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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 09 octobre 2014

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Simplification et développement du travail, de la formation et de l’emploi

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Gérard Cherpion et Christian Jacob visant à la simplification et au développement du travail, de la formation et de l’emploi (nos 2165, 2238).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, mes chers collègues, en Grande-Bretagne et en Allemagne, le temps partiel a permis de préserver l’emploi et de repartir de manière plus forte quand la croissance est revenue. Nous, en France, nous avons fait le choix d’un chômage très important et très bien indemnisé. C’est dans le dialogue avec ceux qui recherchent un emploi que l’on peut améliorer la situation. Cela s’appelle « réformer le marché du travail » – ce sont les mots du Premier ministre à Londres cette semaine. Qui a dit que les Français « ont conscience qu’il faut adapter notre système social, par ailleurs très protecteur, en renforçant les contrôles, en assouplissant les seuils, la législation sur les trente-cinq heures, en autorisant le travail le dimanche » ? C’est vous, monsieur le ministre.

« Je pense qu’il faut de l’intelligence collective et du rassemblement. Chacun a une part de responsabilité, la majorité comme l’opposition. La droite, la gauche, le centre, sont des notions qui existent, mais face aux problèmes des Français, ces notions sont un peu dépassées. » Tels sont les propos tenus par le Premier ministre le 29 septembre dernier.

Ces seules déclarations, prises parmi tant d’autres, montrent un gouvernement ouvert au dialogue et ouvert à l’opposition, notamment sur les sujets du travail et de l’emploi. Aussi l’opposition prend-elle ses responsabilités en proposant la présente proposition de loi que j’ai déposée avec Christian Jacob, le président de notre groupe, et quatre-vingt-dix de nos collègues. Il est maintenant de la responsabilité de la majorité de prouver sa part « d’intelligence collective et de rassemblement », pour reprendre les mots du Premier ministre.

Mme Annie Genevard. Très bien !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je tiens à aborder ce point dès maintenant : je regrette l’adoption prochaine de la motion de procédure…

M. Michel Issindou. C’est en effet probable !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. …qui empêchera un examen complet du texte présent.

Le travail, l’emploi et la formation ne sont-ils pas assez importants pour le groupe socialiste pour y consacrer quelques heures de son temps ? Je comprends que certaines mesures contenues dans ce texte soient difficiles à adopter pour la majorité. Les différences entre la droite et la gauche existent et nous devons les respecter, et nous respecter. Mais toutes ces mesures proposées méritent un débat. Celui que nous avons eu en commission, malgré sa richesse en lui-même, fut bien pauvre en résultats. Au lieu de proposer des amendements destinés à modifier les éléments qui ne conviendraient pas, la majorité a préféré chercher des excuses pour supprimer un à un les articles de cette loi. Nous nous avançons vers ce même résultat à l’occasion de l’examen en séance, et de façon encore plus abrupte et violente.

À l’UMP, nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle. Aujourd’hui, plus de 5 millions de personnes connaissent le drame du chômage ; la croissance est de 0,4 % seulement en 2014 ; l’apprentissage était en baisse de 8 % en 2013 et le sera autour de 14 % cette année. Ces seuls chiffres montrent qu’un sursaut est nécessaire. Vous venez, monsieur le ministre, d’être saisi par les compagnons du devoir qui, faute de crédits, vont être contraints de renoncer à la formation de 1 500 apprentis, dont on sait qu’ils seront tous, à l’issue de leur formation, employés comme salariés ou créateurs d’entreprise. Toutefois, ce sursaut ne peut être un simple déplacement des curseurs.

Nous devons repenser entièrement notre marché et notre législation du travail. Le code du travail est d’une trop grande complexité. Il contenait 600 articles en 1973, il en contient 12 000 aujourd’hui. N’en déplaise à notre collègue Gilbert Collard – que je ne vois pas sur ces bancs –, le code du travail n’est absolument pas lisible, sauf peut-être pour un avocat. Quel chef d’entreprise, quel salarié peuvent s’y retrouver ? Il est non seulement devenu un frein à l’emploi, mais aussi une source d’insécurité pour tous les acteurs, salariés comme entrepreneurs. Il faut donc le réformer fortement. Je propose ainsi de confier à une commission, composée de partenaires sociaux, de parlementaires, de juristes, d’économistes et de représentants de l’État d’élaborer un nouveau code pour une adoption rapide au Parlement. Cette solution est garante de dialogue social.

Tout comme la lettre de cadrage donnée par le Gouvernement aux partenaires sociaux, lors d’une négociation interprofessionnelle, je fixe un cadre à cette commission, par exemple le relèvement du premier seuil des entreprises à cent salariés, la mise en place d’un contrat de travail à droits progressifs ou encore l’instauration d’une instance unique de représentation des salariés. Ce cadre n’est pas figé. Si la commission considère, par exemple, qu’il serait bon de baisser le seuil de cent à soixante-quinze salariés, elle peut nous en faire la proposition. Ce sera ensuite au Parlement de prendre ses responsabilités en validant ou en invalidant, après consultation des partenaires sociaux, dans le respect de la loi Larcher, le texte proposé. Si certains députés considèrent ce cadre comme trop restrictif, rien ne les empêche de proposer des modifications par voie d’amendement. Tout comme le Premier ministre, je suis ouvert au dialogue entre majorité et opposition, au service des Françaises et des Français.

M. Michel Issindou. Que ne faut-il pas entendre !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. L’augmentation du seuil n’est pas proposée pour casser la représentation des salariés. Elle vise à corriger ses effets néfastes sur l’accroissement de nos entreprises, et sur ce point tout le monde est d’accord. Elle est d’autant moins préjudiciable à la représentation salariale que nous proposons une représentation territoriale des salariés. Les 4 millions de salariés, actuellement non représentés, en particulier dans les très petites entreprises, seront ainsi représentés. Cette proposition est une avancée considérable en matière de dialogue social. J’ai d’ailleurs cru lire dans Le Monde d’hier des propositions du Premier ministre en ce sens.

La deuxième proposition majeure de ce texte, sûrement la plus clivante, est la question du temps de travail. En fonction des différentes méthodes de calcul et des différentes méthodologies, les données relatives aux durées effectives de travail des Français varient grandement. Toutefois, elles montrent toutes que cette durée annuelle est en moyenne inférieure en France à celle des autres pays européens. Le cadre du temps de travail en France est trop rigide. Nous sommes le seul pays au monde où il est interdit de travailler moins de vingt-quatre heures et difficile de travailler plus de trente-cinq heures. Je souhaite redonner le pouvoir aux entreprises pour négocier le temps travaillé dans leur entreprise. Toutes les entreprises de France ne peuvent avoir la même durée du travail. Certains secteurs en difficulté se suffiraient de trente-deux heures, d’autres auraient besoin de trente-neuf heures.

M. Philippe Vitel. Tout à fait !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est à l’intérieur de l’entreprise que cette durée doit être négociée. Cela est possible actuellement, mais difficilement. Je propose donc de faciliter le recours à ces accords, en prévoyant de les conclure selon la procédure des accords d’intéressement. Cette proposition donne non seulement de la souplesse aux entreprises qui le demandent, mais renforce par la même occasion le dialogue social au sein de l’entreprise. En l’absence de tels accords et afin de les favoriser, la durée légale du travail sera de trente-neuf heures.

Cette proposition de loi prévoit un cadre protecteur en la matière. Non seulement l’augmentation de la durée légale se fera avec une augmentation du pouvoir d’achat – c’est-à-dire trente-neuf heures travaillées, donc trente-neuf heures payées –, mais surtout elle ne pourra être une raison de diminution du salaire. En effet, certains salariés travaillent actuellement en heures supplémentaires et ils perdraient du pouvoir d’achat lors du passage aux trente-neuf heures. L’alinéa 3 de l’article 2, que le Front national souhaite supprimer par le biais de ses amendements, empêche ce mécanisme. Au contraire du Front national, nous protégeons le pouvoir d’achat des salariés.

Enfin, nous devons revenir sur la durée minimale des vingt-quatre heures hebdomadaires. La lutte contre le temps partiel subi doit être totale. Il touche notamment en grande majorité les femmes. Pourtant, le dispositif actuel fait passer ces personnes d’un temps partiel subi à un chômage subi. De nombreuses professions ne peuvent fonctionner avec ce seuil minimal. Je pense notamment aux porteurs de journaux et aux services à domicile. Certes, des dérogations ont été prévues, en particulier pour les étudiants, mais cette disposition est symptomatique des problèmes de la France. Nous promulguons des lois dures, qui excluent, et autorisons par la suite des dérogations. Cette mesure est d’autant plus inapplicable qu’elle a déjà été repoussée par le Gouvernement, mettant employeurs et salariés en insécurité juridique.

La proposition contient d’autres mesures, moins clivantes, mais aussi importantes sur lesquelles nous devrions nous rejoindre. L’article 6 prévoit l’instauration d’un rescrit social. Certes, le Gouvernement pourra légiférer en la matière par ordonnance. Toutefois, le rescrit que je propose, en plus d’être une proposition directement codifiée et adoptée par le Parlement, est plus large en matière de droit du travail. Il protégera ainsi plus efficacement les entreprises et améliorera les relations entre celles-ci et l’inspection du travail. L’article 6 propose également la simplification du bulletin de salaire en le limitant à quatre lignes. Cette mesure législative permettrait une meilleure lisibilité de la feuille de paie pour les salariés et la simplifierait pour les entreprises,…

M. Michel Issindou. Cela va se faire ! C’est prévu !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. ...sachant que pour les plus petites d’entre elles, le coût d’une feuille de paie revient à vingt euros par salarié et par mois.

Enfin, la proposition prévoit toute une série de mesures en faveur de la jeunesse, à travers l’apprentissage et les stages. Les dispositions en faveur de l’apprentissage ne sont pas de nature financière. Il est fondamental de redonner confiance en cette filière de formation d’excellence et de réussite. Il convient ainsi de rapprocher le monde de l’enseignement et le monde de l’entreprise, en favorisant l’entrée en apprentissage dès l’âge de quatorze ans, sous statut scolaire, ou encore d’accentuer les possibilités pour les collectivités territoriales de recourir à l’apprentissage.

En ce qui concerne les stages, une loi peut défaire une loi, même si elle a été prise il y a seulement quelques mois. C’est d’autant plus le cas si la loi en question met en danger la formation de notre jeunesse. Les mesures sur lesquelles je souhaite revenir sont néfastes pour l’offre de stage. In fine, le nombre des stages subira la même baisse que les entrées en contrat d’apprentissage. Je prendrai un seul exemple : la gratification. Au lieu d’être dans le répressif, je prône l’incitatif. En revenant à une gratification de 12,5 % du SMIC, nous n’empêcherons pas les petites entreprises ou le milieu associatif de proposer des stages. Mais en défiscalisant à hauteur de 80 % du SMIC, nous incitons les entreprises à mieux gratifier les stagiaires. C’est ainsi que nous agissons en faveur de la jeunesse de France.

En conclusion, je regrette que nous passions à côté d’un débat important pour l’avenir des Françaises et des Français.

M. Michel Issindou. Il fallait le proposer avant 2012 !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. La situation est telle que nous devrions dépasser nos clivages. Nous ne pouvons rester figés sur nos certitudes et ce n’est que dans le dialogue que nous pourrons évoluer. À l’UMP, nous continuerons de travailler dans ce sens, afin de proposer une alternative sérieuse pour le redressement de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’ai écouté avec attention cette intervention qui s’inscrit, si j’ai bien compris, monsieur le rapporteur, dans le cadre de la préparation d’une convention de l’UMP...

M. Michel Issindou. Cela y ressemble !

M. François Rebsamen, ministre. Je reviendrai en détail sur l’ensemble des propositions que vous mettez au débat, sachant que certaines peuvent d’ailleurs rencontrer notre assentiment, mais permettez-moi tout d’abord une mise au point : je n’ai jamais remis en cause la durée légale du travail de trente-cinq heures – il vaut toujours mieux se renseigner à la source, et c’est pourquoi je vous le dis moi-même ; je n’ai pas non plus remis en cause les dérogations que nous allons proposer au repos dominical ; quant aux seuils, j’ai évoqué, comme il convient, le sujet avec les partenaires sociaux qui ont fait des réponses dont nous pourrons parler ; enfin, s’agissant de la procédure de suivi des chômeurs, si les mots ont pu être très forts, c’est le rôle du ministre de vérifier : si la gestion relève des partenaires sociaux, le contrôle revient à l’État.

Le calendrier offre des coïncidences troublantes puisque c’est aujourd’hui, alors que nous débattons de cette proposition de loi déposée par le député Gérard Cherpion que huit organisations syndicales et patronales représentatives ouvrent officiellement des négociations sur la qualité et sur l’efficacité du dialogue social dans les entreprises. Je relève donc un paradoxe : ce texte qui, je le souligne, n’a pas fait l’objet de concertation avec les partenaires sociaux, est examiné le jour même où le dialogue social démontre qu’il est vivant, et qu’il existe une volonté des partenaires sociaux, en dépit des oppositions, d’avancer dans la voie de réformes utiles. Je le dis sans esprit polémique car je salue votre travail, monsieur Cherpion, reconnaissant sa pertinence sur certains points. Mais si les mesures que vous proposez ont du sens prises individuellement, elles ne font pas sens.

Mme Annie Genevard. Mais si puisqu’elles ont du sens !

M. François Rebsamen, ministre. Mais je veux aussi dire mon étonnement, alors que je connais votre engagement et votre sérieux, devant certaines dispositions de pur affichage – j’y reviendrai – ou qui remettent en cause les droits des salariés et notre modèle social. En effet, cette proposition de loi comporte un certain nombre de dispositions inacceptables ; je pense notamment à votre nouvelle offensive contre la durée légale du travail de 35 heures et à la proposition de revenir aux 39 heures.

Mme Annie Genevard. Il le faut !

M. François Rebsamen, ministre. J’y répondrai précisément, même si on pourrait la balayer d’un revers de main en vous disant que votre majorité a eu douze ans pour changer la durée légale du travail et que vous ne l’avez pas fait… Mais je ne veux pas être méprisant.

Certaines propositions sont par ailleurs tellement pertinentes qu’elles viennent d’être adoptées, vous le savez, dans des textes récents ! D’autres sont encore en cours de réflexion avec les partenaires sociaux.

Mais vous connaissez ce qui justifie ma principale réserve : le texte que vous présentez n’est pas acceptable parce qu’il fait une entorse à l’excellente règle de conduite prise, je le rappelle, sous Gérard Larcher et dont le code du travail fait foi : le dialogue social comme préalable à la loi – article 1er. C’est le moyen de faire progresser notre démocratie sociale. Une telle proposition de loi ne pourrait d’ailleurs pas être soumise aux sénateurs sans que n’ait été recueilli auparavant l’avis des partenaires sociaux. Mais chaque assemblée a ses règles et je respecte celles de la vôtre.

Je tiens à rappeler, parce que certains l’oublient quelque peu, que la France est un pays de dialogue social : 40 000 accords conclus l’an dernier dans les entreprises. J’ajoute que tous les syndicats signent : 85 % ont été validés par CGT et 94 % par la CFDT – c’est historique. Notre pays progresse donc dans la voie du dialogue social. Le bilan de la loi de sécurisation de l’emploi montre que l’on négocie et trouve des compromis même en cas de destruction d’emplois. Ainsi, et c’est une bonne nouvelle, un accord majoritaire est trouvé dans 60 % des plans de sauvegarde de l’emploi. Au passage, j’ai noté que vous faites à ce sujet des propositions avec lesquelles je ne suis absolument pas d’accord, mais nous y reviendrons.

Les partenaires sociaux sont mûrs pour avancer, capables de trouver des accords, mûrs pour assumer pleinement leurs responsabilités ; c’est l’esprit même du pacte de responsabilité et de solidarité. On ne peut en effet demander aux représentants du patronat et des syndicats d’être responsables que si on leur confie des responsabilités. Vous et nous en avons fait le constat : votre majorité a réformé la représentativité syndicale ; nous avons réformé la représentativité patronale.

Mais votre proposition de loi constitue une forme de retour en arrière. Je ne sais pas si c’est dans l’air du temps dans les  débats internes de votre formation politique, mais j’y vois une marque de défiance vis-à-vis des forces sociales. Cela, je vous le dis amicalement, monsieur Cherpion, ne vous ressemble pas. Un tel renoncement, là où on devrait trouver le socle d’un consensus sur certains points entre nous, est regrettable.

Cela étant, je vous l’ai dit, je vous rejoins sur d’autres points et partage certaines des préoccupations relayées par votre proposition de loi.

Ainsi, prenons la simplification du droit du travail, qu’il s’agisse des seuils ou des institutions représentatives du personnel – les IRP –, prévue à l’article 7. Je crois qu’elle est nécessaire. C’est pourquoi j’ai adressé cet été, suite à la grande conférence sociale, un document d’orientation aux partenaires sociaux pour les inviter à engager une négociation pour améliorer l’efficacité et la qualité du dialogue social. Cette négociation s’ouvre aujourd’hui même. Elle vise à renforcer l’efficacité du dialogue social, sa fluidité et, puisque c’est le but, sa capacité à être utile aux entreprises et aux salariés. Cela passe par des mécanismes plus simples et plus directs. Il y a actuellement une différence entre le droit formel et le doit réel : par exemple, s’agissant des IRP, environ 70 % des entreprises de onze à vingt salariés n’ont pas de représentants du personnel malgré le franchissement du seuil de dix salariés imposant l’élection d’un délégué du personnel. Il y a donc un problème et il faut trouver les voies d’une meilleure représentation dans les très petites entreprises, d’autant plus que, vous le savez, sur les 30 % restants, c’est le chef d’entreprise lui-même, une fois sur deux, qui choisit le délégué du personnel. Des pistes existent en la matière. Mais vous admettrez que faire des propositions sur la représentativité des salariés sans avoir consulté préalablement leurs représentants, c’est contradictoire avec l’objectif de renforcer ladite représentativité.

Et puis résumer la question que vous soulevez à un problème de seuils est réducteur. Il faut assurément faciliter la vie de l’entreprise, mais en améliorant la représentation des salariés. Par conséquent, il faut adopter des méthodes qui permettent un dialogue social de qualité. Gardons à l’esprit, je pense que vous en êtes d’accord, que le dialogue social n’entrave pas la vie de l’entreprise, bien au contraire.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je l’ai dit !

M. François Rebsamen, ministre. Il faut cesser de le considérer comme un irritant alors qu’il permet de fédérer un collectif de travail. L’entreprise, c’est bien évidemment le chef d’entreprise, mais également les salariés puisque ce sont eux qui la font vivre. À l’heure où je vous parle, la balle est dans le camp des partenaires sociaux. Ils s’en sont saisis. Je leur fais confiance et on verra les conclusions auxquelles ils aboutiront.

Autre point de convergence entre nous : le contact entre l’école et l’entreprise.

Mme Annie Genevard. C’est très important !

M. François Rebsamen, ministre. En effet, madame la députée.

M. Yves Durand. C’est dans la loi.

M. François Rebsamen, ministre. Des réformes à ce sujet ont en effet déjà été faites puisque depuis la loi Peillon du 8 juillet 2013, des représentants des salariés et des chefs d’entreprise peuvent désormais siéger dans les conseils d’administration des collèges et lycées – loi que votre groupe, madame la députée, n’a d’ailleurs pas votée, ce qui est tout de même assez surprenant. La loi Peillon prévoit également des sessions de découverte de l’apprentissage au collège dans le cadre du parcours de découverte des métiers et des formations, ce qui constitue une très bonne disposition.

Troisième point de convergence, même si ce n’est pas le cas dans cette proposition de loi : la nécessité de développer de l’apprentissage. Je partage votre conviction qu’il faut le favoriser. La loi du 5 mars 2014 contient tout de même des avancées majeures…

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas certain !

M. François Rebsamen, ministre. … que je tiens à rappeler : la réforme financière va permettre de flécher davantage la taxe d’apprentissage vers cette voie de formation par rapport au montant de cette taxe qui aurait été collecté hors réforme en 2015 ; la sécurisation des parcours professionnels des apprentis et l’amélioration de leurs droits par la création d’un contrat à durée indéterminée ; le renforcement de l’accompagnement du jeune à travers une nouvelle mission confiée aux centres de formation des apprentis ; l’amélioration des droits à la retraite des apprentis par la loi du 20 janvier 2014, garantissant l’avenir et la justice des systèmes de retraite ; et puis pour les entreprises, c’est la simplification de la taxe d’apprentissage et de sa collecte.

L’objectif – que vous partagez, je n’en doute pas – est d’accueillir 500 000 apprentis en 2017. Mais par-delà l’objectif quantitatif annoncé par de nombreux gouvernements, il y a aussi un objectif qualitatif : renforcer la qualité des formations dispensées, mieux accompagner, mieux suivre les entreprises mais aussi les jeunes. Voilà les chantiers qui s’ouvrent maintenant pour créer le cadre d’un apprentissage de qualité. Nous lançons une grande campagne sur les ondes, à la télévision et dans les autres média pour faire tomber des réticences et pour changer l’image de l’apprentissage dans notre pays, image qui perdure à tort.

Mme Isabelle Le Callennec. À qui la faute ?

Mme Annie Genevard. Votre gouvernement a fragilisé le dispositif !

M. François Rebsamen, ministre. Nous le renforçons largement, madame la députée, et nous parviendrons à atteindre les objectifs, qu’ils soient quantitatifs ou qualitatifs. Je fais tout ce qu’il faut pour ne pas vous donner raison sur ce point.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est mal parti !

M. François Rebsamen, ministre. Mesdames, messieurs les députés de l’opposition, avançons ensemble sur ce sujet.

Une de vos propositions, monsieur Cherpion, prévoit de moduler et de négocier la durée du contrat d’apprentissage. Mais la souplesse existe déjà : même si la durée est en principe de deux ans, un contrat d’apprentissage peut aujourd’hui aller de six mois à quatre ans en fonction de la situation de l’apprenti – s’il détient ou non un autre diplôme, s’il a déjà effectué ou non des périodes de formation. Je note au passage que les chefs d’entreprise sont tous d’accord pour l’apprentissage mais souvent résistants à prendre des apprentis.

Mme Isabelle Le Callennec. Le Gouvernement les a assommés depuis deux ans et a coupé les aides à l’apprentissage !

M. François Rebsamen, ministre. Depuis le début des années 2000, 4 % seulement des entreprises françaises recrutent des apprentis, que ce soit sous les gouvernements précédents ou sous celui-ci. Nous pensons comme vous que l’apprentissage reste une formation initiale…

M. Philippe Vitel. C’est hallucinant ! Quel déni de réalité !

M. François Rebsamen, ministre. C’est un sujet compliqué à aborder alors qu’il ne devrait pas faire l’objet de telles remarques. Je rappelle que votre majorité avait fixé un objectif de 500 000 apprentis qui n’a jamais été atteint ! Ne me donnez donc pas de leçons et essayons d’avancer ensemble. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) L’apprentissage reste une formation initiale, disais-je, et non un type de contrat de travail de plus entre l’intérim et le CDD. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Nous devons tenir à ce principe et maintenir une durée minimale pour que la formation, contrairement à ce qui est proposé, apporte les compétences qui permettront aux jeunes de s’insérer dans l’emploi.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est tout de même un contrat de travail !

M. François Rebsamen, ministre. Vous proposez également, monsieur Cherpion, de réintroduire le pré-apprentissage à partir de quatorze ans, sous statut scolaire.

M. Philippe Vitel et Mme Isabelle Le Callennec. N’est-ce pas aussi ce que vous proposez ?

M. François Rebsamen, ministre. Mais la loi du 5 mars dernier introduit déjà une souplesse en prévoyant que le jeune de moins de quinze ans puisse être inscrit soit dans un lycée professionnel, soit dans un centre de formation des apprentis, et ce sous statut scolaire. Cette réécriture est conforme au droit européen.

S’agissant des souplesses que vous réclamez en matière de travaux dangereux pour les apprentis, j’entends la nécessité de renforcer la pertinence de la formation en entreprise pour mieux préparer les jeunes à l’exercice de leur futur métier et j’ai conscience de la lourdeur de la procédure qui impose en amont de demander une autorisation administrative. C’est pourquoi, je l’ai annoncé le 19 septembre, lors de la journée dédiée à l’apprentissage, le Gouvernement a décidé de se saisir de cette question. Des propositions de modification de la réglementation – qui vont sûrement vous satisfaire – seront présentées au Conseil d’orientation des conditions de travail – le COCT – ce mois-ci.

Mais il faut réaffirmer ce principe de base : le travail des mineurs ne peut pas obéir aux mêmes règles que celui des adultes.

Quatrième point pouvant donner lieu à une convergence : le contrat à durée déterminée à objet défini. Celui-ci répond, dans certains secteurs – je pense en particulier à l’enseignement supérieur –, à certaines attentes et spécificités. Sa pérennisation doit donc être envisagée. Mais là encore, il faut le faire en lien avec les partenaires sociaux car ce sont eux qui, en 2008, ont créé cet outil particulier, puis envisagé d’en prolonger l’expérimentation.

J’ai donc lancé avec eux une concertation sur ce sujet, ce qui devrait vous satisfaire. Si l’intention de pérenniser ce type de contrat est confirmée – ce qui semble être le cas –, le Gouvernement présentera une disposition avant la fin de l’année.

Il existe donc des points d’accord entre nous, mais nous devons faire confiance au dialogue social. De plus, je vous suggère d’actualiser vos propositions, car nous avons déjà réalisé certaines des réformes que vous réclamez.

Par ailleurs, la proposition de loi contient des dispositions nocives…

M. Michel Issindou. N’ayons pas peur des mots !

M. François Rebsamen, ministre. …que nous ne pouvons accepter.

Dans le cas de l’apprentissage, certaines sont même illégales.

M. Michel Issindou. En plus !

M. François Rebsamen, ministre. Ainsi, l’article 16 prévoit la gratuité de la conclusion, de l’enregistrement et de la rupture du contrat d’apprentissage. C’est déjà fait pour ce qui concerne la conclusion et l’enregistrement du contrat, et impossible pour la rupture, …

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Vis-à-vis du CFA !

M. François Rebsamen, ministre. …le contrat d’apprentissage, malgré tout ce que j’ai dit précédemment, restant un contrat de travail !

Il n’est donc pas possible de faire n’importe quoi avec l’apprentissage au prétexte de vouloir en développer l’usage. Dans ce domaine, je pense que vous avez été trop loin. L’apprentissage ne sera pas plus attrayant s’il tend à précariser les jeunes.

Quant à l’assujettissement des collectivités territoriales à la taxe d’apprentissage, c’est une proposition innovante et intéressante, mais qui relève du monopole de la loi de finances.

Vous voulez par ailleurs faire marche arrière au sujet des stages alors que les textes qui les concernent viennent tout juste d’être adoptés. Supprimer les autorisations de congés et d’absence en cas de grossesse, de paternité ou d’adoption ? Je croyais que vous étiez des défenseurs de la famille !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Non, pas vous, monsieur le ministre ! Pas vous !

M. François Rebsamen, ministre. Cela méritait pourtant d’être souligné.

De même, vous voulez supprimer le plafond de stagiaires par organisme d’accueil, qui est pourtant un moyen de lutter contre les recours massifs et abusifs aux stages. Or cette forme de concurrence déloyale n’est pas le moindre des problèmes auxquels nos entreprises doivent faire face.

Cependant, nous sommes conscients des risques pouvant peser, dans certains secteurs, sur l’offre de stages. C’est pourquoi le plafond pourrait sans doute être légèrement relevé – je ferai des propositions en ce sens.

Vous voulez également revenir en arrière sur la gratification des stagiaires. Mais l’augmentation, par paliers, de 2,5 % du plafond de la sécurité sociale ne paraît pas excessive.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est pourtant ça, le problème !

M. François Rebsamen, ministre. Quant à l’exonération, dans la limite de 80 % du SMIC, des charges pesant sur la gratification, elle pèserait lourd sur les comptes de la sécurité sociale. Est-ce le moment d’adopter une telle disposition ? Je n’en suis pas persuadé.

Autre proposition, intégrer les stagiaires embauchés en CDI dans le quota des alternants. Votre but est de diminuer le montant de la taxe d’apprentissage versée par les entreprises qui ne respectent pas l’obligation légale en matière de recrutement des apprentis. Mais quel frein au développement de l’apprentissage ! En outre, cela entraînerait une confusion entre le statut du stagiaire et celui de l’apprenti.

Je pense que vous faites également fausse route en matière d’indemnités de licenciement. Interdire leur versement n’est en effet pas la solution.

Le système d’homologation par l’État des plans de sauvegarde de l’emploi – PSE – fonctionne bien, même si on préférerait que de tels plans ne soient jamais nécessaires – sur ce point, je sais, monsieur le rapporteur, que votre département est, comme d’autres, sévèrement frappé…

M. Gérard Cherpion, rapporteur. En effet !

M. François Rebsamen, ministre. …depuis une bonne quinzaine d’années.

M. Gérard Cherpion. Plus, même !

M. François Rebsamen, ministre. En tout état de cause, dans les départements dont la vocation industrielle est traditionnellement forte, et qui font face à une importante dégradation de l’emploi, l’homologation des PSE constitue pour l’État un levier efficace de lutte contre ce que l’on pourrait appeler une « préférence » en faveur des indemnités de licenciement.

Les salariés préféreront toujours rester dans l’entreprise et la faire vivre. Mais si elle ferme, ils veulent toucher des indemnités à hauteur du travail qu’ils ont fourni et du malheur qui s’abat sur eux. C’est pourquoi je vous propose de laisser vivre la loi de sécurisation de l’emploi.

Je vous ai entendu plaider pour un retour aux 39 heures.

M. Michel Issindou. Ce n’est pas bien !

M. François Rebsamen, ministre. Or cette proposition n’est pas acceptable. Les 35 heures sont un vrai progrès social pour les salariés…

M. Philippe Vitel. Non, c’est un recul pour la France !

M. François Rebsamen, ministre. …et nous ne rouvrirons pas ce débat. La durée légale du travail restera donc de 35 heures par semaine. Vous avez disposé de douze ans pour revenir là-dessus, et vous ne l’avez pas fait.

M. Philippe Vitel. Si, nous l’avons fait. Mais c’est vous qui avez supprimé l’exonération des heures supplémentaires !

M. François Rebsamen, ministre. Que vous envisagiez de le faire demain ou après-demain, c’est votre droit le plus strict. Mais c’est un débat interne à votre groupe, resté jusqu’à présent sans effet.

M. Patrick Ollier. L’exonération des heures supplémentaires était un moyen de régler le problème !

M. François Rebsamen, ministre. Je me rappelle d’ailleurs de discussions avec un ancien ministre du travail, Xavier Bertrand, au terme desquelles il concluait qu’une telle remise en cause n’était pas possible. Si toutefois vous avez trouvé la solution, gardez-la pour vous en attendant de l’intégrer au programme de l’UMP.

Je signale au passage que M. Lionel Jospin est auditionné ce matin, dans ces murs, par votre commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Nous le savons bien : nous en sommes membres !

M. François Rebsamen, ministre. De fait, les 35 heures ont changé la donne. C’est le cas, notamment, en matière de dialogue social : comme l’ont relevé de façon continue les bilans de la négociation collective, on négocie davantage dans l’entreprise, où le temps de travail est aujourd’hui le deuxième sujet de discussion.

Quant à l’impact de cette réforme en termes de création d’emplois, il a été estimé à 6 ou 7 % par la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, dont vous connaissez la fiabilité des études.

Vous plaidez pour l’introduction d’éléments de souplesse, mais ces derniers existent déjà, et depuis fort longtemps ! En effet, les lois Auroux, dès 1982, fixaient la durée journalière de travail à 10 heures en prévoyant qu’il était possible d’y déroger par accord d’entreprise. Les lois sur les 35 heures ont encore accru cette souplesse en prévoyant la possibilité d’un décompte pluri-hebdomadaire – c’est-à-dire la possibilité de travailler moins une semaine et plus une autre. De tels accords sont conclus en prenant pour référence la durée légale.

La négociation permet donc de faire preuve de souplesse dans la gestion du temps de travail au sein de l’entreprise.

Je relève d’ailleurs que vous avez vous-même maintenu à 35 heures le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, parce que cette disposition est bonne pour le pouvoir d’achat.

M. Patrick Ollier. L’exonération de ces heures l’était aussi !

M. François Rebsamen, ministre. Vous devrez répondre à toutes ces questions – mais c’est un autre sujet.

Si la satisfaction l’emporte chez les salariés, il reste un problème, celui de l’intensification du travail. En effet, dans la réalité, la situation de notre pays est aux antipodes de celle décrite par certains slogans, selon lesquels les Français travailleraient moins que les autres. C’est pourquoi nous devrions faire, ensemble, porter nos efforts sur les conditions de travail plutôt que de rejouer les vieux débats.

On pourrait en dire de même de vos propositions sur le temps partiel. La loi relative à la sécurisation de l’emploi de juin 2013 a créé un socle minimal de 24 heures de travail hebdomadaires pour les salariés à temps partiel, sauf dérogation individuelle ou accord collectif contraire. À vos remarques sur ce sujet, je répondrai qu’au 12 septembre, 36 accords de branches ont été conclus, dont 16 sont d’ores et déjà étendus et 20 devraient l’être prochainement.

M. Michel Issindou. C’est un bon début !

M. François Rebsamen, ministre. Ce sont ainsi près de 70 % des salariés à temps partiel de la trentaine de branches recourant structurellement au temps partiel – et souvent au temps partiel contraint – qui sont couverts. Et si l’on prend en compte les salariés à temps partiel dans les autres branches, on arrive à près de 1,2 millions de salariés désormais couverts par ces accords. C’est donc une avancée importante.

L’accord est parfois unanime : c’est le cas, par exemple, dans la bijouterie joaillerie, ou dans la restauration rapide. Et d’une manière générale, les discussions avancent, rares étant les branches en situation de blocage. Au besoin, nous les secouons jusqu’à ce que la situation se débloque.

Le Gouvernement a fait par ailleurs adopter, dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, une disposition sécurisant la procédure de « dédit » du salarié, lorsque celui-ci change d’avis après avoir demandé une dérogation pour travailler moins de 24 heures.

Le cadre juridique est donc sécurisé, et le dialogue social quasiment achevé. Cette réforme constitue, là encore, un vrai progrès pour les salariés, et il n’est donc pas envisageable de revenir dessus.

En conséquence, à la fois parce que beaucoup de ces questions ont été résolues – ou vont l’être – par des voies plus pertinentes, et parce que certaines de vos propositions remettent en cause profondément notre modèle social, le Gouvernement émet un avis défavorable à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Lacroute.

Mme Valérie Lacroute. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, avec une inflation négative en juillet et une croissance nulle depuis le début de l’année, la France est dans la nasse.

La dette publique dépasse pour la première fois les 2 000 milliards d’euros. Rapportée à la richesse nationale, elle atteint 95 % du PIB.

Les chiffres publiés par l’INSEE sont implacables : la croissance française affiche un zéro pointé ; le chômage atteint des niveaux inégalés ; et notre industrie recule, perdant des milliers d’emplois ces deux dernières années.

M. Michel Issindou. Depuis bien plus longtemps que cela !

Mme Valérie Lacroute. La plupart des enquêtes récentes cherchant à évaluer le climat des affaires dans l’industrie, les services, le commerce et la construction présentent d’ailleurs des conclusions négatives.

Pour redonner une sérieuse bouffée d’oxygène à nos entreprises, pour relancer une énergique mécanique du développement de l’activité, pour rétablir une certaine croissance, il est donc grand temps de se pencher au chevet du développement du travail, de la formation et de l’emploi. Tels sont les objectifs recherchés par cette proposition de loi de mon collègue Gérard Cherpion.

Les vingt-sept articles de ce texte sont les fondamentaux d’une vraie réforme courageuse. Aujourd’hui, en effet, il est nécessaire d’alléger le code du travail ; aujourd’hui, il est indispensable de revoir le temps de travail ; aujourd’hui, il est primordial d’offrir des perspectives à notre jeunesse, d’ouvrir plus largement l’apprentissage et d’en favoriser l’usage dans les collectivités territoriales, de dynamiser l’offre de stage.

Réformer le code du travail n’est pas une gageure ! Le nombre phénoménal d’articles – 10 000 – fait certes le bonheur des avocats, mais il peut également inciter de nombreuses personnes, découragées par la floraison de dispositions juridiques, à ne pas respecter le droit, à espérer passer à côté d’un contrôle, voire à refuser d’embaucher.

Les chefs d’entreprise vivent dans une insécurité permanente, de peur de ne pas connaître la loi. Une fiche de paie compte quatre lignes en Grande-Bretagne, sept en Allemagne et vingt-deux en France : on est décidément très éloigné du choc de simplification !

Du courage, oui, il en faut aujourd’hui. La France est dans un tel état que ce n’est pas en bougeant un ou deux curseurs que l’on résoudra les problèmes. Le temps n’est plus aux discours, il est à l’action.

Il est vital de mettre en place, comme le propose Gérard Cherpion dans l’article 1er, une commission chargée de la simplification du code du travail, qui aura pour mission de proposer un code de 100 pages susceptible de remplacer l’actuel et qui permettrait de traiter de l’ensemble des accords collectifs, de réformer les seuils sociaux, de simplifier la mise en œuvre du contrat de travail ainsi que sa rupture, et de fusionner les instances représentatives des salariés.

La deuxième disposition revêt un caractère tout particulier, puisqu’elle lève le carcan tant décrié des 35 heures et donne aux entreprises la possibilité de faire évoluer le temps de travail et les salaires suivant le rythme des carnets de commande. Revoir la durée du travail est une réforme ambitieuse, inéluctable, courageuse.

Du courage, il en faut également pour épauler et accompagner la jeunesse. L’apprentissage est le sillon qu’il convient de tracer si l’on veut relancer l’emploi chez les jeunes. Or, aujourd’hui, il est déconsidéré : le nombre d’apprentis a baissé de plus de 14 % depuis janvier 2014.

Le premier coupable, ce sont les revirements du Gouvernement. Pour mémoire, la loi pour la refondation de l’école de la République a supprimé le dispositif d’initiation aux métiers de l’alternance – le DIMA –, tandis que la dernière loi de finances a divisé par deux le crédit d’impôt apprentissage et supprimé l’indemnité compensatrice forfaitaire pour la remplacer par un dispositif de compensation partiel.

Notre objectif est de faire reconnaître définitivement l’apprentissage comme une voie de réussite sociale, une voie noble qui valorise les savoir-faire des différents métiers.

Comme cela est mentionné dans la proposition de loi que j’ai déposée – et dont je vous propose de reprendre les principales dispositions par voie d’amendements après l’article 20 de ce texte –, les collectivités territoriales souffrent de lourdeurs administratives qui découragent plus d’un élu. Il faut en finir avec ces contraintes, ces procédures complexes.

Soutenir l’emploi des jeunes, c’est aussi dynamiser l’offre de stages, en baissant les charges et en revenant sur les mesures nocives – je vous renvoie l’ascenseur, monsieur le ministre ! – prises dans la loi d’encadrement des stages, comme le quota maximal de stagiaires par entreprise.

Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin s’attaque à plusieurs tabous. Notre groupe l’assume pleinement. Il faut arrêter de se complaire dans les « y a qu’à-faut qu’on » de la majorité !

M. Philippe Vitel. Absolument !

Mme Valérie Lacroute. Place à un texte qui a pour ambition de lever les blocages, de redonner un sens à la flexisécurité, de simplifier l’environnement normatif des entreprises et de relancer l’apprentissage.

Du courage et de la persévérance, oui, il en faut.

M. Philippe Vitel. Eh oui !

Mme Valérie Lacroute. Ce n’est décidément pas la qualité première de ce gouvernement et de sa majorité, qui refusent nos propositions de débat et la mise en place de commissions de travail, et qui ont déposé des amendements de suppression en commission et en séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vitel. Bravo ! Tout est dit !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva.

M. Jean-Paul Tuaiva. Mes chers collègues, devons-nous, ou non, augmenter le temps de travail pour améliorer la compétitivité des entreprises et la performance de la fonction publique ? Les seuils sociaux constituent-ils un frein à l’emploi ? Leur suppression peut-elle servir efficacement la lutte contre le chômage ? Les indemnités liées à un plan de sauvegarde de l’emploi doivent-elles être encadrées pour favoriser la sécurisation des parcours professionnels ?

Tels sont les enjeux essentiels pour l’avenir de la France que soulève la proposition de loi relative à la simplification et au développement du travail, de la formation et de l’emploi et desquels nous devrions pouvoir débattre sans être bridés par les tabous ni tomber dans les excès et les caricatures.

Telles sont également les questions fondamentales qui ont été, malheureusement, balayées d’un revers de la main lors de l’examen du texte en commission. Oui, la majorité a refusé le débat, en supprimant un par un les articles de la proposition de loi.

Nous ne pouvons toutefois ignorer que le débat qui nous est proposé aujourd’hui s’inscrit dans un contexte particulier : l’examen du texte débute alors que s’ouvre aujourd’hui même le semestre de négociations sociales. Aussi devons-nous être conscients que la proposition de loi, quoique suscitant des débats cruciaux, présente le risque d’empiéter sur le dialogue social.

Le groupe UDI, qui est attaché à ce dernier, n’entend pas interférer avec des négociations qui doivent se dérouler dans un climat apaisé et serein, cela d’autant plus que le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé son intention de légiférer si les partenaires du dialogue social ne parvenaient pas à un accord suivant la feuille de route fixée. Nous aurons par conséquent l’occasion de nous déterminer sur ces questions, que le dialogue social aboutisse ou non.

Il nous appartiendra alors, et à ce moment-là seulement, non pas de critiquer les propositions mises sur la table, mais de défendre une vision du juste équilibre entre la compétitivité des entreprises et la protection des salariés. Dans cette attente, nous voulons croire pour notre part que les partenaires du dialogue social feront preuve d’un sens aigu des responsabilités et que la démocratie sociale constituera un levier puissant pour moderniser la France et réformer son marché du travail.

En outre, la présente proposition de loi ne répond que de manière imparfaite aux immenses chantiers qu’il convient de lancer pour remédier aux rigidités et aux insuffisances de notre marché du travail.

Ainsi, nous estimons que la question de la durée du temps de travail ne peut se résumer aux nombres d’heures hebdomadaires travaillées, mais qu’elle doit être envisagée de manière globale afin de concilier performance économique, cohésion sociale et épanouissement personnel. De même, dans la fonction publique, cette question ne peut être posée sans envisager des réductions de dépenses publiques indispensables, la révision du périmètre d’intervention de l’État et des collectivités territoriales, ainsi que la définition d’objectifs de qualité et de proximité pour le service public.

La question qui se pose est simple : doit-on, ou peut-on, réduire la question du temps de travail à sa seule dimension économique ? Ce n’est pas notre conviction. La réduction du temps de travail, notamment le passage aux 35 heures, visait des objectifs plus ambitieux, touchant à la vie professionnelle mais aussi à la vie privée ; cela engageait une mutation profonde de notre société. Comment comprendre sinon que seize années après le vote de cette loi, qui a suscité les jugements les plus sévères, les 35 heures demeurent la référence en matière de durée légale du travail, en dépit d’une alternance et d’aménagements importants mis en place par les majorités successives ?

Sur une question aussi complexe, il est nécessaire d’établir un diagnostic partagé des effets sociétaux, sociaux, économiques, fiscaux, positifs comme négatifs, de la réduction du temps de travail, et de formuler des propositions consensuelles afin de mieux concilier performance économique, cohésion sociale et épanouissement personnel.

Dans cet esprit, notre groupe a suscité la création d’une commission d’enquête relative à l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail. Celle-ci doit pouvoir travailler sereinement. Les conclusions qu’elle rendra seront utiles au débat, j’en suis persuadé.

Quant à l’évolution des seuils sociaux, elle ne peut s’envisager qu’en tenant compte du nécessaire équilibre entre une bonne représentation des salariés au sein de l’entreprise et l’indispensable simplification administrative de la vie des entreprises.

Poser d’emblée le principe du rehaussement à cent salariés du seuil au-delà duquel des élections de représentants du personnel doivent être organisées ne nous semble pas de nature à favoriser la recherche de cet équilibre. En outre, les conclusions de l’INSEE datant de 2011 sont prudentes quant à la possibilité d’un effet massif de telles dispositions sur les créations d’emplois. L’élimination des effets de seuil ne modifierait en effet que sensiblement les probabilités de croissance des entreprises. Ainsi, la probabilité qu’une entreprise de 9 salariés franchisse dans l’année le seuil des 10 salariés passerait de 24,5 % à 29,4 % ; pour les entreprises de 19 et 49 salariés, les probabilités de franchir les seuils des 20 et 50 salariés seraient augmentées, respectivement, de 9 et 14 points.

Par ailleurs, nous nous inquiétons des dispositions prévues à l’article 13, qui propose l’encadrement des primes supra-légales lors des plans de sauvegarde de l’emploi. Sans une réforme profonde de la formation professionnelle, qui permettrait de mieux accompagner les salariés et de sécuriser leur transition professionnelle, cette mesure risquerait de fragiliser davantage encore les salariés qui perdent leur emploi.

Notre groupe considère qu’il faut faire confiance au dialogue social pour faire émerger des solutions privilégiant une approche globale des problématiques soulevées par les imperfections de notre système. Toutes les dimensions de ces problématiques pourraient ainsi être abordées : la lutte contre la précarité, la protection des salariés, la sécurisation de leurs parcours professionnels, l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises et l’anticipation des mutations économiques et sociales profondes liées à l’émergence d’un monde ouvert aux échanges et évoluant à toute vitesse.

Aussi, parce que cette proposition de loi ne peut constituer qu’une réponse incomplète à ces enjeux et qu’elle ne suscitera pas un compromis stable alors que les partenaires du dialogue social, avec l’appui du Parlement, pourraient y parvenir, nous ne la soutiendrons pas.

M. Denys Robiliard. Très bien !

M. Jean-Paul Tuaiva. En revanche, il nous semble absolument nécessaire de stopper le recul de l’apprentissage, particulièrement inquiétant depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande : le nombre d’entrées en apprentissage a diminué de 8 % en 2013, soit la baisse la plus importante depuis 2005, et de 15 % en janvier et février 2014 par rapport à janvier et février 2013. Cette chute s’explique par l’accumulation des décisions prises depuis 2012 : baisse de 19,6 % des crédits dédiés à l’apprentissage en 2014, suppression de l’aide à l’embauche d’un alternant supplémentaire ou encore réduction du crédit d’impôt et de l’indemnité compensatrice forfaitaire en 2013.

Il est donc urgent de lancer un grand plan en faveur de l’apprentissage en mobilisant les régions, les entreprises privées et les trois fonctions publiques afin de doubler le nombre d’apprentis en France. Cette politique nationale de l’apprentissage devra être prioritairement tournée vers les « décrocheurs », avec la généralisation des stages de « pré-apprentissage ». Elle participera à la valorisation de la ressource humaine de notre nation, chantier majeur auquel il est vital de s’atteler si l’on veut relever les défis qui s’offrent à la France.

François Hollande semble avoir enfin pris conscience de la nécessité de soutenir l’apprentissage,…

Mme Isabelle Le Callennec. Oh que non !

M. Jean-Paul Tuaiva. …puisque le 19 septembre dernier, à l’issue de la « journée de mobilisation pour l’apprentissage », il a annoncé que la prime de 1 000 euros pour l’embauche d’un apprenti, qui avait été supprimée par le Gouvernement, serait rétablie. Merci François Hollande : nous ne pouvons que nous réjouir de ce revirement salutaire !

Notre groupe considère que les mesures de soutien et de développement de l’apprentissage prévus par la proposition de loi pourraient être soutenues à l’unanimité. Nous savons que le texte ne sera pas adopté, mais nous sommes persuadés que nous pourrions avancer ensemble sur ce sujet majeur en nous accordant sur ces mesures. Ce serait un premier pas pour relancer un levier essentiel de la lutte contre le chômage, afin de sortir de la crise, objectif que nous partageons tous. Telle est la proposition que nous vous faisons aujourd’hui. Notre assemblée en tirerait honneur si elle y souscrivait.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi déposée par nos collègues députés de l’UMP dans le cadre de leur niche parlementaire est une caricature, tout au moins pour sa première partie – je répète les propos que j’ai tenus en commission, et je m’en explique.

Selon l’exposé des motifs, « il faut libérer les forces de notre pays pour rétablir la confiance des entreprises et de leurs salariés, afin de créer de l’emploi ». Pour libérer ces forces, vous vous attaquez, chers collègues, aux droits sociaux et aux améliorations que nous leur avons apportées ces derniers mois. Mais quelle est donc cette idéologie qui s’obstine à vouloir faire croire que les causes du chômage et des difficultés des entreprises tiendraient aux droits et à la protection des salariés ou des chômeurs eux-mêmes ?

Cette proposition de loi a pour objet de réformer le code du travail et, même, d’instaurer, tout de go, un nouveau code du travail, dans sa globalité. On rase tout et on recommence ! Elle prévoit un retour aux 39 heures ou encore abroger la durée minimale de 24 heures hebdomadaires imposée pour le travail à temps partiel. Elle supprime la rémunération minimale pour les stagiaires, que nous avons récemment votée. Très sincèrement, je le redis ici, ce n’est pas sérieux !

Je n’adopterai pas une position défensive – je fais confiance à notre majorité pour repousser cette volonté de régression –, mais je rappellerai tout de même quelques principes à destination des citoyens salariés, jeunes et moins jeunes, et des chômeurs, assez malmenés par certains discours ces derniers temps. Nous sommes résolument de leur côté. L’inscription dans un rapport salarial implique la plupart du temps une relation de subordination qu’il faut corriger autant que faire se peut, précisément pour libérer les forces. Cela ne fait pas pour autant de nous des ennemis de l’entreprise puisque l’entreprise ce sont les salariés. L’entreprise existe, innove, produit, grâce à ses salariés. Plus ils seront considérés, respectés, écoutés, formés, mieux l’entreprise se portera !

Il faut donc sortir des logiques dogmatiques, quelles que soient les obédiences. Le débat n’est pas « entreprises contre salariés » ou « salariés contre entreprises » ; ce marqueur idéologique est dépassé et tous ceux qui s’obstinent à s’y référer jouent contre leur prétendue volonté de progrès, social d’un côté, économique de l’autre.

La nouveauté, qui n’en est plus une, c’est qu’il y a d’un côté l’économie réelle et de l’autre côté l’économie financiarisée. Et, comme lors de nos débats au sujet du CICE, il s’agit de distinguer les entreprises qui ne produisent pas n’importe quoi et qui respectent leurs salariés – il y en a beaucoup –, de celles qui n’attendent qu’une chose, faire la peau aux droits sociaux et au code du travail pour engraisser toujours plus leurs actionnaires, ou encore qui utiliseront le CICE pour financer leurs plans de licenciements et redistribuer les gains sous forme de dividendes ; je dispose d’exemples précis. Ce combat est prioritaire si nous voulons lutter contre le chômage et entrer dans un cycle vertueux de développement.

Si nous voulons relancer le travail ou l’emploi – et vous prétendez que telle est l’ambition de votre proposition de loi –, ce n’est pas en réduisant les droits qui protègent les salariés, les stagiaires ou les chômeurs que nous ferons avancer quoi que ce soit bien au contraire. Ce ne sont pas les salariés ou les chômeurs qui sont les responsables de la crise et du chômage, on le répète depuis deux ans : c’est la finance. Tout le monde le sait : notre ennemi, c’est bien la finance. Tout ce qui pourrait être susceptible de la renforcer doit être écarté. Tant que nous n’arriverons pas à débattre résolument sur cette base, nous parlerons dans le vide et nous n’apporterons aucune bonne solution.

Quoi qu’il en soit, sur la question du temps de travail, qui n’a donc rien à voir avec l’origine des difficultés économiques que nous traversons, les écologistes militent depuis toujours en faveur de sa réduction, à la fois pour partager le travail et donc lutter directement contre le chômage, et pour améliorer la qualité de vie. Les salariés y sont d’ailleurs majoritairement favorables : travailler moins pour travailler tous et vivre mieux, avoir du temps pour soi, pour ses enfants, pour jardiner, cuisiner, faire de la musique ou du sport, ou encore, bien sûr, pour l’engagement syndical ou associatif.

Car le bénévolat associatif, bien entendu, a une utilité sociale et économique. Cela demande du temps, et, parfois, ce temps bénévole débouche sur des créations d’emplois. Je vous renvoie d’ailleurs à nos débats lors de l’examen de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, adoptée au mois de juillet dernier. Le secteur de l’économie sociale et solidaire est créateur d’emplois, ce n’est plus à prouver, mais les associations créent des emplois à condition d’être soutenues dans leurs projets et pour les services qu’elles rendent à la société. On leur en demande beaucoup aujourd’hui, et, pour ne pas dénaturer leur objet, il est nécessaire d’encourager le bénévolat. Le bénévolat associatif peut créer de l’emploi salarié et de l’activité, mais il faut du temps, bien évidemment, pour s’y consacrer.

Sur ce sujet, vous le savez, monsieur le rapporteur, une commission d’enquête parlementaire sur les impacts de la réduction progressive du temps de travail mène ses auditions. Nous aurons donc l’occasion d’aborder la question plus sérieusement lorsqu’elle remettra son rapport.

Par ailleurs, nous nous accordons à penser que le dialogue social joue un rôle important au sein des entreprises comme des branches professionnelles, mais, pour qu’il débouche sur des propositions acceptables par toutes les parties, socialement justes et économiquement efficaces, la représentation des salariés est un vrai sujet, et un sujet d’actualité.

Vous abordez la question, chers collègues, dans votre proposition de loi sous l’angle de la simplification de ces fameux seuils qui déterminent des droits pour l’organisation de la représentation et la participation des salariés dans les entreprises. Ces seuils ont une histoire, que l’on pourrait revisiter pour les comprendre, mais, selon vous, chers collègues députés de l’UMP, ils seraient d’une complexité et d’une lourdeur qui freineraient le recrutement donc l’emploi. Aucune étude prospective ne le confirme – les chiffres se contredisent et ils ne sont pas fiables. La modification des seuils n’aura pas d’incidence sur la création d’emplois, ou très peu ; cela a même été rappelé  par notre collègue de l’UDI.

Certaines organisations patronales veulent réduire les attributions des représentants du personnel dans les entreprises, tout en demandant que la négociation dans les entreprises soit plus pratiquée que la négociation de branche ou interprofessionnelle. S’agirait-il alors de négocier davantage dans les entreprises,… mais avec des interlocuteurs affaiblis ?

Tous les salariés doivent pouvoir être représentés, ils sont des interlocuteurs incontournables du dialogue social, quelle que soit la taille de leur entreprise. Certes, les formes nouvelles de cette représentation sont sûrement à inventer dans les petites et toutes petites entreprises, et nous participerons à la discussion qui va prochainement s’ouvrir avec les partenaires sociaux. Penser à une refonte des seuils pourrait se concevoir s’il s’agit d’améliorer l’effectivité du droit à la représentation des salariés, quelle que soit la taille de leur entreprise, mais bien sûr pas s’il s’agit d’affaiblir la représentation des salariés, ce qui affaiblirait en conséquence la démocratie sociale.

Sincèrement, je pense que ce débat n’est pas d’actualité aujourd’hui, dans un contexte économique très compliqué.

Votre texte traite aussi de l’apprentissage, autre sujet majeur qui peut être abordé dans les instances partenariales, dès lors que celles-ci fonctionnent bien. Nous avons déjà beaucoup échangé lors de l’examen de nos travaux sur la loi relative à la formation professionnelle, promulguée le 5 mars dernier, et les écologistes ont manifesté leur attachement et leur soutien à l’apprentissage, dans l’objectif d’en faciliter l’accès aux candidats et, surtout, en portant leur attention sur les secteurs d’activité pour lesquels il doit être développé. Nous en reparlerons pour la réforme territoriale, ou lors de nos débats budgétaires, mais pas dans le cadre proposé aujourd’hui. Je l’ai expliqué en commission, il me semble que cela n’a pas de sens.

Comme je vous l’ai dit également en commission, cette proposition de loi est trop idéologique, trop peu équilibrée, et les rares sujets dont la discussion serait susceptible de présenter un intérêt y sont noyés, dans un contexte de provocations régulières du MEDEF. Ce n’est même plus de flexisécurité que vous voulez nous parler, c’est de flexibilité tout court, sans aucune sécurité !

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, monsieur le rapporteur, chers collègues, le groupe écologiste ne votera pas ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans le cadre de sa niche parlementaire, l’Union pour un mouvement populaire nous présente aujourd’hui une proposition de loi relative à la simplification et au développement du travail, de la formation et de l’emploi.

J’aimerais tout d’abord revenir sur son exposé des motifs. Vous affirmez, chers collègues, que grâce à la précédente majorité, le pays aurait mieux résisté que ses voisins européens à la crise financière et économique de 2008.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est vrai !

M. Jacques Krabal. Sincèrement, j’aimerais tellement qu’il en fût ainsi ! Cela nous aurait évité les difficultés dans lesquelles nous sommes.

Au-delà de cette remarque, votre texte comporte bien évidemment des propositions qui méritent d’être étudiées et, peut-être, mises en œuvre. Ainsi voulez-vous simplifier le bulletin de paie. Je vous l’accorde, le bulletin de paie actuel comporte beaucoup trop de lignes – cela a déjà été dit et répété. C’est donc une proposition intéressante, mais vous serez d’accord avec moi pour reconnaître que c’est plus une proposition de forme que de fond – comme le disait si bien Voltaire, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Une simplification est d’ailleurs engagée par ce gouvernement. Bien sûr, il faut continuer d’avancer, il faut aller plus loin, monsieur le ministre, sans pour autant remettre en cause les fondements des droits des salariés. Nous ne sommes pas opposés, cependant, à une réflexion sur les seuils salariaux, dès lors que le dialogue dans l’entreprise n’est pas menacé.

Cela dit, si cette proposition de loi comporte certains points intéressants, force est de constater que l’un de ses principaux objectifs est de revenir sur les 35 heures – c’est l’objet de l’article 2 – et sur les dispositions relatives à la durée minimale de 24 heures – l’article 5 de cette proposition de loi a pour objet de les abroger. Vous le savez, les radicaux ont le sens du dialogue. Nous avons donc bien étudié cette proposition de loi. Toutefois, notre groupe, qui a voté la loi sur la sécurisation de l’emploi en 2013 ainsi que la loi sur les stages et la démocratie sociale au début de cette année ; se demande pourquoi vous n’avez pas vous-mêmes pris ces dispositions lorsque vous étiez aux affaires – j’y reviendrai.

La durée minimale de 24 heures hebdomadaires pour le temps partiel a été instaurée par l’article 8 du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Cet article a donc mis fin à ce que l’on appelait le temps partiel subi et instauré une majoration des heures complémentaires. Même si vous le contestez, c’est un nouveau droit pour les salariés. Pour nous, c’est une avancée réelle et, par conséquent, nous rejetons les dispositions de l’article 5 de votre proposition de loi.

Vous proposez à l’article 14 de rendre obligatoire la présence de salariés et de chefs d’entreprise dans les collèges et les lycées, alors que leur présence est actuellement facultative. Si la présence des représentants du monde du travail dans les lycées peut effectivement être une bonne idée, je doute que rendre leur présence obligatoire dans les collèges soit pertinent. Nous reconnaissons qu’il faut rapprocher le monde du travail qui attend les futurs salariés et employeurs et le monde éducatif ; mais il nous semble qu’une présence facultative reste, comme à l’heure actuelle, suffisante. D’ailleurs, certaines entreprises n’hésitent pas à tisser elles-mêmes des partenariats avec des collèges. En tant que maire de Château-Thierry, j’ai d’ailleurs eu le plaisir d’accueillir Mme la ministre de l’éducation nationale et une classe de troisième dans une entreprise, GEA, dont je reparlerai.

De plus, les dispositions de l’article 24 ne nous satisfont aucunement puisque ce dernier abroge la limitation des stagiaires en entreprise. Ce qui va rendre encore plus difficile de trouver des terrains de stages déjà insuffisants.

Nous avons eu de longs débats à ce sujet lors de nos travaux concernant la proposition de loi concernant les stages et nous rejetons avec force votre proposition. Si certains entreprises, notamment des petites entreprises spécialisées dans l’innovation, recrutent et forment un grand nombre d’apprentis, il faut garder à l’esprit que ces derniers sont là pour se former à un métier, à un savoir-faire et pour gagner en compétences avec tout ce que peut offrir une entreprise.

Certes, la formation d’un jeune ne produit pas un gain immédiat. Mais l’un des objectifs de l’entreprise, au-delà de dégager des marges auxquelles nous sommes très sensibles, n’est-il pas aussi de fabriquer une plus-value humaine, un épanouissement ? C’est à mon sens par-là que passe également le rayonnement de l’entreprise. Aussi, je souscris aux propos tenus tout à l’heure : une entreprise, c’est aussi et d’abord les salariés.

Alors oui, la formation d’un jeune est un investissement pour l’avenir.

Personne ne peut remettre en cause la plus-value incontestable que représente une période de stage dans la formation des étudiants : elle est incontestable. Le stage permet de découvrir le monde du travail, de construire son projet d’orientation, et favorise la future insertion professionnelle. La plupart des chefs d’entreprise respectent la finalité des stages ; la pratique a toutefois révélé des dérives, détournant ainsi la vocation première du stage : être un outil au service de la formation de l’étudiant, dans son cursus pédagogique.

Nous sommes pour une formation de qualité, afin d’empêcher des emplois au rabais cachés par le statut du stagiaire. C’est pourquoi nous sommes fermement opposés aux dispositions que vous avez introduites dans cet article.

Dans le même temps, vous expliquez, dans la partie de l’exposé des motifs consacrée à l’article 25, que les stagiaires ne sont pas des salariés et qu’ils ne doivent en aucun cas être considérés comme tels. C’est la raison pour laquelle vous proposez d’abroger les congés salariaux pour les stagiaires. Le groupe des radicaux de gauche et apparentés avait fait adopter, lors de nos travaux en commission et au sein de cet hémicycle, la possibilité pour les stagiaires de bénéficier des services de l’entreprise. En effet, nous avions obtenu en commission que la possibilité de bénéficier de congés et d’autorisations d’absence soit systématiquement inscrite dans les conventions de stages de plus de deux mois. Vous comprendrez donc aisément que nous ne pouvons aucunement souscrire à de telles dispositions, qui représentent un véritable recul social.

Enfin, je voudrais aborder la question du serpent de mer de la fin des 35 heures. Dès sa création, vous n’avez cessé de critiquer le système des 35 heures, sans jamais le remettre en cause réellement, au-delà des déclarations. Déjà, en 2002, Jacques Chirac lui-même ne souhaitait plus la fin de ce dispositif. Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était ministre de l’économie, avait plaidé pour un système à deux vitesses : « Deux systèmes pourraient cohabiter dans les entreprises : un pour le salarié qui veut rester aux 35 heures, un pour celui qui souhaite travailler plus. »

En 2007, pendant sa première campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy n’a cessé de critiquer les 35 heures, en appelant à la revalorisation de la valeur travail : c’était le sens du fameux slogan « travailler plus pour gagner plus ». Son objectif était de détricoter la loi, voire de supprimer totalement le dispositif.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et les heures supplémentaires, alors ?

M. Jacques Krabal. Je suis d’accord avec vous au sujet des heures supplémentaires.

Au total, force est de constater que pendant dix ans de pouvoir, l’UMP n’est jamais passée à l’acte.

Sur ce sujet, comme sur d’autres, ce qui compte avant tout, c’est la discussion avec les partenaires sociaux. C’est ce qui doit être favorisé, et c’est ce que nous privilégions au-delà des déclarations fracassantes. Pour toutes ces raisons, le groupe des radicaux de gauche ne votera pas cette proposition de loi. Certes, elle propose quelques avancées : je les ai rappelées tout à l’heure. Malgré cela, comme l’ont dit mes collègues, elle est plus un symbole politique et idéologique qu’autre chose.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ce n’est pas possible !

M. Jacques Krabal. Monsieur le ministre, je profite de votre présence pour appeler votre attention sur la situation des salariés de grands groupes divisés en segments inférieurs à 50 salariés. Le groupe GEA, par exemple, compte 24 000 salariés ; l’une de ses unités, qui fait l’objet d’un projet de délocalisation, compte moins de 50 salariés. Ils ne peuvent donc pas bénéficier d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Monsieur le ministre, il faut améliorer les droits des salariés : nous devons être offensifs dans ce domaine.

Pour conclure, nous devons arrêter de nous opposer les uns aux autres, et travailler réellement à une société apaisée, plutôt que de toujours faire de l’idéologie.

Mme Isabelle Le Callennec. Laissez-nous discuter, alors ! On ne pourra même pas examiner la motion de rejet préalable si on continue ainsi !

M. Jacques Krabal. Cette remarque, chers collègues de l’opposition, je vous ai souvent entendu la formuler. Nous avons là l’occasion de travailler ensemble. Arrêtons l’opposition stérile et l’obstruction, dont nous avons eu un exemple hier soir dans cet hémicycle, alors que nous examinions le projet de loi relatif à la transition énergétique.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Faut pas tout mélanger !

M. Jacques Krabal. Oui, le chômage grandissant, la situation de la France – et pas seulement depuis deux ans : regardons la réalité – nécessiterait que nous prenions tous conscience de la nécessité de travailler ensemble. Comme l’écrivait Jean de La Fontaine dans sa fable Le laboureur et ses enfants : « le travail est un trésor ». Nous devons nous unir pour le défendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe UMP semble davantage issue du cahier de revendications du MEDEF que d’un programme politique au service du pays, tant les similitudes avec les récentes propositions de ce syndicat patronal sont troublantes.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est réducteur ! Nos propositions vont bien au-delà !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Notre proposition n’est pas écrite par le MEDEF ; votre discours, en revanche, est écrit par la CGT !

Mme Jacqueline Fraysse. Ainsi, l’UMP réclame : l’extension du contrat de chantier à d’autres secteurs, pour accentuer encore la précarité et la flexibilité ; la modification des seuils sociaux, pour réduire encore un peu plus le nombre de comités d’entreprise ; le renforcement des accords d’entreprise, au détriment des accords de branche plus protecteurs ; l’assouplissement des dispositions votées récemment pour encadrer l’apprentissage et les stages, comme mon collègue Jacques Krabal vient de le rappeler ; l’augmentation de la durée hebdomadaire du temps de travail… Bref, tout comme le MEDEF !

En fin de compte, que tentez-vous de faire avec cette proposition de loi ? Peser en faveur du patronat pour influencer les négociations nationales interprofessionnelles à venir ? Alors qu’en tant que parlementaire, vous devriez défendre l’intérêt général, vous n’êtes que le porte-voix des intérêts spécifiques des actionnaires et des dirigeants des grandes entreprises. Permettez-moi de vous dire que cela n’a rien de glorieux !

Mme Arlette Grosskost. C’est pathétique !

Mme Jacqueline Fraysse. De plus, vous n’hésitez pas, pour étayer votre démonstration, à tronquer la réalité. Vous affirmez ainsi, dans la partie de l’exposé des motifs consacrée à l’article 2, que « la France fait partie des pays ou les salariés à temps plein ont une durée annuelle du temps de travail parmi les plus faibles d’Europe ». Vous vous gardez bien de préciser que si l’on prend en compte l’ensemble des salariés, y compris les salariés à temps partiel – car, excusez du peu, mais eux aussi travaillent –, la France est l’un des pays où on travaille le plus : 37 heures et demie par semaine en moyenne. C’est plus que la moyenne allemande, italienne, néerlandaise ou même anglaise.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ils ne doivent pas travailler de la même manière, alors !

Mme Jacqueline Fraysse. D’autres chiffres sont délibérément passés sous silence. Vous omettez ainsi de dire que la productivité en France est l’une des meilleures d’Europe, devant celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est vrai !

Mme Jacqueline Fraysse. De même, vous oubliez de préciser le nombre d’emplois générés par le passage aux 35 heures.

Mme Isabelle Le Callennec. Et pour quel coût ?

Mme Jacqueline Fraysse. Je rappelle que plus de 350 000 emplois ont été créés…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vous les avez comptés ?

Mme Jacqueline Fraysse. …au cours de la seule période allant de 1998 à 2002, et ceci sans avoir provoqué de déséquilibre financier, comme le montre la revue d’enquête de l’INSEE Économie et statistique de juin 2005.

Ces chiffres confirment que si la réforme des 35 heures avait été menée différemment, notamment en corrélant l’octroi d’aides publiques à la création d’emplois, nous aurions obtenu des retombées plus positives encore, tandis que les effets négatifs, comme la surcharge de travail, auraient été atténués.

C’est vous qui faites des 35 heures un tabou, en masquant la réalité pour des raisons idéologiques.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Qu’est-ce que c’est, alors, la réalité ?

Mme Jacqueline Fraysse. Calmez-vous, cher collègue : je vous trouve bien énervé !

Autre exemple : à l’article 10, vous proposez de qualifier de licenciement pour motif personnel le licenciement d’un salarié qui refuserait d’appliquer un accord de mobilité. Pour soutenir cette proposition, vous arguez du fait que « ces dispositions reprennent exactement le motif de licenciement prévu par la convention 158 de l’Organisation internationale du travail ». Là encore, vous tordez la réalité. Le Conseil d’État a au contraire chaudement recommandé au Gouvernement de ne pas maintenir la qualification de licenciement pour motif personnel dans ce cas, précisément pour des problèmes de compatibilité avec la convention 158 de l’OIT.

Non seulement vous multipliez contrevérités et omissions, mais vous n’hésitez pas à modifier les rapports entre le contrat et la loi, selon un schéma à géométrie variable, selon ce qui vous arrange, et au risque de vous contredire. Ainsi, lorsque les accords d’entreprise dérogent à la loi en faveur du patronat, vous prétendez que ces accords doivent primer la loi. Mais à l’inverse, vous n’hésitez pas à faire appel à la loi pour remettre en cause un engagement conventionnel lorsqu’il ne convient pas au patronat. C’est le cas à l’article 5, par lequel vous proposez de supprimer l’une des rares contreparties favorables aux salariés de l’accord national dit de sécurisation de l’emploi, en proposant tout bonnement d’abroger la mise en place du seuil minimum de vingt-quatre heures pour les salariés à temps partiel. Vous piétinez ici des accords qu’au contraire vous tentez de sacraliser quand ils sont favorables aux employeurs.

Nous pourrions poursuivre encore longtemps le démontage de ce texte. Alors qu’il traite de sujets très importants, il se borne à la provocation. D’emblée, vous indiquez que les institutions représentatives du personnel seront fusionnées, et qu’il n’y aura plus de représentants des salariés dans les entreprises de moins de 100 personnes. En proposant cela, vous n’allez pas seulement à rebours du progrès social, vous remettez en cause le fondement même du droit du travail, qui vise à rétablir un équilibre en faveur du salarié, juridiquement et économiquement subordonné à l’employeur, ce qui est contraire au principe constitutionnel d’égalité.

Nous comprenons parfaitement que le patronat rêve de sortir les représentants des salariés de l’entreprise.

Mme Arlette Grosskost. En attendant, ce sont les patrons qui sortent de France ! Il faut le dire !

Mme Jacqueline Fraysse. Le droit de représentation des salariés au sein de l’entreprise est un droit essentiel conquis au fil de l’histoire, qui limite les pouvoirs exorbitants du patronat et entrave ses projets, qui sont centrés uniquement sur la rentabilité financière. Cette proposition n’est pas recevable : elle n’a rien à voir avec les évolutions des institutions représentatives du personnel nécessaires pour les adapter au mouvement de la société et pour les rendre plus lisibles et plus efficaces pour les salariés.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce qu’il faut, c’est surmonter les blocages !

Mme Jacqueline Fraysse. En réalité, cette proposition de loi ne vise qu’à agiter les vieilles lunes patronales que sont la mise à mal du CDI, la flexibilité totale du temps de travail, de son organisation et de la rémunération. Autrement dit : rien de nouveau. Si, une seule chose est un peu plus moderne : le prétexte !

Il s’agit, en cette période de chômage, de faire croire que l’abrogation de toutes les dispositions protectrices des salariés serait le seul moyen de créer des emplois. Malheureusement pour vous, cet argument ne convainc plus, car cela fait des décennies que les gouvernements successifs déréglementent le droit du travail, sans effet positif. Pour ne citer que des exemples récents, la rupture conventionnelle devait rassurer les employeurs afin qu’ils n’hésitent plus à embaucher, mais elle n’a fait qu’accroître le nombre de chômeurs. Les contrats précaires de tous genres ont vu le jour sous le même prétexte. Après les contrats à durée déterminée, les contrats à durée déterminée à objet défini, les CDDOD, ont été inventés : ils sont pratiquement inutilisés, mais vous proposez quand même de pérenniser.

Ces mesures de flexibilité ne donnent aucun résultat en termes d’emploi : c’est un fait, et les faits sont têtus. De plus, comme l’indique l’OCDE, il n’est pas vraiment possible d’établir un lien entre le degré de flexibilité et le niveau de chômage. Par contre, il ne fait aucun doute que la flexibilité complique et dégrade lourdement la vie quotidienne, personnelle et familiale de nos concitoyens. Vous leur proposez un monde d’incertitude et d’angoisse, où ils ne sauront pas s’ils travailleront, quand ils travailleront, ni pour quelle rémunération. Vous parlez volontiers de visibilité pour les chefs d’entreprise : je le comprends. Mais pouvez-vous imaginer – sinon comprendre – que les salariés ont, eux aussi, besoin de visibilité pour conduire leur vie ?

Ces recettes, que vous tentez de nous vendre comme nouvelles, sont en réalité éculées. Elles ont largement fait la preuve de leur inefficacité, pire, de leur nocivité, en enfonçant notre pays dans la crise. La vérité est que vous êtes incapables de formuler des propositions innovantes permettant à la fois aux entreprises de s’adapter aux mutations nécessaires et aux salariés de sécuriser réellement leur carrière, avec le maintien d’un salaire tout au long d’une vie professionnelle faite d’une succession de périodes travaillées et de formation, dans une société qui bouge rapidement et où la connaissance progresse à vive allure.

Voilà pourquoi nous voterons sans hésiter contre ce texte ringard qui tourne le dos au progrès social, et au progrès tout court. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le rapporteur, vous nous proposez une proposition de loi relative à la simplification et au développement du travail, de la formation et de l’emploi, titre avec lequel nous ne pouvons qu’être d’accord. Sur tous les bancs, nous le souhaitons, mais malheureusement les solutions proposées sont loin d’y répondre.

Les mesures que vous proposez, telles que la simplification ou la suppression du code du travail, la suppression des 35 heures, la suppression des seuils sociaux et la diminution des indemnités accordées aux salariés, ne sont, hélas, pas la baguette magique pour créer de l’emploi.

Votre texte prône la flexisécurité, considérée comme la seule solution à la relance de la croissance. Cette vision est d’ailleurs largement partagée par le MEDEF. Vous envisagez la réforme du code du travail mais vous ne le faites que par le prisme de la remise en cause des droits des salariés.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est faux !

Mme Kheira Bouziane. Je finis par croire que les 35 heures sont devenues obsessionnelles dans les rangs de l’opposition. À vous entendre, elles sont la cause de tous les maux, comme celui de l’endettement lié aux investissements des hôpitaux.

M. Guy Geoffroy. En partie !

Mme Isabelle Le Callennec. Cela a créé des problèmes d’organisation dans les hôpitaux !

Mme Kheira Bouziane. Pardonnez-moi mais, vous avez été au pouvoir pendant dix ans, comme vient de le rappeler M. le ministre : pourquoi ne les avez-vous pas remises en cause ?

Monsieur le rapporteur, vous l’avez reconnu en commission et les chefs d’entreprise le disent eux-mêmes : aujourd’hui, avec tous les dispositifs permettant de les adapter, les 35 heures ne sont pas un obstacle à la création d’emploi. En tout état de cause, une commission d’enquête sur son impact est en cours ; attendons ses conclusions.

Vous proposez d’augmenter le temps de travail dans le secteur public. Encore une idée fixe, pour pas dire une autre obsession : des fonctionnaires sous utilisés, voire payés à ne rien faire ! Dites-le aux salariés des hôpitaux et aux magistrats, déjà malmenés par votre révision générale des politiques publiques aveugle !

Mme Isabelle Le Callennec. Quelle caricature !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Cessez d’être idéologue !

Mme Kheira Bouziane. Par ailleurs, vous proposez de lier par le biais d’accords d’entreprise le temps de travail des salariés et les résultats de l’entreprise, ce qui se traduira forcément par un accroissement de la flexibilité des salariés et par une grande insécurité. Comment un salarié peut-il se protéger, se projeter dans l’avenir, fonder une famille, acheter un logement si, à tout moment, son temps de travail peut être remis en cause et son salaire est irrégulier ?

Concernant les seuils sociaux, je rappelle qu’ils permettent aux salariés d’avoir un accès effectif à des droits fondamentaux protégés par la Constitution et le droit européen : le droit à la santé, le droit à la sécurité dans l’entreprise, le droit des salariés à participer à la vie de l’entreprise.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est toujours le même refrain !

Mme Arlette Grosskost. Quel est le rapport avec la proposition de loi ?

Mme Kheira Bouziane. Ils sont aussi la richesse de l’entreprise. Comment comptez-vous garantir ces droits dans les entreprises de moins de 100 salariés ? Dois-je rappeler, ne vous en déplaise, le rôle fondamental des institutions représentatives du personnel dans les entreprises, le rôle de ces interlocuteurs privilégiés pour les salariés et les non-salariés, leur rôle dans le dialogue social ? Non, les seuils sociaux ne sont pas un obstacle à l’embauche ; ce sont l’activité et le carnet de commandes qui déterminent le niveau de l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Albarello. Vous n’avez jamais vu une entreprise !

M. Christian Jacob. Mieux vaut entendre cela qu’être sourd !

M. Yves Albarello. Vous n’êtes pas d’accord avec le Premier ministre, alors !

Mme Kheira Bouziane. Votre proposition de loi prévoit également d’élargir le champ de la négociation collective d’entreprise, au détriment de la négociation de branche, voire de la loi. Cela entraînera un renversement hiérarchique des normes et ne permettra plus la protection de l’intérêt collectif des salariés. Cela laissera s’installer des règles disparates, différentes pour chaque entreprise sur des sujets aussi importants que le temps de travail, la rémunération ou la mobilité. Or, la loi et le droit sont les garants de l’ordre social. Oui, la loi doit protéger l’intérêt collectif, surtout dans le cadre de la relation de travail particulièrement déséquilibrée en raison du lien de subordination qui existe entre employeurs et salariés.

De plus, monsieur le rapporteur, votre proposition est en contradiction avec la diminution des seuils sociaux que vous préconisez. Avec qui vont négocier les chefs d’entreprise dans les entreprises de moins de 100 salariés ?

Par ailleurs, vous proposez de réduire la prime supra légale. Je vous l’ai déjà dit en commission, elle est octroyée par les entreprises et son montant est en lien avec leurs moyens. Elle est obtenue souvent après de longues et âpres luttes, notamment pour le maintien de l’emploi. Elle sert à réparer le préjudice financier des salariés, mais également le préjudice moral qu’ils subissent en raison de la perte de leur emploi, parfois à la suite de la fermeture de leur entreprise.

Quel que soit son montant, elle ne remplacera jamais l’emploi perdu. J’ai rarement vu des salariés qui perdent leur emploi heureux de toucher des primes. J’ai plutôt vu des salariés majoritairement inquiets et angoissés à l’idée d’être au chômage et de voir leur entreprise fermer.

Concernant l’apprentissage, sujet que M. le ministre a déjà suffisamment approfondi, je souhaite simplement évoquer le socle commun auquel nous sommes attachés.

M. Christian Jacob. Il faudrait que le ministre agisse, désormais !

M. François Rebsamen, ministre. Nous avons agi !

Mme Kheira Bouziane. Combien de fois ai-je entendu des chefs d’entreprise déplorer le niveau scolaire insuffisant de certains apprentis, ce qui parfois peut être source d’échec ? Nous ne partageons donc pas votre proposition d’autoriser l’apprentissage à partir de quatorze ans, proposition à laquelle je comprends que vous soyez attaché, monsieur le rapporteur.

Pour finir, j’ai l’impression – sauf votre respect, monsieur le rapporteur – que votre proposition de loi est un peu fourre-tout. En réalité, vous jouez le match retour de certaines lois votées par notre assemblée, que vous avez du mal à accepter…

Mme Isabelle Le Callennec. C’est sûr ! Ce sont surtout les entreprises, qui ont du mal à les digérer !

Mme Kheira Bouziane. …ou, comme l’a dit le ministre, vous contribuez au débat qui agite l’UMP. Ni les 35 heures, ni les seuils sociaux n’empêchent la création d’emploi. Un travail sur les filières industrielles et les entreprises en difficultés doit être mené. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Premier ministre exhorte régulièrement l’opposition à s’associer à la lutte pour la compétitivité des entreprises et donc contre le chômage. Votre prédécesseur, Michel Sapin, déclarait sur Europe 1 ce dimanche : « la politique en en stéréophonie, avec la droite et la gauche, c’est mieux. »

J’en déduisais que, bien que dans l’opposition, le Gouvernement nous reconnaissait quelque utilité, à tout le moins dans ses discours.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. On y croyait !

Mme Isabelle Le Callennec. Je rêvais que cette proposition de loi de l’UMP, défendue par M. Cherpion, allait apporter la preuve concrète que l’opposition s’oppose mais aussi propose, que le Gouvernement écoute mais surtout entend.

J’osais imaginer que cette proposition allait être l’occasion pour votre Gouvernement et sa majorité de reconnaître ses erreurs, voire ses fautes, et de les racheter au plus vite. D’ailleurs, certains d’entre vous semblaient être sur la voie de la rédemption. D’Angleterre, s’agissant du Premier ministre, de Bourgogne, s’agissant de vous-même, monsieur le ministre, vous avez livré des visions de politique économique que d’aucuns qualifient de sociale libérale et qui ne manquent pas d’agiter votre majorité de moins en moins majoritaire dans le pays.

Je croyais, naïvement sans doute, qu’enfin nous allions nous réunir au nom de l’intérêt général, au service des chefs d’entreprise, des salariés qui ont besoin de sécurisation – je suis d’accord avec vous, madame Fraysse –, mais aussi au service des demandeurs d’emploi, qui restent à la porte du marché du travail. J’observe une fois de plus qu’il n’en sera rien.

En effet, les députés de la majorité ont déposé en commission des affaires sociales des amendements de suppression de tous les articles. Et comme si cela ne suffisait pas, le groupe SRC défendra une motion de rejet dans cet hémicycle, ce qui, pour les Français qui nous écoutent, signifie purement et simplement que vous refusez le débat. Pire, vous restez sourds aux alertes des chefs d’entreprise qui créent l’emploi dans notre pays et dont le moral est aujourd’hui au plus bas.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Il n’y a pas que le MEDEF !

Mme Isabelle Le Callennec. Que vous proposait M. Cherpion ? Ce que les forces vives de notre pays appellent de leurs vœux, ni plus ni moins : poser les bases d’un nouveau dialogue social – la première richesse des entreprises, ce sont les hommes et les femmes qui y travaillent ;…

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Très bien !

Mme Isabelle Le Callennec. …baisser les coûts qui pèsent sur les entreprises, notamment les PME et les TPE – charges salariales et patronales, fiscalité, prix de l’énergie ; favoriser l’investissement public et privé – les investissements d’aujourd’hui sont les emplois de demain ; …

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Très bien !

Mme Isabelle Le Callennec. … lever tous les blocages – durée du travail, rigidités du code du travail, contrat de travail, accès à la formation, seuils sociaux. J’insiste sur ce point pour marquer les esprits : en passant de 49 à 50 salariés, une entreprise doit faire face à vingt-sept obligations supplémentaires !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Eh oui !

Mme Isabelle Le Callennec. Cette proposition de loi visait donc à simplifier et développer le travail, la formation et l’emploi en s’attaquant précisément à tous ces blocages.

Elle visait également à revenir sur des mesures que vous avez prises, dont on vous avait pourtant dit que la mise en œuvre serait contre-productive, ce qui n’a pas manqué. Je pense par exemple à la durée minimale hebdomadaire de temps de travail fixée à 24 heures, qui pose problème dans nombre de branches professionnelles, singulièrement dans le secteur des services aux personnes. Je pense également à la loi sur les stages, qui prend le risque de décourager les chefs d’entreprise, pourtant désireux de donner leur chance aux jeunes. Je pense enfin aux dispositions relatives à l’apprentissage, que vous avez littéralement condamné ces deux dernières années et que vous prétendez désormais vouloir revaloriser, au moyen d’une grande campagne de communication. Mais, monsieur le ministre, avec tout le mal que vous avez fait, en particulier aux entreprises du bâtiment, des travaux publics ou de la restauration, votre objectif de 500 000 jeunes en apprentissage aura bien du mal à être atteint, et vous en êtes responsable !

Cette proposition de loi tentait surtout de « révolutionner » le dialogue social par la base, en permettant aux chefs d’entreprise et aux salariés de conclure des accords d’entreprise visant à aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation, la rémunération des salariés, accords qui tiennent compte des réalités vécues, très variables d’une entreprise à l’autre, d’un secteur d’activité à l’autre, d’une période de l’année à l’autre.

Cette proposition de loi était enfin pour nous l’occasion de défendre des amendements et d’enrichir le texte. Pour ce qui me concerne, j’aurais aimé que nous débattions de dispositifs qui favorisent le recrutement comme les méthodes de recrutement par simulation ou le CV citoyen. J’aurais souhaité que nous rappelions à quel point l’intéressement et la participation participent de la valorisation du travail.

M. Guy Geoffroy. Excellent !

Mme Isabelle Le Callennec. Je vous aurais rappelé à vos engagements de fournir au Parlement un rapport sur les ruptures conventionnelles et nous aurions été nombreux à faire la promotion de l’alternance comme voie royale d’insertion professionnelle, particulièrement pour les jeunes.

Hélas, vous préférez couper court. Là où nous vous proposions de donner un coup de barre, non pas à droite, encore moins à gauche,…

Mme Kheira Bouziane. On s’en doutait ! De quel côté, alors ?

Mme Isabelle Le Callennec. … mais tout simplement en direction d’une confiance retrouvée chez les entrepreneurs.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Très bien !

Mme Isabelle Le Callennec. Vous persistez et vous signez, au risque de vous éloigner encore un peu plus de la sortie de crise et de désespérer encore un peu plus les Français, qui, eux, nous en sommes convaincus, sont pourtant prêts aux évolutions nécessaires, dès lors qu’elles sont efficaces et justes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni.

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, c’est au mépris des partenaires sociaux et du dialogue social que l’UMP nous propose aujourd’hui une loi remettant en question les droits des salariés et des étudiants.

Mme Isabelle Le Callennec. Qui méprise aujourd’hui le dialogue social en faisant des propositions sur l’indemnisation du chômage ?

Mme Chaynesse Khirouni. Pourquoi les mesures proposées pour libérer les forces vices et créer de l’emploi se traduisent-elles majoritairement par des reculs sociaux ? Pourquoi les réformes ne sont abordées qu’au travers du détricotage de l’existant ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vous n’avez fait que cela pendant deux ans !

Mme Chaynesse Khirouni. Je vous rappelle, chers collègues, que réformer c’est améliorer, non détricoter.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas ce que l’on propose !

Mme Chaynesse Khirouni. Le monde a changé, alors faisons preuve de créativité et d’esprit d’innovation. Réinventons le progrès !

Pour ma part, je bornerai mon intervention à vos propositions concernant les stages : quelle régression sociale pour les étudiants !

Mme Arlette Grosskost. Ils ne trouvent plus de stage !

Mme Chaynesse Khirouni. Comment ne pas dénoncer l’incohérence de votre discours : vous n’avez de cesse de réclamer une stabilité législative pour les entreprises alors que vous proposez de supprimer les dispositions qui permettent de lutter contre les abus, deux mois seulement après leur adoption par le Parlement à une très large majorité.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Génération précaire !

Mme Chaynesse Khirouni. Je suis fière d’avoir défendu, au nom du groupe SRC, cette proposition de loi mettant en œuvre l’engagement présidentiel n39, qui permet de lutter contre la précarité des jeunes et constitue une amélioration importante de leur situation sociale. Avec ce vote unanime des parlementaires de gauche – socialistes, écologistes, communistes et radicaux –, nous avons adressé aux jeunes un signal de confiance à la fois beau et fort.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Quel résultat !

Mme Chaynesse Khirouni. Nous avons affirmé la mobilisation de tous pour les jeunes en leur signifiant notre confiance en leurs compétences, leurs capacités d’innovation et leurs qualités, et cela quels que soient leurs formations, leurs parcours et leurs origines.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Vous allez voir les résultats !

Mme Chaynesse Khirouni. Avec la loi du 10 juillet 2014, nous avons réaffirmé clairement – et c’est peut-être ce qui nous sépare – que le stage n’est pas une fin en soi.

Pour nous, il doit rester un outil au service de la formation. Il ne doit plus constituer une super-période d’essai pour les jeunes diplômés qui seraient condamnés à enchaîner les périodes de stages avant de décrocher leur premier emploi.

Oui, mes chers collègues, force est de constater que certaines entreprises recourent parfois de manière abusive aux stages, en utilisant des stagiaires à la place de salariés.

Il fallait y remédier, pour les jeunes, bien sûr, mais également pour les entreprises vertueuses qui font face à la concurrence déloyale de celles qui abusent en considérant les jeunes comme une main-d’œuvre à bas coût.

C’est pourquoi nous avons cherché à garantir un encadrement pédagogique de qualité pour tous. Pour cela, il était nécessaire de limiter le nombre de stagiaires par organisme d’accueil, tout en tenant compte, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, de certaines spécificités, je pense notamment aux start-up ou aux petites entreprises.

La loi du 10 juillet 2014 est donc un texte d’équilibre. Je rappelle d’ailleurs à mes collègues qu’en 2006, Mme Valérie Pécresse avait déposé, au nom du groupe UMP, une proposition de loi visant à encourager et à moraliser le recours aux stages par les entreprises.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. J’en ai déposé une en 2011.

Mme Chaynesse Khirouni. Son exposé des motifs vaut son pesant d’or : force est de constater que ce n’est pas le souci de cohérence qui vous anime. Vous êtes capables, par opportunisme, de soutenir tout et son contraire !

Vos mesures relatives aux stages, déclinées aux articles 21 à 26 de la proposition de loi que nous examinons, sont, quant à elles, injustes socialement et comportent un risque certain pour l’emploi des jeunes.

Vous le savez, ni l’obligation de gratification, introduite en 2006, ni même votre loi, monsieur le rapporteur, n’ont eu d’incidence sur l’évolution du nombre de stages dans notre pays, puisque, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental, on comptait en 2012 1,6 million de stagiaires, contre 600 000 en 2006.

Avec la loi du 10 juillet 2014, nous avons revalorisé la gratification des stagiaires de 12,5 % à 15 % du plafond de la Sécurité sociale, soit 523,26 euros par mois. Je veux réaffirmer que cette revalorisation reste modérée pour les organismes d’accueil et qu’elle constitue un soutien nécessaire aux jeunes.

J’en profite, monsieur le ministre, pour rappeler la nécessité de relever le plafond d’exonération de cotisations, dans un souci de simplification pour les entreprises.

Votre proposition, qui supprime cette revalorisation, et vise, quant à elle, à inciter les organismes d’accueil à rapprocher la gratification du niveau du SMIC, et donc à les assimiler à des salariés, constitue pour nous un danger pour l’emploi des jeunes.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Ça, c’est un comble !

Mme Chaynesse Khirouni. Alors que les jeunes connaissent un taux de chômage élevé, jusqu’à 40 % dans certains territoires, le risque est grand de créer une sorte de trappe vers des sous-emplois sous-payés. Cette trappe conduirait certaines entreprises à considérer que le montant de la gratification des stagiaires justifie, à lui seul, que leur soient confiées des missions et des tâches normalement dévolues à des salariés. Le risque est grand qu’elle préfère recourir à des stagiaires plutôt que d’embaucher des jeunes.

Pour conclure, je regrette vos propositions empreintes d’idéologie… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Frédéric Poisson. Il faut entendre cela pour le croire !

Mme Chaynesse Khirouni. … dans lesquelles tous les droits des salariés en général, et des jeunes en particulier, sont perçus comme une entrave, un frein, une rigidité qu’il faut combattre. Alors que se tenait hier le sommet européen sur l’emploi des jeunes, ayons le courage de refuser la simplicité !

À cette approche idéologique, nous préférons la mobilisation de tous les acteurs. Nous voulons porter un message de confiance en l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Votre idéologie à vous, c’est celle de Génération Précaire !

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, mes chers collègues, je me réjouis du débat que nous avons autour de cette proposition de loi, comme du moment auquel il a lieu.

En effet, pour nos concitoyens, et en particulier pour les plus jeunes, le sujet de cette proposition pourrait un jour donner naissance à un sentiment d’unité nationale.

Je ne crois pas que le travail soit une valeur de droite ou de gauche, pas plus que du centre. Je pense que le travail est une des valeurs qui fonde notre vie en société, qu’il constitue l’un des fondamentaux de la République et du vivre-ensemble. Je rêve d’ailleurs du jour où, chemin faisant, nous pourrons, peut-être, réussir à réhabiliter, dans l’esprit de tous nos concitoyens – car je ne suis pas sûr que ce soit encore le cas – l’idée même du travail.

Je pense que quelques uns le perçoivent encore, bouleversés qu’ils ont été par ces trente dernières années qui ont passé décidément si vite, comme un mal nécessaire. Or, après la famille, c’est certainement dans le travail que tout commence.

Je rêve aussi du jour où nous pourrons peut-être rouvrir le débat sur les 35 heures.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça approche, ça approche !

M. Jean Lassalle. Il faut y revenir, mais d’une manière apaisée et pacifiée. Il faut cesser d’en faire un sujet d’opposition permanente, car un tel état d’esprit ne nous aide en rien, et n’aide surtout pas ceux qui sont à la recherche d’un travail.

Il faut réapprendre que le travail, à côté de sa grandeur, a aussi ses servitudes, et qu’il exige un dévouement total.

Je rêve de voir notre réflexion commencer par le commencement. Je crois que notre grand pays pourrait imaginer une nouvelle forme d’instruction publique qui d’une part, favoriserait ceux qui ont la capacité à réfléchir longtemps, pour faciliter leur accès aux grandes écoles, et d’autre part, donnerait la possibilité à ceux qui ont l’intelligence de la main, qui ont la capacité d’imposer par celle-ci leur volonté à la matière, de redevenir ce qu’ils furent jadis. Cela permettrait par exemple, après que leurs ancêtres ont construit les belles villes que nous connaissons, que nous puissions en refaire aujourd’hui entièrement les entrées, qui laissent à désirer.

Mais pour cela, nous avons besoin d’un nouvel état d’esprit. Il nous faut parler de manière différente, entre nous et à nos enfants, du travail lui-même. Il nous faut, tout en les éduquant, les y préparer.

C’est la raison pour laquelle, en un mot comme en mille, monsieur le président, je considère que tout ce qui va dans le sens de la simplification, de l’échange et de la discussion, ainsi que de la formation, doit être encouragé.

À ce propos, je pense que nous n’encourageons pas suffisamment la formation professionnelle, notamment au niveau des entreprises, et ce quels que soient les gouvernements.

Je suis en effet persuadé qu’un grand nombre d’entreprises prendraient plus longtemps, et de manière plus sereine, des jeunes apprentis et des stagiaires, si le coût de leur stage ne devait pas venir s’ajouter à leurs charges.

Je crois qu’il y a là un grand dessein national à bâtir, et nous ne sommes pas de trop, tous, pour y parvenir. C’est la raison pour laquelle je m’associe à cette proposition de loi, que je voterai. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).

M. Jean-Frédéric Poisson. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline.

Mme Nicole Ameline. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, ma conviction est que ce ne sont pas les entreprises et les marchés qui sont en concurrence dans le monde, mais aussi nos modes d’organisation, nos systèmes de gouvernance, et la capacité des États à s’adapter et à réformer.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Très juste !

Mme Nicole Ameline. Force est de constater qu’à l’inverse de la démarche de Condillac, qui transformait les statues en hommes, depuis deux ans, la complexité croissante des réglementations, la rigidité des contraintes, l’instabilité fiscale, ont condamné l’initiative, et, par là-même, ont privé notre pays d’un atout de compétitivité.

Mais, point sans doute le plus grave, c’est notre incapacité à nous adapter plus que la crise elle-même qui affaiblit aujourd’hui la France. Alors oui, l’UMP est dans son rôle lorsqu’elle répond à cette urgence sociale, économique, en proposant, comme l’a excellemment fait notre collègue Gérard Cherpion, des mesures de simplification et de développement du travail et de l’emploi.

Car, au-delà des chiffres et des indicateurs, c’est aux millions de familles précarisées par le choc fiscal et la montée du chômage, aux milliers d’entreprises écrasées par les charges et un environnement administratif trop éloigné de leur culture et de leurs besoins, aux milliers de jeunes diplômés, perdus dans la recherche de stages introuvables et qui vont chercher ailleurs un espoir de réussite, que nous répondons.

Monsieur le ministre, je souhaiterais, comme tous ici, que nous soyons unis pour répondre à ce drame français. Vous avez donné à votre politique de récentes inflexions, parfois positives. Mais entre les divergences d’appréciation, les critiques à peine voilées de certains de vos anciens ministres, les divergences de fond entre le Premier ministre et le président de la République, où va la majorité, où va la France ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Si quelqu’un le sait, qu’il le dise !

Mme Nicole Ameline. Ne peut-on pas se retrouver dans l’action ? Parce qu’agir aujourd’hui, c’est réformer. C’est maintenant qu’il faut passer de politiques d’assistance à des politiques plus utiles à la responsabilité et à l’emploi. C’est maintenant que nous devons repenser la dépense publique, dans son périmètre tout autant que dans son efficacité.

Je crois que jamais la France n’a eu autant besoin de réformes, de liberté, de respect de l’initiative et d’encouragement à la prise de risque. C’est ne pas connaître l’entreprise que de ne pas vouloir entendre cet appel à plus de responsabilité et de liberté.

Cette proposition de loi a le mérite de poser les vraies questions. D’abord, par l’engagement d’une refonte du code du travail. Quel sens ont, aujourd’hui, la complexité administrative, les contraintes superfétatoires, les milliers de règlements, quand cinq millions de nos concitoyens sont sans emploi ou en sous-activité ?

Monsieur le ministre, je vous pose la question, sans esprit polémique : quel sens a un code du travail censé protéger les plus faibles, quand il fige, par sa rigidité, l’initiative et l’esprit d’entreprendre ? Évaluons, engageons la réforme des seuils sociaux – mesure simple, efficace, directe. Ne nous réfugions pas derrière une idéologie et des principes.

Encore une fois, nous avons l’absolue nécessité de desserrer les contraintes, pour engager les entreprises vers de nouvelles stratégies de développement. Car, la sécurité, c’est d’abord d’avoir un emploi.

Notre marché du travail est aussi devenu en enjeu majeur, parce que sa rigidité est aujourd’hui contraire aux principes qui aujourd’hui déterminent l’efficacité dans le monde, au premier rang desquelles la souplesse.

Les bons exemples ne manquent pas : le Danemark, la Finlande – dont je ne crois pas que les modèles sociaux soient contestables – ont fait cette réforme.

J’ajoute, puisque nous avons parlé des jeunes, que l’adéquation des formations aux emplois est absolument nécessaire : aujourd’hui, dans le secteur numérique, 40 000 emplois par an ne peuvent être pourvus. Ce secteur d’avenir, qui peut nous aider à sortir de la crise, est donc aujourd’hui privé de ces ressources humaines.

Nous n’aurons pas, et je le regrette sincèrement, de discussion sur le fond. J’aurais aimé vous parler de deux sujets majeurs que j’évoquerai pour conclure.

Le premier est la question des femmes, dont les droits encore trop faiblement consolidés risquent, ici comme ailleurs, de reculer du fait de la crise. La question du temps partiel les concerne directement.

L’égalité professionnelle doit être réaffirmée comme un moteur de l’économie moderne. La place et le rôle des femmes dans les filières les plus avancées devraient faire l’objet, je vous le demande, monsieur le ministre, d’un plan offensif en matière de formation professionnelle.

Car il ne s’agit pas seulement de protéger les femmes, mais de les placer en première ligne de la sortie de crise.

Enfin, je voudrais conclure sur les jeunes. Trouvez des solutions immédiates, faites en sorte que les entreprises leur ouvrent leurs portes, sous des formes les plus simplifiées possible. Sinon, vous allez donner à de jeunes diplômés qui, nous le savons tous, quittent nos régions pour une mobilité subie plus que choisie le sentiment que c’est la nation qui leur ferme ses portes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviens de l’audition de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin devant la commission d’enquête sur les 35 heures, c’était un vrai rafraîchissement.

Mme Isabelle Le Callennec. Un rajeunissement !

M. Gérard Sebaoun. Regardez la vidéo de cette séance, vous y trouverez quelques éléments de réflexion.

Mme Isabelle Le Callennec. Et des explications sur la mise en place des 35 heures ?

M. Gérard Sebaoun. Monsieur le rapporteur, si vous n’étiez pas connu pour votre expertise sur le sujet, j’aurais le sentiment que votre proposition de loi est un véritable brûlot. Vous reprenez à votre compte, sous couvert de je ne sais quelle modernité, le discours sur le code du travail présenté comme un objet infréquentable, qui serait devenu au fil du temps obèse et trop protecteur.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est un peu vrai !

M. Gérard Sebaoun. Vous nous proposez dans le premier chapitre rien moins que la fin des 35 heures, la fin des seuils sociaux en dessous de 100 salariés, la fin de la durée minimale du travail à temps partiel et la fragilisation des salariés en levant l’obligation de négocier avec les syndicats.

Je crois que votre proposition de loi est de l’affichage politique, je pourrais d’ailleurs vous interpeller sur toutes les mesures miraculeuses que vous n’avez pas mises en œuvre pendant les dix années où vous étiez aux responsabilités, nous pourrons prendre quelques exemples.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je n’étais pas ministre !

M. Gérard Sebaoun. Depuis juin 2012, la négociation sociale a retrouvé des couleurs, avec quelques beaux succès mais aussi des difficultés, et il faut poursuivre inlassablement dans cette voie. Je limiterai mon intervention aux articles 2 et 3, qui entendent revenir sur les 35 heures pour l’ensemble des salariés du privé et des trois fonctions publiques.

Quelques chiffres sans trahir ni charcuter les statistiques à notre disposition. Il est faux de dire que les salariés français travailleraient moins que leurs voisins européens. Eurostat nous apprend que l’ensemble des salariés français, à temps plein et à temps partiel, travaillaient 1 553 heures par an en 2012 et 1 536 en 2013 contre 1 597 et 1 580 heures pour nos amis allemands. En 2013, les Danois étaient à 1 511 heures, les Suédois à 1 525, les Finlandais à 1 538, les Belges à 1 580, et je pourrais continuer. Non, la France ne travaille pas moins que les autres pays.

M. Jean-Frédéric Poisson. Si !

M. Gérard Sebaoun. Selon le bulletin de la DARES de juillet 2013, la durée hebdomadaire du travail déclarée par les salariés à temps complet était en moyenne en France de 39,5 heures, soit à peine moins que la moyenne de l’Union européenne, qui pointe à 40,4 heures, et plus qu’en l’Italie, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark ou en Finlande.

Personne ne conteste sérieusement que les 35 heures ont dynamisé les négociations dans les entreprises…

M. Jean-Frédéric Poisson. Si !

M. Gérard Sebaoun. … et que les accords se sont multipliés, qu’elles ont été à l’origine de profondes réorganisations dans le public et le privé, avec de forts gains de productivité, l’annualisation du temps de travail, une politique de modération salariale, c’est vrai, et une influence positive sur l’emploi. Le chiffre de 350 000 emplois est communément admis.

Les enquêtes montrent de façon constante des effets plutôt positifs de la réduction du temps de travail sur la vie quotidienne des personnes interrogées pour l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Je n’ai pas le temps de détailler, mais j’admets également certains effets adverses sur la qualité de vie au travail.

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci !

M. Gérard Sebaoun. Ce n’est pas une affaire anecdotique car j’ai la conviction qu’améliorer la qualité de vie au travail est un facteur d’efficacité économique.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous sommes d’accord !

M. Gérard Sebaoun. Sur la remise en cause des 35 heures à laquelle votre proposition de loi nous invite, personne, à ce stade, ni les salariés, ni leurs organisations, ni les entreprises ne demandent un bouleversement, à l’exception notable du MEDEF, et encore, pas tout le monde, et de quelques idéologues, comme M. Denis Kessler, qui prônent la déréglementation tous azimuts.

Vous le savez mieux que quiconque, les employeurs disposent aujourd’hui de tous les outils nécessaires pour aller au-delà des 35 heures. En augmentant le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, vous priveriez les salariés de cet avantage qu’est la majoration financière de l’heure supplémentaire.

Un mot sur les 35 heures dans les fonctions publiques, qui employaient 5,4 millions d’agents à la fin de 2011, soit près de 20 % de l’emploi total.

Selon la directrice générale de l’administration et de la fonction publique, que nous avons auditionnée en commission, la mise en place des 35 heures a permis de clarifier le cadre juridique et de transposer le droit communautaire. Elle a entraîné une remise en ordre générale dans la fonction publique d’État, avec des conséquences internes positives, nous a-t-elle dit, même si cela est dû notamment pour une part à l’usage des nouvelles technologies. Pour la fonction publique territoriale, elle a eu du mal à nous apporter une véritable réponse.

À l’hôpital, même si 45 000 emplois ont été pourvus sous le gouvernement de Lionel Jospin, les premières années ont été difficiles parce qu’il y avait un numerus clausus et que le gouvernement Juppé avait vidé les instituts de formation des infirmières. Il faut dire la vérité quand on parle sérieusement de ce sujet.

Selon l’enquête déclarative de l’INSEE, l’enquête SUMER, surveillance médicale des expositions aux risques professionnels, de 2010, 17 % des salariés du public et 18 % des salariés du privé déclaraient travailler plus de 40 heures.

Vous l’avez compris avec ma modeste intervention,…

Mme Chantal Guittet. Modeste mais brillante !

M. Gérard Sebaoun. …je reste un défenseur résolu mais lucide des 35 heures dans le secteur public et le secteur privé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela ne s’est pas entendu ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, pose deux débats récurrents du point de vue des politiques économiques et sociales, autour de deux questions : à quoi sont dues les difficultés économiques actuelles, la faiblesse de l’activité, l’absence de reprise, et qu’est-ce que la modernité en matière de politique économique et de droit du travail ?

À la première question, vous répondez dans la plus pure tradition libérale. Selon vous, il y aurait trop de rigidités sur le marché du travail, trop de tabous protecteurs des salariés, et, évidemment, un code du travail beaucoup trop épais, qui aurait contre lui le tort inexcusable de comporter trop de pages.

Peu vous importe que ce raisonnement passe outre, par exemple, la question de la faiblesse de la demande. Si une entreprise n’embauche pas, c’est bien souvent non parce que son dirigeant serait effrayé par les contraintes imposées par le droit du travail, mais simplement parce que ses carnets de commandes sont vides et qu’il ne va pas embaucher quelqu’un s’il n’a rien à lui faire faire.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est vrai !

Mme Fanélie Carrey-Conte. Peu vous importe que ce raisonnement fasse sciemment l’impasse sur les nombreuses souplesses qui existent déjà sur le marché du travail. Il est faux de dire qu’il est très difficile de licencier dans notre pays, le grand nombre de ruptures conventionnelles en atteste d’ailleurs malheureusement.

Peu vous importe, enfin, que, lorsque la croissance était au rendez-vous, ni les 35 heures, ni les seuils sociaux ne posaient alors de problème, ils ne freinaient pas la croissance. Deviendraient-ils coupables dès lors que l’activité économique serait dégradée ? Il y a là une incohérence qui doit être soulignée.

Jamais en revanche dans vos raisonnements n’apparaissent certains sujets. Vous dénoncez le coût du travail, mais le coût du capital, lui, ne vous pose guère de problème, au moment même où les dividendes versés aux actionnaires ont encore augmenté, en période de dure crise économique. La qualité de vie au travail, la lutte contre la précarité, pourtant également facteurs de compétitivité, ne semblent guère faire partie de vos priorités.

Sous couvert de pragmatisme et d’anti-dogmatisme, c’est donc un diagnostic éculé que vous nous présentez, simple prétexte finalement à faire reculer, au nom de votre idéologie, un certain nombre de droits sociaux.

Avec la seconde question sur la modernité, nous abordons un débat passionnant et vraiment d’actualité. Je vais m’attacher à l’évoquer autour de trois exemples.

La modernité serait-elle aujourd’hui, comme vous nous le proposez, de revenir sur les 35 heures en période de chômage de masse ? Outre le fait que, vous le savez, les entreprises ne le demandent pas majoritairement puisqu’elles sont peu à avoir utilisé les possibilités de dérogation ouvertes par la loi de 2008 mises en place lorsque vous étiez au pouvoir,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Peu ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. …votre proposition équivaudrait à revenir sur des avancées soutenues par les salariés en matière de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle. Par ailleurs, augmenter le travail individuel quand nombreux sont ceux qui en manquent, voilà une équation bien étrange pour lutter contre le chômage.

La modernité, ensuite, serait de revenir sur les seuils sociaux, et, particulièrement, de ne plus envisager de représentation du personnel dans l’entreprise au-dessous de 100 salariés. En la matière, je crois que vous confondez simplification et simplisme, et, surtout, que vous proposez une régression qui ne va pas dans l’intérêt de l’entreprise elle-même, car la qualité du dialogue social, l’implication des salariés dans la prise de décision, a un intérêt social mais aussi économique et est même facteur de compétitivité. Vous y voyez un frein, alors que, pour moi, la modernité pousserait plutôt à développer les temps de négociation et la place des salariés dans les choix stratégiques, pour le bien commun de l’entreprise.

La modernité, enfin, serait de remettre en cause le plancher de 24 heures hebdomadaires pour les contrats à temps partiel,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Le ministre va le faire pour vous ! Une ordonnance arrive !

Mme Fanélie Carrey-Conte. …fixé récemment, en 2013, par un accord national interprofessionnel, afin de lutter contre la précarité, et que le législateur a retranscrit dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.

Sans nier les difficultés de la mise en œuvre de cet accord, qui ont fait et font l’objet de discussions avec les partenaires sociaux, il est clair que, si nous acceptions cette remise en cause alors qu’il y a déjà des dérogations possibles pour travailler moins de 24 heures par semaine, cela signifierait que nous choisirions de renforcer le temps partiel, ce qui reviendrait à précariser encore plus les femmes, qui sont aujourd’hui les principales concernées par ce type de contrats précaires.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je l’ai dit dans mon propos !

Mme Fanélie Carrey-Conte. Je crois donc au final que la modernité va plutôt à rebours des propositions que vous faites dans votre texte. Pour nous, elle consiste, à l’inverse, à promouvoir une vision et une réalité de l’entreprise qui permettent de répondre aux défis de la période : soutien aux entreprises qui investissent, notamment dans la formation et la recherche, lutte contre les inégalités et la précarité au travail, en particulier pour les femmes, protections et droits nouveaux pour les salariés, dont la mise en place de réels fonctionnements démocratiques, associant étroitement les salariés, ce qui, encore une fois, va pleinement dans l’intérêt de l’entreprise et de toutes ses composantes, car cela lui permet de se penser dans la durée, de mettre en œuvre des stratégies de long terme, qui ont parfois cruellement manqué à certaines de nos entreprises.

C’est pourquoi nous nous opposerons à votre proposition de loi, et rejetterons ces propositions passéistes, pour nous tourner vers l’avenir, un avenir où les droits sociaux doivent demeurer au cœur de nos projets économiques et sociaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, cher Gérard Cherpion, mes chers collègues, j’ai entendu quelques propos qui m’ont un peu étonné et je voudrais en reprendre deux ou trois avant d’en venir au fond de ce texte.

On nous fait le reproche, et M. Cherpion est en ce sens un dangereux récidiviste, c’est évident, de ne pas respecter le dialogue social avec cette proposition.

Je me méfie toujours des reproches proférés par ceux qui, par ailleurs, font sans problème ce qu’ils reprochent aux autres. Il me semble, monsieur le ministre, que, lorsqu’il s’agit de mettre à mal les professions réglementées, le Gouvernement et sa majorité font assez peu de cas du point de vue des syndicats représentatifs de ces professions.

Mme Nicole Ameline. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il n’y a qu’à écouter le nouveau secrétaire général de l’UNAPL sur le sujet. Il me semble que, quand la majorité socialiste entend modifier le régime des allocations familiales, elle fait assez peu de cas des positions des syndicats et des mouvements familiaux sur ces questions.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Lorsque vous nous faites le reproche, par ailleurs fantasmé, de ne pas tenir compte des organisations sociales, j’aimerais, mes chers collègues, que vous vous appliquiez au moins la même règle.

Cela dit, si nous ne consultions pas les partenaires sociaux, les ministres du travail des gouvernements de François Fillon n’auraient sans doute pas sollicité les partenaires sociaux sur la question du temps de travail. Vous le savez bien, monsieur le ministre, le texte dont j’ai été moi-même le rapporteur en 2008 sur ces questions a été déposé au terme d’une consultation tout à fait formelle des partenaires sociaux.

Le Premier ministre François Fillon a sollicité les partenaires sociaux sur la question des seuils il y a six ans et la négociation est entamée depuis longtemps. C’est d’ailleurs précisément parce qu’elle traîne, pour ne pas dire qu’elle n’a pas abouti, que le problème continue de se poser et, si le sujet ne posait pas problème, chers collègues de la majorité, votre ministre ici présent n’aurait sans doute pas proposé de suspendre l’application des seuils sociaux pendant trois ans.

Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !

M. Gérard Sebaoun. Cela ne crée pas d’emplois !

M. Jean-Frédéric Poisson. Au fond, le premier mérite de la proposition de loi de M. Cherpion, mais ce n’est pas le seul, c’est de reposer dans le débat public des questions qui demeurent ouvertes pour les entreprises, notre système d’emploi et les salariés français.

J’entends parler de détricotage, mais j’ai souvenir d’avoir passé quelques heures dans cet hémicycle à débattre, il y a quelques semaines, de la simplification du droit du travail. C’est votre collègue Thierry Mandon qui était au banc et il m’a semblé, à l’écouter, qu’un certain nombre des mesures que le Gouvernement avait prises dans le texte sur la simplification du travail faisait déjà l’objet, six mois après, d’une marche arrière à peine camouflée. C’est le cas par exemple, chère madame le député Carrey-Conte, de la question du temps partiel et des 24 heures, sur lesquels le Gouvernement envisage déjà de revenir, puisque le système ne fonctionne pas. Et il a même été demandé au Parlement de vous autoriser, monsieur le ministre, à prendre des ordonnances pour supprimer ce dispositif, ou du moins pour le moduler d’une manière telle qu’il n’existera plus…

Je veux bien que l’on nous accuse de toutes les fautes du monde, mais étant donné le contexte, un peu de pudeur et de modération ne nuirait pas.

J’en arrive enfin à la question, toujours centrale, du temps de travail, et je prolonge ici les échanges que nous avons eus au sein de la commission d’enquête sur les trente-cinq heures, dont vous êtes un membre très assidu, monsieur Sebaoun. Vous savez comme moi que la question se pose et que des débats ont lieu, y compris sur les données statistiques. Je tiens à dire que j’admire votre habileté rhétorique, mon cher collègue, puisque vous arrivez à dire dans une première phrase que les Français ne travaillent pas moins que les autres, avant de donner des chiffres qui montrent qu’ils travaillent en réalité 50, 60 ou 70 heures de moins que leurs voisins.

M. Gérard Sebaoun. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce sont les chiffres que vous avez donnés !

M. Gérard Sebaoun. Je parlais seulement des Allemands !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pas seulement !

M. Gérard Sebaoun. Il est vrai que les Bulgares et les Roumains travaillent aussi davantage que nous…

M. Jean-Frédéric Poisson. Tout cela montre que le débat est complexe et que nous n’avons pas encore, à mon grand regret, la capacité de l’aborder avec calme. Gérard Sebaoun a ouvert la porte tout à l’heure, comme il l’avait déjà fait au sein de la commission d’enquête, et nous avons échangé sur ce sujet. Tout le monde comprend que les 35 heures n’ont pas eu que des effets positifs sur l’économie française !

Personne ne peut dire sérieusement aujourd’hui que les entreprises s’en portent toutes parfaitement bien ! Personne ne peut nier que les syndicats pointent eux-mêmes depuis des années les conséquences négatives de cette mesure sur la qualité de la vie au travail. C’est une évidence : ils le disent tous.

S’agissant des seuils, c’est la même chose. Expliquez-moi pourquoi de si nombreux seuils s’appliquent aux entreprises sur des sujets aussi divers que la prévoyance, la pénibilité, la consultation des salariés, les déclarations de formation, l’affichage dans les couloirs des consignes d’évacuation en cas d’incendie… Franchement, il est nécessaire de remettre tout cela à plat ! En la matière, monsieur le ministre, vous avez fait un pas en avant, et cela arrive assez rarement pour que je sois heureux de le signaler… Je ne pense pas que la suspension pure et simple des seuils sociaux soit une très bonne idée, mais on fait comme on peut, à la place où vous êtes, et je comprends que vous ayez choisi cette méthode radicale. Cela nous a au moins permis d’engager le débat, même si ce n’était sans doute pas votre intention première.

Pour conclure, la proposition de loi de notre collègue Gérard Cherpion devrait être débattue. Malheureusement, la majorité choisit une fois encore la méthode dure, pour nous empêcher de débattre sur les amendements.

M. Guy Geoffroy. Oui, c’est du verrouillage !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je le regrette. Mais si jamais nous pouvions nous prononcer sur cette proposition de loi, ce dont je doute, je la voterais très volontiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Durand, dernier orateur inscrit.

M. Yves Durand. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne voudrais pas que la discussion sur votre proposition de loi fasse naître entre nous de faux débats.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Yves Durand. Sans faux débats, nous atteindrions cette quasi-unanimité que réclamait tout à l’heure, avec ce lyrisme rocailleux qui est le sien et que nous apprécions tous, notre collègue Jean Lassalle.

Je pense notamment à la question de l’apprentissage, dont je reconnais volontiers que vous êtes l’un des spécialistes, monsieur le rapporteur. Il n’y a pas, dans cet hémicycle, d’un côté ceux qui sont pour l’apprentissage, et de l’autre ceux qui seraient contre. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Isabelle Le Callennec. Depuis deux ans, vous n’avez fait que massacrer l’apprentissage !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il n’y a pas d’amour, monsieur le député, seulement des preuves d’amour !

M. Yves Durand. Vous étiez calmes depuis un moment, restez-le encore cinq minutes, mes chers collègues ! Il n’y a pas, disais-je, d’un côté ceux qui sont pour l’apprentissage, et de l’autre, ceux qui sont contre.

Nous avons eu des débats très longs et passionnants sur cette question, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la refondation de l’école, et nous avons abouti, me semble-t-il, à une défense quasi unanime de l’apprentissage. Dans cette loi, l’apprentissage est bien reconnu comme un élément essentiel de formation ; le développement de l’apprentissage et la formation en alternance sont reconnus comme tels ; la connaissance des métiers et l’orientation sont par ailleurs inscrites dans la loi. Je ne vais pas vous relire tous les articles de cette loi, mais il est clair qu’ils satisfont pleinement votre revendication.

Mme Isabelle Le Callennec. Non !

M. Yves Durand. Pourquoi remettez-vous sur le tapis un débat que la loi pour la refondation de l’école a en grande partie clos ? Pourquoi y revenir alors que nous avions trouvé un accord ? À la lecture très attentive des articles 15, 16, 17 et 18 de votre proposition de loi, monsieur Cherpion, je m’aperçois que vos préoccupations sont parfaitement satisfaites, à la fois par la loi sur la refondation de l’école, et par d’autres lois existantes. Pourquoi revenir sur des sujets qui sont parfaitement satisfaits ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Peut-être, précisément, parce qu’ils ne le sont pas !

M. Yves Durand. Je me suis dit qu’il y avait sans doute à cela des raisons, et j’ai tenté de les éclaircir, ce qui n’a pas été facile.

Je me suis dit d’abord qu’il s’agissait peut-être d’une proposition de loi à usage interne, interne à votre parti, j’entends.

M. Jean-Frédéric Poisson. Et c’est reparti !

M. Yves Durand. Nous connaissons tous les discussions, tout à fait démocratiques, je n’en doute pas, qui agitent votre parti…

Mme Claudine Schmid. Nous, au moins, nous débattons !

M. Yves Durand. Je me suis dit ensuite qu’il s’agissait peut-être de l’ébauche d’un document de campagne au profit de je ne sais quel candidat.

Mme Claudine Schmid. Et alors, quand bien même ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Vous songez à Pierre Gattaz ? (Sourires.)

Mme Arlette Grosskost. Cherpion président ! (Sourires.)

M. Yves Durand. En tout cas, cela ne relève pas de la loi, et ce n’est pas ici, dans cette assemblée, que ces choses-là doivent se faire.

Après avoir écarté ces deux premières hypothèses, je me suis finalement dit que ce qui se dessinait derrière votre proposition de loi, c’était cette vieille idée de l’apprentissage à quatorze ans, c’était le retour de cette ancienne ambition que vous avez de nier ce qui a été – moi, j’ose le dire – une grande avancée du système éducatif, à savoir le collège unique, le collège pour tous.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce n’est pas possible !

M. Yves Durand. Je me suis dit que vous reveniez à votre vieille lanterne de la sélection précoce des élèves dès le collège.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il faut reconnaître que le système actuel fonctionne à merveille !

M. Yves Durand. Je le dis d’autant plus librement que, comme cela a été dit lors du débat sur la refondation de l’école, le collège unique n’a jamais existé.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. On peut donc le supprimer sans problème, s’il n’a jamais existé !

M. Yves Durand. Nous sommes tous favorables à un collège, non pas uniforme, mais qui permette à chacun de développer ses talents et de connaître une véritable réussite.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. Yves Durand. Alors ne créons pas de faux débats !

Il existe néanmoins un vrai clivage entre nous, qui est apparu au moment du débat sur la refondation de l’école, et que je retrouve aujourd’hui dans votre proposition de loi : je retrouve ici votre vieille idée selon laquelle il est bon pour certains de travailler dès le plus jeune âge, et pour d’autres, toujours les mêmes, de pouvoir apprendre le latin et le grec.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Quelle horreur !

M. Yves Durand. Si c’est cela qui se cache derrière votre loi, monsieur le rapporteur, alors nous sommes contre. Et voilà pourquoi, à titre personnel, je voterai contre votre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Gérard Cherpion mérite un peu plus de respect que cela !

M. le président. La discussion générale est close.

Avant de donner la parole à Mme la présidente de la commission, à M. le rapporteur et à M. le ministre, qui me l’ont demandée, et pour le bon déroulement de nos travaux, je vous informe que je n’appellerai le second texte inscrit à l’ordre du jour qu’à quinze heures, afin que nous puissions travailler dans de bonnes conditions.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je voudrais féliciter, au-delà du clivage politique qui nous oppose souvent dans cet hémicycle, notre rapporteur Gérard Cherpion qui, comme chacun sait, fait toujours un travail assez extraordinaire sur les questions qui touchent au monde du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Même si je ne partage pas toujours ses vues, je sais le sérieux de M. Cherpion, qui fait l’unanimité sur nos bancs. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe UMP.) Chacun sait qu’il a organisé énormément d’auditions.

Je tiens à dire un mot du climat dans lequel se sont déroulés nos débats en commission : ces sujets auraient pu donner lieu à des accrochages entre l’opposition et la majorité, tant notre vision du monde du travail et des relations entre salarié et employeur sont souvent opposées. Nos échanges, sur ces questions, sont souvent très vifs, mais cela n’a pas été le cas au sein de cette commission qui a travaillé longtemps, près de quatre heures. Je me félicite de ce climat.

Je voudrais maintenant faire un clin d’œil à M. Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. J’en suis honoré, madame la présidente !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Vous nous dites, monsieur Poisson, que la majorité avance sans écouter, qu’elle fera tout pour que cette proposition de loi ne soit pas examinée jusqu’au bout et qu’elle n’écoute pas les organisations syndicales et patronales…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est la vérité !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Vous qui vous vantez d’aimer la famille, dites-moi qui a tout fait pour que la proposition de loi sur l’autorité parentale n’aboutisse pas, alors que de nombreuses familles l’attendaient ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Elle a abouti !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Non, elle n’a pas abouti, monsieur Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Elle en est au stade de la navette parlementaire !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Elle n’a pas abouti, parce que vous avez pourri le débat ! Vous n’avez pas de leçons à nous donner en matière de capacité d’écoute, car vous n’avez pas été, vous-même, à la hauteur de nos attentes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, je vous demande la parole pour un rappel au règlement. Je tiens à répondre à Mme la présidente de la commission !

M. le président. Vous avez la parole, monsieur Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci tout d’abord, madame la présidente, de votre clin d’œil. C’est bien agréable, en cette matinée, de recevoir un tel signal.

Mais je ne peux pas vous laisser dire ce que vous dites. S’agissant du texte sur l’autorité parentale, nous avons fait le travail qui revient à l’opposition, en y mettant un peu d’énergie, sans doute… Nous y avons passé, il est vrai, un peu plus de temps que ce qu’avait prévu le Gouvernement. Mais, à ma connaissance, ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale et il reviendra dans cet hémicycle au terme de la navette parlementaire. Nous n’avons guère fait qu’allonger un peu la durée du débat…

Ce n’est pas la même chose aujourd’hui. Je déplore que, en adoptant les uns après les autres des amendements de suppression des articles de la proposition de loi, ce qu’elle fera sans doute, la majorité nous prive d’un vrai débat sur ce texte et sur les amendements.

Entre le fait d’alimenter et de nourrir le débat, au risque d’allonger un peu l’examen des textes, d’une part, et le fait de supprimer purement et simplement la discussion, il y a une petite différence, vous en conviendrez… Mais votre clin d’œil, madame la présidente, atténue beaucoup l’amertume qui est la mienne à cet instant. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je voudrais d’abord remercier Mme la présidente de la commission pour ses propos, très agréables à entendre. Il est vrai que nous pouvons travailler en commission, même si nous n’avons pas forcément le même avis, de façon intelligente. C’est ce qu’a dit le ministre, et c’est ce que j’ai rappelé tout à l’heure dans mon propos.

Je tiens également à vous remercier, monsieur le ministre, car vous avez fait une analyse que je trouve très intéressante, même si nous ne sommes pas d’accord sur un certain nombre de points. Cette analyse, précisément, permet de bien montrer les différences qui existent entre la gauche et la droite.

J’aimerais revenir sur la loi Larcher, puisque nous avons eu le plaisir, vous, dans d’autres instances, et nous, en particulier avec Jean-Frédéric Poisson et Pierre Morange, d’en être les artisans, à notre niveau, sur les bancs de cette assemblée. La loi Larcher est parfaitement claire : son article 1er, qui a créé l’article L. 101-1 du code du travail, fait référence à « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement ». La loi Larcher ne concerne que les réformes émanant du Gouvernement.

Des protocoles ont été mis en place par la suite, le protocole Larcher au Sénat, puis le protocole Accoyer à l’Assemblée nationale, mais ils n’ont pas valeur de loi. J’ajoute que la loi Larcher s’appliquera puisque, au-delà du texte, la proposition qui sera faite par la commission sur le code du travail sera étudiée par le Parlement, après avoir été soumise aux partenaires sociaux. C’est bien dans ce sens-là que cela doit se faire.

Quand vous-mêmes, vous donnez des orientations ou vous ouvrez une négociation, vous donnez une feuille de route, et c’est sur celle-ci que les partenaires sociaux s’expriment. Il n’y a donc pas là de contradiction. Ce n’est pas là le seul point de désaccord entre nous, monsieur le ministre, mais je répète que votre analyse est intéressante, et il est regrettable que nous ne puissions pas débattre toute la journée sur ce texte, tant le sujet est intéressant.

Je remercie mes collèges, en commençant par Mme Valérie Lacroute, qui a insisté sur les différents points qui ont inspiré mon action et celle du groupe UMP lors de la préparation de cette proposition de loi.

Je regrette que notre collègue Jean-Paul Tuaiva soit parti car il a souligné un point important, même s’il a ensuite a modulé ses propos. Je suis d’accord avec lui sur le fait qu’il faut raisonner à partir d’un temps de travail global. Il a également souligné le refus de débattre de la majorité, nous le constaterons encore dans quelques instants.

Monsieur Cavard, je ne crois pas être un idéologue mais si c’est le cas, je ne suis pas le seul dans cette assemblée, et il y en a de pires que moi, ce qui est sans doute très inquiétant.

Mme Isabelle Le Callennec. Vous êtes plutôt pragmatique pour un idéologue !

M. Jean-Frédéric Poisson. Un idéologue des Vosges !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. S’agissant de la diminution du temps de travail, vous raisonnez par l’absurde : on vit mieux parce qu’on diminue le temps de travail, et on diminue le temps de travail parce qu’on vit mieux, et ainsi de suite. Jusqu’où aller ? Où cela va-t-il nous mener ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Jusqu’à 18 heures par semaine peut-être !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Comment soutenir cela alors que notre pays compte cinq millions de chômeurs et de plus en plus de gens en situation de précarité ?

Vous avez insisté sur le rôle des représentants du personnel. Je suis d’accord avec vous, ils sont nécessaires, mais actuellement quatre millions de salariés, ceux qui travaillent dans les TPE, ne sont pas représentés ! Il est donc absolument nécessaire que le personnel soit représenté, pas nécessairement dans l’entreprise, mais au moins de façon territoriale.

M. Krabal a mis en cause l’ancienne majorité qui, selon lui, n’aurait pas eu à affronter de crise. Selon lui, il ne s’est rien passé en 2008, l’affaire Lehman Brothers n’a pas eu lieu. La crise n’aurait commencé qu’en 2012 ! Certes, la crise a aussi commencé cette année-là, je le reconnais, mais qui pourrait nier qu’en 2008, nous ayons dû faire face à une crise, qui d’ailleurs a donné lieu à un important plan de relance qui a effectivement alourdi l’endettement de la France. Mais sans ce plan de relance, où en serions-nous aujourd’hui ?

Non, nous n’avons pas aboli les 35 heures durant la période où nous avons été au pouvoir, mais la loi a tout de même été modifiée quatre fois. Certes, nous ne sommes pas allés assez loin. J’en suis d’accord.

Selon Mme Fraysse, je serais un dangereux représentant du MEDEF. Je ne sais pas s’il s’agit d’un compliment…

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas certain !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je n’ai pas le sentiment de représenter ici le MEDEF, m’étant même opposé à ses représentants sur plusieurs points.

Mme Fraysse a abordé plus particulièrement le sujet de la prime supra-légale. Dans mon rapport pour avis sur les crédits du travail et de l’emploi à l’occasion de la loi de finances pour 2009, j’indiquais que cette prime était un frein au retour à l’emploi. Or, ce rapport a été cautionné par deux syndicats, la CGT et la CFDT, et la personne qui à l’époque traitait de ce sujet au sein de la CFDT y occupe aujourd’hui de hautes fonctions. Ce n’est donc pas sans avoir consulté les partenaires sociaux que je m’étais permis d’écrire cela.

Les propos de Mme Fraysse sur la durée hebdomadaire minimale de 24 heures sont en totale contradiction avec ce qu’elle dit par ailleurs du CDI. En réalité, ce sont les CDI que l’on met à mal avec cette durée minimale imposée.

Que ce texte manque de propositions innovantes, comme elle le dit, c’est certainement vrai, mais je cherche encore celles de son groupe…

Madame Bouziane, vous avez souligné que j’insistais beaucoup sur la flexi-sécurité. C’est vrai, et j’y insiste d’autant plus que Pierre Morange nous a rejoints et qu’il a été l’auteur, il y a quelques années, d’un excellent rapport sur cette question. Ce rapport aurait dû nous servir à tous, y compris à nous, j’en conviens, monsieur le ministre, pour avancer plus vite dans cette voie.

Si les seuils sociaux ne sont pas un frein à l’embauche, pourquoi notre pays compte-t-il deux fois plus d’entreprises de 49 salariés que d’entreprises de 51 salariés ?

Mme Isabelle Le Callennec, dans son brillant exposé, a parfaitement rappelé les principes qui sont ceux du groupe UMP et se distinguent de ceux des autres acteurs, qu’ils soient socio-professionnels ou politiques. En un mot, elle a bien défendu notre identité.

Elle a insisté elle aussi sur le fait que la majorité refusait de débattre, ce que nous jugeons contraire à l’esprit qui devrait nous animer.

Quant à vous, madame Khirouni, vous n’êtes pas instrumentalisée par le MEDEF, mais par Génération-Précaire, qui a inspiré la loi relative aux stages.

Vous nous parlez de stages hors statut scolaire. Or, ceux-ci sont interdits et n’existent plus. Une entreprise ne peut désormais embaucher un stagiaire que dans le cadre scolaire. Par conséquent, madame, vos propos ne correspondent pas à la loi que vous avez défendue.

Vous avez parlé de la loi défendue par Valérie Pécresse en 2006, mais vous avez oublié de parler de la loi de 2011. Or celle-ci m’intéresse particulièrement car c’est un texte que j’avais moi-même proposé, en accord avec les partenaires sociaux, en particulier la CFDT qui, à l’époque, avait approuvé mes propositions.

S’agissant de la gratification octroyée aux stagiaires, ce n’est pas son augmentation, de 80 à 100 euros, qui pose problème, mais le fait qu’il n’y a pas d’exonération de charges sur ce surplus. L’employeur qui accueille un stagiaire sera obligé de faire une déclaration à l’URSSAF pour ces 100 euros, ce qui le fera entrer dans un système d’une effroyable complexité. Cela dissuadera les entreprises d’accueillir de jeunes stagiaires.

Nous proposons par ailleurs de porter la gratification à 80 % du SMIC car nous considérons que 15 %, ce n’est pas suffisant. Cet été, un jeune étudiant de Sciences Po est venu passer quelques semaines à mes côtés à l’Assemblée nationale. Je considère que la gratification qu’il devait recevoir n’était pas suffisante, mais lui accorder un salaire m’aurait obligé à remplir un nombre invraisemblable de déclarations. Pourquoi ne pas aller jusqu’à 80 % du SMIC dans un certain nombre de cas ?

Jean Lassalle nous a fait du grand Jean Lassalle. Notre collègue a une vertu : il est apaisant. Faisant chemin, il s’est arrêté quelques instants parmi nous ce matin, semant au passage quelques mots merveilleux dans un remarquable plaidoyer pour le travail. Il a vanté l’attachement que nous devons porter à notre territoire en développant la valeur travail qui a été ces dernières années quelque peu banalisée, voire oubliée.

Madame Ameline, vous avez eu raison de dire que la capacité des États à s’adapter et à réformer est aujourd’hui essentielle. C’est une urgence sociale et économique et vous avez raison de parler de drame français. Effectivement, notre taux de chômage, la chute du nombre de contrats d’apprentissage, et demain du nombre de stages, sont un drame.

Vous l’avez très bien dit, madame, la sécurité, c’est d’abord d’avoir un emploi. Le travail permet à une personne de se tenir debout dans la société, de participer à la vie collective ainsi qu’à la richesse nationale.

Vous avez insisté sur le travail des femmes et je vous en remercie. Cette question pose un véritable problème, qui n’est pas résolu par le seuil de 24 heures hebdomadaires censé protéger les femmes de l’exploitation. Prenons l’exemple, dérogatoire, de l’aide en milieu rural. Ce secteur emploie majoritairement des femmes et vraiment, avec les horaires complètement hachés qui y sont la règle, on ne peut pas dire qu’il valorise le travail des femmes.

En ce qui concerne les jeunes, nous sommes totalement d’accord, madame : c’est une priorité.

Gérard Sebaoun est fidèle à ses convictions car nous avions déjà discuté de ces sujets en commission. Comparons ce qui est comparable, cher collègue : j’ai parlé du temps de travail à temps complet, et sur ce point, les chiffres que vous avez donnés sont conformes aux miens. Mais on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut ! On peut dire ici, par exemple, que les cadres travaillent en moyenne 44 heures par semaine, mais il y a aussi des personnes qui travaillent très peu – certes, pas moins de 24 heures, puisqu’il est désormais interdit en France de travailler moins de 24 heures et à peine plus de 35 ! Notre pays est quand même bien le seul où on en est arrivé là.

Vous avez affirmé que les 35 heures auraient permis de transposer le droit communautaire, ce qui m’a beaucoup étonné. En effet, je ne connais aucun autre pays européen dans lequel la durée du travail est limitée à 35 heures. Il faudra me dire à quel pays vous pensez.

Mme Carrey-Conte nous a expliqué que si une entreprise n’embauche pas, c’est parce que son carnet de commandes est vide. Je suis d’accord avec elle, la priorité est en effet de remplir le carnet de commandes, mais il faut peut-être se demander pourquoi il est vide. N’est-ce pas à cause d’un manque de compétitivité ? N’est-ce pas justement parce que cette compétitivité est entravée par un ensemble de normes qui nuisent au travail ?

Pour la construction d’une maison, chers collègues, il n’y a pas moins de 2 800 normes à respecter ! La maison est-elle plus solide parce qu’il y autant de normes ? Je ne le pense pas.

Pour ce qui est de la « modernité », je n’ambitionne pas, pour ma part, d’être moderne. Vaut-il mieux être moderne ou se poser la question du travail et de l’emploi ?

M. Jean-Frédéric Poisson est un spécialiste des questions de travail et d’emploi, thèmes sur lesquels il a beaucoup travaillé. Il porte donc peut-être aussi sa part de responsabilité si nous ne sommes pas allés assez loin, il en a d’ailleurs conscience. Mais nous ne pouvons lui faire le procès de ne pas respecter le dialogue social. Il a l’expérience du monde du travail et la manière dont il appréhende les choses montre sa grande connaissance du terrain. C’est là pour moi un point fondamental car cela signifie que la loi émane du terrain, et non de spécialistes cloîtrés dans des bureaux.

Monsieur Yves Durand, nous sommes tous ici favorables à l’apprentissage…

Mme Isabelle Le Callennec. Je n’en suis pas certaine !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. …mais le problème est que depuis deux ans, les gouvernements successifs l’ont mis à mal en prenant un certain nombre de décisions, que vous avez certes corrigées au mois de septembre en revenant à une prime de 1 000 euros. Mais le 19 septembre, la rentrée dans les centres d’apprentissage était déjà passée !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ils sont contre les patrons !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Les apprentis seront-ils nombreux à s’inscrire d’ici à novembre ? Non, car l’essentiel de la rentrée a été faite.

Voici les conséquences de ce qu’a fait le Gouvernement depuis deux ans : en 2013, nous avons enregistré une baisse de 8 % du nombre d’apprentis, c’est-à-dire 24 000 contrats de travail qui n’ont pas été signés, et cette année, la baisse se situe entre 10 et 20 %. Je ne m’avance pas trop sur ce chiffre, monsieur le ministre, mais je sais que dans les Vosges, la baisse du nombre d’apprentis est de 14 %, et que dans le secteur du bâtiment, elle atteint 20 %.

Concernant l’apprentissage dès 14 ans, qui vous pose problème, vous ne pouvez pas me faire ce procès ! Notre système éducatif, hélas, a des trous. Je ne mets en cause personne, mais de plus en plus de jeunes, notamment dans les banlieues des grandes villes, décrochent très jeunes de l’école, parfois à 12 ans.

Mme Arlette Grosskost. Faut-il les laisser dans la rue?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Devons-nous les abandonner ? Si nous essayons de les récupérer, qu’avons-nous à leur proposer ? D’intégrer un centre de l’EPIDE, sachant que cela coûte très cher ? Ne vaut-il mieux pas trouver une solution qui leur permette d’acquérir progressivement des bases de travail et de consolider leurs connaissances générales tout en les amenant vers l’entreprise ? J’avais créé en 2011 les classes études-métiers, un peu à l’image des classes sport-études : les jeunes étudient le matin, et l’après-midi, ils effectuent des visites d’entreprise. Dans un tel dispositif, au moins ils ne sont pas abandonnés.

Je crois, mes chers collègues, avoir répondu à chacun des orateurs et j’espère vous avoir transmis ma foi et ma passion pour ces sujets. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lequiller. Bravo Cherpion !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je ferai à mon tour quelques remarques sur notre débat. Je tiens tout d’abord à remercier les orateurs de la sérénité des échanges, en dépit des oppositions. Cela montre bien que nous avons des points de convergence, ce qui bien sûr n’empêche pas de souligner les divergences. J’en ai relevé une, majeure, qui me semble traverser le groupe UMP. Vous venez de défendre le dialogue social, monsieur le rapporteur, avec une sincérité dont je ne doute pas. Mais au sein même de votre groupe politique, certains plaident pour la suppression des corps intermédiaires.

M. Jean-Frédéric Poisson. Qui donc ?

M. Pierre Lequiller. Caricature !

M. François Rebsamen, ministre. La caricature n’est pas de moi ! Il y a là une divergence qu’on voit parfois poindre dans les propos des uns et des autres. À cet égard, je rappelle qu’un protocole a été adopté au Sénat sous l’égide de son actuel président, ancien ministre du travail, M. Larcher, et un autre ici sous l’égide de M. Accoyer. Ils n’ont certes pas force de loi, mais les protocoles, on s’efforce en général de les respecter, surtout en matière de dialogue social, même s’il en résulte une contrainte dès qu’il s’agit de légiférer sur le droit du travail au sens large.

Je remercie les orateurs de leurs interventions et on me permettra de ne répondre qu’à ceux qui sont toujours présents. Vous avez résumé schématiquement la situation, madame Lacroute, même s’il est vrai qu’en cinq minutes il est difficile de faire autrement. Vous nous attribuez tous les mauvais résultats économiques actuels alors que vous avez été au pouvoir de 2002 à 2012. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lequiller. Quand donc allez-vous assumer ?

Mme Arlette Grosskost. En particulier les 35 heures !

M. François Rebsamen, ministre. Reconnaissez au moins une part de responsabilité dans la perte continue de compétitivité de nos entreprises, en particulier dans le secteur industriel ! Je partage le sentiment de M. Tuaiva et le remercie de l’avoir exprimé. Il est bon que nous nous retrouvions sur certaines positions, en particulier la défense du dialogue social sur laquelle il a beaucoup insisté, tout comme MM. Cavard et Krabal. Mme Bouziane et moi-même partageons beaucoup de choses, en particulier les fréquents combats que nous avons menés localement pour défendre les salariés confrontés à des fermetures d’entreprises. Nous étions heureux d’avoir à notre disposition la possibilité de faire adopter des plans de sauvegarde de l’emploi – PSE – grâce auxquels ceux qui voient partir leur entreprise avec désespoir perçoivent des indemnités substantielles. Nous partageons la même idée de la défense de l’ordre social par la loi. Je dis à Mme Le Callennec que la baisse des coûts ne constitue pas en soi une politique.

Mme Isabelle Le Callennec. Ah bon, ce n’est pas une priorité ?

M. François Rebsamen, ministre. Ce n’est pas en soi une politique. Nous avons fait en la matière des efforts afin de rendre d’importantes marges de compétitivité aux entreprises.

M. Jean-Frédéric Poisson. Elles ne le savent pas !

M. François Rebsamen, ministre. Nous leur avons rendu presque deux points de PIB en marges de compétitivité qui leur avaient été retirés au cours des dix années où vous avez dirigé ce pays, mesdames et messieurs les députés de l’opposition ! Il importait donc de leur donner les moyens de faire face à la compétition internationale. Je remercie Mme Khirouni de sa défense de la proposition de loi devenue la loi sur les stages. Je regrette que la presse n’ait pas signalé que plusieurs pays ont participé hier au sommet européen pour l’emploi des jeunes. L’Allemagne, l’Italie, la France et même l’Espagne agissent ensemble afin de débloquer les fonds nécessaires pour engager plus fortement l’Union européenne sur la voie du pragmatisme.

Mme Isabelle Le Callennec et M. Jean-Frédéric Poisson. L’Allemagne n’en est pas !

M. François Rebsamen, ministre. Des fonds doivent être débloqués pour la garantie jeune à la française que nous avons mise en place par le biais de nos missions locales. J’approuve bien évidemment le plaidoyer pour l’égalité entre les hommes et les femmes de Mme Ameline. Vous conviendrez avec moi, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, que sur ce point les gouvernements qui se sont succédé ont chacun fait leur part d’effort. La France présente une spécificité importante en matière de chômage, car le taux d’employabilité des femmes y est bien supérieur à ce qu’il est en Allemagne. L’effort consenti par les uns et les autres, nos collectivités locales en particulier, pour développer les crèches en France a pour conséquence un taux d’emploi des femmes plus élevé qu’ailleurs.

Mme Isabelle Le Callennec et M. Pierre Lequiller. Grâce à la politique familiale !

M. François Rebsamen, ministre. Grâce à la politique familiale, bien évidemment, (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), celle-là même à laquelle vous envisagiez tout à l’heure de porter atteinte, cher Gérard Cherpion ! Je n’en revenais pas ! Les dispositions que vous proposez portent atteinte à la famille, car elles empêcheraient des personnes en stage de partir en congé parental ! Il ne faut pas, en ce moment, faire des choses comme ça, cela pourrait vous être reproché !

M. Pierre Lequiller. Et votre interview clandestine ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Pas vous, monsieur le ministre !

M. François Rebsamen, ministre. Il suffit de lire le texte ! Les vingt-sept articles qu’il comporte donnent aux uns et aux autres le choix entre la défense de certains d’entre eux et des points de convergence. Je dirai à M. Poisson, dernier intervenant du groupe UMP, que certains de ses propos sont justes mais appellent une petite phrase en latin qui m’est revenue : nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

Mme Isabelle Le Callennec. Plutôt le latin que l’apprentissage ! (Sourires.)

M. François Rebsamen, ministre. En matière de dialogue social, à cet instant, cette locution me semble appropriée !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien vrai !

M. François Rebsamen, ministre. Je remercie enfin Yves Durand d’avoir évoqué la loi Peillon, qui a fait en la matière œuvre nécessaire. Par-delà les critiques qui peuvent être formulées aujourd’hui, force est de reconnaître que l’apprentissage n’a jamais connu une vraie réussite dans notre pays. Vous ne pouvez pas vous vanter d’avoir réussi, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, pas plus que nous pour le moment, car il n’y a jamais eu 500 000 apprentis dans ce pays malgré les engagements que vous aviez pris !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Au moins la tendance était-elle favorable !

M. François Rebsamen, ministre. Ils sont aussi les nôtres et grâce aux mesures que nous prenons aujourd’hui dans un contexte économique particulièrement difficile, si nous œuvrons tous ensemble, ce que je souhaite, l’apprentissage deviendra une voie d’excellence et non plus, comme il l’est dans les têtes, une voie de garage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vitel. La cause du blocage, c’est l’Éducation nationale !

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on appelle ce matin au dialogue parlementaire. Le dialogue parlementaire, ici, chacun est pour ! Il suppose écoute et bonne foi mutuelles.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Denys Robiliard. Il est le contraire d’une opération de propagande, catégorie dont relève, je le crois profondément, la proposition de loi dont nous discutons car elle ne cherche pas à faire avancer collectivement le droit du travail.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça commence bien !

M. Denys Robiliard. Surtout, quand on travaille sur le droit du travail en vue de le réformer, il faut, me semble-t-il, commencer par respecter le dialogue social, ce qui n’est pas le cas de la proposition de loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ni du Gouvernement !

M. Pierre Lequiller. Propagande !

M. Denys Robiliard. Il faut en outre le faire en un temps articulé aux autres temps parlementaires afin que le dialogue parlementaire que vous prétendez rechercher, chers collègues de l’opposition, soit de qualité et améliore le travail parlementaire. Je suis en mesure de vous démontrer que la proposition de loi survient dans les pires délais possibles, contraires à l’efficacité même du travail parlementaire. J’évoquerai donc successivement le problème du dialogue social puis la qualité du travail parlementaire, raison pour lesquelles je vous demanderai, chers collègues, d’adopter la motion de rejet. En préambule, j’ai encore entendu dire aujourd’hui que le code du travail serait trop épais, touffu, lourd…

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet !

M. Denys Robiliard. Puis-je vous faire remarquer, chers collègues de l’opposition, que vous avez multiplié par près de deux le nombre d’articles qu’il comporte au cours de la dernière législature, d’ailleurs pour de bonnes raisons car cette inflation résultait du processus de recodification. Le principe consistant à faire coïncider chaque article avec une idée ou une règle a mécaniquement doublé le nombre d’articles législatifs du code du travail à droit constant. Cette simple remarque met en perspective ce dont nous parlons.

Mme Isabelle Le Callennec. Les DRH eux-mêmes ont du mal à s’y retrouver !

M. Denys Robiliard. Souvenons-nous que le code du travail comporte la réglementation du contrat de travail et de sa rupture mais aussi toute la réglementation de la sécurité du travail qui occupe de nombreuses pages du code et toute la réglementation de la formation professionnelle qui est tout de même d’une complexité certaine. Si on savait bien ce que comporte le code, peut-être n’en parlerait-on pas de la façon dont on le fait habituellement aujourd’hui. À propos de la forme, je constate que M. le ministre du travail, qui nous entretenait dans son propos liminaire de ce qui se passe au Sénat, a appris qu’il se passe la même chose à l’Assemblée. S’il existe au Sénat le protocole Larcher, nous avons à l’Assemblée le protocole Accoyer. Vous le connaissez parfaitement, monsieur Cherpion, et l’avez cité en répondant à la discussion générale.

Puisque nous le connaissons tous, pourquoi ne pas l’appliquer ? Il date du 16 février 2010, date à laquelle il a été adopté par la conférence des présidents. Que prévoit-il ? On y lit ceci : « Lorsqu’un président de groupe ou un président de commission envisage de proposer l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi relevant du champ décrit à l’article L. 1 du code du travail, il doit en informer sans délai le président de la commission des affaires sociales ». Il est inutile d’opposer les protocoles à l’article L. 1, qui s’applique aux projets de loi, car ils en sont le pendant pour les propositions de loi.

Or Mme la présidente de la commission des affaires sociales n’a nullement été avisée de la proposition de loi dont nous discutons ! Ni les délais ni les modalités prévus par le protocole n’ont été mis en œuvre. Celui-ci a été mis en place à titre expérimental mais sans limitation de durée, il continue donc de s’appliquer et la moindre des choses, lorsque notre assemblée prend des engagements à l’égard des partenaires sociaux, est de les respecter. Si nous pensons que ce protocole est une erreur, si nous en faisons le bilan et que nous y renonçons, alors plus aucune difficulté ! Mais tant qu’il existe, et vous l’avez adopté lorsque vous étiez majoritaires, chers collègues de l’opposition, respectons-le dès lors qu’il constitue une obligation que nous avons prise unilatéralement à l’égard des partenaires sociaux !

Cette première raison est suffisante. Vous ne pouvez pas dire de votre proposition de loi, monsieur Cherpion, qu’elle est de pure procédure et qu’elle se borne à mettre en place une commission pour réfléchir et rénover complètement le code du travail ! En effet, elle fixe le seuil de cent salariés pour la mise en place des institutions représentatives du personnel, augmente la durée légale du travail de 35 à 39 heures dans le privé comme dans le public et supprime l’exigence d’une durée hebdomadaire minimale de 24 heures des contrats à temps partiel. Dans ces conditions, permettez-moi de vous le dire, vous ne traitez ni de forme ni de procédure mais du fond du droit. De tels sujets, à l’évidence, il convient que les partenaires sociaux en discutent.

Voilà donc les arguments qui peuvent être avancés. Et cette obligation que nous, pouvoir législatif, nous sommes unilatéralement donnée, doit être respectée.

J’ajoute que la grande Conférence sociale ne vous ayant pas échappé, vous saviez lorsque vous avez déposé votre proposition de loi – et le ministre l’a rappelé tout à l’heure – que les questions abordées dans ce texte le seraient également par la négociation sociale qui, par une heureuse coïncidence, s’ouvre aujourd’hui même. Les documents étaient à votre disposition : la grande Conférence sociale a eu lieu les 7 et 8 juillet, le document d’orientation est daté du 29 juillet, et le relevé de conclusions du comité de suivi de l’Agenda social du 9 septembre. Pourquoi donc inscrire cette proposition de loi aujourd’hui, s’il s’agit véritablement de respecter le dialogue social ?

Il faut souffrir le temps de la négociation, monsieur Cherpion. Ce temps appartient aux partenaires sociaux, et il nous appartient de le respecter, puisque la conférence des présidents de l’Assemblée nationale en a décidé ainsi.

Mme Isabelle Le Callennec. On respecte les partenaires sociaux, mais pas tous les jours !

M. Denys Robiliard. J’ajouterai que je vois dans le protocole dit Accoyer, comme dans celui de M. Larcher et comme dans l’article L.1 du code du travail, un élément de la mise en œuvre du principe de participation, énoncé à l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946, qui appartient, vous le savez, au bloc de constitutionnalité. Que dit cet alinéa ? « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. » Cela s’applique à l’évidence à la question du seuil, mais aussi, de façon générale, à la négociation collective, à la notion de dialogue social et à l’articulation du travail parlementaire avec le travail conventionnel, celui des partenaires sociaux.

Au-delà du simple irrespect formel du protocole adopté par la conférence des présidents, les conditions dans lesquelles le groupe UMP a souhaité que nous débattions de la proposition de M. Cherpion constituent, me semble t-il, une attaque de l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946. Cela suffit à fonder cette motion de rejet. Ce n’est pas nous défausser sur les partenaires sociaux. Soyons clairs : il n’y avait pas d’obligation constitutionnelle de consulter les partenaires sociaux.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Cela a été fait.

M. Denys Robiliard. C’est l’Assemblée qui a décidé de se donner cette obligation.

Vous savez que l’opposition avait saisi le juge constitutionnel sur la première loi Aubry, estimant que faute de négociation préalable, celle-ci portait atteinte à l’alinéa 8. Le Conseil a rejeté ce recours dans sa décision du 10 juin 1998.

Les partenaires sociaux eux-mêmes, dans une position commune datée du 16 juillet 2001, qui a réuni la totalité des syndicats d’employeurs et de salariés, à l’exception de la CGT, mais non de Force ouvrière – FO –, avaient souhaité une autre articulation du travail parlementaire avec celui des interlocuteurs sociaux. Je les cite : « Il conviendrait de prévoir que les interlocuteurs sociaux puissent, au niveau national interprofessionnel, prendre, s’ils le souhaitent, le relais d’une initiative des pouvoirs publics dans leur champ de compétence, et que les accords auxquels ils parviendraient dans une telle hypothèse, ou encore, à leur propre initiative, dans un domaine qui requiert des modifications législatives, puissent entrer en vigueur dans le respect de leur équilibre. » C’est ce qui s’est passé avec l’Accord national interprofessionnel – ANI – du 11 janvier 2013, étant précisé qu’entre la position commune du 16 juillet 2001 et l’ANI de 2013, Force ouvrière a changé d’avis sur cette position commune.

Comme vous le savez, le Parlement est saisi d’un projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale qui mettrait pleinement en œuvre ce que le protocole Accoyer a unilatéralement décidé pour l’Assemblée. Encore une fois, je fixe bien les limites qui sont données au respect du dialogue social auquel nous nous sommes obligés.

Constitutionnellement, le législateur ne peut être contraint : il a le droit de choisir de respecter l’équilibre, mais il ne peut être contraint de le faire. Cela tombe sous le sens, puisque c’est lui que l’article 34 de la Constitution charge de la définition des principes fondamentaux du droit du travail, et qu’il ne peut renoncer à l’exercice de cette prérogative – ce serait une incompétence négative. Vous en avez d’ailleurs fait les frais récemment sur les dispositions concernant le portage social.

Le législateur reste entravé, s’agissant de l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946, par l’obligation qui est la sienne. C’est ce que nous appelons la jurisprudence cliquet, qui ne s’est pas appliquée, à ma connaissance, en matière de droit du travail, mais en matière d’entreprises de presse, dans une décision du 29 juillet 1986. Je vous lis le deuxième considérant, qui fixe la mesure de ce que peut faire le Parlement : « Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier les textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; il ne lui est pas moins loisible d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, les modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité, et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu’il estime excessives ou inutiles. Cependant, l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garantie légale des exigences de caractère constitutionnel. » Or à la hauteur à laquelle vous fixez le premier niveau d’IRP dans l’entreprise, vous ne substituez pas aux garanties qui existent aujourd’hui, et qui sont fort anciennes s’agissant des délégués du personnel et du comité d’entreprise, puisque liées à notre histoire – le Front populaire, la Libération…

M. Jean-Frédéric Poisson. Comme les allocations familiales !

M. Denys Robiliard. Ne déplacez pas le débat, monsieur Poisson ! Vous ne substituez pas, disais-je, aux garanties actuelles de garanties équivalentes, c’est le moins que l’on puisse dire ! Et je passe sur l’incompatibilité de votre proposition avec le droit communautaire, puisqu’il existe une directive qui fixe des règles en matière d’institutions représentatives.

Permettez-moi de vous dire encore deux choses. La première, c’est que la façon dont cette proposition vient en débat est facteur de désordre. Vous parliez tout à l’heure de stéréophonie, madame Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. C’est le ministre Sapin qui en a parlé !

M. Denys Robiliard. La stéréophonie, oui, la cacophonie, non. Sur les seuils, la négociation est en cours, et il faudrait que nous en discutions aujourd’hui ! Sur le rescrit social, nous avons habilité le Gouvernement, pas plus tard que le 22 juillet, et il faudrait en parler aujourd’hui ! Sur les stages, la loi est du 10 juillet, et votre proposition du 22 ! Votre conception du temps parlementaire me semble s’apparenter à celle du temps circulaire. Pensez-vous vraiment que le Parlement est fait pour tourner en rond ?

Quant aux accords sur le maintien de l’emploi, nous en avons discuté de façon approfondie dans la loi sur la sécurisation de l’emploi : ce n’est pas pour y revenir.

Vous souhaitez enfin revenir sur les 24 heures. C’est tout de même un monde ! L’accord collectif comporte un engagement réciproque des parties. Si nous revenons dessus alors que l’encre de l’accord n’est pas encore sèche, et que nous l’avons transcrit fidèlement, en respectant son équilibre, c’en est fait du dialogue social !

Mme Isabelle Le Callennec. Parce qu’on a du mal à l’appliquer !

M. Pierre Lequiller. Quand on fait des erreurs, il faut les corriger !

M. Denys Robiliard. Quel sera l’intérêt des partenaires sociaux de se mettre d’accord et, pour certains, de faire des concessions, si celles-ci peuvent être effacées d’un revers de main par le législateur ?

Voilà les éléments que je voulais rappeler. Il y aurait beaucoup à dire sur le fond du débat, mais s’agissant d’une proposition de loi, le temps dont je dispose n’est que de quinze minutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Permettez-moi de revenir un instant sur le processus. La commission a été prévenue en amont : il y a eu des discussions et des préalables. Or qui doit saisir les partenaires sociaux ? C’est la présidence de la commission.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Je n’y suis pour rien si elle ne l’a pas fait. Pour ma part, j’ai consulté les partenaires sociaux. Sans doute faut-il renvoyer ceux qui ont commis l’erreur à leurs responsabilités. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Il y avait donc une solution simple : ce n’est pas une motion de rejet préalable qu’il fallait défendre, mais une motion de renvoi en commission ! Il vient un moment où il faut prendre ses responsabilités : votre attitude est totalement illogique et invraisemblable.



J’en viens à vos autres arguments. À aucun moment, M. Robiliard n’a cité les mots « homme », « femme » ou « enfant ». Alors même que ce texte les touche de près à travers le thème du travail, votre propos en est resté à celui d’un avocat en droit du travail. C’est peut-être intéressant sur le plan intellectuel, mais ce que les Français attendent aujourd’hui, c’est la réalité, du concret, de l’emploi, du travail ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)



Quant à la dernière partie du texte, je suis gêné pour vous, monsieur le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Ne vous en faites donc pas !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Qui nous a dit il y a peu, dans cet hémicycle, qu’on allait s’occuper du problème des 24 heures, puisqu’il y avait en effet un problème ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Surtout pour les collaborateurs parlementaires !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. C’est vous, monsieur le ministre ! Je suis peut-être un peu caricatural, mais c’est tout de même vous qui l’avez dit ! Ne nous imputez donc pas ce qui est du côté de l’exécutif ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Voilà pourquoi cette motion n’a aucun sens. Pour les Français, c’est surtout un témoignage que le parti socialiste ne veut pas débattre des vrais problèmes qui sont les leurs, le travail et l’emploi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à Mme Valérie Lacroute, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Valérie Lacroute. Monsieur le ministre, mes chers collègues, trois éléments m’ont particulièrement interpellée dans ce que nous avons entendu ce matin.

Tout d’abord, vous avez martelé toute la matinée que nous ne l’avions pas fait pendant douze ans, et que nous n’avions par conséquent pas le droit d’en parler. Mais dans les deux dernières années, vous avez tout de même supprimé la défiscalisation des heures supplémentaires, massacré l’apprentissage et cassé la dynamique des stages ! Dont acte. L’examen de cette proposition de loi ce matin était donc tout à fait opportun.

Deuxième enseignement : vous nous avez répété que ce texte constitue pour le Gouvernement un marqueur politique de l’UMP ; c’est le cas. Et alors ? Où est le problème ?

M. Pascal Terrasse. Et quel sacré marqueur : vous n’êtes pas nombreux pour le défendre !

Mme Valérie Lacroute. Nous assumons totalement nos propositions et nos positions.

M. Gérard Sebaoun et M. Romain Colas. Idéologiques !

Mme Valérie Lacroute. Avec cette proposition de loi, M. Cherpion aborde des sujets essentiels pour notre économie.

Troisièmement, vous nous reprochez de ne pas avoir saisi les partenaires sociaux. Relisez donc le protocole de M. Accoyer : « C’est à la commission, dès qu’elle a connaissance de l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi à caractère social, de transmettre le texte aux partenaires sociaux ». Voilà ce que dit ce texte !

M. Denys Robiliard. Oui, mais c’est au président de groupe de saisir la commission à cette fin !

Mme Valérie Lacroute. Il se poursuit ainsi : « C’est à la conférence des présidents de s’assurer que le protocole est respecté ». Sans commentaire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme Valérie Lacroute. Ce matin, j’éprouve donc une véritable déception face à cette motion de rejet préalable qui nous privera de débattre avec vous, monsieur le ministre, sur un sujet aussi essentiel que celui de l’emploi et de l’apprentissage. M. Cherpion a pourtant accompli un travail dont je tiens particulièrement à souligner le caractère remarquable. Nous regrettons naturellement que vous n’ayez pas déposé une motion de renvoi en commission plutôt que cette motion de rejet préalable. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Je ne vous étonnerai pas en rappelant ce que ne cesse de répéter le groupe écologiste depuis la dernière législature déjà : nous ne sommes pas favorables au principe de l’adoption d’une motion de rejet pour un texte présenté lors d’une niche parlementaire, laquelle doit précisément être l’occasion de discuter de textes quels qu’ils soient, même lorsqu’ils nous déplaisent. De ce point de vue, nous préférons donc aller au bout du débat même si, in fine, le texte doit être rejeté.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pas si sûr !

M. Christophe Cavard. Cela étant, cette motion de rejet ne témoigne pas d’un refus de débattre de la part de la majorité. M. le rapporteur le sait bien : la commission a examiné ce texte pendant plus de quatre heures et demie et ses échanges n’ont fait l’objet d’aucune restriction.

Mme Valérie Lacroute. C’était en commission !

M. Christophe Cavard. En outre, ces débats étaient publics et mis à disposition de tous ceux de nos concitoyens qui s’y intéressent. La majorité ne peut donc pas être soupçonnée d’avoir voulu empêcher le débat.

Enfin, M. Robiliard a rappelé un certain nombre de points de droit, mais aussi – ce fut dit en commission et M. le rapporteur en est conscient – le fait que cette proposition de loi remet en cause des textes qui viennent tout juste d’être examinés. Vous utilisez donc votre niche parlementaire pour poursuivre un débat déjà tranché depuis plusieurs semaines, dans le cadre soit de la loi de sécurisation de l’emploi, soit de la loi sur la formation professionnelle.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Mais non !

M. Christophe Cavard. Cette utilisation de votre niche est très discutable et atténue quelque peu la pertinence de mon argument initial concernant le sort à réserver aux motions de rejet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ici, nous sommes au Parlement !

M. Jean-Charles Taugourdeau. M. Mandon lui-même n’a-t-il pas dit que la simplification prendrait des années ?

M. Christophe Cavard. Par nature, le groupe écologiste aurait tendance à ne pas voter en faveur de cette motion de rejet mais, compte tenu des éléments que je viens d’exposer, il fait le choix de s’abstenir.

Mme Valérie Lacroute. Très bien ; voilà un choix cohérent.

M. le président. La parole est à Mme Kheira Bouziane, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Kheira Bouziane. Je commencerai par une précision de pure forme : selon le protocole de M. Accoyer déjà cité, il appartient au président de groupe de saisir la présidence de la commission afin que celle-ci transmette le texte aux partenaires sociaux. Or, M. Jacob ne l’a pas fait.

M. Romain Colas. Il n’est pas là pour défendre les marqueurs !

Mme Kheira Bouziane. Ne nous reprochez donc pas de n’avoir pas donné suite à ce que vous n’avez pas demandé.

Je ne reviens pas sur les éléments de forme brillamment exposés par M. Robiliard. Je me contenterai de répéter ceci : nous partageons les objectifs de cette proposition de loi, mais nous divergeons quant aux solutions. Depuis le début de la législature, le Gouvernement et sa majorité n’ont de cesse de créer les conditions qui favorisent non seulement l’emploi, mais aussi la formation professionnelle et l’activité économique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne ne le sait !

Mme Kheira Bouziane. En effet, seule la croissance de l’activité économique génère des emplois.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Excellent !

Mme Kheira Bouziane. Nous avons pris de nombreuses dispositions législatives favorables à la croissance et à la relance de l’activité, et donc de l’emploi.

Mme Isabelle Le Callennec. Cela ne se voit pas !

Mme Kheira Bouziane. Pour créer des emplois, nos entreprises doivent innover, investir, oser. La majorité gouvernementale a adopté de nombreux mécanismes qui sont désormais à leur disposition ; la balle est dans leur camp.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Nous, nous sommes dans le camp de la France !

Mme Kheira Bouziane. L’objectif de pragmatisme économique que vous visez ne saurait aucunement justifier la remise en cause des droits des salariés sans contrôle et sans limite. Il ne faut pas oublier que les salariés font partie de l’entreprise à laquelle ils sont aussi attachés, et qu’ils participent à la vie économique.

Vous l’aurez compris : s’il partage les objectifs de cette proposition de loi, le groupe SRC rejette les solutions qu’elle préconise. Enfin, il ne s’associe pas à une opération de propagande partisane et, dès lors, votera en faveur de la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, est adoptée.)

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

M. le président. L’Assemblée ayant adopté la motion de rejet préalable, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la conférence des présidents.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Discussion de la proposition de loi organique visant à instaurer le vote par voie électronique des Français de l’étranger à l’élection présidentielle et à l’élection des représentants au Parlement européen.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly