a pas changé sur un point : la France était et reste un pays d’immigration, parce que la France est une grande nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. Guy Geoffroy. Cela m’étonnerait !
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Bravo ! Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, après les interventions du ministre et du rapporteur, vous me permettrez de me concentrer sur les dispositions relevant de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Celle-ci a focalisé son attention sur quatre mesures principales : la rénovation du contrat d’intégration, l’accueil et le séjour des étudiants étrangers, le nouveau « passeport talent » et la faculté pour les journalistes d’accéder aux centres de rétention et aux zones d’attente.
Deux préoccupations ont inspiré ses travaux. La première est de lever les obstacles rencontrés par les étrangers en France, en particulier en réduisant chaque fois que c’est possible les imprécisions, les complexités et la marge d’interprétation laissée à l’administration. La deuxième a été de résorber les plus évidents des déficits d’attractivité qui affaiblissent notre pays dans un monde où la circulation des femmes et des hommes s’est prodigieusement intensifiée.
Nous vous proposerons tout d’abord de mieux protéger les nouveaux parcours définis par le projet contre toute marge d’interprétation excessive laissée à l’administration. Dans cet esprit, je vous inviterai, chers collègues, même si cela fait débat avec M. le ministre, à mieux circonscrire les notions qui semblent trop imprécises, notamment en indiquant que le rejet des valeurs de la République, dont il est légitime de considérer qu’il obère le droit de séjourner sur notre territoire, doit résulter d’un acte volontaire, mais aussi en excluant, partout où c’est possible, la condition de « sérieux ». Celle-ci, qui s’applique par exemple au parcours d’intégration ou au suivi des études, n’a aucune consistance juridique et, dans les faits, elle ne fait qu’offrir aux préfectures matière à des interprétations arbitraires. Tenons-nous en au seul critère tangible et objectivement mesurable : l’assiduité.
M. Thierry Mariani. C’est tellement naïf !
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. En ce qui concerne l’accueil des étudiants étrangers, défi essentiel puisque ces flux vont doubler d’ici à 2025, ce qui expose les systèmes éducatifs qui leur demeureront les plus hermétiques au risque d’une marginalisation, nous vous inviterons à parachever le travail entrepris dès le vote de la loi Fioraso en 2013, en levant les derniers freins légaux qui les dissuadent d’effectuer un parcours en France.
Premier élément, essentiel, il est indispensable que le parcours de formation des étudiants étrangers soient sécurisé sur le plan juridique. Le projet de loi fait l’essentiel du chemin en étendant à tous les étudiants le bénéfice d’une carte ajustée à la durée de leur cycle d’études. Nous pourrions aller au bout de la logique en reconnaissant aussi à ces étudiants un droit à l’échec – échec d’ailleurs vécu par de nombreux étudiants nationaux dont la moitié redouble au moins une fois en licence. Il faut donc prévoir que la carte étudiant puisse dépasser d’une année la durée du cycle d’études, toujours, bien sûr, sous le contrôle de l’établissement de formation.
En parallèle, il faut souligner combien il est important de simplifier les procédures d’accueil des étudiants étrangers en systématisant la mise en place de guichets uniques dans les universités et en confiant aux préfectures des territoires où se trouvent les établissements de formation, et non à celles des lieux de résidence des étudiants, souvent peu accoutumées à ces démarches, la responsabilité de délivrer les titres. Cette simplification relève cependant du pouvoir réglementaire et nous devrons ici nous contenter, monsieur le ministre, de votre engagement à aller vite !
Dans le même esprit, l’une des conditions pour attirer les étudiants étrangers est de permettre aux jeunes diplômés de connaître une première expérience professionnelle sur notre territoire. La durée de l’autorisation provisoire de séjour délivrée aux titulaires d’au moins un master pour qu’ils exercent un emploi en cohérence avec leurs études et dont la rémunération dépasse un certain seuil, a été portée à douze mois par la loi Fioraso. Le projet de loi propose qu’elle soit également accordée à ceux qui veulent fonder une entreprise. Là encore, faisons œuvre durable en étendant cette possibilité à tous les diplômes agréés du supérieur, en cohérence avec les remarquables performances d’insertion des filières professionnalisantes telles que les sections de technicien supérieur, les instituts universitaires de technologie et les licences professionnelles. Je ne vois pas en quoi ces compétences seraient moins utiles à notre économie que celles enseignés au niveau du master. Ce point aussi fait débat entre nous, monsieur le ministre, mais cette possibilité a fait l’objet d’un large consensus au sein la commission.
En ce qui concerne l’autre grand défi en matière d’attractivité, soulignons, après M. le ministre, la grande cohérence de la nouvelle carte « passeport talent ». Celle-ci rassemble des dispositifs aujourd’hui disparates et complexes et envoie un signal fort de la volonté d’accueil de la France. La commission a donc approuvé cette initiative, en adoptant simplement une clarification qui nous permettra de ne pas nous priver des talents jouissant d’une renommée nationale. L’important est que les décrets d’application prolongent cet élan de simplification et de clarté et n’introduisent pas des obstacles, des contraintes ou une complexité que la loi exclue. Je pense notamment au cas des artistes-interprètes et des auteurs d’œuvres littéraires ou artistiques, dont le métier s’accorde mal avec les exigences traditionnelles relatives aux contrats de travail.
Enfin, la commission salue l’avancée décisive que constitue l’ouverture aux journalistes de la faculté d’accéder aux centres de rétention et aux zones d’attente, mesure dont nous veillerons à ce qu’elle se concrétise sur le plan réglementaire. Après l’accès des députés et sénateurs, permis par la loi du 15 juin 2000, accompagnés de journalistes depuis la loi du 17 avril 2015, cette disposition crée un précédent juridique décisif en accordant directement ce droit d’accès à ceux qui sont chargés d’informer nos concitoyens.
Sous le bénéfice de ces quelques remarques, la commission des affaires culturelles et de l’éducation a émis un avis favorable à l’adoption des articles 1, 2, 5, 9 et 11 du présent projet de loi et vous propose de les adopter à votre tour. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Kader Arif, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.
M. Kader Arif, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, ce projet de loi est le bienvenu. Il permettra d’améliorer notre droit des étrangers à plus d’un titre. Il renforcera les parcours d’intégration et rendra le système des titres de séjour plus cohérent et plus lisible. Il nous dotera de moyens plus efficaces pour lutter contre l’immigration irrégulière, tout en nous permettant de mieux accueillir les étudiants et les talents venus du monde entier, comme un grand pays comme le nôtre se doit de le faire. C’est sur ce dernier objectif que la commission des affaires étrangères a été saisie, plus précisément des articles 4 à 12 et elle a naturellement choisi d’y consacrer ses travaux.
Avec environ 295 000 étudiants étrangers accueillis au cours de l’année universitaire 2013-2014, notre pays est remonté sur le podium. S’il reste derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, il est au premier rang des pays non-anglophones, et ce grâce aux mesures adoptées depuis 2012 à l’initiative du Gouvernement, en particulier la suppression de la circulaire Guéant aux effets néfastes. Nous repartons, j’en suis convaincu, d’un bon pied, un pied plus stable, plus franc et plus sûr pour tout le monde.
Le nombre d’étudiants en mobilité internationale a déjà doublé depuis 2000 dans le monde et beaucoup de pays ont développé de véritables stratégies pour être plus attractifs. Dans ce contexte concurrentiel, nous devons nous engager dans une démarche plus volontariste, plus attrayante et plus maîtrisée, car les enjeux sont considérables pour la vitalité et le rayonnement de notre enseignement supérieur et de notre recherche, pour le dynamisme de l’économie française, mais aussi pour notre influence dans le monde et pour la francophonie, qui m’est chère compte tenu de mon histoire personnelle.
Ce projet de loi comporte plusieurs mesures qui vont dans ce sens. Les étudiants étrangers pourront désormais bénéficier de cartes de séjour pluriannuelles avant même d’entrer en master. Cela permettra de sécuriser davantage les parcours, de les rendre plus lisibles et d’améliorer les conditions d’accueil en réduisant le nombre des passages en préfecture, ces attentes longues et parfois pénibles qui ont été évoqués par le rapporteur. La clarification et la facilitation du changement de statut nécessaire pour exercer une première activité professionnelle vont également dans le bon sens. Il serait préjudiciable pour notre pays d’en détourner des étudiants brillants en les empêchant d’y travailler à l’issue de leur parcours. Il serait par ailleurs contre-productif sur le plan économique que nous ne puissions pas bénéficier des compétences de diplômés ayant achevé leurs études en France. Nous devons faire en sorte que ce message soit entendu.
Au-delà des étudiants, l’accueil des talents étrangers – scientifiques, chercheurs, talents culturel, sportifs – répond à des problématiques assez semblables : il doit nous permettre d’affronter une concurrence accrue au plan international et nous apporter des bénéfices multiples, sur le plan économique mais aussi pour le rayonnement, l’influence et la place de la France dans le monde, auxquels nous sommes légitiment attachés.
Divers titres de séjour spécifiques ont été créés pour faciliter l’accueil de certaines catégories d’étrangers, notamment la carte « compétences et talents ». Le foisonnement des dispositifs dérogatoires a toutefois montré ses limites. Il n’existe pas d’offre claire, lisible et simple pour les candidats à la mobilité internationale en France et les administrations ne sont pas toujours en mesure d’informer les publics intéressés de manière satisfaisante. Enfin, des dispositifs aussi disparates, ne s’appliquant qu’à un petit nombre d’étrangers, ne peuvent pas réellement monter en puissance.
Le projet de loi entend y remédier par la création d’un nouveau titre de séjour pluriannuel, le « passeport talent ». Il est en effet utile de rationaliser les dispositifs existants, comme le propose le Gouvernement, en les plaçant sous une bannière commune, plus significative et donc plus facile à promouvoir à l’étranger. La commission des affaires étrangères a donné un avis favorable à ces dispositions relatives aux étudiants et aux talents internationaux sans adopter d’amendement, et je m’en félicite.
Je souhaiterais aussi, si vous le permettez, mettre l’accent sur quelques mesures qui ne relèvent ni du domaine législatif ni nécessairement du champ d’action du ministère de l’intérieur mais qui me paraissent nécessaires pour accompagner et prolonger ce qui nous est proposé aujourd’hui.
Tout d’abord, l’exigence de lisibilité qui inspire le projet de loi en matière de droit au séjour est quelque peu tempérée par la prise en compte des spécificités des publics concernés. Il faudra accorder une attention particulière aux futurs décrets d’application et circulaires afin qu’un degré supplémentaire de complexité ne vienne pas se surajouter à la loi et restreindre sa portée. Il faudra également tout mettre en œuvre pour que les nouveaux titres de séjour rencontrent bien les publics visés. Cela implique notamment une communication efficace dans la durée, mais aussi de bonnes conditions de délivrance des visas pour études et de circulation, ces derniers s’adressant à des catégories d’étrangers dont l’accès à notre territoire doit être facilité.
En ce qui concerne les étudiants, l’obtention du titre de séjour n’est évidemment qu’un aspect des conditions d’accueil, dont l’amélioration est un enjeu essentiel en matière d’attractivité internationale. L’instauration de guichets uniques va dans le bon sens, de même que le développement d’autres services d’accueil et d’information en relation avec nos collectivités.
Je voudrais enfin souligner l’intérêt d’un soutien plus affirmé à un certain nombre d’actions telles que le programme d’invitation des personnalités d’avenir, qui relève du ministère des affaires étrangères.
Il me paraît crucial, chers collègues, d’intensifier nos efforts pour mieux repérer les potentiels afin de leur faire aimer notre pays et de tisser des liens utiles au rayonnement et à l’influence de la France dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, suppléant Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame et monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons est un texte important, qui intervient dans un contexte européen marqué par de grandes tensions migratoires. Nombreux sont ceux qui choisissent de venir en Europe, soit pour fuir la guerre et la violence, soit parce qu’ils espèrent un meilleur avenir économique, mais restent à la porte d’un continent qui leur est inaccessible, quand ils ne trouvent pas la mort en Méditerranée.
L’Europe doit faire face à ses responsabilités en matière d’accueil des migrants, de respect de leurs droits fondamentaux, de solidarité et de lutte contre l’immigration irrégulière. La commission des affaires européennes s’est prononcée sur ce projet dans un rapport dont je suis l’auteur. Nous avons rappelé à cette occasion que l’action de la France doit s’inscrire en cohérence avec celle de l’Union européenne.
Soulignons d’abord la prise de conscience par le Gouvernement des faiblesses intrinsèques du système actuel d’accueil et d’accompagnement des primo-arrivants vers l’intégration et les progrès proposés. Au contraire de ce que nous avions pu observer au cours de la précédente législature, le présent projet entend promouvoir un mécanisme centré sur l’étranger souhaitant réussir son intégration. Le nouveau dispositif personnalisé proposé est de nature à le soutenir et à l’encourager, et les amendements du Gouvernement et du rapporteur mettant l’accent sur l’intégration républicaine, vont, à cet égard, dans le bon sens.
Le présent projet se montre également novateur en consacrant la carte de séjour pluriannuelle. Celle-ci encourage la progressivité et la cohérence du parcours d’intégration entrepris par l’étranger. C’est un élément qui manifeste aux travailleurs, aux étudiants, aux investisseurs la considération que la France a pour eux.
La réforme du droit des étrangers s’inscrit aussi dans une perspective d’affirmation de l’attractivité du territoire français, au travers de la création du « passeport talent ».
La réforme reprend un certain nombre de dispositions européennes, particulièrement celles de la « carte bleue européenne » à destination des travailleurs hautement qualifiés. À cela s’ajoute une simplification des dispositions relatives au séjour de courte durée pour des raisons professionnelles, l’introduction, à l’initiative du rapporteur, d’une disposition relative au séjour temporaire des stagiaires, qui rappelle que la France, en s’inspirant des normes européennes sur le sujet, doit être un modèle pour ses partenaires européens.
Ces dispositions, par leurs implications, sont autant de progrès. Leur mise en œuvre suscite néanmoins un certain nombre d’interrogations. La généralisation de la carte de séjour pluriannuelle, dont l’objet est de lutter contre une forme de précarité juridique, impose à l’étranger la nécessité de démontrer à tout moment qu’il satisfait aux conditions fixées lors de la délivrance de sa carte. À cela s’ajoute la multiplicité des règles de délivrance qui nuit à la cohérence de l’ensemble.
Par ailleurs, des interprétations contradictoires sont possibles, même si les interventions respectives de M. le ministre et de M. le rapporteur ont déjà apporté un certain nombre de réponses sur ce point.
En ce qui concerne l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, le projet de loi présente aussi des avancées positives. Citons le renforcement du caractère prioritaire de l’assignation à résidence par rapport au placement en rétention, la possibilité de proroger le délai de départ volontaire et la possibilité pour les journalistes d’accéder aux zones d’attente et aux lieux de rétention administrative.
Je veux aussi saluer l’adoption par la commission des lois d’un amendement tendant à exclure le placement d’un mineur en rétention, hormis dans les cas prévus par la circulaire du ministre de l’intérieur du 6 juillet 2012.
Toutefois, là encore, certaines dispositions suscitent, par leur importance sur le plan pratique, des interrogations que la discussion ne peut laisser de côté.
Est-il souhaitable de réduire de trente à sept jours le délai de recours contre une obligation de quitter le territoire français pour les personnes dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et pour celles qui se sont maintenues sur le territoire sans demander de titre de séjour ?L’adoption par la commission des lois de l’amendement visant à supprimer ce délai spécifique est positive.
La création d’une nouvelle interdiction de circulation, en cas d’abus de droit et lorsque le comportement d’une personne constitue une menace pour l’ordre ou la sécurité publique, bien qu’elle soit en théorie possible en application de la directive relative à la libre circulation des ressortissants européens, doit aussi être soigneusement soupesée.
Parallèlement, le suivi très étroit des personnes étrangères en France, prévu par l’article 25, pose la question du respect de la législation européenne en matière de protection des données personnelles. L’amendement présenté devant la commission des lois qui encadre plus strictement le droit de communication apparaît positif à cet égard.
Si la réforme va dans le bon sens, celui d’une France qui sait accueillir et se protéger, qui sait faire des différences et compétences étrangères un atout pour sa performance, nous devons veiller à ce que la rédaction de la loi garantisse l’effectivité des objectifs proclamés sans laisser la moindre marge à une interprétation erronée ou restrictive, qu’elle soit systématique ou fonction des agents en charge de l’appliquer.
C’est donc, mes chers collègues, notre capacité à construire une stratégie nationale d’immigration mêlant efficacité et bienveillance qui se trouve in fine au cœur de ce projet et de nos discussions. Là encore, il appartient à notre assemblée d’être fidèle aux valeurs de la République et d’être pour l’Europe que nous construisons un exemple à suivre dans nos relations avec l’étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, la France a-t-elle aujourd’hui une politique d’immigration conforme à l’intérêt national ? La discussion qui commence ce soir au Parlement n’aura pas été totalement inutile si elle nous permet d’aborder vraiment cette question.
Trop souvent en effet, le débat sur l’immigration est interdit avant même d’avoir commencé, enfermé qu’il est dans le conformisme de ceux qui se contentent de répéter des slogans ; cadenassé par l’immobilisme de ceux qui se complaisent dans les postures et les impostures ; verrouillé par le juridisme de ceux qui ont abdiqué toute volonté politique ; piégé par le moralisme de ceux qui jouent les censeurs et les professeurs de vertu.
De tout cela, l’Assemblée nationale devrait apprendre à se libérer. Ouvrons le débat sur l’immigration, mais ouvrons-le vraiment, dans un esprit de responsabilité et guidés par une seule exigence : l’intérêt national.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. Au nom des Républicains, je veux ici, à la tribune de l’Assemblée nationale, dénoncer les deux idéologies qui dominent encore le « non-débat » sur l’immigration.
L’idéologie de la fermeture totale, d’abord, qui n’a pas de sens. Refuser toute mobilité, toute circulation des personnes, toute possibilité de migration, ce serait méconnaître l’histoire de notre pays ouvert sur le grand large. Plaider pour « l’immigration zéro », c’est-à-dire l’interdiction totale de l’installation de tout étranger partout en France serait aussi nier la réalité de la mondialisation.
Mais l’idéologie de l’ouverture totale est tout aussi absurde. Elle est plus dangereuse, car elle est sans doute encore dominante dans l’expression publique. Je veux la nommer en reprenant les mots très justes de Pierre-André Taguieff. Cette idéologie de l’ouverture totale, c’est « l’immigrationnisme, dernière utopie des bien-pensants ». Les immigrationnistes pensent que l’immigration est, en soi, une chance pour la France. Et puisque pour ces dévots l’immigration est toujours positive, puisqu’elle est, à leurs yeux, non seulement inéluctable mais souhaitable, puisqu’elle va dans le sens de l’histoire, il est littéralement impensable selon eux de ne pas l’accepter comme un progrès. La politique doit dès lors reculer, car il n’y a pas de place pour la délibération et la décision, il n’y a pas de place pour le choix : il faut et il suffit selon eux d’applaudir au spectacle de la Providence qui peu à peu gomme la frontière, efface la distinction du national et de l’étranger.
L’immigrationnisme est un angélisme qui voue aux gémonies toute interrogation, toute préoccupation, toute réflexion et donc toute possibilité d’action sur les flux d’immigration. Si l’immigration est en soi un bien, vouloir l’organiser, la maîtriser, la réguler serait déjà un mal.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mais de qui parlez-vous ?
M. Guillaume Larrivé. Et vouloir la réduire serait un mal absolu, renvoyé devant le tribunal de la pensée incorrecte.
Les immigrationnistes, eux, ont les mains propres, parce qu’ils n’ont pas de mains : à l’image des kantiens selon Charles Péguy, ils refusent de s’atteler au réel, préférant rester dans les nuées.
Notre conviction est qu’il faut rompre avec cette idéologie immigrationniste pour adopter une approche plus réfléchie, plus rationnelle, plus responsable, plus réaliste et in fine sans doute plus humaine, conforme à l’intérêt national.
Commençons, mes chers collègues, par regarder la réalité en face. La France de 2015 est traversée par de très graves tensions. Son marché du travail est bloqué. Elle n’a jamais dans l’histoire contemporaine compté autant de chômeurs qu’aujourd’hui. Ses finances publiques sont très contraintes.
M. Claude Goasguen. C’est un euphémisme !
M. Guillaume Larrivé. Pour la première fois depuis 1945, la dette publique tangente les 100 % de la production nationale.
Le système éducatif est en panne : notre pays recule dans les classements internationaux.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Dites-le à Sarkozy !
M. Guillaume Larrivé. L’ascenseur social est arrêté : les Français sont menacés par le déclassement et craignent que leurs enfants aient une vie plus difficile que la leur.
La sécurité nationale est menacée : le terrorisme islamiste cible notre pays, qui n’est pas à l’abri des désordres du monde, et le sentiment national est devenu très incertain. Les revendications et les pratiques communautaristes s’affirment. Des quartiers entiers, livrés à des chefs de clan, dérivent en marge de la République. La communauté nationale s’interroge sur elle-même et, plus encore, sur les institutions politiques qui dirigent l’État.
Les Français doutent de notre capacité collective à poursuivre l’Histoire de France et à rester maîtres de notre destin.
Bien sûr, de ce malaise national, l’immigration massive n’est pas la seule responsable. Mais ce qui est irresponsable, c’est de penser que l’immigration doit encore augmenter, alors même que la communauté nationale est fragilisée, alors même que le marché du travail, les finances publiques, le système éducatif et l’ascenseur social sont bloqués.
Ce qui est irresponsable, c’est de ne pas voir que les immigrés eux-mêmes sont aussi les victimes de l’immigrationnisme. Je pense à ces hommes, ces femmes, ces adolescents, ces enfants venus du Sud, qui fuient la misère et parfois la tyrannie, espérant trouver en Europe des conditions de vie meilleure. Ils sont trop souvent les proies de nouveaux trafiquants d’esclaves, qui font l’indigne commerce de la vie des migrants. Endeuillée par les noyades, la Méditerranée pleure des larmes de sang.
Et parmi les migrants qui parviennent à rejoindre la France, combien y trouveront vraiment une vie meilleure ? Combien s’entasseront dans des logements insalubres, victimes des marchands de sommeil ? Combien seront relégués dans des quartiers-ghettos, privés d’avenir ? Combien rejoindront les rangs des chômeurs faute de maîtriser la langue française ou faute d’une formation ? Combien se verront refuser l’accès au marché du travail légal et seront condamnés à vivre de l’assistance sociale ou de petits trafics ? Combien s’enfermeront dans le communautarisme et le ressentiment contre un pays, le nôtre, qui n’est pas le leur ?
Voilà la réalité ! Voilà l’impasse tragique où conduit la fausse générosité des immigrationnistes !
Continuer à le nier, mes chers collègues, c’est ne rien comprendre au défi migratoire dans la France de 2015.
Partout, les préoccupations montent. Partout, l’exaspération gronde, dans tous les territoires de France, dans tous les départements dont nous sommes ici la représentation. Il faut savoir percevoir cette protestation encore silencieuse. Il faut l’entendre.
Pour y répondre, notre premier devoir est de réaffirmer, sans crainte, sans faiblesse, ce qu’est la France. Nous n’avons pas à nous excuser d’être ce que nous sommes. Nous pouvons en être fiers. Nous sommes les héritiers d’une histoire millénaire, une histoire à apprendre et à aimer, celle du sacre de Reims comme celle de la fête de la Fédération, celle des rêves d’empire lointain comme celle des petits bonheurs quotidiens.
Nous sommes les dépositaires d’un art de vivre, d’une langue et, au fond, d’une certaine idée de la civilisation. Nous sommes un État-nation, qui participe à l’Union européenne, bien sûr, et qui entend en demeurer un acteur majeur, mais qui veut aussi rester un État indépendant et souverain. Nous sommes une démocratie, qui doit agir au nom du peuple français. Nous sommes un État de droit, qui a pour règle de respecter et de faire respecter ses lois. Nous sommes une République, qui veut décider pour elle-même et n’abandonne pas le projet du bien commun.
Ce ne sont pas là que des mots et je ne m’éloigne pas du projet de loi que vous nous soumettez, bien au contraire. Car si la France est toujours un État-nation, si la France est toujours une démocratie, si la France est toujours un État de droit, si la France est toujours une République, alors la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. La France a le droit de refuser qui elle ne souhaite pas accueillir sur son territoire.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est déjà le cas !
M. Guillaume Larrivé. La France a le droit de définir et de mettre en œuvre une politique volontariste, active, courageuse, déterminée de diminution de l’immigration, conforme à l’intérêt national, c’est-à-dire à l’intérêt des Français.
Est-ce le cas aujourd’hui ? Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés de la majorité, avez-vous vraiment une politique de l’immigration ?
Vous avez, en tout cas, une pratique, qui est celle de l’augmentation de l’immigration. Puisque, monsieur le ministre, vous nous avez incités à être précis, je vais très précisément citer les derniers chiffres mis en ligne par votre ministère le 9 juillet sur le site de votre administration.
Tous les indicateurs montrent une augmentation massive de l’immigration vers la France au cours des trois dernières années. Le nombre total de visas délivrés par les ambassades et les consulats a augmenté, en trois ans, de 32 %, passant de 2 132 968 en 2011 à 2 817 670 en 2014.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce ne sont que des visas !
M. Jean Launay. Il mélange tout, à dessein.
M. Guillaume Larrivé. Ce chiffre, sans doute, suscite le trouble, mais il est exact.
Sur la même période, monsieur Le Bouillonnec, le nombre des visas de long séjour, c’est-à-dire des visas d’immigration, permettant une installation durable en France, a augmenté de 6,1 %. Le nombre de cartes de séjour délivrées par les préfets, c’est-à-dire le nombre d’installations légales en France, a augmenté de 8 %. Parmi ces admissions au séjour, l’immigration familiale, qui représente près de la moitié des flux, a augmenté de 13,3 %. Le regroupement familial stricto sensu – les admissions de membres de la famille – a augmenté de 55 %.
Mme Sandrine Mazetier. Les défenseurs de la famille, c’est nous ! (Sourires.)
M. Guillaume Larrivé. Je ne parle pas là de mariages, je parle de regroupement familial stricto sensu.
Parallèlement, le nombre d’étrangers en situation illégale, c’est-à-dire de clandestins, ne cesse lui aussi d’augmenter. On le voit à l’échelle du continent, l’immigration clandestine explosant aux frontières extérieures de l’Europe : vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, 137 000 immigrés ont traversé la Méditerranée au premier semestre 2015. Le dernier rapport de l’agence FRONTEX, publié il y a quelques jours, montre que les entrées clandestines en Europe ont augmenté de plus de 180 % au premier trimestre 2015 par rapport à 2014. Je sais, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas restés les bras ballants et que vous avez pris, avec votre homologue allemand Thomas de Maizière, un certain nombre d’initiatives pour commencer à faire bouger les lignes au sein du Conseil « Justice et affaires intérieures », ou conseil JAI.
L’augmentation de l’immigration clandestine en France n’en reste pas moins, hélas, une évidence. On peut l’évaluer – je parle sous le contrôle de Claude Goasguen et de Philippe Goujon – à partir du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État, l’AME, qui a augmenté de plus de 35 %.
Mme Elisabeth Pochon. Ah ! Voilà l’aide médicale d’État !
M. Guillaume Larrivé. C’est une réalité. Et l’on sait que les détournements du système d’asile en ont fait une machine à fabriquer près de 50 000 clandestins supplémentaires chaque année.
Pendant que l’immigration augmente, l’intégration recule. Là encore, monsieur le ministre, les chiffres sont précis. Selon une étude publiée par l’OCDE voici quelques jours, le taux d’emploi des immigrés arrivés depuis moins de cinq ans en France est inférieur de vingt-cinq points à celui des personnes nées dans notre pays, contre douze points en moyenne en Europe.
M. Olivier Marleix. C’est un vrai problème !
M. Guillaume Larrivé. Quarante-trois pour cent des immigrés d’âge actif, contre 29 % dans l’ensemble de l’OCDE, ne sont pas ou sont peu diplômés.
Enfin et surtout, mes chers collègues, 43 % des immigrés d’âge actif sont sans emploi en France, soit près de la moitié des personnes immigrées en âge de travailler ! Monsieur le ministre, ce n’est pas le groupe Les Républicains qui le dit, ce n’est pas un propos de congrès : c’est une statistique de l’OCDE publiée voici quelques jours dans toute l’Europe !
Voilà la vérité ! Le chaos migratoire produit du désespoir et ce n’est hélas pas votre projet de loi qui permettra d’en sortir.
En effet, vous faites très exactement le contraire de ce que serait une politique d’immigration conforme à l’intérêt national.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Vous étiez au pouvoir il y a peu.
M. Guillaume Larrivé. Votre texte constitue un contresens – Thierry Mariani développera ce point en défendant une motion de renvoi en commission au nom de notre groupe. Nous nous y opposerons article après article, alinéa après alinéa. Nous combattrons tout autant les divers amendements de la majorité qui ne font qu’en aggraver les défauts.
Vous allez d’abord augmenter l’immigration vers la France en multipliant de fait les facilités d’obtention des divers titres de séjour, comme si l’urgence était d’accélérer l’entrée en France de nouveaux flux d’immigrés.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ce n’est pas vrai.
M. Guillaume Larrivé. En outre vous allez compliquer les retours des clandestins vers leur pays d’origine en rendant plus difficile le placement dans les centres de rétention administrative permettant l’éloignement effectif des étrangers en situation illégale – sur ce point, monsieur le ministre, vous me donnez le sentiment d’être contraints de céder face à l’aile gauche de la majorité.
Enfin, et surtout, vous refusez d’aborder les vrais solutions qui permettraient de rompre avec le chaos migratoire.
Nous vous proposons quant à nous une toute autre politique. Il est peu probable que vous l’adoptiez dès ce soir mais elle est, du point de vue du groupe Les Républicains, conforme à l’intérêt de la France. Avec mes collègues, notamment Guy Geoffroy, nous défendrons, à travers une soixantaine d’amendements, des mesures qui, demain, pourront constituer le socle d’une nouvelle politique de diminution de l’immigration.
En effet, nous assumons dans la France de 2015 la volonté de réduire l’immigration, ce qui suppose une véritable refondation de nos instruments juridiques.
Cinq ruptures nous semblent souhaitables et même nécessaires.
La première consisterait à définir des plafonds d’immigration, c’est-à-dire des contingents limitatifs.
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est une très mauvaise idée.
M. Guillaume Larrivé. Puisque la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir et qui elle souhaite refuser sur son territoire, il faut que nous nous en donnions la capacité juridique. Nous proposons donc que l’Assemblée nationale ait demain le pouvoir de fixer chaque année le nombre d’étrangers admis à immigrer en France. Le Gouvernement serait chargé d’assurer le respect des plafonds ainsi définis par la représentation nationale. Ainsi, un visa de long séjour pourrait être refusé par un consulat ou une carte de séjour par un préfet lorsque le contingent annuel serait dépassé. La demande devrait être alors examinée l’année suivante.
Ces plafonds s’appliqueraient à chacune des catégories de séjours à l’exception, bien sûr, des réfugiés politiques, lesquels relèvent d’une autre logique et d’un autre droit : celui de l’asile.
Mme Sandrine Mazetier. Ouf !
M. Guillaume Larrivé. Ainsi le regroupement familial serait contingenté, ce qui suppose bien entendu de supprimer les dispositifs légaux de rapprochement familial des clandestins qui aboutissent contre toute logique à légaliser les contournements de la procédure de regroupement familial.
M. Claude Goasguen. Cela relève du domaine réglementaire.
M. Guillaume Larrivé. La deuxième rupture, mes chers collègues, sera de conditionner l’autorisation d’immigrer en France à la capacité d’intégration à la société française, qui doit être vérifiée dans le pays d’origine.
C’est là une vraie différence d’approche entre la majorité et le groupe Les Républicains : nous pensons qu’il ne faut pas attendre l’installation en France pour tenter vainement, à grand renfort de dépenses publiques, de faciliter l’intégration de personnes qui n’en ont malheureusement pas la capacité. C’est avant la délivrance des visas de long séjour, et comme condition de leur obtention, que le candidat à l’immigration doit faire la preuve de sa capacité d’intégration à la société française.
À l’inverse, le projet de loi va jusqu’à supprimer les dispositifs d’apprentissage de la langue française que la loi votée en 2007 à l’initiative du ministre Brice Hortefeux avait institués en amont de la délivrance de visas aux candidats à l’immigration familiale.
Mme Sandrine Mazetier. Avec le succès que l’on sait, M. Mariani peut en témoigner comme moi.
M. Guillaume Larrivé. Nous pensons, madame Mazetier, que c’est préalablement à la délivrance d’un visa de long séjour que trois éléments devraient être réunis.
D’abord, l’étranger devra justifier d’une connaissance suffisante de la langue française – à charge pour lui de s’y former à ses frais, et non à ceux du contribuable.
De même, le candidat à l’immigration devra adhérer aux valeurs de la République et aux valeurs essentielles de la société française.
Dans le même temps, il devra apporter dans le pays d’origine la preuve de sa capacité à exercer une activité professionnelle ou, s’il n’envisage pas de travailler en France, de son autonomie financière.
La troisième rupture consistera à revoir les conditions dans lesquelles les étrangers résidant en France accèdent aux prestations sociales. Un étranger qui exerce le même travail et verse les mêmes cotisations salariales qu’un Français doit bien sûr avoir accès à la même assurance sociale pour le protéger des risques liés aux accidents du travail, au chômage, à la maladie et à la vieillesse.
Mais un étranger tout juste arrivé en France n’a pas à bénéficier de prestations sociales financées par l’impôt de personnes qui résident en France de longue date.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est un contresens. Il n’en bénéficie pas.
M. Guillaume Larrivé. C’est pourquoi nous proposons, en particulier, de restreindre l’accès aux allocations familiales…
Mme Elisabeth Pochon. Je croyais qu’elles étaient universelles.
M. Guillaume Larrivé. …et au logement social en les conditionnant à au moins cinq années de résidence légale en France.
La quatrième rupture sera de faciliter le retour des clandestins dans leur pays d’origine.
La naïveté des amendements socialistes et des propos des rapporteurs sur ce point réjouira hélas les passeurs et les trafiquants qui exploitent la misère des quelques 400 000 ou 500 000 clandestins installés en France.
Je le dis très solennellement car je crains que, dans les mois qui viennent, les faits ne me donnent raison : il serait totalement irresponsable, monsieur le ministre, de durcir les conditions procédurales, administratives et juridictionnelles dans lesquelles les préfets peuvent depuis la loi de 2011, ordonner le placement et le maintien dans des centres de rétention administrative.
M. Guy Geoffroy. Absolument. C’est pourtant ce que fait le projet !
M. Guillaume Larrivé. Ma conviction est qu’il faut faciliter l’utilisation de ces centres en portant la durée maximale de rétention administrative de 45 à 180 jours. Dans des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, cette dernière est illimitée, comme le président Jean-Jacques Urvoas le sait. Elle est de dix-huit mois en Allemagne.
Six mois, c’est un délai minimum pour organiser, avec tous les pays d’origine, les retours de leurs ressortissants.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Laxiste ! (Sourires)
M. Guillaume Larrivé. Nous proposons parallèlement d’expérimenter un plan de retour volontaire vers les pays en voie de développement dans le cadre d’accords à négocier avec les pays d’origine selon un principe simple et clair : pas de visas et pas d’aide publique au développement sans retour effectif des clandestins.
M. Guy Geoffroy. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. La cinquième et dernière rupture pourra s’appliquer à la fin du parcours d’immigration, c’est-à-dire lors de l’éventuel accès à la nationalité française.
Vous avez choisi de ne pas aborder ces questions dans ce projet de loi et vous vous en êtes expliqué, monsieur le ministre, dans une tribune publiée par un grand quotidien du matin. Pourtant, la politique d’immigration ne peut se désintéresser de l’aboutissement d’un parcours qui peut conduire l’étranger à devenir pleinement membre de la communauté nationale via l’acquisition de la nationalité française.
Au plan juridique d’ailleurs, contrairement à ce qu’on peut lire ici et là, le droit de l’entrée et du séjour des étrangers en France et le droit de la nationalité sont étroitement liés. Il est de ce point de vue très significatif qu’un des tout premiers articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – l’article L. 111-5 – fasse le lien avec le code civil en prévoyant que « tout étranger, quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient en raison de son séjour en France, peut acquérir la nationalité française dans les conditions prévues par le […] code civil. »
Alors faut-il revoir ces conditions ? À titre personnel, je crois que c’est nécessaire pour renforcer la cohésion de notre communauté nationale en donnant toute sa force au principe d’assimilation à la communauté française, qui a été inscrit dans le code civil en 1945, lors de la refondation de la République. Car, mes chers collègues, c’est l’ordonnance du 19 octobre 1945, issue du programme national de la Résistance, qui a précisé à l’article 21-24 du code civil : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française. »
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. Tous ceux qui, ne sachant rien ou ne voulant rien savoir, répètent à l’envi que l’assimilation n’a rien à voir avec la République française, ne connaissent rien du code civil, de l’histoire de la nationalité française et de la refondation de la République en 1945. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Marleix. En effet. Il faut le rappeler.
M. Guillaume Larrivé. Pour appliquer ces principes et pour les faire vivre pleinement dans la France de 2015, il faudra d’abord abroger la circulaire de Manuel Valls qui donne instruction à l’administration d’augmenter le nombre des naturalisations. Le pouvoir socialiste a commis là encore un contresens en prétendant que la naturalisation facilite l’intégration, alors qu’elle doit être, au contraire, le résultat de l’assimilation.
M. Guy Geoffroy. En effet. C’est son aboutissement.
M. Guillaume Larrivé. Il me semble nécessaire, en outre, de faire évoluer le droit du sol vers ce que j’appelle « le devoir du sol ».
Aujourd’hui, le droit du sol permet à tous les étrangers nés en France de devenir Français même s’ils ne le veulent pas, même s’ils sont clandestins, même s’ils commettent des délits, même s’ils s’enferment dans le communautarisme et refusent toute assimilation à la communauté nationale.
Avec le « devoir du sol », l’étranger né en France ne deviendra Français, à dix-huit ans, que s’il assume son devoir envers la République française. Son devoir, c’est d’abord d’affirmer clairement sa volonté d’être Français ; son devoir, c’est aussi de respecter pleinement les lois et les valeurs de la République.
M. Guy Geoffroy. C’est un minimum.
M. Guillaume Larrivé. Au plan juridique, cela s’écrit très bien : l’étranger né en France bénéficierait d’une présomption d’assimilation qui n’existe pas dans la procédure de naturalisation. Il deviendrait Français, d’une part, s’il en manifeste la volonté, d’autre part, si l’État ne s’y oppose pas.
Les trois causes d’opposition pourraient être l’irrégularité du séjour, la condamnation pour des faits de délinquance et tout autre motif de non-assimilation comme, par exemple, le port du voile intégral.
Mme Sandrine Mazetier. Quel serait l’équivalent pour les hommes ?
M. Guillaume Larrivé. Ce « devoir du sol » s’appliquerait partout en France, en métropole comme en outre-mer et vaudrait pour tous les étrangers, pour les Européens comme pour les ressortissants des pays tiers.
Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, nous débattrons de tout cela sérieusement et sereinement dans les heures à venir.
Notre responsabilité, c’est de sortir du chaos migratoire. Ma conviction est que la refondation d’une politique nationale d’immigration est une nécessité impérieuse, qui passe assurément par de vraies ruptures législatives et qui nécessitera sans doute aussi demain, j’en suis pleinement convaincu, une évolution de notre cadre constitutionnel.
Cette nouvelle politique devra aussi mobiliser de nouveaux instruments européens, non seulement pour renforcer nos capacités techniques de gestion des frontières extérieures de l’Europe mais aussi pour adopter à l’échelle du continent – en tout cas des pays que la France serait capable d’entraîner – et dans le cadre d’un vrai dialogue avec les pays d’origine, des mesures communes permettant de diminuer structurellement l’immigration vers l’Europe.
Vous l’avez compris : en plaidant ainsi pour une nouvelle politique de diminution de l’immigration, je ne puis que vous inviter aujourd’hui à rejeter un projet de loi qui nous paraît directement contraire à l’intérêt de la France et des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Guy Geoffroy. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député Larrivé, je vous remercie tout d’abord pour cette intervention et ce discours dans lequel vous avez mis beaucoup de passion et de sincérité. Il délivre un certain nombre d’informations qui nous éclairent sur vos intentions et que je commenterai rapidement, puisque le débat nous permettra d’aborder l’ensemble de ces sujets – je pense, en effet, que cette motion ne sera pas votée.
M. Thierry Mariani. Ce n’est pas sûr !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certes mais je pense néanmoins qu’elle ne sera pas retenue et que nous pourrons approfondir l’ensemble de ces sujets tout au long de notre débat, et c’est tant mieux.
Ce que vous proposez, ce sont des mesures que vous avez déjà mises en œuvre par le passé ou auxquelles vous avez renoncé faute de pouvoir les mettre en œuvre. En effet, dans le panorama des thèmes que vous avez évoqués, certains sont très connus et nous avons déjà eu, les uns et les autres, l’occasion de les examiner.
Je prendrai quelques exemples extrêmement concrets.
Vous proposez ainsi de mettre en place une politique de quotas pour toutes les arrivées en France, ce qui n’a rien de neuf.
M. Guillaume Larrivé. Pas des quotas, des plafonds.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certes, mais ce qui caractérise un plafond, c’est que l’on accepte ce qui est en deçà, et non ce qui est au-delà. Ce qui est en deçà du plafond, cela s’appelle un quota. C’est ce que le président Jacques Chaban-Delmas expliquait à la tribune de cette assemblée, en disant que si le plancher monte et que le plafond ne s’élève pas, on est coincé. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) C’est un peu cela, un quota. Il faut beaucoup de subtilité pour faire la différence entre un quota et un plafond et, pour ma part, je ne la vois pas, mais cela pourra nourrir nos débats.
M. Guillaume Larrivé. On vous l’expliquera !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’idée de fixer des quotas en tout cas n’est pas nouvelle, puisque Brice Hortefeux l’avait envisagé dès 2008. Il avait même sollicité l’expertise de Pierre Mazeaud…
Mme Sandrine Mazetier. Exactement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …qui n’est pas un irresponsable absolu, loin s’en faut. Celui-ci avait répondu qu’un tel dispositif serait, soit irréalisable juridiquement, soit sans intérêt.
M. Guillaume Larrivé. C’est son avis, par le nôtre !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pierre Mazeaud avait expliqué les raisons pour lesquelles il considérait que cette proposition était inapplicable, et je vais reprendre un certain nombre de ces arguments parce qu’à mon sens ils demeurent aussi totalement vrais aujourd’hui qu’ils l’étaient hier.
M. Guillaume Larrivé. Je ne le crois pas.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle cela n’a pas été fait.
S’agissant tout d’abord de l’immigration familiale, dont vous avez rappelé qu’elle représente plus de la moitié de nos flux migratoires, elle est garantie par des principes figurant dans notre Constitution.
M. Claude Goasguen. Mais pas ses modalités !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. La Cour européenne des droits de l’homme et les directives européennes ont posé par ailleurs des règles précises sur ce sujet. Ces règles ne permettent pas de soumettre cette immigration au système de plafonds dont vous parlez – et dont j’ai bien compris qu’il n’était pas un dispositif de quotas.
M. Claude Goasguen. Bien sûr que si !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Quand on a des droits à immigrer dans un pays, monsieur Larrivé, on ne peut pas être soumis à un système de quotas. C’est le principe, par exemple, du statut de réfugié : on ne peut pas définir un quota de réfugiés puisque l’obtention de ce statut dépend de la satisfaction de certains critères.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’immigration familiale répondant de la même façon à des critères, je ne vois pas comment on pourrait la soumettre à un plafond. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous n’y êtes pas parvenus entre 2007 et 2012, – je m’en souviens pour avoir participé à ce débat en tant que parlementaire alors que Brice Hortefeux était assis à la place que j’occupe actuellement. Vous avez en effet renoncé à plafonner l’immigration familiale, contrairement à l’engagement pris par le Président de la République de l’époque lorsqu’il était candidat de diviser cette immigration par deux.
M. Claude Goasguen. Hélas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est d’ailleurs parce que vous n’arriviez pas à plafonner l’immigration familiale que vous avez décidé d’appliquer cette mesure aux étudiants : vous pensiez qu’il serait plus facile de mettre en place des quotas d’étudiants étrangers. J’ai déjà eu l’occasion de dire ce que je pensais de cette mesure : c’est une mauvaise mesure, sur laquelle nous avons eu raison de revenir, parce qu’un grand pays qui aspire à la croissance de son économie n’a aucune raison de se priver du concours de chercheurs, d’intellectuels, d’universitaires, qui peuvent venir créer des start-up chez nous et développer notre économie.
Vous avez développé un deuxième argument très classique, en déclarant que le problème majeur de la France, c’est que ses prestations sociales sont beaucoup trop généreuses par rapport à ce qui se pratique dans d’autres pays de l’Union européenne, et que c’est ce qui explique une immigration extrêmement abondante.
M. Guillaume Larrivé. C’est l’un des aspects du problème, en effet.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sur cette question, monsieur Larrivé, je voudrais rappeler des faits extrêmement simples. Rapportés à sa population, la France connaît des flux migratoires tout à fait réguliers au regard des autres pays de l’Union européenne. Ils sont même parmi les plus bas d’Europe, puisqu’ils représentent 0,3 % de notre population. Les chiffres que vous avez cités décrivent des évolutions, non un volume global. Or ce sont au total environ 200 000 titres de séjour qui ont été accordés, soit 0,3 % de la population. Quant au nombre de demandes d’asile, après avoir considérablement augmenté entre 2007 et 2012, il est aujourd’hui en diminution, alors même que la pression migratoire est très forte.
La vérité m’oblige à dire qu’au sein de l’Union européenne, des pays aussi conservateurs que l’Allemagne accueillent beaucoup plus de demandeurs d’asile que la France. L’an dernier, celle-ci a accueilli 130 000 candidats à l’asile sur 200 000, ce qui est considérable par rapport à ce que nous faisons nous-mêmes. Or vous ne cessez de vanter le caractère raisonnable de la politique allemande.
M. Guillaume Larrivé. Cela s’explique par l’organisation du marché du travail allemand : le chômage y est moins important que chez nous.
M. Guy Geoffroy. Et l’Allemagne a un budget à l’équilibre !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ne mélangeons pas tout ! Nous sommes en train de parler de politique migratoire ! L’Allemagne est le pays d’Europe qui accueille le plus de réfugiés, d’une façon spectaculairement plus significative que la France.
M. Claude Goasguen. Parce que les étrangers peuvent trouver du travail en Allemagne !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En France, la demande d’asile a diminué. Vous dites que l’immigration irrégulière a augmenté au cours des derniers mois. Il est incontestable que la pression migratoire a augmenté au cours des derniers mois, mais vous semblez considérer que cette augmentation est le résultat de la politique de la France : ce n’est pas la politique de la France qui induit la pression migratoire.
M. Claude Goasguen. Mais c’est un fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Bien sûr, je ne le nie pas.
M. Guy Geoffroy. Alors ne restez pas les bras ballants !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tous les pays européens sont d’ailleurs confrontés à ce phénomène, et chacun a mis en place des dispositifs particuliers pour y faire face. La politique de la France ne contribue en rien, par les principes qu’elle défend et l’action qu’elle conduit, à augmenter ces flux. Je vous ai expliqué ce que nous faisions en matière de reconduite à la frontière : c’est assez significatif par rapport à ce qui a pu être fait dans le passé. Ce que nous faisons en termes de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière est également assez significatif par rapport à ce qui a pu être fait. Nous faisons donc preuve d’un grand volontarisme et je ne pense pas qu’en la matière il y ait d’un côté ceux qui font preuve d’angélisme et, de l’autre, ceux qui se montrent responsables. Je pense au contraire que l’intensité de la pression migratoire et la difficulté de la situation nous imposent de sortir des postures, comme vous nous y invitiez, pour essayer de trouver des solutions efficaces.
Il y a un troisième point très intéressant dans votre démonstration : vous dites qu’il faut que les étrangers viennent en France après avoir appris le français, que c’est la condition de l’intégration. À vous entendre il faut que les étrangers soient intégrés avant même leur arrivée.
M. Claude Goasguen. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
C’est pourtant le sens de vos amendements : vous souhaitez que l’intégration soit un préalable à l’admission des étrangers sur le territoire, de manière à obtenir une immigration plus qualitative. Là encore ce n’est pas une idée nouvelle : vous aviez déjà mis en œuvre une telle mesure à travers le précontrat d’accueil et d’intégration. Cette mesure a fait l’objet de la part de l’inspection générale de l’administration d’un audit dont le résultat est édifiant. L’inspection générale a en effet estimé que ce projet ne servait à rien, sinon à faire perdre du temps à des personnes qui ont le droit de venir en France et de l’argent à l’administration française.
Le Gouvernement croit en l’intégration, mais en une intégration qui soit efficace, et non pas punitive, inutilement compliquée et dispendieuse d’argent public.
Pour résumer, je dirais que la politique que vous proposez a essentiellement deux caractéristiques : elle a déjà été mise en œuvre…
M. Guy Geoffroy. En partie !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …, en effet, et cela n’a pas marché.
M. Guy Geoffroy. Nous avons manqué de temps !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Quant à l’autre partie, elle n’a pas pu être mise en œuvre, parce qu’elle n’est tout simplement pas conforme aux principes constitutionnels et aux règles conventionnelles. C’est la raison pour laquelle vous avez renoncé à la mettre en œuvre lorsque vous étiez aux responsabilités.
Vous nous proposez donc de renoncer à un texte équilibré au bénéfice de mesures qui, soit ont déjà été mises en œuvre sans succès, soit sont impossibles à mettre en œuvre. C’est la raison pour laquelle j’invite l’Assemblée à ne pas vous suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Claude Goasguen. Caricatural !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Excellent, clair et précis !
M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Sandrine Mazetier. Je crains, monsieur le ministre, que votre appel à faire preuve d’honnêteté intellectuelle et de rigueur dans l’exposé des faits et des chiffres n’ait pas du tout été entendu par M. Larrivé et les membres de son groupe, étant donné l’accumulation de postures et d’impostures que nous venons d’entendre à la tribune et auxquelles vous avez d’ores et déjà opposé quelques éléments de réponse
M. Philippe Goujon. Vous êtes une orfèvre !
Mme Sandrine Mazetier. Je voudrais, pour ma part, vous féliciter, monsieur Larrivé pour l’art consommé du faux-semblant qui vous caractérise…
M. Patrick Hetzel. C’est une experte qui parle !
Mme Sandrine Mazetier. …et qui vous caractérisait déjà lorsque vous exerciez vos fonctions au sein du cabinet de M. Hortefeux. Sous prétexte d’opposer deux postures, vous n’avez en réalité fustigé qu’une politique, celle que nous souhaitons mener. En revanche vous avez assez peu condamné les horreurs proférés sur la question par les extrémistes du Front national, du Bloc identitaire et leurs amis.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !
Mme Sandrine Mazetier. Vous avez beaucoup parlé de ce qu’il conviendrait de faire. Je voudrais, pour ma part, parler de ce que vous avez prétendu faire et de ce que vous avez effectivement fait et qui a conduit aux impasses que M. le ministre a rappelées. À l’époque la mode était à l’« immigration choisie » – c’est ainsi que Nicolas Sarkozy qualifiait sa politique –, avec un objectif de 50 % d’immigration professionnelle. Dans les faits, ce chiffre n’a naturellement jamais été atteint. Il n’a d’ailleurs été atteint dans aucun pays, à part peut-être dans les émirats ou au Qatar, où l’on dépasse très largement les 50 %.
M. Claude Goasguen. Et au Canada !
Mme Sandrine Mazetier. Mais pour paraître avoir atteint vos objectifs, vous avez régularisé soudainement, d’une manière totalement opaque, des travailleurs sans-papiers, de même que vous avez conclu des accords de gestion concertée de flux migratoires avec le Congo, le Gabon, ou encore la Tunisie de votre ami Ben Ali !
M. Guillaume Larrivé. Mais aussi avec le Sénégal, le Cameroun, le Bénin, la Guinée, le Cap-Vert !
Mme Sandrine Mazetier. C’était cela, votre vision de la politique migratoire !
Nous défendons, nous, une politique radicalement opposée, où la fermeté n’est pas synonyme de fermeture, et qui permettra à la France de tenir son rang parmi les nations, de continuer à influer sur la marche du monde et à parler à l’universel. C’est pourquoi nous voterons contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe Les Républicains.
M. Guy Geoffroy. Si nous avions besoin d’arguments pour soutenir cette motion de rejet préalable, je crois, monsieur le ministre, que vous nous les avez donnés. Notre collègue Guillaume Larrivé vous a poussé à la faute car vous avez commencé votre propos – vous aviez fait de même lors de votre très longue intervention à la tribune – en disant l’inverse de ce que vous avez toujours dit, notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile. Vous n’aviez eu de cesse alors de nous dire que si cette loi n’abordait pas la question du retour dans leur pays des déboutés du droit d’asile, c’est parce que l’asile et l’immigration sont deux choses totalement différentes. Or en prenant l’exemple de l’asile pour tenter – en vain – de mettre notre collègue Guillaume Larrivé en porte-à-faux sur la question des quotas, vous vous êtes pris les pieds dans le tapis.
Le problème de votre projet de loi, comme l’a dit très justement Guillaume Larrivé, c’est qu’il n’est pas le fruit d’une réflexion politique de fond, mais le bilan très contrasté, votre majorité tirant à hue et à dia, d’une pratique fondée sur le renoncement : renoncement à gérer des flux, renoncement à affirmer que l’on doit continuer à être la terre d’accueil que l’on a toujours été mais en se donnant les moyens de limiter des flux qui sont en train de nous submerger. Votre projet de loi essaie de parer au plus pressé, en satisfaisant des engagements pris par le chef de l’État face à une majorité qui se gauchise. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme Marie-Anne Chapdelaine. N’importe quoi !
M. Guy Geoffroy. Les propositions que nous vous avons faites sont certes critiquables mais ont au moins le mérite d’être cohérentes.
C’est pourquoi il faut impérativement renvoyer à un débat de fond, et non pas tronqué comme celui que vous nous proposez, les questions relatives à l’immigration en votant cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Thierry Mariani.
M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans son intervention brillante et précise, Guillaume Larrivé a non seulement dessiné à grands traits ce que pourrait être le programme de l’opposition, mais il a surtout marqué, une fois de plus, notre rejet de deux idéologies.
Nous rejetons d’abord l’idéologie de la fermeture totale. Sur ce point, les Républicains, et avant eux l’UMP, le RPR et les centristes ont toujours été très clairs. Il n’est pas question pour nous de tomber dans certains pièges. Ainsi, en tant que député d’une circonscription qui constitue un poste d’observation idéal pour voir comment certains pays se battent pour attirer les meilleurs, je pense que la France doit être présente dans cette compétition.
Nous condamnons de la même manière l’idéologie de l’ouverture totale et de la fausse générosité. Il est vrai, monsieur le ministre, que nos principes constitutionnels – bien qu’en l’occurrence, il s’agisse de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme…
Mme Sandrine Mazetier. En effet !
M. Thierry Mariani. …garantissent le droit au regroupement familial, mais chaque État peut définir selon quelles modalités. Nous ne sommes pas obligés de maintenir des modalités aussi larges qu’elles le sont actuellement.
Mme Sandrine Mazetier. Les familles du XVIe arrondissement auraient le droit au regroupement, mais pas celles des quartiers populaires, c’est ce que vous voulez ?
M. Thierry Mariani. Le Danemark, par exemple, a adopté des mesures beaucoup plus restrictives.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ce sont les mêmes !
M. Thierry Mariani. Par ailleurs, vous n’avez pas répondu à la question de la générosité sociale posée par Guillaume Larrivé. Il est très clair qu’un étranger qui cotise doit avoir les mêmes droits qu’un Français ; en revanche la solidarité pourrait être conditionnée à une certaine durée de résidence sur notre sol.
Cela fait trois ans que je cherche en vain à savoir quel pourcentage d’étrangers bénéficie des prestations familiales en France, et combien cela coûte. J’ai multiplié les questions écrites sur ce sujet et on m’a répondu à chaque fois qu’il était totalement impossible de le savoir. Ce qui n’empêche pas un certain nombre de personnes dans cet hémicycle de répéter que cela ne coûte pas grand-chose et que le système ne dérape pas. En réalité, il est impossible d’en juger – à moins que vous nous cachiez les chiffres.
Cela a été dit, la France est depuis très longtemps une terre d’accueil. Elle a intégré plusieurs vagues de migrants. Il existe dans notre pays une réelle tradition d’accueil et nous avons joué en la matière un rôle de pionnier au sein de l’Europe. Mais la situation de la France en 2015 est-elle comparable à celle de l’Europe des années soixante ? La situation en 2015 est-elle seulement comparable à ce qui se passait en 2010 ? La pression migratoire n’est-elle pas totalement différente, ainsi que le contexte économique ?
S’il y a un seul chiffre à retenir de l’exposé brillant de Guillaume Larrivé, c’est celui des 43 % d’immigrés en âge actif qui sont sans emploi. Cela signifie qu’en France pratiquement un immigré sur deux est sans emploi. Ce chiffre contredit le mythe, colporté par une partie de mes amis politiques eux-mêmes, selon lequel la France a besoin d’une main-d’œuvre immigrée. Si cela a été vrai à une époque, on voit que cela l’est beaucoup moins aujourd’hui.
Le premier point sur lequel je souhaite insister c’est sur l’absence totale de politique migratoire au niveau européen. Ayant la chance de présider depuis deux ans la commission des migrations, réfugiés et personnes déplacées de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, j’avoue que je suis consterné d’entendre s’exprimer à chacune des réunions de l’assemblée l’idéologie qui domine dans toutes nos institutions et selon laquelle nos frontières doivent s’ouvrir de plus en plus, et de constater que nous n’avons aujourd’hui absolument aucune réponse face à la pression migratoire aux portes de l’Europe.
Vous avez insisté sur la nécessité d’apporter une réponse humanitaire à la situation des personnes qui essaient de traverser la Méditerranée. Nous sommes bien sûr solidaires avec vous sur ce point, monsieur le ministre : la première des obligations est de sauver des vies humaines. Mais il faut en même temps un message politique fort. Quand on constate que le seul projet européen consiste à se répartir des quotas de réfugiés politiques, alors que l’on sait très bien que la procédure d’asile est détournée par tous ceux qui recherchent en réalité un asile économique, on mesure le vide sidéral de la politique européenne. Il n’y a aucune réponse politique à cette pression migratoire : on se contente d’une réponse humanitaire, certes nécessaire mais absolument insuffisante. En tout cas, elle n’est absolument pas de nature à freiner cette pression migratoire.
Pour répondre à la préoccupation de nos concitoyens, dont la réalité quotidienne est marquée par le chômage et l’insécurité, la priorité de notre pays devrait être de reprendre la maîtrise des flux migratoires et donc de repenser sa politique d’accueil des étrangers.
Bien entendu, il n’est pas question de nous refermer sur nous-même. La France dans la mondialisation doit rester une nation ouverte sur le monde et accueillir plus de talents, à condition d’en avoir besoin. Qu’ils soient investisseurs, entrepreneurs, travailleurs ou futurs diplômés, nous sommes tous d’accord sur le fait qu’ils constituent une véritable source de richesse pour la France. En ce sens, nous devons nous donner les moyens de développer l’immigration économique et d’accueillir ces talents dignement. Mais chacun sait dans cet hémicycle que l’immigration choisie, évoquée par Mme Mazetier, l’immigration des talents représente au plus 15 % de l’immigration globale. Nous sommes loin de l’objectif affiché par les différents gouvernements qui se sont succédé.
Aussi, pour continuer à accueillir des immigrés, et notamment les talents venus du monde entier, dans des conditions décentes, nous devons faire preuve de fermeté face à toute forme d’immigration qui laisse penser qu’il vaut mieux contourner la loi.
Ce texte était attendu. Il nous donne enfin l’occasion d’aborder la question de l’accueil et des droits des étrangers dans notre pays, question qui revêt une importance toute particulière compte tenu de la pression migratoire qui s’exerce à nos frontières.
Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui traduit une promesse de campagne de François Hollande. Je rappelle qu’il a été présenté en conseil des ministres le 23 juillet 2014 : il aura donc fallu un an pour inscrire à l’ordre du jour ce texte, pourtant annoncé comme prioritaire.
Ce projet de loi, nous l’attendions, mais un peu plus tôt dans nos travaux parlementaires. Or c’est seulement au terme de la session extraordinaire que nous débutons l’examen de ce texte : cela en dit long sur le sens des priorités de ce gouvernement.
Comble de l’ironie, le Gouvernement a engagé le 19 juin dernier une procédure accélérée. Ces conditions d’examen trahissent un profond mépris du débat parlementaire, alors même qu’il s’agit d’une question majeure pour l’avenir de notre pays. Vous avez dit vous-même en commission que la complexité du sujet appelait à un examen empreint de « sérénité et de rationalité », pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre. Le projet de loi relatif au droit des étrangers en France est pourtant discuté dans la précipitation, malgré les enjeux majeurs qu’il représente. Ce calendrier et cette précipitation justifieraient à elle seule le renvoi en commission.
M. Patrick Hetzel. Très juste !
M. Thierry Mariani. La politique menée depuis 2012 est inquiétante, votre gouvernement n’ayant pas attendu ce projet de loi pour faire évoluer les conditions d’accueil des étrangers en France. Depuis 2012, vous et votre prédécesseur avez assoupli, notamment par voie de circulaires, les critères de régularisation. De la même manière, vous avez facilité l’accès à la nationalité française.
Dès la loi de finances rectificative du 16 août 2012, vous avez donné le ton en supprimant le droit de timbre que devaient acquitter les bénéficiaires de l’aide médicale d’État, ainsi que le fonds national de l’aide médicale d’État créé par la précédente majorité pour collecter cette contribution. Quel message, monsieur le ministre !
Or on constate que le nombre des demandeurs de l’AME a fortement augmenté depuis le second semestre de 2012. En deux ans, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 35 % pour un coût qui avoisine le milliard d’euros en 2015, selon le rapport présenté il y a quelques mois par notre collègue Claude Goasguen. Excusez-moi, mais comment pouvez-vous, avec de tels chiffres, prétendre que l’immigration est parfaitement maîtrisée ?
Dans un contexte économique et budgétaire extrêmement difficile, où l’on demande à nos concitoyens de consentir des efforts financiers importants – le budget des ménages est grevé par la baisse du quotient familial, celle de l’allocation de base, la suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité et toutes les hausses d’impôts de ces derniers mois – la maîtrise des dépenses de l’AME serait une mesure simple de justice sociale qui convaincrait nos concitoyens que les efforts sont partagés par tous.
Aujourd’hui, vous vous contentez de rembourser sans contrôle les dépenses enregistrées par les caisses d’assurance maladie. Sans remettre en cause le principe selon lequel chaque être humain gravement malade a le droit d’être soigné sur le territoire français, encadrer l’accès aux soins afin d’éviter les dérives serait une preuve de responsabilité de la part de votre gouvernement. Sur ce point aussi, le rapport de notre collègue Claude Goasguen contient un certain nombre de propositions.
Autre exemple qui témoigne de l’angélisme de votre politique : le 22 octobre 2012, les députés du groupe socialiste, avec l’aval du Gouvernement, ont voté la baisse de plus de 50 % du coût d’un visa pour obtenir un titre de séjour, le faisant passer de 110 à 50 euros. Bien évidemment, cette mesure facilite l’entrée sur notre territoire. Surtout, elle suscite l’écœurement de nos concitoyens, frappés par des hausses d’impôts tous azimuts depuis votre arrivée au pouvoir.
M. Erwann Binet, rapporteur. Ils osent tout !
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Quelle démagogie !
M. Thierry Mariani. Je ne connais pas un pays d’Asie ou du Pacifique de ma circonscription où le coût d’un titre de résidence soit aussi faible. Sans aller jusqu’aux milliers d’euros demandés en Australie, un coût de plusieurs centaines d’euros est un minimum. Pourquoi poser comme condition que cette formalité doit être quasiment gratuite pour les étrangers demandant à résider sur notre sol, alors que l’on devrait au moins faire payer le coût réel du service ? Or celui-ci est certainement supérieur à cinquante euros.
Autre preuve de votre laxisme, la circulaire prise le 28 novembre 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, assouplit les critères de régularisation des sans-papiers, notamment des parents présents depuis au moins cinq ans sur le territoire d’ un enfant scolarisé depuis au moins trois ans, maternelle incluse, et des sans-papiers présents depuis cinq ans en France et ayant travaillé au moins huit mois au cours des vingt-quatre derniers mois, ou trente mois sur cinq ans.
M. Bernard Roman. À cause de vous ils n’étaient ni expulsables ni intégrables !
M. Thierry Mariani. Ouvrir ainsi les vannes de l’immigration est d’autant plus préoccupant qu’en parallèle, Manuel Valls s’est montré moins exigeant en termes de naturalisation. Il a revu à la baisse les critères d’accès à la nationalité française via une circulaire d’octobre 2012. Désormais, cinq ans de résidence en France suffisent pour devenir Français, contre dix ans auparavant, et l’obtention d’un CDI n’est plus requise.
Demander aux étrangers de maîtriser notre langue, de connaître notre culture, de partager nos valeurs, de témoigner d’un ancrage réel dans la communauté nationale afin de devenir Français n’avait rien de discriminatoire. Cela manifestait simplement que devenir Français n’est pas – comme l’a souligné Guillaume Larrivé – une formalité administrative vide de sens ni un dû, mais l’aboutissement d’un processus et d’un engagement personnel fort.
Le laxisme enclenché par cette circulaire favorise la fraude et les filières d’immigration clandestine.
M. Claude Goasguen. Absolument !
M. Thierry Mariani. Aussi, je veux vous dire l’immense inquiétude que votre politique d’immigration nous inspire.
Avant d’évoquer le contenu de ce texte, permettez-moi de revenir un instant sur le contexte même de son examen. En effet, ce projet de loi s’inscrit dans un contexte tout à fait singulier, marqué par une crise migratoire réelle et une double démission, au niveau français et au niveau européen.
M. Claude Goasguen. Excellent !
M. Thierry Mariani. Il y a démission sur le terrain tout d’abord : face à l’afflux massif de migrants à nos frontières et à la situation dramatique qui en découle, l’Union européenne a complètement abdiqué en matière de défense de nos frontières. Elle s’est résignée à un afflux migratoire qu’elle se contente plus ou moins de répartir.
La démission est également morale : de toute évidence, toute tentative de maîtrise des flux se heurte aux réactions les plus vives, alors même que la situation impose des décisions énergiques.
Par un pur hasard, j’étais en Hongrie à la fin de la semaine dernière. J’y ai rencontré les responsables de ce pays, unanimement condamnés par l’Union européenne pour avoir voulu ériger, non pas un mur, mais un grillage.
Or, lorsqu’on discute avec eux, on entend un tout autre discours que celui qu’on attend. Il part d’un constat : depuis le début de l’année, plus de 80 000 personnes ont franchi une frontière longue de 140 kilomètres. Si l’on rapporte ce nombre à la distance, cela représente un flux migratoire plus important qu’en Méditerranée.
Ce qu’ils déplorent surtout, c’est l’absence totale de réponse de l’Union européenne, et sur ce point, je pense que nous pouvons les suivre. Alors que ce pays essaye d’apporter une solution, qui n’est certes pas idéale, mais qui représente au moins un début de tentative de régulation de cette migration, la seule réaction de l’Union européenne est de le condamner aussitôt, au lieu de chercher les moyens de réguler cette immigration
M. Bernard Roman. Mais on ne peut pas accepter ce que fait la Hongrie, tout de même ! C’est incroyable !
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Si, c’est acceptable !
M. Guy Geoffroy. Il faut accepter de remettre les pieds sur terre !
M. Thierry Mariani. On ne peut pas non plus accepter que l’Europe se transforme en passoire, or vous ne proposez strictement rien pour l’éviter !
Ce que nous attendons de l’Europe, c’est qu’elle respecte la politique migratoire et qu’elle assure un contrôle des flux. Aussi, quelle que soit la qualité de ce texte, son renvoi en commission est nécessaire afin de l’examiner à la lumière de ce contexte.
Venons-en à présent au contenu de ce projet de loi. La mesure phare en est la carte de séjour pluriannuelle. Tous les étrangers en séjour régulier depuis un an pourront avoir accès à une carte de séjour pluriannuelle, d’une validité de deux à quatre ans, alors qu’actuellement les étrangers doivent renouveler annuellement leur titre de séjour, jusqu’à l’obtention d’une carte de résident – ce qui, vous l’avez dit, se traduit par des files d’attente et un surcroît de travail tout à fait inutiles pour nos préfectures.
À titre personnel, je ne suis pas opposé à cette mesure, car on sait très bien que les cartes de séjour obtenues régulièrement au bout d’un an sont systématiquement reconduites. Il est inutile de surcharger…
Mme Sandrine Mazetier. Eh bien voilà !
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ah quand même !
M. Thierry Mariani. On peut être d’accord avec une disposition d’un texte qu’on condamne par ailleurs !
Cette mesure, monsieur le ministre, je l’aurais applaudie des deux mains si le temps ainsi libéré était consacré à un contrôle plus ferme de l’immigration, ce qui n’est absolument pas le cas. Cet allégement des démarches administratives serait positif à condition que ce dispositif permette, en contrepartie, de mieux lutter contre l’immigration illégale. Il ne saurait en effet y avoir d’intégration réussie des étrangers entrés légalement sur le territoire sans politique de lutte contre l’immigration clandestine.
Une politique d’immigration se doit d’être équilibrée : si nous devons tendre la main à ceux qui respectent nos lois, nous devons aussi être fermes envers ceux qui ne les respectent pas. Jusqu’à présent, monsieur le ministre, cette fermeté est surtout présente dans les discours du Gouvernement, mais elle est loin de l’être dans les faits.
Ayant été à plusieurs reprises le rapporteur de textes sur l’immigration, je constate que ce projet de loi est banalisé pour l’opinion publique. Malheureusement il ne comporte pas que la disposition relative à la carte de séjour pluriannuelle !
Le projet de loi prévoit de nouvelles mesures d’accueil et d’intégration des étrangers, notamment la mise en place d’un parcours d’accueil et d’intégration dont la durée pourra aller jusqu’à cinq ans, contre un an aujourd’hui. Toutes les mesures qui facilitent l’intégration et donnent aux nouveaux arrivants davantage de notions de notre culture et de notre langue vont dans le bon sens : la question essentielle est de savoir si ces mesures seront effectivement appliquées.
La loi de 2006 prévoyait déjà un certain nombre de dispositions en ce sens, notamment le fameux contrat d’accueil et d’intégration. Soyons honnêtes : il s’est avéré que ce parcours, souvent commencé, a rarement été mené à son terme. En tant que rapporteur de la loi ayant institué ce dispositif, je me suis rendu dans différents centres et plates-formes d’accueil pour en vérifier l’application et j’en ai immédiatement vu les limites.
En effet, soit on soumet les personnes concernées à un examen, qu’elles doivent réussir pour terminer le parcours d’intégration avec succès, soit, comme je l’ai entendu dire par Mme la rapporteure pour avis, l’on considère que l’assiduité est la seule condition de réussite de ce parcours. Or les personnes en charge de ces plates-formes m’ont expliqué que nombre de ceux qui suivent ces formations se contentent de s’asseoir sagement au fond de la salle, sans parfois comprendre même de quoi l’on parle. Ainsi, le parcours d’intégration n’est effectif que pour une minorité d’étrangers. Une partie d’entre eux n’achève jamais ce parcours ; certains ne possèdent même pas les rudiments de notre langue, ce qui rend ce parcours totalement illusoire et artificiel.
La mise en place d’un parcours individualisé comprenant des formations linguistiques et civiques est une initiative que l’on peut considérer comme positive…
Mme Sandrine Mazetier. Très bien !
M. Thierry Mariani. …à condition qu’elle soit effective. La proposition de M. Larrivé que ce parcours d’intégration soit réalisé avant même l’arrivée des immigrés sur notre territoire a suscité votre ironie. Ayant la chance de bien connaître les Alliances françaises de trois continents, je peux vous dire qu’une partie de leur succès – une partie seulement car l’attrait de la culture française est essentiel – est tout simplement due au fait que le Canada, en particulier le Québec, demande aux immigrés d’avoir acquis des connaissances linguistiques réelles, qui font l’objet d’un contrôle réel, et non pas seulement de suivre passivement des cours de français.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Thierry Mariani. Je reste persuadé que si ce parcours d’intégration linguistique était suivi avant l’arrivé sur notre territoire, ce serait d’abord un progrès pour les immigrés eux-mêmes, et accessoirement un moyen de donner aux Alliances françaises et aux Instituts français un peu d’oxygène, à un moment où leur dotation diminue – soyons honnête : cela avait déjà commencé sous la précédente législature. En tout état de cause, dire qu’il est impossible de commencer ce parcours d’intégration à l’étranger est à mon avis une erreur.
Concernant l’assignation à résidence, je note que ce texte trahit les paradoxes d’une politique qui vise à rassurer la gauche de la gauche. Beaucoup d’ambiguïtés sont à relever dans ce domaine. En effet, si un préfet peut désormais interdire le retour en France d’un étranger ressortissant européen ayant troublé l’ordre public pour une durée de trois ans, l’assignation à résidence deviendra la règle et la rétention administrative l’exception pour les étrangers en situation irrégulière. Je persiste à affirmer, monsieur le ministre, que cette disposition correspond à un monde totalement idéalisé, dans lequel on pourrait demander à un étranger séjournant illégalement sur notre territoire d’attendre gentiment qu’on vienne le chercher en temps et en heure. Cette mesure totalement inapplicable est la conséquence même de l’aveuglement idéologique du Gouvernement et de sa majorité, aux yeux de qui l’immigré est forcément une victime innocente.
Vous avez laissé entendre tout à l’heure que le taux de reconduite à la frontière des personnes assignées à domicile avait été à une époque supérieur à celui des personnes placées en centre de rétention administrative – vous disposez des chiffres les plus récents, monsieur le ministre, et je vous fais confiance pour nous les communiquer lors de votre réponse. Il me semble que dans le passé, c’étaient surtout des familles qui étaient assignées à domicile : il est évidemment plus difficile pour une famille de disparaître dans la nature que pour un individu isolé !
En fin de compte, le texte proposé par le Gouvernement n’est qu’une façade de bonnes intentions et ne lutte en aucun cas contre l’immigration illégale – bien au contraire. D’ailleurs, lors de l’examen de ce texte en commission des lois, la pression des partis de gauche et leur obstination à ne pas vouloir renforcer les mesures d’éloignement l’a emporté sur le projet du Gouvernement. J’ai noté avec satisfaction, monsieur le ministre, que vous avez tenu bon sur certains points : nous verrons si la suite des débats vous donnera raison.
À l’initiative des députés du groupe SRC, en effet, les dispositions concernant le nouveau régime contentieux et le raccourcissement des délais de recours ont hélas été supprimées. On estime pourtant entre 200 000 et 400 000 le nombre d’étrangers résidant sur notre territoire sans titre de séjour valide. Ceux-ci sont en situation irrégulière, et il est nécessaire qu’ils quittent le territoire français : il y va du respect des règles de la République et de la crédibilité de notre pays. Or à l’heure actuelle, moins de 20 000 personnes par an sont reconduites à la frontière, soit un taux dérisoire d’à peine 5 %. À votre décharge, ce taux a toujours été insuffisant – même si, d’après les chiffres dont je dispose, il a été plus élevé à une certaine époque.
Force est de reconnaître qu’il existe de réelles difficultés à exécuter les obligations de quitter le territoire français, notamment des demandeurs d’asile déboutés. Concrètement une grande majorité des déboutés du droit d’asile restent en France, seul 1 % d’entre eux quittant effectivement le territoire : ce n’est pas tolérable ! La restriction des délais que vous proposez nous semble, à cet égard, la moindre des choses.
En outre, cette présence sur notre territoire d’étrangers en situation irrégulière fait peser des charges importantes sur nos finances publiques. Cette situation écœure à juste titre nos concitoyens ; il convient donc de prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Je le répète : les dispositions prévues dans ce texte, notamment en ce qui concerne l’assignation à résidence, ne feront qu’aggraver la situation. Monsieur le ministre, il ne suffit pas d’afficher une fermeté sans faille en matière de lutte contre l’immigration illégale : il faut aussi des mesures concrètes et énergiques pour la traduire dans les faits.
Je voudrais enfin aborder le sujet des étrangers malades.
M. Claude Goasguen et M. Philippe Goujon. Question importante !
M. Thierry Mariani. À vous entendre, nous devrions tous partager les bons sentiments et la mansuétude dont est empli l’article 10 de ce projet de loi. Mais est-ce bien raisonnable aujourd’hui ? Selon le droit en vigueur, et que vous avez rappelé, l’étranger doit démontrer que les soins dont il a besoin sont complètement absents dans son pays d’origine. Si ce projet de loi était adopté en l’état, l’étranger devrait démontrer que le système de santé publique de son pays ne peut lui fournir les soins dont il a besoin. Dans cette nouvelle rédaction, le fait de ne pas pouvoir « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans le pays d’origine devrait s’apprécier « eu égard à l’offre de soins et des caractéristiques du système de santé » de ce pays. Soyons clairs : si dans son pays le système de remboursement et de prise en charge des dépenses sociales n’est pas aussi généreux qu’en France un étranger qui n’aurait pas les moyens de se payer ces soins pourrait prétendre à une carte de séjour temporaire en tant qu’étranger malade.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà un vertigineux raccourci intellectuel !
M. Thierry Mariani. C’est pourtant ainsi que le droit à disposer de la carte de séjour sera apprécié. Monsieur le ministre, avez-vous simplement mesuré le coût de cette disposition généreuse et le risque de dérive de nos dépenses sociales ?
M. Claude Goasguen. C’est la CMU qui va payer !
M. Thierry Mariani. À l’heure actuelle, beaucoup d’immigrés sont attirés par les revenus et les avantages sociaux attendus des régularisations. Ces signaux d’attractivité représentent une lourde charge financière pour la France. L’admission au séjour pour un motif familial représente d’ailleurs une part prépondérante de l’ensemble des admissions au séjour : plus de 93 000 sur les 200 000 accordées en 2013. Ne serait-il pas temps, comme l’a demandé Guillaume Larrivé, de distinguer entre les prestations relevant de l’assurance et celles relevant de la solidarité ? Avons-nous encore les moyens de notre générosité ?
Avant de terminer mon intervention, je voudrais ajouter un élément à propos de l’attraction des talents. Nous devons attirer dans notre pays les gens les plus talentueux, les plus compétents : sur ce point, l’opposition est bien entendu d’accord avec vous. La majorité précédente avait d’ailleurs créé une carte de séjour « compétences et talents » par une loi dont j’étais le rapporteur.
Mme Sandrine Mazetier. Un grand succès !
M. Thierry Mariani. Je reconnais, comme je l’ai dit en commission, que ce titre de séjour a été un échec et je crains qu’il n’en soit de même de celui proposé à l’article 11 de ce projet de loi, en raison notamment de son alinéa 34.
À l’origine, le fonctionnement de ce dispositif devait être très simple : les consulats auraient eu quasiment pleins pouvoirs pour délivrer cette carte en fonction de ce qu’ils estimaient être l’intérêt de la France. Des dispositions réglementaires devaient préciser les modalités d’application de la loi.
Or ces mesures d’application ont complètement ruiné la capacité d’attractivité du dispositif en le compliquant à l’excès. Les étrangers compétents et talentueux se sont très vite rendu compte qu’il était beaucoup simple de demander un visa de longue durée, plutôt qu’une carte de séjour « compétences et talents ».
C’est pourquoi, même si je peux souscrire aux objectifs du dispositif prévu par l’article 11, je vous conseille sincèrement de vérifier soigneusement que les dispositions réglementaires d’application ne le neutralisent pas et n’enlèvent pas toute efficacité au texte.
Pourquoi, monsieur le ministre, examiner ce projet de loi de manière à la fois si brève et si tardive, à quatre jours de la fin de la session extraordinaires ?
M. Philippe Goujon. Ça passe mieux au journal télévisé pendant les vacances !
M. Yannick Moreau. Quel manque de courage !
M. Thierry Mariani. Nous aurions préféré un débat plus ouvert, à la rentrée parlementaire par exemple, que cette discussion en catimini. C’est pour nous une raison supplémentaire de demander le renvoi de ce texte en commission. Un véritable débat permettrait aux Français de se rendre compte que même si nous pouvons approuver une ou deux dispositions de ce texte, il en est beaucoup d’inquiétantes.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je ne voterai pas ce texte. C’est l’ensemble du groupe Les Républicains qui vous demande, mes chers collègues, de renvoyer ce texte en commission, afin que nous puissions réellement étudier son impact.
M. Philippe Goujon. C’est indispensable !
M. Thierry Mariani. Pour cela, nous attendons des chiffres concernant un certain nombre de dépenses. Ainsi, nous pourrons mesurer ce que le texte phare de votre mandature en matière d’immigration apportera à la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Erwann Binet, rapporteur. Tout en étant opposé au texte dont nous allons débattre, vous avez été plus mesuré dans votre propos que votre collègue M. Larrivé, ce dont je vous sais gré.
M. Thierry Mariani. Des propos centristes ! (Sourires.)
M. Erwann Binet, rapporteur. Vous n’avez notamment pas employé le mot « immigrationniste » dont l’extrême droite avait jusqu’à présent le monopole, n’est-ce pas, monsieur Larrivé ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Eh oui.
M. Guillaume Larrivé. Quand on a recours à de tels arguments, c’est qu’on n’a rien à dire !
M. Erwann Binet, rapporteur. Je comprends que vous vouliez renvoyer le texte en commission dans la mesure où aucun de vous n’a été présent en commission (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) il y a deux semaines, à l’exception notable de Philippe Goujon, qui n’a cependant pas pu assister à l’intégralité de la réunion !
M. Thierry Mariani. Quant à moi, je n’en fais pas partie !
M. Erwann Binet, rapporteur. Au cours de cette réunion, nous avons examiné un peu moins de trois cents amendements. La commission, ainsi que le rapport en atteste, a introduit trente-sept modifications substantielles, non compris les amendements rédactionnels et de coordination que nous avons adoptés.
Vous auriez pu également être présents aux auditions du rapporteur. Aucun d’entre vous n’y a assisté alors qu’elles se sont échelonnées sur une année.
M. Guillaume Larrivé. Nous menions des auditions en parallèle.
M. Erwann Binet, rapporteur. Nous avons passé une année entière à travailler à ce texte qui a été adopté en conseil des ministres il y a environ un an.
M. Claude Goasguen. Ça se voit !
M. Erwann Binet, rapporteur. Aujourd’hui, en séance publique, vous êtes tout aussi peu nombreux sur les bancs de l’opposition. Il est donc superfétatoire de renvoyer le texte en commission eu égard au travail qui a été effectué et à votre absence tout au long de nos travaux. On peut du reste penser que vous n’y seriez pas plus présents.
M. Patrick Hetzel et M. Philippe Goujon. Quelle argumentation !
M. Erwann Binet, rapporteur. Par ailleurs, il est pour le moins étonnant que vous vous plaigniez du fait que l’Assemblée nationale siège un 20 juillet alors que des millions de Français travaillent encore à cette date ! Il est tout à fait légitime que nous poursuivions nos travaux et que nous débattions du projet de loi relatif au droit des étrangers en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Claude Goasguen. C’est pour cela que nous sommes là.
M. Philippe Goujon. Ça valait vraiment la peine de prendre la parole pour dire ça !
M. Guy Geoffroy. Nous voulons un débat de fond !
M. Thierry Mariani. Quant à moi, je ne peux pas être présent dans toutes les commissions !
M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à Mme Suzanne Tallard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Suzanne Tallard. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui aborde la question du statut des étrangers avec objectivité, loin des fantasmes, des peurs, des calculs. Nous sommes face à la nécessité de réviser le droit actuel qui se révèle inefficace, génère des lourdeurs de fonctionnement qui compliquent sans justification aucune le travail des fonctionnaires et la vie des étrangers en situation régulière.
Nos objectifs sont transparents et clairement affichés : améliorer l’accueil, favoriser l’intégration des étrangers régulièrement admis, renforcer l’attractivité de la France et l’accueil des talents, réviser le droit au séjour des étrangers dont l’un des enfants malades est soigné en France et enfin lutter contre l’immigration irrégulière.
De tels objectifs appellent des évolutions, voire des changements de pratiques qui encadreront avec rigueur les droits et obligations des étrangers. Car c’est bien dans le respect des droits et obligations de tout individu, quelle que soit sa nationalité, que s’enracine la responsabilité d’un projet politique.
Ce projet de loi équilibré participe de cette ambition républicaine. Je vous invite donc à voter résolument contre la motion de renvoi en commission présentée par le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe Les Républicains.
M. Claude Goasguen. Le problème du renvoi d’un texte en commission n’est pas seulement lié à celui de l’examen du texte en commission et de la présence ou non des uns et des autres. Pour ma part, je fais partie de la commission des finances et j’aurais suivi avec beaucoup d’intérêt les travaux de la commission des lois.
Le problème n’est pas là ; il tient au fait que votre texte est complètement décalé. S’il propose des formalités administratives qui vont plutôt dans le sens de l’économie, en réalité, il ne change rien.
Votre texte est décalé parce qu’il ne prend pas en considération la nouvelle situation de l’immigration. Le terme d’immigration est un terme générique qui tend à occulter le fait qu’il y a différentes formes d’immigration. Depuis deux ans, nous sommes devant un phénomène migratoire qui n’a rien à voir avec les phénomènes précédents, sinon par l’arrivée d’un individu X qualifié par l’administration comme tel.
Quel rapport en effet avec ceux qui, dans la plus grande détresse, traversent la Méditerranée ou qui franchissent la frontière de l’est, non pour chercher des avantages sociaux ou le regroupement familial, mais parce qu’ils sont poussés à l’extérieur par une menace guerrière terrible et terroriste ?
M. Bernard Roman. Très juste.
M. Claude Goasguen. Traiter l’immigration de la même manière qu’en 1950 ou en 1980 montre que vous n’avez pas pris conscience de la nouvelle immigration.
Mme Sandrine Mazetier. Dites-le à M. Larrivé.
M. Claude Goasguen. Lui au moins a fait des propositions…
Mme Sandrine Mazetier. Décalées.
M. Claude Goasguen. …qui, de mon point de vue, ne vont pas encore assez loin.
M. Bruno Le Roux. Il est mou, M. Larrivé.
M. Claude Goasguen. On a parlé de la Hongrie. Pourquoi la Hongrie est-elle aujourd’hui fustigée ? Parce que nous n’avons pas pris suffisamment conscience du drame qui se déroule au Moyen-Orient. Je souhaite que vous compreniez que si cette situation dure, si les migrations continuent de cette façon, en Méditerranée et ailleurs, nous risquons de devoir prendre, nous aussi, des mesures discriminatoires.
M. Yannick Moreau. Il a raison.
M. Guy Geoffroy. Tout à fait.
M. Claude Goasguen. Le seul intérêt d’une législation est de prendre à temps des mesures pour éviter le genre de situation que connaît la Hongrie.
En réalité, nous n’avons pas affaire à un texte sur l’immigration, mais à un texte qui apporte des améliorations administratives à une politique qui est mauvaise, et que vous allez encore envenimer sur un certain nombre de points.
Il y a en effet de nombreuses lacunes, notamment en ce qui concerne l’aide médicale d’État. En fait, vous faites passer les étrangers de l’AME à la CMU. Fort bien, mais c’est une supercherie puisqu’on ne connaît pas le montant des prestations familiales.
Vous allez aggraver le problème des expulsions qui seront plus difficiles parce que vous ne bénéficierez plus de la loi précédente sur le juge des libertés et de la détention. Les délais étant plus courts...
M. le président. Veuillez conclure.
M. Claude Goasguen. …vous aurez plus de difficultés.
Monsieur le ministre, je comprends que vous ayez inscrit l’examen de ce projet loi aussi tardivement à notre ordre du jour, car elle est décalée. Datant de l’année dernière, elle est déjà obsolète.
M. Guy Geoffroy. Évidemment !
M. Claude Goasguen. Vous n’avez pas traité le problème des étrangers et c’est la raison pour laquelle nous demandons l’examen d’une véritable loi relative à l’immigration et aux étrangers. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.
M. Sergio Coronado. Nous pouvons être d’accord sur un point : la réalité de l’immigration a changé et les crises humanitaires auxquelles nous sommes confrontés sont durables. Or, après avoir entendu Guillaume Larrivé et Thierry Mariani, je n’ai pas l’impression que leurs propositions soient si nouvelles. Il s’agit toujours des mêmes vieilles recettes depuis une vingtaine d’années.
À l’instar du rapporteur Erwann Binet, je ne vous ai pas trouvé aussi outrancier qu’à votre habitude, cher collègue Mariani, alors que vous savez également faire preuve de subtilité.
M. Thierry Mariani. Ce n’est pas ma commission.
M. Sergio Coronado. Le fait que votre circonscription compte des pays qui font de l’immigration un élément consubstantiel de leur identité a dû vous faire évoluer. J’ai certes entendu vos critiques, mais je ne vous ai pas entendu crier au scandale.
Vous avez réservé l’outrance aux propos carabinés que vous avez tenus sur la Hongrie.
M. Claude Goasguen. C’est comme ça que cela se terminera.
M. Sergio Coronado. Je rappelle que le ministre hongrois de l’intérieur, Karoly Kontrat, a affirmé que « les prochains réfugiés seraient des terroristes ». Je rappelle le questionnaire diffusé à douze millions d’exemplaires par le gouvernement hongrois et qui confond terrorisme et immigration.
M. Bernard Roman. Eh oui.
M. Sergio Coronado. On pouvait y lire que le nombre d’immigrés avait été multiplié par vingt alors que la seule augmentation connue en Hongrie est celle du nombre de demandeurs d’asile, passé de 19 000 à 42 000 personnes. Je rappelle au passage que la Hongrie n’a octroyé le statut de réfugié qu’à 4 000 personnes. On est donc loin des fantasmes véhiculés par le régime hongrois afin de justifier la suspension des accords de Dublin.
Comme vous avez eu du mal à justifier votre position sur ce texte, vous avez concentré vos outrances sur la Hongrie pour faire plaisir à votre électorat. Mais je ne crois pas que vous ayez trouvé les arguments nécessaires pour nous convaincre de nous associer au renvoi du texte en commission.
M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Philippe Folliot. En fait, il y a deux débats, un débat de fond et un débat sur la forme. Le débat de fond, nous l’aurons ce soir dans le cadre de la discussion générale.
M. Claude Goasguen. Faut pas rêver.
M. Philippe Folliot. Nous devons nous demander si le renvoi du texte en commission est indispensable pour nous permettre de réfléchir et de débattre sur le fond ou si nous pouvons le faire dès à présent dans le cadre de la discussion générale et de l’examen des articles et des amendements. Si nous le renvoyions en commission, nous ne pourrions pas en discuter avant la fin de la session extraordinaire et cela reporterait la discussion à la session parlementaire d’automne.
Je ne m’exprimerai, contrairement aux orateurs précédents, que sur la forme et sur la question de savoir s’il faut engager la discussion générale ce soir. La position de l’UDI est claire : la réponse est oui.
M. Bernard Roman. Très bien.
M. Philippe Folliot. Il faut passer à l’examen du texte, ne serait-ce que pour confronter nos idées, conserver les éléments positifs, d’améliorer ceux qui le sont moins. En tout état de cause, le débat doit avoir lieu. Dès lors, et j’en suis désolé pour notre collègue Mariani, l’UDI ne s’associera pas à la demande de renvoi en commission.
M. Bernard Roman. Très bien.
M. Guillaume Larrivé. Vous avez tort.
M. Philippe Folliot. Nous pensons en effet qu’il est important d’engager cette discussion. Nos compatriotes attendent que nous nous exprimions dans la plus grande clarté sur un sujet éminemment important.
Mme Sandrine Mazetier. Très bien.
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly