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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Troisième séance du jeudi 25 juin 2015

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Manutention dans les ports maritimes

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Sébastien Denaja, Jean-Paul Chanteguet et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes (nos 2790, 2873, 2871).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Philippe Duron, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Philippe Duron, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, la commission du développement durable m’a nommé rapporteur de cette proposition de loi, qui a été signée par l’ensemble des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen.

Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail de plus d’une année, la concrétisation d’une concertation qui a réuni l’ensemble des acteurs de la manutention portuaire.

L’origine se trouve dans un conflit qui a éclaté à Port-La-Nouvelle en 2013, au sujet du non-respect par l’un des manutentionnaires locaux du port des règles relatives à l’emploi des ouvriers dockers.

Cette affaire a entraîné une prise de conscience des difficultés d’interprétation des textes sur ce sujet.

Un groupe de travail a alors été mis en place. Il a rassemblé, autour de Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque, aujourd’hui inspectrice générale de l’écologie et du développement durable, l’ensemble des acteurs du secteur de la manutention portuaire : les syndicats de dockers, les représentants des entreprises de manutention, les représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, les autorités portuaires, les membres de l’administration en charge du transport maritime et des personnalités qualifiées. Je tiens à saluer ici l’esprit constructif et la qualité du travail qui a été accompli à cette occasion.

Avant de présenter le contenu de cette proposition de loi, je voudrais rappeler brièvement le cadre historique dans lequel elle s’inscrit.

Le régime d’emploi des dockers a été fixé après la Seconde Guerre mondiale par la loi du 6 septembre 1947. Il visait à concilier deux objectifs apparemment exclusifs l’un de l’autre : la stabilité et la flexibilité inhérente à l’activité portuaire.

Les dockers titulaires d’une carte professionnelle délivrée par le bureau central de la main-d’œuvre du port devaient pointer à l’embauche deux fois par jour. Ils étaient recrutés pour une journée ou une demi-journée, en fonction de l’activité portuaire. Ils bénéficiaient d’une priorité d’embauche sur les autres personnels pour les emplois de manutention portuaire définis par voie réglementaire. Si l’activité n’était pas suffisante, ceux qui n’avaient pas pu être embauchés recevaient une indemnité. Si, au contraire, ils n’étaient pas assez nombreux un jour donné, il était fait appel à des dockers occasionnels. Ceux-ci ne bénéficiaient pas des mêmes garanties mais n’étaient pas non plus soumis aux mêmes contraintes.

Défaillant tant sur le plan économique que sur le plan social, ce régime a été réformé par la loi du 9 juin 1992, celle qu’on appelle communément la loi Le Drian. Celle-ci a permis de substituer au régime de l’intermittence généralisée une mensualisation des dockers professionnels, dans le cadre de contrats à durée indéterminée relevant du droit commun du travail. En conséquence, elle a interdit la délivrance de cartes professionnelles pour l’avenir, programmant ainsi l’extinction progressive du régime de l’intermittence.

Un régime transitoire a toutefois été mis en place pour les dockers titulaires à cette date de la carte professionnelle qui ne souhaitaient pas passer à la mensualisation. Ces dockers, appelés dockers professionnels intermittents, sont aujourd’hui moins de soixante-dix à exercer réellement leur activité sur un port et les derniers devraient partir en retraite d’ici à 2018.

L’affaire qui a éclaté à Port-la-Nouvelle en 2013 a fait craindre aux acteurs portuaires que la disparition du dernier docker intermittent sur un port donné n’implique la suppression de la priorité d’embauche dont bénéficient sur ce port les dockers professionnels mensualisés créés par la loi de 1992 ainsi que les dockers occasionnels, dont le régime n’a pas été supprimé par cette loi. Les articles du code des transports résultant de la loi de 1992 donnaient lieu en effet à des interprétations divergentes sur ce point.

Le travail mené par le groupe animé par Mme Martine Bonny a permis d’améliorer la rédaction des textes, de manière à supprimer toute corrélation entre l’existence d’un régime de priorité d’emploi des dockers et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire. C’est l’objet des articles 1 à 5 et des articles 7 et 8.

Par ailleurs, ce texte vise à clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des dockers. C’est l’objet de l’article 6.

Cette évolution est d’autant plus nécessaire que la loi du 4 juillet 2008 a entraîné d’importants changements dans le domaine de la construction et de la gestion des outillages. Ceux-ci avaient rendu obsolètes les notions employées jusqu’alors pour définir le périmètre d’activité des dockers, par exemple celle de postes publics ou encore celle de lieux à usage public.

Ce texte est aussi l’occasion de réaffirmer que l’existence d’une priorité d’emploi des dockers pour certaines tâches se justifie pour des raisons de sécurité des personnes et des biens. Les dockers disposent en effet de savoir-faire spécifiques qui leur permettent d’assurer le chargement et le déchargement de cargaisons dans des conditions qui pourraient être dangereuses.

De plus, un mécanisme novateur a été créé pour traiter du cas des travaux de manutention portuaire effectués pour le compte propre du titulaire d’un titre d’occupation domaniale comportant le bord à quai.

La loi prévoit désormais que les conditions dans lesquelles ils sont réalisés sont fixées conformément à une charte nationale. Celle-ci doit permettre de favoriser le dialogue entre les acteurs portuaires sur les projets de nouvelles implantations industrielles.

En effet, les travaux du groupe animé par Mme Martine Bonny ont été conduits dans le respect de la législation européenne, notamment du droit de la concurrence, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services. Or celle-ci rendait nécessaire une prise en compte des spécificités des AOT comportant le bord à quai.

Cette charte est un instrument-cadre, dont les déclinaisons locales s’adapteront aux spécificités de chaque port, et elles sont nombreuses. Cette charte, dont le projet a été élaboré dans le cadre du groupe de travail, doit donc être signée le plus rapidement possible, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes du port, qu’il s’agisse des ouvriers dockers ou des manutentionnaires, mais aussi de la compétitivité du port, qui est très liée à la qualité des rapports sociaux sur ces places.

Lors de sa réunion du mercredi 17 juin, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté douze amendements rédactionnels, qui permettront de faciliter l’application du texte en renforçant sa lisibilité.

Par ailleurs, mon collègue Henri Jibrayel, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, et moi-même avons été à l’origine de l’adoption de deux amendements identiques introduisant un article 9 dans le texte. Celui-ci prévoit la remise au Parlement dans un délai de deux ans d’un rapport sur la mise en œuvre de la charte, parce qu’il nous semble important de mesurer l’intérêt de cette forme nouvelle de relations sociales et de voir comment elle pourrait être transposée dans d’autres domaines que celui de l’activité portuaire.

Pour conclure, je vous invite bien sûr, mes chers collègues, à adopter ce texte, tout en rappelant qu’il ne faut pas se méprendre sur sa portée exacte. Tout d’abord, il ne concerne pas la seule catégorie des dockers intermittents. Il ne vise ni à remettre en cause leur existence, ni à leur accorder de nouveaux droits. Enfin, il vise à résoudre un problème juridique précisément circonscrit. Il n’a pas pour ambition de fixer les grandes orientations stratégiques en matière de développement maritime, contrairement à ce que croyaient certains de nos collègues de la commission. Ce sera l’objet d’autres textes au cours de cette législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Henri Jibrayel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Henri Jibrayel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, je tiens à vous remercier pour l’excellent travail que vous avez réalisé tout au long de ces dernières semaines pour élaborer ce texte et faire en sorte que nous puissions ce soir débattre et légiférer.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque jour, la France accueille dans ses ports des navires du monde entier, avec leur chargement de conteneurs, de minerais ou de marchandises indispensables à son économie. L’activité de manutention nécessaire au chargement de ces navires, aussi indispensable que dangereuse, demande de faire appel à des professionnels qualifiés et expérimentés, des professionnels qui doivent être protégés.

Ils doivent être protégés dans leur activité manutentionnaire, bien sûr, car, dans leur métier, la moindre erreur se chiffre en milliers d’euros et le moindre accident peut avoir des conséquences fatales, mais aussi protégés par la loi, parce qu’il est inimaginable de laisser des ambiguïtés législatives paralyser le trafic national.

Je ne reviendrai pas ici sur le détail de l’ambiguïté du code des transports, dont vous aurez amplement l’occasion d’entendre parler dans le débat, mais je ne peux pas laisser passer sous silence ses conséquences, puisqu’elle a déjà mené à un conflit de concurrence déloyale entre deux entreprises à Port-la-Nouvelle, et qu’elle porte en son sein la remise en cause du métier de docker. Ainsi, si nous ne faisons rien, c’est la disparition pure et simple de ce métier qui nous attend et, avec elle, les risques de dumping social dans un secteur stratégique pour notre économie.

Cette responsabilité que le législateur a de protéger les dockers a bien été comprise, et ce de longue date. Les différentes réformes du statut des dockers de 1992 et de 2008 allaient dans ce sens, et il nous appartient donc aujourd’hui de pérenniser le métier de docker en clarifiant le droit. Clarifier pour pérenniser, tel est l’objectif de cette proposition de loi.

La pérennisation, nous l’avons dans le premier point de cette proposition de loi. En déconnectant le régime de priorité d’emploi de la présence sur le port de dockers intermittents, aujourd’hui en voie d’extinction, nous permettons de renforcer un régime qui satisfait aux exigences de sécurité et de continuité du service.

La clarification, c’est le second point, porte sur des notions obsolètes du code des transports, qui devront être modifiées par voie réglementaire. Elle maintient la priorité de l’emploi des dockers, en particulier pour les travaux où les risques sont les plus élevés, sans empiéter sur les libertés d’activité des entreprises garanties par les traités de l’Union européenne. Et, pour une meilleure lecture des principes de dialogue entre les organisations concernées, nous prévoyons une charte nationale destinée à faciliter les relations entre les parties.

Cette charte nationale, prévue par l’article 6, constitue un élément central. Elle a fait l’objet d’une longue concertation, ce qui exige qu’elle soit signée au plus tôt. La commission des affaires économiques a adopté un amendement prévoyant que la mise en place de cette charte ferait l’objet d’un suivi, qui prendrait la forme d’un rapport dans un délai de deux ans, comme l’a rappelé tout à l’heure mon ami Philippe Duron. Par cet amendement, la commission a tenu à souligner toute l’importance qu’elle accorde à cette proposition de loi, sur laquelle elle a émis un avis favorable.

Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, voilà comment nous comptons lever l’ambiguïté introduite par la réforme de 2008, menée sous la précédente législature. Je ne leur jette pas la pierre, bien sûr.

M. Thierry Mariani. Merci !

M. Henri Jibrayel, rapporteur pour avis. Je tiens même à saluer ici cette réforme, qui voulait que personne ne reste sur le quai. Le texte voulait une boîte à outils pour négocier au mieux. Avec la charte que nous proposons, je crois que nous avons aujourd’hui le bon outil.

Parce qu’elle apporte le bon outil, et parce qu’elle clarifie une ambiguïté aux graves conséquences, je suis fier aujourd’hui d’apporter mon soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le président de la commission du développement durable, mesdames, messieurs les députés, je remercie tout d’abord le groupe socialiste de l’Assemblée, notamment Sébastien Denaja, d’avoir déposé cette proposition de loi. Je me félicite également que Philippe Duron ait accepté d’en être le rapporteur, car il a fourni une nouvelle fois un travail de grande qualité.

Je veux ensuite saluer devant vous la démarche qui a permis d’aboutir à cette proposition de loi. À la suite de tensions, dans le port décentralisé de Port-la-Nouvelle fin 2013, liées à certaines ambiguïtés des articles du code des transports, le Gouvernement a joué son rôle de facilitateur du dialogue en mettant en place un groupe de travail destiné à évaluer l’opportunité d’une évolution des règles d’emploi des dockers. De cette mission est sorti un texte équilibré entre les positions des différents acteurs œuvrant pour le développement de nos ports : les entreprises de manutention, les industriels implantés sur les terminaux et les représentants des ouvriers dockers. Cet équilibre a été obtenu par un dialogue riche et constructif après près de trente réunions de travail tenues entre février et juillet 2014.

L’objectif était bien de concilier des enjeux essentiels à l’attractivité de nos ports et à leur développement économique : la sécurité des personnes et des biens, fondée sur la qualification et le professionnalisme des dockers ; la liberté d’entreprendre ; le respect des travailleurs et de leurs conditions d’emploi. Il s’agit donc aujourd’hui de permettre la réalisation du consensus obtenu. Il faut, à mon sens, saluer cette démarche vertueuse dans laquelle les pouvoirs publics interviennent en soutien au dialogue des acteurs économiques et sociaux. Ces dispositions législatives contribueront, en sécurisant juridiquement le régime de priorité d’emploi, à pérenniser l’emploi des dockers. Le savoir-faire et l’expérience de cette profession sont un atout précieux en matière de sécurité pour nos ports.

La proposition de loi, issue du dialogue social, doit aussi contribuer à améliorer la fiabilité et la compétitivité de nos ports, sujet auquel je suis très attaché. Les ports constituent en effet des maillons essentiels de notre chaîne de transport. L’emploi direct qu’ils génèrent est d’ailleurs estimé à 40 000 emplois. Vous le savez, les premières années d’existence des grands ports maritimes qui ont suivi la loi de 2008 portant réforme portuaire ont permis d’asseoir leur rôle d’ensemblier des activités de la place portuaire, garant de leur développement économique. Les résultats sont encourageants, mais il nous faut encore poursuivre les efforts. Les trafics conteneurisés sont en hausse, avec une croissance annuelle moyenne de 5,3 % depuis 2012, soit plus que l’augmentation moyenne sur les ports européens de la façade Manche-mer du Nord. Le développement d’un système logistique compétitif et durable intégrant la chaîne logistique de bout en bout doit permettre de renforcer l’attractivité des ports auprès des chargeurs et des armateurs.

C’est le travail que nous avons effectué avec le nouveau cycle qui s’ouvre. Les instances de gouvernance des ports ont été renouvelées et de nouveaux projets stratégiques ont été définis dans chaque grand port maritime. C’est aussi, par exemple, la raison pour laquelle nous avons entamé une dynamique visant à renforcer la coopération portuaire avec les ports décentralisés et les ports intérieurs qui sont des maillons complémentaires de la chaîne logistique. C’est, enfin, la raison pour laquelle des efforts sans précédent sont prévus pour accompagner financièrement ces différentes initiatives. Ainsi, au titre des contrats de plan État-région 2015-2020, les ports représentent un volume d’investissement de 1,6 milliard d’euros contre 1,1 milliard d’euros pour les contrats de plan 2007-2013. En outre, au plan européen, la France a déposé vingt-trois projets portuaires et fluviaux dans le cadre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe. Les résultats de l’appel à projets européen sont attendus dans les tout prochains jours.

Le Gouvernement a une stratégie globale de développement de l’attractivité et de la compétitivité de nos ports, pour permettre de transformer l’essai de la réforme portuaire en réussite et de donner à la France, en métropole et dans les outre-mer, une place de premier rang dans le commerce international. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager l’évolution législative proposée. Elle consiste à clarifier, simplifier et moderniser le régime d’emploi des dockers qui est aujourd’hui assis sur le statut de docker intermittent. Ce régime, antérieur à la réforme de 1992, aura pourtant totalement disparu d’ici à 2017. L’insécurité juridique actuelle est source de conflits dans les ports.

La proposition de loi instaure : une définition de l’ouvrier docker professionnel fondée sur l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée, soumis à la convention collective nationale unifiée « ports et manutention » ; une consolidation du principe de priorité d’emploi pour les ouvriers dockers ; une définition modernisée du périmètre dans lequel devrait s’appliquer la priorité d’emploi des ouvriers dockers, fondée sur le service au navire ; une charte nationale pour les nouvelles implantations industrielles dans les ports maritimes de commerce, comportant une obligation de négociation entre les différents acteurs de la place portuaire et des engagements réciproques de compétitivité, de fiabilité sociale et de respect des emplois portuaires et des clauses de la convention collective nationale.

La commission du développement durable a adopté la semaine dernière, à l’initiative du rapporteur Philippe Duron, un amendement demandant la remise d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre de cette charte nationale. Je me félicite de cette initiative qui permettra un retour d’expérience sur le dispositif proposé. Ainsi, parce que le Gouvernement considère que cette proposition de loi participera à une situation stable et apaisée des acteurs économiques dans nos ports et donc à un avenir serein, je l’espère, il est favorable à son adoption et souhaite que les groupes parlementaires de l’Assemblée nationale puissent soutenir ce soir la fructueuse démarche de dialogue social qui a mobilisé toute une année les différents acteurs portuaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Thierry Mariani, premier orateur inscrit.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir, présentée par le groupe socialiste, républicain et citoyen, vise à transcrire dans la loi les négociations entre les parties prenantes de la manutention portuaire, constituées à l’initiative du Gouvernement en 2013. Les rapports de Philippe Duron et d’Henri Jibrayel, que je félicite tous deux pour leur travail, éclairent parfaitement le dossier. Les propositions concernent les règles applicables à l’emploi des dockers, sous prétexte, notamment, que leur régime juridique n’a pas évolué depuis les deux réformes en 1992 et 2008, au regard de leur statut d’intermittent.

Selon votre majorité, c’est donc un texte qui améliorerait la sécurité juridique des dockers, tout en réaffirmant le lien entre la priorité d’embauche et le statut d’intermittent, et qui s’appuierait sur une charte nationale sur laquelle il y aurait accord des partenaires sociaux. Ce texte clarifierait également le domaine d’intervention des ouvriers dockers sur le domaine public portuaire. Cependant, à notre avis, cette proposition de loi part d’un constat incomplet de la situation. En effet, lorsque vous déclarez que, malgré la réforme du 9 juin 1992, les règles d’emploi des dockers restent adossées au statut de l’intermittence, vous oubliez de préciser que, dans les trois ports maritimes les plus importants – Le Havre, Marseille et Dunkerque –, seul le port de Marseille a encore, à ma connaissance, des dockers intermittents. Leur nombre global est inférieur à 6 % des effectifs de dockers travaillant dans les ports.

Ce texte fait également preuve d’un manque d’explications, car un nombre élevé de ces dockers intermittents, qui n’ont pas été mensualisés en 1992, sont restés à ce statut par leur volonté individuelle ou collective, puisqu’ils avaient la priorité absolue de mensualisation et que de très nombreux dockers ont été mensualisés dans tous les ports, notamment celui de Marseille. Ce refus de mensualisation, contraire à l’esprit du législateur, n’a pas remis en cause le maintien de la carte de docker professionnel intermittent.

C’est pour cette raison et parce que la loi de 1992 n’a pas été correctement appliquée partout qu’il reste effectivement, comme vous l’avez très bien décrit, monsieur le secrétaire d’État, quelques dockers professionnels intermittents dans les ports. Les dysfonctionnements sociaux dans quelques ports ne sauraient, pensons-nous, justifier une nouvelle loi. Il faut, au contraire, s’efforcer de faire en sorte que la loi de 1992 soit correctement appliquée. Par ailleurs, le texte que nous examinons met l’accent sur l’extension du droit à permettre à des industriels positionnés sur les ports de faire effectuer les opérations de manutention par leur personnel. Il est très important, au nom de la compétitivité française et de la nécessité de créer de nouvelles filières d’import-export en France, de garantir la liberté de l’opérateur ou de l’industriel de choisir son mode opérationnel.

L’Union européenne prépare, par ailleurs, un règlement qui devrait libéraliser l’activité portuaire et permettre aux opérateurs maritimes de développer l’auto-manutention. Par ce texte de loi, la France essaie, une fois de plus, de résister à une évolution inévitable, ce qui est regrettable. Les ports français souffrent, nous le savons, d’un déficit de pouvoir d’attraction : inférieurs en performance et en productivité à nos principaux concurrents, ils subissent des coûts d’immobilisation plus importants et un climat social qui a longtemps été dégradé. La Cour des comptes avait d’ailleurs épinglé, en 2011, les régimes de travail des dockers dans certains ports.

Le défi majeur que nous devons relever est la refondation du dialogue social. La réforme de l’organisation et du fonctionnement de nos ports est en effet avant tout une affaire d’hommes. Renforcer la compétitivité des sept principaux ports français était d’ailleurs l’objectif de la réforme portuaire engagée en 2008 et achevée lorsque j’étais ministre. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir commencé par un constat que je crois honnête, puisque depuis 2012, comme vous l’avez reconnu, l’activité des ports est à nouveau en croissance. Certes, c’est le jeu de la majorité et de l’opposition, mais je me souviens des débats à l’époque dans cet hémicycle, où certains promettaient de remettre en cause cette loi en cas d’alternance. Celle-ci a eu lieu, et je constate que la loi n’a pas été remise en cause.

C’est une bonne chose, car ce type de loi a besoin d’un certain délai pour produire ses effets, et si, comme tout texte, elle est améliorable, son effet est plutôt globalement positif. Chacun a eu son lot, monsieur le secrétaire d’État ! Je me souviens d’être arrivé à la fonction qui est la vôtre aujourd’hui avec cinq semaines de grève dans les ports, ce qui a permis à cette loi d’aller jusqu’à son terme. Cela fait des souvenirs, quand on est ancien ministre.

La loi de 2008 avait pour objectif de moderniser la gouvernance des ports, d’instaurer une coordination interportuaire et de transférer des outillages des personnels de manutention portuaire au secteur privé.

La France est naturellement, par sa géographie, le deuxième espace maritime au monde et, par son histoire, une grande nation maritime. Mais j’ai la profonde conviction qu’elle ne redeviendra une véritable puissance maritime qu’à l’aide de la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés. Ce n’est que collectivement que cette ambition pourra être atteinte. On aurait donc pu s’attendre à un débat d’ensemble sur la compétitivité de nos ports, afin de réaliser un travail sur mesure, port par port, et non pas d’imposer un carcan qui s’appliquerait de façon indifférenciée à chacun. Le port de Roscoff, par exemple, avec onze dockers, ne traitant pas les conteneurs, ne peut pas relever de la même approche que celui du Havre avec ses deux mille dockers.

En conclusion, nous pensons que cette proposition de loi est au mieux inutile, au pire dangereuse, et qu’elle ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité. S’il n’y a pas lieu de modifier la loi actuelle, ce texte risque de générer du conflit social en opposant les catégories de travailleurs entre elles, en multipliant des contentieux sans fin et des blocages de l’économie, en remettant en cause la logistique du transport. Nous pensons qu’il risque de provoquer des contraintes supplémentaires qui vont aggraver le déficit de compétitivité de nos ports vis-à-vis de leurs concurrents au lieu de le rééquilibrer. Nous aurions préféré, comme vous l’avez compris, un texte d’ensemble. Le rapporteur pour avis, mon ami Jibrayel, a évoqué la charte nationale. Nous l’attendons. Si elle avait été présentée en même temps que la proposition de loi, c’eût été une bonne démarche. Vous avez choisi un autre ordre de traitement des dossiers. Pour ces raisons, le groupe des Républicains ne soutiendra pas cette proposition de loi et s’abstiendra.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troallic.

Mme Catherine Troallic. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, afin de saisir les raisons qui nous amènent aujourd’hui à légiférer sur le statut des dockers, il est important de s’arrêter sur l’évolution de ce métier. Les dockers, même s’ils sont moins nombreux qu’au siècle dernier et même si leur profession a perdu de sa spécificité, restent néanmoins des figures emblématiques de nos ports. Sur le port du Havre, qui fait partie de ma circonscription, ils sont encore des acteurs incontournables. Pourtant, ils n’ont que très peu de points communs avec leurs ancêtres du XXe siècle, et encore moins avec ceux de la première moitié de ce siècle.

Permettez-moi de citer un écrivain havrais, Philippe Huet, qui décrit une catégorie de dockers, les ouvriers charbonniers, dans son livre du début du XXe siècle, Les quais de la colère : « À côté des grandes familles de négociants havrais, et notamment des maîtres charbonniers qui connaissent une prospérité sans précédent, […] il y a, à l’autre bout de la chaîne, loin des privilèges, des capitaux et des places boursières, les débardeurs de l’or noir qui vivent un véritable enfer. Rongés par la tuberculose, minés par l’alcool, enfermés dans un ghetto de misère, les ouvriers charbonniers sont la lie du port. »

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la loi du 6 septembre 1947 prend acte de la particularité du métier de docker. Difficile, dangereuse et précaire, cette profession est en effet soumise à la fois aux aléas de la navigation, aux conditions météorologiques et aux besoins économiques. Cette loi, en créant un statut protecteur dérogatoire au droit social commun, a constitué un important progrès social pour les dockers en les protégeant des risques élevés de pauvreté. Ainsi, elle a doté l’intermittence, inhérente au métier, d’un statut qui assure une régularité au salaire par l’indemnisation des périodes de chômage. Elle dissocie intermittence et précarité sur les ports.

L’essor de la conteneurisation dans les années 60, démultipliée dans les années 80, et la libéralisation du marché entraînent de profonds bouleversements dans l’organisation de la manutention, notamment avec l’apparition de la manutention verticale. Ces bouleversements du marché et des techniques impactent directement le régime de travail des dockers. L’arrivée du conteneur dans les ports et les autres nouvelles techniques permettent d’accomplir, avec un nombre bien plus restreint de dockers, des tâches qui nécessitaient auparavant des équipes plus nombreuses. Un déséquilibre croissant apparaît alors entre le volume de travail et les effectifs nécessaires, créant des périodes d’inemploi plus longues et plus fréquentes, ce qui fragilise inéluctablement la situation des dockers et de leurs familles.

Face à cette évolution, la réforme de 1992 du ministre Le Drian vise à supprimer le statut de l’intermittence. Autrefois agents des ports, les dockers deviennent salariés des entreprises de manutention, liés à celles-ci par un CDI.

La réforme de 2008, qui crée le statut de « grand port maritime », unifie la manutention horizontale et la manutention verticale en rassemblant au sein des entreprises de manutention portuaire l’ensemble des moyens humains et matériels de la manutention. Avant cette loi, il y avait d’un côté les entreprises privées, propriétaires des engins de manutention horizontale et qui employaient des ouvriers dockers, et, de l’autre, les ports autonomes maritimes, qui restaient propriétaires des engins de manutention verticale et employaient grutiers et portiqueurs. À la fois révolution économique et juridique, cette loi achève le travail de banalisation de la manutention portuaire entrepris par la loi de 1992, et acte la volonté de mettre fin à la spécificité et à l’originalité du statut de docker. La disparition progressive du statut d’intermittents – il n’en reste qu’aujourd’hui que 149, dont quatre-vingt-trois réellement actifs –, voulue par le législateur de 1992 pour rendre le métier de docker moins précaire, fragilise aujourd’hui le statut même de l’ensemble de la profession.

C’est pourquoi le groupe socialiste, républicain et citoyen a déposé la proposition de loi que nous examinons ce soir. Elle vise à consolider et à clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes. Elle est nécessaire si nous voulons y maintenir le métier de docker. Cela a été rappelé, c’est un conflit local entre deux entreprises de manutention portuaire à Port-la-Nouvelle, durant l’été 2013, qui a révélé une ambiguïté dans la rédaction du livre V du code des transports : une des entreprises, implantée depuis longtemps sur le site, reprochait à une seconde de lui faire une concurrence déloyale en employant du personnel non-docker pour des travaux de manutention, et la région Languedoc-Roussillon, autorité concédante du port, a alors estimé, à la lecture du code des transports, que l’absence d’ouvrier docker intermittent sur ledit port pouvait remettre en question la règle de priorité à l’emploi.

Dans ce contexte, et afin de trouver une issue favorable pour l’avenir de la profession, le ministre de l’époque, Frédéric Cuvillier, a confié à Martine Bonny, inspectrice générale de l’administration de l’écologie et du développement durable, la mission de piloter un groupe de travail pour clarifier le droit existant. Durant six mois, de nombreux professionnels du secteur ont été entendus. Directement issues des conclusions de ce groupe de travail, les dispositions inscrites dans la proposition de loi marquent l’aboutissement d’un long travail de concertation et de négociation entre les participants, avec au final un consensus entre les parties. Elles respectent également les principes posés par la Commission européenne, qui admet une priorité d’emploi des ouvriers dockers dans un champ d’intervention et un périmètre bien délimité et non extensif.

Ce texte est la preuve qu’il est possible de réformer, dans notre société, grâce au dialogue et à l’écoute. À ce titre, je veux saluer le volontarisme des acteurs portuaires dans leur ensemble, des ouvriers dockers en particulier, qui, contrairement à ce que disait l’ancien Président Sarkozy, ne ruinent pas les ports français mais les font vivre avec d’autres.

M. Henri Jibrayel, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Catherine Troallic. Je tiens également à saluer la détermination de Martine Bonny à remettre au Gouvernement un rapport équilibré, qui fait consensus auprès de chacun.

L’ambition de cette proposition de loi est double : il s’agit, d’une part, de pérenniser l’emploi des dockers, et, d’autre part, de renforcer le dialogue social au sein de nos ports. À cet effet, la charte prévue par ce texte impose que les entreprises et les dockers s’associent dans le processus décisionnel lié aux nouvelles implantations industrielles sur les ports. Avant même d’être signée, cette charte a été unanimement saluée et perçue comme un véritable guide par les acteurs portuaires. Grâce à l’amendement de notre rapporteur pour avis, Henri Jibrayel, et de notre rapporteur, Philippe Duron, inséré après l’article 8, nous nous assurerons que cette charte soit signée et appliquée sans tarder. C’est primordial et cela nous permet de souligner toute l’importance que nous accordons à la mise en œuvre de cette proposition de loi, qui, je le rappelle, est le résultat d’un dialogue social fructueux.

Il y a donc urgence. Cette proposition de loi mérite le même consensus dans cet hémicycle que celui dont ont fait preuve les acteurs portuaires.

Pour finir, permettez-moi de rendre hommage à Jules Durand, docker charbonnier et syndicaliste libertaire du port du Havre. Au début du XXe siècle, injustement accusé de la mort d’un contremaître non gréviste, il est condamné et incarcéré ; libéré en 1911, suite des mouvements de protestation dépassant le seul territoire national, il est finalement reconnu innocent en 1918 ; mais, gagné par la folie pendant son séjour en prison, il n’en aura jamais conscience et mourra à l’asile en 1926. Cette erreur judiciaire a été appelée « l’Affaire Dreyfus du monde du travail ». Aujourd’hui, de nombreux acteurs de la place havraise et au-delà attendent vivement que l’État honore sa mémoire par un acte fort et solennel pour réhabiliter à jamais, et complètement, la mémoire de Jules Durand. Nous œuvrons collectivement en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, monsieur le rapport pour avis, mes chers collègues, la proposition de loi au sujet des dockers qui nous rassemble aujourd’hui est l’aboutissement d’un travail assidu et consensuel. Elle reprend les propositions du groupe de travail dirigé par Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque. Toutes les parties prenantes de la manutention dans les ports maritimes y ont activement participé à la recherche de solutions pérennes, dans une volonté d’échanges féconds. Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste tiennent à saluer ce processus de concertation. C’est un bon exemple de démocratie participative, un bon exemple de consultation réussie, en préalable au processus législatif stricto sensu. Cela dit, aussi utile que fût cette consultation pour parvenir à transcrire dans la loi des équilibres parfois subtils et aussi précieux que puisse être un assentiment général pour bâtir un texte de loi efficace et pragmatique, le temps du Parlement est aujourd’hui venu. Si les députés du groupe RRDP sont partisans de l’écoute des corps intermédiaires et si, monsieur le secrétaire d’État, nous avons beaucoup d’affection pour la démocratie participative, nous conservons également un grand respect pour la légitimité de la démocratie représentative. Certes, nous devrions en repenser le modèle, j’en conviens volontiers, mais prenons garde à ne pas réduire l’examen au Parlement à une réunion supplémentaire du groupe de travail mis en place. C’est aux parlementaires qu’il revient désormais de fixer de façon définitive dans la législation les conditions d’emploi des dockers.

Le texte que nous allons examiner a trois objectifs : ajuster l’encadrement juridique de la manutention dans les ports au vieillissement des dockers qui ont encore le statut d’intermittent ; clarifier le champ d’intervention des dockers ; donner une traduction législative aux propositions émises par le consensus des parties prenantes.

Il ne s’agit pas de faire une législation d’exception pour une profession, mais bien d’adapter le droit à des conditions d’emploi spécifiques. Dans les ports, il existe une ressource humaine exerçant de nombreux métiers, opérant pour des employeurs et sous des statuts très variés. Ces métiers eux-mêmes ne sont pas toujours bien délimités et se transforment au gré des évolutions technologiques, économiques et juridiques. C’est le cas des dockers. Ce sont des ouvriers travaillant dans les ports de marchandises, chargés d’approvisionner les navires, de préparer le matériel nécessaire aux opérations de chargement, de guider les conducteurs et d’effectuer le déplacement des caisses et des colis. Ce métier requiert des compétences très particulières : un docker doit faire preuve d’une bonne résistance physique, d’une concentration et d’une précision élevées, de capacités techniques et mécaniques, mais aussi de ponctualité et de rapidité car certains chargements ou déchargements obéissent à des contraintes exigeantes en termes de délai. Ce n’est pas un hasard si dans l’immense majorité des pays du monde, y compris en France depuis l’Ancien Régime, il est régi par des normes spécifiques : l’enjeu est de bénéficier d’une main-d’œuvre stable, avec une gestion adaptée aux fortes fluctuations de l’activité portuaire, soit de concilier les deux impératifs de stabilité et de flexibilité.

En France, aujourd’hui, le droit social applicable aux dockers ne résulte pas d’un dispositif unique. Il ressemble plutôt à une forme de syncrétisme, un enchevêtrement de statuts élaborés par des législations successives, d’époques et d’inspirations différentes. Les dispositions législatives relatives à la manutention portuaire ont connu un point d’ancrage avec la loi de 1947, qui crée une carte professionnelle et une gestion de l’intermittence et, en contrepartie de la fluctuation de l’activité, instaure une priorité d’embauche. Pour les périodes d’intense suractivité ponctuelle, les employeurs pouvaient recourir à des dockers occasionnels, c’est-à-dire non professionnels. Ces derniers avaient moins de contraintes, mais moins de garanties. Ainsi, pour les tâches à effectuer dans le port, il découlait de cette organisation que les dockers professionnels intermittents bénéficiaient d’une priorité d’emploi sur les dockers occasionnels, qui, eux-mêmes, bénéficiaient d’une priorité d’emploi sur les autres personnels.

Depuis 1947, l’évolution des méthodes de travail et la modernisation des techniques ont progressivement rendu désuète l’intermittence. Ainsi, il y a plus de vingt ans, en 1992, la loi Le Drian a encouragé la mensualisation avec la priorisation de l’emploi en CDI, laissant aux dockers préférant le régime de l’intermittence la possibilité de le conserver. Du fait des évolutions démographiques, il reste aujourd’hui moins de soixante-dix dockers intermittents en activité en France et ce régime est appelé à s’éteindre prochainement.

Mais le droit positif comporte aussi un certain nombre d’ambiguïtés, qui furent à l’origine d’un conflit qui a eu lieu en 2013 à Port-la-Nouvelle, à coté de Narbonne, dans la belle région chère aux radicaux qu’on pourrait appeler prochainement le Languedoc-Pyrénées. C’est à la suite de ce conflit que fut mis en place le groupe de travail avec les acteurs du secteur car il était nécessaire de clarifier et de conforter le statut social des dockers et leurs conditions d’emploi pour éliminer les ambiguïtés rédactionnelles, dans la perspective de la fin de l’intermittence.

Le texte que nous allons examiner va donc permettre la sécurisation juridique du régime de priorité d’embauche et la pérennisation de l’emploi des dockers professionnels. Le régime de priorité d’emploi des dockers est ainsi clarifié par la rédaction de l’article 3, qui dispose que les employeurs « recrutent en priorité les ouvriers dockers professionnels mensualisés parmi les ouvriers dockers professionnels intermittents, s’il en reste sur le port, puis parmi les ouvriers dockers occasionnels ».

De plus, le périmètre de la priorité d’emploi des dockers devait être clarifié en raison du maintien dans le cadre des transports des notions de poste public et de lien à usage public, pourtant devenues largement obsolètes. Deux principes doivent être retenus : premièrement, la priorité d’emploi doit être proportionnelle aux objectifs poursuivis de sécurité des biens et des personnes, et s’applique donc pour les travaux où les risques sont les plus importants ; deuxièmement, elle ne peut s’imposer aux titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, le plus souvent des industriels dont les besoins de manutention sont liés à l’exploitation même de leur activité. Enfin, les différentes catégories de dockers sont redéfinies, en référence à la nature de la relation avec leur employeur, comme le précise l’article 3, alinéa 2 : « Les ouvriers dockers professionnels mensualisés sont les ouvriers qui, afin d’exercer les travaux de manutention portuaire […], concluent avec une entreprise ou avec un groupement d’entreprises un contrat de travail à durée indéterminée. »

Lors de l’examen en commission, quelques amendements rédactionnels ont été adoptés, ainsi qu’un amendement prévoyant la remise d’un rapport sur la mise en œuvre de la charte nationale dans le domaine des relations sociales dans la manutention portuaire. Cette charte, prévue par l’article 6, constitue une innovation juridique et pratique. Si les rapports peuvent être parfois superfétatoires, celui-ci apparaît véritablement utile pour évaluer précisément et, si besoin est, pour améliorer la rédaction et le fonctionnement de la charte.

Au final, du fait des tensions et des relations sociales complexes qui peuvent exister dans certains ports, la présente proposition de loi nous semble équilibrée et elle apporte des garanties robustes pour apaiser le climat social et pour favoriser la compétitivité. En effet, plusieurs ports maritimes français souffrent de la crise économique. Les clarifications juridiques apportées par ce texte étaient donc nécessaires. Elles vont renforcer leur attractivité.

Pour conclure, je tiens à remercier, au nom du groupe RRDP, les auteurs et rapporteurs de la proposition de loi. Ils ont effectué un travail sérieux et solide, procédant à de nombreuses auditions : syndicats, représentants des entreprises de manutention et de transport de fret, autorités portuaires, hauts fonctionnaires chargés des questions portuaires. Il ne serait d’ailleurs peut-être pas totalement inutile de réfléchir à l’extension de cette méthode pour d’autres secteurs bien spécifiques ; le rapport sur la charte apportera probablement un éclairage sur ce point.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, sachez que vous pourrez compter sur le soutien des députés du groupe RRDP. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, la proposition de loi qui est soumise ce soir à notre examen s’inscrit dans la continuité des travaux conduits l’an dernier par le groupe de travail sur le régime d’emploi des ouvriers dockers, qui a rendu son rapport en décembre 2014. Ce rapport, établi par Mme Martine Bonny, présidente du groupe de travail et ancienne directrice des ports de Rouen et de Dunkerque, préconisait de clarifier la définition de la profession d’ouvrier docker et de définir un projet de charte nationale concernant les nouvelles implantations industrielles sur les places portuaires.

Le texte qui nous est proposé est la transposition des recommandations de ce rapport, dans lequel se sont pleinement investis non seulement les organisations professionnelles, mais aussi les représentants des ouvriers dockers salariés et intermittents.

L’objectif premier de ce texte est de lever les ambiguïtés législatives relatives à l’emploi des ouvriers dockers et de clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des ouvriers dockers.

Actuellement, une ambiguïté subsiste en effet sur le champ d’activité auquel s’applique la priorité d’embauche des dockers, puisque les textes laissent entendre que cette priorité d’embauche ne s’appliquerait qu’aux ports maritimes où l’on trouve une main-d’œuvre d’ouvriers dockers professionnels intermittents. Suivant l’interprétation que l’on donne de la loi, cela pourrait avoir pour effet de priver les dockers mensualisés et occasionnels de la priorité d’embauche dans les ports, de plus en plus nombreux, où n’existent plus d’ouvriers dockers intermittents. L’affaire de Port-la-Nouvelle a fait prendre conscience de la nécessité de lever cette ambiguïté.

Rappelons qu’en la circonstance, un des manutentionnaires locaux de ce port de l’Aude s’était délibérément affranchi des règles fixées par la loi de 1992 et par la convention collective nationale unifiée de 2011, arguant du fait qu’il n’y avait plus sur place d’ouvrier docker intermittent.

Nous ne pouvons que nous féliciter que le présent texte clarifie les choses en proposant une nouvelle rédaction du code des transports qui, d’une part, précise que « dans les ports maritimes de commerce, les travaux de manutention portuaire sont réalisés par des ouvriers dockers » et qui, d’autre part et surtout, fait obligation aux employeurs de recruter en priorité d’abord des ouvriers dockers intermittents s’il en reste, puis des ouvriers dockers occasionnels travaillant régulièrement sur le port.

Ce régime ne répond pas seulement aux objectifs de sécurité et de continuité des opérations de manutention ; il contribue aussi à faire mieux reconnaître et à mieux garantir le savoir-faire spécifique des ouvriers dockers. Ce savoir-faire est d’autant plus précieux que l’amélioration des conditions de chargement et de déchargement de cargaisons parfois dangereuses répond à une préoccupation d’intérêt général. Clarifier le statut des ouvriers dockers, c’est non seulement protéger les salariés, mais aussi préserver un savoir-faire et une technicité qui sont une composante essentielle de l’attractivité de nos places portuaires, à l’heure de la mondialisation et du dumping social. Désormais, sur le territoire national, aucune entreprise ne pourra se rattacher à un port pour charger ou décharger des navires sans respecter la convention collective qui fixe un cadre réglementaire précis.

Toutefois, une ambiguïté subsiste quant à l’esprit qui a guidé la rédaction de l’article 6 relatif au périmètre de la priorité d’emploi des dockers. En effet, conformément aux recommandations du groupe de travail, vous proposez de ne pas inclure dans le périmètre de la priorité d’emploi des dockers les entreprises titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, renvoyant à une charte nationale qui sera conclue entre les organisations d’employeurs et les salariés du secteur de la manutention portuaire. Selon les signataires de la proposition de loi, cette charte sera destinée « à faciliter, au niveau local, les relations entre les parties prenantes dans un souci de développement équilibré du port et d’optimisation du service rendu aux utilisateurs. » Ainsi formulé, cet objectif semble louable, mais en réalité il s’agit surtout de laisser aux partenaires sociaux le soin de se mettre en conformité avec le cadre juridique européen ; or nous savons combien ce cadre impose à l’ensemble des activités économiques de se soumettre au principe de libre concurrence.

Aujourd’hui, la Commission européenne admet la reconnaissance d’un métier d’ouvrier docker, assise sur des considérations d’intérêt général liées à la sécurité des personnes et des biens. Elle admet également – ou plutôt, comme le dit notre rapporteur, « paraît admettre » – une priorité d’emploi des ouvriers dockers dans un champ d’intervention et un périmètre bien délimité et non extensif. Toutefois, elle insiste parallèlement sur les principes de libre concurrence, de liberté d’établissement et de libre prestation de services dans l’organisation de la manutention portuaire. Notre rapporteur nous rappelle ainsi que, l’an passé, la Commission a mis en demeure la Belgique et a introduit un recours en manquement contre l’Espagne, qui a abouti en décembre dernier. De toute évidence, le texte qui nous est proposé vise à épargner à la France les foudres de Bruxelles, tout en évitant de déclencher de violents mouvements sociaux – et c’est tant mieux.

Vous renvoyez aux partenaires sociaux le soin de trancher, mais de telle manière que des pressions seront certainement exercées par les employeurs sur les salariés afin de conformer la charte aux exigences de la libre concurrence. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette solution en demi-teinte, qui renvoie à la négociation en plaçant, de fait, les salariés sous la contrainte des exigences européennes. Nous pensons que le Parlement devrait prendre toutes ses responsabilités s’agissant de la définition du cadre d’emploi des ouvriers dockers, non pour se soumettre aux desiderata de Bruxelles, mais au contraire pour engager un rapport de forces visant à faire pleinement reconnaître la spécificité de ce métier et ses exigences en matière de technicité et de qualification, de façon à éviter que, demain, des industriels ne soient autorisés à exercer leurs activités de manutention portuaire avec leur propre personnel, sans la moindre garantie. Les exigences en matière de sécurité des personnes et des biens ne peuvent être à géométrie variable et ne sauraient évoluer au gré des règles de la concurrence !

Nous serons bien entendu très vigilants, aussi bien sur les suites de ce texte que sur le devenir de la charte et la rédaction des décrets d’application. Nous formulons l’espoir que cette charte nationale soit équilibrée ; à ce titre, nous nous félicitons qu’un amendement adopté en commission nous permette de prendre date via la remise d’un rapport au Parlement.

Compte tenu des avancées indéniables que contient ce texte et du consensus dont il a fait jusqu’à présent l’objet, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, j’ai plaisir à défendre ce soir, à cette tribune, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, une proposition de loi de gauche – disons-le –, qui consolide, renforce et clarifie l’emploi des ouvriers dockers tout en assurant à tous les acteurs une meilleure lisibilité du cadre juridique applicable à la manutention dans les ports maritimes français. Il y avait nécessité, si ce n’est urgence, à agir. Grâce à ce texte utile, le Gouvernement et la majorité vont permettre des avancées notables en la matière.

Le rapporteur l’a rappelé, le cadre d’emploi des dockers a connu de nombreuses réformes depuis la Seconde Guerre mondiale. La loi de 1947 portant organisation du travail de manutention dans les ports maritimes et de navigation créait deux catégories de dockers, les dockers professionnels et les dockers occasionnels, et prévoyait une priorité d’embauche pour les dockers titulaires d’une carte professionnelle. C’est cette loi qui a consacré le régime de l’intermittence de l’emploi des dockers, embauchés à la journée ou pour une vacation et titulaires d’une carte de garantie de docker professionnel, la fameuse « carte G », assurant l’indemnisation du caractère aléatoire de leur emploi. C’est ainsi que, pour contrebalancer le caractère intermittent de leur activité, les dockers professionnels bénéficiaient de la priorité d’embauche.

Plus tard, en mai 1991, Jean-Yves Le Drian est nommé secrétaire d’État à la mer. Il propose un plan de réforme de la filière portuaire, comportant un triple volet : la manutention portuaire, la domanialité portuaire et les accès portuaires. La réforme dite « Le Drian » prévoyait que la majorité des ouvriers dockers devrait être composée de salariés permanents, liés aux entreprises de manutention par un contrat de travail à durée indéterminée. Elle instaurait une gestion de l’effectif des dockers intermittents dont chaque port était responsable, assortie de seuils d’inemploi. Évidemment, ce plan de modernisation s’accompagnait de mesures sociales.

Enfin, en 2008, la réforme portuaire a permis à la manutention d’avoir un commandement unique et intégré sur les terminaux portuaires. Ce n’était pas le cas jusque-là : il y avait d’un côté les entreprises privées de manutention portuaire, propriétaires des engins de manutention « horizontale » et employant les ouvriers dockers, et, de l’autre côté, les ports autonomes maritimes, qui étaient quant à eux propriétaires des engins de manutention « verticale » et qui employaient grutiers et portiqueurs.

En dépit des réformes, de la parution de nombreux décrets et de la rédaction de plusieurs rapports, force est de constater que nous faisons désormais face à de nouvelles problématiques. Aujourd’hui, on l’a dit, le problème majeur auquel nous sommes confrontés est le caractère prochainement obsolète de l’intermittence des dockers.

Il ne reste en effet que quelques dizaines de dockers intermittents – moins de soixante-dix ; tous seront à la retraite en 2018. Il y a donc bien urgence à agir. De plus, s’ajoute une ambiguïté de rédaction de certains articles du code des transports régissant la priorité d’embauche des dockers. C’est ainsi qu’un incident a éclaté en juillet 2013, à Port-la-Nouvelle, dans ma région, le Languedoc-Roussillon – une belle région, mais parfois éruptive ! Il s’agissait en l’occurrence d’un problème de concurrence déloyale entre deux entreprises de manutention portuaire et de non-respect du code des ports maritimes, notamment de l’article fixant la liste des travaux pour lesquels il y a priorité d’embauche des ouvriers dockers. Le cas de Port-la-Nouvelle soulève une question plus générale, concernant l’interprétation de certaines dispositions législatives et réglementaires, qui pourrait aboutir à une remise en cause du métier même d’ouvrier docker. C’est ce qui nous amène au débat de ce soir.

La règle de la priorité d’embauche s’applique en effet dans les ports figurant sur une liste prévue par le code des transports, à savoir « les ports maritimes de commerce dans lesquels l’organisation de la manutention portuaire comporte la présence d’une main-d’œuvre d’ouvriers dockers professionnels intermittents ». Or, comme je viens de le dire, la catégorie des dockers ayant le statut d’intermittent est en voie d’extinction.

C’est sur ce constat, et après de nombreux échanges avec les parties prenantes, que le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, M. Frédéric Cuvillier – auquel je veux rendre hommage –, avait décidé de confier la délicate mission de rédiger un rapport sur le sujet à Mme Martine Bonny, inspectrice générale de l’administration du développement durable. S’appuyant sur six mois d’un travail considérable, comprenant consultations, écoute et échanges, le Gouvernement et le Parlement sont aujourd’hui en mesure de présenter cette proposition de loi. Le rapporteur, M. Philippe Duron, a lui aussi mené de très nombreuses auditions ; je le félicite d’autant plus qu’il l’a fait en un temps record – mais on le sait habitué à la grande vitesse. (Sourires.)

Le titre de cette proposition de loi résume bien l’état d’esprit dans lequel se trouvent l’exécutif et la majorité parlementaire : il s’agit de consolider et de sécuriser la situation des ouvriers dockers, avec une priorité d’embauche, de pérenniser l’emploi des dockers et, dans le même temps, d’offrir stabilité et lisibilité aux acteurs économiques, dont le texte se montre soucieux de la compétitivité.

Gabriel Serville vient de le rappeler : la priorité d’embauche se justifie par la technicité des opérations de chargement et de déchargement des navires, et donc par la nécessaire formation des ouvriers – sans oublier les enjeux liés à la sécurité des biens et des personnes. Ce métier est difficile et souvent dangereux, aujourd’hui encore, et il mérite d’être protégé.

C’est la raison pour laquelle le texte consacre son article 1er à la clarification de l’article du code des transports qui était sujet à interprétation. Grâce à cet article, qui sera sans doute utilement complété par voie réglementaire, il n’y aura plus aucune ambiguïté quant à la priorité d’emploi.

Les autres articles précisent les définitions des différentes catégories d’ouvriers dockers professionnels, définissent leur statut, ainsi que l’emploi des ouvriers dockers occasionnels.

L’autre point important, c’est l’article 6, qui vise à déterminer les travaux de chargement et de déchargement effectués par les ouvriers dockers. L’innovation apportée par cet article est la signature d’une charte. Signée entre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives, les organisations représentatives des autorités portuaires et les organisations représentatives des utilisateurs de services de transport maritime ou fluvial, cette charte fixe les opérations à effectuer en cas d’implantation industrielle nouvelle. Oui, il s’agit bien d’une véritable innovation, qui mérite d’être évaluée, en son temps, par le Parlement et il est heureux que la commission ait prévu, effectivement, qu’un rapport puisse être rendu dans quelques mois. Cette innovation inspirera d’ailleurs peut-être le législateur dans d’autres champs professionnels.

Nous savons l’importance du dialogue social entre patronat et syndicats et celle du dialogue avec tous les acteurs économiques. Or toutes les dispositions de ce texte sont placées, justement, sous le signe du consensus, sous le signe de l’équilibre. Rares sont les textes et les propositions de loi qui font autant consensus. Il faut donc le souligner, et saluer les auteurs de ce long travail. À nouveau, je le fais, et je rends hommage au travail de Mme Bonny. Le consensus qui règne permet d’envisager plus sereinement l’avenir des places portuaires françaises. Il s’agit même probablement d’un consensus que beaucoup doivent nous envier. Vous en rêvez sans doute même ce soir, monsieur le secrétaire d’État, à propos d’autres champs de votre activité, qui concernent le transport terrestre.

Nous sommes également conscients qu’il est d’une importance capitale de renforcer la compétitivité et l’attractivité de nos ports. Nous n’avons d’ailleurs pas à rougir, de ce point de vue. Qu’ils soient au nord, avec Dunkerque, Calais ou Le Havre, chère Catherine Troallic, à l’ouest, avec Nantes-Saint-Nazaire, au sud-ouest, avec Bordeaux, ou au sud, avec le port de Marseille, cher à Henri Jibrayel, nos ports sont en pointe. Mais je pense aussi, évidemment, aux anciens ports d’intérêt national, aujourd’hui gérés, notamment, par les régions. Je pense en particulier à ceux de Sète, où l’on vous attend, monsieur le secrétaire d’État, et de Port-la-Nouvelle, géré par la région Languedoc-Roussillon, sous l’égide de l’établissement public régional Port Sud de France. Ils attirent moins souvent l’attention des pouvoirs publics à Paris mais ils se battent eux aussi pour conquérir de nouveaux marchés, et ils sont très attentifs à la portée de nos débats ce soir.

Ce texte permettra, je l’espère, de faire en sorte que la France conforte sa place, une place que sa situation stratégique exceptionnelle lui offre. Nous avons d’énormes atouts, tant en termes de positionnement géographique qu’en termes humains, et c’est aussi grâce à nos ouvriers qualifiés. Ce texte permettra de consolider ces atouts, de les préserver, et de regarder plus loin. « La mer, la mer, toujours recommencée », disait Paul Valéry. Eh bien, puisqu’il nous faut aujourd’hui réajuster, modestement, le régime juridique de la manutention portuaire, hâtons-nous, recommençons ce travail, sans tarder.

En tout cas, pour toutes les raisons que nous avons tous indiquées à cette tribune, le groupe socialiste, républicain et citoyen vous appelle à voter cette loi de gauche, cette loi protectrice des ouvriers dockers, cette loi protectrice de la compétitivité des ports français, cette loi d’équilibre, qui nous permet d’envisager l’avenir des ports français avec sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est vrai qu’à la demande du Gouvernement un groupe de travail s’est formé, l’an dernier, en 2014, pour mener une réflexion sur la situation des ports maritimes en France. Ce groupe a formulé un certain nombre de propositions visant à adapter nos ports maritimes français à la réalité portuaire. Parmi ses recommandations, figurait notamment la pérennisation du statut de l’ouvrier docker, dont le régime de travail a toujours été assez complexe à définir. La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui propose justement de consolider et d’encadrer l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.

En effet, depuis la loi de 1992, le régime de l’intermittence disparaît progressivement au profit de la mensualisation. On ne compte plus que 70 dockers intermittents en activité aujourd’hui, et tous devraient partir à la retraite d’ici à 2018. Face à cette évolution, il est désormais urgent de revoir les dispositions du code des transports pour que cette transformation, certes au profit de la stabilité de l’emploi des dockers, soit quand même convenablement préparée pour atténuer les risques d’incidents et de conflits, lesquels sont d’ailleurs souvent liés à ces questions de statut et de régime de travail ou encore à la nature des activités des dockers. Ces blocages entraînent de graves conséquences sociales et économiques, à la fois, directement, pour les ports, bien entendu, et pour les zones situées aux alentours.

Vous le savez, les outre-mer, dont je suis issue, puisque je suis de Polynésie française, ne sont pas non plus épargnés par ces difficultés. Je vous en donne un exemple très récent : la Polynésie a connu une grève des dockers en 2013 – nous sommes compétents, dans ce domaine. Cette grève a paralysé pendant quatorze jours le seul port de l’île principale, celui de Papeete. Nous avons estimé les pertes à plus de 2 millions d’euros par jour. C’étaient environ 2 000 conteneurs qui étaient bloqués au port. Il est vrai que pour nous, plus qu’un moyen de désenclavement, c’est un poumon économique. C’est clairement une question stratégique pour la Polynésie française. Ces récentes grèves, qu’elles se situent dans l’Hexagone ou dans nos territoires très éloignés, démontrent qu’il est important de construire un dialogue social, un dialogue social qui doit rester pérenne, avec les différents partenaires des activités portuaires.

Concrètement, cette loi – cela a été dit plusieurs fois, je synthétiserai donc – permet de sécuriser le principe de priorité d’embauche des dockers, qui avait été fixé par la loi de 1947. L’affaire de Port-la-Nouvelle avait démontré les difficultés rencontrées dans son interprétation. Nous précisons donc par ce texte que l’absence d’ouvriers intermittents ne remet pas en question l’application de cette règle de priorité d’embauche, et c’est une bonne chose. Cette précision viendra également sécuriser ces emplois, qui, pour nous, sont essentiels. Il s’agit de dockers aujourd’hui reconnus pour leur professionnalisme et leurs compétences, qui participent directement au rendement économique de nos ports, tout en assurant la sécurité de ces lieux, souvent dangereux. Le groupe UDI se félicite que ces questions de sécurité soient abordées clairement dans ce texte, un décret devant notamment déterminer les travaux de chargement et de déchargement prioritairement effectués par des ouvriers dockers.

Enfin, la mise en place d’une charte nationale pour les nouvelles implantations en bord à quai va également dans le bon sens, c’est une bonne chose. Cela aussi prouve la volonté de maintenir un dialogue entre tous ces acteurs. Je dirai donc que ce texte, dans l’ensemble, a le mérite d’être pragmatique et qu’il lève des ambiguïtés au profit de l’activité portuaire française.

Je voudrais quand même revenir sur la question de la mondialisation des échanges maritimes. Effectivement, elle requiert des professionnels qualifiés et rigoureux pour assurer une qualité du service et un bon rendement économique de nos ports. Mais nous devons également assurer la qualité de l’ensemble des services que nous pouvons fournir dans les ports français. Vous rappeliez à juste titre, monsieur le secrétaire d’État, en 2014, année où le port du Havre a obtenu, pour la quatrième fois, le titre de « meilleur port européen », qu’il était nécessaire de conserver ce savoir-faire, que c’était essentiel pour l’économie de notre pays.

Sachant que 80 % du commerce mondial s’opère par voie maritime, il est vraiment essentiel que nous puissions consolider notre stratégie en matière de développement de nos activités portuaires. Nos ports ont également un rôle essentiel à jouer dans le désenclavement de nos territoires. Mon collègue Jean-Christophe Fromantin rappelle souvent qu’il est nécessaire, aussi, de connecter davantage nos territoires à un grand port maritime, en assurant notamment des dessertes. Celles-ci viennent également améliorer la compétitivité, l’attractivité de ces ports.

Sur ce point aussi, nos territoires d’outre-mer sont sensibles aux évolutions mondiales. Vous le savez, nous sommes souvent très isolés. La Polynésie est certainement le territoire le plus isolé de l’ensemble français. J’en profite pour vous sensibiliser, également, à ces contraintes, à la complexité géographique de notre territoire – j’en parlais cet après-midi, alors que se tenait un colloque sur l’économie du Pacifique. Imaginez la moitié de la Corse fragmentée en 118 petits morceaux éparpillés sur une surface grande comme l’Europe. Voilà, c’est cela, la Polynésie française : 118 îles isolées au cœur du Pacifique sud, sur une surface maritime qui représente la moitié de l’espace maritime français, 5 millions de kilomètres carrés. On l’oublie souvent. Imaginez la complexité : nous avons quatre-vingt-huit ports et quais, et près d’une vingtaine d’armateurs locaux.

Ce sont donc des questions qui nous intéressent. Certes, nous avons la compétence, mais nous regardons de près ce que vous faites au niveau national et nous nous en inspirons également.

Je terminerai en vous disant que la performance, la productivité de nos ports est aujourd’hui essentielle. Malheureusement, on constate que, malgré les atouts que nous venons d’évoquer – la situation géographique de l’Hexagone, le savoir-faire –, nous sommes un peu en perte de vitesse. Au sein du groupe UDI, nous souhaitons absolument que nos principaux ports soient renforcés. Cela passe par des investissements dans des technologies plus pointues, qui nous permettent de nous adapter au développement du commerce mondial. Nous sommes également persuadés que cela passe par une dynamisation de nos activités portuaires.

Bien entendu, le groupe UDI renouvelle son soutien à ce texte, qui sécurise et consolide notre code afin de faciliter cette activité de dockers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Gabriel Serville. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Les articles 1er à 9 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je vais les mettre aux voix successivement.

Articles 1er à 9

(Les articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 sont successivement adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je voudrais remercier l’ensemble des groupes qui ont apporté leur soutien à ce texte. Je pense que les propos de chacun ont pu montrer combien le problème particulier de nos ports et des dockers pouvait renvoyer à des histoires, à notre histoire sociale, à notre histoire locale, à l’histoire de nos territoires. Chacun a pu inscrire cette démarche, justement, dans ce vécu.

Je remercie également Mme Sage d’avoir apporté un éclairage sur ce que pouvait donner ce type de démarche et de problématique en Polynésie.

Le Gouvernement soutient évidemment cette proposition de loi, c’est un travail utile que vous avez fait ce soir, mesdames et messieurs les députés. Et le Gouvernement est tout à fait satisfait de voir que la totalité de ceux qui sont encore présents vont soutenir ce texte.

Explication de vote

M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour une explication de vote au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Sébastien Denaja. Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je me félicite de ce vote unanime. Tout à l’heure, le groupe Les Républicains disait qu’il s’abstiendrait mais ses membres ne sont même pas physiquement présents pour manifester leur abstention. Je note donc que l’Assemblée nationale est unanime pour voter ce texte que nous disions justement être un texte d’équilibre et de consensus.

Je voudrais aussi, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, me féliciter de ce travail de co-construction avec le secrétaire d’État Alain Vidalies, avec qui nous avons travaillé dans une parfaite entente. Cette maison sait pouvoir lui rendre hommage. Les textes sur lesquels nous avons eu la chance de travailler avec lui ont souvent fait l’objet d’un vote unanime ou, en tout cas, d’un vote se déroulant dans le contexte d’un climat social aussi apaisé que celui de ce soir. Nous tenions aussi à lui rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, lundi 29 juin, à seize heures :

Discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi relative à la réouverture des délais d’inscription sur les listes électorales ;

Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l’organisation territoriale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures quarante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly