SOMMAIRE
Présidence de Mme Sandrine Mazetier
Discussion des articles (suite)
Amendement no 7
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Amendements nos 305, 306 , 225 , 231 , 340 , 188
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
Amendements nos 358 , 35 , 111
Amendements nos 270 , 78 , 218 , 8 , 79 , 271
Amendements nos 234 , 127 , 128
Amendement no 169
Amendements nos 203 , 170 , 253 , 171 , 307 , 9 , 80 , 272 , 401 , 404 , 350 , 157 , 129
Amendements nos 141 rectifié , 73 rectifié
Suspension et reprise de la séance
Amendements nos 167 rectifié , 359
Amendements nos 233 , 122 , 112 , 308 , 202 , 245 , 309 , 123 , 402 rectifié
Amendement no 81
Amendements nos 36 , 37 , 318 , 38
Amendements nos 34 , 212 , 273 , 274 , 82 , 266 , 251 rectifié , 33
Amendement no 121
Amendement no 132
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (nos 2183, 2923, 2916, 2919).
Mme la présidente. Hier soir, l’Assemblée a commencé l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement no 7 à l’article 1er.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 7.
M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à mentionner de façon explicite la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes, valeurs essentielles de la société française qui figurent d’ailleurs aujourd’hui à l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – CESEDA – précisant le contenu du contrat d’accueil et d’intégration. Alors que ce texte s’apprête à faciliter le séjour en France des étrangers, on ne saurait diminuer les exigences en matière d’intégration dans la société française, d’autant que la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes, objectifs que nous visons tous sur ces bancs, sont loin d’être la norme dans les pays d’origine des migrants et méritent d’être clairement affirmés, dès le premier contact avec l’administration française, comme condition d’intégration dont le respect sera vérifié. Ces mentions ne sont pas superfétatoires puisqu’elles existent déjà dans le droit en vigueur. Cette exigence s’inscrit pleinement dans l’équilibre entre droits et devoirs que la France est en droit d’attendre de ceux qui veulent vivre sur notre sol. C’est un amendement consensuel, dont je ne doute pas qu’il soit adopté par notre assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.
M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur Goujon, votre amendement vise à préciser davantage les valeurs de la République qui feront l’objet de la formation civique obligatoire. La commission a émis un avis défavorable en raison du risque de raisonnement a contrario mais, sur le fondement de votre argumentation, je veux bien accéder à votre souhait d’exhaustivité. L’adoption de cet amendement ne poserait, selon moi, aucune difficulté (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains).
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 7.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je comprends également le sens de cet amendement, que je partage sur le fond, mais l’objectif poursuivi est déjà satisfait car le texte dont vous souhaitez préciser le contenu, monsieur Goujon, fait référence aux valeurs fondamentales de la République, qui incluent la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes. Cela dit, je comprends votre démarche et je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Je ne voterai pas cet amendement car il n’est pas sain de donner à penser que la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes ne feraient pas parti des valeurs de la République, ni même des valeurs fondamentales. Qu’en est-il d’ailleurs de l’égalité entre les citoyens eux-mêmes ? Cet amendement décline fâcheusement des valeurs qui sont consubstantielles à la République.
M. Bruno Le Roux. Elle a raison !
Mme Cécile Untermaier. Tout à fait !
(L’amendement no 7 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 305 et 306, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour les soutenir.
Mme Chantal Guittet. Je me réjouis que l’article 2 définisse le parcours personnalisé d’intégration républicaine. Ce parcours comprend une formation linguistique visant à l’acquisition de la langue française. L’amendement no 305 tend à insérer les mots : « dans un niveau adapté à son projet personnel et professionnel » après le mot : « acquisition ». De même, afin que le parcours se réalise pleinement, l’amendement no 306 vise à instaurer un accompagnement adapté aux besoins de l’étranger pour faciliter ses conditions d’accueil et d’intégration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Le présent projet de loi entend renforcer significativement l’apprentissage du français. À ce titre, l’objectif du Gouvernement est d’accompagner les migrants vers le niveau A1 dans la première année suivant leur arrivée en France et vers le niveau A2 après cinq ans de résidence sur le territoire. L’objectif est d’offrir ainsi de manière égalitaire et objective aux migrants un parcours de progression linguistique consistant à leur enseigner dès leur arrivée les bases de la langue, afin de leur permettre de continuer à se former par eux-mêmes. Votre amendement no 305, madame Guittet, entend différencier et individualiser cet objectif en fonction du projet personnel et professionnel de l’étranger. Ce faisant, il introduit, à la différence ce que la commission a souhaité faire, de la subjectivité et de l’arbitraire dans l’appréciation des critères d’intégration et de la délivrance des titres de séjour, là où le projet de loi entend instiller davantage d’objectivité, donc d’égalité. La commission est donc défavorable à l’amendement no 305.
Mme Chantal Guittet. Je le retire.
M. Erwann Binet, rapporteur. En revanche, je retire l’amendement no 225, qui suit, au profit de l’amendement no 306 auquel la commission est favorable.
(L’amendement no 305 est retiré.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement no 306.
(L’amendement no 306 est adopté.)
Mme la présidente. L’amendement no 225 vient d’être retiré.
(L’amendement no 225 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet, pour soutenir l’amendement no 231.
Mme Sandrine Doucet. Cet amendement vise à insérer, après l’alinéa 5, un alinéa portant sur les modalités de scolarisation des enfants d’étrangers.
Un élément fondamental de l’intégration des nouveaux arrivants en France est l’inclusion de leurs enfants dans l’école. La loi pour la refondation de l’école de juillet 2013 prévoit l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Les enfants allophones relèvent de l’obligation scolaire et sont scolarisés dans les conditions de droit commun. La loi pour la refondation de l’école précise même que « des actions particulières sont prévues pour l’accueil et la scolarisation des élèves non francophones nouvellement arrivés en France ».
Il est essentiel que le parcours personnalisé d’intégration républicaine intègre cette dimension en prévoyant clairement les modalités de scolarisation des enfants de son signataire. Il doit aussi permettre l’engagement d’un dialogue entre ce dernier et les équipes éducatives – dialogue indispensable à la réussite scolaire –au besoin en recourant à des interprètes. Enfin, il importe de veiller à ce que les établissements concernés disposent des moyens d’accueillir ces enfants, en les intégrant au décompte de leurs effectifs scolarisés.
Il s’agit donc de continuer ce que nous avons débuté en 2013 avec l’abrogation de la loi Ciotti, et de poursuivre la rupture avec la loi LOPPSI qui faisait de l’absentéisme une cause de sanction et de la famille le lieu de celle-ci. Nous avons mis fin à ces dispositifs qui visaient particulièrement les familles. Il s’agit d’accompagner ces dernières dans la compréhension du système scolaire en les aidant à être auprès de leurs enfants afin de lutter contre le décrochage et permettre leur assiduité. Je demande donc que le recours à des interprètes soit prévu et que ces enfants soient intégrés dans le décompte des effectifs des classes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Votre demande est satisfaite. L’obligation scolaire s’impose aux parents primo-arrivants, comme à tous les parents, d’autant plus qu’elle constitue une condition d’attribution de la carte pluriannuelle.
Quant au recours à des interprètes et au décompte des élèves dans les classes, ce sont des dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement, mais sans doute le retirerez-vous, madame Doucet.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la députée, votre amendement entend prévoir les modalités de scolarisation des enfants de l’étranger signataires du parcours d’intégration républicaine. Il prévoit le recours à un interprète pour permettre un dialogue entre les équipes éducatives et les signataires du parcours, ainsi que le décompte en amont de ces élèves dans les effectifs totaux des établissements.
S’agissant tout d’abord du décompte des élèves, tout élève accueilli dans un établissement est inscrit, et fait donc partie des effectifs de référence pris en compte pour allouer les moyens aux établissements. L’élève est donc déjà décompté au moment où il est inscrit. Un décompte en amont, comme vous semblez le proposer, serait problématique dans la mesure où les rentrées scolaires sont préparées plusieurs mois à l’avance, ce qui rend difficile – voire impossible – l’estimation du nombre futur d’enfants d’étrangers à scolariser.
S’agissant ensuite du recours à l’interprète dans les écoles, si un tel recours peut ponctuellement être envisagé pour faciliter les relations avec certaines familles, il ne semble ni possible ni souhaitable de le généraliser. Actuellement, les besoins sont couverts en mobilisant les partenaires associatifs des écoles ainsi que les établissements ou collectivités locales concernées, en général dans le cadre de la politique de la ville et non par le biais de personnel ou de prestataires directs du ministère de l’éducation nationale.
Je veux néanmoins vous rassurer : le ministère de l’éducation nationale est extrêmement attentif à ces problématiques qui ont été très clairement mises en avant dans son plan de mobilisation pour les valeurs de la République, et des partenariats interministériels et associatifs comme le dispositif « Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » y contribuent très largement.
Pour mieux connaître les besoins et les enjeux du recours à des interprètes, le ministère de l’éducation nationale va missionner des inspections. Cette mission visera à identifier les voies et moyens d’appuyer au mieux les partenaires de l’école, notamment les associations et les collectivités locales. C’est la raison pour laquelle je vous propose, si vous en êtes d’accord, de retirer votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Doucet.
Mme Sandrine Doucet. Je remercie le rapporteur et le ministre de leurs réponses. Je prends acte de votre proposition, monsieur le ministre, de rechercher un avis plus circonstancié sur la façon dont se fait le lien entre les familles et les écoles par le biais d’interprètes. J’aurais souhaité, par cet amendement, fixer le cadre de vos annonces, mais je préfère adopter la démarche inverse et prendre acte de votre proposition. À la lumière des conclusions de cette enquête – en espérant qu’elles arrivent à temps – j’espère pouvoir présenter en deuxième lecture un amendement qui prendra en compte cette démarche.
M. Guy Geoffroy. Mais il n’y aura pas de deuxième lecture !
Mme Sandrine Doucet. Je vais donc retirer cet amendement, mais je resterai extrêmement vigilante. Pour terminer, je me permets de faire remarquer qu’il y a des interprètes dans les hôpitaux, dans les commissariats, dans les palais de justice, mais pas dans les écoles. Effectivement, le réseau associatif est très fourni et très volontaire, mais on s’en remet une fois de plus à l’aléatoire. J’aurais souhaité que les choses soient plus construites et installées au service des enfants d’étrangers.
(L’amendement no 231 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 340.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il s’agit de tenir compte de la spécificité des territoires et départements d’outre-mer pour que, dans le cadre du parcours personnalisé d’intégration, les personnes candidates puissent recevoir une formation sur la spécificité de ces territoires.
(L’amendement no 340, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 188 et 358, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour soutenir l’amendement no 188.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. La commission des affaires culturelles a souhaité reprendre une disposition figurant aujourd’hui à l’article L. 311-9 du CESEDA en rappelant que les formations prescrites dans le parcours personnalisé d’intégration républicaine demeurent gratuites, afin d’écarter toute possibilité de facturation aux étrangers.
Je rappelle que c’est aujourd’hui l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII – qui finance ces prestations dont le coût atteint près de 60 millions d’euros par an.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 358.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Erwann Binet, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement no 188 et favorable à l’amendement no 358, car la notion de prise en charge par l’État semble plus appropriée que celle de gratuité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis que la commission.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Je retire l’amendement no 188 au profit de l’amendement no 358.
(L’amendement no 188 est retiré.)
(L’amendement no 358 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 35.
M. Sergio Coronado. Je me réjouis que l’alinéa 8 de l’article 1er dispense de la signature du contrat d’intégration l’étranger ayant effectué sa scolarité dans un établissement d’enseignement secondaire français à l’étranger.
Je rappelle que la France bénéficie d’un réseau unique au monde de quelque 500 établissements d’enseignement du français à l’étranger. Ces établissements accueillent non seulement des familles françaises, mais aussi essentiellement des nationaux qui paient conséquemment leur inscription, et participent ainsi au maintien et au renforcement de ce réseau. Il me paraît donc une très bonne idée que ces enfants-là, qui ont été bercés dans la langue française et dans les valeurs de la République, ne soient pas considérés comme totalement étrangers à notre histoire et à celle de notre pays.
J’ai simplement déposé un amendement de précision, car je trouve que la rédaction choisie peut prêter à confusion. Il vous est ainsi proposé de préciser que, concernant les élèves, la base de référence est l’année scolaire, et pas l’année civile.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est une précision utile et nécessaire. Avis favorable.
(L’amendement no 35, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 111.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Cet amendement tend à préciser les dispositions que devra prévoir le décret d’application du nouveau parcours d’intégration républicaine, comme le fait actuellement le CESEDA pour le contrat d’accueil et d’intégration. Il est apparu utile à la commission de préciser les mesures que l’on attend du pouvoir réglementaire, parmi lesquelles figurent notamment le détail des formations prévues, et les modalités de validation et d’attestation pour leurs bénéficiaires.
(L’amendement no 111, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 2.
La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Je souhaite obtenir une précision du ministre ou du rapporteur. Aujourd’hui, le pouvoir réglementaire définit les conditions dans lesquelles la connaissance de la langue française est suffisante. Ces conditions peuvent recouvrir des situations variées. C’est pourquoi nous préférons substituer à cette notion celle, plus objective, de « niveau défini ».
Ma question est la suivante : d’après les projets du Gouvernement, le pouvoir réglementaire sera-t-il simplement amené à définir un niveau objectif – B1, C1… – pour l’ensemble des populations concernées ? Cela conduirait à retenir un niveau relativement bas, car on ne peut pas demander le même niveau de langue à l’immigré âgé qui arrive tard pour rejoindre ses enfants qu’au jeune qui a fait des études suffisantes, même si ce n’est pas dans la langue française. Le niveau défini par le pouvoir réglementaire sera-t-il modulé, ou strictement identique pour chacun ?
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani.
M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, mon intervention n’est pas directement en rapport avec l’article 2, mais je voudrais soulever un problème que je ne sais pas à quel article rattacher.
Je voudrais profiter de cette discussion pour aborder le sujet des « malgré-nous » de nationalité étrangère. En effet, certaines nationalités peuvent s’obtenir sans qu’on le sache. Ainsi, j’évoquerai le problème de la fiscalité américaine et de ses conséquences sur nos concitoyens de passeport français.
En effet, nombre de nos concitoyens nés aux États-Unis acquièrent de fait, sans le vouloir, la nationalité américaine. Depuis l’entrée en vigueur du Foreign account tax compliance act – FACTA – les banques ont maintenant pour obligation de déclarer les clients présentant des « indices d’américanité », et donc susceptibles d’être des « US persons ».
Ces banques doivent fournir à l’Internal revenue service des informations détaillées sur ces comptes. Ainsi, nombre de Français ont découvert qu’ils étaient désormais considérés comme citoyens américains alors qu’ils n’ont plus aucune attache avec les États-Unis, si ce n’est d’y être nés.
Les États-Unis liant l’impôt à la nationalité, ces « malgré-nous américains » deviennent des « malgré-nous fiscaux ».
Je reçois de plus en plus de témoignages. Ainsi Jude, un Français expatrié à Singapour, m’a écrit : « Je viens récemment d’apprendre par ma banque que je suis considéré comme un citoyen américain. Auparavant je pensais être exclusivement français, mais étant donné mon lieu de naissance (USA), il semblerait qu’aux yeux des autorités américaines j’aie la double nationalité ».
D’autres Français m’ont alerté sur une situation similaire, comme Marc : « J’ai quitté les États-Unis en 1966, à l’âge de neuf ans, pour venir vivre en France. Lorsque j’y suis retourné, en vacances ou pour mon travail, j’ai toujours utilisé mon passeport français. »
Au-delà de la nationalité, ils subissent de fait les conséquences qui en découlent en matière de fiscalité. Jude nous explique : « Je suis pris au dépourvu car ma situation est accidentelle. Je ne suis pas un évadé fiscal. Je n’ai jamais cherché à éviter de payer mes impôts. J’habite en Asie (Hong Kong et Singapour) depuis de nombreuses années et les conséquences pour moi et pour ma famille sont potentiellement désastreuses. »
De plus, les démarches pour renoncer à cette « citoyenneté surprise » sont également extrêmement compliquées.
Monsieur le ministre, j’ai tout à fait conscience que ce problème n’a aucun impact sur le texte que nous examinons aujourd’hui. Mais je saisis cette opportunité pour vous demander de vous pencher sur cette question, avec vos homologues américains. De telles situations semblent se multiplier. Il ne faudrait pas que de nouveaux Français deviennent des « malgré-nous » américains uniquement pour des raisons fiscales.
M. Régis Juanico. Hors sujet !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. L’article 2 traite de la condition relative à la connaissance de la langue française pour la délivrance de la carte de résident. Il s’agit d’une condition très importante : si nous voulons que les personnes s’intègrent sur notre sol, la connaissance de la langue est primordiale.
Encore faut-il placer le curseur du niveau demandé au bon niveau. Or celui imposé par le texte est insuffisant. Monsieur le ministre, comment voulez-vous que des enfants suivent un cursus scolaire quand leurs parents ne maîtrisent pas notre langue ? Parlez-en aux instituteurs d’aujourd’hui, qui connaissent ces difficultés !
Par ailleurs, les étrangers âgés de plus de 65 ans restent exonérés de cette condition de connaissance de la langue française. Cette disposition n’est pas nouvelle mais, alors que l’espérance de vie s’allonge dans notre société, l’intégration de ces personnes sera de plus en plus difficile si elles ne maîtrisent pas notre langue.
Plus généralement, ce projet de loi nous interpelle. Le Gouvernement se rend-il compte de la situation de notre pays ? La France souffre d’une immigration trop importante et mal assimilée. Au moment où notre pays n’a plus les moyens d’accueillir les migrants et où 8 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, ce texte vient, en fin de session extraordinaire, faciliter l’immigration en créant un appel d’air (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)…
Mme Cécile Untermaier. Caricature !
M. Guillaume Chevrollier. …dû à la création de la carte de séjour pluriannuelle, à l’assouplissement du dispositif relatif aux étrangers malades et aux facilités accordées dans le cadre du regroupement familial.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ben voyons !
M. Guillaume Chevrollier. Une fois de plus, le Gouvernement nous propose un texte inadapté aux besoins de notre pays. Ce projet de loi va amplifier la crise sociale que nous traversons, au détriment des Français, bien sûr, mais aussi des étrangers déjà présents dans notre pays et de ceux qui voudraient y entrer mais que la France n’a pas les moyens d’accueillir dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 270.
M. Denys Robiliard. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 2. En effet, la maîtrise de la langue est fonction de l’âge et de l’appartenance sociale de la personne. Or la rédaction de cet alinéa ferait dépendre l’attribution d’une carte de résident d’un niveau défini de connaissance de la langue qui ne paraît pas tout à fait adapté à la variété des situations d’immigration.
Nous sommes d’accord sur l’objectif d’intégration. Cet objectif peut être atteint par la stabilité du titre de séjour, par sa durée et par le fait de sortir son bénéficiaire de la précarité : c’est aussi comme cela que l’on assure l’intégration. Telle qu’elle est rédigée, la disposition relative à la condition de maîtrise de la langue française va s’opposer à l’intégration plutôt que de participer à sa réalisation. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 2.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Monsieur Chevrollier, de nombreux jeunes et de nombreux adultes ont été éduqués dans des familles non francophones et ont réussi dans la vie. Il y en a même dans cet hémicycle ! Il ne faut pas stigmatiser de cette manière les familles dont les parents ne sont pas francophones. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. Alain Chrétien. Il ne s’agit pas de stigmatiser ! Ne polémiquez pas !
M. Erwann Binet, rapporteur. Vous avez dit : « Comment imaginer que ces jeunes réussissent… »
M. Guillaume Chevrollier. Pas du tout !
M. Erwann Binet, rapporteur. Je l’ai entendu, et je l’ai compris comme tel, en tout cas.
M. Alain Chrétien. Comprenez ce que vous voulez !
M. Philippe Vitel. Vous avez compris de travers !
M. Erwann Binet, rapporteur. « …dès lors que leurs parents ne maîtrisent pas parfaitement notre langue ? »
Monsieur Robiliard, le projet de loi initial, de même que le texte de la commission modifié par des amendements rédactionnels, prévoit de reformuler une disposition de l’article L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui soumet la délivrance d’une première carte de résident à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, au regard, en particulier, de « sa connaissance suffisante de la langue française ». Le Gouvernement et la commission, qui a souhaité préciser davantage ces dispositions, ont voulu objectiver les choses. En souhaitant « modérer » l’exigence de maîtrise de la langue, comme vous l’expliquez dans l’exposé sommaire de votre amendement, vous allez à l’encontre de l’objectif de ce projet de loi, que nous partageons tous. C’est l’une des raisons pour lesquelles la commission a donné un avis défavorable à votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux d’abord répondre à Mme Marie-Françoise Bechtel au sujet du niveau de langue. Un seul niveau de langue est retenu : c’est le niveau A2, sans modulation, alors que le niveau précédemment requis était le niveau A1.
Ce rappel me permet de préciser l’état d’esprit du Gouvernement au moment où il se propose de renforcer le niveau d’apprentissage de la langue française et d’en faire une condition d’accès au séjour. Nous considérons que le contrat d’intégration mis en place en 2003 par François Fillon était une bonne base, une bonne idée.
M. Alain Chrétien. Ah bon ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Eh oui, moi je ne suis pas sectaire ! Je ne considère pas qu’il faut s’opposer systématiquement à tout. Je vous assure que c’est mieux de faire comme cela !
La création du contrat d’intégration était donc une bonne idée. Le seul problème, c’est que le niveau de langue défini dans ce contrat était trop faible au regard de notre volonté de garantir une bonne intégration par une bonne maîtrise de la langue. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de porter le niveau de langue requis de A1 à A2 : dans le contrat d’intégration que nous proposons, le niveau de maîtrise de la langue française exigé est plus élevé qu’il ne l’était dans le contrat de 2003 proposé par Français Fillon. Cela nous paraît souhaitable.
Nous considérons que cette bonne maîtrise de la langue est la condition de l’attribution de la carte de résident. Celle-ci intervient après que le parcours a été accompli et que le titre pluriannuel de séjour a été délivré.
Je rappelle le séquencement que nous souhaitons mettre en place : au bout d’un an de présence sur le territoire, il sera possible de bénéficier, pour les quatre années suivantes, d’un titre de séjour pluriannuel de deux ou quatre ans. Au terme de cette période, l’étranger obtient une carte de résident, monsieur Coronado ! Il n’est pas du tout question de substituer le titre de séjour pluriannuel à la carte de résident, comme vous vous en inquiétiez hier soir. L’un et l’autre continueront à exister : la carte de résident sera délivrée au terme de la période de validité du titre pluriannuel de séjour, à condition que le niveau de langue A2 soit maîtrisé. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l’amendement de M. Robiliard.
Mme Cécile Untermaier. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.
M. Pascal Cherki. Je veux poser au ministre des questions d’ordre juridique. L’article L. 122-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pose un principe : un étranger qui a résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquiert un droit au séjour permanent sur l’ensemble du territoire français. À la base de notre droit, il y a donc la durée de séjour régulier. C’est d’ailleurs pour cela que le projet de loi gouvernemental ne remet pas en cause les trois paliers de un, cinq et dix ans : plutôt que de prévoir cinq passages en préfecture, il vise simplement à regrouper les démarches en créant une carte de séjour pluriannuelle. Voilà ce qui justifie le palier de dix ans.
Au fur et à mesure, on a ajouté des conditions à la délivrance d’une carte de résident. Je rappelle que la condition relative à la maîtrise de la langue a été instaurée dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration, issu d’une loi de 2006 votée par une majorité de droite et qui, à l’époque, n’avait pas fait l’unanimité au sein des rangs de la gauche. Certains parlementaires, qui appartenaient alors à l’opposition, avaient développé les mêmes arguments que notre collègue Robiliard et manifesté de nombreuses réticences : sans nier le fait qu’il est utile et souhaitable de bien maîtriser le français, ils s’interrogeaient sur le lien automatique entre la maîtrise de la langue française et l’octroi de la carte de résident. La loi de 2006 venait en effet ajouter une condition à la délivrance de cette dernière.
Vous n’avez pas le droit contre vous, monsieur le ministre, puisque la directive européenne de 2003 permet de définir des conditions préalables d’intégration exigibles pour l’octroi du statut de résident. Comme la loi de 2006, la disposition que vous proposez à l’alinéa 2 est donc parfaitement conforme à l’article 5, paragraphe 2, de la directive de 2003. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 4 juin 2015 vient d’ailleurs de le confirmer, à propos de la loi néerlandaise infligeant une amende aux étrangers ayant déjà le titre de résident qui ne passent pas un examen de connaissance de la société néerlandaise.
La question que je vous pose est double, monsieur le ministre.
Premièrement, ne trouvez-vous pas préférable de dissocier, un peu sur le modèle de la loi néerlandaise, l’accès au statut de résident, qui doit rester fondé sur une durée de séjour régulier attesté, et les conditions d’intégration ?
Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Cherki.
M. Pascal Cherki. Dans ce cadre, il serait préférable d’obliger une personne ayant le statut de résident à passer, le cas échéant, un examen de langue, en dissociant bien cette obligation du droit au statut de résident et en revenant donc sur la loi de 2006.
Deuxièmement, qu’est-ce qui justifie qu’un gouvernement de gauche durcisse les conditions de maîtrise de la langue française pour la délivrance de cette carte de résident, en passant du niveau A1 au niveau A2 ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Votre réponse m’a laissé sur ma faim.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mariani.
M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, j’étais rapporteur de la loi que vous avez évoquée. La question est simple : peut-on s’établir en famille sur un territoire pendant cinq ans et ne pas parler un seul mot de français, ou ne pas avoir de connaissances suffisantes ? C’est, visiblement, ce que pense une partie de la gauche. Sincèrement, peut-on suivre la scolarité de ses gosses sans parler…
Plusieurs députés du groupe socialiste républicain et citoyen. Oui !
M. Erwann Binet, rapporteur. Certains résidents le font !
M. Thierry Mariani. C’est la réalité, mes chers collègues ! Ce n’est pas la peine de vous exclamer ! Peut-on suivre la scolarité de ses enfants sans perpétuer le handicap ?
Vous avez raison, monsieur le ministre : à l’époque, nous avions été trop modestes. Nous avions alors créé le niveau A1.1, en dessous du niveau A1, pour la maîtrise du français.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Vous l’aviez fait pour des raisons budgétaires ! Vous n’aviez pas de quoi payer les formations !
M. Thierry Mariani. Comme vous l’avez dit, le niveau exigé a été remonté, par la suite, à A2. D’ailleurs, le niveau de langue a été porté à B1 pour l’acquisition de la nationalité.
Je préside la commission du Conseil de l’Europe qui vient de remettre un rapport sur les tests d’intégration et les niveaux de maîtrise de la langue. Chers collègues de gauche, la plupart des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe demandent au minimum la maîtrise de leur langue au niveau A2.
Quand on veut réellement vivre dans un pays – je ne parle pas d’en acquérir de la nationalité –, quand on veut accompagner la scolarité de ses enfants, quand on veut pouvoir bénéficier de ses droits, la moindre des choses est de maîtriser la langue. Autrement, que se passe-t-il ? Je pense notamment aux conjoints de résidents qui ne maîtrisent pas du tout la langue de leur pays de résidence. Quelle est la liberté d’un conjoint qui n’a aucun accès au droit, qui ne peut pas se défendre ?
Cet amendement me semble totalement néfaste. Personnellement, j’y suis opposé. Chers collègues de gauche, en faisant en sorte qu’une partie de la population immigrée ne maîtrise pas la langue française, un tel amendement serait le meilleur moyen de la priver de l’usage de ses droits.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux apporter quelques précisions dans le cadre du débat que M. Cherki vient d’engager dans cet hémicycle, avec la bonhomie et la vivacité d’esprit qu’on lui connaît.
Monsieur Mariani, le niveau A2 n’a jamais été mentionné dans les textes d’application du projet de loi dont vous avez été le rapporteur.
M. Thierry Mariani. C’était le niveau A1 !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet. Nous considérons que le niveau A1 est insuffisant : c’est la raison pour laquelle nous le remplacerons par le niveau A2 dans les textes d’application du projet de loi dont nous sommes en train de discuter et qui sera, je l’espère, adopté.
Nous le faisons pour une raison très simple. La création du titre pluriannuel de séjour va faciliter l’intégration de ceux que nous accueillons en leur évitant d’accomplir plusieurs démarches chaque année, tout en simplifiant leurs relations avec l’administration française. Cela va dégager du temps, rendre la procédure plus lisible et permettre une intégration des étrangers qui soit assortie d’un meilleur niveau de pratique de la langue française. Tel est le sens de notre démarche. Pour le Gouvernement, accueillir, c’est bien accueillir. Bien accueillir, c’est créer les conditions d’une intégration réussie. Créer les conditions d’une intégration réussie, c’est garantir à tous ceux qui sont accueillis dans notre pays un bon accès à la pratique de la langue française. C’est la raison pour laquelle l’État s’en donne les moyens.
Monsieur Cherki, si être de gauche c’est accueillir ceux qui ont vocation à séjourner dans notre pays dans de mauvaises conditions, en ne mettant pas tout en œuvre, en termes de moyens et d’exigences, pour leur permettre d’acquérir la meilleure pratique de la langue française, de telle sorte que le processus d’intégration est raté, c’est une manière d’être de gauche qui n’est pas la mienne !
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Très bien !
M. Patrick Hetzel. C’est ce qu’on appelle la gauche plurielle !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour moi, être de gauche, c’est créer les conditions d’une intégration réussie,…
M. Jean Glavany. Très juste !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …qui doit mobiliser tous les moyens de l’État pour permettre aux étrangers que nous accueillons d’acquérir un bon niveau de pratique de la langue française. Pour les républicains que nous sommes, c’est la meilleure manière de réussir une politique migratoire conforme aux valeurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
(L’amendement no 270 n’est pas adopté.)
M. Guy Geoffroy. Vive le français !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 78 et 218.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 78.
M. Patrick Hetzel. Nous vous avons attentivement écouté, monsieur le ministre, et compte tenu des arguments que vous avez développés, l’amendement no 78 devrait recueillir votre assentiment. Nous proposons de modifier légèrement l’alinéa 2 de l’article 2 afin de ne pas se limiter à « un niveau défini » même si cela peut avoir un certain sens. Vous avez en effet indiqué que vous préciseriez ce niveau de maîtrise de la langue française dans le contrat d’intégration. Ce niveau de connaissance s’inscrira dans le cadre européen commun de référence pour les langues, le fameux CECR.
Cela dit, il convient de s’assurer de ce que l’étranger dispose d’une connaissance suffisante de la langue française « permettant une communication autonome ». Tel est l’objet de notre amendement.
Il est en effet très important de préciser ce que l’on entend par « maîtrise de la langue française » laquelle n’a de sens que si elle permet à l’étranger d’avoir une communication autonome. Notre proposition s’inscrit donc pleinement dans l’argumentation du Gouvernement.
M. Guy Geoffroy. En effet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Schmid, pour soutenir l’amendement no 218.
Mme Claudine Schmid. Je vais tout à fait dans le sens de mon collègue Hetzel. Je veux néanmoins faire remarquer que le niveau C1 peut être difficile à atteindre pour des personnes qui ne sont pas familiarisées avec une langue latine.
Aussi, je propose que l’on s’adapte au niveau de langue que l’on demande aux étrangers qui demandent la nationalité française, surtout quand ils ne sont pas appelés à vivre sur le sol français. Vous avez dit, monsieur le ministre, que passer du niveau A1 au niveau A2 visait à avoir un meilleur niveau. Le niveau B1 correspond au niveau d’un élève en fin de scolarité obligatoire apte à écouter, prendre part à une conversation et à s’exprimer oralement en continu. C’est une bonne moyenne entre les niveaux A2 et C1. Cela permet de résider en France sans avoir pour autant un niveau universitaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Monsieur Hetzel, compte tenu des précisions apportées par M. le ministre, lesquelles ont été constantes depuis le dépôt du projet de loi, puisque le Gouvernement a annoncé dès l’étude d’impact que le niveau d’exigence serait relevé de A1 à A2, votre disposition est redondante et donc inutile. Le niveau A2 permet une « communication autonome », il est inutile de le préciser.
M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas écrit dans la loi !
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement est intéressant, monsieur le député, pour la raison suivante : nous voulons faire d’un certain niveau de langue une condition d’intégration et j’ai le sentiment que vous voulez en faire une occasion de refus de l’accession au séjour.
M. Guy Geoffroy. Non !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si nous suivions votre amendement, le niveau de langue exigé pour l’accès au séjour serait supérieur à celui exigé pour la naturalisation, à savoir le niveau B1. Est-ce cela que vous souhaitez ?
Si votre démarche consiste à demander pour l’accès au séjour un niveau de langue supérieur à celui nécessaire pour l’accès à la naturalisation, alors prenons votre amendement. Mais celui-ci ne garantit pas la progressivité de l’accès à la langue française à mesure que l’on accède aux différentes étapes du titre de séjour. C’est au contraire une mesure d’empêchement.
Si vous voulez être très efficaces pour être sûrs de pouvoir atteindre le niveau de quotas proposé hier par M. le député Larrivé, exigez l’agrégation de lettres classiques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Maintenez-vous l’amendement no 78, monsieur Hetzel ?
M. Patrick Hetzel. Non seulement, je le maintiens, mais je veux répondre au Gouvernement. Vous avez indiqué hier, monsieur le ministre, qu’il ne fallait pas céder à l’outrance. Je note aujourd’hui que vous vous affranchissez de cette règle.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, nous souhaitons que les mots « permettant une communication autonome » soient inscrits dans la loi et pas seulement dans le contrat d’intégration. Cette question a tout son sens.
Au lieu de donner dans l’outrance et de déformer nos propos en faisant référence à l’agrégation de lettres classiques, j’aimerais savoir, monsieur le ministre, si vous acceptez l’idée d’une intégration en l’absence d’une réelle maîtrise du français permettant une communication autonome. C’est de cela qu’il s’agit.
La différence entre vous et nous, c’est que nous pensons qu’un certain niveau de maîtrise de la langue française, et donc un certain niveau de communication autonome, est nécessaire pour parvenir à une intégration efficace. C’est ce qui nous différencie. Assumez-le et dites-nous clairement que, pour vous, la maîtrise de la langue permettant une communication autonome n’est pas nécessaire.
C’est à cela que cela revient, mais vous ne le dites pas de manière explicite et ce faisant, vous trompez une nouvelle fois les Français.
Mme Joëlle Huillier. Ce n’est pas vrai.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pardonnez-moi si je vous ai donné le sentiment d’être outrancier. J’ai essayé d’être pédagogue en utilisant la rhétorique de l’absurde et je vais poursuivre, si vous m’y autorisez, car c’est vous qui êtes dans l’outrance.
Vous préconisez dans votre amendement qu’il faut, pour accéder au titre de séjour, un niveau de pratique de la langue supérieur à celui qu’il faut atteindre pour obtenir la naturalisation. C’est cela qui est outrancier et absurde. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas ce qu’on dit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il faut une progression dans les niveaux de langue que l’on doit maîtriser pour passer les différentes étapes. Non seulement, ce que vous préconisez est outrancier et excessif, mais c’est faux. Le niveau A2 de langue est en effet précisément défini comme celui permettant d’avoir une pratique autonome, c’est ce qui le caractérise.
M. Patrick Hetzel et M. Guy Geoffroy. Alors, inscrivez-le dans la loi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le niveau A2 est précisément défini dans la nomenclature des niveaux comme celui qui garantit une pratique autonome. Votre préoccupation est donc satisfaite par ce que propose le Gouvernement, qui va bien au-delà de ce qu’avait fait un gouvernement précédent en 2003 et permet une progression dans le niveau de la maîtrise de la langue française. Le Gouvernement le propose parce qu’il pense que c’est nécessaire pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure en réponse au député Cherki.
Vous nous demandez d’inscrire cela dans la loi, mais c’est du domaine réglementaire, pas du domaine législatif. Si vous voulez avoir l’assurance que les dispositions seront prises par le Gouvernement, le compte rendu des débats fera foi et témoignera de la volonté du Gouvernement d’inscrire dans les dispositions réglementaires d’application de la loi le niveau permettant une pratique autonome de la langue française, à savoir le niveau A2.
(Les amendements identiques nos 78 et 218 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 8 et 79.
La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 8.
M. Philippe Goujon. Alors que l’article 2 concerne les conditions de délivrance de la carte de résident qui donne accès à un séjour prolongé sur le territoire national, il n’est pas cohérent selon nous de diminuer les moyens permettant de déterminer l’intégration de l’étranger postulant à son accès à la société française.
L’article L. 314-2 du CESEDA prévoit que dans le processus d’évaluation de l’intégration de l’étranger mené par l’autorité administrative avant toute délivrance de carte de résident, celle-ci, d’une part, tient compte du respect par l’étranger du contrat d’accueil et d’intégration et, d’autre part, saisit pour avis le maire de la commune où celui-ci réside, l’avis étant réputé favorable s’il n’est pas rendu dans les deux mois.
Aussi, alors que ce projet de loi facilite d’une certaine façon l’admission au séjour des étrangers et le regroupement familial de leurs proches, on comprend mal pourquoi l’on se priverait de l’évaluation du respect par le premier intéressé du contrat d’accueil et d’intégration, même rebaptisé parcours d’intégration, qui comprend des formations financées d’ailleurs par les contribuables. Le présent amendement vise donc à rétablir cette mention supprimée par l’alinéa 3 de l’article 2.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement no 79.
M. Guy Geoffroy. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Ces amendements entendent réintroduire la vérification du respect du contrat d’intégration républicaine en vue de la délivrance de la carte de résident. Ils sont dénués de toute portée juridique, car le présent texte vérifie le respect de l’intégration républicaine dès la délivrance de la carte pluriannuelle, c’est-à-dire bien en amont de la délivrance de la carte de résident. Avis défavorable donc.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis que la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. J’ai bien compris, madame la présidente, que vous ne m’ayez pas donné la parole tout à l’heure car vous l’aviez accordée à de nombreux collègues. Aussi, je me permets de réagir aux propos du Gouvernement sur l’amendement précédent et cela sans esprit polémique.
Il est vrai que dans le cadre d’un parcours, un étranger qui s’installe régulièrement dans notre pays peut être conduit à prolonger son installation, à la rendre définitive et, pourquoi pas, à souhaiter acquérir la nationalité française. À ce titre, le parcours veut dire progrès dans tout ce qui fonde l’intégration.
Vous commettez cependant, monsieur le ministre, une erreur par omission qui vous conduit à vous tromper sur ce que nous proposons en matière de maîtrise de la langue. Un étranger peut très bien s’installer durablement sur le territoire de notre pays sans avoir le souhait d’acquérir la nationalité française.
Si l’on écoute votre contre-argument en réponse aux auteurs de l’amendement précédent, on pourrait en déduire que vous estimez que si l’on ne veut pas obtenir la nationalité française, mais si en revanche, on veut vivre longtemps et dans des conditions parfaitement intégrées sur le sol français, il n’est pas nécessaire d’avoir un bon niveau de maîtrise de la langue.
Telle est la remarque que je souhaite faire, non dans un but polémique, mais pour montrer que c’est un peu plus nuancé que ce que vous avez dit à notre collègue.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous pourrions parler des heures des niveaux A1, A2, C1.
Je vais me contenter de vous en lire les définitions. « C1 : niveau expert, atteint après sept années d’enseignement. La personne comprend et exprime des messages complexes et implicites à l’écrit comme à l’oral, dans des registres variés dont elle maîtrise les nuances. »
Voilà ce qu’est le niveau C1 et je comprends que vous le souhaitiez car ce niveau est absolument inaccessible dans le cadre d’un titre de séjour pluriannuel.
C’est la raison pour laquelle je considère qu’en exigeant ce niveau, qui est bien supérieur au niveau B1, vous voulez utiliser le critère de la langue non pas comme un critère d’intégration, mais comme un critère d’empêchement.
M. Frédéric Reiss. Ce n’est pas la question !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Telle n’est pas notre démarche. Nous, nous avons un haut niveau d’exigence, mais nous faisons de ce critère, un critère d’intégration, pas un critère de refus.
(Les amendements identiques nos 8 et 79 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 271.
M. Denys Robiliard. Il est défendu car il vise les mêmes fins que l’amendement no 270 qui a été rejeté.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Entendons-nous sur les termes, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur. Je me réfère pour ma part aux meilleures sources, à savoir la page 92 du rapport de M. Binet où il est précisé : « Le niveau A1 équivaut à un niveau découverte ; le niveau A2 permet une communication simple ; le niveau B1 correspond à une communication plus élaborée permettant notamment d’exprimer ses idées ; le niveau B2 correspond au niveau d’un utilisateur indépendant ou avancé ; le niveau C1 à celui d’un utilisateur autonome et le niveau C2 à un niveau de langue parfaitement maîtrisé. »
C’est ce qu’indique le rapporteur. Peut-être s’est-il trompé, cela serait regrettable et je ne peux l’envisager. En tout état de cause, le niveau C1 ne me paraît pas être, sauf erreur du rapporteur, celui d’une agrégation de lettres classiques ni même de lettres modernes !
M. Patrick Hetzel. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Erwann Binet, rapporteur. Monsieur Larrivé, vous faites preuve d’une certaine mauvaise foi, car ce sont évidemment des raccourcis. Nous aurions pu, dans le rapport, détailler chaque catégorie, comme l’a fait à l’instant M. le ministre, mais nous avons voulu être aussi simples que possible : dès le niveau A2, le locuteur est autonome. Je confirme, à l’appui des propos de M. le ministre, que les deux derniers niveaux, C1 et C2, sont deux niveaux experts, les niveaux A1 et A2 étant les niveaux « débutant » ou « découverte de la langue française ».
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Devant le décalage que nous constatons parfois entre ce qui se dit et la réalité – comme hier à propos des éléments statistiques –, et pour satisfaire parfaitement l’opposition, notamment M. Larrivé, j’ai proposé que, dès cet après-midi, soient diffusés sur le site du ministère de l’intérieur tous les éléments statistiques et les textes dont nous parlons, afin que tous les citoyens français qui écoutent ces débats puissent vérifier à la source qui dit la vérité. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Cet après-midi, donc, des informations très précises sur les éléments statistiques dont nous parlions hier figureront sur le site du ministère de l’intérieur, avec les références des rapports, afin que nos débats soient très clairs. Pour éviter toute ambiguïté sur cette question, je ferai publier cet après-midi la totalité de la nomenclature des niveaux : ceux qui ont entendu nos débats pourront ainsi se faire leur propre opinion.
Les citoyens sont tout à fait capables de faire la part de ce qu’on leur raconte et de la réalité. Pour la qualité de nos débats, il faut que nous puissions les y aider. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre, je vous rappelle que tout document d’information – notamment ceux auxquels vous faites allusion – peut fort bien être diffusé au cours de nos débats, sans qu’il soit nécessaire de renvoyer les députés à la consultation de sites extérieurs à l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Je tiens à exprimer le soutien du groupe écologiste à l’amendement déposé par M. Robiliard. Nous contestons non pas le fait que l’apprentissage de la langue française participe à la bonne intégration, mais la tentation qui se manifeste depuis quelques années d’augmenter et de durcir les critères conditionnant l’obtention d’un titre stable, lequel est précisément la meilleure condition de l’intégration. C’est en effet la stabilité du séjour qui prime pour favoriser l’intégration.
Les propos du ministre ne sont, en soi, nullement choquants, mais le fait de jouer sur les niveaux – comme le fait du reste l’opposition, qui n’avait pourtant pas fixé elle-même un niveau très exigeant en 2006 – illustre parfaitement cette évolution : sous couvert de participer au renforcement du contrat d’intégration, on multiplie les obstacles à un séjour stable, qui est pourtant le principal outil d’une bonne intégration dans notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Merci, madame la présidente, d’avoir rappelé au ministre qu’il ne serait pas mauvais de partager d’abord avec les députés les informations qu’il veut rendre publiques.
Je vous ferai d’ailleurs, monsieur le ministre, une contre-proposition : au lieu de mettre sur le site internet de votre ministère la définition des niveaux linguistiques, je vous propose d’écrire dans la loi le niveau requis. En effet, étant moi-même un peu juriste…
M. Jean Glavany. Juriste à l’américaine !
M. Pierre Lellouche. …j’avoue que je trouve très compliqué l’alinéa 2 de l’article 2, selon lequel l’apprentissage de la langue française doit être au moins égal à un niveau défini. Qu’est-ce qu’un « niveau défini » ? Cette expression renvoie évidemment à une grille, des décrets ou des textes administratifs qui, on l’a vu, font l’objet de débats divers, mais ne règlent pas le problème.
La loi devant être connue de tous les Français, il ne serait pas mauvais de dire tout simplement que le niveau d’apprentissage doit être celui qui permet d’être compris, c’est-à-dire d’assurer une communication autonome. Quand on parle à quelqu’un qui a été transplanté dans son enfance en métropole, cette question n’est pas théorique, car cette personne a vu, au fil de sa carrière, des pays où l’on ne pratique pas l’apprentissage d’un usage autonome de la langue. C’est par exemple le cas dans toute la partie sud-ouest des États-Unis,…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Toujours les États-Unis !
M. Pierre Lellouche. …où la langue dominante est aujourd’hui l’espagnol. Souhaitez-vous, monsieur le ministre, qu’il y ait dans notre pays de telles zones, où l’on ne parle pas du tout la langue française ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Nous demandons simplement que les gens arrivant en France parlent le français et soient capables de communiquer en français. Écrivez-le donc dans la loi, puisque, semble-t-il, vous êtes d’accord avec nous – vous avez même été applaudi pour cela ! Écrivez-le dans la loi, au lieu de renvoyer à une grille sur internet.
(L’amendement no 271 n’est pas adopté.)
(L’article 2 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 234.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Cet amendement porte sur la domiciliation. Si le problème a été réglé pour les demandeurs d’asile dans la loi relative au droit d’asile, des étrangers peuvent néanmoins se trouver sans domiciliation. De fait, bien que certains centres communaux d’action sociale les domicilient, ce n’est pas le cas partout.
Je retirerai cet amendement, car je devine qu’on me le demandera (Rires sur les bancs du groupe Les Républicains),…
M. Patrick Hetzel. Quelle clairvoyance !
Mme Marie-Anne Chapdelaine. …mais je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous apporter des explications sur la domiciliation des étrangers, parfois nécessaire pour leur permettre de recevoir un titre de séjour.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Madame Chapdelaine, votre amendement tend à ouvrir l’élection de domicile à toute personne non ressortissante d’un État membre de l’Union européenne et n’étant pas en possession d’un titre de séjour. Ce faisant, il revient, un an seulement après leur adoption, sur les règles de domiciliation définies par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – du 24 mars 2014.
Je vous rappelle que cette loi a modifié l’article L. 252-2 du code de l’action sociale et des familles, en vue de renvoyer les dispositions relatives à la domiciliation pour prétendre à l’aide médicale d’État aux dispositifs de droit commun. Elle a également modifié l’article L. 264-1 du code de l’action sociale et des familles dans le but d’élargir le champ du droit à la domiciliation de droit commun à l’aide médicale d’État et aux demandes d’asile, même s’il est prévu que les spécificités réglementaires pourront être conservées dans le cadre des procédures de demande d’asile. Elle a enfin modifié l’article L. 264-2 du même code afin de préciser les cas dans lesquels une attestation de domiciliation peut être délivrée à des étrangers sans titre de séjour : délivrance de l’aide médicale d’État, demande d’asile et demande de l’aide juridictionnelle.
Il n’y a donc pas lieu de revenir sur l’équilibre de ce texte adopté voilà un an seulement. Je vous remercie donc, madame Chapdelaine, d’avoir anticipé le retrait que j’allais vous suggérer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne reviendrai pas sur la totalité de l’argumentation très précise que vient excellemment de développer le rapporteur et que je reprends volontiers à mon compte. Je me contenterai d’y apporter un petit complément.
L’indigence dans laquelle, comme vous le rappelez, se trouvent certains étrangers en situation irrégulière justifie que le Gouvernement prenne l’initiative. Le Gouvernement s’assurera donc que les centres communaux d’action sociale et les organismes agréés mettent pleinement en œuvre les dispositions du code de l’action sociale et des familles, de manière à ce que la préoccupation que vous formulez soit totalement prise en compte. Votre amendement sera ainsi satisfait dans son esprit.
(L’amendement no 234 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 127.
M. Éric Ciotti. Cet amendement, comme le suivant, vise à restreindre les conditions du regroupement familial. Monsieur le ministre, l’immigration familiale représente un peu moins de la moitié des titres de séjour octroyés chaque année.
M. Sergio Coronado. Quarante-cinq pour cent !
M. Éric Ciotti. En effet, monsieur Coronado. Vous disposez de bons chiffres. Il s’agit d’un sujet majeur, car un tel chiffre signifie que cette immigration – qu’il s’agisse du rapprochement familial de conjoints ou d’enfants de Français ou du regroupement familial – nous prive de marges de manœuvre et de la capacité à choisir ceux que nous voulons accueillir.
Nous devons donc nous pencher sur cette question avec courage, détermination et audace – c’est un mot que d’autres ont utilisé, monsieur le ministre, et que je vous invite à adopter sur ce sujet. À défaut, nous irons vers ces dérives rappelées hier par M. Guillaume Larrivé et soulignées par le rapport de l’OCDE, qui montre la faillite de notre modèle d’intégration.
Cette immigration familiale toujours plus nombreuse est aussi source de difficultés d’intégration et elle a des conséquences très importantes en termes de coût. C’est, j’en conviens, une évolution ancienne, qui n’a cessé de s’accélérer. Aujourd’hui, il faut pouvoir limiter ce regroupement familial.
Je propose donc, avec cet amendement, de nous rapprocher de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme sur les conditions minimales exigées pour le regroupement familial, notamment en matière de durée minimale de résidence. L’amendement tend ainsi faire passer cette durée de 18 à 24 mois – délai actuellement en vigueur en Allemagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Le délai de deux ans que vous évoquez, monsieur Ciotti, est un délai maximal. Nous avons choisi d’inscrire dans le droit français un délai de 18 mois, qui est déjà très long. Nous ne pouvons pas maîtriser l’immigration familiale, ni les affinités électives de nos compatriotes.
Comme vous l’avez précisé, les textes européens et la Convention européenne des droits de l’homme prévoient un seuil maximum de deux ans, mais ils ne nous obligent évidemment pas à l’atteindre. Avis défavorable de la commission.
M. Pierre Lellouche. Vous pourriez au moins en discuter !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je me contenterai de citer quelques chiffres : environ 200 000 titres de séjour sont attribués chaque année, dont 90 000 au titre de la vie privée et de l’immigration familiale. Quant au regroupement familial, qui fait l’objet de votre amendement, il ne représente qu’un peu moins de 10 % de la totalité des titres de séjour attribués.
M. Claude Goasguen. Ce n’est pas une raison !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ainsi, l’impact de la mesure que vous proposez est très faible, car elle ne porte que sur 20 000 titres sur cet ensemble. Ce n’est donc pas une telle disposition qui peut assurer la maîtrise des flux migratoires.
Ensuite, il est important de rester dans l’esprit des textes constitutionnels et conventionnels, qui affirment le droit au regroupement familial. Le droit, pour un étranger en situation régulière, d’être rejoint par sa famille est un principe inscrit dans les textes conventionnels qui nous lient – il procède en effet de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le Conseil constitutionnel, que vous évoquiez tout à l’heure, a jugé que le droit à mener une vie familiale normale était un principe constitutionnel.
Les durées que nous avons définies sont donc en adéquation avec les principes conventionnels et constitutionnels, et sont du reste parmi les plus restrictives de l’Union européenne.
M. Claude Goasguen. Non !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’examine votre amendement en cherchant quel pourrait être son intérêt au regard du sujet que nous avons à traiter.
Tout d’abord, cela représente peu de titres sur la masse ; ensuite, ce sujet est encadré conventionnellement et constitutionnellement ; enfin, les conditions qui sont les nôtres sont parmi les plus restrictives de l’Union européenne. Si l’audace consiste à faire des choses qui tangentent l’anticonstitutionnalité ou la non-conformité à des principes conventionnels (« Mais non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) et à mettre en évidence que, dans le panel des pays de l’Union européenne, la France applique des dispositifs très restrictifs, je n’en vois pas franchement l’intérêt au regard du bénéfice attendu !
M. Guy Geoffroy. C’est un procès d’intention !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.
M. Claude Goasguen. Je souhaite rappeler la règle du regroupement familial : ainsi que je l’ai dit hier, il faut bien comprendre que l’immigration actuelle n’est pas comparable à celle qui prévalait lorsque le regroupement familial a été voté et est devenu convention européenne et internationale. Ce n’est plus du tout la même chose : le regroupement familial a été conçu dans les années 70, dans une période où il s’agissait de faire venir des immigrés, dans les meilleures conditions, pour travailler en France.
Aujourd’hui, l’immigration que nous subissons – je vous donne acte que ce n’est pas le problème de la France ; c’est celui de l’Europe – est complètement différenciée : elle n’a plus rien à voir avec le droit du travail.
Par ailleurs, le regroupement familial est certes une convention, mais celle-ci est adaptable en fonction des modalités données par chaque État. Du reste, à plusieurs reprises au cours des vingt années passées, nous avons suffisamment modifié les règles d’accès au regroupement familial pour savoir que, en dehors de la règle constitutionnelle et conventionnelle, il existe des possibilités d’adaptation.
Vous avez donc tort de considérer qu’un délai constitue une règle constitutionnelle : il n’y a pas de délai dans la règle constitutionnelle ! Ce n’est pas parce que la jurisprudence actuelle retient dix-huit mois ou deux ans que ce délai a forcément valeur constitutionnelle.
Si nous voulons prévoir l’avenir, c’est-à-dire la poussée phénoménale de l’immigration qui arrive en ce moment sous l’impact du terrorisme, et qui n’a rien à voir avec la réalité de l’immigration des années 70, il faut être prudent : ne fixez pas de délai, car le regroupement familial lui-même continuera de poser problème dans les années qui viennent. Sinon, nous serons obligés d’en venir aux excès que d’autres pays européens comme la Hongrie sont en train de commettre.
Par conséquent, même si dix-huit mois ou deux ans me paraissent déjà difficiles à comprendre, un délai de deux ans me semble être un minimum ;…
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Claude Goasguen. …mais s’il n’y avait aucun délai, ce serait encore mieux !
(L’amendement no 127 n’est pas adopté.)
M. Éric Ciotti. Je souhaitais m’exprimer sur ce sujet !
Mme la présidente. Ne vous inquiétez pas, vous pourrez le faire plus tard.
M. Éric Ciotti. J’avais demandé la parole !
Mme la présidente. Ce n’est pas parce qu’on la demande qu’on l’obtient, monsieur Ciotti : relisez notre règlement !
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 128.
M. Éric Ciotti. Nous allons quand même nous exprimer sur ce sujet essentiel, ne vous en déplaise !
Ce sujet mérite un débat très important. Vous avez rappelé les chiffres et les statistiques : cela concerne près de la moitié des titres de séjour. Loin d’être mineure, la question est donc essentielle ! Or, monsieur le ministre, vous passez complètement à côté de cet aspect majeur de l’immigration, qui est en constante augmentation. Guillaume Larrivé a cité les chiffres hier :…
M. Jean Glavany. Il a dit plein de bêtises hier !
M. Éric Ciotti. …55 % d’augmentation du regroupement familial depuis 2011 ! Vous avez évoqué les 23 000 titres de séjour accordés en 2014 au titre du regroupement familial : ce chiffre était de 14 809 en 2011, soit 55 % d’augmentation ! Si vous considérez que cela est anodin et que ce n’est pas un sujet, ce n’est pas notre avis !
Je suis d’accord avec Claude Goasguen sur la nécessité d’une réforme, sans doute constitutionnelle, beaucoup plus ambitieuse.
M. Claude Goasguen. Ils sont tous au chômage, enfin !
M. Éric Ciotti. Mais, à tout le moins, appliquons les critères les plus exigeants, par exemple ceux en vigueur dans des pays comme l’Allemagne : critère de résidence minimale de deux ans, critère de revenus – c’est l’objet de l’amendement que je défends – afin de s’assurer que les personnes qui bénéficient du regroupement familial disposent d’un revenu au minimum de 1,5 SMIC, contre un SMIC aujourd’hui.
M. Claude Goasguen. Bien sûr !
M. Éric Ciotti. Je rappelle que la somme minimale exigée est de 1 307 euros en Belgique, 1 550 euros aux Pays-Bas et 150 % du SMIC en Espagne. Nous sommes donc toujours, monsieur le ministre, dans le respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que nous ne méconnaissons pas, sur le respect du droit à la vie familiale.
Nous sommes là dans le cadre de cette jurisprudence. Pour ma part, je considère qu’il faut aller au-delà et qu’on ne pourra pas se limiter à cela mais, à tout le moins, appliquons aujourd’hui cette jurisprudence dans son aspect le plus exigeant. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Vous souhaitez, monsieur Ciotti, durcir les conditions de regroupement familial en soumettant celui-ci à des conditions minimales de ressources correspondant à 150 % du SMIC, soit 2 185 euros bruts mensuels. Par comparaison, le salaire médian en France est de 1 712 euros nets ; cela donne un ordre de grandeur. Pour simplifier, vous proposez donc de réserver l’accès au territoire français à une partie seulement des familles : celles appartenant aux 50 % des individus les plus riches qui travaillent dans notre pays.
Par ailleurs, j’ai découvert avec un certain plaisir dans l’exposé sommaire de votre amendement la phrase suivante : « Il est évident que cette somme […] » – il s’agit en l’occurrence du SMIC – « […] est insuffisante pour subvenir aux besoins d’une famille. » Monsieur Ciotti, avec plusieurs de vos collègues, en avril 2014, vous aviez accueilli avec force commentaires et de manière très favorable la proposition de Pierre Gattaz d’instaurer un « SMIC jeune » : je suis donc ravi que vous ayez changé d’avis !
M. Michel Issindou. Eh oui ! Tout cela n’est pas très cohérent !
M. Erwann Binet, rapporteur. Avis défavorable de la commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Les différences d’appréciation et d’intention entre nous sont claires : nous, nous voulons que l’étranger souhaitant faire venir tout ou partie de sa famille restée au pays dispose de ressources suffisantes pour vivre correctement et dignement. Vous, manifestement, vous n’avez pas la même volonté ! Au-delà de cela, je souhaite dire à notre rapporteur que tout n’est pas possible en matière de mauvaise foi.
M. Jean Glavany. Parole d’expert !
M. Guy Geoffroy. Je vais répéter ce qu’il vient de nous dire : selon lui, le revenu moyen d’un salaire s’établit à 1 700 euros – c’est vrai – et que ce qui est demandé au titre des ressources de toute une famille dans le cadre du regroupement familial c’est 1,5 SMIC : on ne peut pas comparer l’un à l’autre ! Or il l’a fait, en nous accusant d’une chose que nous n’avons pas dite : c’est extrêmement grave !
Mme Joëlle Huillier. Il n’a fait qu’analyser vos propos !
M. Guy Geoffroy. Le ministre dit qu’il faut publier les bons chiffres ; encore faut-il que ceux qui portent l’appréciation de la commission sur la qualité de nos débats et de la proposition que nous mettons sur la table ne travestissent pas de manière aussi scandaleuse ce que nous avons dit en utilisant des ficelles aussi grosses !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Ce débat est passionnant parce qu’il montre la vérité de nos différences. Sur les bancs de la majorité et au sein du Gouvernement règne une idée très simple : la procédure de regroupement familial ne doit en rien être modifiée.
M. Patrick Hetzel. Bienvenue à tous !
M. Guillaume Larrivé. Vous considérez que l’augmentation de 55 % des flux de regroupement familial sur les trois dernières années est une bonne chose et vous ne voulez rien changer à cela. Or nous, nous disons, par nos amendements que vous vous obstinez à rejeter, que le regroupement familial doit au contraire être adapté aux conditions qui sont celles de la France de 2015.
M. Claude Goasguen. Bien sûr !
M. Guillaume Larrivé. Lorsque 43 % des immigrés en âge de travailler sont au chômage, lorsque le taux de chômage atteint les records que nous connaissons, notre responsabilité à nous, députés à l’Assemblée nationale, est de restreindre aujourd’hui le regroupement familial.
Le débat que nous avons aujourd’hui au cœur de l’été sera de ce point de vue très intéressant pour les Français : la gauche socialiste est adepte d’une augmentation du regroupement familial, alors que nous souhaitons le restreindre !
M. Erwann Binet, rapporteur. Mais non ! Quelle mauvaise foi !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Il s’agit clairement d’un point clef : il suffit d’écouter ce que nous disent tous les jours nos concitoyens. Il monte dans le pays un profond ressentiment lié à la situation économique et au chômage de masse. Les gens subissent une immigration de masse avec de plus en plus de difficultés. J’appelle votre attention sur ce point, et je le fais en républicain : ce n’est pas stigmatiser qui que ce soit que de dire que nous avons un problème majeur et qu’il est grand temps de regarder avec courage cette question du regroupement familial.
Ce que Claude Goasguen disait tout à l’heure est très important : en 1976, quand Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac ont introduit en France le regroupement familial, nous avions alors 300 000 travailleurs immigrés, qu’il fallait faire vivre dans des conditions acceptables avec leurs familles. Aujourd’hui, le pays compte plusieurs millions d’immigrés dont les situations sont très diverses, souvent précaires, pour lesquels l’intégration ne fonctionne plus, et ce alors que la pompe à immigration est toujours ouverte.
Vous jouez avec le feu ! Nous devons faire attention à cela. Selon la Cour des comptes, 5 % des 200 000 entrées légales en France servent au travail : tous les autres vivent de la machine à distribuer des revenus d’assistance, au titre de situations sociales diverses ou du regroupement familial. Permettez-nous de vous dire que cette situation est de plus en plus inacceptable pour nombre de nos concitoyens !
Ne jouez pas avec le feu : essayons de réguler de façon intelligente et républicaine cet afflux de gens, car notre pays ne peut plus se le permettre. Vous le savez du reste, sur tous les bancs, car vous avez tous entendu ce genre de remarques.
(L’amendement no 128 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 169.
M. Guillaume Larrivé. Cet amendement au caractère relativement technique a son importance. Il subsiste, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, des commissions départementales du titre de séjour composées d’un maire et de deux personnalités qualifiées. Leur utilité et leur valeur ajoutée ne nous semblent pas démontrées. À l’heure où la simplification administrative doit être partout recherchée, cet amendement vise à supprimer ces commissions.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. La commission du titre de séjour est saisie par l’autorité administrative, à savoir le préfet, lorsque celui-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger, ou de délivrer une carte de résident à un étranger.
J’ai remarqué, au cours de mes visites dans les préfectures, que c’était un outil extrêmement intéressant : il permet en effet de mettre autour de la table sur ces questions souvent sensibles le représentant de la collectivité – le maire ou son représentant – ainsi que les représentants des associations, puisque des personnalités qualifiées désignées par le préfet sont membres de cette commission du titre de séjour.
Celle-ci constitue une instance unique de dialogue et d’échange entre l’ensemble des parties prenantes. Il n’y a donc évidemment pas lieu de la supprimer, sauf à vouloir mettre un terme à ces synergies qui sont pourtant extrêmement utiles entre l’État, les collectivités et les associations défendant les intérêts des ressortissants étrangers. Avis défavorable à l’amendement.
(L’amendement no 169, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Crozon, inscrite sur l’article 3.
Mme Pascale Crozon. Le chapitre II consacre un engagement fort que nous avions pris lors de notre arrivée aux responsabilités pour répondre concrètement à la problématique des étrangers récemment arrivés sur notre sol : la carte de séjour pluriannuelle.
En effet, même si elles ont souvent mis l’accent sur la question de l’immigration irrégulière et du contentieux de l’éloignement, les lois votées par la majorité précédente n’ont eu que peu d’impact sur les principaux indicateurs, instrumentalisés médiatiquement, que sont le nombre de régularisations et celui des reconduites à la frontière.
Elles ont en revanche considérablement précarisé les étrangers se trouvant en situation légale en France, jusqu’à créer des zones grises où l’on passe de la légalité à la clandestinité sans pour autant faire l’objet de mesures d’éloignement.
Cette instabilité de notre droit, cette précarité du statut sont autant de freins à une intégration réussie, qui se transforme souvent en parcours du combattant.
L’immigration choisie, ce n’est pas ce que prétend la droite, qui voudrait faire le tri parmi les candidats à l’immigration. C’est choisir de faire réussir ceux qui ont été légalement admis sur notre sol, qui vivent parmi nous, qui élèvent leurs enfants avec les nôtres, qui paient des impôts, qui travaillent ou aspirent à travailler. C’est au fond ce qui a fait de la France cette formidable machine intégratrice dont nombre de nos collègues, sur l’ensemble de nos bancs, peuvent témoigner à l’aune de leur histoire personnelle.
Je ne crois pas que cette machine doive fatalement tomber en panne. Je ne crois pas qu’il y ait des différences culturelles insurmontables, mais je crois que rien n’est possible si l’on n’offre pas de réelles chances à chacun et les titres pluriannuels sont cette chance : ils reconnaissent une volonté d’intégration manifestée lors de la phase d’accueil et apportent la promesse de pouvoir commencer à se projeter durablement en France, si tel est le choix du migrant.
Ils ne sont pas, comme j’ai pu l’entendre, une alternative au statut de résident, mais procurent la stabilité nécessaire pour permettre à ceux qui le souhaitent de remplir à terme les conditions pour obtenir ce statut.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier. Je suis très satisfaite de cet article 3. Il contient une disposition importante qui est aussi une mesure de simplification, puisqu’il crée un titre de séjour pluriannuel.
C’est bien sûr une simplification pour l’administration. Il nous faut nous demander si celles-ci a la capacité de remplir les missions qui lui sont confiées. Jusqu’à présent, nous le savons bien, elle ne parvenait pas à gérer l’attribution de titres successifs aux étrangers.
C’est une mesure de sérieux, nullement permissive, qui prévoit des contrôles et qui ne vaut que si l’étranger dispose d’un titre de séjour régulièrement délivré.
Enfin, c’est une mesure pragmatique. Nous le savons tous, le système ne marchait pas et il a fallu attendre ce projet de loi pour qu’enfin soit prise une décision de bon sens.
Il ne faut pas tirer de cette disposition des conclusions caricaturales en considérant qu’il s’agit encore d’une mesure permissive. Nous allons dans le bon sens et je remercie les députés pour le travail accompli, en particulier au sein de la commission des lois.
(L’article 3 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, inscrit sur l’article.
M. Jean-Luc Laurent. Comme nombre de mes collègues, j’ai été maire pendant vingt ans et j’ai rencontré des dizaines et des dizaines de personnes qui demandaient un titre de séjour, en particulier pour un renouvellement.
Même si ma position en faveur d’une immigration régulée, encadrée, maîtrisée, était claire et connue, des personnes se sont toujours tournées vers moi, comme vers tout élu, pour exposer des situations délicates.
Je veux saluer ce projet de titre de séjour pluriannuel qui est, à mes yeux, une très bonne idée. On peut même se demander pourquoi cela n’a pas été fait plus tôt.
C’est une bonne nouvelle pour les intéressés, qui vont ainsi bénéficier d’une stabilité bienvenue, mais c’est aussi une bonne nouvelle pour les services préfectoraux qui sont en première ligne pour assurer l’accueil des demandeurs et pour veiller au traitement des demandes. En outre, des capacités d’investigation seront confiées au préfet pour combattre la fraude.
Établir des règles, c’est bien ; se donner les moyens de les appliquer, c’est mieux.
Le titre de séjour doit être le lien ferme entre la République et l’étranger. Il doit non pas s’apparenter à un chiffon de papier, mais être un contrat qui engage, reposant sur le contrat d’intégration. Il doit affirmer des droits et des devoirs que l’État doit faire respecter, ce qui suppose que des moyens soient dévolus à cette mission importante.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 203.
M. André Chassaigne. Le principe général, en œuvre aujourd’hui, de l’annualité des cartes de séjour conduit à l’examen fastidieux et répétitif des conditions de séjour pendant les premières années de présence et avant l’obtention d’une carte de résident d’une durée de dix années.
Cet examen continu et complexe, réalisé par les préfectures, place les ressortissants étrangers dans une situation de grande précarité. Nous considérons quant à nous, avec le Défenseur des droits et les nombreuses associations de défense des droits des étrangers, que seule la délivrance de la carte de résident de dix ans permettrait de simplifier et de sécuriser le statut des ressortissants étrangers. Cependant, nous sommes évidemment favorables à la généralisation d’un véritable titre pluriannuel de séjour. C’est pour nous, je l’ai dit hier, une avancée.
Le projet de loi prévoit que la carte de séjour pluriannuelle aura une durée de quatre ans, à l’exception de situations spécifiques : durée des études pour les étudiants, durée des soins pour les malades…
Nous regrettons les multiples exceptions apportées à la durée de validité de la carte, selon une approche catégorielle. Nous soulignons d’ailleurs que le rapport Fekl insistait sur la nécessité de prévoir le périmètre de mise en œuvre le plus large possible afin que la réforme ait du sens et que ses effets soient concrètement ressentis par les ressortissants étrangers.
Par cet amendement, nous souhaitons donc réaffirmer clairement le principe d’une durée de validité de quatre ans de la carte de séjour pluriannuelle sans la précision selon laquelle ce serait une durée « maximale ».
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Monsieur Chassaigne, si nous voulons généraliser cette carte pluriannuelle, si nous voulons comme le préconise – vous l’avez dit – le rapport Fekl lui réserver le périmètre le plus large possible, il faut que nous puissions adapter sa durée en fonction de la situation de l’étranger.
Généraliser la durée de quatre ans, c’est retirer le bénéfice de la carte pluriannuelle aux étudiants, par exemple, parce qu’il est rare que leur cursus soit connu à l’avance sur cette durée, dès l’obtention du titre de séjour. Ils font une licence, en deux ans, puis un master, en deux ans.
Même raisonnement pour les étrangers malades : nous ne connaissons pas a priori la durée du traitement, à laquelle s’adapte celle du titre de séjour.
Par ailleurs, si les catégories que vous visez, c’est-à-dire les parents d’enfants français et les conjoints de Français, n’obtiennent qu’une carte de deux ans, il y a une raison à cela : c’est parce qu’au bout de trois ans, ils bénéficient d’une carte de résident. Leur attribuer une carte de quatre ans serait un recul par rapport au texte du Gouvernement amendé par la commission. C’est pourquoi, en toute logique, la commission a donné un avis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je ne suis pas convaincu par l’argumentation du rapporteur. Il ne s’agit que de fixer un maximum. Si nous proposons quatre ans, c’est parce qu’il faut une certaine stabilité et éviter certaines interprétations.
(L’amendement no 203 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 170.
M. Guillaume Larrivé. Il permet, une nouvelle fois, de souligner des différences.
L’article 4, au cœur de votre projet, a pour objet et aura pour effet de faciliter la délivrance de cartes de séjour pluriannuelles, c’est-à-dire de faciliter les conditions dans lesquelles de nouveaux migrants obtiendront un titre de séjour en France.
Ce que nous proposons, au contraire, c’est de contingenter ces titres de séjour par des plafonds d’immigration définis ici, à l’Assemblée nationale.
Ce que nous proposons, c’est que désormais les documents de séjour ne soient délivrés que si le nombre annuel d’étrangers admis au titre de la catégorie de séjour en cause n’a pas été dépassé. Ce serait une évolution juridique et pratique absolument majeure. Cela consisterait à mettre en œuvre le principe fondamental selon lequel la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir et qui elle souhaite refuser sur son territoire.
M. Guy Geoffroy. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Nous avons déjà évoqué cette idée des quotas que vous voulez mettre en œuvre et qui aurait, je le répète, l’effet contraire à celui que vous recherchez.
M. Guy Geoffroy. Pure invention !
M. Erwann Binet, rapporteur. En effet, l’établissement de quotas est souvent confondu avec un appel général à l’immigration irrégulière. Je veux vous redire ce que je vous ai dit la nuit dernière : décider qu’à un moment de l’année, parce que le quota est atteint, on ne peut plus délivrer de titres de séjour, c’est conséquemment interdire aux ressortissants français de se marier avec des étrangers.
M. Christian Jacob. Mais non !
M. Erwann Binet, rapporteur. Ils sont 40 000 à le faire chaque année. Il faudrait donc qu’ils se dépêchent de se marier dans le cours de l’hiver pour éviter un avis défavorable à la demande de titre de séjour de leur futur conjoint ! Nous avons déjà vu que tout cela était contraire à la Constitution et aux valeurs essentielles de notre République.
M. Guy Geoffroy. C’est un argument fallacieux !
M. Erwann Binet, rapporteur. Avis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons eu tout à l’heure un débat sur le regroupement familial, qui une fois de plus a fait l’objet d’échanges de statistiques sur lesquelles je veux revenir.
Monsieur Larrivé, vous annoncez une augmentation de 55 % des entrées relevant de la vie privée et de la vie familiale.
J’ai quant à moi les chiffres de mon ministère : il y avait 87 110 cartes de séjour à ce titre en 2012, il y en a 91 997 en 2014, soit une augmentation de 6,5 %. Je voudrais que vous m’expliquiez d’où vient la différence entre les 55 % dont vous parlez et ce taux de progression de 6,5 % ?
Mme Joëlle Huillier. Fantasmes !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. La deuxième chose dont je voudrais vous parler, c’est du regroupement familial. Vous le dites en augmentation très importante, du fait de la politique que nous menons. Je vais vous donner les chiffres entre 2010 et 2014 du regroupement familial stricto sensu : 14 461 en 2010, 14 026 en 2011, 14 105 en 2012, 13 664 en 2013 et 14 300 en 2014. Il y a donc moins de regroupement familial en 2014 qu’au moment où vous êtes partis du pouvoir.
Il y a une ligne « membres de famille » dans les statistiques du ministère. Cette ligne passe de 16 000 à 23 000, mais elle inclut le regroupement familial stricto sensu – sur lequel vous avez bâti toute votre argumentation et qui diminue – ainsi que d’autres catégories, comme les régularisations pour des raisons de scolarisation des enfants auxquelles procèdent les préfets au cas par cas. C’est ce qui explique la différence. Mais le regroupement familial stricto sensu diminue.
Nous sommes toujours dans le même débat : des chiffres dont on ne sait pas d’où ils sortent, des progressions dont on ne sait ce qu’elles recouvrent, des éléments statistiques sans lien avec la réalité !
Madame la président, je vais transmettre, comme je le fais toujours, ces éléments aux parlementaires, mais vous avez pu constater qu’une telle transmission n’épuise pas la polémique : je vais donc aussi communiquer ces chiffres sur internet…
M. Christian Jacob. Ça va tout changer !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …de manière que tous les citoyens français y aient accès et voient qui a raison.
Je suis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Près de vingt-quatre heures ont été nécessaires au Gouvernement et à son administration pour démentir – d’ailleurs de manière assez poussive (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), je dois le dire, monsieur le ministre – les chiffres que j’ai donnés hier à la tribune lors de la discussion de la motion de rejet préalable.
M. Jean-Luc Laurent. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !
M. Guillaume Larrivé. La vérité – je le dis sans aucune discourtoisie – c’est que vous avez un talent de prestidigitateur assez extraordinaire.
Lorsque le site de votre ministère indique le 9 juillet, monsieur le ministre, que le nombre de cartes de séjour délivré à des membres de familles d’étrangers – ce qui correspond en effet aux procédures de rapprochement familial – passe de 14 809 à 23 090, une simple règle de trois permet à chacun de constater que cela représente à peu près une augmentation de 55 %.
Mais, au-delà même de ces chiffres, la vraie question dont nous devons débattre est celle de la multiplication des procédures de rapprochement familial : procédure de rapprochement familial stricto sensu, procédure de rapprochement familial en raison des liens personnels et familiaux – qui ajoute au chiffre que je viens d’énoncer 18 213 admissions en 2014 –, l’admission exceptionnelle au séjour pour des motifs de vie privée, y compris de vie familiale.
La vérité c’est que, au fil des textes et des circulaires, la sédimentation des procédures est telle que – vous ne pouvez le nier, monsieur le ministre – le rapprochement familial stricto sensu et sous ses diverses formes ne cesse d’augmenter.
Voilà la vérité !
M. Jean Glavany. La vôtre !
M. Guillaume Larrivé. Je comprends qu’elle dérange et qu’elle suscite des interrogations mais telle est la vérité : l’immigration familiale a augmenté très fortement en France ces dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Larrivé, je vous considère comme un homme de bonne foi mais vous dites que vingt-quatre heures ont été nécessaires pour communiquer des statistiques.
Ne vous ai-je pas communiqué hier soir un tableau statistique, monsieur Larrivé ? Vous avez donné des chiffres et je vous ai remis…
M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …une heure et demie après votre déclaration, au moment de la pause, un tableau extrêmement précis.
M. Guillaume Larrivé. Pas sur l’immigration familiale !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Bien qu’il vous ait été communiqué, on continue à lire dans la presse des chiffres qui ne correspondent pas à la réalité.
Par conséquent, je publie désormais les statistiques officielles du ministère sur son site afin que les Français qui suivent nos débats puissent se rendre compte de ce qu’est la réalité.
M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas une réponse.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si : les chiffres constituent une réponse.
En outre, un débat a eu lieu hier selon lequel le nombre d’éloignements serait moins important que précédemment. C’est faux ! Les éloignements forcés sont passés de 13 000 à 15 000.
Vous intégriez quant à vous dans vos statistiques les retours financés vers la Roumanie et la Bulgarie ainsi que ce que l’on appelle les OQTF « flash », c’est-à-dire les obligations de quitter le territoire français qui sont délivrées dans les aéroports aux personnes ayant décidé de partir d’elles-mêmes. Cela permet certes de profiter de statistiques avantageuses, mais ce n’est pas ainsi que l’on fait preuve de transparence et de rigueur.
S’agissant du regroupement familial, vous avez donné des chiffres tout à l’heure, voilà une heure – ce ne sont pas vingt-quatre heures qui se sont écoulées !
Lorsque l’on veut être précis, il convient bien entendu de reconstituer systématiquement les séries statistiques, que je rendrai publique sur le site du ministère.
Je veux, en effet, que l’on cesse de faire peur aux Français sur ces questions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) en expliquant que la politique du Gouvernement organise la venue de vagues de migrants en France alors que telle n’est pas la réalité.
Enfin, pour terminer sur ce sujet, la totalité annuelle des titres de séjour attribués en France – laquelle mesure ce que sont vraiment les flux migratoires – s’élève depuis très longtemps à 200 000, ce qui correspond à 0,3 % de la population française globale.
C’est un mensonge de prétendre que ces chiffres ont augmenté de façon spectaculaire et que le nombre de migrants augmenterait considérablement en raison d’une politique non-maîtrisée du Gouvernement. C’est faux, cela ne correspond pas à la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Éric Ciotti. Les chiffres ont augmenté !
M. Pierre Lellouche. Les Français savent que vous êtes responsables !
(L’amendement no 170 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 253.
M. Denys Robiliard. Mon intervention vaudra également pour l’amendement no 272, qui la même finalité.
Les conjoints de Français ne doivent plus être obligés d’obtenir un visa de long séjour, un visa de court séjour devant suffire.
En effet, les exigences sont plus dures et les délais plus longs pour l’obtention du premier que pour le second.
Il me semble normal que le conjoint d’un Français, en raison même de son mariage – sous réserve, bien entendu, de l’absence de fraude – bénéficie de plein droit de la possibilité de vivre en France avec son conjoint.
Tel est le sens de ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Je comprends et je partage même la finalité de ces amendements, monsieur Robiliard, mais je vous suggère de les retirer au profit de l’amendement no 404, proposé par Mme Marie-Anne Chapdelaine et le groupe SRC, et qui sera discuté dans quelques minutes.
Contrairement aux vôtres, il réserve tout de même les cas de fraudes, de l’annulation du mariage et de la menace pour l’ordre public.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Je le retire, de même que je retirerai l’amendement n°272.
(L’amendement no 253 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 171.
M. Guillaume Larrivé. Nous proposons que la logique des plafonds d’immigration proposée par le groupe Les Républicains s’applique également aux visas.
Cela me permet d’ailleurs de donner des chiffres, monsieur le ministre, tirés d’un document – que je pourrais moi aussi faire distribuer – à en-tête de la République française, du ministère de l’intérieur et de la direction générale des étrangers en France. Il s’agit de statistiques publiques publiées sur le site de votre ministère le 9 juillet.
En 2011, année que je prends comme référence puisque c’est la dernière année complète pendant laquelle le pouvoir précédent était aux responsabilités, 2 132 968 visas avaient été délivrés par les consulats.
En 2014, on en dénombrait 2 817 670, ce qui représente très exactement une hausse de 32 %. Cela peut être l’effet d’une politique, d’une non-politique ou d’une pratique mais cela n’en est pas moins la réalité : en trois ans, le nombre de visas de diverses catégories…
Mme Cécile Untermaier. Quid des visas de tourisme ?
M. Guillaume Larrivé. …délivré par les autorités françaises a augmenté de 32 %, je l’ai déjà dit hier à la tribune.
Les seuls visas de long séjour, les visas d’immigration vers la France – dont je vous donne acte qu’ils sont ceux d’une installation durable – étaient de 171 926 en 2011 et de 182 549 en 2014, ce qui représente une augmentation de 6,1 %. Voilà la réalité !
Dès lors, deux approches sont possibles : la vôtre – on continue à ne pas piloter – et la nôtre – dominer la situation en instaurant des plafonds à travers un choix parfaitement démocratique et transparent visant à définir des contingents limitatifs.
Je dois dire, vous m’excuserez, que le rapporteur a assez peu travaillé la question (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)…
M. François André. Prétentieux !
M. Guillaume Larrivé. …en répétant que cela favoriserait l’immigration illégale. En effet, rien, aucun élément objectif ne le prouve.
Mme la présidente. Je vous rappelle, monsieur Larrivé, que vous disposez de deux minutes et pas de dix pour présenter un amendement.
M. Guillaume Larrivé. Si l’on dit très concrètement au consul de France à Pékin ou à Alger qu’il peut attribuer, par hypothèse, cent visas à l’année n, il délivre cent visas et pas 2 000. C’est aussi simple que cela.
Mme Joëlle Huillier. Et pour le tourisme, on fait comment ?
M. Guillaume Larrivé. Nous pensons que notre devoir démocratique est de proposer une telle politique parce qu’il y va de l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. Quelle arrogance !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Ce n’est pas moi qui inventerais l’idée selon quoi les quotas engendrent l’immigration illégale : les faits en témoignent dans les pays qui les ont appliqués.
Je répète les chiffres que je vous ai donnés hier : aux États-Unis, le quota de cartes vertes est globalement de 500 000 et l’on y compte 11 millions d’étrangers illégaux…
M. Guy Geoffroy. Cela n’a rien à voir.
M. Erwann Binet, rapporteur. …dont nous savons combien ce pays éprouve d’importantes difficultés à les intégrer.
M. Pierre Lellouche. C’est un raisonnement par l’absurde ! Supprimons donc toutes les règles !
M. Erwann Binet, rapporteur. Je suis également assez surpris par votre manière d’annoncer les chiffres de demandes de visas. L’intégralité de ces dernières ou leurs attributions ne concernent évidemment pas des immigrants primo-arrivants.
Nous avons la chance que la France soit un des pays les plus visités au monde. Chaque année, en moyenne, plus de 80 millions d’étrangers visitent notre pays…
M. François André. Il faut fixer un plafond !
M. Erwann Binet, rapporteur. …et nous attribuons 200 000 nouveaux titres de séjour par an.
M. Pierre Lellouche. Cela n’a rien à voir avec le nombre de touristes, monsieur le rapporteur !
M. Erwann Binet, rapporteur. Si, en partie, bien sûr ! Ne maniez pas les chiffres pour exciter les passions !
M. Pierre Lellouche. Mais enfin ! Ce genre de raisonnement est lamentable !
M. Erwann Binet, rapporteur. En toute logique, la commission ayant rejeté l’ensemble de vos amendements relatifs à l’instauration de quotas, nous avons repoussé celui-ci.
Mme la présidente. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. J’invite tout de même très respectueusement M. le rapporteur à lire les amendements qu’il commente. Celui-ci dispose que « la demande de visa de long séjour peut être rejetée lorsque, pour la catégorie de séjour concernée, le nombre annuel des étrangers admis à s’installer durablement en France, fixé en application de l’article L.111-10, a été atteint. La demande peut faire l’objet d’un réexamen l’année suivante. »
M. Guy Geoffroy. Il n’est pas question des touristes !
M. Guillaume Larrivé. Nous parlons bien ici du sujet qui nous préoccupe depuis quelques jours, c’est-à-dire de l’immigration et des visas de long séjour.
Mme Cécile Untermaier. Mais votre argumentation concernait tous les visas !
M. Guillaume Larrivé. Pardon mais, si vous pouviez essayer de répondre en fonction des amendements qui sont présentés, le débat serait peut-être un peu plus rationnel et cela nous permettrait d’avancer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
(L’amendement no 171, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souhaite répondre à M. Larrivé s’agissant de l’affaire des visas.
Pour une fois, il a donné les bons chiffres et je ne suis donc pas en désaccord sur ce point. Je conteste simplement le choix des séquences de chiffres. Or, ce qui permet de mesurer une tendance, c’est aussi la situation antérieure.
L’argumentation de M. Larrivé consiste en effet à dire que toutes les vannes ont été ouvertes alors que la situation était auparavant raisonnable.
Regardons donc les chiffres sur la totalité de la séquence en ce qui concerne notamment les visas de long séjour : ils étaient en 2008 de 150 910, en 2009, de 159 791, en 2010, de 167 012, et la tendance continue.
Cette tendance est constante compte tenu notamment des procédures de simplification consistant à attribuer ces visas dès le pays d’origine. Cela explique depuis très longtemps une telle augmentation.
Je ne la conteste pas mais je conteste en revanche l’interprétation que vous en faites selon laquelle les délivrances de visas explosent alors qu’avant tout allait bien. Ce n’est pas vrai. L’augmentation de la délivrance des visas de long séjour est continue – je viens de donner les chiffres.
M. Pierre Lellouche. Vous le reconnaissez enfin ! Ce n’était pas le cas tout à l’heure !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’aurais pu faire les mêmes réflexions que vous : cela résulte-t-il d’une absence de politique ou d’une mauvaise politique ? Non. Un certain nombre de pays avec lesquels nous sommes en relation, notamment économique, ont mis en place des dispositifs de simplification d’accès aux visas de long séjour. Voilà ce qui explique cette constante augmentation.
S’agissant de la délivrance des visas de court séjour, les chiffres sont justes, en effet. Ils s’expliquent par des politiques que le Gouvernement assume parfaitement : le développement du tourisme et l’accueil des étudiants – à la différence de ce que vous avez fait – puisque nous avons décidé de leur ouvrir davantage notre pays.
Ces étudiants bénéficiant de ces visas de court séjour, la situation ne résulte donc ni du hasard, ni d’une politique qui serait menée au fil de l’eau : elle est le fruit d’une politique assumée dont je vous donne les raisons et qui explique une partie des chiffres.
M. Claude Goasguen. Assumez !
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 307.
Mme Chantal Guittet. Il s’agit de rétablir dans l’article 4 la délivrance d’un récépissé lorsque les personnes déposent leur demande de visas de long séjour.
Le demandeur doit pouvoir disposer des dates du début de l’instruction et exercer ses droits en cas de non-réponse. Cela me semble constituer une importante garantie procédurale dont je ne sais pas pourquoi elle a été supprimée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Votre amendement, madame Guittet, est en fait satisfait par une modification apportée par la commission, laquelle est revenue sur la suppression de l’alinéa 1 de l’article L. 211-2-1 que suggérait le projet de loi initial.
Avis défavorable à son adoption.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Guittet.
Mme Chantal Guittet. Je le retire.
(L’amendement no 307 est retiré.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 9 et 80.
La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement no 9.
M. Philippe Goujon. L’article 4 prévoit de supprimer les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 211-2-1 du CESEDA. Ceux-ci prévoient que le conjoint de Français âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficie, dans le pays où il sollicite un visa, d’une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Il peut alors, si nécessaire, bénéficier d’une formation adaptée d’une durée maximale de deux mois, avant d’être à nouveau évalué en vue de la délivrance d’un visa. Cette procédure est équilibrée, ne s’appliquant d’ailleurs pas à Mayotte, ni aux conjoints de Français s’étant mariés à l’étranger, dès lors que le mariage a été retranscrit auprès des autorités consulaires préalablement à la demande de visa.
Dans la mesure, on l’a dit, où l’immigration familiale représente la moitié des flux, contre moins de 10 % pour l’immigration économique, il est selon nous logique d’exiger des personnes postulant au regroupement familial, et qui représentent l’immense majorité des étrangers qui viennent s’installer en France, un niveau minimal de connaissance de notre langue et des valeurs du pays dans lequel elles souhaitent s’installer durablement. C’est d’autant plus logique que les nouveaux titres de séjour créés par ce texte susciteront un afflux de 10 000 personnes par an et que la commission des lois a étendu, en insérant un article 8 bis nouveau, les possibilités du regroupement familial aux conjoints et enfants des étudiants stagiaires présents temporairement sur notre territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen, pour soutenir l’amendement no 80.
M. Claude Goasguen. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que pour un projet de loi relatif aux étrangers, il est beaucoup question de contingences budgétaires et administratives – ce qui n’est certes pas l’aspect le plus critiquable de votre texte.
Quoi que vous en disiez, si vous avez supprimé l’examen préalable des visas, c’est parce qu’il constituait à vos yeux une complication administrative. Et c’est la même chose pour plusieurs articles de ce projet de loi. Hier, je vous ai même demandé si le texte que nous examinons méritait bien d’être considéré comme un projet de loi relatif aux étrangers, et s’il n’était pas plutôt une règle d’économie budgétaire et administrative concernant la loi sur les étrangers.
Mme Marie-Françoise Bechtel. L’un n’empêche pas l’autre !
M. Claude Goasguen. Vous avez tort de supprimer ces dispositifs, car ils concernent des sujets ultrasensibles, qui le seront de plus en plus.
Je vous ai également reproché hier de ne pas avoir conscience de ce qui allait se produire dans les dix années à venir, pas seulement en France, mais partout dans le monde ; de ne pas comprendre la mutabilité de l’immigration ; d’appliquer de vieilles règles à des situations nouvelles. Votre texte est administratif, je le répète, et il est économe. Nous vous en félicitons, car c’est assez rare, mais, très franchement, un tel sujet méritait un autre traitement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. J’ai déjà rappelé hier que le précontrat d’accueil et d’intégration a été jugé inutile et inefficace, notamment par l’Inspection générale de l’administration, qui a rendu un rapport sur l’accueil des primo-arrivants en 2013.
M. Claude Goasguen. Si c’est l’Inspection générale qui le dit, nous sommes tranquilles !
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est un rapport fouillé et utile qui a fait date. Nombreux sont ceux qui en partagent les conclusions, et notamment celle qui préconise de supprimer le précontrat d’accueil et d’intégration. C’est ce que fait le présent projet de loi. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Voilà encore un exemple de notre différence d’approche.
M. Claude Goasguen. Bien sûr !
M. Guillaume Larrivé. Une inspection tout à fait respectable dit d’un dispositif qu’il n’est pas tout à fait optimal en pratique. Soit, mais pourquoi ne pas tenter d’améliorer le dispositif en question ? Vous pourriez penser, comme nous le pensons, qu’il est important de vérifier que le candidat à l’immigration maîtrise déjà en partie la langue française dans son pays d’origine avant d’immigrer vers la France.
Au contraire, vous prenez prétexte de cette difficulté administrative pour tout arrêter, pour supprimer les dispositifs d’apprentissage et de vérification de la maîtrise de la langue française dans le pays d’origine. Voilà, une fois encore, une différence fondamentale entre nous. Nous, nous pensons que c’est dans le pays d’origine, avant la délivrance du visa de long séjour, que la maîtrise de la langue française doit être vérifiée.
(Les amendements identiques nos 9 et 80 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. M. Denys Robiliard retire l’amendement no 272.
(L’amendement no 272 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 401.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
(L’amendement no 401, accepté par la commission, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 404.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Sous réserve qu’ils en remplissent les conditions de délivrance, cet amendement propose la délivrance de plein droit du visa de long séjour aux ressortissants étrangers conjoints de Français, afin de leur simplifier l’accès au séjour en France dans les meilleurs délais.
Je profite de cette intervention pour vous dire, monsieur Larrivé, que notre conception de l’immigré est effectivement différente de la vôtre. Pour nous, l’immigré n’est pas un mineur perpétuel, que l’on peut soumettre à une succession d’étapes, voire à des quotas. Ce n’est pas une personne que l’on peut empêcher d’aimer : imaginez le cas d’une femme enceinte, que des quotas empêcheraient de rejoindre son mari, le privant ainsi pendant un an de la présence de son enfant. Ce n’est pas notre vision des choses.
Nous, nous préférons demander à l’étranger de remplir certaines conditions, gages de sa bonne intégration, et vérifier qu’il les remplit effectivement. Vous avez raison : nous n’avons pas du tout la même vision de l’immigration.
M. Claude Goasguen. C’est certain !
Mme Marie-Anne Chapdelaine. La vôtre est étriquée et fait peser un perpétuel doute sur l’étranger.
M. Claude Goasguen. Et vous, vous faites peser ce doute sur les Français !
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous, nous préférons lui faire confiance, ce qui ne nous empêche pas de procéder à des vérifications, car il ne s’agit pas de faire preuve d’angélisme. Et nous lui reconnaissons des droits et des devoirs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. André Chassaigne. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Je l’avais déjà plus ou moins annoncé tout à l’heure : l’avis de la commission est évidemment favorable à cet amendement. La délivrance de plein droit des visas de long séjour aux conjoints de Français est une mesure tout à fait bienvenue et cet amendement est excellent.
Les associations réclamaient cette disposition depuis des années, et nous souhaitions nous aussi qu’elle soit adoptée, car nous rencontrons souvent, dans nos permanences, la situation de ces couples qui se retrouvent séparés, parce que l’un des conjoints s’est vu refuser un visa de long séjour.
Je reconnais là, madame Chapdelaine, votre engagement et celui du groupe socialiste, républicain et citoyen pour la protection des familles, et de toutes les formes de familles, y compris, évidemment, les familles et les couples binationaux.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
(L’amendement no 404 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 350.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Cet amendement concerne les étudiants : il importe que les demandes de visa qu’ils formulent fassent l’objet d’un traitement et d’une réponse rapides, afin qu’ils puissent, dans le cas où le visa leur serait refusé, se tourner vers un autre pays. La moindre des choses est de leur donner une réponse rapidement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Il s’agit d’un excellent amendement. La commission lui a donné un avis favorable.
(L’amendement no 350, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement no 244 tombe.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 157.
Mme Isabelle Attard. Notre amendement concerne, comme celui de nos collègues socialistes, l’exigence d’un visa de long séjour pour les conjoints de Français. De nombreux conjoints ne pouvant justifier d’une entrée régulière ou s’étant vu délivrer un visa de court séjour après un mariage en France doivent retourner dans leur pays d’origine pour demander un visa de long séjour.
Le Défenseur des droits, dans une décision d’avril 2014, a considéré que l’exigence d’un visa de long séjour pour les conjoints de Français était contraire au droit européen et constituait une discrimination à rebours, fondée sur la nationalité. En effet, les conjoints étrangers de citoyens européens résidant en France ne sont pas soumis à une condition de visa de long séjour. Il est donc nécessaire de réformer le droit applicable aux conjoints de Français, en supprimant l’obligation du visa de long séjour, comme le propose cet amendement, ainsi que l’amendement no 120. Nous proposons donc de rédiger l’alinéa 16 de l’article 4 de la manière suivante : « 4° Les deux derniers alinéas sont supprimés. »
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Vous l’avez bien indiqué, madame Attard, cet amendement a le même objet que l’amendement no 350 de Mme Chapdelaine. Or nous venons de l’adopter : votre amendement devient donc inutile et je vous suggère de le retirer, car il est désormais satisfait.
M. Sergio Coronado. Il aurait dû tomber !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. Madame Attard, l’amendement est-il maintenu ?
Mme Isabelle Attard. Il est retiré.
(L’amendement no 157 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 129.
M. Éric Ciotti. L’article L. 211-2 du CESEDA, relatif à la délivrance de visas d’entrée en France, dispose actuellement que les décisions de refus de visa prises par les autorités diplomatiques ou consulaires ne sont pas motivées.
La commission des lois a adopté un amendement qui veut que ces avis soient désormais motivés. Si cette nouvelle disposition était maintenue, elle introduirait une difficulté majeure et un changement profond pour l’administration, qui ne dispose pas aujourd’hui des moyens matériels pour la mettre en œuvre. Cet amendement de suppression propose donc un retour à l’état actuel du droit.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est à bon droit que la commission a posé le principe de la motivation obligatoire de toutes les décisions de refus de visa d’entrée, d’abord parce que c’est une exigence de transparence vis-à-vis des personnes concernées ; ensuite, parce que cela donne à ces personnes la possibilité d’exercer leurs droits, et notamment leur droit au recours.
M. Claude Goasguen. Quel recours ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Par ailleurs, il était paradoxal que les refus de visas de court séjour soient motivés, et que les refus de visas de long séjour ne le soient pas – sauf exception. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.
M. Claude Goasguen. Je voudrais tout de même rappeler que la délivrance de visa est, juridiquement, un acte régalien.
M. Guillaume Larrivé. Souverain !
M. Claude Goasguen. Au sens propre du terme, il est souverain. En précisant que le refus doit être motivé, vous ouvrez la possibilité d’un recours. Alors, expliquez-moi devant qui se déroulera le recours d’un acte régalien ! Cela m’intéresse, car si vous ne le précisez pas, votre article n’a aucun intérêt.
Mme Cécile Untermaier. Il y a déjà des recours possibles !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. La réponse à votre question est simple, monsieur le député : il est déjà possible de déposer un recours devant la commission de recours contre les refus de visa. Les choses sont simples, connues et inscrites dans le droit.
(L’amendement no 129 n’est pas adopté.)
(L’article 4, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 141 rectifié et 73 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 141 rectifié.
M. Éric Ciotti. Depuis le début de nos débats, nous voyons bien que le Gouvernement cède à toutes les demandes, y compris les plus extrêmes, de sa majorité. Nous nous dirigeons donc très clairement vers un texte qui va faciliter l’entrée des étrangers sur le territoire national et qui va compliquer l’expulsion de ceux qui s’y maintiennent illégalement. Car telle est bien la philosophie de votre texte, monsieur le ministre, quoi que vous en disiez.
Au bout du compte, tous les amendements de la majorité sont adoptés, et les deux derniers facilitent l’obtention du visa de long séjour. C’est un très mauvais signe qui est adressé à tous ceux qui veulent venir sur notre territoire, de façon légale ou illégale – beaucoup y entrant de façon légale et s’y maintenant de façon illégale. C’est tout l’inverse qu’il faudrait faire, monsieur le ministre. C’est une autre politique qu’il faudrait mener, une politique beaucoup plus ferme, parce que la fermeté est le seul moyen de lutter contre ces flux migratoires, contre le trafic d’êtres humains, et d’éviter les drames que l’on connaît aujourd’hui.
Les mesures que vous prenez vont à l’encontre des évolutions structurelles actuellement à l’œuvre. Ce que je propose, au contraire, c’est la mise en place d’un système de caution à l’entrée sur le territoire national, au moment de l’octroi des titres de séjour ou des visas, y compris pour certains visas touristiques ou étudiants – c’est ce que pratique déjà le Canada. Cela permettrait de contrôler que le titre de séjour n’est pas utilisé au-delà de la durée pour laquelle il a été octroyé et d’éviter que, une fois ce titre caduc, les personnes se maintiennent sur le territoire national.
J’en conviens, monsieur le ministre : c’est une logique totalement différente de celle de la majorité et du Gouvernement. Mais c’est, à mon sens, la seule qui vaille pour lutter contre l’immigration illégale et pour avoir une politique déterminée de contrôle des flux migratoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 73 rectifié.
M. Guillaume Larrivé. Cet amendement repose sur la même idée, et nous aimerions que le rapporteur et, plus encore, le Gouvernement nous précisent en quoi ce que nous proposons n’est pas possible ou souhaitable.
Cette idée de demander une caution n’a rien d’extravagant, et des pays voisins la mettent en pratique : en gage de bonne volonté, le candidat à l’immigration, le candidat au visa de long séjour ou même, dans certains cas, le candidat à un visa de court séjour doit déposer une caution afin de prouver qu’il compte rentrer dans son pays d’origine. Cette mesure nous paraît de nature à permettre un meilleur contrôle des flux, même si ce n’est pas la seule. D’ailleurs, le Gouvernement devrait nous éclairer sur la mise en œuvre des visas biométriques, autre moyen extrêmement utile pour éviter que les visas – de court séjour cette fois – ne soient détournés. En effet, ne soyons pas naïfs, mes chers collègues, nombreux sont ceux qui, après être entrés légalement sur le territoire national grâce à un visa de tourisme, s’y maintiennent illégalement après son expiration. Ce que nous disons, c’est qu’une caution serait de nature à dissuader ces maintiens illégaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Voici donc, chers collègues de l’opposition, le troisième point cardinal de votre contre-projet si l’on en croit la présentation qu’en a faite M. Larrivé. Après l’obligation d’intégration en dehors de la société française – l’intégration hors-sol –, après la définition de quotas qui, je l’ai dit, aurait été un véritable appel à l’immigration illégale, voici le troisième principe : le visa conditionné au versement d’une caution. Curieuse idée dans une période où des milliers de personnes sont prêtes à confier des montants considérables – jusqu’à 5 000 euros – à des passeurs et parfois à risquer leur vie pour traverser une frontière ou un espace maritime !
Mais peut-être est-ce aussi, pour vous, un moyen de concurrencer les filières clandestines, par une voie légale et rémunératrice, afin d’accroître les recettes de l’État,…
M. Éric Ciotti. Vous préférez que cet argent soit pour les passeurs ?
M. Erwann Binet, rapporteur. …de même que Léon X, avait, à la Renaissance, créé les indulgences. Elles devaient permettre à ceux qui les achetaient de se faire pardonner leurs péchés à venir… et à Léon X de construire Saint-Pierre-de-Rome.
La commission est évidemment défavorable à cette très mauvaise idée selon laquelle la délivrance des visas devrait être soumise au versement d’une caution.
M. Guy Geoffroy, rapporteur. Quel faible argumentaire !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Face à une proposition, je n’ai pas d’a priori, je regarde simplement, de façon extrêmement pragmatique, quelles en sont les conséquences au regard des objectifs que nous nous sommes fixés – parce que nous avons une politique, sans doute très différente de la vôtre, comme vous vous employez méthodiquement à le montrer, mais sans doute y avez-vous quelque intérêt.
Nous voulons, pour notre part, l’attractivité, afin que viennent dans notre pays ceux dont la France a besoin, les chercheurs, les industriels, ceux qui jouent un rôle moteur pour l’activité économique. Vous constaterez d’ailleurs que les pays dont l’économie est dynamique et la croissance forte sont ceux qui, tout en étant très durs dans leur lutte contre l’immigration irrégulière, parviennent à attirer les individus capables de créer de la richesse et de l’activité.
En parlant de lutte contre l’immigration irrégulière, monsieur Ciotti, je vous répéterai ce que j’ai dit hier à M. Larrivé : il n’y a pas grand-chose à redire à la détermination du Gouvernement. Nous avons démantelé 25 % de filières de l’immigration irrégulière de plus depuis 2012, et des instructions très fermes ont été données aux services pour que cette action s’intensifie. Des coopérations très efficaces ont été engagées, notamment avec la Grande-Bretagne. Le 28 juillet prochain – dans une semaine, donc –, j’irai d’ailleurs à la rencontre de ma collègue britannique, dont vous n’avez jamais pensé qu’elle était faible en la matière. Il s’agira d’engager avec elle des actions franco-britanniques de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière. La détermination ne s’affirme pas à grand renfort de coups d’épaule ni de déclarations tous azimuts : il s’agit de montrer que l’on parvient à des résultats. C’est cela qui importe.
J’en viens à vos propositions. Pour ma part, je considère votre contre-projet avec beaucoup d’intérêt : pourquoi m’interdirais-je d’y puiser des idées intéressantes qui permettraient une politique migratoire plus performante ? Las, ce contre-projet est une succession de contresens ! D’abord, il comporte un très grand nombre de propositions que vous avez déjà mises en œuvre et qui n’ont pas marché et de propositions que vous n’aviez pu mettre en œuvre parce qu’elles étaient contraires à la Constitution ou aux conventions signées par la France. Il comporte encore des propositions qui aboutiraient à un résultat exactement contraire à ce à quoi il serait souhaitable, pour notre pays, de parvenir – c’est précisément le cas des amendements que nous examinons en ce moment. En effet, l’instauration d’un dispositif de caution auquel seraient soumis des gens de bonne foi, que nous avons intérêt à attirer, créerait un handicap d’attractivité de notre pays par rapport à d’autres. Pour cette raison, j’y suis tout à fait défavorable.
Je pourrais encore accepter cette moindre attractivité si elle présentait un intérêt, comme celui de dissuader l’immigration économique irrégulière, mais ce n’est pas efficace, et le rapporteur a tout à fait raison. Les filières de l’immigration irrégulière emmènent vers la mort des migrants vulnérables après avoir prélevé sur eux un véritable impôt sur la mort, qui peut atteindre plusieurs milliers d’euros. Nous organiserions donc le paiement, par ces filières que nous combattons, que nous poursuivons, que nous démantelons, d’une caution qui n’aurait aucun effet en termes de lutte contre l’immigration irrégulière.
Ce que vous proposez aurait donc deux conséquences : dégrader l’attractivité du pays et rendre inefficace la lutte contre l’immigration irrégulière en incitant ceux que nous combattons à organiser, sous leur coupe, le paiement de la caution. Ce serait quand même un comble quand on vise à une action efficace de démantèlement des filières de l’immigration irrégulière !
Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements.
M. Erwann Binet, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.
M. Claude Goasguen. Je tiens à souligner le caractère inadapté de la réponse qu’a faite M. le ministre tout à l’heure à propos des recours en matière de visa. Monsieur le ministre, avec ce que nous avons voté, vous allez être obligé de mettre en place une commission qui examine les contestations. Or, si cette commission est effectivement prévue par un décret, elle ne fonctionne pas, à tel point que, dans un arrêt de 2007 dont je parle en connaissance de cause, le Conseil d’État a jugé qu’en l’absence de réponse au-delà d’un délai de deux mois le silence gardé par la commission fait naître une décision implicite de rejet. La question qui se pose, à propos de la disposition qui vient d’être votée, grâce à votre initiative, est la suivante : est-ce que vous allez mettre en place cette fameuse commission ? Soit dit en passant, cette disposition me paraît quand même assez dérisoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Pardon, cher collègue Goasguen, mais cette commission existe, elle a même été créée pour soulager le Conseil d’État des visas, qui représentaient une charge extrêmement lourde pour lui.
M. Claude Goasguen. Oui, mais est-ce qu’elle fonctionne ?
Mme Marie-Françoise Bechtel. Bien sûr ! Et les éventuels recours suivent ensuite leur voie normale.
J’avais demandé la parole pour autre chose. Le rapporteur et le ministre ont excellemment – et bien mieux que je ne saurais le faire – répondu aux propositions défendues, je crois, par M. Larrivé. C’est exactement l’illustration de ce que j’ai appelé le nominalisme juridique dans mon intervention en discussion générale : il s’agit simplement de faire de la montre, si vous me passez l’expression, d’agiter un chiffon de papier avec une fausse bonne idée. Des contre-propositions d’un tel degré – extraordinaire – d’immaturité, c’est extrêmement décevant !
M. Pascal Cherki. Très bien !
Mme Marie-Françoise Bechtel. Le rapporteur vous l’a montré : imposer le versement d’une caution n’aurait que des effets pervers.
Ajoutons encore un argument. Nous avons quand même des gens qui n’hésitent pas à payer les passeurs pour entrer sur notre territoire et y rester illégalement. Eh bien, d’autres personnes pourront très bien payer pour avoir un visa et ensuite rester non moins illégalement sur le territoire, même si le visa a été payé par elles-mêmes et pas par les passeurs. Permettez-moi de vous le dire : ces propositions atteignent un tel degré de puérilité que cela n’aide pas à avoir un débat mûr et sérieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je ne suis pas familier de ces débats : j’interviens plutôt, d’habitude, lors de l’examen des projets de loi qui touchent aux questions économiques – étant député de Thiers, je ne suis pas un adepte du couteau suisse avec cinquante lames qui répondent à toutes les questions. J’écoute donc les interventions des uns et des autres, disons-le franchement, avec une forme de distance, d’autant que je n’ai pas suivi les travaux de la commission, mais je suis vraiment effaré par les propos tenus et par certains amendements déposés par l’opposition.
Je vous connais tous, chers collègues, je connais votre bon sens, je ne mets pas en cause votre humanité – personne n’a le monopole du cœur –, mais vous en arrivez à faire des propositions qui non seulement sont complètement décalées mais semblent viser à l’entretien de je-ne-sais-quoi, une forme de crispation, pour ne pas dire de crampe mentale. Vous en arrivez à proposer des choses que je ne peux pas comprendre, ni du point de vue de la raison, ni du point de vue du cœur, ni du point de vue de l’efficacité, puisque celle-ci semble votre souci.
Prenons le dernier amendement que vous avez défendu. Nous le savons bien, cela fait partie de notre quotidien, des gens viennent nous voir à cause de difficultés pour obtenir un visa, et nous sommes choqués, heurtés, blessés de voir que des visas sont refusés pour des raisons que l’on ne parvient pas à s’expliquer. Tous, ici présents, nous connaissons de tels cas, j’en suis sûr.
Nous avons, durant l’été, des festivals de musique, par exemple à Confolens – je le dis parce que notre collègue Lambert nous rejoint –, ou ailleurs. Des groupes folkloriques, des groupes de musique traditionnelle viennent de tous les pays du monde. Or ils rencontrent déjà des difficultés pour obtenir un visa et venir se produire, venir découvrir d’autres populations. Ils ont déjà des difficultés financières pour voyager, c’est un parcours du combattant, et vous nous proposez un amendement dont l’objet est de soumettre toute délivrance de visa au dépôt d’une caution ? Trop, c’est trop ! Je ne sais pas ce que vous cherchez, je ne sais pas quel est votre objectif.
M. Sergio Coronado. La une du Figaro !
M. Nicolas Bays. Marine Le Pen !
M. André Chassaigne. Je pense que vous considérez que la vraie mesure c’est la démesure, mais méfiez-vous de l’impact de ce que vous proposez. Vos propositions d’aujourd’hui, ce sont des monstres que vous fabriquez pour demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Je crois qu’on est au cœur du débat. Vous vous demandez ce qu’on recherche : c’est éviter que la situation dramatique que l’on connaît actuellement ne s’aggrave. Pour votre part, vous légitimez cette situation.
Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. Quelle démagogie !
M. Éric Ciotti. Vous ne comprenez pas qu’avec les positions que vous êtes en train de prendre cette situation va considérablement s’aggraver. Je crois que la position de la majorité et du Gouvernement est totalement irréaliste. Ne voyez-vous pas ce qui se passe autour de nous ? Ne voyez-vous pas ces évolutions structurelles des flux migratoires ? Ne voyez-vous pas les drames en Méditerranée ?
M. Nicolas Bays. N’importe quoi ! Les naufragés, en Méditerranée, n’ont que faire de ce qui se dit ici !
M. Éric Ciotti. Et vous voulez encore faciliter l’arrivée sur le territoire national ! Vous voulez baisser la garde ! Vous voulez cet appel d’air ! L’inhumanité, c’est de faire en sorte que ce système perdure, qu’il y ait de plus en plus de drames. C’est cela, la réalité : Je suis effaré d’entendre certains orateurs, certaines prises de position. Un système de caution a été mis en place en Australie, avant même l’avènement du gouvernement conservateur de Tony Abbott, notamment pour les étudiants, y compris les étudiants français. Des étudiants de ma circonscription sont partis étudier en Australie, et une garantie de ressources leur est demandée à l’arrivée. Est-ce que de tels dispositifs, en Australie ou au Canada, sont antidémocratiques ? Vous êtes aujourd’hui dans l’angélisme stupide, gratuit ! Cet aveuglement est dangereux, il est coupable ! Nous vous le disons très clairement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Le débat, c’est vrai, prend un tour intéressant. Le président Chassaigne affirme qu’il y a un décalage entre le groupe Les Républicains et le Parti communiste. Je vous le confirme bien volontiers, mon cher collègue : nous n’avons pas du tout la même approche de cette question ! Mme Bechtel, pour sa part, se lance dans une interprétation pseudo-psychologisante de nos positions.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Faute de mieux, vu qu’elles n’ont que peu de rapports avec le droit !
M. Guillaume Larrivé. Je lui laisse son raisonnement, ou ce qui lui tient lieu de raisonnement.
Ce que je sais, c’est qu’en effet nous faisons des propositions.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Elles sont magnifiques !
M. Guillaume Larrivé. Nous proposons de manière très opérationnelle, très concrète, très sérieuse, très déterminée, très volontaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) des mesures pour appliquer un principe simple, un principe profondément républicain : la France a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir ou refuser sur son territoire. La France de 2015 a le droit de choisir de mettre en œuvre une politique de réduction de l’immigration.
Monsieur le ministre, sur un autre ton, je voudrais vous dire que la circonstance que des idées ont pu, par le passé, être évoquée, ne suffit pas à les disqualifier. Le monde a changé ; la France de 2015 n’est pas la France de 2012, car vous l’avez abîmée ; ce n’est pas non plus la France de 2007 ni de 2002.
Permettez-moi de citer Ernest Renan : « Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. » Je préfère paraître démodé aux yeux du parti socialiste d’aujourd’hui…
Mme Elisabeth Pochon et Mme Cécile Untermaier. C’est réussi !
M. Guillaume Larrivé. …et avoir raison demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais m’efforcer de répondre aux questions qui ont été posées, car lorsque le Gouvernement est interpellé au cours d’un débat, il doit apporter des réponses précises.
D’abord, concernant la commission de recours contre les refus de visa.
M. Claude Goasguen. Est-ce qu’elle se réunit ? D’ailleurs, le Conseil d’État n’en veut pas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous avez déclaré, M. Goasguen, que cette commission ne fonctionne pas, en vous fondant sur un extrait d’un rapport du Conseil d’État. Or cet extrait précisait simplement la règle selon laquelle le silence gardé pendant deux mois vaut rejet d’une saisine. C’est une règle générale du droit : cela ne signifie en rien que cette commission ne fonctionne pas.
M. Claude Goasguen. Non, aujourd’hui, c’est le contraire : le silence vaut acceptation ! Mettez-vous à jour !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Comme vous êtes fin juriste, vous connaissez parfaitement cette règle ; par conséquent, vous saviez bien, en lisant cet extrait, de quoi il s’agissait. D’ailleurs cette commission fonctionne : 19 000 recours ont été déposés en 2013, dont 6 000 ont été examinés ; cela signifie que 13 000 recours ont été rejetés par une décision implicite de rejet, au bout de deux mois de silence de la commission.
M. Claude Goasguen. C’est le contraire : désormais, en droit administratif, le silence vaut acceptation !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est ensuite le tribunal administratif de Nantes qui, sur la base des éléments traités par la commission, statue au fond.
Je m’adresse à présent à M. Ciotti : je comprends parfaitement le rôle que l’organisation politique à laquelle vous appartenez vous a assigné pour ce débat. Je dois dire que vous le jouez avec beaucoup de talent, beaucoup d’efficacité.
Mme Colette Capdevielle et Mme Elisabeth Pochon. Et beaucoup de zèle !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous adresse mes sincères félicitations pour cette impressionnante performance ! Cela étant, il y a un décalage entre ce que vous dites et ce que nous faisons : je tiens à le faire remarquer. Vous dites que nous n’avons pas conscience de la situation migratoire.
M. Claude Goasguen. C’est vrai.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pourtant, lorsqu’il s’agit de mettre en place un véritable contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne en renforçant les moyens de l’agence Frontex, nous agissons. En 2011, à l’inverse, quand vous étiez majoritaires et que vous avez affronté la crise migratoire, vous n’en avez rien fait !
M. Claude Goasguen. Cela n’a rien à voir, monsieur le ministre ! Ce n’est pas la même migration !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Un dispositif est mis en place en Italie et en Grèce pour faire la part de ceux qui relèvent du statut de réfugié en France, et ceux qui relèvent de l’immigration irrégulière : ce n’est pas votre gouvernement qui l’a proposé, mais le nôtre !
M. Éric Ciotti. Cela ne figure pas dans ce projet de loi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nicolas Sarkozy a publié un tweet – c’est toujours utile, même si des messages brefs au service d’idées courtes ne sont guère de nature à faire avancer le débat politique (Sourires sur les bancs du groupe SRC) – pour dire qu’il faut une véritable politique d’asile en France et en Europe. Il a parfaitement raison de dire cela !
M. Éric Ciotti. Ce projet de loi va précisément à l’encontre de cet objectif !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais qui y travaille réellement ? Certains l’ont proposé, mais ne l’ont jamais fait ; ce Gouvernement, à l’inverse, s’y attelle.
M. Éric Ciotti. Vous faites l’inverse !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est pourquoi nous avons accepté de participer au processus de réinstallation et de relocalisation.
Vous avez parlé de la nécessité d’être ferme envers ceux qui sont en situation irrégulière et doivent être reconduits à la frontière. J’ai communiqué les chiffres hier à M. Larrivé, qui ne peut donc les contester : il y avait 13 000 reconduites à la frontière en 2012 ; il y en a 16 000 aujourd’hui.
M. Claude Goasguen. Grâce à nous ! Grâce aux dispositions que nous avons fait adopter !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et vous savez très bien que les reconduites à la frontière hors Union européenne sont les plus difficiles. Nous en avons réalisé beaucoup plus que vous parce que nous sommes déterminés, parce que nous considérons qu’il ne faut faire aucune concession à l’immigration irrégulière, qu’il ne faut avoir aucune faiblesse.
M. Éric Ciotti. Précisément, votre texte introduit de la faiblesse ! Votre majorité est encline à la faiblesse !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous avez aussi parlé des filières de l’immigration irrégulière : nous en avons démantelé 25 % de plus ! La différence entre vous et nous est donc très simple : tandis que vous procédez par amalgames dans un but rhétorique, nous privilégions une approche pondérée, équilibrée, destinée à obtenir des résultats. Nous continuerons à agir ainsi, car nous considérons que cette question mérite de la pondération, de l’équilibre, de la précision.
M. Éric Ciotti. Cette question mérite surtout de la lucidité !
M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas de la pondération, c’est de la caricature !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour cela, il faut donner les chiffres justes. Dans ce pays, nous devons travailler au rassemblement, et non à la division ; mais sur ces questions-là, vous ne voulez pas du rassemblement, vous ne voulez pas du consensus républicain, car pour des raisons tactiques, liées à la stratégie de votre parti, vous avez décidé de courir après le Front national. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
(Les amendements nos 141 rectifié et 73 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 167 rectifié.
M. Guillaume Larrivé. Les étrangers désireux de séjourner en France pour une durée inférieure à trois mois dans le cadre d’une visite familiale ou privée doivent présenter un justificatif d’hébergement. Il s’agit d’une attestation d’accueil validée par le maire de la commune du lieu d’hébergement en échange de la perception d’une taxe acquittée par l’hébergeant dont le produit est affecté à l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Notre amendement propose une mesure qui devrait vous satisfaire, monsieur le ministre, à la fois comme ministre de l’intérieur et comme ancien ministre du budget, consistant à relever le montant de la taxe perçue par l’hébergeant afin d’abonder le budget de l’OFII et de donner à cet instrument administratif de nouveaux moyens d’accomplir ses missions d’accompagnement de l’intégration des étrangers.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.
M. Claude Goasguen. Il y a ici des députés qui ont l’habitude de suivre les débats sur l’immigration, monsieur le ministre. Ces débats sont en général animés, or celui-ci est mièvre. Les députés ayant une certaine expérience parlementaire ont eu l’occasion d’entendre de grands ministres de l’intérieur comme Charles Pasqua ou Jean-Pierre Chevènement. Celui-ci, lors du débat sur le projet de loi RESEDA, n’avait pas détaillé une petite série de mesures techniques, mais formulé une vision de l’immigration – une vision qui n’était certes pas la nôtre, mais avait au moins le mérite d’éclairer l’avenir. Ce débat commence d’ailleurs à déraper, la droite étant désormais jugée incapable de faire des propositions, et qualifiée de puérile, voire de débile !
M. Guy Geoffroy. D’immature !
M. Claude Goasguen. Et qui nous adresse de telles accusations ? Êtes-vous vraiment fier de la politique que vous menez en la matière, monsieur le ministre ? En êtes-vous fier ? N’avez-vous pas compris le sens du vote des Français des deux dernières années après avoir essuyé des défaites considérables à chaque consultation ?
Mme Elisabeth Pochon. Quel rapport ?
M. Claude Goasguen. Et vous affirmez que tout va bien et qu’en matière d’immigration, au fond, c’est toujours la même chose ! La Méditerranée est parcourue par des gens fuyant le terrorisme, l’Europe de l’Est est attaquée en permanence, des événements dramatiques surviennent en Macédoine et ailleurs, mais la politique de l’immigration ne doit pas changer ! Conservons les modèles qui ont si bien réussi ! Les Français s’aperçoivent pourtant à quel point ils sont le comble de l’inanité !
Nous sommes ici à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre de l’intérieur, pas devant l’inspection générale de l’administration ni au Conseil d’État. Ici, nous faisons de la politique. La politique que vous menez n’a aucun sens pour l’avenir et aggrave au contraire des conditions politiques déjà déplorables ! Vous pouvez vous moquer des tweets, faire des petites phrases, vous montrer nerveux ou traiter M. Ciotti de porte-parole du parti d’opposition, mais en réalité, dans cette affaire, de qui êtes-vous le porte-parole ? D’un parti gouvernemental démontrant son échec tous les jours ? D’une administration à laquelle n’est assignée qu’une tâche, réduire les effectifs ? Êtes-vous le petit télégraphiste du Président de la République ? De quoi vous contentez-vous, sinon d’invectives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Michel Ménard. Pitoyable !
M. Claude Goasguen. C’est la réponse du berger à la bergère !
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Vous transformez un débat d’amendement en épopée napoléonienne, monsieur Goasguen, ce dont je vous laisse la responsabilité.
L’amendement dont il est ici question propose d’exiger une taxe de 150 euros d’une famille accueillant un ressortissant étranger pour un court séjour.
M. Claude Goasguen. Et alors ?
M. Guy Geoffroy. Et le milliard de l’aide médicale d’État ?
M. André Chassaigne. Mesurez-vous ce que cela représente pour une famille d’ouvriers ou d’agriculteurs recevant des parents venant parfois d’un autre continent ? Comptez-vous vraiment leur demander de verser une taxe de 150 euros ? Estimez-vous être, avec ce type de propositions, en contact avec la réalité de la vie et ses difficultés ?
M. Claude Goasguen. Et vous ?
M. André Chassaigne. Quand un petit village reçoit un groupe folklorique, et quand on demande à cette occasion à des familles, pour tisser du lien social, d’accueillir chez elles un artiste, un chanteur ou un musicien, de façon à favoriser le brassage et les échanges culturels, afin que la France ne soit pas un pays replié sur lui-même et cerné par des murs, vous allez demander 150 euros ?
Franchement, êtes-vous capable de justifier ce type de propositions auprès de nos concitoyens avec lesquels vous êtes en contact quotidien ? Estimez-vous qu’une telle proposition est sérieuse ?
M. Claude Goasguen. Bien sûr !
M. André Chassaigne. Vous me désespérez.
M. Jean-Louis Destans. C’est lamentable !
(L’amendement no 167 rectifié n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement no 359.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il s’agit de simplifier la vie des étudiants étrangers – c’est-à-dire, je le précise pour lever toute équivoque, de personnes qui séjournent régulièrement sur notre territoire – : dès lors qu’ils peuvent se prévaloir d’un certificat attestant qu’ils ont déjà passé une visite médicale auprès de la médecine universitaire ou de ville, ces étudiants devraient être dispensés d’effectuer une visite auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, d’autant qu’une telle obligation, en cas d’engorgement de l’Office, peut avoir pour effet de retarder la délivrance du titre de séjour.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est un amendement frappé au coin du bon sens. En effet, madame Chapdelaine, on ne voit pas pourquoi il faudrait obliger les étudiants à effectuer une visite auprès de l’OFII, alors que la plupart d’entre eux bénéficient d’une visite médicale au sein de leur université ou de leur établissement d’enseignement supérieur. L’avis de la commission est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la députée, votre amendement vise à dispenser, lorsqu’ils bénéficient d’un suivi médical attesté par un certificat médical, les étudiants étrangers de la visite médicale obligatoire à l’OFII prévue par les dispositions réglementaires du CESEDA.
La suppression de la visite médicale à l’OFII est déjà effective pour les migrations professionnelles et bénéficiera aux futurs titulaires du « passeport talent » dans le cadre du renforcement de l’attractivité de notre pays.
Mais s’agissant des étudiants, cette mesure est d’une toute autre ampleur. Elle est souhaitée par de nombreux partenaires universitaires, et notamment par la conférence des présidents d’université, car elle va dans le sens de la simplification des procédures administratives mises en œuvre par le Gouvernement depuis 2012.
En effet, un important travail a d’ores et déjà été accompli dans ce domaine : abrogation de la circulaire Guéant, systématisation des titres pluriannuels de séjour dans le cadre légal actuel, mise en place de guichets uniques préfectures-universités pour les étudiants en master et en doctorat.
À cet égard, je tiens à souligner que le décret modifiant la compétence territoriale du préfet afin de généraliser ces guichets uniques sera publié à la fin du mois de juillet. Cela nous permettra, avec mon collègue Thierry Mandon, de passer à l’étape de généralisation de ces mêmes guichets.
Or cette généralisation implique de supprimer le passage par l’OFII pour la visite médicale : un groupe de travail inter-services a défini un certain nombre d’orientations et de modalités relatives à une telle suppression. Il veille à ce qu’elle n’ait aucune incidence sur la santé publique.
Il est à noter que les dispositions relatives à la visite médicale et au certificat médical délivré par l’OFII aux étrangers autorisés à séjourner en France sont actuellement de nature réglementaire. Sur le plan légistique, votre amendement est donc sans doute perfectible, madame la députée. Le Gouvernement partage toutefois vos préoccupations et s’en remet à la sagesse de la représentation nationale.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Sur le fond, j’adhère quasi-totalement aux propos que vient de tenir M. le ministre. Sur la forme, il serait souhaitable, lorsqu’on écrit la loi, d’éviter de faire figurer à trois reprises dans la même phrase le même adjectif – « médical », en l’occurrence. Je le dis aux auteurs de l’amendement comme à M. le rapporteur, qui lui a donné un avis favorable : il y a peut-être un effort rédactionnel à faire.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il faut laisser du travail aux sénateurs. (Sourires.)
(L’amendement no 359 est adopté.)
Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 5.
La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Il s’agit d’un des dispositifs centraux, si je ne m’abuse, du projet de loi qui nous est proposé, puisqu’il s’agit de renforcer l’attractivité du territoire. Il est possible d’avoir sur ce point quelques hésitations : j’en ai pour ma part exprimé certaines en commission.
Il est vrai que la France ne peut laisser d’autres pays développés avec lesquels elle se trouve en concurrence attirer les meilleurs étudiants. À cet égard, notre débat de ce soir fait écho à celui que nous avions eu dans le cadre de l’examen de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso », à propos des formations dispensées en langues étrangères. De fait, la France a besoin d’attirer vers elle les bons étudiants, et même les meilleurs d’entre eux. Aux États-Unis les grandes universités ont d’ailleurs bâti – presque exclusivement, à 90 % – leur développement sur ce principe.
D’un autre côté, il paraît difficile de prêcher les vertus du codéveloppement, si difficile soit-il à mettre en œuvre, tout en proposant un dispositif qui – à terme ou s’il devait être généralisé – risque de priver les pays sources des élites dont ils ont tant besoin pour se construire.
On ne peut donc qu’être partagé au sujet de cet article. Toutefois, en précisant le type et la durée du séjour ainsi que les conditions dans lesquelles l’étudiant étranger, une fois formé, peut se maintenir sur le territoire pour y trouver les satisfactions qu’il recherche, nous sommes parvenus à un certain équilibre. Mais comme personne ne peut prétendre posséder en soi la connaissance du réel, il faudra sans doute, à terme, évaluer ce dispositif.
Je formule tout de même, s’agissant de l’alinéa 5, un petit bémol : justifier d’un « d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation » est une exigence tout de même un peu vague. Il faudrait sans doute se montrer plus précis ou prévoir une forme de contrôle. J’avoue cependant, à ma grande honte, n’avoir pas déposé d’amendement sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.
M. Pascal Cherki. Au sujet de cet article, mon opinion sera différente de celle exprimée par ma collègue Marie-Françoise Bechtel : je pense au contraire que nous aurions pu aller un peu plus loin.
En effet, cet article n’innove pas fondamentalement par rapport à l’article L. 311-11 du CESEDA. Il ne fait qu’y insérer une disposition nouvelle relative à la création d’entreprises. Pour le reste, l’autorisation provisoire de séjour, d’une durée d’un an, existe déjà : le projet de loi ne va pas au-delà.
Nous reviendrons ultérieurement sur la possibilité d’élargir les possibilités de passage entre le statut d’étudiant étranger et celui de résident bénéficiant d’un titre de séjour normal. Nous savons pertinemment que si une partie des étudiants étrangers ayant fait leurs études en France regagnent leur pays d’origine, une autre partie décide – et c’est bien normal – de s’insérer durablement dans la société française.
Le fait que la rédaction actuelle de l’article L. 311-11 ne soit pas modifiée par le projet de loi entraîne à mes yeux deux difficultés : premièrement, il demeure impossible de renouveler au moins une fois l’autorisation provisoire de séjour ; deuxièmement, le plafond de rémunération défini par décret – il faut gagner environ 1,5 fois le Smic – ne correspond pas aux conditions généralement offertes à un étudiant, fût-il titulaire d’un master, lorsqu’il décroche son premier emploi. Mais nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Dessus.
Mme Sophie Dessus. S’agissant de l’éducation, je tiens à évoquer un amendement relatif aux mineurs étrangers isolés qui, malheureusement, ne pourra pas venir en examen, et don je souhaite qu’il soit débattu dans le cadre de la deuxième lecture.
Il existe en France un réseau d’unités pédagogiques d’élèves allophones arrivants, les UPEAA, qui accueillent, chaque année, dans les premier et second degrés, environ 40 000 jeunes.
Âgés de quinze à dix-sept ans, les élèves qui y étudient viennent de tous les continents et parlent toutes les langues sauf le français. Ils n’ont en commun que d’avoir traversé l’enfer avant de venir en France – au moins sont-ils arrivés vivants ; d’autres jeunes n’ont pas cette chance.
Ces élèves apprennent le français puis leurs enseignants leur font ensuite rejoindre, le plus vite possible, le cursus normal. Qui n’a pas eu l’occasion de visiter l’une de ces classes ne peut imaginer la soif d’apprendre, la volonté d’intégration ainsi que la foi dans les valeurs de la République dont ces jeunes font preuve.
Beaucoup d’entre eux choisissent des certificats d’aptitude professionnelle et des dispositifs d’apprentissage à l’issue desquels ils pourraient être embauchés. Mais rien n’a été prévu dès lors qu’ils atteignent l’âge fatidique de leur majorité : ils deviennent alors pour ainsi dire des sans-papiers expulsables. Leur situation est alors réglée au cas par cas par le préfet, qui décide de leur avenir.
Il est donc vraiment impératif de légaliser ces situations. L’amendement proposera donc de modifier le quatrième alinéa de l’article 21-12 du code civil en permettant aux jeunes ayant suivi la formation dispensée au sein des UPEAA, puis intégrés ensuite, sur avis de leurs enseignants, dans l’école de la République – qu’ils aient été élevés par une personne de nationalité française ou confiés, comme c’est le cas le plus fréquent, à l’Aide sociale à l’enfance –, de se voir octroyer, à leur majorité, la nationalité française. Cette possibilité doit en outre être ouverte à ceux qui ont été confiés à l’ASE depuis au moins deux années, et non trois, comme le prévoit aujourd’hui ce même alinéa.
Mme la présidente. Nous en venons aux amendements. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 233.
Mme Isabelle Attard. L’article 5 prévoit que les étrangers ayant obtenu en France un diplôme au moins équivalent au master, et qui sont désireux de rester sur le territoire national afin d’y trouver un emploi ou de créer une entreprise, peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Cette autorisation est d’une durée de validité de douze mois, non renouvelable. Pourtant, il faut parfois beaucoup de temps pour trouver un premier emploi. Je citerai à ce sujet l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, qui déclarait ici même, en juin 2013, qu’il fallait tout faire pour favoriser la transition du statut d’étudiant à celui de salarié, en donnant aux intéressés un délai suffisant pour leur permettre d’accéder au marché du travail. À ce moment-là, il fallait en moyenne un an pour trouver un emploi : c’est en tout cas ce délai qui était proposé par Mme Fioraso.
Depuis, on ne peut pas dire que la situation du marché du travail se soit grandement améliorée. Bien au contraire : un tiers des jeunes diplômés de niveau bac plus 5 mettent plus d’un an pour trouver leur premier emploi stable. Ainsi, pour tenir compte des conditions réelles d’insertion des jeunes diplômés et leur garantir une plus grande stabilité, nous proposons que la durée de validité de l’autorisation provisoire de séjour soit portée à vingt-quatre mois au lieu de douze.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. L’article L. 311-11 du CESEDA porte sur la délivrance aux étudiants titulaires d’un master ou d’un diplôme équivalent d’une autorisation provisoire de séjour, l’APS, d’une durée de validité de douze mois non renouvelable.
L’article 5 du projet de loi propose une nouvelle rédaction de cet article, d’abord afin de prendre en compte la création de carte de séjour pluriannuelle et ensuite pour permettre la délivrance d’une APS lorsque l’étudiant justifie d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation.
Vous souhaitez, madame Attard, allonger la durée de l’APS – que M. Cherki, avec son amendement no 122, souhaite quant à lui rendre renouvelable –, mais une période de douze mois est adaptée pour la recherche constructive d’un emploi ou à la création d’une entreprise. Le dispositif en question s’adresse à des étudiants très qualifiés et répond à un objectif d’intégration sur le territoire et d’attraction des talents.
En outre, l’APS est par nature transitoire et temporaire : initialement, sa durée était d’ailleurs de six mois, comme vous venez de le rappeler. Sa durée de validité a été portée à douze mois par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi Fioraso ».
Aller au-delà ouvrirait la voie à des risques de détournement du dispositif : la commission s’étant rangée à cet argument, elle a repoussé cet amendement ainsi que le suivant de M. Cherki.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.
Mme Isabelle Attard. J’espère que nous ne nous montrons pas ici plus durs avec les étudiants étrangers qu’avec les étudiants français. Nos jeunes diplômés ont en effet de plus en plus de mal à trouver un emploi, qu’ils soient de niveau bac + 3, bac + 5 ou bac + 8. Sur le marché du travail, la situation s’est en effet grandement détériorée. Qui peut affirmer aujourd’hui qu’il est possible, en un an, de remplir toutes les conditions pour créer une entreprise, que l’on soit Français ou étranger ? Le problème est le même pour tout le monde.
Si nous pouvions donner un tout peu petit peu plus de marge et de temps aux intéressés pour concrétiser leur projet ou simplement pour trouver un premier emploi stable – je ne parle pas des contrats à durée déterminée renouvelés trois fois ou des contrats d’intérim –, je pense que le climat serait nettement plus serein pour tout le monde, et que les jeunes concernés se sentiraient nettement mieux accueillis dans notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.
M. Pascal Cherki. J’entends l’argument de notre rapporteur, qui est plein de bon sens, mais je voudrais faire une autre proposition – c’est l’objet de l’amendement no 122.
Certes, l’autorisation provisoire de séjour est par définition provisoire – pour un séjour plus stable et durable, on dispose des titres de séjour d’un an, puis de quatre ans, puis de dix ans – mais je propose qu’elle soit renouvelable une fois.
L’objectif de l’article L. 311-11 du CESEDA est de permettre à un étudiant, grâce à ce titre temporaire, de passer progressivement du statut d’étudiant au statut de salarié – à titre exceptionnel, puisque la règle est plutôt que les étudiants étrangers rentrent chez eux une fois leurs études terminées. C’est d’ailleurs pourquoi sont prévues des conditions très précises, de deux types : les unes liées à la nature de la démarche – soit la recherche d’un premier emploi, soit, et c’est une novation bienvenue, la création d’une entreprise –, les autres à un seuil de rémunération.
Je ne cherche pas à remettre en cause une telle logique, mais seulement à vous faire toucher la réalité de ce qu’est, aujourd’hui, pour un étudiant, la recherche d’un emploi, et même d’un premier emploi. L’article 5 prévoit qu’une autorisation provisoire est délivrée à l’étranger qui entend compléter sa formation par une première expérience professionnelle, sans limitation à un seul emploi ou un seul employeur. À la limite, si une telle limitation était prévue, on pourrait comprendre que l’autorisation ne soit pas renouvelable, mais ce n’est pas le cas.
À partir du moment où l’article L. 311-1, qui sera complété par les nouvelles dispositions législatives, vise à préparer un changement de statut pour un nombre restreint d’étudiants, et compte tenu de la réalité de l’ouverture du marché du travail aux diplômés, fussent-ils titulaires d’un master, le fait que l’autorisation provisoire de séjour puisse être renouvelée une fois ne serait pas en contradiction avec la lettre de la loi mais serait au contraire une manière de la rendre pleinement efficace.
(L’amendement no 233 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. M. Pascal Cherki a défendu l’amendement no 122. Le maintenez-vous, monsieur le député ?
M. Pascal Cherki. Bien évidemment, madame la présidente.
(L’amendement no 122, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 112 et 308.
La parole est à Mme la rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 112.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. La commission des affaires culturelles et de l’éducation a souhaité étendre la faculté de chercher et d’exercer un emploi sans opposabilité de la situation de l’emploi à tous les titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur émis par un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national.
Il apparaît notamment nécessaire d’attirer des étudiants étrangers dans des formations courtes professionnalisantes, STS, IUT, licences professionnelles, souvent de grande qualité et jouissant de taux d’insertion démontrant l’existence d’un réel besoin sur le marché du travail, en particulier dans l’industrie. Or, sans possibilité de leur permettre d’obtenir une expérience professionnelle à leur sortie, ces formations spécialisées sont très peu suivies par les étudiants internationaux. Ces filières gagneraient donc à s’ouvrir aux étudiants étrangers tant pour améliorer leur qualité et leur prestige que pour enclencher une dynamique d’ouverture et de coopération internationale consolidant l’un des piliers de l’enseignement supérieur.
En retour, d’ailleurs, la présence d’étudiants étrangers dans ces formations pourrait entraîner une plus forte mobilité des étudiants français, dont seule une petite élite accomplit aujourd’hui des séjours à l’étranger, 50 000 des 70 000 étudiants français à l’étranger venant d’une grande école.
Pour répondre à l’avance aux esprits chagrins, je précise que le risque de détournement est faible. D’une part, l’APS demeurerait soumise aux conditions de relation avec les études et de rémunération qui écarteraient le risque d’une concurrence indue sur le marché du travail avec les étudiants français. D’autre part, pour aller jusqu’au bout du raisonnement, la voie la plus aisée pour rester en France demeure la poursuite d’études en master, fortement encouragée par les universités, l’entrée n’étant pas sélective.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 308.
Mme Chantal Guittet. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
M. Erwann Binet, rapporteur. L’objectif du dispositif spécifique de l’autorisation provisoire de séjour, c’est l’attractivité du territoire, je l’ai rappelé à l’occasion des deux amendements précédents. Il est réservé à ce titre aux étudiants bénéficiant d’un master en raison du caractère hautement qualifié de ce grade. Il prévoit la non-opposabilité de la situation de l’emploi. Il n’a donc pas vocation à concerner l’ensemble des étudiants venant se former en France.
L’ouvrir aussi largement que le propose l’amendement serait contre-productif. Cela le viderait de sa substance et nuirait par conséquent aux étudiants étrangers titulaires de masters. La commission n’est donc pas favorable à ces amendements.
La limitation absolue aux seuls masters peut toutefois, j’en conviens, apparaître excessivement limitative et contraignante. C’est pourquoi, madame Corre, la commission a accepté votre amendement de repli no 202, qui prévoit la fixation d’une liste de diplômes par décret.
Je souhaiterais donc, madame Corre, madame Guittet, que vous retiriez vos amendements au profit de l’amendement no 202.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.
M. Frédéric Reiss. Nous avons eu ce débat en commission des affaires culturelles et je voudrais pour une fois aller dans le sens du rapporteur et du Gouvernement.
Quand nous disons que ce projet de loi va aggraver la crise migratoire, en voilà encore un exemple. Ces amendements permettraient de garder davantage d’étudiants sur notre territoire puisque les exigences ne sont pas les mêmes entre le master ou équivalent et un diplôme de l’enseignement supérieur. L’exposé sommaire ne fait d’ailleurs pas état d’une étude d’impact. Dans le contexte actuel de chômage des jeunes, on ne pourrait qu’être très inquiet s’ils étaient adoptés.
L’amendement de repli m’inquiète d’ailleurs également.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.
M. Pascal Cherki. Je trouve l’amendement de la commission des affaires culturelles excellent.
Il est normal et logique que notre pays définisse les conditions de sa propre attractivité. Ce n’est pas contestable, mais nous avons affaire à des êtres humains. On autorise les étudiants étrangers à venir en France. Certains font des formations professionnalisantes courtes, DUT, BTS, licences professionnelles, et on leur dit qu’ils ne sont pas allés assez loin dans les études et doivent retourner chez eux. Par contre, on va étudier les conditions dans lesquelles peuvent rester ceux qui continuent et sont en master. Pour un pays comme la France, le message n’est pas forcément très valorisant.
J’ai déposé à l’article 9 un amendement proposant que la carte de séjour temporaire soit délivrée à un étudiant étranger ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur sanctionnant au moins deux ans d’études. Je ne vois pas, en effet, comment on peut justifier cette différence de traitement entre étudiants étrangers.
Si un étudiant étranger n’obtient pas de diplôme, on peut considérer que le « contrat » moral, entre guillemets, qu’il a passé avec la France, pays qui l’a accueilli et lui a permis d’accéder à des études supérieures, n’a pas été rempli. Il est alors normal que se pose la question de son retour chez lui. Mais nous parlons de diplômes que nous encourageons des centaines de milliers de nos compatriotes à obtenir. Je vous rappelle tout le discours valorisant l’enseignement supérieur court, professionnalisant. On encourage nos jeunes compatriotes à choisir ces filières – et je ne parle même pas de l’apprentissage. Ce qui serait bon pour les Français ne le serait pas pour les étrangers ?
Je souhaite donc que nous allions un peu plus loin. Je soutiens totalement cet amendement – d’ailleurs déposé par une commission permanente, et non par un seul parlementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. J’adhère à l’argumentaire du rapporteur mais, au cas où nos collègues de la majorité souhaiteraient malgré tout voter ces amendements, j’appelle leur attention sur la rédaction qui en résulterait : l’autorisation provisoire de séjour serait délivrée « à l’étranger ayant obtenu, dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national, un diplôme de l’enseignement supérieur ». Je suggère au moins d’écrire : « à l’étranger ayant obtenu un diplôme dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national ». Sinon, franchement, que va-t-on bientôt retrouver dans la loi ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Monsieur le rapporteur je suis au regret de vous dire que je partage une grande partie de l’analyse de M. Cherki.
M. Sergio Coronado. Pourquoi le regretter ?
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Pour améliorer l’attractivité de nos universités et de nos formations post-bac, il faut en effet inciter les étudiants étrangers à venir, y compris dans les filières courtes et les filières professionnalisantes.
Que ce soit lors de l’examen du projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche ou au cours de nos débats au sein la commission des affaires culturelles et de l’éducation, nous appelons à éviter de privilégier le niveau bac + 5 et à mieux reconnaître le bac + 3. Nous avons d’ailleurs adopté à l’unanimité le rapport d’une mission d’information qui insistait justement sur ce point.
Pour autant, comme la politique est faite de petits pas, je me rangerai aux arguments du rapporteur. Je préfère encore que les diplômes concernés fassent l’objet d’une liste – même si la constitution de celle-ci devrait donner lieu à débat –plutôt que d’en rester au seul master. C’est une première avancée, et j’espère qu’il y en aura d’autres. Je prends donc sur moi de retirer un amendement adopté par la commission des affaires culturelles et de l’éducation, au risque de me mettre tous mes collègues à dos...
(L’amendement no 112 est retiré.)
Mme la présidente. Retirez-vous également le vôtre, madame Guittet ?
Mme Chantal Guittet. Non.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.
Mme Isabelle Attard. Je voulais dire à quel point le message que nous envoyons en faisant une discrimination entre les différentes filières est négatif pour l’ensemble de nos étudiants.
Il y a deux ans, nous avons essayé de valoriser les filières courtes. Nous avons voulu montrer à quel point il était important, du point de vue du marché du travail, que chacun trouve chaussure à son pied en matière de formation, qu’aucune ne devait être vue comme meilleure ou plus élitiste que l’autre. Et voilà que nous faisons machine arrière en rendant certaines plus attirantes aux yeux des étudiants étrangers. Je soutiens donc l’amendement de Mme Guittet. Chaque étudiant doit trouver la bonne filière, sans discrimination.
Quant à l’amendement de repli de notre rapporteure, je souhaite bon courage à ceux qui vont dresser la liste des diplômes concernés – surtout lorsqu’ils devront justifier leur choix.
(L’amendement no 308 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Corre, pour soutenir l’amendement no 202.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Cet amendement offre une alternative à l’amendement précédent, qui tendait à élargir l’APS à tous les diplômes de l’enseignement supérieur. Juste pour l’anecdote, monsieur Cherki, il n’y a pas de diplôme de l’enseignement supérieur d’un niveau inférieur à bac + 2.
Je propose d’ajouter aux diplômes de master d’autres diplômes figurant sur une liste fixée par décret. Il appartiendrait donc au pouvoir réglementaire de préciser les diplômes concernés, en y incluant notamment les formations professionnalisantes comme celles délivrées en IUT, les licences professionnelles, les BTS.
La commission, vous le savez, monsieur le ministre, sera vigilante. Je pense qu’il faudra chaque année réajuster la liste afin de l’ouvrir à de nouveaux établissements ou à de nouvelles formations.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Ma remarque concerne plutôt les deux amendements précédents ; mais, puisque le débat est global, il faut dire que j’ai été troublée par les arguments de M. Cherki. Il n’est pas faux de trouver contestable la distinction entre le master et des formations professionnalisantes qui peuvent être plus utiles. La valeur de plusieurs masters est en effet discutable, quand certaines formations courtes professionnalisantes sont et seraient utiles au pays. Je n’approuvais donc pas ces amendements, ni l’esprit dans lequel ils ont été proposés.
Nous cherchons avec cet article à augmenter l’attractivité de nos universités plutôt que de notre pays. Or, si tous les étudiants en master ne sont pas utiles à la France, il est utile pour nos universités – nous l’avions vu à l’occasion de la loi Fioraso – d’attirer ou de maintenir en France les étudiants au moins titulaires d’un master.
Il me semble que le texte est arrivé à un équilibre fragile : les titulaires d’un master ou d’un diplôme équivalent peuvent bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour d’un an, puis la carte de séjour pluriannuelle peut prendre le relais de cette première autorisation, à certaines conditions de rémunération et de recherches d’emploi. Ce système, pour lequel j’ai plaidé tout à l’heure, est un peu transitoire et il devrait être évalué assez rapidement. Pour l’instant, il est sans doute encore un peu fragile ; c’est pourquoi il ne faut pas aller trop loin à ce stade dans l’ouverture.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.
M. Claude Goasguen. La question n’est pas de savoir si les IUT ou les BTS sont meilleurs qu’un master, parce que toutes ces formations ont leur légitimité. La question, c’est de connaître en réalité les correspondances entre les universités françaises et francophones. Il est de l’intérêt des pays africains francophones ou asiatiques, qui ont besoin d’une classe moyenne, de faire venir des étudiants chez nous. Et, le plus utile pour eux, ce sont les formations en IUT ou les BTS – j’ai d’ailleurs participé à l’ouverture d’un IUT à Saïgon.
Ces formations sont très importantes dans la constitution démographique d’un pays. Ainsi, ce qui manque, au Sénégal, c’est une classe moyenne. Il faut se méfier d’une tendance naturelle à aller vers des équivalences de ce genre, qui se justifient par un certain niveau d’excellence. Faites attention à ne pas déshabiller les universités étrangères et les pays étrangers qui ont besoin de davantage d’IUT, de BTS et de licences professionnelles.
(L’amendement no 202 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 245.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Dans sa rédaction actuelle, le texte conditionne la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour au fait que l’emploi recherché ou obtenu par l’étudiant soit « en relation avec sa formation ». Mon amendement demande la suppression de cette expression abstraite et particulièrement floue, qui me semble difficile à apprécier, a fortiori dans les cas de filières ou de diplômes généralistes ou transversaux.
Par ailleurs, nous savons que l’état du marché du travail fait que de nombreux étudiants français diplômés ont une première expérience professionnelle pour compléter un master qui n’est pas en adéquation directe avec leur formation, mais qui leur permet d’acquérir un certain nombre de compétences. Je suis favorable à ce qu’il y ait une égalité entre les étudiants français et étrangers.
Enfin, sur les bancs de la majorité, nous sommes tous d’accord pour dire que notre logique ne doit pas être la suspicion, mais la confiance. Il me semble donc important de faire confiance aux étudiants diplômés pour que leur expérience professionnelle s’inscrive en continuité avec leur formation et participe de la meilleure construction possible de leur parcours professionnel. Pour toutes ces raisons, je pense que l’expression « en relation avec sa formation » est superflue et je demande sa suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Le dispositif d’autorisation provisoire de séjour a pour objet de valoriser les études pour lesquelles l’étudiant a été formé sur le territoire de la République et qu’il entend compléter par une première expérience professionnelle. Exercer un emploi sans lien avec ses études serait incohérent avec le projet professionnel de l’étudiant et contraire à l’exigence de promotion et de rayonnement de l’enseignement supérieur français. Au demeurant, l’expression « en relation avec » suggère déjà une certaine souplesse et laisse une marge d’appréciation évidente. C’est pour cette raison que la commission a repoussé votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, madame Carrey-Conte ?
Mme Fanélie Carrey-Conte. Je le maintiens, madame la présidente.
(L’amendement no 245 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement no 309.
M. Pascal Cherki. Comme le précédent, mon amendement vise à préciser la loi pour aller au bout de la logique prévue dans l’article. Après le mot « formation », nous proposons d’insérer les mots « ou s’inscrivant dans son projet professionnel ». En effet, s’il n’y a pas forcément une concordance absolue entre la formation suivie et le premier emploi, cette formation peut déboucher sur un projet professionnel tout aussi valable et intéressant pour la France, pour reprendre les termes assez lyriques de Marie-Françoise Bechtel.
De ce point de vue, nous gagnerions beaucoup à faire preuve d’un tout petit peu de souplesse dans notre droit afin que, pour des situations similaires entre deux étudiants qui auraient des formations ou des projets professionnels proches, il n’y ait pas des décisions radicalement différentes qui soient prises. Cet amendement tend à améliorer l’article sans en changer la substance. Il permettrait de nous éviter des désagréments et des contentieux qui feraient prospérer la profession d’avocat, à laquelle je tiens beaucoup.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Votre précision permettrait à un étudiant qualifié d’occuper un emploi sous son niveau de formation, avec le risque de dumping social que j’ai déjà souligné en commission. L’expression « ou s’inscrivant dans son projet professionnel » est extrêmement subjective. Elle permettrait de justifier à peu près n’importe quel emploi.
M. Pascal Cherki. Mais non !
M. Erwann Binet, rapporteur. Comme je viens de le dire, l’expression « en relation avec sa formation » de l’article 5 laisse déjà une marge d’appréciation importante et répond en partie aux préoccupations légitimes que vous venez d’exposer. La commission a donc repoussé votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki.
M. Pascal Cherki. Monsieur le rapporteur, je veux lever l’une de vos craintes. Nous devons avoir une vision optimiste des rapports sociaux. Je ne pense pas un seul instant qu’un étudiant envisage à la sortie de sa formation de prendre part à une démarche de dumping. Il faut avoir une vision combative du salariat ! Vos craintes, qui se justifieraient dans certains pays, notamment dans ceux qui sont soumis aux lois d’airain de la troïka, ne sont pas valables dans notre pays que dirige un Président très progressiste avec un gouvernement que vous soutenez avec la toute dernière ardeur. Soyez optimiste et confiant ! Vos craintes sont balayées par l’existence même de notre Gouvernement et par sa politique. (Sourires.)
M. Guy Geoffroy. C’est dit !
(L’amendement no 309 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Cherki, pour soutenir l’amendement no 123.
M. Pascal Cherki. Je voudrais essayer de convaincre notre rapporteur, parce que je considère que la politique que mène le Gouvernement vise à améliorer la situation et non pas à faire régresser la population. Cela étant dit, pour abonder dans son sens et m’inscrire dans sa logique, la rédaction actuelle de cette loi qui va de l’avant fixe « des seuils déterminés par décret en fonction du domaine professionnel et du territoire concernés ». Or, cela pose un problème, puisqu’il faut une rémunération qui corresponde à 1,5 SMIC. Malheureusement – et sans employer le terme fort de « dumping » de notre rapporteur –, la réalité est telle que, pour un premier emploi, il est assez rare que les étudiants aient une rémunération équivalente ou supérieure à 1,5 SMIC.
Aussi, à partir du moment où vous avez repoussé les amendements précédents, monsieur le rapporteur, et maintenu une borne très précise, puisque le projet professionnel doit être en relation très directe avec la formation suivie, vous admettrez qu’il n’y a plus lieu de définir un seuil de rémunération par décret, lequel, au niveau actuel, serait très pénalisant pour les étudiants qui souhaiteraient décrocher un emploi. Cela risquerait de vider de sa substance l’article tel que vous l’avez défendu avec brio, même si je ne partage pas l’ensemble de vos arguments.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Monsieur Cherki, vous poursuivez sur la même logique, je continue donc avec la mienne. Le seuil de 1,5 SMIC correspond à un minimum pour un master – nous pouvons nous accorder sur ce point. L’existence d’une rémunération conforme à ce niveau atteint par l’étudiant étranger découle de son projet professionnel. Cette condition est une mesure de régulation importante, car il convient de s’assurer que l’étudiant n’occupe pas un emploi sous-qualifié. C’est ma contribution à notre vision combative du salariat. (Sourires.) Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Je ne suis pas intervenu dans ce débat, parce que j’ai cru à la bonne foi de M. le rapporteur. On peut effectivement espérer que celles et ceux qui ont choisi la France, et qui ont fait des études brillantes, ne viennent pas participer au processus de dumping social. Mais nous assistons en fait à une multiplication des obstacles à leur séjour légal en France.
Quel étudiant titulaire d’un master a aujourd’hui la garantie d’être embauché pour un salaire d’au moins 1,5 SMIC ? Rappelez-moi le salaire d’un maître de conférences en début de carrière, après souvent plus de huit années d’études ! Vos propos sont des sophismes. Vous ne faites qu’ajouter un obstacle à la régularisation du séjour de ces étudiants. C’est inadmissible. Je voterai l’amendement de M. Cherki.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je soutiens entièrement les propos de MM. Cherki et Coronado. Ce seuil ne me paraît pas très réaliste. Il suffit de regarder l’exemple d’étudiants titulaires d’un master embauchés dans des start-up. Je vous assure qu’ils débutent avec des salaires inférieurs à 1,5 SMIC. Comme je l’ai plus ou moins dit hier, votre projet de loi n’est pas dénué de qualités, monsieur le ministre, puisque vous êtes sensible à certaines interventions, mais vous déplacez le curseur en mettant des verrous. Si vous assumiez plus clairement votre politique, il serait inutile d’introduire cette multitude de petits verrous qui, en définitive, imposent des limites à notre politique d’immigration.
(L’amendement no 123 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 402 rectifié.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. La commission des lois a adopté un amendement de la commission des affaires culturelles et de l’éducation qui a pour objectif de prendre en compte, pour l’accès à l’autorisation provisoire de séjour, la diversité des situations de l’entrée des jeunes sur le marché du travail, afin d’apprécier de manière souple et adaptée la condition de rémunération selon le secteur professionnel et le territoire concernés.
Toutefois, la détermination par décret d’un seuil variable selon le territoire concerné aurait pour effet de déséquilibrer le marché du travail puisqu’il y aurait, pour un même emploi, une rémunération différente selon le lieu – Paris/province, métropoles/territoires ruraux –, avec pour conséquence une rupture d’égalité pour l’étranger et un frein à la mobilité entre les territoires.
En outre, la diversité des conditions de travail selon les territoires est déjà prise en compte, au cas par cas, notamment par les services de la DIRECCTE, qui disposent des ressources et des compétences nécessaires pour apprécier les caractéristiques du bassin d’emploi.
Le présent amendement propose donc de ne prévoir qu’une modulation par décret de la condition de rémunération par secteur professionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. La commission a, en se prononçant sur cet amendement, répondu aux objections que vient d’émettre M. Chassaigne. Issu du département de l’Isère, je peux dire que les étrangers qui sortent de nos écoles d’ingénieurs à Grenoble entrent souvent dans des start-up sans beaucoup de moyens. D’où l’amendement déposé par Valérie Corre et adopté par notre commission. Mais, après en avoir discuté avec Valérie Corre et avec vous, monsieur le ministre, je crois qu’autant la modulation par décret des seuils de rémunération en fonction du domaine professionnel est parfaitement fondée car on peut en effet déterminer des différences objectives par voie réglementaire, autant une telle modulation selon les territoires pourrait s’analyser comme une rupture d’égalité difficilement justifiable. La commission a donc donné un avis favorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Valérie Corre, rapporteure pour avis. Cet amendement du Gouvernement revient sur la modification des modalités de détermination des seuils de rémunération pour prétendre à l’autorisation provisoire de séjour, modification prévue par un amendement adopté en commission des lois à l’initiative de notre commission. Nous étions partis de la constatation que les salaires d’embauche des jeunes à la sortie des études sont très différents selon les filières mais aussi selon les territoires. J’ai pris en commission un exemple un peu caricatural mais qui résume bien la situation : la rémunération n’est pas la même dans le secteur de la finance à Paris et dans la recherche publique universitaire en région. Prévoyant un seuil unique d’autorisation, la loi méconnaît cette inégalité de situation et dresse des obstacles importants à l’encontre des étudiants étrangers qui choisissent pourtant des filières utiles à notre pays telles que la recherche ou l’industrie. Nous avions donc proposé qu’un décret ajuste les seuils selon la branche professionnelle et les territoires. Je comprends toutefois l’objection du Gouvernement : il serait difficile d’introduire une différenciation territoriale. Mais je me demande, monsieur le ministre, s’il ne serait pas possible que le Gouvernement prenne l’engagement de mettre en place une fourchette de seuils selon les filières professionnelles, les services déconcentrés de l’État pouvant alors moduler les exigences en fonction des situations locales en termes d’emploi.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le décret va permettre une modulation selon les secteurs, ce qui est une très bonne chose au vu des objectifs que nous poursuivons ensemble, madame la rapporteure pour avis. Pour ce qui est des territoires, je propose un examen au cas par cas, pragmatique, qui permettra d’éviter les risques que j’ai évoqués.
(L’amendement no 402 rectifié est adopté.)
(L’article 5, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement no 81.
M. Yannick Moreau. Compte tenu des lacunes du dispositif d’intégration, qui vont être aggravées par le projet de loi, nous ne pouvons approuver en l’état la création d’une carte de séjour pluriannuelle qui, en réalité, sera quasiment automatique après la délivrance d’une première carte de séjour. Nous ne serions pas hostiles par principe à l’instauration d’une carte pluriannuelle, pour autant que le ressortissant étranger qui en bénéficierait respectât l’engagement d’intégration à la société française qu’un précédent amendement a proposé de créer et qui consisterait, pour l’étranger, à perfectionner sa formation linguistique si le besoin en était établi, à respecter les valeurs de la République et les valeurs essentielles de la société française, et à maintenir sa capacité à exercer une activité professionnelle ou, à défaut, son autonomie financière. Une carte de séjour pluriannuelle ne doit pas exonérer son bénéficiaire d’un effort constant d’intégration à notre pays, à sa culture, à sa langue, à ses valeurs fondamentales mais aussi au monde économique et professionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement, par cohérence avec le rejet de celui qui proposait qu’à son arrivée en France, l’étranger souscrive un engagement d’intégration en vue de maintenir sa capacité d’intégration, attestée préalablement à son arrivée. Nous sommes évidemment hostiles à cette idée qui reviendrait à faire de l’intégration un horizon perpétuellement inatteignable. L’étranger devrait quotidiennement faire la preuve de son intégration.
M. Dominique Tian. Et pourquoi pas ?
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.
M. Frédéric Reiss. J’ai cosigné cet amendement. La mise en place d’un titre de séjour pluriannuel n’est pas pour nous forcément une mauvaise mesure. Obliger toutes les personnes qui en détiennent un à retourner tous les ans à la préfecture n’est pas indispensable et engorge les services, de nombreux orateurs l’ont souligné. Tenter de régler ce problème est une des rares avancées de ce projet de loi. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est bien de le reconnaître !
M. Frédéric Reiss. Mais les conditions de délivrance devraient en être d’autant plus strictes. Or ce sera loin d’être le cas. C’est pourquoi cet amendement propose d’insérer l’alinéa suivant : « L’étranger bénéficiaire d’une carte de séjour pluriannuelle demeure tenu de respecter l’engagement d’intégration à la société française qu’il a souscrit en application de l’article L. 311-9. La carte lui est retirée si cet engagement n’est pas respecté. »
(L’amendement no 81 n’est pas adopté.)
(L’article 6 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 36.
M. Sergio Coronado. Je trouverais tout à fait ironique, alors que les refus ou les retraits de visas court ou long séjour doivent être motivés, que ce ne soit pas le cas pour les décisions rendues pour un motif d’ordre public. L’amendement propose donc que la décision de refus ou de retrait pour un motif d’ordre public soit systématiquement motivée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. L’obligation de motivation du refus ou du retrait de la carte de séjour pluriannuelle est tout à fait opportune. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
(L’amendement no 36 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 37.
M. Sergio Coronado. Les articles L. 313-3 et L. 314-3 du CESEDA prévoient actuellement que la carte de séjour temporaire et la carte de résident peuvent être refusées en cas de menace pour l’ordre public. Les possibilités de retrait de ces cartes existent dans des cas plus limités. La disposition introduite en commission instaurerait une possibilité bien plus large de retrait en cas de menace à l’ordre public, ce qui aboutirait à une forte insécurité pour les étrangers, voire à un retour à la double peine. C’est pourquoi il est proposé de ne pas retirer les titres sur un simple motif d’ordre public.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. La possibilité évoquée par M. Coronado a en effet été prévue par la commission. En l’état du droit actuel, elle existe déjà pour la carte de séjour temporaire, mais elle n’était pas prévue dans le projet de loi initial pour la carte de séjour pluriannuelle, ce qui résultait d’un oubli et était paradoxal. Ainsi, l’administration, informée de la menace pour l’ordre public que pourrait représenter la présence d’un étranger titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle, n’aurait pu invoquer ladite menace qu’à l’occasion du renouvellement du titre ou de la délivrance de la carte de résident. Il importe évidemment, devant une telle situation, de permettre un retrait en cours de durée de la carte. Revenir sur cette disposition me paraît peu réaliste et peu compréhensible dans le contexte actuel en matière de sécurité publique. À défaut de retrait, l’avis serait défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Coronado ?…
M. Sergio Coronado. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 37 est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l’amendement no 318.
M. Erwann Binet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
(L’amendement no 318, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 38.
M. Sergio Coronado. L’ordre public étant une conception assez vague et les conséquences en étant extrêmement larges, puisque l’alinéa 5 permet le retrait du titre de séjour pluriannuel, il est proposé de le circonscrire aux cas de menaces graves à l’ordre public – comme l’évoque l’article 521-1 du même code.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Le qualificatif « grave » que vous proposez d’ajouter au mot « menace » me paraît une source de confusion, monsieur Coronado. Que serait en effet une menace pour l’ordre public qui ne serait pas grave ? Il est de surcroît bien préférable d’aligner la rédaction de cet alinéa sur celle actuellement en vigueur à l’article L. 313-3 du CESEDA, qui concerne la carte de séjour temporaire et prévoit que celle-ci peut être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Coronado, maintenez-vous cet amendement ?
M. Sergio Coronado. Oui, madame la présidente.
(L’amendement no 38, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 7, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 34, 212 et 273, tendant à supprimer l’article 8.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 34.
M. Sergio Coronado. L’article 8 prévoit d’instaurer un contrôle à tout moment des conditions de séjour, pouvant conduire au retrait du titre sur simple défaut de déferrement au contrôle. Cette mesure apparaît disproportionnée alors que la loi prévoit déjà le retrait du titre lorsque les conditions ne sont plus remplies. De plus, le projet de loi ne précise pas les modalités du contrôle opéré par l’administration : celui-ci sera-t-il aléatoire ou ciblé, et sur quels critères ? Je rappelle que dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme « craint que la mise en œuvre du nouveau texte n’ouvre la voie à des pratiques discriminatoires susceptibles d’être sanctionnées au regard des exigences des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme ». C’est pourquoi le groupe écologiste juge plus prudent de supprimer cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 212.
M. André Chassaigne. Je réitère, monsieur le ministre, le constat que j’ai déjà fait : ce sont de tout petits coups portés au droit en vigueur, mais qui en déplacent le curseur. Il s’agit ici d’une disposition disproportionnée et qui, au final, maintiendrait le ressortissant étranger dans l’inquiétude permanente de perdre son titre de séjour. Je signale un autre petit coup de curseur à l’article 25, dont nous demanderons également la suppression car il organise un droit de communication par le biais d’un accès généralisé des préfectures à toute sorte d’information et de fichiers dans le but de détecter d’éventuelles fraudes. La possibilité de contrôles continus ou impromptus, combinés à la généralisation de l’accès aux fichiers et des échanges d’information entraînant une immixtion disproportionnée de l’autorité administrative dans la vie privée des ressortissants est contraire au principe du respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CEDH.
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 273.
M. Denys Robiliard. Je m’inscrirai dans la lignée de ce qui vient d’être dit, me bornant à le compléter.
Le présent projet de loi a le mérite d’instituer une carte de séjour pluriannuelle, ce qui est un facteur d’intégration supplémentaire pour les étrangers en situation régulière – cela va bien évidemment dans le bon sens.
Que des étrangers titulaires d’une telle carte soient des fraudeurs, c’est loin d’être le cas général, mais cela peut arriver, et l’administration dispose d’ores et déjà de moyens permettant de sanctionner la fraude. Ces moyens, il est légitime qu’elle les utilise, mais je crois qu’il ne faudrait pas aller au-delà, car cela reviendrait à faire le contraire de ce que nous souhaitons faire – c’est-à-dire augmenter les capacités d’intégration –, en précarisant ce que l’on a voulu solidifier. Or cela risque d’être le cas si l’on donne à l’autorité administrative la possibilité de retirer une carte de séjour à tout moment, même en l’absence de fraude.
J’en donnerai un seul exemple. Aujourd’hui, avec une carte de séjour d’un an, il est difficile pour un étranger de contracter un emprunt, tout simplement parce que le banquier n’est pas certain, à juste titre, qu’il sera encore là pour le rembourser. Si la carte de séjour pluriannuelle est fragilisée – ce que tend malheureusement à faire l’article 8 –, il sera confronté aux mêmes difficultés pour emprunter. Or l’emprunt, c’est aussi l’engagement dans la société française, la possibilité d’y faire sa vie. Voilà pourquoi je souhaite la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Ces interrogations ont alimenté les travaux de la commission et relaient les inquiétudes de nombreuses associations et de plusieurs parlementaires de la majorité. Cependant, il me semble que nous avons fait œuvre utile en réécrivant en commission une partie de l’article 8, d’une part pour en ôter le caractère quelque peu soupçonneux, d’autre part pour y introduire une procédure contradictoire.
Il serait, je crois, irréaliste d’aller jusqu’à se passer de procédures de contrôle a posteriori des titres de séjours, en particulier des titres de séjour pluriannuel. Dès lors que ces procédures sont adaptées et proportionnées – car vous avez raison, monsieur Chassaigne, l’article 8 ne peut se lire qu’en regard de l’article 25, que nous avons lui aussi en partie réécrit en commission et dont nous débattrons ultérieurement –, elles sont légitimes, et elles sont même dans l’intérêt des ressortissants étrangers en situation régulière. Or, le projet de loi tendant à espacer les passages en préfecture, il ne me paraît pas anormal que l’on demande à l’étranger d’être en mesure de justifier qu’il continue à pouvoir bénéficier du titre de séjour qui lui a été accordé. Encore une fois, je pense sincèrement que la rédaction adoptée par la commission répond en grande partie aux inquiétudes exprimées.
La commission émet bien évidemment un avis défavorable sur les trois amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais profiter des interventions de MM. Coronado, Robiliard et Chassaigne pour clarifier la pensée du Gouvernement et indiquer les raisons des dispositions prévues par les articles 8 et 25.
D’abord, on ne peut pas séparer le contenu de ces articles de ce que nous proposons en matière de titre pluriannuel de séjour. La création d’un titre pluriannuel de séjour constitue un progrès considérable par rapport à l’état antérieur du droit. Désormais, dès lors qu’ils compteront un an de séjour en France, les étrangers qui ont le droit au séjour en France pourront bénéficier d’un titre pluriannuel de deux ou quatre ans, qui leur permettra, pendant la période restant à courir avant de pouvoir obtenir la carte de résident, de ne pas avoir à accomplir de multiples formalités en préfecture. Ce titre pluriannuel de séjour sera l’instrument d’un meilleur accueil de tous ceux qui relèvent du séjour en France, ainsi que d’un meilleur fonctionnement de l’administration ; il est aussi la manifestation de la volonté du Gouvernement d’instaurer un autre climat entre l’administration et l’étranger. Voilà pour l’esprit de la mesure phare du texte.
Cela étant, la confiance n’exclut pas le contrôle – et cela se vérifie pour tous les citoyens français, dans de multiples domaines. Ainsi, monsieur Chassaigne, je n’ai jamais entendu un membre de votre groupe considérer que le fait de procéder à des contrôles fiscaux signifierait qu’il y aurait suspicion généralisée de fraude fiscale. Par conséquent, le fait de prévoir les conditions d’un contrôle proportionné quand nous prenons des dispositions visant à instaurer les conditions de la confiance est aussi de nature à créer les conditions d’un équilibre. À partir du moment où ceux qui venaient en préfecture plusieurs fois par an n’auront plus à le faire, il paraît tout à fait normal que l’administration puisse, à un moment ou à un autre, demander à ceux qui bénéficient de cette mesure d’assurer l’administration que la fraude n’est pas à l’origine de leur séjour en France.
La France mène d’ailleurs une action très forte en matière de lutte contre la fraude documentaire, qui est un facteur important de l’immigration irrégulière, et j’en profite pour dire à l’opposition que la disposition prévue par l’article 8 est bien la démonstration que lorsque le Gouvernement prend une mesure visant à simplifier et à améliorer l’accueil en France de ceux qui ont vocation à l’être, il est également capable de créer des conditions de contrôle qui témoignent de sa volonté de ne pas céder à une espèce d’angélisme qui le conduirait à ne pas vérifier que les règles de droit sont bien appliquées. Et je précise qu’en préconisant une telle mesure, je ne nourris aucune suspicion envers ceux qui bénéficient du séjour en France ; j’estime simplement que lorsque des droits sont reconnus, il est normal que l’administration instaure des dispositifs de contrôle – c’est le cas pour tous les Français, dans de multiples domaines de leur vie.
J’en profite pour indiquer que le dispositif de communication aux préfets d’un certain nombre d’informations détenues par les administrations ne répond pas davantage à de la suspicion ou à une volonté de contrôle généralisé et intrusif. Il ne me paraît pas choquant que l’on vérifie que les enfants d’un étranger ayant droit au séjour en France sont bien scolarisés, vu que nous sommes dans un pays où l’école est obligatoire et que l’accès à l’éducation est une des conditions de l’épanouissement desdits enfants, et que nous faisons de même pour tous les enfants de la République qui ont la nationalité française. Je ne comprends pas ce raisonnement, sinon qu’il s’agit d’une espèce de réflexe qui revient toujours lorsque nous débattons de ces sujets ; c’est pourquoi j’insiste sur la nécessité, à l’occasion de l’examen de ce texte, de dépasser réflexes et postures pour engager une réflexion pleine de maturité.
Je ne doute pas une minute de la sincérité des députés Chassaigne et Robiliard, et c’est pourquoi j’ai pris le temps de répondre à leurs interrogations, mais, je le répète, il n’y a dans cette affaire aucune suspicion. Il s’agit simplement de mettre en place des dispositifs qui s’appliquent déjà à de multiples ressortissants de notre pays auxquels des droits ont été reconnus, et je pense que nous devons l’assumer, car cela me semble plutôt bon pour la République : c’est une forme de respect du droit et des étrangers qui bénéficient d’un droit au séjour en France.
Avis très défavorable sur les amendements, donc.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à dire que, si Guy Geoffroy défendra tout à l’heure l’amendement no 119, nous sommes d’accord avec la position du ministre. Les amendements que nous sommes en train d’examiner sont tout de même étonnants : ce dont il s’agit, ce n’est pas d’un simple refus de défèrement ; être dans une telle situation et ne pas répondre à une convocation ou s’exonérer de tout contrôle, alors que, par définition, l’on se devrait d’être irréprochable, c’est grave. Comme l’a indiqué le ministre, il est normal qu’il y ait suspension du titre de séjour.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué à cette occasion le problème de la fraude documentaire. Plusieurs rapports intéressants ont récemment été publiés sur le sujet ; ils semblent malheureusement prouver que l’acquisition du NIR, le numéro d’inscription au répertoire qui permet d’accéder au système de sécurité sociale de notre pays, est extrêmement dévoyée. Plusieurs études parlementaires et administratives montrent que ce système n’est pas assez sécurisé et que la fraude documentaire est devenue en quelque sorte une spécialité française, alors que d’autres pays européens ont à peu près résolu le problème ; ainsi la Belgique, où la carte de sécurité sociale est tellement sécurisée qu’elle a valeur de pièce d’identité, ce qui n’est malheureusement pas le cas de notre carte Vitale : la Cour des comptes a indiqué qu’il y en avait plusieurs millions en trop !
En matière de fraude documentaire, il reste donc énormément de travail à accomplir, et le Gouvernement fait bien d’indiquer qu’il va s’y attaquer.
(Les amendements identiques nos 34, 212 et 273 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 274.
M. Denys Robiliard. Il s’agit d’un amendement de repli.
Compte tenu de la gravité de l’acte qui consiste à retirer une carte de séjour pluriannuelle, je souhaiterais qu’une procédure particulière soit employée et que la commission du titre de séjour soit préalablement saisie. Ce serait l’assurance du caractère contradictoire renforcé de la procédure.
M. le rapporteur a dit tout à l’heure tout le bien qu’il pensait de cette commission ; en pareil cas, l’intervention de celle-ci serait tout particulièrement indiquée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Les difficultés pratiques rencontrées par les préfectures pour l’organisation des commissions du titre de séjour, et en particulier la dimension très chronophage de la préparation de ces commissions, conduisent à une embolie des commissions et à des délais d’attente très importants pour l’usager. La saisine obligatoire de la commission ajouterait une lourdeur supplémentaire, qui ne serait pas, je pense, dans l’intérêt des étrangers concernés.
De surcroît, le souci qui vous anime me semble avoir déjà reçu une réponse avec l’adoption en commission de l’amendement qui instaure le principe du contradictoire dans la procédure menée par le préfet. Cette nouvelle rédaction apporte, je crois, satisfaction à votre légitime préoccupation.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Peut-être ai-je trop axé mon argumentation sur le caractère contradictoire de la procédure. Ce qui importe, c’est que l’on mette en place une procédure qui permette à l’étranger dont on envisage de retirer la carte de venir s’expliquer. En outre, cela permettrait à l’administration de se prononcer après avis d’une commission présidée par un maire et comprenant deux personnes qualifiées : cela n’est pas rien !
Qu’une telle procédure soit chronophage, c’est bien possible, mais on ne peut pas à la fois estimer qu’il s’agit une excellente institution et affirmer que, compte tenu du temps que cela prend, il vaut mieux se priver de ses services,…
M. Erwann Binet, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Denys Robiliard. …alors que l’on s’apprête à prendre une décision lourde de conséquence pour l’étranger concerné – qui est pourtant en situation régulière et disposait d’une carte pluriannuelle. Ce serait au contraire l’occasion pour la commission d’intervenir préalablement.
(L’amendement no 274 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement no 82.
M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, nous ne sommes pas particulièrement zélateurs de la carte de séjour pluriannuelle, vous l’aurez compris, mais nous devons à l’honnêteté de dire que si le projet de loi, dans son ensemble, nous apparaît par trop déséquilibré, l’article 8 y apporte un début de remède. C’est pourquoi notre groupe était et reste favorable à l’esprit et à la lettre du texte initial de cet article, dont je regrette que la commission ait un peu amoindri la portée.
C’est pour cette raison que nous vous proposons, dans cet amendement no 82, de maintenir le petit équilibre trouvé par le Gouvernement à cet article 8 en revenant aux dispositions initiales du projet de loi, et en proposant bien humblement une amélioration tendant à préciser que l’étranger doit, de manière continue, respecter l’engagement d’intégration à la société française.
C’est l’objet de cet amendement qui permet de se rapprocher du texte initial du Gouvernement, en l’améliorant sans dégrader totalement le travail de la commission qui, à notre avis, prive cet article 8 de son équilibre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Nous sommes hostiles à l’idée qui reviendrait à placer l’étranger en situation instable de perpétuelle incertitude quant à l’effectivité de son intégration. C’est la raison pour laquelle la commission a procédé à cette modification de la rédaction de l’article 8 et de l’article 25, sur lequel nous reviendrons plus tard. Cet amendement a été repoussé, en toute logique, par la commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout l’équilibre de ce que nous faisons repose sur l’idée que la confiance justifie le contrôle, et que l’intégration est possible. Mais dès lors que l’intégration a eu lieu, soumettre celui qui s’est intégré à un contrôle permanent, c’est passer de la confiance et du contrôle à la suspicion. Pour cette raison, je ne suis pas favorable à cet amendement. Je suis favorable à ce qu’un dispositif de contrôle garantisse l’effectivité du processus d’intégration. Mais, dès lors que l’intégration s’est opérée, je ne suis pas favorable à la multiplication des contrôles qui pourraient donner le sentiment qu’après l’intégration, la suspicion demeure.
C’est la raison pour laquelle je ne souscris pas à cet amendement. Je pense que l’équilibre auquel nous arrivons avec le dispositif préconisé par le Gouvernement est assez pertinent, et il faut surtout veiller à ne pas le rompre en ajoutant des dispositions à d’autres dispositions.
Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur Geoffroy, en fait, vous revenez systématiquement sur ce que l’on appelle l’engagement d’intégration. Si j’en crois vos propos, vous devez considérer qu’un Français qui est à l’étranger avec une carte de séjour pluriannuelle doit respecter les mêmes obligations. Il n’y a pas de raisons que l’on impose à des étrangers chez nous ce que l’on n’imposerait pas à des Français à l’étranger.
Je discutais la semaine dernière avec un jeune technicien de la manufacture Michelin de Clermont-Ferrand, qui a passé deux ans au Japon, puis trois ans au Brésil – d’ailleurs dans des conditions assez difficiles, marquées par une forme d’isolement de l’ensemble des salariés français qui étaient à proximité de cette manufacture. Actuellement, il est aux États-Unis.
En anticipation de vos propos, je lui ai demandé :
–
« As-tu appris le japonais ? »
–
« Non » a-t-il répondu.
–
« Tu es quand même resté deux ans au Japon sans parler le japonais ! »
J’ai ensuite ajouté :
–
« Quand tu étais au Brésil, tu as dû apprendre le portugais ? »
–
« Oui, j’ai commencé à apprendre le portugais, mais je ne le connais pas parfaitement » m’a-t-il dit.
Il est maintenant aux États-Unis, je pense qu’il pourra s’exprimer en anglais. Mais il n’a pas répondu aux objectifs d’intégration. C’est très embêtant pour le développement économique de notre pays, notamment celui de la manufacture Michelin un peu partout dans le monde !
Méfions-nous de ne pas être capable d’exiger des nôtres ce que nous imposons aux autres. En définitive : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » C’est ce que vous défendez. Vous voulez exiger d’étrangers en séjour chez nous ce que l’on ne pourra pas exiger des Français qui vont travailler à l’étranger.
M. Erwann Binet, rapporteur. Parfaitement juste !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, j’adhérerais totalement à vos propos si vous aviez décidé de revenir, par amendement, sur le texte de la commission. Si la commission n’avait pas modifié votre rédaction initiale de l’article 8, nous n’aurions probablement pas proposé l’amendement dont nous sommes en train de débattre.
Je suis surpris que vous n’ayez pas à l’esprit de revenir à votre texte initial, parce que je persiste à penser que l’amendement voté en commission, qui est le texte débattu dans l’hémicycle, a amoindri la portée du petit point d’équilibre que le Gouvernement avait trouvé sur la carte pluriannuelle.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends bien votre interrogation, mais je vais vous expliquer pourquoi je n’ai pas demandé à revenir au texte du Gouvernement. Je n’ai pas à ce point d’amour-propre d’auteur et de psychorigidité pour croire à tout prix que le texte initial du Gouvernement soit meilleur que celui qui peut sortir du Parlement.
M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas la question !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En l’occurrence, un remarquable travail a eu lieu en commission. Le texte du Gouvernement avait une inspiration juste – sinon il ne l’aurait pas proposé – mais il y avait des interrogations et des suspicions. Le dialogue avec la commission a permis d’aboutir à une rédaction qui laisse l’intention gouvernementale intacte tout en la précisant au regard notamment de la préoccupation de la proportionnalité, et sans rien enlever à la disposition, il la rend plus intelligible.
Je ne demande donc pas à ce que l’on revienne à la disposition initiale. La position gouvernementale ne perd en aucun cas de sa force, et elle a été précisée par le travail réalisé en commission.
(L’amendement no 82 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 266.
M. Denys Robiliard. Parmi les causes rendant possible le retrait d’une carte pluriannuelle, l’article 8 prévoit l’obstacle aux contrôles ou le fait de ne pas déférer aux convocations. Le retrait d’un titre de séjour est une mesure très lourde de conséquences, et il me semble disproportionné d’en faire la sanction d’un obstacle aux contrôles – notion sur laquelle je souhaiterais avoir des explications – et encore plus du fait de ne pas déférer aux convocations.
On peut ne pas déférer à des convocations pour de très bonnes causes. Si l’on est hospitalisé et que la préfecture ne le sait pas, les convocations arrivent sans que l’on y réponde. On peut également être à l’étranger – on a le droit d’y être tout en ayant un titre de séjour en France – et ne pas déférer aux convocations, tout simplement parce que l’on n’en a pas connaissance en temps utile.
Quant à l’obstacle aux contrôles, à la lecture de l’article 25, on se demande comment l’étranger pourra faire obstacle aux contrôles qui sont envisagés, puisque l’administration pourra se faire remettre, sur simple demande, quantité d’informations sur toutes les traces de vie d’un étranger en France.
Si l’obstacle aux contrôles consiste à ne pas remettre certaines pièces qui sont demandées – justificatifs, bulletins de paye et autres – cela peut aussi relever des mêmes difficultés matérielles que celles que j’ai citées précédemment pour expliquer le fait de ne pas déférer aux convocations. Il me semble donc inapproprié de sanctionner, comme c’est envisagé par l’article 8, un simple manquement à une convocation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Même remarque que précédemment, il me semble important qu’un comportement clairement dilatoire ou non-coopératif de la part du ressortissant étranger qui ne viendrait jamais aux rendez-vous puisse donner lieu au retrait de la carte ou au refus de son renouvellement. L’alinéa mentionne d’ailleurs les convocations au pluriel, une seule absence ne donnerait pas lieu à un retrait.
La procédure contradictoire que nous avons introduite permettra d’ailleurs à l’étranger de faire valoir les motifs légitimes qui auraient pu l’empêcher de se rendre aux convocations. C’est d’ailleurs déjà la pratique appliquée dans nos préfectures, les visites que nous avons effectuées avec Marie-Anne Chapdelaine, notamment à Rennes et Lyon, nous ont permis de constater que les agents envoyaient en bonne et due forme des courriers recommandés avec accusé de réception au domicile des personnes étrangères, et ne se contentaient pas d’ailleurs d’une seule convocation.
Ce type de dispositions, dès lors qu’elles restent adaptées et proportionnées, me paraît légitime et dans l’intérêt des ressortissants étrangers en situation régulière. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Je ne peux pas cacher ma stupéfaction face à cet amendement. Si, comme je l’ai entendu dire par M. Robiliard, faire obstacle au contrôle est une banalité, je crois que nous ne vivons pas tout à fait sur la même planète.
Je voudrais également faire remarquer que dans le texte que j’ai sous les yeux – vous pourriez trouver surprenant que je m’en fasse le défenseur, mais il faut être honnête et pouvoir le faire – il est bien écrit : « Si l’étranger cesse de remplir l’une des conditions exigées pour la délivrance de la carte de séjour dont il est titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations – c’est ce que vous voulez supprimer – la carte de séjour peut lui être retirée […] » Ce n’est donc pas automatique. Je pense donc vraiment que votre amendement témoigne de quelque chose, dans l’état d’esprit de certains élus de la majorité, de très inquiétant qui renforce notre sentiment que ce texte est sans cesse sur le fil du rasoir et penche plutôt du mauvais côté, dont nous ne voulons pas.
(L’amendement no 266 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte, pour soutenir l’amendement no 251 rectifié.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Cet amendement tend à rendre impossible la suppression ou la remise en cause de la carte de séjour dans les cas de dépassement du plafond des heures de travail autorisées, pour deux raisons.
D’une part, il me semble qu’il y a disproportion entre le fait de retirer la carte de séjour et le dépassement du nombre d’heures de travail autorisées. On le sait, cela arrive à de nombreux salariés pour de multiples raisons dans la vie du monde du travail de nos jours.
Par ailleurs, il me semble que la responsabilité du respect du plafond des heures de travail autorisées doit davantage relever de l’employeur que du salarié.
Pour ces deux raisons, cet amendement tend à préciser l’article 8 par une disposition expliquant bien que le droit de séjour corrélatif ne peut pas être supprimé ou remis en cause en cas de dépassement du plafond des heures de travail autorisées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Je voudrais bien comprendre l’intention de Mme Carrey-Conte.
M. Jean-Paul Bacquet. Pas seulement l’intention !
M. Erwann Binet, rapporteur. Votre souhait est d’empêcher le retrait d’un titre de séjour autorisant l’étranger non étudiant à travailler si jamais il dépassait le quota d’heures fixé. Mais dans ce cas, aucun quota d’heures n’est fixé.
L’étudiant, effectivement, a un plafond. C’est normal : s’il est en France, c’est pour étudier avant tout. Il y a donc une limitation à 60 % du nombre d’heures travaillées. Et vous avez raison sur ce point, nous en avons discuté en commission et nous y reviendrons sans doute ici, la limitation des heures est une question. Nous l’avons tranchée en commission, nous le ferons ici. Mais pour le salarié classique, il n’y a pas de limitation d’heures. Donc votre amendement n’a pas d’objet. Avis défavorable, évidemment, si vous ne décidiez pas de le retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.
Mme Fanélie Carrey-Conte. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 251 rectifié est retiré.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 33.
M. Sergio Coronado. Je ne voudrais pas insister, j’ai l’impression que nous avons eu ce débat assez longuement suite aux amendements présentés par mon collègue Robiliard. Il est simplement proposé par cet amendement que le retrait d’un titre se fasse par la commission départementale du titre de séjour, qui est actuellement saisie en cas de renouvellement ou de refus d’un titre.
Je crois en effet que le retrait doit, a minima, s’accompagner des mêmes garanties que le refus de renouvellement. Nous avons vu au cours des échanges avec l’opposition que le ministre le rapporteur, et certains de nos collègues, comme Mme Bechtel, ont défendu la qualité du travail effectué par cette commission. Il serait donc tout à fait souhaitable qu’elle puisse être chargée également de la décision de retrait.
M. Jean-Paul Bacquet. Je n’ai rien compris !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Même avis défavorable que sur l’amendement de M. Robiliard, qui portait sur le même objet.
(L’amendement no 33, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 8 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement no 121.
Mme Isabelle Attard. Cet article vise à permettre aux étudiants non communautaires d’exercer une activité d’auto-entrepreneur, ce qu’ils ne peuvent pas faire selon le droit actuel. L’état du droit leur permet d’effectuer une activité professionnelle salariée, dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle, mais pas une activité d’auto-entrepreneur à titre complémentaire.
M. Jean-Paul Bacquet. Ils ont voté contre le statut d’auto-entrepreneur, et ils veulent maintenant l’étendre !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. J’ai un peu dévoilé par anticipation l’avis que la commission allait donner. Un étudiant étranger qui vient en France n’est pas là pour exercer une activité d’auto-entrepreneur.
Il faut être logique ! Si cet amendement devait prospérer, il ouvrirait une porte à des détournements de titres autorisant des étrangers à venir étudier en France – on en compte 58 000 et c’est le deuxième type de titre le plus important, en volume, après les titres de séjour pour des raisons familiales. Évidemment, il ne faut pas laisser la porte ouverte à de tels détournements ! C’est pourquoi l’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. Madame Attard, maintenez-vous votre amendement ?
Mme Isabelle Attard. Oui, madame la présidente.
(L’amendement no 121 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 132.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à supprimer l’octroi de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT », donnant droit à l’exercice d’une activité professionnelle, pour les membres de la famille du stagiaire.
Là encore, nous poursuivons l’objectif de restreindre les possibilités de regroupement familial. En l’occurrence, le caractère automatique de l’octroi de cette carte de séjour me paraît aller à l’encontre de l’objectif opportun de plus grande fermeté en la matière.
M. Guy Geoffroy. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Le séjour des membres de la famille du stagiaire ICT est prévu par la directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe. Celle-ci dispose : « Pour préserver l’unité familiale, les membres de la famille devraient pouvoir rejoindre la personne faisant l’objet d’un transfert temporaire intragroupe dans un autre État membre. »
Au demeurant, l’octroi d’une carte de séjour temporaire aux membres de la famille du stagiaire ICT est encadré par l’alinéa 3, que vous souhaitez supprimer. Celui-ci dispose que la carte est octroyée « au conjoint de l’étranger […] ainsi qu’à ses enfants entrés mineurs en France, dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou lorsqu’ils entrent dans les prévisions de l’article L. 311-3, sous réserve du respect de la condition prévue à l’article L. 313-2 ». Cette dernière condition consiste en la production d’un visa long séjour. L’alinéa 3 précise par ailleurs que « la durée de cette carte est égale à la période de validité restant à courir de la carte de séjour de leur conjoint ou parent ».
L’amendement a été repoussé par la commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Ciotti, cet amendement pose un problème comparable à celui que posent ou ont posé d’autres amendements déposés par votre groupe, sur ce texte comme sur d’autres – nous en avions déjà parlé lors de la discussion du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
Si nous acceptions cet amendement, nous serions en contradiction totale avec la directive européenne de mai 2014 qui définit très précisément, dans son article 19, les termes auxquels la France doit se conformer. Ces termes sont l’exact contraire de ce que propose votre amendement. Je le répète, si nous acceptions votre amendement, nous nous trouverions dans l’impossibilité d’appliquer la directive européenne qui s’impose à nous. Pour cette raison, votre amendement n’est pas recevable.
De nombreux amendements présentés par votre groupe sont des amendements d’appel politique. Je le comprends parfaitement, eu égard à vos positions, mais ils posent des problèmes de constitutionnalité, de conventionnalité ou de conformité aux directives européennes. Pour cette raison, nous ne pouvons les accepter.
M. Éric Ciotti. Ce sont des amendements de volontarisme politique !
(L’amendement no 132 n’est pas adopté.)
(L’article 8 bis est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 254.
M. Denys Robiliard. Je défendrai en même temps l’amendement no 255, qui vise les mêmes fins que l’amendement no 254.
L’article 9 reprend la distinction que l’on fait aujourd’hui entre la carte de séjour portant la mention « salarié » et celle portant la mention « salarié temporaire », qui deviendra demain « travailleur temporaire ». Ces deux cartes renvoient à des régimes différents en termes de droits à l’assurance chômage, définis à l’article R. 5221-48 du code du travail.
Je propose que les titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée d’une durée supérieure ou égale à un an bénéficient du régime des salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée. Sinon, en cas de maintien des dispositions réglementaires actuelles, les salariés temporaires travaillant depuis au moins un an ne bénéficieraient pas du droit à l’assurance chômage, ce qui est tout de même assez choquant ! Voilà les raisons des amendements nos 254 et 255.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. En réponse aux amendements de M. Robiliard, je veux rappeler très précisément l’état du droit actuel et les dispositions contenues dans le présent projet de loi.
L’actuel article L. 313-10 du CESEDA opère une distinction entre les cartes de salariés, selon que le contrat soit à durée indéterminée ou déterminée.
S’agissant d’un contrat de travail d’une durée supérieure ou égale à douze mois, la carte de séjour porte la mention « salarié », qu’il s’agisse d’un CDD ou d’un CDI. Dans le cas d’un contrat de travail d’une durée inférieure à douze mois, la carte de séjour porte la mention « travailleur temporaire » – il s’agit toujours, évidemment, d’un CDD. Dans le premier cas, si la rupture du contrat de travail intervient, du fait de l’employeur, trois mois avant le renouvellement de la carte, une nouvelle carte est délivrée à l’étranger pour une durée d’un an. En revanche, si la rupture intervient plus de trois mois avant cette date, la carte n’est pas renouvelée. Dans le second cas, celui des contrats de travail inférieurs à un an – des CDD, systématiquement –, le renouvellement de la carte n’est pas prévu.
Le projet de loi retient une distinction différente, qui semble plus logique à votre rapporteur et à la commission.
S’agissant d’un CDI, la carte de séjour porte la mention « salarié ». Elle est prolongée d’un an, puis jusqu’à épuisement des droits à l’assurance chômage, si l’étranger se trouve involontairement privé d’emploi, quel que soit le moment où intervient la rupture. Pour le titulaire du CDI, cette disposition est plus favorable que le droit actuel.
S’agissant d’un CDD, la carte de séjour porte la mention « travailleur temporaire », que la durée du contrat de travail soit supérieure ou inférieure à un an. Il s’agit, par nature, d’un contrat à échéance limitée : le renouvellement de la carte de séjour ne peut donc intervenir que pour s’aligner sur la fin du CDD. Aucun renouvellement n’est prévu en cas de perte involontaire d’emploi, même si la durée du CDD est supérieure à un an.
Sur ce point, le projet de loi n’est, globalement, pas moins favorable que le droit actuel : il place simplement le curseur à un endroit différent, en distinguant non plus entre contrat d’une durée supérieure ou inférieure à un an, mais entre contrat à durée déterminée et contrat à durée indéterminée. Cela peut nous paraître, à tous et à toutes, plus pertinent et plus clair. Le CDD, même supérieur à un an, a de toute façon une durée de vie brève, tandis qu’une personne en CDI a de toute évidence des perspectives de maintien sur le territoire français qui justifient, dans son cas, les possibilités particulières de prolongation et de renouvellement de son titre de séjour. C’est pour cette raison que la commission a repoussé les deux amendements de M. Robiliard.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.
M. Denys Robiliard. Je vois mal comment on peut qualifier cette mesure de progrès pour les droits des salariés étrangers titulaires d’un CDD de plus d’un an ! En effet, cette simplification opérée pour des raisons de logique, que je comprends, se traduit par un amoindrissement des droits pour les salariés en CDD, y compris d’une durée d’un an, au moment même où les embauches ne se font plus en CDI, qui est le contrat de droit commun, mais en CDD, de façon quasi systématique.
Dans le même temps, le projet de loi de M. Rebsamen relatif au dialogue social augmente les possibilités de renouveler le CDD : on passe d’un renouvellement unique à deux renouvellements, pour la même durée de dix-huit mois.
Alors même que les employeurs ont davantage recours au CDD, on diminue les droits des salariés étrangers titulaires de ce type de contrat. Cette mesure mérite véritablement d’être amendée. C’est la raison pour laquelle je maintiens mon amendement.
(L’amendement no 254 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement no 83.
M. Lionel Tardy. Si l’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’un travail en CDI perd son emploi, il faut prévoir qu’il puisse se maintenir sur le territoire pendant le temps correspondant à ses droits au chômage, et non, comme le prévoit le projet de loi, que son titre soit de toute façon renouvelé une première fois, puis le temps de ses droits au chômage restants.
M. Guy Geoffroy. C’est un amendement plein de sagesse !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. C’est le principe de la double peine appliquée à l’étranger : il perd son emploi, il est licencié – en général, ce n’est pas de sa faute –, et en plus, vous lui refusez le renouvellement d’un an de son titre de séjour alors qu’il était titulaire d’un CDI.
Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas possible !
M. Erwann Binet, rapporteur. La commission a évidemment donné un avis défavorable à cet amendement.
(L’amendement no 83, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente. M. Robiliard a déjà soutenu l’amendement no 255.
M. Denys Robiliard. Tout à fait, madame la présidente.
(L’amendement no 255, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement no 84.
M. Lionel Tardy. Il n’est pas opportun de prévoir que les titulaires de CDD pourront renouveler leur titre de séjour temporaire « pour une durée identique à celle du contrat de travail », c’est-à-dire pour une durée éventuellement supérieure à un an, alors même que les titulaires d’un CDI doivent procéder à un renouvellement annuel.
(L’amendement no 84, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Erwann Binet, pour soutenir l’amendement no 342.
M. Erwann Binet, rapporteur. Il est rédactionnel.
(L’amendement no 342, accepté par le Gouvernement, est adopté et les amendements nos 113, 125, 126 et 421 tombent.)
(L’article 9, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 10.
La parole est à M. Jean-Louis Touraine.
M. Jean-Louis Touraine. Cet article refonde le dispositif applicable aux étrangers malades. Il précise les modalités d’accueil et d’accompagnement de ces étrangers afin d’apporter un bénéfice sanitaire à ceux dont l’état de santé le requiert tout en veillant à limiter certains recours abusifs organisés par d’authentiques réseaux mercantiles.
Aider les malades efficacement, c’est évidemment d’abord identifier le plus tôt possible, et de façon précise, leur état sanitaire. De ce fait, je suis tout à fait favorable à ce qu’ils soient confiés à l’analyse précise des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, lesquels respectent la déontologie médicale et les valeurs du serment d’Hippocrate tout en disposant d’une connaissance des systèmes sanitaires des pays d’origine.
Si une personne est aiguillée vers un établissement de santé dans son pays, il importe que nous ayons l’assurance que la prise en charge sera satisfaisante, donc qu’un contact aura été pris. Pour ceux qui restent en France le temps de leurs soins, il faut également contacter les structures des pays correspondants car, pour la plupart des maladies importantes d’aujourd’hui, le traitement et le suivi doivent être de longue durée, éventuellement poursuivis après un possible retour au pays. Enfin, pour ceux qui doivent avoir des soins permanents et prolongés en France, il est nécessaire de s’occuper des conséquences sur la famille du malade : comment l’héberger sans la précariser ni l’inciter à vivre définitivement dans la pauvreté en France ?
Pour diverses pathologies, la meilleure solution réside dans le transfert des technologies, qui permet une prise en charge efficace des malades dans leur pays. Ainsi, pour l’insuffisance rénale chronique, plutôt que de prendre en charge les malades en France, il est préférable pour tous que des structures de dialyse et des centres de transplantation rénale se développent dans les autres pays, avec l’aide de médecins français effectuant des missions ponctuelles.
Le défi auquel nous sommes confrontés est en définitive celui du maintien d’un haut niveau humanitaire tout en évitant le détournement de moyens utilisés dans des conditions qui ne sauraient apporter de solutions satisfaisantes et durables.
C’est pourquoi l’implication des médecins de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, loin de devoir générer des craintes peut au contraire représenter le moyen d’offrir une évaluation plus complète des possibilités couplées de soins en France et dans le pays d’origine.
Mme la présidente. Merci de conclure.
M. Jean-Louis Touraine. L’objectif du dispositif applicable aux étrangers malades est en effet d’apporter l’aide sanitaire souhaitable aux malades vulnérables et non pas de servir de prétexte à une immigration qui serait en réalité motivée par d’autres raisons. Un objectif secondaire est le maintien du rayonnement français et de la réputation d’excellence de notre système de santé qui attire, rappelons-le, des malades étrangers qui paient ou sont pris en charge par leur pays, à côté de malades traités par la France dans un souci de santé publique et d’aide humanitaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Nous pensons, au sein du groupe Les Républicains, que le système actuel est plutôt équilibré et qu’il faut manier ces sujets avec beaucoup de précaution. Nous aurons l’occasion de discuter de l’aide médicale d’État qui est un scandale – dont le montant avoisine bientôt 1 milliard d’euros. Nous aurons aussi l’occasion de parler de la dette des pays étrangers vis-à-vis des hôpitaux publics français.
Actuellement, l’étranger doit démontrer que les soins dont il a besoin sont complètement absents dans son pays d’origine. Avec le texte du projet de loi, il devra démontrer que le système de santé de son pays d’origine n’est pas en capacité de lui fournir les soins dont il a besoin. On ne voit donc pas très bien l’intérêt de modifier le texte actuel qui était arrivé à un équilibre, certes compliqué, mais à peu près satisfaisant.
M. Guy Geoffroy. Très bien.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 87 tendant à supprimer l’article 10.
M. Guillaume Larrivé. L’article 10 pose une question très délicate. Il nous rappelle que les questions d’immigration ne sont pas qu’affaire de chiffres, de statistiques, de considérations économiques, mais qu’elles sont d’abord affaire humaine.
M. Olivier Falorni. Ah !
M. Guillaume Larrivé. Comme l’a excellemment rappelé Dominique Tian, le texte de la loi actuelle, tel qu’issu d’une rédaction de 2011, est assez satisfaisant. Le texte antérieur avait donné lieu à un certain nombre de dérives. Entre 2001 et 2007, le nombre de titres de séjour délivrés chaque année avait doublé passant de 3 000 environ à 7 500 en raison d’un certain nombre de détournements. Depuis, il a été stabilisé à un niveau d’environ 5 000 titres chaque année.
La rédaction arrêtée en 2011, que vous jugez exagérément restrictive, permettait de concilier des nécessités à la fois humanitaires et de régulation de l’immigration. Il nous paraît tout à fait légitime que l’étranger résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, puisse bénéficier, sauf circonstances exceptionnelles, du titre prévu par la loi actuelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. L’article 10 apporte deux modifications essentielles extrêmement importantes qui ont fait l’objet de remarques, de critiques, d’inquiétudes, de rapports depuis un certain nombre d’années.
La première modification porte sur la nécessaire harmonisation des avis des médecins des agences régionales de santé sur notre territoire. Or aujourd’hui, il n’y a pas de doctrine uniforme d’un point à un autre du territoire quant aux avis émis par les médecins des agences régionales de santé dans le cadre des dossiers d’étrangers malades.
La seconde modification porte sur l’encadrement législatif actuel lequel n’est pas satisfaisant dans la mesure où il prévoit que l’étranger malade doit être pris en charge sous réserve de l’absence d’un traitement dans son pays d’origine. Or un traitement peut être présent dans le pays d’origine, mais inaccessible pour l’immense majorité de la population, en particulier l’étranger concerné. Nous avons veillé à remédier à cet état de fait.
Pour ces raisons, la commission a évidemment, en toute logique, émis un avis défavorable à l’amendement de suppression de l’article.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avis également défavorable.
J’en profite pour faire le point sur ces sujets éminemment délicats qui méritent que l’on s’attarde sur les motivations de cet article et que l’on rappelle ce qui a été fait depuis 2011.
La France délivre chaque année 6 000 nouveaux titres de séjour pour les étrangers malades. Contrairement à ce qu’il m’arrive d’entendre ou de lire, la délivrance de ces titres est en augmentation en 2014 avec une hausse de près de 15 %, soit 6 800 titres délivrés, ce qui constitue le plus haut niveau jamais atteint. Il est donc faux de prétendre qu’il y a un désengagement de la France à l’égard des étrangers malades.
Le droit au séjour des étrangers n’est nullement fragilisé par une politique gouvernementale qui serait hostile aux étrangers malades. Cela ne correspond pas à la réalité ni à ce que disent les chiffres : je tiens à le préciser devant la représentation nationale.
Le Gouvernement souhaite que le droit au séjour des étrangers malades soit consolidé et que le projet de loi réponde aux lacunes de nos dispositifs. Quelles sont-elles ? Un rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale de l’administration a permis de les identifier très précisément.
La première difficulté est inscrite dans la définition légale du droit au séjour des étrangers malades qui résulte de la loi du 16 juin 2011. Celle-ci a prévu que la carte de séjour ne soit délivrée que pour autant que les soins soient totalement absents du pays d’origine. Or, et je réponds là à M. Larrivé, il peut advenir que ces soins soient présents au pays d’origine, mais non accessibles en raison par exemple de leur coût. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Dominique Tian. C’est bien là le problème !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’étranger renvoyé vers ces pays ne pourra pas s’y faire soigner…
M. Dominique Tian. Et alors ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et en subira toutes les conséquences. Le Gouvernement d’alors était d’ailleurs si peu persuadé de l’utilité de son dispositif qu’il a immédiatement invité, par voie de circulaire, en 2011, les agences régionales de santé à ne pas se conformer à la loi et à donner des avis favorables à la délivrance d’un titre de séjour dès lors que le traitement n’était pas accessible dans le pays d’origine.
Lorsqu’une circulaire contredit la loi, c’est que cette dernière a été mal conçue. Nous nous proposons donc de revenir sur ce point.
La deuxième difficulté porte sur l’hétérogénéité des avis des agences régionales de santé, le rapporteur l’a rappelé à l’instant : il n’y a pas de doctrine unifiée sur le droit au séjour des étrangers malades.
M. Jean-Paul Bacquet. C’est le résultat de l’incompétence des médecins de l’ARS.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans certains départements, le taux d’accord des ARS pour la délivrance du titre de séjour est de 100 %. Dans d’autres, il est de 30 %. On ne peut tolérer de telles iniquités sur le territoire de la République.
Conformément aux préconisations de la mission « inspection », le Gouvernement propose de confier les avis médicaux à l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui exerce de longue date un contrôle de l’état de santé des migrants qui arrivent en France. Les médecins de l’OFII agiront sous le contrôle exclusif du ministère de la santé et rendront un avis après une expertise collégiale. C’est ainsi que nous bâtirons, sous le contrôle du juge, une pratique harmonisée pour la délivrance des titres de séjour.
Enfin, la dernière difficulté, c’est que les étrangers malades n’ont pas accès à un titre de séjour pérenne. Or souvent, leur pathologie nécessite des soins au long cours. C’est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit un accès des étrangers malades à la carte de séjour pluriannuelle.
Votre commission a en outre prévu que la carte de résident serait désormais délivrée de plein droit dès lors que les conditions en sont remplies. Ces dispositions bénéficieront aux étrangers malades et permettront d’esquisser pour ces étrangers fragiles et vulnérables un meilleur parcours d’intégration en France.
M. Erwann Binet, rapporteur. Très bien.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tel est l’esprit de la loi. C’est la raison pour laquelle je ne peux souscrire à l’amendement qui vient d’être présenté.
Mme Cécile Untermaier. Très bien.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.
M. Dominique Tian. Je constate, monsieur le ministre, un changement radical de doctrine dont vous mesurerez, hélas, les effets catastrophiques en matière de finances publiques.
Jusqu’à présent, dès lors que les soins existaient dans un pays, on n’accueillait pas un étranger malade en France. Désormais, il faut également que les soins soient accessibles. Vous avez, monsieur le ministre, prononcé la phrase qu’il ne fallait surtout pas prononcer : « il faut accueillir l’étranger malade si les soins sont inaccessibles dans le pays d’origine en raison de leurs coûts ! »
On dira aux personnes qui n’auront pas accès aux soins dans leur pays d’origine d’aller se faire soigner en France.
Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas ainsi que cela se passe.
M. Dominique Tian. Et cela sera recevable. Vous allez créer un appel d’air tout à fait considérable en contribuant à réactiver l’ensemble des filières.
Vous allez accueillir les étrangers malades parce que les soins, tout en étant accessibles dans leur pays d’origine, y sont trop chers. Les pays qui ne pourront pas assumer un certain nombre de soins, en raison de leur coût, encourageront les malades qui ne peuvent y faire face, à aller se faire soigner gratuitement en France.
Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas ça !
M. Dominique Tian. Les conséquences seront dramatiques, monsieur le ministre.
Mme Cécile Untermaier. Oui, si cela se passait ainsi, mais ce n’est pas le cas.
M. Dominique Tian. Mais si !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. En dépit de vos affirmations, vous allez élargir les conditions d’accès aux soins en modifiant le système dans un sens beaucoup plus favorable. La nécessité de soigner tous ceux qui en ont besoin reste un principe fondamental auquel nous sommes tous attachés. Ce principe étant posé, il est extrêmement différent d’élargir davantage les conditions d’accès aux soins pour les étrangers malades.
La démonstration de Dominique Tian est sans appel. Jusqu’à aujourd’hui, l’accès aux soins impliquait que les soins soient complètement absents dans le pays d’origine. Maintenant, vous introduisez la notion de soins accessibles, plus vaste, plus floue, plus large. Le nombre de personnes qui y auront recours sera plus important d’autant que vous venez de souligner qu’elles auront accès à la carte pluriannuelle. L’élargissement des conditions d’accès aux soins aura des effets non négligeables. On sait que les filières d’immigration liées à la santé sont très importantes aujourd’hui et de plus en plus nombreuses et qu’elles contribuent à nourrir ce commerce.
De plus, il ne faut pas sous-estimer les conséquences en termes de coûts de prise en charge. Au moment où nos systèmes de soins sont en difficulté, nul n’est besoin de le rappeler. Différents rapports mettent l’accent sur la dérive de l’AME. Il ne s’agit évidemment pas des mêmes personnes qui sont en situation de bénéficier de ce dispositif, mais il y aura des conséquences similaires du fait que vous élargissez les conditions d’accès. C’est toujours la même philosophie qui est à l’œuvre.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous, votre philosophie, à mesure que la discussion avance, on la comprend.
M. Éric Ciotti. J’en suis heureux.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et on s’en désole.
M. Éric Ciotti. Je m’en réjouis.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Soit nous introduisons dans le texte de loi des éléments non conventionnels, non constitutionnels, non conformes aux directives. Soit nous y introduisons des dispositifs qui ont déjà été mis en œuvre – je parle de vous – et qui n’ont pas été appliqués. Cette affaire est très emblématique, monsieur Tian.
En 2011, vous avez pris la disposition suivante : dès lors que les soins pouvaient être dispensés dans le pays d’origine, la personne retournait systématiquement chez elle.
M. Dominique Tian. Voilà.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Or quelques semaines après avoir pris cette disposition, le ministre de la santé de votre gouvernement adressait aux ARS une circulaire pour les inviter à ne pas l’appliquer.
Pourquoi ? Premièrement, parce qu’elle était très difficile à mettre en œuvre à partir de critères objectifs. Deuxièmement, parce qu’un certain nombre de personnes se trouvaient dans l’impossibilité d’accéder à ces soins.
Je souhaite donc que nous ayons des dispositifs totalement objectifs.
La rédaction proposée à l’article 10 du projet de loi n’est pas, comme je viens de le préciser, le décalque de celle qui figure dans la loi du 16 juin 2011. En effet, elle devra notamment, et c’est là l’important, conduire l’autorité sanitaire à vérifier si l’accès au traitement nécessaire est possible dans le pays d’origine. Il n’y a donc pas de désaccord entre nous sur ce point.
M. Dominique Tian. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il ne s’agira pas de se plonger dans la biographie du demandeur, ni de regarder si sa situation pécuniaire ou son origine géographique lui permettent d’avoir accès aux soins – ce serait une mission impossible pour les services –, mais de savoir si son État d’origine est effectivement en mesure de dispenser à ses ressortissants un traitement approprié à cette pathologie. Cela supposera d’examiner deux paramètres : premièrement, le traitement est-il possible dans le pays d’origine ? Deuxièmement, le système de soins de ce pays permet-il à ses ressortissants d’y accéder ?
M. Dominique Tian. C’est précisément le problème !
M. Éric Ciotti. C’est la question du coût !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Permettez-moi de terminer mon argumentation !
Ce sont des critères objectifs préconisés par l’IGAS. J’ajoute que la question n’est pas de savoir si le pays concerné dispose d’un système de soins comparables à celui qui existe en France, mais si un traitement approprié à la pathologie y est accessible, en général.
M. Éric Ciotti. Vous ne me répondez pas sur les coûts !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous aurons donc des dispositifs plus objectifs et des objectifs plus clairs.
M. Dominique Tian. Ce sera beaucoup plus aléatoire et déresponsabilisant !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous demandez en outre quel sera le coût de ce dispositif et s’il ne créera pas un appel d’air. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
La réponse vous intéresse-t-elle vraiment ? Vous aviez l’air tellement angoissés que je ne voudrais pas que vous repartiez avec cette angoisse et je souhaiterais pouvoir vous apporter une réponse complète. Je sens toutefois que votre angoisse est de composition. Ma sincérité, elle, ne l’est pas.
M. Dominique Tian. Ça, c’est sûr !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Y aura-t-il un effet d’appel d’air ?
M. Éric Ciotti. Énorme ! C’est une loi d’appel d’air !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’y en aura pas, car ce que nous inscrivons dans la loi ne change rien par rapport à l’état préalable. En effet, les dispositions que vous aviez inscrites dans la loi de 2011 étaient inapplicables et le ministre de la santé d’alors a demandé que l’administration ne les applique pas, de sorte que ces nouvelles dispositions, qui définissent des critères objectifs, ne changent rien dans les faits.
Nous serons donc exactement dans le même contexte que celui qui prévalait lorsque vous étiez en situation de responsabilité : il faudra m’expliquer pourquoi et comment vous en déduisez qu’il y aura un appel d’air ! Ce raisonnement ne tient pas une minute.
Nous ne changeons rien à l’état de fait et nous contentons d’inscrire dans le texte des dispositions conformes à ce qui est possible, des choses objectivables. C’est une bonne manière de faire la loi.
Quant au coût, étant donné que le dispositif ne change rien à la situation de fait, il n’y a pas de raisons de considérer qu’il y aura des coûts induits. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Éric Ciotti. Alors, il n’y a pas de problème !
M. Dominique Tian. Oh là là !
(L’amendement no 87 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, pour soutenir l’amendement no 341.
Mme Chaynesse Khirouni. Cet amendement est porté par Mme Sandrine Mazetier, qui préside notre séance.
La rédaction du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile définit de façon trop limitative le droit au titre temporaire sur le fondement de la vie privée pour les mineurs arrivés sur le territoire national avant l’âge de treize ans. Notre devoir de solidarité et de protection à l’égard des jeunes commande de leur proposer un titre temporaire dans des conditions élargies.
Le présent amendement propose d’étendre le bénéfice de ce dispositif à tous les mineurs entrés en France avant l’âge de treize ans qui y sont depuis lors demeurés, en supprimant la condition trop restrictive d’avoir résidé uniquement avec leurs propres parents.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Erwann Binet, rapporteur. Madame la présidente, nous avons déjà échangé sur ce sujet en commission. Votre amendement, dont je peux certes comprendre le sens, présente toutefois l’inconvénient d’encourager des comportements consistant à envoyer des enfants en France sans leurs parents, en vue d’une future régularisation. Ce sont là des comportements que l’on peut rencontrer dans certaines régions ultramarines et c’est ainsi que l’on voit se développer des stratégies migratoires consistant à envoyer des enfants traverser seuls des continents pour tenter de rejoindre une tante ou un cousin.
Dans l’intérêt même de l’enfant, l’adoption de cet amendement n’est pas souhaitable. Pour en avoir discuté avec les services et avec le Gouvernement, notre souci est surtout ici de dissuasion car, dans la pratique, les cas que vous évoquez sont systématiquement régularisés. Avis défavorable de la commission, donc.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni.
Mme Chaynesse Khirouni. Je retire cet amendement.
(L’amendement no 341 est retiré.)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly